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ARTJACKING !

Détournement de fond

« Les bons artistes copient, les grands artistes volent », affirmait Picasso, dont l'œuvre n'en finit plus d'être revisitée ! Oui, l'histoire de l'art est un éternel recommencement. Voila ce que nous rappelle de façon très ludique Maureen Marozeau dans Artjacking !, livre luimême inspiré d'une série documentaire produite par Arte.

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Découpé en thématiques (la nudité, la nature...), ce passionnant ouvrage montre comment les artistes contemporains révisent leurs classiques, des grottes de Lascaux au Saut dans le vide d'Yves Klein, en passant par La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix. Maureen Marozeau fait ici acte de pédagogie, restituant d'abord le contexte qui a vu naître ces chefs-d'œuvre, avant d'en présenter quelques réappropriations. Ce grand détournement, ou "artjacking", prend de nombreuses formes : l'hommage bien sûr, mais aussi la réinterprétation ou le pastiche. Car, loin d'être écrasés par leurs glorieux prédécesseurs, les créateurs d'aujourd'hui font souvent preuve du même iconoclasme.

Ainsi de la photographe suédoise Elisabeth Ohlson Wallin, qui s'attaque à La Cène de Léonard de Vinci pour la recomposer… avec des drag-queens. Il s'agit-là « d' inclure les minorités dans la chrétienté » et de rappeler « le caractère inconditionnel de l'amour divin ». Dans un autre genre, Chris Jordan reconstitue La Grande Vague de Kanagawa d'Hokusai avec très exactement 2,4 millions de microparticules de plastique repêchées dans l'océan Pacifique. Là où le Japonais figurait notre nécessaire humilité face à la nature, le Californien pointe désormais l'urgence de la préserver… Les temps changent, l'art ne sauvera sans doute pas le monde, mais continue de le sonder avec la même acuité.

Julien Damien

Maureen Marozeau

(Éditions de La Martinière), 192 p., 32€ editionsdelamartiniere.fr

Adeline Dieudonné

Reste (L’Iconoclaste)

Après La vraie vie, premier livre-uppercut sur un foyer terrorisé par un père violent, puis Kerozene, collection de nouvelles réunies sur une aire d’autoroute des Ardennes, on n’attendait pas Adeline Dieudonné avec un roman d’amour. L’autrice belge réussit magistralement ce changement de cap, avec toute la force d’une langue qui déjoue sans cesse les poncifs. Sa narratrice vit une passion clandestine avec un homme marié. Les amoureux se réfugient souvent dans un chalet de montagne, au bord d’un lac." M.", dont on ne connaîtra jamais le prénom, aime s’y baigner. Et, sans raison apparente, y meurt. Pour son amante, c’est le début d’une errance de six jours, un rêve macabre où le déni le dispute au chagrin. En optant pour la lettre écrite à l’épouse ("l’officielle"), la romancière revisite la vie de cette mère célibataire jusque-là bien sage. Elle décortique ses relations passées, les petites humiliations du couple, les compromis que l’on fait avec soi-même pour éviter d’être seul. « Je ne crains pas les hommes, je crains mon propre penchant à la subordination », écrit-elle, lorsque Reste s’autorise une incursion dans le fantastique. Bien plus qu’une romance, le portrait d’une femme libre, jusqu’à la folie. 282 p., 20€. Marine Durand

Ben Gijsemans

Les Fidèles (Dargaud)

Troisième album du Flamand Ben Gijsemans, Les Fidèles creuse une histoire simple. Celle de Carl qui, en 1994, entre vacances chez les grands-parents, jeux vidéo, mauvaises fréquentations et premiers troubles, sent vaciller ce qui lui reste d’enfance. La première chose frappante dans ce livre, c’est la mise en page : de grandes compositions en noir et blanc se jouant de la géométrie, au sein desquelles chaque case est une note, chaque ligne un haïku. Tel un Chris Ware dépouillé. Du maître américain, Gijsemans retient autant la poésie quotidienne nimbée de tristesse que les audaces formelles au service de la narration. Et s’affirme comme un très grand nom de la BD contemporaine, en offrant ici une virtuose méditation sur la fin de l'innocence. 152 p., 28€. Rémi Boiteux

Pier Paolo Pasolini Dialogues en public (Editions Corti)

Entre 1960 et 1965, dans le journal communiste Vie Nuove ("voix neuves"), l’écrivain, journaliste, peintre, acteur, dramaturge, cinéaste (on en passe)

Pier Paolo Pasolini tient, en quelque sorte, le courrier des lecteurs, où il répond aux questions qui lui sont envoyées. Celles-ci portent sur son travail, mais aussi l’actualité, la politique italienne, l’Église et la foi, la littérature et le cinéma, etc. Un peu comme si Sartre, à la même époque, ou Alain Badiou aujourd’hui, répondaient au courrier des lecteurs de L’Huma.

