Du même auteur Images du Noir dans le cinéma américain blanc (1980-1995) L’Harmattan (coll. Champs visuels), 1997 Dictionnaire du cinéma afro-américain (acteurs, réalisateurs, techniciens) Séguier (coll. Ciné-Séguier), 2001 Otis Redding, biographie L’Harmattan, 2002 Le Cinéma des Noirs américains : entre intégration et contestation Le Cerf-Corlet (coll. 7e Art), 2005 Une histoire politique du cinéma (États-Unis, Europe, URSS) Sulliver (coll. Politique du cinéma), 2007 Hollywood, cinéma et idéologie Sulliver (coll. Cinéma), 2008 Revoir les films populaires : cinéma, pop-culture et société TheBookEdition (coll. Le Sens des Images), 2012 Analyses d’images : Publicités, photos, affiches, pochettes… 20 commentaires composés illustrés TheBookEdition, 2015 Ben Harper : interview(s) TheBookEdition, 2016 Les Noirs dans le cinéma français : de Joséphine Baker à Omar Sy LettMotif (coll. Essais), 2016 Drive-in & Grindhouse cinema (1950’s-1960’s) Imho (coll. Cinexploitation), 2017
ISBN 978-2-36716-196-9 Dépôt légal février 2017 Imprimé dans l’Union européenne Maquette : www.lettmotif-graphisme.com Photos de couverture : Forest Whitaker dans Le Majordome de Lee Daniels (2013) Chiwetel Ejiofor et Lupita Nyong'o dans 12 Years a Slave de Steve McQueen (2013).
Éditions LettMotif 105, rue de Turenne 59110 La Madeleine – France Tél. 33 (0)3 66 97 46 78 Télécopie 33 (0)3 59 35 00 79 E-mail : contact@lettmotif.com www.edition-lettmotif.com
Régis Dubois
Le cinéma noir américain des années Obama (2009-2016)
Avant-propos Il y a exactement vingt ans je faisais paraître mon premier ouvrage intitulé Images du Noir dans le cinéma américain blanc (1980-1995) chez L’Harmattan. Je ne me doutais pas alors que deux décennies plus tard j’écrirais mon douzième livre et qu’il porterait encore sur la question des Afro-Américains au cinéma. D’autant qu’en 2005 je publiais un essaisomme sur la question, Le Cinéma des Noirs américains entre intégration et contestation dans la prestigieuse collection 7e Art du Cerf. Mais voilà, trois ans seulement après sa parution, l’Amérique élisait un président noir et un nouveau chapitre de l’histoire du cinéma afro-américain s’ouvrait. Aujourd’hui, alors que l’ère Obama s’est achevée, il m’a semblé qu’il fallait compléter cette longue réflexion commencée au siècle dernier. Beaucoup de films emblématiques sont sortis durant ces huit années écoulées – au nombre desquels Le Majordome, 12 Years a Slave, Dear White People, Fruitvale Station ou encore The Birth of a Nation –, de nombreux réalisateurs afro-américains ont émergé (de Tyler Perry à Nate Parker) et de nouvelles tendances semblent clairement se dessiner en comparaison du cinéma de Blaxploitation des années 70 ou du cinéma New Jack des années 90. Un bilan s’imposait donc. Cette étude portera donc sur le cinéma noir américain. Mais qu’entend-on précisément par « cinéma noir américain » ou « cinéma afro-américain »? On sait que les définitions peuvent varier d’un auteur à l’autre. Ainsi pour certains elle englobe: Tous les films dans lesquels les Noirs ont joué un rôle décisif, soit de façon directe (comme scénaristes, acteurs, producteurs ou réalisateurs), soit indirecte (en acceptant des rôles qui ne permettent
