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PETIT
PRÉCIS DE LITTÉRATURE PRÉCAIRE Jean-Bernard POUY, illustré par Junior
25 exemples de causes de précarité appliquées à la littérature…
I
l y a des raisons sociales, psycho-sociales, économiques, politiques et socio-politiques à l’origine de ce qu’on appelle désormais la précarité, situation protéiforme incluant l’incertain, l’instable,
l’éphémère, le fragile, et imposant la perte, le manque, l’insécurité, l’impossible, le tout formant l’hydre de la pauvreté rampante, du malêtre, du malheur, voire du désespoir. Pas question de m’emparer de l’ « expérience » des précaires pour en faire un récit qui mettrait en scène et en perspective, justement, des précaires. Pour une seule raison, éthique celle-là : je ne le suis pas, précaire. Je me suis alors demandé si jamais mon propre travail (c’en est un) dépendait à son tour des composantes drastiques qui délimitent cette foutue et injuste précarité, ce qu’il pourrait devenir. Et, si jamais l’écriture était tout à coup sujette à ce qui compose la misère latente de certains de nos concitoyens, ce que ça donnerait. Y a t-il une littérature précaire ? Et, s’il y en a une, peut-on encore la nommer littérature ? Pour m’en rendre compte, j’ai brutalement et « conceptuellement » appliqué sur un texte très connu, un conte, « Le Petit Chaperon Rouge » (1697) de Charles Perrault, quelques principes,
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causes évidentes de précarité. Pourquoi un conte ? Et pourquoi celui-là ? Essentiellement parce qu’on le connaît par cœur, même si, depuis sa création, il a subi plusieurs versions. Aussi parce qu’il est simple, et, il faut bien le dire, déjà pas très bien écrit (enfin, je trouve), le style du 17ème n’étant pas vraiment, dans ce texte, qu’élégance et évidence. Et surtout parce qu’il est brutal et cruel, comme l’est toute précarité.
« En grande pauvreté ne gît pas grande loyauté » (F. Villon)
1/ Licenciement brutal et inattendu : Sur un texte qui s’annonce (sans doute) passionnant, dans lequel on s’installe pour la durée, et qui s’arrête brutalement, laissant le lecteur sur sa faim (et sans la fin).
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit :
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« Je vais voir ma mère-grand et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. - Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup. - Oh oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. - Hé bien, dit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc. « Qui est là ? - C’est votre fille le Petit Chaperon Rouge, dit le loup, en contrefaisant sa voix, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. » La bonne mère-grand, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le loup tira la chevillette, et la porte s’ouvrit.
L’auteur et le lecteur sont brutalement licenciés. Tout s’arrête. Impossible de prévoir ce qui va suivre.
1 bis/ Bien sûr, il y a les ASSEDIC… Le salaire, qui se trouve être déjà un bas-salaire, va devenir dégressif. La précarité, elle, grandit, à la même vitesse.
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Il se jeta sur la bonne femme et la dévora en moins de rien, car il y avait plus de trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma la porte et s’alla coucher dans le lit de la mère-grand, en attendant le Petit Chaperon Rouge qui quelque temps après vint heurter à la porte : toc ; toc. « Qui est là ? » Le Petit Chaperon Rouge, qui entendit la grosse voix du loup, eut peur d’abord, mais croyant que sa mère-grand était enrhumée, lui répondit : « C’est votre fille, le Petit Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. » Le loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le Petit Chaperon Rouge tira la chevillette et la porte s’ouvrit. Le loup
la
À suivre
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PRÉCIS DE LITTÉRATURE PRÉCAIRE (2) Jean-Bernard POUY
25 exemples de causes de précarité appliquées à la littérature… La première partie de ce feuilleton, publiée dans le numéro 12 se trouve en ligne sur notre site :http://lesrefuses.free.fr
2/ Menaces ou annonces de licenciement possible (ce qui signifie invariablement un licenciement sec pour bientôt). Sur un texte qui dure un peu plus, malgré les menaces, mais dont on sait depuis le début, qu’il va s’arrêter (tout en espérant qu’il ne s’arrête pas).