Dialogues en public réunit un ensemble de ces échanges, et permet de découvrir le cheminement d’une pensée, à hauteur d’homme. Stimolante !

248 p., 23€. T. A.

Vincent Gautier Steve McQueen (Capricci)

Après Mel Gibson, Joan Crawford ou Robert Mitchum, c’est au tour de Steve McQueen d'avoir son portrait dans cette collection de biographies courtes et subjectives éditées par Capricci. McQueen, c’est la sidérante course-poursuite de Bullitt (franchement, l’histoire, tout le monde l’a oubliée), c’est aussi Papillon, Les Sept mercenaires … Derrière la coolitude incarnée, il y avait forcément autre chose : des blessures d’enfance, les Marines, mille et un petits boulots. Féru de vitesse, profondément individualiste, l'Américain était un homme complexe et secret. Cet ouvrage très documenté trace l’itinéraire du comédien mort à 50 ans – comme si, décidément, la vieillesse n’était pas faite pour lui. 112 p., 11,50€. T. A.

Frédéric Bisson

Logique du Joker (Éditions MF)

À la suite du film de Todd Phillips, la figure stigmatisée du Joker est devenue un étendard des révoltes populaires contre le néo-libéralisme. Comment comprendre ce court-circuit entre la fiction et le réel ? Frédéric Bisson répond en philosophe, inventant des concepts comme "l'iconomorphose" – manière de désigner la prolifération d'une image qui s'est substituée à l'objet qu'elle dénotait. La lecture est parfois ardue, et il n'est pas certain que les formules logiques émaillant le développement facilitent la compréhension. L'auteur rend toutefois perceptible de puissantes dynamiques contemporaines. Et le Joker ? C'est au fond une manière d'être : « Rire de sa misère, se rire des identités, répondre à la violence par une visibilisation soudaine ». 236 p., 20€. Raphaël Nieuwjaer

Festival International du Grand Reportage d’Actualité et du documentaire de société

Festival International du Grand Reportage d’Actualité et du documentaire de société

Festival International du Grand Reportage d’Actualité et du documentaire de société

Cette exposition est organisée dans le cadre du FIGRA, Festival International du Grand Reportage d’Actualité et du documentaire de société, “Les écrans de la réalité”.

Cette exposition est organisée dans le cadre du FIGRA, Festival International du Grand Reportage d’Actualité et du documentaire de société, “Les écrans de la réalité”.

DÉSORDRES À contretemps

Saint-Imier, 1877. Les patrons parlent (déjà) de concurrence et de globalisation, réorganisent le travail, le temps et les salaires pour rester compétitifs. De leur côté les ouvriers et ouvrières tentent de consolider un réseau mondial de solidarité. Spécialisée dans la fabrication d'horloges, la commune suisse devient, sous l'œil de Cyril Schäublin, l'épicentre de notre modernité.

C'est là, dans le Jura bernois, que l’aventurier russe Pierre Kropotkine a basculé du socialisme à l'anarchisme. Si le futur auteur de L'Entraide, un facteur de l'évolution (1902) apparaît bien dans Désordres, le film s'attache avant tout à saisir un environnement social. Usines, rues et tavernes sont montrées en plans souvent larges. Au son se mêlent les paroles, le vent descendant des montagnes et le tic-tac des horloges. Cyril Schäublin cultive aussi des contrepoints comiques au sein du cadre, entre la maréchaussée chargée de remonter les pendules publiques et des militants levant des fonds pour soutenir les cheminots grévistes de Baltimore.

Sur pause

Désordres dépeint avec une précision admirable le travail ouvrier et ses évolutions. Au moment même où le chronométrage, faisant son entrée dans les ateliers, ajoute une pression supplémentaire. Dans un monde où la moindre seconde compte, la photographie exige pour sa part de suspendre le temps. Vingt secondes de pose, rien moins ! Le tirage de portraits ou d'images publicitaires ne cessent ainsi d'interrompre les personnages. Le film s'en amuse tout en rendant sensible cette subversion. Créer des intervalles, des ruptures pour mieux résister à l'homogénéisation du temps par le capitalisme : voilà ce que le cinéma peut faire de plus nécessaire.

Raphaël Nieuwjaer

De Cyril Schäublin, avec Clara Gostynski, Alexei Evstratov, Monika Stalder... En salle

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