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L’INTROUVABLE RECONNAISSANCE DU PEUPLE DU SAHARA OCCIDENTAL

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LA COLÈRE

LA COLÈRE

Martin Ugalde Chroniqueur

Lors de sa visite au Maroc, le 16 décembre 2022, la ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, a réitéré la position favorable de son pays envers le plan de Rabat sur l’autonomie du Sahara occidental. La diplomatie marocaine peut se vanter quesonplanproposéen2007,soitreçu aujourd’hui comme la proposition «la plus sérieuse, réaliste et crédible» par nombre de chancelleries européennes. Or si ce e issue au con it semble être la solution acceptée par la diplomatie européenne, elle demeure néanmoins LA solution marocaine au con it dénigrant toute voix au principal acteur concerné par ce plan : le peuple du Saharaoccidental.

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Sileplanmarocainadmetlareprésentation de ce peuple au sein d’une autonomie, la mise en place de celui-ci s’est réalisée en dépit de toutes les revendications du peuple sahraoui, conscient de lui-même et d’un sentiment identitaire qu’a toujours nié le Maroc. S’il est vrai que l’ensemble des tribus du Sahara occidental partagent des liens historiques et cultuels non négligeablesavecleMaghreb,ceslienss’avèrent bienplusprononcésaveclaMauritanie où les tribus sahraouies ont pendant longtemps sillonné son territoire. Ainsi Sahraouis et mauritaniens partagent unelanguecommune;lehassanya,distinctedeslanguesmaghrébinesetbiens des similitudes culturelles et sociales qui prouvent l’existence d’une certaine identitéculturellecommune. ment rien, car elle contient tout, et donnedesexemplesde tout.»comme le prétendent les mots de Paul Valéry. EtlaquestionduSaharaOccidentalest éminemment politique. En effet, gloriée par la « Marche verte » l’occupation du Sahara Occidental n’est pas le fruit d’un acte spontané. Hassan II, le roi marocain de l’époque, a délibérément pro té de la crise politique que traversait l’Espagne en 1975 pour lui soustraireunedesesdernièrescolonies enAfrique:leSaharaoccidental.

Mais nous devons appréhender ces questions historiques avec prudence, puisque souvent utilisées à des ns politiques, « L’Histoire justi e ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureuse-

L’ambition du Roi peut sembler à première vue économique puisque le Saharaoccidental est un territoire relativementricheenressourcesnaturelles. Ilpossède,eneffet,des mines dephos- phate et d’abondantes réserves halieutiques d’où la répartition actuelle de ce territoire où le Maroc occupe les li oraux et les mines en acculant les populations sahraouies réticentes à sa domination à l’intérieur des terres. Preuve d’une exploitation active, aujourd’hui, 80% des prises de pêche marocaines proviennent des côtes du Sahara occidental.

Mais ce facteur économique joue probablement un rôle mineur face aux enjeux politiques derrière l’annexion de ce territoire. Celle-ci s’inscrit dans une époque turbulente que traverse la couronne marocaine, son pouvoir est contesté, Hassan II vient de traverser une insurrection populaire le 23 mars 1965 et deux tentatives de coup d’État en 1971 et 1972. Il est manifeste, qu’à la recherche de légitimité politique et du charisme de son père Mohamed V, Hassan II ait cherché des soutiens parmi un mouvement nationaliste très populaire au sein du Royaume visant aurétablissementd’un«GrandMaroc »incluantleSaharaoccidental.

Ces revendications nationalistes ont trouvéunlargepublicauseindelapopulation marocaine et se sont matérialisées par la Marche Verte, soigneusement organisée parle Roi qui s’empare ainsi politiquement du mouvement, elle est ainsi présentée comme l’acte de libération du peuple sahraoui du colonisateur espagnol. Une interprétation romantique de l’Histoire qui n’a pas été perçue de lamêmemanière par les tribus du Sahara occidental pour lesquelles le roi s’est bien gardé de reconnaître leur identité particulière, et qui ontété « libérées bien malgré elles ».

