Le cerveau qui n’en faisait qu’à sa tête (extrait)

Page 1




Du même auteur Rechute aggravée d’un cerveau convalescent Novembre 2014, éditions LettMotif à La Madeleine (59) Tribulations à l’intérieur d’un cerveau tourmenté Novembre 2015, éditions LettMotif à La Madeleine (59) L’Enfant trouvé dans un panier L’Homme, la famille, la société à travers quinze générations Mars 2012, éditions Kirographaires à Aix-en-Provence (13)

ISBN 978-2-36716-222-5 Dépôt légal octobre 2017 Imprimé dans l’Union européenne Maquette : www.lettmotif-graphisme.com

Éditions LettMotif 105, rue de Turenne 59110 La Madeleine – France Tél. 33 (0)3 66 97 46 78 Télécopie 33 (0)3 59 35 00 79 E-mail : contact@lettmotif.com www.edition-lettmotif.com


Bruno PICQUET



JE PRÉFÈRE LA LITTÉRATURE AUX MATHÉMATIQUES, DISCIPLINE FANTASQUE QUI CALCULE LA SURFACE DES CERCLES EN MÈTRES CARRÉS ET CELLE DES CARRÉS EN CHIFFRES RONDS.



AUX AGUETS… J’étais contre la porte, elle s’est mise à faire le bruit de ta respiration, j’ai su que tu allais entrer. Je me suis senti prêt. Secondes interminables… La porte s’entrebâille… hésitante. Le halètement s’interrompt. Le battant pivote sur ses gonds et s’ouvre enfin, silencieux, lui aussi. De toute la force dont je suis capable, mon bras tendu fend l’air de haut en bas. Un bruit sourd. À mes pieds, le carrelage saigne. Le liquide s’échappe de ta tête ensanglantée, s’écoule lentement en une large auréole. Dans les jointures inégales des tomettes apparaissent des filets qui, petit à petit, rayonnent formant un curieux halo autour de ton crâne. Guidés par les interstices, ils s’entrelacent et cernent peu à peu les navettes en terre cuite. Cellesci se multiplient dessinant des dizaines d’yeux qui me fixent. Imprégnée de l’air mouillé de la nuit, la lune, en reflets obliques, baigne la pièce d’une clarté froide et métallique à travers les vitres poussiéreuses. Ses rayons nimbent de mystère le moindre objet enveloppé d’une aura fantomatique. Du regard, je fouille le silence de la pénombre. Contre le mur blanchi à la chaux, des étagères chargées de fruits et de légumes jouent de manière inquiétante avec leurs ombres détournées. Au milieu des bêches, râteaux et binettes, devant la fenêtre, dépasse

AUX AGUETS…

9


une fourche émergeant d’un tonneau. L’ustensile projette contre la paroi opposée l’image d’une sinistre main aux doigts interminables et décharnés. Âcre et entêtante, l’odeur des oignons et des échalotes suspendus aux poutres domine l’exhalaison suave des pommes rangées sur des claies. Perception étrange… Tous mes sens sont en alerte, cherchant à identifier et localiser une menace diffuse et bien présente… Rien ne bouge. Une sensation désagréable me pénètre et, rapidement, m’envahit : je suis observé, je le sens. Un son bref et régulier me parvient, plus sourd que les battements de mon cœur. Tu n’es pas morte ? Impossible ! Je t’ai frappée de toutes mes forces. Je ferme les yeux… j’écoute… Non, je ne me suis pas trompé. Un battement… une pulsation. Au sol, les yeux se braquent sur moi, toujours plus nombreux, hostiles. La tache circulaire s’élargit encore. Le sang se coagule, affleure les pieds, mangés par les vers, d’une vieille horloge comtoise. Sur le carrelage, la vie – ce qui était la vie – se répand, fluide comme le temps et, finalement, s’arrête… Je reste paralysé. Fasciné. Mon cœur bat la chamade, cogne contre ma cage thoracique. Les battements extérieurs persistent. Allongée à mes pieds… tu es pourtant immobile. J’ai froid ; une sueur glacée rend insupportable le contact de la chemise sur mes épaules. Jamais je n’aurais cru que ce serait aussi difficile, qu’il fallait autant d’énergie. Je me bouche les oreilles. Rien n’y fait. Le bruit est toujours là, encore plus fort. Tout à coup, l’interrogation se dissout dans l’évidence : associées aux pulsations cardiaques,

10

LE CERVEAU QUI N’EN FAISAIT QU’À SA TÊTE


en écho sonore, mes artères battent la paroi de mes tempes en rythme décalé. Dans l’un des arbres ceintu rant la ferme, une chouette au loin se met à chuinter. À ce signal lugubre du rapace nocturne se produit un déclic : les hallucinations cèdent la place au réel. Comme dans un mauvais film, les formes redevien nent progressivement ce qu’elles n’ont jamais cessé d’être : des carreaux de céramique en forme de navette ; des ombres anodines ; du sang répandu en arabesques confuses. À mes pieds, la mort, figée pour l’éternité, demeure dans son irréversible immobilité. Le silence, la nuit, l’atmosphère de la pièce, le rayonnement blafard de la lune… Mes sens se sont affolés ; je me suis laissé envahir, dominer par mes émotions. De mon imagination a surgi une fantasmagorie de scène d’épouvante. La bête malfaisante que tu étais ne fourrera plus son museau dans ma réserve. Saleté de renard !

AUX AGUETS…

11



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.