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aucune véritable création, mais dans lesquels la thématique noire a une part essentielle).1
En revanche pour d’autres, comme Spike Lee : Le cinéma noir est écrit, produit et réalisé par des Noirs, et le plus souvent ces trois conditions doivent être réunies pour qu’un film reste noir.2
Pour ma part, j’ai choisi de prendre en compte ici l’ensemble des films évoquant d’une manière ou d’une autre la « condition noire », donc tous ceux en lien avec le vécu de la communauté afro-américaine. Concrètement, j’ai retenu toutes les œuvres dont les rôles principaux ont été confiés à des acteurs afro-descendants, à quelques très rares exceptions près comme Lincoln (Steven Spielberg, 2012) qui, s’il n’offre aucun rôle principal à un Noir, n’en évoque pas moins la question afro-américaine puisqu’il retrace la bataille qui entoura le vote du 13e amendement qui libéra les esclaves. J’ai donc choisi la définition la plus large possible, et ce, pour mieux cerner l’influence diffuse de l’élection d’Obama sur l’ensemble du cinéma noir américain, que les réalisateurs aient été Noirs ou Blancs3. Pour ce qui concerne maintenant la période choisie, le corpus comprend tous les films noirs sortis entre 2009 et 2016, autrement dit durant la présidence Obama, ce qui n’est pas aussi évident qu’il y paraît au premier abord, étant donné que la production d’un long-métrage prend souvent plusieurs années et, donc, que la plupart des œuvres sorties en 2009 ont sans doute été mises en chantier avant l’élection de Barack 1. James P. Murray, To Find an image : Black films from Uncle Tom to Super Fly, Bobbs-Merrill Company, 1973 (cité dans Le Dictionnaire du cinéma mondial, p. 522). 2. Spike Lee & Ralph Wiley, By any means necessary, the trials and tribulations of the making of Malcom X..., Hyperion, 1992, p. 12. 3. D’autant, il me semble, qu’un spectateur ne se pose sans doute pas toujours la question de savoir si un film au casting 100 % noir (comme la comédie romantique Love & Game par exemple) est ou n’est pas réalisé par un(e) Afro-américain(e). Et même s’il se la pose (dans ce cas précis la réalisatrice n’est pas noire), il ne considérera pas moins le film comme « noir ». Ce qui ne nous empêchera pas, bien sûr, de différencier les uns et les autres.
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Obama (à l’exemple de Precious, présenté à Sundance en janvier 2009). Pour la même raison, certains films tournés durant la dernière année de son mandat ne sortirent qu’en 2017 sous la présidence de Trump (comme All Eyez on Me). Il n’empêche, le choix de cette période 2009-2016 a le mérite de la clarté, ce qui ne nous empêchera pas de tenir compte de cet état de fait. Au final j’ai donc retenu 165 longs-métrages produits aux États-Unis durant ces huit années, un corpus relativement exhaustif et assez conséquent pour pouvoir observer les grandes tendances du cinéma noir de ces années Obama.
