Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son

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La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image présente du 25 janvier au 31 décembre 2023 :

Quand la BD monte le son

PRÉFACE

«Wop bop a loo bop a lop bam bom ! ». En lâchant à la manière d’un félin sous acide, cette suite d’onomatopées cartoonesques en guise d’incipit de son tube Tutti Frutti, Little Richard signait en octobre 1955, l’un des actes fondateurs du rock and roll.

« Shebam ! Pow ! Blop ! Wizz ! ». Une douzaine d’années plus tard, dans Comic Strips, chanson archétypale de la pop française, Serge Gainsbourg reprenait à son profit l’énumération d’interjections, tout droit sorties d’une aventure de Flash Gordon, pour célébrer, le temps d’une rengaine irrésistible empruntant autant à l’ambiance charleston qu’à celle de Carnaby Street, l’essor du 9e art dans la culture populaire.

Il serait audacieux de faire de ces deux chansons des jalons incontournables de la relation tumultueuse qui relie la bande dessinée et la musique pop & rock depuis des décennies. Qu’importe, elles constituent une parenthèse allant du mitan des années cinquante aux 60’s finissantes, durant laquelle les œillades furtives entre BD et musique populaire ont cédé le pas à un flirt de plus en plus poussé.

Cette parenthèse, c’est le début d’une histoire mouvementée et féconde de plus de 70 ans que nous proposons aujourd’hui de vous raconter au travers de cette exposition inédite, Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son.

À la manière d’un Sgt Comic’s Lonely Strips Club Band, l’exposition propose un voyage kaléidoscopique, mouvementé et électrique des comics anglo-saxons pour jeunes filles aux brûlots de la presse underground, du monument Métal Hurlant aux détournements conceptuels du punk anglais, des icônes pop revisitées aux autofictions musicales, du roman graphique au fanzine en passant par le manga… un parcours éclectique et sensuel qui s’attache également à couvrir la vaste cartographie de la musique rock, en partant du blues et du rock and roll pour aborder la pop, le punk, la soul, le disco et les musiques électroniques.

Avec une profusion de planches originales, d’animations inédites, de pochettes 33T à la puissance graphique stupéfiante, Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son est une exposition généreuse et excitante, romantique et énervée, érudite et créative, insolente et enthousiaste…

« The Magical Mystery Tour is coming to take you away » chantaient les Beatles en 1967. Laissez-nous aujourd’hui vous inviter dans notre « Graphical Musical Tour ».

Satisfaction guaranteed !

Vincent Eches, Directeur général de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image

PRÉFACE
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INTRODUCTION

«À l’époque, on appelait ça pop music… ». Plus loin dans ces pages, le dessinateur Jean Solé se souvient des circonstances dans lesquelles il a conçu une histoire fondatrice pour la BD française, Magical Mistery Pop. Neuf pages publiées dans Pilote en 1972, bourrées de passion et de rock stars avec, dès le départ, les Beatles, découverts à l’Olympia en 1964 alors que la « Beatlemania » n’avait pas encore envahi la France. En 1972, Internet était encore dans les limbes de l’histoire et les références d’albums s’échangeaient chez les disquaires ou dans la presse spécialisée comme des secrets d’initiés de moins en moins confidentiels. Ces neuf pages, dont plusieurs sont exposées dans Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son, ont montré combien le rock et ses hérauts étaient un sujet graphique. Elles ont occasionné un choc à quantité de lecteurs dont, à Roanne, près de Lyon, un adolescent nommé Serge Clerc, bientôt au cœur de la scène BD rock révélée par la revue Métal Hurlant, pépinière également représentée dans l’exposition. Au début des années 70, Mandryka, Druillet, Moebius, Gotlib ou Solé, donc, tous écoutaient du rock ou de la pop anglo-saxonne. Tous avaient le sentiment que musique et bande dessinée avançaient en parallèle, se nourrissant l’une l’autre. C’est des États-Unis que l’impulsion initiale est partie avec la rencontre des rockers révolutionnaires et des auteurs de BD underground. Lancé en Californie, ce mouvement a petit à petit quitté les frontières américaines pour produire un écho en Europe et ailleurs. Aidée par la lecture de Rock & Folk, guidée par les « rock critic » Philippe Paringaux et Alain Dister, la nouvelle génération de dessinateurs français a capté la nouvelle vibration, vécu une révélation en lisant le Zap Comix de Crumb ou en posant sur la platine Cheap Thrills de Big Brother and the Holding Company. À leur tour, les frenchies ont été saisis par l’énergie et ont compris, instinctivement, que le rock et la pop étaient la bande son rêvée de leurs ambitions et les alliés de leur art contestataire.