Le mythe de la Marche verte nie toute possibilité de revendication identitaire au seinde la représentation idéaled’un Maroc uni é alors qu’un sentiment identitaire propre existait déjà parmi les populations du Sahara occidental comme le prouve la création de la République Sahraouie, représentante de ce peuple – nous y reviendrons – et revendiquant l’indépendance totale du Sahara occidental. Ces revendica- tionsontétéparlasuitegarantiesparla résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 14 décembre 1972 comme le « droit inaliénable à l’autodétermination et l’indépendance ». Or, l’annonce en 1974 d’un référendum organisé par l’Espagne sous les auspices de l’ONU et la possibilité d’un Sahara indépendant, pousse Hassan II à faire pression en organisant notamment la Marche verte l’année suivante satisfaisant ainsi les revendications nationalistesdesapopulation.Cequiouvrela porteaucon it.

L’Espagne cède alors face à la pression internationale et marocaine. Elle nit par négocier le dépeçage de son ex-colonie avec le Maroc et la Mauritanie aux dépens de ses habitants, les Sahraouis,quicommencentpourtantà se revendiquer eux-mêmes comme un peuple. Si les velléités d’indépendance ne font pas l’unanimité, les courants prônant une union avec le Maroc sont peu écoutés et assez peu représentatifs commele démontre lavolonté deconstruireun«peupleuni».

En 1975 est signé par l’ensemble des tribus sahraouies un pacte « d’Union nationale » destiné à me re n aux « temps des tribus » et proclamé « la naissance du peuple sahraoui ». Ce pacte prévoit la construction d’une organisation étatique supra-tribale reposant sur les critères d’une véritable identité collective. Pour la première fois,cespopulationsdisperséesfondent une organisation politique uni ée avec l’objectif révolutionnaire clairement affiché de rétablir un nouveau contrat social; une nouvelleidentitécollective, un nouveau rapport avec le pouvoir; la suppression des distinctions tribales et l’abolition du droit coutumier. Ce projetsematérialisepar laproclamationle 12 octobre 1975 de la République arabe sahraouie démocratique ( SD), un proto-état reconnu par l’Union Africaine mais non pas par le Maroc ni l’ONU révélateur cependant du projet politiqueetdel’identitépropredupeuplesahraoui.

Or la construction de ce e identité que l’on pourrait aisément quali er de

« nationale » n’est pas fondamentalement liée au ra achement culturel du peuple sahraoui mais au lien particulier qu’il entretient avec son territoire « clairement délimitée par des frontières ». L’identité nationale repose alors en grandepartiesurlesrevendicationsterritoriales. Pour reprendre les mots de l’historien Charles Maier à propos des États-Nations du XIXème siècle, elle est, comme ceux-ci, caractérisée par sa plus en tant qu’héritier des tribus nomades mais comme le peuple, au sens politique du terme,duSaharaoccidental qui réclame la souveraineté de son territoire à travers d’une organisation politique structurée. Le choc avec le sentiment nationaliste unitaire marocain semblait ainsi inévitable dès lors que celui-ci était prêt à imposer par la force sa souveraineté. Ce qu’il fît lorsqu’un mois après la marche verte, les

«facultéàterritorialiserleliensocialà l’intérieurde leurs frontières». L’identité collective des tribus du Sahara occidental s’est muée en un sentiment national institutionnalisé et supra-tribal se ra achant à des revendications territoriales précises. Le rapport territorial est ainsi inhérent à la construction de ce peuple qui ne se constitue troupesmarocainespénétrèrentdansle territoireduSaharaoccidental.

Seize ans après, les hostilités cessèrent par la signature d’un cessez-le-feu, le Maroccontrôlealorsles¾duterritoire du Sahara occidental dont l’ensemble des côtes où se concentrent les richesses halieutiques. Les sahraouis ont perdu la guerre, 120 000 d’entre-deux ont trouvé refuge dans des camps le long de la frontière algérienne, maintenus par le secours des organisations internationales. Ils y habitent toujours, sans possibilité de retourner dans leur patrie.