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Introduction : the Obama effect Le premier président noir des États-Unis Répétons-le encore et encore: l’élection de Barack Obama en 2008 fut une sorte de petit miracle et, à n’en pas douter, ses deux mandats resteront associés dans la mémoire collective à une parenthèse enchantée entre l’ère de George W. Bush et celle de Donald Trump. Un miracle bien sûr parce qu’Obama fut le premier président noir à être élu à la tête du pays le plus puissant du monde, quarante ans après l’assassinat de Martin Luther King et cent-cinquante ans après la fin de l’esclavage. Un miracle aussi parce qu’Obama est issu d’un milieu relativement modeste, qu’il a été élevé par une mère célibataire divorcée, qu’il n’a quasiment pas connu son père (mort, qui plus est, en 1982 alors que le futur président n’était âgé que de 21 ans) et qu’il a donc dû se débrouiller tout seul, sans réseau ni argent, pour en arriver là où il en est arrivé. Un miracle surtout parce qu’il est le fils d’un Africain éduqué dans la religion musulmane duquel il a hérité un patronyme difficile à porter dans l’Amérique post-11 septembre 2001: Barack Hussein Obama – Hussein comme Saddam Hussein (et Obama comme… Oussama, enfin presque). Et pourtant, le miracle s’est bien produit, sans doute qu’à ce moment-là l’Amérique en avait assez des faucons républicains au pouvoir depuis presque 30 ans – si on excepte la parenthèse Bill Clinton –, marre sans doute aussi de la guerre des Bush en Irak et en Afghanistan. Las peut-être enfin d’incarner le méchant impérialiste aux yeux du monde entier. Soudain, la possibilité de
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voir élire à la Maison-Blanche un common man, un gars du peuple, intelligent et cultivé, progressiste et pondéré, un jeune Métis séduisant né de la rencontre improbable d’une Blanche du Kansas et d’un Noir du Kenya au temps de la lutte pour les droits civiques semblait miraculeusement résoudre toutes les contradictions de cette Amérique en déclin, et dans le même temps redonner foi au rêve démocratique de Lincoln, Kennedy et Martin Luther King réunis. Aussi les festivités entourant l’investiture du 44e président des États-Unis – qui eurent lieu deux siècles pile après la naissance d’Abraham Lincoln – furent-elles un événement sans pareil. 400 000 personnes se pressèrent au Lincoln Memorial de Washington le 18 janvier 2009 pour écouter des dizaines d’artistes jouer en l’honneur d’Obama, dont Mary J. Blige, Jon Bon Jovi, Beyoncé, John Legend, Pete Seeger, Shakira, U2, Bruce Springsteen ou Stevie Wonder. Des personnalités célèbres récitèrent des textes historiques, parmi lesquelles Tom Hanks, Jamie Foxx, Samuel L. Jackson, Denzel Washington, Tiger Woods ou encore le fils aîné de Martin Luther King. La cérémonie d’investiture à proprement parler eut elle lieu le 20 janvier devant le Capitole et on dit que la retransmission télévisée de l’événement à travers le monde égala l’audimat de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2008. Ce soir-là Barack et Michelle dansèrent sur « At Last ! » (« Enfin ! »), une ballade immortalisée par la chanteuse soul Etta James en 1960 et chantée pour l’occasion en direct par Beyoncé. Un pur moment de magie. À n’en pas douter de nombreuses larmes furent versées dans les chaumières. « At Last ! » qui évoque bien sûr les dernières paroles du fameux discours « I Have a Dream » de Martin Luther King prononcé à quelques pas de là en 1963 devant le Lincoln Memorial : « Free at last ! Free at last ! Thank God Almighty, we are free at last ! » (« Enfin libres ! Enfin libres ! Grâce en soit rendue au Dieu tout-puissant, nous sommes enfin libres ! ») C’est peu
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dire qu’Obama réunit à ce moment-là tous les ingrédients pour faire de son élection un événement historique et planétaire sans commune mesure avec celle d’un Bush ou d’un Trump, une victoire couronnée d’ailleurs par un Prix Nobel de la paix décerné au nouveau président la même année – et 45 ans après celui de Martin Luther King. Et les rapprochements avec ces grands hommes que furent Lincoln, Kennedy et MLK ne s’arrêtaient pas là. Tout soudain semblait faire sens. De par son parcours et ses origines, Obama redonnait enfin crédit au rêve américain selon lequel « tout le monde peut devenir président » et « tout est possible du moment qu’on s’en donne les moyens », « qu’importe que vous soyez Noir ou Blanc », pourrait-on ajouter pour paraphraser Michael Jackson qui aura à peine eu le temps de savourer la victoire de l’un des siens. Quel formidable storytelling quand même que cette success story ! Yes He Can ! Yes We Can ! Tout semblait tellement incroyable et parfait. Et quelle source de fierté pour tous les damnés de la Terre, à commencer par les descendants d’esclaves, comme le rappelait Ta-Nehisi Coates au lendemain de la victoire de Trump dans son article en forme d’éloge intitulé avec nostalgique « Mon président était noir » : Avant qu’Obama ne triomphe en 2008, les représentations populaires de la réussite noire se résumaient à des artistes ou à des athlètes. Mais Obama montra qu’il était « possible d’être intelligent et cool en même temps », comme le déclara Jesse Williams à l’occasion d’une soirée de la Black Entertainment Television. Il n’a par ailleurs jamais embarrassé sa communauté avec un quelconque scandale. À l’encontre de tous les clichés sur les mères célibataires profitant des aides sociales ou des pères démissionnaires à la dérive, il a offert huit années durant à la MaisonBlanche le spectacle d’une famille noire unie et saine.4
Alors oui, l’élection d’Obama fut surtout symbolique – et, comme nous le verrons, ses mandats ne furent pas vraiment 4. « My President Was Black : A history of the first African American White House — and of what came next » par Ta-Nehisi Coates, The Atlantic, janvier-février 2017.
