Revue Mondes du cinéma 4 (extrait)

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> Stephen Sarrazin

uelle place aujourd’hui dans l’image pour le mot ? L’ampleur du synchronisme télévisuel, d’un continent à l’autre, dans sa capacité à non seulement produire des séries qui remplacent désormais le film en tant qu’objet convoité d’analyse (et objet du désir de cinéastes), de révélateur de dispositifs, mais aussi à plaider pour l’insatiable appétit de narration chez le spectateur, place le scénario, les dialogues, en première ligne de l’engouement suscité par la puissance de l’écriture. De ces séries, peu de traces dans ce numéro. Qu’elles hantent.

Faire avec les étiquettes auteur et réalisateur, scénariste et cinéaste, écrivain et vidéaste, explorer d’autres trajectoires contemporaines de l’écriture dans l’image, où sont maniées avec maîtrise culture du blog et transversalité, formalisme et


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post-auteurisme. Six rencontres pour témoigner de la diversité des démarches possibles, au travers de champs d’images distincts, le cinéma, le documentaire à la télévision, la vidéo d’art. Questions pour Marina de Van, Toshiaki Toyoda, Pascal Bonitzer, Pascal Lièvre et Pacôme Thiellement, Shelly Silver, et Jean Paul Fargier. Marina de Van, scénariste, actrice, tout d’abord auprès de François Ozon, puis cinéaste de courtsmétrages et de trois objets envoûtants habités par Goya et l’appel amoureux du corps au monstrueux, Dans ma peau (2002), Ne te retourne pas (2009), Dark Touch (2013), et auteur de deux récits autobiographiques, Passer la nuit (2011) et Stéréoscopie (2013), parus chez Allia. Toshiaki Toyoda, cinéaste japonais, dont Blue Spring (2001) était sorti en France, bien que son œuvre, qui se penche sur des figures de solitaires qui deviennent des meneurs malgré eux et qui y prennent goût, demeure méconnue, comme tant d’autres cinéastes du Japon, ratés au passage par l’appareil cinéphilique français, compte parmi les derniers cinéastes singuliers de la production nippone. Arrivé au cinéma par le scénario (pour Junji Sakamoto, lui aussi à découvrir), Toyoda passe rapidement à la réalisation, son premier long-métrage, Pornostar (2000), est produit par… une maison d’édition, Little More. Hanging Garden (2005) reste l’un des chefsd’œuvre du cinéma japonais de cette décennie. Pour Toyoda, il est impensable de tourner un film qui ne soit pas écrit, ou réécrit, par lui.


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L’œuvre de Pascal Bonitzer, l’un des plus élégants cinéastes français, est indissociable de l’acte d’écrire. D’abord comme critique aux Cahiers du Cinéma, auteur d’essais remarquables dont Le Regard et la voix (1976), Le Champ aveugle (1982) et Décadrages : peinture et cinéma (1985) ; en 2000 il publiait, avec Jean-Claude Carrière, Exercice du scénario. Enfin, un ouvrage sur Éric Rohmer (1999) dont il admire l’art du scénario. Scénariste d’abord pour d’anciens collègues devenus cinéastes, tels Pascal Kané et André Téchiné, puis Barbet Schroeder, Benoît Jacquot, Chantal Akerman, il aura été depuis près de trente ans la voix de Jacques Rivette, d’abord seul, puis avec Christine Laurent, et à nouveau seul. Il fut aussi directeur du département scénario à la Fémis. Ses six longs-métrages, Encore (1996), Rien sur Robert (1999), Petites coupures (2003), Je pense à vous (2006, coécrit avec Marina de Van), Le Grand Alibi (2008) et Cherchez Hortense (2012), redéfinissent brillamment la fonction, l’identité du leading man au cinéma. Ses héros, en tant que personnages, s’interrogent sur le passage du temps, comment l’accueillir, y résister, et cette qualité définit le raffinement de l’écriture de Pascal Bonitzer, qui s’accomplit en ayant conscience d’une histoire des attitudes, tirée de films chers au cinéaste. Des personnages qui ont cette aptitude propre à un acteur comme Glenn Ford, qui ne fut jamais jeune ni tout à fait vieux, de vaciller entre douceur et menace, dignité et « sauver sa peau ».