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand,
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qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit : « Je vais voir ma mère-grand et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup. Oh oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. Hé bien, dit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. »
(menaces et rumeurs de licenciement)
Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc. « Qui est là ? C’est votre fille le Petit Chaperon Rouge, dit le loup, en contrefaisant sa voix, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. » La bonne mère-grand, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. »
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Le loup tira la chevillette, et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme
(menaces et rumeurs un peu plus précises de licenciement)
et la dévora en moins de rien, car il y avait plus de trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma la porte et s’alla coucher dans le lit de la mèregrand, en attendant le Petit Chaperon Rouge qui quelque temps après vint heurter à la porte : toc ; toc. « Qui est là ? » Le Petit Chaperon Rouge, qui entendit la grosse voix du loup, eut peur d’abord, mais croyant que sa mère-grand était enrhumée, lui répondit : « C’est votre fille, le Petit Chaperon Rouge, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. » Le loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le Petit Chaperon Rouge tira la chevillette et la porte s’ouvrit. Le loup la voyant entrer lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : « Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche et viens te coucher avec moi. » Le Petit Chaperon Rouge se déshabille et va se
L’auteur et le lecteur sont licenciés. Même s’ils ont été prévenus, cela reste, pour eux, tout aussi brutal. Tout s’arrête. Impossible de prévoir ce qui va suivre. Ce n’était même pas la peine de les faire mariner et de leur donner un quelconque espoir. Ou alors, c’était de l’ordre de la perversité, voire du sadisme.
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2 bis/ bien sûr, il y a, là aussi, temporairement, les ASSEDIC (voir plus haut)
mettre dans le lit où elle fut bien étonnée de voir comment sa mèregrand était faite en son déshabillé ; elle lui dit : « Ma mère-grand, que vous avez des grands bras ! C’est pour mieux t’embrasser, ma fille. Ma mère-grand, que vous avez de grandes C’est pour mieux courir, mon enfant. Ma mère-grand, que vous avez C’est pour mieux écouter Ma mère-grand, que C’est pour Ma
3/ Chômage partiel : sur un texte interrompu par des espaces vides.
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » ? (chômage partiel, technique ou autre) ? Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup.
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Oh oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. Hé bien, dit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc. ? (chômage partiel, technique ou autre) ? Ensuite il ferma la porte et s’alla coucher dans le lit de la mère-grand, en attendant le Petit Chaperon Rouge qui quelque temps après vint heurter à la porte : toc ; toc. « Qui est là ? » Le Petit Chaperon Rouge, qui entendit la grosse voix du loup, eut peur d’abord, mais croyant que sa mère-grand était enrhumée, lui répondit :
? (chômage partiel) ? C’est pour te manger. » Et, en disant ces mots, le méchant loup se jeta sur le Petit Chaperon Rouge, et la mangea. Sans commentaire.
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4/ Chômage longue durée : sur un texte dans lequel il y a un énorme vide.
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit : « Je vais voir ma mère-grand et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup. Oh oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. Hé bien, dit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait.
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? ! ? ! ? ! ? (chômage longue durée) ! ? ! ? ! ? ! Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents ! C’est pour te manger. » Et, en disant ces mots, le méchant loup se jeta sur le Petit Chaperon Rouge, et la mangea.
(Tant de temps et de sens perdus, tant de vie et de plaisir gâchés…)
5/ Délocalisation : on propose (c’est, dit-on, la seule solution) à l’auteur et au lecteur de poursuivre l’aventure sous d’autres cieux, d’autres langues, d’autres règles (qu’ils ne possèdent bien évidemment pas).