Vaincus militairement, les sahraouis se voient aujourd’hui peu à peu dépossédés de l’une des rares revendications qui les unit en tant que nation : l’indépendance. En effet, leur droit à l’autodétermination est de moins en moins reconnu par des États étrangers comme les États-Unis qui ont reconnu en 2020 la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en contrepartie de la reconnaissance officielle de l’Etat israélien par le Maroc. Un accord peu contraignant pour le Maroc, qui entretenaitdéjàdesrelationsofficieusesavec l’État hébreux notamment en matière de ventes d’armes utilisées pendant ce con it. Ce e victoire diplomatique marocaine donne ainsi de nouvelles ailesàsonpland’autonomie.

La diplomatie marocaine passe alors à une vitesse supérieure multipliant crises diplomatiques a n de faire reconnaître son plan d’autonomie comme la seule solution possible ou du moins comme la « base la plus sérieuse, réaliste et crédible » (voir note 1ère page) au con it. C’est ainsi que le Maroc a

Ladiplomatiemaghrébineaemployéla même méthode lors du sommet entre l’Union-Africaine et le Japon où elle a accusé la Tunisie, pays hôte de l’évènement, d’avoir invité unilatéralement le représentant de la SD (République Sahraouie) alors que celle-ci est membredel’UnionAfricaine.LaTunisieen rappelé pour consultation son ambassadeurenAllemagneen2021alorsque ce e dernière avait critiqué le revirement de Washington sur la question du Sahara. Les relations diplomatiques n’ont repris que lorsque l’Allemagne s’est nalement raba ue sur une positionfavorableauMaroc. a fait nalement les frais avec le rappel de l’ambassadeur marocain pour consultation et le boyco du sommet par Rabat. La pression marocaine sur l’Espagne s’est révélée particulièrement intense sur la frontière terrestre qui séparelesenclavesespagnolesdeCeuta etMelillaavecleMaroc.

Ces dernières ont été fermées avec le Covid-19mais l’État marocain arefusé delesrouvrir(alorsquesesautresfrontières européennes ont été rouvertes), asphyxiant ainsi économiquement les deux villes espagnoles, jusqu’au revirementdu gouvernementespagnolsurla questionduSaharaoccidental.

D’autre part, nousne pouvons négliger le rôle majeur de l’utilisation, moralement condamnable, de migrants comme moyen de pression. En effet, à plusieurs reprises, sur le long terme comme de manière ponctuelle, la police marocaine a utilisé ces migrants, désireux d’a eindre l’Europe, dans le but avéré de faire basculer le gouvernement espagnol. Nous pouvons citer la soudaine passivité des gendarmes marocains postés à la frontière de Ceuta qui ont laissé passer 8 000 migrants, voire leur auraient « ouvert une porte grillagée pour faciliter le passage »,pendantlanuit du 16au17 mai 2021. Le 18 l’ambassadrice marocaine déclarait à Europa press (agence depresseespagnole):«ilyadesactes qui ont des conséquences et que l’on doit assumer ». En effet, l’Espagne venait d’hospitaliser sur son territoire en le leader sahraouis Brahim Ghali pour desraisonsmédicales.

La police marocaine effectua une manœuvre similaire l’année suivante lorsqu’elle conduisit et accula à un postedefrontièredeMelillaungroupe conséquent de migrants, repoussés par delapressionmigratoire s’inscritsurle long terme. Ainsi depuis le revirement de l’Espagne sur la question du Sahara occidentalenmars2022,l’immigration clandestine via le Maroc a diminué de 16,5%entre2021et2022,preuvedela coopération conditionnelle de Rabat en matière de migration. C’est donc en jouant principalement sur la carte migratoire et des frontières que le Maroc a obtenu l’adhésion de l’Espagne à lapoliceespagnole,frappésetba udes deux côtés, 28 d’entre eux trouvèrent la mort comme le montre une enquête menée par un partenariat entre « Lighthouse Reports », « El Pais », « Der Spiegel » et « Enass » (dont je recommande fortement le visionnage de la vidéo du monde). Outre ces épisodes ponctuels ce e « diplomatie » son projet pour le Sahara occidental. La diplomatie marocaine peut alors se vanterdepossédernombredesoutiens d’États étrangers qui reconnaissent le Saharaoccidentalcommeterritoireautonome sous souveraineté marocaine. Elle lui manque cependant l’accord du principalacteurconcernéetaveclequel elles’estbiengardéedenégocier,lepeu- ple de ce même territoire; les Sahraouis.CedontmêmeluiareprochélaCour de Justice de l’Union Européenne, qui n’admet pas de realpolitik, à propos, il est vrai, non du plan d’autonomie mais d’unaccorddepêcheMaroc-UEqu’elle aannuléen2019.

