LĂŠo Malet et le cinĂŠma
Illustration de couverture © Seb Jarnot ISBN 978-2-36716-152-5 Dépôt légal janvier 2016 Imprimé dans la Communauté européenne
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Claude Gauteur
LĂŠo Malet et le cinĂŠma
« Que souhaiter ? Je ne désire au fond qu’une chose : que Les Cahiers du silence fassent beaucoup de bruit! Que cela provoque un BOUM sur mes œuvres impérissables ! Et que l’on fasse des films de grand écran et de télévision… » (Léo Malet à Daniel Mallerin, février 1974)
Un rendez-vous manquĂŠ [1] (1979)
Léo Malet n’a pas « dans les lettres françaises et dans ce qu’on nomme le domaine du roman policier la place qui devrait lui revenir ». « C’est, toujours suivant Albert Simonin, un cas sur le plan humain et littéraire. » De 1943 à 1972, Léo Malet a signé de son nom trente-trois romans policiers, dont vingt-neuf “Nestor Burma”. Trois films seulement en ont été tirés. Or cet ancien figurant, ce cinéphile averti, ce poète surréaliste, a toujours rêvé de voir ses livres, qui regorgent de qualités visuelles et verbales, adaptés à l’écran : il y a là un rendez-vous manqué, à propos duquel il vaut peut-être que l’on s’arrête.
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Léo Malet a eu soixante-dix ans le 7 mars 1979. Orphelin de père et de mère à trois ans, il a été élevé par son grand-père maternel, ouvrier tonnelier, admirateur de Jaurès. Son certificat d’études obtenu, Malet est employé de magasin puis de banque. Le 1er décembre 1925, il débarque à Paris, où il est recueilli par André Colomer, ancien rédacteur (en chef) du Libertaire et fondateur de L’Insurgé. Le 25 décembre, il débute comme chansonnier à La Vache enragée de Maurice Hallé, maire de la commune libre de Montmartre. Il n’y reste que quelques mois. Autodidacte, il va continuer d’apprendre sur le tas : on le retrouve, au hasard, vagabond, manœuvre, figurant, plongeur, gérant de magasin de mode, nègre d’un maître chanteur analphabète, etc. Il vivra, plus tard, de son activité de crieur de journaux. Il collabore occasionnellement à L’Insurgé, L’En-dehors, le Journal de l’homme aux sandales, la Revue anarchiste. Le 12 mai 1931, il rencontre André Breton, auquel il a soumis ses premiers textes poétiques. Accueilli dans le groupe surréaliste,
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il participera à toutes ses manifestations jusqu’à la guerre. Prisonnier huit mois dans un stalag, il écrit son premier livre, dès son retour, sur la suggestion de son ami Louis Chavance, directeur d’une collection policière aux Éditions Ventillard: Johnny Métal paraît en 1941, signé Frank Harding. Il commence alors Le Retour de Nestor Burma, qui deviendra 120, rue de la Gare. Henri Filipacchi, secrétaire général des Éditions Hachette, recommande l’auteur à la jeune Société d’éditions et de publications en exclusivité (SEPE). 120, rue de la Gare est salué en 1942 comme « une irruption fracassante ». Les 10000 premiers exemplaires partent comme des petits pains. Les droits cinématographiques sont immédiatement vendus. 1946, sortie de 120, rue de la Gare, réalisé par Jacques Daniel-Norman, précédant de peu celle d’Objective Burma de Raoul Walsh ! 1947 ; Le Cinquième Procédé, grand prix du Club des détectives. Emballeur chez Hachette, Léo Malet, nostalgique du Paris des Vampires de Feuillade (son “pays” de Lunel), a l’idée des Nouveaux
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Mystères de Paris : à la fois en « décors naturels » et en « vase clos », une enquête dans chacun des vingt arrondissements de la capitale, « d’où les personnages ne bougeraient pas ». Maurice Renault convainc Robert Laffont, qui se lance dans l’aventure1. Le Grand Prix de l’humour… noir couronne la série en 1958. (En 1956, lgor B. Maslowski avait restitué à l’auteur la paternité du roman… noir). L’heure sonne des réhabilitations, l’ère commence des rééditions. 1969, Éric Losfeld présente Trilogie noire, composée de La Vie est dégueulasse (1948), Le Soleil n’est pas pour nous et Sueur aux tripes (1969). 1970-1977, Les Nouveaux Mystères de Paris entrent au catalogue du Livre de Poche. 1974, Matulu lui consacre un de ses « dossiers du mois », Les Cahiers du silence sa deuxième livraison. 1975, La Nuit de Saint-Germain-des-Prés
1. Voir Léo Malet par Maurice Renault, in Brouillard au pont de Tolbiac et Les Rats de Montsouris, les Classiques du roman policier n°35, Club du Livre Policier, 1965. Ou Mystère Magazine n°21, octobre 1949.