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne
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femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit : « Je vais voir ma mère-grand et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup. Oh oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. Hé bien, dit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc. « Qui est là ? C’est votre fille le Petit Chaperon Rouge, dit le loup, en contrefaisant sa voix, qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre que ma mère vous envoie. »
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La bonne mère-grand, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le loup tira la chevillette, et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme et la dévora en moins de rien, car il y avait plus de trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma la porte et s’alla coucher dans le lit de la mère-grand, en attendant le Petit Chaperon Rouge qui quelque temps après vint heurter à la porte : toc ; toc. « Qui est là ? » Le Petit Chaperon Rouge, qui entendit la grosse voix du loup, eut peur d’abord, mais croyant que sa mère-grand était enrhumée, lui répondit : N-a prea fost taraboi sau a fost unul mare. Imposibil de spus. Parca as fi intrat intr-un nor negru si mi-am simtit picioarele zburînd în aer fara efort. Un salt periculos si fortat, în spate. Apoi, nimic. Apoi, am stranutat. Cred ca am deschis ochii si m-am gîndit cas înt acasa-n cuib cu o plapuma enorma pe mine si cu fratîne-meu deasupra. Era întuneric si mirosea a ulei de motor, din care vecinul îmi pune la rulmentii cu bila de la bicicleta. Mi-a trebuit un moment sa ma intreb ce-i asta, ce-i asta, ce ma ticai ? E dimineata, o sa ma scol, de ce sînt inca în cîrpe si ce cauta fratele meu pe plapuma ? Bine… Sa ne ridicam… Fara sa ma midc nici un milimetru, am urlat de durere. Ceva la picioare. Si am înteles si, întelegînd, o tîrsa îngrozitoare, eram nort, ranit, nu mai aveam picioare, îmi aminteam de fotografiile din « Paris-Match », a fost un accident de tren. Iar eu am fost în tren. O catastrofa feroviara ! ( …) (C’est clair que ça ne l’est pas…)
À suivre.
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PRÉCIS DE LITTÉRATURE PRÉCAIRE (3) Jean-Bernard POUY
25 exemples de causes de précarité appliquées à la littérature… Les deux premières parties de ce feuilleton, publiées dans les numéros 12 et 13, se trouvent en ligne sur notre site : http://lesrefuses.free.fr
6/ Changement brutal de statut : votre entreprise vient d’être achetée par un groupe étranger. L’auteur et le lecteur se voient peu à peu contraints d’entrer dans un monde qu’ils ne maîtrisent pas et qui les broient encore plus.
Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mèregrand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ;
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mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit : Und dabei achte ich mit gröBter Wachsamkeit auf dem geringsten Zwischenfall, der den trübsinnigen und michigen Lauf der Zeit ändern könnte.
(première alerte de rachat de l’entreprise, mais ce n’est qu’une rumeur)
Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc. « Qui est là ? Ich weiB genau, was sie dann denken, wenn sie mir diese Schimpfnamen verpassen, und ich sehe Frauen, zuweilen sehr hübsche, öfter jedoch sehr hâBliche, aber eigentlich immer irgendwie hart an der Grenze.
(La menace se précise. Ce n’est plus une rumeur, mais une éventualité pour l’instant encore abstraite)
Le loup tira la chevillette, et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme et la dévora en moins de rien, car il y avait plus de trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma la porte et s’alla coucher dans le lit de la mère-grand, en attendant le Petit Chaperon Rouge qui
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quelque temps après vint heurter à la porte : toc ; toc. « Qui est là ? » Seit Kühe aus zwei guten Gründen nicht mehr den Zügen hinterherschauen können, zum, einen, weil diese mittlerweile zu schnell fahren, und zum anderen, weil es in der Gegend seit Kuhfladengedenken keine Züge mehr gibt, sind die Kühe einfach dazu übergegangen, der Geschichte nachzuschauen. Die sehr langsam voranschreitet. Aber sicher.