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Pascal Lièvre, plasticien, mène une œuvre sur plusieurs supports, y compris la vidéo. Bien qu’il écrive parfois sur d’autres artistes (Mihai Grecu, Sarah Trouche), sa démarche textuelle pour la vidéo consiste à repérer des passages d’ouvrages philosophiques, politiques, de psychanalyse, mis en musique sur des airs pop déjà célèbres. Lacan Dalida, L’Axe du mal, Patriotic ont été montrés dans le monde entier.

Pacôme Thiellement, essayiste, romancier et vidéaste, travaille lui aussi l’appropriation de textes, pour la série de vidéos qui constituent Le Dispositif, cosignées avec Thomas Bertay, avec des ajoutspastiche, poétiques, maléfiques, de diverses formes du langage média. Ils discutent ici la série de J.J. Abrams, Lost, qui fit l’objet d’une création pour chacun d’eux.

Ces démarches d’écriture dans le champ de la vidéo s’inscrivent dans un contexte de post-language art, auquel la vidéo fut longtemps associée (Vito Acconci, Dan Graham, Gary Hill), et se distinguent naturellement de vidéos d’art scénarisées, telles que les pratiquaient Bruce & Norman Yonemoto en Amérique, ou autrefois Pierre Trividic en France. Avec la montée du média art, des cinéastes qui se sont mis à la vidéo aux artistes qui se sont tournés vers des installations cinématographiques, ou devinrent, façon Steve McQueen, des cinéastes, il existe désormais cette autre écriture de l’image ; une


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in-écriture, se situant à « l’intérieur/inside/within » des autres modèles, qui en déjoue les contraintes, les limites.

L’œuvre de l’artiste américaine Shelly Silver y a beaucoup apporté. Les vidéos d’art, les docu-fictions, les portraits et documentaires qu’elle a réalisés furent écrits. Par elle seule. Citant en premier lieu des références venues du cinéma, Godard en particulier et notamment Masculin Féminin, son utilisation de la voix off puise dans la littérature, l’histoire de la télévision sous toutes ses formes, et déborde les modèles cinématographiques. The Houses that are left en fait l’annonce. Récompensée à maintes reprises, cette œuvre new-yorkaise, présente dans de nombreux musées internationaux, est devenue une référence pour penser cette autre écriture. Sa dernière réalisation, Touch, fut primée au Festival du réel à Beaubourg. Professeur à l’Université Columbia, elle vient d’être nommée à la tête du département audiovisuel de cette grande institution.

Jean-Paul Fargier, figure historique de la vidéo en France, de la théorie à la pratique, fut un pionnier de la critique de cet art, en l’introduisant dans des revues telles que Les Cahiers du Cinéma, Art Press, des quotidiens (Le Monde). Il est, parmi de nombreuses parutions, l’auteur d’une monographie sur Nam June Paik, d’un essai sur Bill Viola (The Reflecting Pool) et de deux recueils d’essais sur la vidéo et la télévision. Réalisateur de plus d’une


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centaine de « films », son œuvre se partage entre vidéos de création, en collaboration avec des acteurs, des danseurs, des écrivains, des musiciens, des plasticiens, et documentaires de création pour la télévision, autour d’un artiste et d’une exposition, une rétrospective, un portrait, ou l’histoire du siècle. Tout l’intéresse. Pillier du dispositif vidéo, Jean-Paul Fargier a écrit tous les textes en voix off de ses documentaires. C’est son regard, à travers ses dispositifs, qui s’écrit, telle une surimpression audessus d’un tableau, une sculpture, un roman, une autre vidéo, de Paradis Vidéo avec Philippe Sollers à un sommet du genre, son portrait de Courbet et de l’Origine du Monde.

Chacun, chacune commente, explique, propose une idée du travail de l’écriture, en accomplissant cette devise de Delacroix : Le plus beau triomphe de l’écrivain est de faire penser ceux qui peuvent penser.

Tokyo, octobre 2013

Merci à Marina de Van, Pascal Bonitzer, Jean-Paul Fargier, Shelly Silver, Toshiaki Toyoda, Pascal Lièvre, Pacôme Thiellement et Yukiko Kono.