Près de quatre décennies après Magical Mistery Pop, la dessinatrice Magali Le Huche a publié le roman graphique Nowherer Girl. Elle y raconte comment, lorsqu’elle est au collège, l’écoute obsessionnelle d’un groupe de rock lui permet d’oublier la peur panique qu’elle éprouve lorsqu’elle doit aller à l’école. Quel groupe ? Les Beatles, décidément intemporels, désormais personnages secondaires d’un récit autobiographique. Cette évolution et cette continuité, c’est ce que raconte l’exposition Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son. Alors que le rock se teinte sans cesse de nouvelles couleurs, en se frottant à la soul, au punk, au hip-hop ou à l’électro, la BD dansant au rythme de la pop n’en finit pas, non plus, de se multiplier, touchant à l’intime, au reportage, à la biographie pure ou au documentaire. Ce qui était naturel mais nouveau à la fin des années 1960 est désormais solidement établi et, aux premières approches plus directes et parodiques, ont succédé les angles de plus en plus personnels de Nine Antico, Charles Berberian, Joe Sacco, Luz ou Jean-Christophe Menu. Reste un point commun entre les générations de dessinateurs : l’envie de faire exploser le cadre de leurs planches afin d’exprimer leur fascination pour la musique.

INTRODUCTION
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CAN YOU FEEL MY HEARTBEAT?

SOMMAIRE Sommaire : Préface 4 Introduction 5 Dossier – Musique et contre-culture aux Etats-Unis 8 Christophe Brault Interview – Trina Robbins 11 Dossier – La pochette, support et espace de rapprochement entre les deux disciplines 12 Christian Marmonnier Interview – Jean Solé 18 Dossier – La presse rock comme accélérateur en France : Rock & Folk 22 Christophe Quillien Dossier – Anarchie dans les cases 26 Maël Rannou Dossier – Métal Hurlant, la machine à rêver et ses enfants du rock 30 Jean-Philippe Martin Interview – Serge Clerc 34 Dossier – Jeu de rôle 36 Vincent Brunner Interview – Charles Berberian 38 Interview – Luz 41 Interview – Nine Antico 44 Dossier – Des années 90 à nos jours : l’évolution du discours 47 Pauline Gabinari Interview – Reinhard Kleist 53 Interview – Vincent Vanoli 56 Interview – Winshluss 58 Lexique & chronologie 60 7

En 1960, le rock américain est au point mort. Miné par les décès de Buddy Holly et d’Eddie Cochran, trahi par le King en roue libre depuis son retour de l’armée, abandonné par Little Richard pour Dieu, déserté par Bill Haley et Gene Vincent pour l’Europe, délaissé pour la Country par Jerry Lee Lewis ou Carl Perkins. Les derniers soldats sont condamnés tel Chuck Berry ou boudés par le public comme Bo Diddley. Les années Kennedy qui commencent sont joyeuses, insouciantes, la musique en est son reflet. La Pop des teenage idols prend le pouvoir, la uptown-soul monte en ville, le son des girls groups rayonne sur les ondes A.M. et la surf-music gagne les fondus de la planche.

Les Beatles en déclencheurs

Deux événements brisent cette douce atmosphère. L’assassinat du jeune président Kennedy le 22 novembre 1963 stupéfait le monde. Son successeur, Lyndon B. Johnson hérite d’une situation internationale tendue et doit renforcer considérablement sa présence militaire au Viêt-Nam. Il envoie ainsi des dizaines de milliers de jeunes appelés se battre pour une raison politique dont ils ignorent les causes. Dès 1965, alors que la conscription s’accélère, la désobéissance prend, pour nombre d’entre eux, une forme déterminée. À la recherche d’une liberté totale, ils refusent le « draft » et « l’American way of life », pour mener une vie en parallèle, en phase avec le combat pour les droits civiques et la lutte pour défendre les femmes et toutes les minorités raciales ou sexuelles. Ces jeunes veulent imposer une culture différente, une contre-culture. Musicalement, les Beatles vont les aider. Débarqués en février 1964 pour leurs premiers pas en Amérique, les

Fab Four provoquent en quelques semaines, grâce à trois passages dans la grande émission de variétés le Ed Sullivan Show, un raz de marée inédit. Ils trustent toutes les places d’honneur du « Billboard », ringardisant la quasi-totalité des pop-stars américaines en place. L’avenir du rock ne viendra pas d’Amérique mais des îles Britanniques !