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de grandes réussites ni économiques ni même politiques. Qu’importe, le symbole fut incroyablement fort et, pour tous les Noirs du monde entier, Barack Obama restera une immense source de fierté, l’homme qui aura été « le premier président noir des États-Unis ».
Obama, icône pop et héros de cinéma En plus d’avoir été le premier Afro-Américain à occuper le bureau ovale, Obama restera aussi sans aucun doute dans les annales comme le président le plus cool de toute l’histoire des États-Unis, loin devant le coureur Kennedy ou Clinton et son saxophone. Les Guignols de l’info en France ne s’y trompèrent pas quand ils le caricaturèrent en une sorte d’Eddie Murphy tout droit sorti du Flic de Beverly Hills (« Et ouais mec ! ») Pendant les huit années qu’il passa à la tête de la première puissance mondiale on n’a cessé de le voir sourire et blaguer, mais aussi chanter (« Sweet Home Chicago » en 2012 en compagnie de B.B. King et de Mick Jagger), danser (par exemple avec Michelle sur « Thriller » pour Halloween en 2016), jouer au basket, se prêter à des interviews décalées, faire des selfies (comme aux obsèques de Mandela en 2013…) et même participer à une émission de téléréalité (« En pleine nature avec Barack Obama et Bear Grylls » en 2016 sur NBC puis D8 en France). Et tout cela sans jamais se ridiculiser. En fait Obama est un enfant des sixties, de la télé et de la musique pop, un enfant de la pop-culture en somme, une culture populaire qu’il n’a jamais cessé de revendiquer: tous les étés il communiquait par exemple sur le site de la Maison-Blanche sa playlist personnelle.5 Ailleurs il n’hésitait pas à évoquer son goût pour les séries (à commencer par The Wire) ou pour les 5. Cf. « Playlist : un chef d’État au gré des flows » (dans Libé HS « Obama Blues » d’octobrenovembre 2016) qui cite notamment Earth, Wind and Fire, Nas, Aretha Franklin, Jay-Z, Dave Brubeck ou encore Bruce Springsteen.