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> Propos recueillis par Stephen Sarrazin

Pascal Bonitzer est cinéaste et scénariste.

Que signifie pour vous « auteur-réalisateur » ? Ce sont deux mots avec lesquels je ne me sens pas à l’aise, et le trait d’union n’arrange rien : ça me donne un sentiment d’imposture. Un scénariste n’est un auteur que relativement, si auteur veut dire créateur ; je crois que c’est le même mot en espagnol (El Hacedor, titre d’un recueil de Borges, est traduit en français par L’Auteur). La création au cinéma est tout de même collective, même si quelqu’un doit être le patron. Comme scénariste, j’ai surtout été le collaborateur de quelques cinéastes, avant que je ne me mette à écrire les films que j’ai ensuite « réalisés », c’est-à-dire castés, mis en scène et montés. Sur mon passeport et sur les documents


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officiels, je mets « cinéaste », ce qui est plus vague mais moins compromettant. Aviez-vous l’ambition de devenir scénariste ? Vous avez enseigné ce métier, l’avez-vous appris d’une source précise ? Et vous servez-vous de Final Draft ou d’un outil semblable ? Plusieurs questions. Je n’ai jamais eu l’ambition de devenir scénariste. Cinéaste, oui. Critique, aussi. Scénariste est un métier qui m’a longtemps paru méprisable avant que je me rende compte que c’était plutôt beau, passionnant et surtout difficile. Mais ne me sentant pas le courage ni la force de me lancer tôt dans la mise en scène, j’ai dû en passer par ce que je ne considère plus aujourd’hui comme un détour, puisque je suis toujours scénariste, tout en étant metteur en scène de films. J’ai appris à écrire sur le tas, grâce notamment à ma collaboration avec Benoît Jacquot et André Téchiné, et surtout avec Jacques Rivette grâce à qui j’ai connu le plaisir de fabriquer des dialogues. Quant au matériel dont je me sers, j’ai commencé jadis avec la Hermès Baby, puis je suis passé au Mac avec Word, et enfin à Final Draft dont, depuis que mon ami Raoul Peck me l’a fait découvrir, je ne peux plus me passer (ne pas penser à la mise en page, quel soulagement). Dès que j’ai su me servir d’une machine, j’ai cessé d’écrire à la main. Dans quelles circonstances avez-vous écrit votre premier scénario ? Après la transition des Cahiers à la profession elle-même, comment s’est faite votre décision de devenir scénariste ?


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En 1976, les Cahiers du Cinéma ont rencontré Michel Foucault pour lui soutirer un entretien à propos de ce qu’on appelait alors « la mode rétro » (Portier de nuit, Lacombe Lucien). Serge Toubiana et moi nous nous sommes intéressés au mémoire exhumé par l’équipe de Foucault, Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère. L’idée d’en tirer un film est venue de Serge. À la même époque, nous avons rencontré René Allio qui venait de réaliser Les Camisards. Conscients que nous n’étions pas armés pour tirer nous-mêmes un film du mémoire de Pierre Rivière, nous l’avons proposé à René Allio, qui l’a accepté avec enthousiasme et nous a enrôlés comme coscénaristes, avec Jean Jourdheuil. Mais au final, c’est surtout ce dernier qui a écrit. Par la suite, mon amitié avec Benoît Jacquot et avec André Téchiné leur a soufflé de me faire travailler avec eux. Ma première vraie collaboration a été avec Jacquot, pour un film qui finalement n’a jamais été tourné. Ma deuxième a été les Sœurs Brontë de Téchiné (1977). Pourriez-vous caractériser/citer des thèmes propres à votre écriture ? La crise de la quarantaine, ou cinquantaine, ou soixantaine. La difficulté de s’engager, d’aimer. La difficulté de choisir. La difficulté d’agir. La difficulté d’être. Vos scénarios pour vos films naissent-ils d’une situation ou d’un personnage ? Peut-être plus d’un personnage que d’une situation, mais une certaine situation d’origine crée


