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Pépite. Le Domaine du Petit Bondieu

—Pépite

Révélation en terre tourangelle

Vocation précoce, grande humilité, respect intransigeant de l’environnement... Ces dispositions, qui s’exercent sur un patrimoine de vignes hautement qualitatif, font de Thomas Pichet l’une des valeurs montantes de la Loire. De caractère, charmeurs et purs, ses vins du Domaine du Petit Bondieu ont tout pour plaire.

Texte Matthieu Perotin— Photos Stéphane Remael

BOURGUEIL EST DANS MON CŒUR, c’est la meilleure « des adresses. » Nul ne sait si l’acteur Jean Carmet (1920-1994) a connu le Domaine du Petit Bondieu. Mais si vous y faites une halte, il y a fort à parier que la déclaration d’amour du plus célèbre enfant du pays trouve en vous une résonance intime. C’est bien simple : en compagnie de Thomas Pichet, le cliché qui veut que la Loire symbolise la douceur de vivre donne l’impression de s’incarner. Généreux de son temps, attentif, pédagogue sans être professoral, le vigneron se révèle un hôte délicieux. Passés les prémices relatifs à l’histoire du domaine – culture de la vigne attestée dès la fin du XVIIIe siècle, reprise de l’exploitation par son père en 1976, rachat par ses soins en 2011 –, il s’efface devant la célébration du terroir. «Bourgueil couvre un plateau de sable et de graviers très filtrants, mais aussi un coteau argileux avec du calcaire plus ou moins proche en sous-sol, explique l’affable quadragénaire. Dans le premier cas, on obtient des vins pleins de fraîcheur et de fruit qui offrent un plaisir immédiat; plus en hauteur, le supplément de matière et de tannins donne davantage de profondeur, à condition d’affiner les jus par un élevage long.» Avec un peu moins de 25 hectares répartis sur différentes parcelles, le Domaine du Petit Bondieu a élaboré une gamme de cinq cuvées destinée à restituer toutes les nuances de l’appellation. Depuis Céleste (qui représente environ la moitié de la production) jusqu’aux Couplets (cuvée issue de vignes plantées il y a 90 ans en moyenne), la concentration et le soyeux progressent à chaque étage.

Plaidoyer pour un sol vivant

Aux yeux de leur géniteur, les vins du domaine partagent néanmoins quelques traits communs : «La richesse, la rondeur, une belle plénitude venant en contrepoint d’une certaine tension.» Des caractéristiques loin des stéréotypes communément associés aux rouges de Loire… Mais là n’est pas le souci de Thomas Pichet, pour qui seuls des cabernets francs menés à un haut niveau de maturité sont susceptibles d’atteindre l’équilibre recherché. Raison pour laquelle le vigneron ne ménage pas ses efforts à la vigne. Effeuillage au printemps, second passage avec tri sur pied, retrait systématique des grappes affectées d’un retard de croissance : tout est fait pour favoriser l’ensoleillement et le mûrissement des grains dans la dernière ligne droite.

L’entretien des sols est également au cœur des préoccupations. «Dans les années 1990, nous avons été traumatisés par une succession d’années catastrophiques où les raisins pourrissaient en grand nombre. Nous avons réagi en semant du gazon entre les plants, avec l’idée que cela permettrait de mieux absorber l’eau de pluie.» Le résultat, d’abord spectaculaire, finit par questionner l’équipe du domaine, qui constate que les sarments sont de moins en moins nombreux à repousser après la taille. Pour en avoir le cœur net, des fosses sont creusées jusqu’à deux mètres de profondeur. Il en ressort que l’enherbement, du fait de sa densité, a littéralement stérilisé le sol, privant la vigne d’éléments nutritifs essentiels. En arrière, toute ! Depuis quelques années, des herbes et céréales diverses (trèfle, seigle, avoine…) ont remplacé le gazon. «Elles servent d’abri à une faune auxiliaire qui se nourrit des parasites. Elles contribuent aussi à réduire les rendements, d’où des vins sans doute plus concentrés qu’auparavant.»