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porté à l’écran par Bob Swaim ; 120, rue de la Gare en Presses Pocket; Le Monde lui-même, tout arrive, accorde une demi-page à ce rêveur narquois le 3 décembre. 1978/1979, Énigme aux Folies-Bergère, L’Homme au sang bleu et L’Ombre du grand mur chez Marabout… À partir de mars 1979 enfin, nouvelle réédition des Nouveaux Mystères de Paris, aux Éditions des Autres cette fois.
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Nestor Burma !
• Neuf enquêtes, de 1943 à 1949, huit livres, de 120, rue de la Gare aux Paletots sans manches, Gros plan du macchabée recélant Hélène en danger. • Quinze « nouveaux mystères de Paris » éclaircis, de 1954 à 1959. Du Soleil naît derrière le Louvre (1er) à L’Envahissant Cadavre de la plaine Monceau (17e). Quinze volumes. Quinze arrondissements sur vingt, Nestor Burma ne s’étant pas aventuré à l’époque dans les 7e, 11e, 18e, 19e et 20e. Léo Malet doit les ressusciter tels qu’ils étaient dans les années trente, afin de nous narrer les débuts dans la vie de Burma. La Folle Année de Nestor Burma (ou L’Année folle de Montmartre), situé dans le 18e en 1926/1927, sera dédié « aux anars des années vingt, qui n’allaient pas au troupeau ».
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• Six descentes au Fleuve Noir, de 1967 à 1971, de Nestor Burma en direct à Nestor Burma court la poupée1. Nul n’a mieux parlé que Jean Rousselot de ce feu de poésie que l’auteur « laisse librement brûler au grand jour dans de bien trop rares poèmes » et qui « ne cesse de ronfler et de fumer secrètement au fond du labyrinthe où Malet Burma nous entraîne » : « Ni fakirisme ni bijouterie au rabais dans cette aventure souterraine, mais une véritable entreprise, à la fois mythique et démystificatrice, où les Thésée fument la pipe dans le crâne de taureau, où les Ariane portent des culottes roses, où l’homme des filatures télégraphie sans fil aux tréfileries de l’inconscient et en reçoit réponse sans nulle taxe à payer chez Freud.2 » « À mesure que je vieillis, avouait Léo Malet aux lecteurs de Vient de paraître en 1. Malet a également écrit trois courtes nouvelles avec Burma en vedette in La Douzaine du diable, composé par Igor B. Maslowski, Paris, Éditions de la Première chance, 1953. 2. Témoignage, in Léo Malet, Poèmes surréalistes, Alfred Eibel, 1975.
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1959, puis des Cahiers du silence en 1974, je ne sais pas si c’est Burma qui s’identifie à moi ou moi qui m’identifie à lui… Dans le dernier bouquin (Nestor Burma court la poupée, Fleuve Noir n° 869, 1971, CG), il fait sentir qu’il est un peu vieux. Un petit peu comme Raymond Chandler, qui avait soixante-dix ans et qui donnait quarante ans à son personnage. À dire vrai, je ne sais pas quel âge je lui donne. » Faux, Léo Malet ! Vous lui donnez votre âge. Dans Coliques de plomb (SEPE, 1948), plus ou moins renié et repris dans Nestor Burma court la poupée justement, Burma né, comme vous, en 1909, a donc trente-neuf ans en 1948. Et, comme vous, il est né à Montpellier, où Nestor Burma revient au bercail en 1967 (Fleuve Noir n° 627). Michel Galabru – natif, lui aussi, de Montpellier – est un très remarquable Burma… bogartien dans La Nuit de Saint-Germain-des-Prés de Bob Swaim. Il pourrait aisément
incarner
un
autre
Burma,
l’anti-héros comique, car s’il met toujours le mystère knock-out, de mystérieux individus,
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