(Ça y est, l’OPA est lancée)
« Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche et viens te coucher avec moi. » Le Petit Chaperon Rouge se déshabille et va se mettre dans le lit où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère-grand était fait en son déshabillé ; elle lui dit : « Ma mère-grand, que vous avez des grands bras ! C’est pour mieux t’embrasser, ma fille. Ich habe den Eindruck, daB ich weit und breit ein Sonderfall bin. Meine Kolleginnen, meine Schwestern, sind nicht ganz si blöde, wie man gerne behauptet, und einige mit Sicherheit vom Wahn befallen, und wenn sie nicht mehr ganz richtig im Kopf sind, diese armen Viecher, so bestimmt deshalb, weil sie die geheimen und verschwiegenen Verrücktheiten der Menschen vernommen haben, zu denen sie Kontakt hatten. (…)
C’est foutu. Il ne reste au lecteur et à l’auteur que d’apprendre
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l’allemand, et, une fois que ce sera fait, de se rendre compte qu’un dégraissage est envisagé et donc qu’un licenciement approche.
7/ Le RMI : le minimum ne suffit jamais. C’est illusoire de penser qu’il puisse garantir et assurer l’essentiel…
C’est l’histoire d’une petite fille à chapeau rouge, que sa mère charge d’apporter à sa mère-grand une galette et un pot de beurre, et qui rencontre le loup à qui elle donne l’adresse de la grand-mère, ce qui fait que le loup mange d’abord la grand-mère et, après, quand elle arrive, la petite fille.
Il y manque le principal, ce qui fait le corps et le plaisir du texte. Dans la vie, c’est pareil. Quand il manque le principal, le minimum n’est pas vivable.
8/
Manque
flagrant
de
moyens
de
subsistance
(quasi
pauvreté) : On ne peut vivre sans moyens essentiels de survie, ou alors mal, très mal. C’est tout à fait comme si, dans un texte, on n’avait plus droit aux verbes.
Il une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on; sa mère en folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui un petit chaperon rouge, qui lui si bien que partout on l’ le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère et des galettes lui : « Comme se ta mère-grand, car on m’ qu’elle malade ; lui une
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galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon Rouge aussitôt pour chez sa mère-grand, dans un autre village. En dans un bois elle compère le loup, qui bien envie de la ; mais il n’, à cause de quelques bûcherons qui dans la forêt. Il lui où elle ; la pauvre enfant, qui ne pas qu’il dangereux de s’ à un loup, lui : « Je ma mère-grand et lui une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui. t-elle bien loin ? lui le loup. Oh oui, le Petit Chaperon Rouge, c’ par-delà le moulin que vous tout là-bas, à la première maison du village. Hé bien, le loup, je l’ aussi ; je m’y en par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous à qui plus tôt y. » Le loup se à courir de toute sa force par le chemin qui le plus court, et la petite fille s’en par le chemin le plus long, s’à des noisettes, à après des papillons et à des bouquets des petites fleurs qu’elle. Le loup ne pas longtemps à à la maison de la mère-grand ; il : toc, toc.
Stop ! C’est impossible. Sans une de ses parties, le tout n’a plus aucun sens.
9/ La « pré-retraite » forcée : changement brutal, avant l’heure, de rémunération. On se doit d’abandonner une grande partie de ce qu’on disposait avant. Par exemple, on vous enlève d’office les adjectifs et les articles.
« Qui est là ? C’est votre fille Chaperon, dit loup, en contrefaisant sa voix, qui vous
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apporte galette et pot beurre que ma mère vous envoie. » mère, qui était dans son lit à cause qu’elle se trouvait un peu, lui cria : « Tire chevillette, bobinette cherra. » loup tira chevillette, et porte s’ouvrit. Il se jeta sur femme et la dévora en moins rien, car il y avait plus trois jours qu’il n’avait mangé. Ensuite il ferma porte et s’alla coucher dans lit mère, en attendant Chaperon qui quelque temps après vint heurter à porte : toc ; toc. « Qui est là ? » Chaperon, qui entendit voix loup, eut peur d’abord, mais croyant que sa mère était enrhumée, lui répondit : « C’est votre fille, le Chaperon, qui vous apporte galette et pot beurre que ma mère vous envoie. » loup lui cria en adoucissant peu sa voix : « Tire chevillette, bobinette cherra. » Chaperon tira chevillette et porte s’ouvrit. loup la voyant entrer lui dit en se cachant dans lit sous couverture : « Mets galette et pot beurre sur huche et viens te coucher avec moi. » Chaperon se déshabille et va se mettre dans lit où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère était fait en son déshabillé ; elle lui dit : « Ma mère, que vous avez bras ! C’est pour mieux t’embrasser, ma fille. Ma mère, que vous avez jambes ! C’est pour mieux courir, mon enfant. Ma mère, que vous avez oreilles ! C’est pour mieux écouter, mon enfant. Ma mère, que vous avez yeux ! C’est pour mieux voir, mon enfant. Ma mère, que vous avez dents !