Et le LSD en catalyseur

L’orgueilleuse Amérique ne tarde pas à réagir en inventant des formes musicales inédites, des structures sonores bientôt déclarées psychédéliques, en lien avec une nouvelle drogue aux effets hallucinogènes : le LSD. L’acide lysergique diéthylamide 25, substance tirée de l’ergot de seigle, est champignon hallucinogène dont les propriétés sont développées en laboratoire depuis 1938 par le chimiste suisse Albert Hoffman. Cette drogue se répand rapidement parmi les jeunes musiciens bohèmes, surtout en Californie, un État à la pointe de la rébellion, que ce soit au sein des campus universitaires de Berkeley ou des quartiers branchés comme celui de Haight-Ashbury souvent rétifs à toute autorité. Ce ne sont pas les groupes pop américains qui œuvrent pour une nouvelle vie, une nouvelle musique. Elvis ou les Beach Boys dans leur période surf ne sont pas crédibles, seul Bob Dylan de par ses textes,

DOSSIER
C’est en Californie que le rock’n’roll et la bande dessinée se sont croisés et ont provoqué la première étincelle d’une révolution. Par Christophe Brault
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engagés, politiques, sérieux, est considéré comme un exemple respectable, authentique. C’est par le biais de la scène folk que se constitue cette nouvelle génération branchée dite « hip » ou « hippie ». Tous les repères habituels du rock sont à bannir, les musiciens vivent en famille, en communauté, voire en autarcie, le spectacle proposé doit être total, un happening géant. On y vient écouter de la musique, des discours, partager des idées, s’éblouir face aux stroboscopes, refaire le monde et goûter aux substances sensées ouvrir les portes de la perception.

Agitation psychédélique

Le premier « acid-test » est organisé par l’écrivain Ken Kesey, auteur de Vol Au-Dessus D’un Nid De Coucou et membre actif des Merry Pranksters, le 27 novembre 1965 à Soquel. Pour une entrée au concert, une dose de LSD est proposée à chaque participant. Une dizaine d’autres sessions se déroulent jusqu’à l’interdiction en octobre 1966 du LSD par le gouverneur de l’État de Californie, Ronald Reagan. Entre temps, le 03 janvier 1966, la première boutique en vente libre de marijuana et de LSD s’ouvre à San Francisco sur Haight Street, la Psychedelic Shop tenue par Ron & Jay Thelins. Tandis que les hippies se régalent, les étudiants de l’université de Harvard écoutent leur professeur, le Dr Timothy Leary, leur enseigner les bienfaits des substances en question. Le temps d’inventer le slogan « Turn On, Tune In, Drop Out », il est arrêté une première fois le 16 avril 1966 (il le sera en tout trente-six fois). La popularité du mouvement s’intensifie, des salles de concert s’ouvrent bientôt. La première du genre, le Matrix est inauguré par Marty Balin, leader du Jefferson Airplane, dès le 13 août 1965. Le groupe et leur première chanteuse Signe Anderson y jouent leur tout premier concert. Parmi les lieux les plus importants se distingue celui dirigé par Bill Graham et Chet Helms (membre de la communauté hippie Family Dog).

Baptisé le Fillmore Auditorium puis le Fillmore West en juillet 1968, il ouvre sa programmation psychédélique en février 1966. La scène locale est aussi à l’honneur à l’Avalon Ballroom, également programmée par Chet Helms. D’autres salles, moins célèbres mais tout aussi actives comme le California Hall ou le Longshoremen’s Hall défendent une musique libre, nouvelle et revendicative. Il ne s’agit plus de viser le hit-parade et le tube via les radios A.M. (grandes ondes) mais un nouveau format radio, la Modulation de Fréquence (F.M.) comme sur la station KMPX. Un DJ-animateur, Tom Donahue y joue de larges extraits d’albums, des plages excédant largement les cinq minutes. La diffusion de cette musique est favorisée par la qualité technique supérieure de la FM face au son crapoteux des 45-tours de radios commerciales. La jeune scène psychédélique peut aussi compter sur quelques quotidiens aux chroniques érudites, le Los Angeles Free Press, le Berkeley Barb ou le San Diego Door. Parmi les magazines, le plus remarquable est le Mojo Navigator monté dès le mois d’août 1966 par David Harris et le passionné Greg Shaw. Il ouvre la porte au plus respectable Rolling Stone créé en février 1967 par Jann Wenner et Ralph Gleason. Enfin, édité dès le 20 septembre 1966 pour douze numéros mensuels, le San Francisco Oracle, sans doute l’organe le plus militant du mouvement, est élaboré par Allen Cohen et Michael Bowen.

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