
4 minute read
En mission officielle à Bruxelles, Alingete se confie à la journaliste belge Colette Breackman du Soir
Fraude et corruption en RDC : les révélations accablantes du chef de l'Inspection Générale des Finances. C'est le titre de l'article-interview paru dans le quotidien belge Le Soir daté du 12 mai 2023. De passage en Belgique en mission officielle, le patron de l'Inspection Générale des Finances, Jules Alingete Key n'a pas échappé à l'intérêt de la journaliste belge Colette Breackman, une spécialiste Congo qui voulait, pour le quotidien belge Le Soir, en savoir plus sur cet homme présenté comme « l’un des hommes les plus redoutés du Congo, faisant trembler fraudeurs et corrompus et mettant en cause les contrats chinois qui ont grevé les finances du pays ». Qui estime que les Chinois se sont « accommodés du laxisme qu’ils ont trouvé au Congo». Ci-après.
Jules Alingete, né en 1963, est aujourd’hui l’un des hommes les plus redoutés de la RDC. Il a gravi tous les échelons d’une carrière consacrée au contrôle des finances publiques : après des études en sciences économiques , il devient expert comptable agréé, conseiller au ministère de l’Économie et spécialiste en fiscalité. Depuis trois ans, il est Inspecteur Général en chef des Fnances du Congo (IGF) avec qualité d’officier de police judiciaire, ce qui lui permet de déclencher les poursuites judiciaires en cas d’infractions. Ses rapports sont directement adressés au chef de l’État.
Advertisement
Quelles sont les missions de l’Inspection Générale des Finances ?
Examinant comment sont gérés les fonds publics, nous relevons les faits de détournement, de corruption. Nous menons des audits, contrôles et vérifi- cations de tous les services publics, entreprises, provinces, entités locales, ministères afin de vérifier la bonne utilisation des biens et fonds publics. Nos contrôles peuvent se dérouler sur des faits passés, mais ils portent aussi sur des faits actuels.
Nous travaillons même a priori, avant que l’acte soit posé, dans un but de prévention et d’éducation.
Les inspecteurs des Finances, qui sont officiers de police judiciaire, lorsqu’ils découvrent des détournements, des faits de corruption, sont obligés de saisir le ministère public pour lui demander l’ouverture de dossiers judiciaires. La justice peut ensuite ouvrir des enquêtes qui peuvent arriver devant les tribunaux.
Quelles sont les plus grosses affaires que vous ayez eu à traiter ?
J’en épinglerais cinq, liées à la corruption et au détournement des deniers publics.
Le contrôle de la Banque Centrale du Congo est le premier : nous avons découvert des cartes de crédit -Visa et autres Mastercard - détenues par des fonctionnaires, des politiciens. Directement connectées au Compte Général du Trésor via des banques commerciales, ces cartes pouvaient être utilisées à tout moment. Le compte de l’État pouvait ainsi être débité pour des montants extrêmement élevés, s’élevant à 10.000 $US par jour et des achats pouvaient atteindre le même montant. Le Trésor congolais a ainsi perdu beaucoup d’argent.
L’audit du secteur forestier de la RDC - une démarche en rapport avec le moratoire auquel le Congo avait adhéré - est la deuxième affaire. Malgré les engagements pris auprès de la communauté internationale, des permis d’exploitation ont continué à être délivrés par des membres du gouvernement en charge du secteur forestier. À la suite de notre rapport, l’actuelle ministre de l’Environnement a annulé des concessions forestières.
L’audit du secteur minier a été la troisième affaire importante : l’examen de tous les contrats conclus entre 2010 et 2020 par la Gécamines a révélé des faits graves de bradage des actifs miniers.
Le mode opératoire de la fraude et du bradage dans ce secteur minier ayant été mieux compris, des dispositions ont pu être prises. Entre 2010 et 2020, la Gécamines a réalisé près de 2 milliards de $US et 97% de ce montant a été dilapidé dans des dépenses de fonctionnement et collations. Alors que la Gécamines devait renouveler son outil de production et relancer ses activités, aucun investisse- ment n’a été réalisé et la société détient une dette sociale très salée. En outre, près de 612 millions de $US, payés par la Gecamines à l’État congolais au titre des impôts dus en 2010 et 2019 et versés au compte du Trésor, ont disparu au niveau de la Banque Centrale du Congo.
L’audit des contrats chinois est la quatrième mission marquante.
Ce contrat appelé « minerais contre infrastructures » a été conclu à la suite d’une convention fixée en 2008 entre la RDC et quelques entreprises chinoises : aux termes de ce contrat, la RDC devait donner des gisements riches en minerais à des sociétés chinoises. En retour, ces dernières devaient apporter des moyens financiers permettant l’exploitation de ces gisements. Il était convenu que les deux parties se partagent les gains résultant de cette exploitation. L’évaluation de ces contrats a révélé, au détriment de la RDC, des disparités dans la répartition des avantages générés par la convention. La répartition du capital dans l’exploitation commune en est un exemple : le Congo, qui avait apporté le gros des affairesc’est-à-dire ses mines les plus riches, dont la valeur était estimée à plus de 90 milliards de $US, a reçu 32% des parts lors de la constitution d’une société commune, la Sicomines. La partie chinoise qui n‘avait rien apporté a reçu, quant à elle, 68% des parts. La société ainsi créée a fonctionné sur la base d’emprunts qui furent contractés auprès des banques chinoises à des taux trop élevés, de l’ordre de 12% d’intérêt, emprunts que Sicomines devait rembourser.
Les Chinois ont profité du laxisme de certains Congolais qui se sont enrichis insolemment.
L’apport réel des entreprises chinoises n’ayant pas été retracé, on n’a jamais compris comment la partie chinoise avait pu s’assurer 68% des parts.
La répartition des gains de la Sicomines a été déséquilibrée : selon les études menées par l’IGF, le total des gains, après quinze ans d’exploitation, était estimé à 10 milliards de $US.
Alors qu’en principe, Sicomines aurait dû donner à l’État congolais 32% des gains résultant de l’exploitation des sites miniers, l’État congolais n’a reçu que 822 millions de $US. Cette somme aurait dû servir au remboursement des emprunts que l’État avait contractés pour construire les infrastructures. La valeur des infrastructures prévues était estimée à 3 milliards 200 millions de $US, sous forme d’écoles, de routes, d’hôpitaux, d’universités. Certes, des emprunts ont été contractés, mais les fonds libérés par les contrats chinois ne furent pas affectés à la réalisation des travaux promis. Il s’agît désormais de rééquilibrer les avantages entre les parties.
Certains Congolais se sont enrichis inso(suite en page 16).