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C’est pour te manger. » Et, en disant ces mots, loup se jeta sur Chaperon, et la mangea.
Le ridicule n’est pas loin. Le plaisir a disparu. On n’a même pas envie d’en rire.
10/ « À 20 euros près, on s’en sort » : constat que l’on entend souvent. Sur un texte auquel il manque vingt mots.
Il était une fois une petite fille de village, la plus qu’on eût su voir ; sa mère en était, et sa mère-grand plus encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre. En passant dans un bois elle rencontra compère, qui eut bien envie ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de écouter un loup, lui dit : « Je vais voir et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère. (…)
(À vingt mots près, on ne peut plus lire) À suivre
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Petit
précis de littérature précaire (4) Jean-Bernard POUY
25 exemples de causes de précarité appliquées à la littérature… Les trois premières parties de ce feuilleton, publiées dans les numéros 12, 13 et 14, se trouvent en ligne sur www.issuu.com/lesrefuses 11/ Mi-temps forcé : Quand le mi-temps est souhaité, pas de problème, il dépend d’un confort personnel. Mais quand il est obligatoire et divise par deux vos moyens précédents, là, c’est grave. Il était une fois une petite fille de voir ; sa mère en était folle, et sa te bonne femme lui fit faire un si bien que partout on l’appelait l Un jour sa mère ayant cuit et lui « Va voir comme se porte ta mè malade ; porte-lui une galette et Le Petit Chaperon Rouge partit grand, qui demeurait dans un aut bois elle rencontra compère le lo manger ; mais il n’osa, à cause de dans la forêt. Il lui demanda où el
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savait pas qu’il est dangereux dit : « Je vais voir ma mère-grand et petit pot de beurre que ma mère (…) Pas la peine d’aller plus loin. La preuve est faite.
12/ Heures supplémentaires obligatoires et peu payées : surcroît non demandé de travail sans augmentation substantielle de salaire. Comme un texte encombré de rajouts inutiles. Il était une fois une petite fille de village, c’est-à-dire ce qui se trouve entre le hameau et le bourg, la plus jolie, charmante, douce et fraîche qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, d’amour et de tendresse et sa mère-grand, la mère de sa mère, plus folle encore. Cette bonne femme, et tous savaient comme elle était bonne juste, aimante, cette femme, lui fit faire un petit chaperon rouge, c’est l’ancien nom que l’on donnait à un couvre-chef entre le bonnet et le chapeau, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge, parce que la fillette, qui en était fort fière, le portait tout le temps. Un jour, ou plutôt un matin où il faisait très beau, sa mère ayant cuit et fait des galettes, au feu de bois de châtaigner, lui dit, d’une voix en même temps enjouée et inquiète : « Va voir, s’il te plait, ma petite fille chérie, comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade, sans doute une mauvaise fièvre ou bien une légère intoxication, ce n’est pas la peine de trop s’inquiéter ; porte-lui une de ces bonnes et tièdes galettes de
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froment et ce petit pot de beurre baratté comme on le fait toujours dans la région depuis des centaines d’années. » Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mèregrand, qui demeurait dans un autre village, un peu plus petit que celui de sa fille et de sa petite fille, mais quand même plus grand qu’un hameau anodin. En passant dans un bois de hêtres et de charmes, elle rencontra compère le loup, une belle bête de cinquante kilos qui terrorisait la région depuis trois ans, qui eut bien envie de la manger, car, à l’époque, les moutons étaient bien gardés et les loups s’attaquaient facilement aux humains ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons, armés jusqu’aux dents comme des chasseurs, qui étaient dans la forêt, pas très loin de là où lui et la petite fille se trouvaient. Faisant son hypocrite et son jobastre, il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas, n’étant pas encore beaucoup allée à l’école, qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit, de sa petite voix flûtée : « Je vais voir ma mère-grand et lui porter une galette de froment avec un petit pot de beurre baratté à l’ancienne que ma mère, qui est si bonne et si gentille lui envoie par mon intermédiaire. (…) (Au secours !… Surcharge pondérale. Aucun texte n’a de valeur par rapport à son poids. Un long récit n’est pas obligatoirement meilleur qu’un court récit. Une vie surchargée de travail n’est pas meilleure non plus). 13/ Le handicap : texte auquel manque cruellement une lettre importante pour la compréhension générale (ici, le a).