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aussi mes personnages. Dans Cherchez Hortense, par exemple, c’est l’impossibilité de parler à son père qui crée à la fois le personnage de Damien et la situation de départ de l’histoire. Quel est votre rapport à la commande (pour une collaboration originale/pour une adaptation ?) L’une des raisons qui ont dû me faire, jadis, mépriser le scénario (outre le surmoi des Cahiers du Cinéma, mal intégré, qui voulait que seul le metteur en scène soit l’auteur du film) est qu’il y a souvent une commande à son origine. C’est donc un genre servile. Néanmoins, je m’y plie, en essayant de mettre ma marque personnelle, mes préoccupations secrètes et ma « musique ». C’est ce que j’ai tenté de faire pour le seul de mes films qui était une commande, l’adaptation d’un roman d’Agatha Christie intitulé Le Vallon, que j’ai réalisé sous le titre Le Grand Alibi, plagié du titre français de Stage Fright de Hitchcock (aucun rapport). Comment s’est déroulée la rencontre avec Rivette, vous a-t-il sollicité ou lui avez-vous proposé une idée ? Nous avons été mis en contact par sa productrice Martine Marignac. Il cherchait un nouveau scénariste après que son collaborateur habituel, Eduardo de Gregorio, soit passé à la mise en scène. L’idée de Jacques était de faire une fiction à partir d’une expérience de l’époque dite de « théâtre en appartement ». Or une de mes amies proches était justement metteur en scène de théâtre et avait ellemême fait une mise en scène en appartement, que


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j’avais vue. La coïncidence a plu à Jacques et c’est ainsi que nous avons commencé notre première collaboration, qui est devenue ce film assez foutraque : L’Amour par terre. Toujours chez Rivette, étiez-vous en tandem dès le départ avec C. Laurent ? Non. Elle s’est jointe à nous à partir de La Bande des quatre. Rivette avait déjà en place son réseau de fantômes, de jeux, de puzzles. Comment croyezvous avoir contribué à élargir son univers ? Je ne sais pas si je l’ai élargi… De quelle collaboration avec lui êtes-vous le plus satisfait, et celle que vous auriez souhaité encore corriger ? J’ai aimé Va savoir, également Ne touchez pas la hache qui est le seul film entièrement écrit avant tournage. J’ai un grand faible pour Haut, bas, fragile, surtout parce que j’ai dû écrire des chansons, sur des musiques déjà composées, pendant le tournage. Ça m’a beaucoup amusé. Et j’aurais aimé pouvoir réécrire presque tous les films que j’ai faits avec lui, — sans parler des autres —, mais peut-être surtout La Belle Noiseuse. Comme Jacques est un magicien, même les plus bancals de ses films ont de la poésie, mais certains sont très bancals, surtout à cause du scénario. Je craindrais de revoir Secret Défense, Hurlevent, ou Histoire de Marie et Julien… Quelle est la place du mot selon vous, aujourd’hui, dans l’image ? Dans la mesure où l’on


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La Belle Noiseuse. © Pierre Grise Productions.

Ne touchez pas la hache. © Pierre Grise Productions.


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décrit si souvent le cinéma français comme un cinéma de texte, un cinéma « bavard ». C’est pourtant dans le cinéma américain qu’on trouve les films les plus bavards, en tout cas les plus « parlés » : Tarantino, Allen, Apatow… Et aux ÉtatsUnis la création s’est réfugiée, on le sait, dans les séries télévisées, qui par définition sont très parlantes. Il est vrai que chez Rivette (ma faute peutêtre) et chez Rohmer, on parle beaucoup. Mais est-ce que ce ne sont pas les films d’action à monosyllabes qui sont répétitifs et ennuyeux ? D’ailleurs ce ne sont plus que des séquels et des préquels, signe que le genre est en état de survie. Écrivez-vous avec des voix d’acteurs déjà en tête ? Généralement pas, pour la simple raison que quand j’écris (en tout cas pour moi), je ne sais jamais qui jouera quoi. La principale exception c’est Michel Piccoli dans La Belle Noiseuse, où j’ai vraiment écrit les dialogues en pensant à sa voix, à son corps à lui. Des scénaristes/des scénarios de référence ? En vrac : tous les films de Rohmer, les derniers Woody Allen, notamment Le Rêve de Cassandre, Match Point et Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, tous les Lubitsch, La Garçonnière de Billy Wilder, Pulp Fiction, Jackie Brown, pour l’art de la narration et des dialogues. Sourires d’une nuit d’été. Touch of Evil, longtemps mon film préféré et le plus génialement scénarisé des films de Welles. Et, indépassable horizon, Ordet (même si c’est à la base une pièce de théâtre).


