Tous les chemins mènent à la peinture - Stéphane Lecomte

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Tous les chemins mènent à la peinture Du 16 mai au 16 juin 2019

Stéphane Lecomte

Le pays où le ciel est toujours bleu


L’atelier bleu, 2018 - Huile sur toile, 162 x 130 cm


L’atelier, 2018 - Huile sur toile, 130 x 97 cm



Entretien avec Stéphane Lecomte

Atelier vert, 2018 Huile sur toile, 130 x 97 cm

Alexandre Curnier. Stéphane, tu m’as proposé d’écrire un texte sur ton travail. J’ai refusé de le faire, car ça me semble une erreur de vouloir expliquer une œuvre, que je considère en mouvement. Cependant, tu as accepté que l’on échange sur ton travail, ce que je trouve bien plus intéressant. Lors de ta résidence à la Villa Belleville en 2018, j’ai pu observer ton engagement complet dans la peinture. Que s’est-il passé ? Stéphane Lecomte. La résidence à la Villa Belleville a été une expérience formidable. Avoir un atelier à Paris, dans des conditions idéales pendant trois mois, m’a permis de me libérer davantage. Je suis devenu peintre sur le tard. Ma formation artistique et mes premiers amours sont éloignés de la peinture. J’ai tout d’abord été un bricoleur influencé par Robert Filliou, Fluxus et dada. Je suis encore très proche du collage et c’est ce que j’ai travaillé lors de la résidence. Je ne suis donc pas né peintre, ni même été élevé dans la peinture. J’ai eu mes premiers chocs esthétiques avec des reproductions : les peintures de Vincent Van Gogh, que je découvre dans un livre de ma mère, puis celles de Jacques-Louis David, dans les manuels scolaires d’histoires. Mais ce n’est que plus tard, lorsque je visite le musée d’Orsay et Le Louvre, que je regarde et comprends la peinture. Vers mes quinze ans, je suis bousculé par Guernica de Pablo Picasso, lors d’un voyage scolaire à Madrid. Je suis resté seul — à tenter d’entretenir une conversation muette avec ce chef-d’œuvre. L’énergie et l’insolence de Pablo Picasso m’apportent toujours beaucoup. Seule la peinture me donne cette sensation de voir le réel. Pour revenir à la résidence à Belleville, elle a été salvatrice pour moi. À ce moment-là, je suis bien installé à Toulon, avec mes habitudes de travail — je peux affirmer, pour te répondre honnêtement, que je ronronne carrément. En 2017, j’ai l’occasion de faire une exposition personnelle à la Villa Tamaris qui m’a permis de ponctuer une période de peinture. Ces trois mois de résidence vont me permettre de tout remettre à plat. Seul, face aux toiles vierges, j’ai eu le temps. C’est une notion essentielle le temps. Mais il ne faut pas tergiverser et la peinture ne blague pas, elle est franche et sincère. J’ai donc décidé de tuer ce que je faisais jusqu’à présent. Je trouve et me découvre un nouveau vocabulaire. J’ai eu envie de relancer cette idée de collage sur la peinture, voilà pourquoi l’on distingue des formes abstraites qui viennent s’inscrire par-dessus des figures. Et puis il y a des thèmes phares, qui sont des prétextes pour moi. Je pense à « l’artiste et son modèle ». Ici, le modèle est mon arrière-grand-mère paternelle, que j’ai très peu connue. Tout ceci est une matière nouvelle, pour peindre et mettre en place de nouvelles formes, un nouveau langage, mon territoire pictural.



Maison familiale, 2015-2016 Huile sur toile, triptyque, 35 x 81 cm

L’atelier éclaté, 2018 Huile sur toile, 130 x 97 cm

Les trois mois passés à la Villa Belleville ont accompagné cette libération, ce qui fait naître des toiles comme L’atelier éclaté ou L’atelier vert, que j’ai réalisées à Toulon. Dans ces dernières toiles, les figures familiales ne sont pas présentes, il s’agit de mon décor personnel, que je reconstruis sur la toile. La peinture est un jeu. Un jeu avec des enjeux esthétiques et plastiques. C’est cela qui m’intéresse, je ne souhaite pas faire une peinture politique. Il y a la peinture, mais aussi le dessin, qui est absent de cette exposition. Tu en produis beaucoup. Quelles étapes de ton travail  servent-ils ? Nous avons décidé avec Laurent Mazuy et Sébastien Pons, qui programment Le pays où le ciel est toujours bleu, de présenter seulement des peintures. Il ne s’agit pas d’oublier ma pratique du dessin, mais cela avait plus de sens de montrer mes tableaux, qui vont de 2015 à 2018. Le dessin est un exercice quotidien — je dessine tous les jours, sur différents supports, et il a différents statuts. Il peut être préparatoire à une peinture, mais souvent, je garde seulement l’architecture générale du trait, et je m’éloigne naturellement de sa forme initiale. Ce qui m’intéresse c’est de garder la gymnastique du dessin. J’aime beaucoup aussi les dessins


Ce rĂŞve bleu, 2018 - Huile sur toile, 130 x 97 cm


que l’on peut faire quand on est au téléphone, les gribouillages quand on ne pense pas. Le dessin me vide l’esprit et je le vois comme une sécrétion. C’est différent de la peinture, car c’est plus pratique d’avoir un crayon et un carnet dans ma poche. Pour autant, il y a aussi des dessins qui restent autonomes. Ils sont aboutis et je n’envisage pas d’en faire un tableau. C’est de cette façon que le motif s’impose dans ton travail ? Concernant les motifs que l’on voit apparaître à partir de la résidence à la villa Belleville, ils sont en effet venus par la pratique du dessin. C’est en organisant des dessins, en les recouvrant de cette forme végétale, que j’ai décidé de les expérimenter en peinture. Je fais beaucoup de tests sur les motifs. Il y a des motifs décoratifs qui m’attirent beaucoup, je pense aux vieux papiers peints floraux par exemple. Ceux-ci, j’essaie de les traiter en dessin. Disons que je tente de capturer leur rythme dans le dessin, avant de le retranscrire en peinture. Mais il n’y a pas de règles. Je n’ai pas de méthodes strictes de travail. Il m’est arrivé de mettre en place le motif en peinture sans y avoir pensé auparavant. Il faut que mes peintures vivent et dansent, que l’œil bouge.