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Il étit une fois une petite fille de villge, l plus jolie qu’on eût su voir ; s mère en étit folle, et s mère-grnd plus folle encore. Cette bonne femme lui fit fire un petit chperon rouge, qui lui seyit si bien que prtout on l’ppelait le Petit Chperon Rouge. Un jour s mère ynt cuit et fit des glettes lui dit : « V voir comme se porte t mère-grnd, cr on m’ dit qu’elle étit mlde ; porte-lui une glette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chperon Rouge prtit ussitôt pour ller chez s mère-grnd, qui demeurit dns un utre villge. En pssnt dns un bois elle rencontr compère le loup, qui eut bien envie de l mnger ; mis il n’os, cuse de quelques bûcherons qui étient dns l forêt. Il lui demnd où elle allit ; l puvre enfnt, qui ne svit ps qu’il est dangereux de s’rrêter à écouter un loup, lui dit : « Je vis voir m mère-grnd et lui porter une glette vec un petit pot de beurre que m mère lui envoie. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup. Oh oui, dit le Petit Chperon Rouge, c’est pr-del le moulin que vous voyez tout l-bs, l première mison du villge. Hé bien, dit le loup, je veux l’ller voir aussi ; je m’y en vis pr ce chemin ici, et toi pr ce chemin-l, et nous verrons à qui plus tôt y ser. » Le loup se mit à courir de toute s force pr le chemin qui étit le plus court, et l petite fille s’en ll pr le chemin le plus long, s’musnt cueillir des noisettes, courir près des ppillons et fire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrit. (…) (Ça reste grosso modo lisible, mais c’est vraiment pénible. Un rien manque et tout est dépeuplé. Il suffit de pas grand-chose pour rétablir le sens et donc la vie.)