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Dans votre travail de critique, la psychanalyse et l’histoire de l’art ont joué un rôle important. Quelle place occupent-elles dans votre œuvre de scénariste ? Consciemment, très peu de place. Votre plus grand scénario sera-t-il une création originale ou l’adaptation d’un roman (si roman, lequel souhaitez-vous adapter) ? Je n’ai aucune idée de ce que pourrait être « mon plus grand scénario ». Je suis heureux si je peux continuer à travailler, ce n’est jamais acquis. Quant aux adaptations, j’ai récemment raté dans les grandes largeurs celle d’un roman de Gombrowicz, Les Envoûtés, je me suis jadis confronté avec un succès très relatif à l’un de mes romans préférés, Les Hauts de Hurlevent (pour Rivette), et je rêve de façon un peu infantile, sachant que je ne le ferai sans doute jamais, à l’adaptation du Bleu du ciel de Bataille (rêve d’adolescence plutôt). Travaillez-vous également comme script doctor ? Ça m’arrive. Entretenez-vous des liens plus étroits entre le scénario et l’esthétique de l’image (mouvements d’appareil, lumières) ou avec le montage ? Avec le montage. Je voudrais d’abord dire que, dans le processus de fabrication d’un film, les deux moments cruciaux, voire crucifiants pour moi, ne sont pas l’écriture et le tournage, où je prends


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généralement du plaisir à moins que quelque chose se passe vraiment mal (c’est déjà arrivé dans l’écriture, jusque-là pas au tournage), mais le casting et le montage. Le casting, parce que c’est parfois difficile, angoissant (souvent même déchirant parce qu’on voudrait justement ne pas choisir), de choisir les comédiens, sachant que se tromper équivaut à affaiblir et mutiler d’avance son film… Et le montage, parce qu’on se trouve alors confronté à ce qu’on a tourné et qu’on ne pourra pas, sauf exception (la fin de Petites Coupures, je l’ai récrite et retournée en une journée), tourner à nouveau. Je me pose peu de questions au moment du tournage. J’essaie de filmer du mieux possible mais sans compliquer, en misant sur le talent des acteurs, en faisant confiance au chef opérateur, à l’équipe. Je ne cherche pas à pousser les gens dans leurs retranchements, simplement à obtenir ce qui me paraît juste. Je fais par exemple le moins de prises possible. Il arrive ainsi, après coup, que je m’inquiète de ne pas en avoir fait assez et du coup le montage est pour moi un moment d’abord de grande souffrance, augmentée parfois d’un sentiment d’horreur et de la peur abjecte de me retrouver avec une matière informe, inutilisable et grotesque… Cette étape surmontée, difficilement, je suis pris par l’excitation de faire quelque chose de cette matière filmée, de lui donner une forme et c’est le montage qui lui donne cette forme. Alors je tente de retrouver ce que j’avais plus ou moins en tête au moment de l’écriture. Et quelquefois je l’obtiens.


Comme ça s’écrit 5 Pascal Bonitzer 11 Le scénario comme balkanisation (heureuse) 21 Shelly Sliver 33 Marina de Van 42 Jean-Paul Fargier 48 Last Man Standing 58 Lost: cause 70

Au départ des images, noir 81 Petites réécritures de l’Histoire : multiples reflets du même événement, l’assassinat de Ryôma 129 Au sujet de la série d’animation japonaise Bakumatsu Kikansetsu, Irohanihoheto 170 Géométrie politique chez Akira Kurosawa: duelle féodalité vs démocratie triangle 176

Regards sur le cinéma marocain 197 Un cinéma qui a tout d’un grand mais qui ne le sait pas encore 214 Tinghir-Jérusalem : les Échos du Mellah, un film aux binômes multiples 218 L’aventure d’un label indépendant : conversation avec Silke Schmickl, directrice de Lowave 234 Images éparses 261 Barton Fink ou l’écriture selon les frères Coen 269 Questions à Pascal-Alex Vincent 276 Rencontres par la danse et l’image : Epileptic Opera Butoh 282

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