Tricot, 2018 - Huile sur toile, 65 x 54 cm


Magdeleine et Marcelle, 2018 Huile sur toile, 65 x 54 cm

Autoportrait, 2018 Huile sur toile, 65 x 54 cm



L’artiste et son modèle, 2018 (détail) Huile sur toile 65 x 54 cm

Souvenirs souvenirs, 2018 Huile sur toile, 65 x 54 cm

La photo de famille est un objet de souvenir et c’est ton support. Ce qui t’intéresse, c’est de rappeler la mémoire ou montrer ce que le temps nous laisse du souvenir ? Ce qui m’intéresse — je parle là de la découverte des archives de mon père —, ce sont les figures des anciens, mais aussi les poses, les attitudes, les décors, les costumes. Ce sont des photos en noir et blanc, mais que je voyais en couleurs. Je n’avais pas envie de faire une peinture photographique. Je considère que la photo tue un instant, alors que la peinture rend immortel. Il y a volontairement de l’interprétation dans le souvenir, car c’est un prétexte pour peindre. Ma peinture n’est pas un travail sur la mémoire. Pour aller plus loin, et ce qui me semble intéressant, c’est que tu refuses le portrait. Un visage est bien là, une main, mais tu livres une histoire ou un caractère par la présence de couleur, des formes, du collage, du masquage, de la coulure… J’ai fait aussi des portraits. Certains sont traités de manières « classiques ». Mais, c’est vrai, j’aime perturber le regard. J’ai en ma possession un matériau brut qui est un visage, il s’agit de construire autre chose avec. Le portrait m’intéresse. Traiter le portrait en peinture n’est pas une chose aisée. Mais ce que je


Me as Zorro, 2015 Huile sur toile, 23 x 33 cm

cherche, c’est trouver des signes qui permettront à tout le monde de s’identifier. En soi, si je masque le portrait ce n’est pas que je le refuse, c’est que j’estime qu’il peut être perturbé. Pour certaines de mes peintures, j’ai repensé aux affiches de Jacques Villeglé où le regard circule et un visage se dessine par couche. Comment un jeune artiste peintre fait-il pour ne pas être écrasé par toutes les références et l’histoire picturale ? (Rires) J’étais très timide, c’est peut-être pour ça que je me suis mis à la peinture sur le tard. Mais à force de tourner autour du pot, il faut se jeter dans l’huile. Il y a une histoire en peinture avec tous ces rhizomes. Et je découvre encore des peintres. J’espère que ce sera toujours le cas. Je ne suis pas Pablo Picasso, je ne suis pas Jacques-Louis David et je ne suis pas Vincent Van Gogh ; mais je peux être Stéphane Lecomte. Les références sont importantes, mais l’essentiel est de trouver son langage. On n’arrive pas en peinture par hasard. Les rencontres sont importantes ; comme celle avec Jean Le Gac. Il m’a invité à ne pas « hésiter à peindre ». Je garde son conseil en tête.

Le peintre et ses modèles, 2018 - Huile sur toile, 162 x 130 cm



Magdeleine, 2018 Huile sur toile, 65 x 54 cm

Pouvons-nous parler de ta situation, afin de rendre compte de la façon dont on vit de sa peinture ? Ma situation est précaire. Matériellement, ce n’est pas toujours heureux. C’est à ce moment-là qu’il faut redevenir bricoleur. L’important c’est de peindre, de créer et de faire vivre les toiles dans des expositions. Un artiste veut toujours plus. Je ne suis que très rarement content de moi. C’est une situation qui n’est pas simple, mais elle est encore plus difficile quand on est seul. J’ai eu la chance d’avoir été soutenu par mes parents et mes proches. Ma situation est celle de tout artiste. Elle s’aligne sur les marées de Normandie.

Magdeleine et ses filles, 2016 - Huile sur toile, 130 x 97 cm



1 Ă 4 et 6 Autoportraits, 2016 Huile sur toile, 35 x 27 cm


5 Me as a child, 2015 Huile sur toile, 35 x 27 cm



Magdeleine, 2015 Huile sur toile, 130 x 97 cm


Couple, 2018 Huile sur toile, 35 x 27 cm


L’artiste et son modèle, 2018 Huile sur toile 65 x 54 cm

L’artiste et son modèle, 2018 Huile sur toile 65 x 54 cm


En savoir + Stéphane Lecomte

www.documentsdartistes.org/lecomte

Le POCTB Le pays où le ciel est toujours bleu, POCTB - collectif d’artistes, est un label de création et de diffusion dans le domaine de l’art contemporain. Ce label propose une programmation dans son espace d’exposition situé à Orléans et hors les murs avec La borne, microarchitecture de création et de monstration itinérante en région Centre - Val de Loire. Direction artistique : Sébastien Pons / Laurent Mazuy

Le pays où le ciel est toujours bleu Quartier Carmes - 5 rue des Grands-Champs à Orléans - 02 38 53 11 52 - www.poctb.fr

Graphisme : Sébastien Pons

Avec le soutien de


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