À l’écoute de ses intuitions

Inscrit à un BTS de viticulture, Thomas Pichet ne l’a jamais passé. À 18 ans, et après quelques stages chez d’autres vignerons, le domaine familial l’attendait. À l’entendre raconter ses expérimentations, tâtonnements et réajustements, on se dit que l’absence d’apprentissage académique n’a pas été sans vertus. Tout sauf retranché derrière les dogmes officiels, l’homme est à l’écoute de ses intuitions et n’hésite pas à se remettre en question. «Mon père, avant moi, a eu la volonté de limiter les intrants chimiques. Nous avons renoncé aux phytosanitaires de synthèse au début des années 2000 et nous sommes en agriculture biologique certifiée depuis plus de 10 ans. Se pose donc la question de la prévention et du traitement du mildiou, dont les attaques sont répétées.» Dûment testées, les microalgues marines – parfois présentées comme un remède miracle – n’ont pas convaincu Thomas Pichet. Au contraire des infusions de plantes, dont il a pu apprécier le rôle de stimulateur des défenses naturelles. Les huiles essentielles, l’argile et le cuivre viennent aujourd’hui compléter la pharmacopée « maison ».

À la cave, le domaine ne grave pas davantage ses pratiques dans le marbre. Les anciennes barriques, bien qu’achetées d’occasion, marquaient les vins d’une empreinte boisée jugée un peu trop insistante. En 2015, elles ont cédé la place à des cuves plus vastes (400 à 500 litres). Un an auparavant, le vigneron avait commencé à travailler sans soufre. Confronté à la présence de brettanomyces (des levures responsables d’odeurs désagréables) dans les cuvées issues de vieilles vignes, il ne s’est pas entêté. « Sur les vins à risque, nous nous autorisons à utiliser une faible quantité de soufre au moment de la mise en bouteille si c’est le prix à payer pour éviter les altérations.»

« Se frotter à l’expérience des autres »

L’avenir du domaine ? C’est, dès aujourd’hui, l’aménagement d’un nouveau chai qui conduira à tripler la surface dévolue à la vinification, à l’élevage et au stockage, tout en rationalisant les étapes successives de la production. C’est aussi l’installation des anciens millésimes dans une cave naturelle située sous le coteau, où la faible amplitude thermique est propice au vieillissement. C’est encore la poursuite de l’aventure débutée en 2016 de l’autre côté de la Loire. «J’ai eu l’occasion de racheter des parcelles qui appartenaient aux parents de ma femme sur l’appellation Chinon. La majorité des 2,5 hectares a été replantée en chenin.» En résultent de jolis blancs d’élevage, à la fois charnus et minéraux. Ascendants et cousins (certains lui ont revendu des vignes), belle-famille, jusqu’à ses deux fils qui, à 13 et 16 ans, se destinent déjà à devenir vignerons… Il faut croire qu’il n’existe, dans la vie de Thomas Pichet, rien d’extérieur à la passion du vin.

Il s’en amuse : «Je suis tombé dedans quand j’étais tout petit et je ne me suis jamais demandé si j’allais faire autre chose.» Ses lieux de vacances ? Irouléguy, Madiran, Gigondas, Châteauneuf-du-Pape, les abords du lac Léman. Son périple en voyage de noces ? Condrieu, Côte-Rôtie, Cornas, Saint-Joseph. Avec, à chaque fois, le bonheur de rencontrer ses pairs. «Se frotter à l’expérience et au ressenti des autres, c’est toujours bon à prendre.» Pragmatisme et ouverture d’esprit, la sainte dualité du Domaine du Petit Bondieu.

DOMAINE DU PETIT BONDIEU Appellations / Bourgueil, Chinon Production / 120 000 bouteilles par an Cépages / cabernet franc (rouge), chenin (blanc) Âge moyen des vignes / 45 ans ; Altitude / 45 à 90 mètres Vendange / manuelle et mécanique

—Domaine du Petit Bondieu, Bourgueil, Céleste Rouge 2020. Un cabernet franc tout en fraîcheur, issu des terroirs de graviers et élevé uniquement en cuves pour préserver son fruit croquant. Un vin souple et harmonieux, aux notes de fruits rouges : une première marche déjà haute.

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