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films de SF (de Star Trek à Star Wars en passant par Matrix).6 Ami des musiciens, il a reçu en concerts privés à la MaisonBlanche tout ce que le show-biz compte d’artistes mythiques, de Bob Dylan à Paul McCartney en passant par Joan Baez, Aretha Franklin ou Sting, mais aussi ceux de la génération hip-hop comme De La Soul, Common ou John Legend. Il compte parmi ses fidèles des acteurs, des sportifs, des animateurs télé, autant de personnalités qui l’ont « aidé à devenir qui il est », confiera-t-il, et à qui il rendit hommage en novembre 2016 en les décorant d’une « légion d’honneur », au nombre desquels Diana Ross, Tom Hanks, Robert De Niro, Michael Jordan ou encore Bruce Springsteen. On sait par ailleurs qu’il est un proche du couple Beyoncé/Jay-Z mais aussi d’Oprah Winfrey et qu’il compte parmi ses amis George Clooney, entre autres. Autant de célébrités qui le soutinrent pendant ses campagnes : will.i.am des Black Eyed Peas composa pour lui le titre « Yes We Can » en 2008 (le clip fut réalisé par le fils de Bob Dylan) et Bruce Springsteen lui écrivit « Forward » en 2012. Comme à la grande époque de la beatlemania, une véritable obamania s’empara de l’Amérique dès 2008 et l’on vit fleurir un peu partout des memorabilias à l’effigie du président: posters, pin’s, t-shirts, casquettes, mugs, poupées et tout ce qu’il est possible d’imaginer. Un street-artiste, Shepard Fairey (auteur du fameux « Obey »), conçut l’affiche « Hope » qui est devenue depuis presque aussi célèbre que le poster de Che Guevara. Obama fit par ailleurs la couverture du comic Spiderman en 2009 (dont il avait confié collectionner les numéros) et, dans un tout autre registre, celle du magazine gay Out en 2015. Comment être plus cool? Sur YouTube circule d’ailleurs une vidéo intitulée « Barack Obama’s Coolest Presidential Moments » (« Les moments les plus cools de la présidence d’Obama »). 6. « Barack Obama dévoile ses films et séries de science-fiction préférés », Premiere.fr (10/2016).
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Comment expliquer un tel capital sympathie – auprès des Noirs et des progressistes il va sans dire, les réactionnaires blancs eux n’eurent de cesse de le diaboliser ? Sans aucun doute parce qu’il fut le premier président noir de l’histoire des États-Unis, mais aussi, assurément, parce que comme Kennedy il fut un président relativement jeune, père de deux fillettes et mari d’une délicieuse épouse à la fois charmante et intelligente. Pour ne rien gâcher, il est lui-même doté d’un charme certain, s’habille avec goût et a indéniablement la classe – ou le swag pour employer une expression plus appropriée au 21e siècle : 47 ans le jour de son investiture, 1 mètre 86 pour 79 kilos et une élégance à toute épreuve. Par ailleurs, au-delà même de ce rôle de président cool, c’est sa vie ellemême qui paraît étonnante de simplicité. Dans son autobiographie Les Rêves de mon père : l’histoire d’un héritage en noir et blanc initialement parue en 1995, à l’aube de sa carrière politique et alors qu’il n’était âgé que de 34 ans, il fait montre d’un véritable talent d’écrivain et se dévoile sans fard en retraçant son parcours accidenté, ses doutes et faiblesses, comme notamment lorsqu’il évoque cette époque où il se cherchait et durant laquelle il fumait des joints et à l’occasion ne refusait pas une ligne de coke, sans même parler de son goût pour l’alcool. Une franchise rare en politique. Aussi, dès le jour de son élection, devint-il instantanément une icône pop. On le retrouva par la suite dans des comics, des séries animés, des téléfilms et même au cinéma, et ce alors même qu’il occupait toujours ses fonctions de président. Les Simpson y firent bien sûr plusieurs fois allusion. Dans un épisode de 2010 de la série animée black The Boondocks, un Obama hyper-réaliste faisait un discours à la TV. The First Family, une sitcom de 2012, mettait elle en scène un président noir et sa famille, les Johnson, à la Maison-Blanche. Dans la comédie Meet the Blacks (2016) le président s’appelait El Bama. Dans Beyond the Lights (2014), l’aspirant politicien qu’incarnait
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Nate Parker (lui-même fervent supporter d’Obama) avait un livre sur son idole bien en vue dans son appartement. Au début de Barbershop 3 (2016), Ice Cube assistait à l’investiture d’Obama. Quant à Dear White People (2014), son héroïne intégrait des images du président dans son film d’étudiante. Bref, Barack Obama était partout durant ces huit années. Il eut même droit à plusieurs avatars comiques dans le fameux Saturday Night Live dès 2012. Au cinéma, comme on l’a dit, il fit partie du décor de nombreux films qui évoquaient l’actualité : dans Politics of Love (ou Love Barack, 2011), une militante démocrate engagée dans la campagne d’Obama et un militant républicain noir tombaient amoureux. The Obama Effect (« L’effet Obama », 2012), de l’acteur noir vétéran Charles S. Dutton, situait lui aussi son intrigue durant la campagne de 2008 : John Thomas (Charles S. Dutton), un père de famille et courtier en assurances quinquagénaire, est victime d’une crise cardiaque alors qu’il discute des prochaines élections. Il s’en sort indemne mais cherche dès lors un sens à sa vie et décide de s’investir totalement dans la campagne présidentielle de 2008 en faveur d’Obama. Ce faisant, il fédère derrière lui tout un ensemble de bénévoles dont son frère, tout juste sorti de prison, et son voisin et ami mexicain d’abord réticent. Au soir de la victoire historique il réalisera cependant qu’à l’instar de son pays il devra lui aussi changer et s’occuper davantage de sa famille qu’il avait jusqu’alors négligée.
