Considérations sur la fascination que le milieu du cinéma exerce sur nos contemporains (extrait)

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ConsidĂŠrations sur la fascination que le milieu du cinĂŠma exerce sur nos contemporains


ISBN 978-2-919070-67-1 Dépôt légal juin 2014 Imprimé dans la Communauté européenne

Éditions LettMotif 105, rue de Turenne 59110 La Madeleine – France Tél. 33 (0)3 66 97 46 78 Télécopie 33 (0)3 59 35 00 79 E-mail : contact@lettmotif.com www.edition-lettmotif.com


Sonia Duault

Considérations sur la fascination que le milieu du cinéma exerce sur nos contemporains suivi de

[Fragments de]

La Dernière représentation



Dans aucune autre profession, on n’accepterait ce que l’on a subi. En France, le metteur en scène est surpuissant. Léa Seydoux, actrice, Télérama, 24 août 2013

C’est un rêve que je poursuis depuis longtemps. Réconcilier les films aventureux dans leur forme et le cinéma populaire. C’est possible, et je dis souvent qu’il faut surestimer le public à sa juste valeur. Arnaud des Pallières, réalisateur, Le Monde, 31 août 2013

Une étude montre que, en matière de définition des rôles, ceux qui échoient aux femmes répondent toujours aussi majoritairement à une fonction d’ordre sexuel. Libération, 29 janvier 2014



Le cinéma est l’avant-garde de l’ultra-capitalisme. La fascination qu’exerce le milieu du cinéma sur nos contemporains doit se comprendre comme une forme de passion narcissique-nihiliste pour l’extrême violence des rapports sociaux qui s’y déploient. Le cinéma peut se glorifier d’être la seule industrie au monde qui fascine moins pour le produit qu’elle propose que pour le système de production qui l’a fait naître. Le milieu est tout, le cinéma n’est rien. C’est l’envers du décor qui intrigue, qui fait rêver, qui éblouit nos contemporains. Que se cache-t-il, en réalité, derrière le décor ? L’ultra-capitalisme en majesté : compétition permanente, hiérarchisation

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extrême, domination masculine, exploitation salariale, sexualisation à outrance, ambition écrasante. Convaincu de n’obéir qu’à la seule règle du talent, le milieu du cinéma s’aveugle sur la lutte pour la survie qu’il impose à tous les ramasseurs de poussières qui le composent. Indéfinissable et insaisissable, véritable arme absolue, le talent a raison de tout et donne raison sur tout. Le cinéma nous montre le visage de l’ultra-capitalisme en ce sens qu’il additionne lutte des classes et lutte à mort. Il nous offre le spectacle des fulgurances et des disparitions, des résurrections et des oublis, de l’acharnement et du découragement, de la réussite et de l’échec, des gains et de la pauvreté, de la passion et de l’angoisse, du travail et de l’épuisement, de la volonté et de l’abandon, de la croyance et du réalisme. Le spectacle de l’insécurité de la vie rejoint et renforce celui de l’insécurité économique. Rien n’est stable, tout est mouvant,

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questionné, remis en cause. La posture critique du cinéma offre un habillage de choix à l’imposture idéologique du libéralisme. Et lui apporte tout son éclairage : la règle du talent ne se mesure en définitive qu’à celle de l’argent. Dans le cinéma, la réalité dépasse l’affliction. Le cinéma est progressivement en train d’imposer la fiction de la réussite comme le réel même. Les Christophe Colomb du storytelling n’ont strictement rien découvert puisque les méthodes politiques se sont largement inspirées, et depuis longtemps, des méthodes artistiques. Des décennies de dressage cinématographique ont discipliné les esprits citoyens à intégrer l’idée que c’est moins le réel qui compte que la représentation qu’on en propose. Grâce au cinéma, la réussite a acquis ce que tout pouvoir rêve secrètement: la capitulation de la contestation. Le cinéma est voué à cela : favoriser la réussite. C’est sa raison d’être. C’est aussi par ce biais qu’il

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entretient et pérennise son mythe. Être et avoir sont face caméra, pendant que derrière, réussir et écraser se battent en duel. La guerre est déclarée. Si la réalité du monde du travail a été complètement évacuée de la scène politique, c’est d’abord qu’elle n’est plus projetée sur les écrans. Sortie des écrans radar, au sens littéral. Mais le ver était dans le fruit. Si le cinéma ne représente jamais le monde du travail, c’est-à-dire la vie des gens dans leurs activités quotidiennes, routinières, besogneuses, sous pression, effectuant des missions répétitives ou dénuées de toute dimension constructive, soumis à des objectifs de résultats absurdes, c’est pour une raison très simple. Il n’y connaît strictement rien. Cette réalité, il ne la voit pas parce qu’il ne la vit pas. Le cinéma ne connaît rien au monde du travail car son milieu l’en protège. Et non seulement il n’y connaît rien mais surtout il a en horreur le monde du travail, dans ce

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qu’il se représente de contraintes, de cadences, d’allégeances, de renoncements, de hiérarchie. Un monde étrange et étranger, vide de tout intérêt : il n’y a rien à en dire. Il n’a donc rien à en dire. Ici, le capital culturel masque à peine le racisme de classe qui le fonde. Du reste, on imagine assez mal un producteur, dont la fonction même est l’exploitation de l’intermittence du spectacle, pousser le moindre cinéaste à proposer aux spectateurs la réalité du travail, dont l’exploitation est consubstantielle. C’est le véritable angle mort du cinéma : l’exploitation y est partout présente mais nulle part représentée. Alors de quoi parle le cinéma ? De lui-même essentiellement. On pourrait y voir du narcissisme, c’est bien plus une commodité économique. C’est en effet plus facile – et plus économique, cela va ensemble – de parler de soi, de son histoire, de ses doutes, de ses questionnements, de ses frustrations, de son positionnement,

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