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14/ Le squat : un précaire est parfois obligé, par manque de ressources, ou par impossibilité de trouver un logement, d’habiter chez d’autres. Sur un texte « abritant » un autre texte connu. Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Deux chaînes de montagnes traversent la république du nord au sud à peu près, qui ménagent entre elles nombre de vallées et de plateaux. En contre-haut d’une de ces vallées que dominent deux volcans s’étend, à deux mille mètres au-dessus du niveau de la mer, la ville de Quauhnahuac. Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mèregrand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit : « Je vais voir ma mère-grand et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. Elle se trouve bien au sud du Tropique du Cancer, pour être exact sur le dix-neuvième parallèle, presque à la même latitude qu’à l’ouest, dans le Pacifique, les îles Revilla Gigedo ou, beaucoup plus à l’ouest, la pointe la plus méridionale d’Hawaï, et à l’est le port de Tzucox
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sur le rivage atlantique du Yucatan, près de la frontière du Honduras britannique oui, beaucoup plus à l’est, la ville de Jaggernath, aux Indes, sur le golfe du Bengale. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup. Oh oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. Hé bien, dit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Les murs de la ville, bâtie sur une colline, sont hauts, les rues et les venelles tortueuses et accidentées, les routes sinueuses. Une belle grand-route de style américain y entre par le nord, mais se perd dans ses voies étroites et n’en sort que sentier de chèvres. Quauhnahuac possède dix-huit églises et cinquante-sept cantinas. Elle s’enorgueillit également d’un golf, de non moins de quatre cents piscines publiques et privées, pleines de l’eau intarissablement déversée des montagnes, et d’hôtels splendides et nombreux. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc. Stop ! Cela crée obligatoirement des problèmes, ici de compréhension et, dans la vie, de cohabitation. 15/ Demande permanente d’insertion : ordre est donné au précaire
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d’absolument s’insérer. Même principe que précédemment, mais à l’envers. Ici, un texte s’insère dans un autre texte qui ne lui correspond pas forcément. Deux chaînes de montagnes traversent la république du nord au sud à peu près, qui ménagent entre elles nombre de vallées et de plateaux. En contre-haut d’une de ces vallées que dominent deux volcans s’étend, à deux mille mètres au-dessus du niveau de la mer, la ville de Quauhnahuac. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mèregrand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit : Elle se trouve bien au sud du Tropique du Cancer, pour être exact sur le dix-neuvième parallèle, presque à la même latitude qu’à l’ouest, dans le Pacifique, les îles Revilla Gigedo ou, beaucoup plus à l’ouest, la pointe la plus méridionale d’Hawaï, et à l’est le port de Tzucox sur le rivage atlantique du Yucatan, près de la frontière du Honduras britannique oui, beaucoup plus à l’est, la ville de Jaggernath, aux Indes, sur le golfe du Bengale. Le loup se mit à courir de toute sa force par le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir des noisettes, à courir après des papillons et à faire des
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bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la mère-grand ; il heurte : toc, toc. « Qui est là ? Les murs de la ville, bâtie sur une colline, sont hauts, les rues et les venelles tortueuses et accidentées, les routes sinueuses. Une belle grand-route de style américain y entre par le nord, mais se perd dans ses voies étroites et n’en sort que sentier de chèvres. Quauhnahuac possède dix-huit églises et cinquante-sept cantinas. Elle s’enorgueillit également d’un golf, de non moins de quatre cents piscines publiques et privées, pleines de l’eau intarissablement déversée des montagnes, et d’hôtels splendides et nombreux. « Qui est là ? » Pas la peine d’en rajouter. L’insertion est pratiquement, en l’état, impossible. 16/ Manque de domicile fixe : une des pires situations pour le précaire qui n’a plus de base de repli. Comme un texte ne trouvant pas d’éditeur et donc que l’on ne peut pas écrire. Il était une fois une petite fille de village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa mère-grand plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien que partout on l’appelait le Petit Chaperon Rouge. Un jour sa mère ayant cuit et fait des galettes lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade ; porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. »
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Cher Monsieur, Au su et au vu de ce premier extrait, je vous demanderai, pour parfaire l’écriture de ce texte qui me paraît, au prime abord, très intéressant, de soigner votre écriture. Comme, par exemple ne pas employer de termes trop anciens (mère-grand, seyait, chaperon, etc…) et de respecter la temporalité (exemple : on fait les galettes avant de les cuire). Je vous demanderai également de donner quelques détails d’ordre descriptifs. Dans l’attente…. Bien à vous Le Petit Chaperon Rouge partit aussitôt pour aller chez sa mèregrand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois elle rencontra compère le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un loup, lui dit : « Je vais voir ma mère-grand et lui porter une galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. Demeure-t-elle bien loin ? lui dit le loup. Oh oui, dit le Petit Chaperon Rouge, c’est par-delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première maison du village. Hé bien, dit le loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Cher Monsieur, Je dois dire que je suis déçu. Mes premières constatations et conseils n’ont pas l’air d’avoir été compris. Veuillez, s’il vous plaît, relire ma première lettre. Par exemple, on ne dit pas : l’aller voir mais aller la
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