The Obama Effect témoigne parfaitement de l’émulation qui accompagna toute cette époque et précisément les mois précédant la victoire du président noir. John est littéralement obsédé par Obama dont les portraits déclinés à l’infini en autant d’objets dérivés tapissent chaque centimètre de sa maison, au grand dam de son épouse et de ses enfants. L’illustre candidat apparaît d’ailleurs plusieurs fois dans le récit – interprété par un sosie plutôt ressemblant – mais souvent de dos ou en silhouette. Comme Elvis dans True Romance, il est en fait le fruit de l’imagination de John à qui il parle. Sauf à la
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toute fin du récit où ce dernier se retrouve dans le bureau ovale face à son héros, Barack, et à son épouse Michelle, qu’il remercie pour avoir changé sa vie. C’est cette même année 2012 où sort The Obama Effect, que Lee Daniels tourna Le Majordome dans lequel le président (le vrai cette fois) aurait dû faire une courte apparition à la toute fin, mais celui-ci était alors en pleine campagne pour son second mandat et dut décliner l’offre. Ainsi, jusqu’en 2015, le personnage d’Obama n’eut droit qu’à des rôles de figuration dans une poignée de productions noires. Signalons toutefois ce film indonésien Obama Anak Menteng (ou Little Obama) qui racontait dès 2010 les années que Barack passa à Jakarta entre ses six et dix ans avec sa mère et son beau-père indonésien. Mais en 2016, durant la dernière année de son mandat – était-ce parce que la nostalgie commençait déjà à opérer? – il devint en revanche un véritable personnage de fiction dans deux films américains qui lui furent entièrement consacrés : Southside with You de Richard Tanne (sorti en France sous le titre First Date) et Barry de Vikram Gandhi. Barry débute lorsque Barack Obama (Devon Terrell), surnommé alors « Barry », débarque à New York en 1981 à l’âge de 20 ans pour suivre des études supérieures à l’université de Columbia. Le jeune Barack se retrouve alors parachuté seul dans la Grosse Pomme et a quelque peu du mal à trouver sa place dans cette nouvelle vie et ce nouveau monde. Il rencontre pourtant Charlotte, une étudiante blanche issue d’un milieu aisé, et entame une relation avec elle. Entre-temps il se rapproche aussi d’un groupe de Noirs avec qui il joue au basket. Peu à peu, « l’homme invisible », comme ces derniers le surnomment, prend conscience du racisme de la société américaine, lui qui avait jusqu’alors échappé à cette réalité en habitant à Hawaï et en étant élevé par une mère et des grands-parents blancs. À la nouvelle de la mort de son père, tué dans un accident de voiture au Kenya, il se décide à quitter Charlotte, avec qui il a trop peu de choses en commun, et à assumer dorénavant pleinement qui il est, à savoir un Noir mais aussi un Américain à part entière.
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