Constante de l’a itude de l’État marocain, la non-reconnaissance des populationssahraouiesetdeleursreprésentants en tant qu’acteurs politiques indépendants, s’est matérialisée par une présencesur leur territoire acquise par les armes et par une activité diplomatique tenace, davantage préoccupée par la recherche de soutiens auprès de la communauté internationale qu’à négocier directement avec le peuple du Sahara. Les mots de Foucault, « La politique est la continuation de la guerrepard’autresmoyens»évoquent les victoires que n’a pas su remporter l’armée marocaine. Le projet de l’autonomie du Sahara, décrit comme une solution « sérieuse, réaliste et crédible » par les chancelleries européennes et états-uniennesestlevéritabletriomphe quiparachèvelecon it.

S’il est évident que le plan de l’autonomie est une construction marocaine qui s’est imposée au peuple sahraoui, il est peu probable que le Royaume du Maroc, en situation de force quasi-hégémonique, négocie des concessionsaupeupleduSahara.Laquestion d’une solution à mi-chemin entre l’autonomie promue par le Maroc et une République Sahraouie indépendante ne se pose même pas. Rabat ne négociera probablement jamais avec un acteur politique qu’il n’a jamais reconnu et encore moins à diviser le Sahara occidental qu’il contrôle quasiment en sa totalité. Nous devons malgré tout con- sidérerl’espéranced’uneindépendance futurecommel’unedesseulesrevendications qui unit encore la nation sahraouie divisée par les trajectoires et les expériencessingulièresdesesindividus ainsi que la dispersion de sa diaspora dans le monde. Comment est-il alors possible de négocier avec ce e nation embryonnaire, tuée dans l’œuf et condamnée à disparaître? Il n’en reste pas moins que 120 000 réfugiés vivent encore dans des camps précaires, maintenusparlaseuleaidehumanitaire,etce ne sont pas des soldats pour la plupart mais des familles. Ils réclament un territoire que l’on leur a ôté par la force. Leurs voix doivent être écoutées et leurs revendications reconnues a n de discuter d’un possible retour même si ce n’est pas dans un Sahara intégralementindépendant.•

3 février 2023. Les autorités péruviennes con rment la mort de plus de 60 personnes liées à la violence des manifestations sociales au Pérou, qui ont débuté le 7. Ces protestations se concentrentdanslesrégionsruralesdu sud du pays mais se propagent rapidement vers le cœur de Lima, où vit un tiers des citoyens péruviens. Dans les rues, on entend de plus en plus souvent le slogan “ Qu’ils partent tous “. Mais que s’est-il passé ce 7 décembre ? Racontons dans l’ordre chronologique les événements qui ont conduit à ce e datecritique.

Une brève chronologie des événements les plus importants

Au milieu de l’année 2021, des élections législatives et présidentielles se sont déroulées au Pérou. Au premier tour de l’élection présidentielle, Pedro Castillo est désigné vaincqueur., Iidéologiquement orienté à gauche, il obtient 15,3% des suffrages exprimés. Faitpertinent:lepourcentagedevotes nuls et annulés a a eint 18,7 %, c’està-dire que le nombre de votes nuls et annulés a dépassé celui du candidat gagnant. Cela implique un mécontentement important des citoyens vis-àvis de la classe dirigeante ainsi qu’une grande atomisation de la politique péruvienne.

Ce dernier point est corroboré par les résultats des élections législatives, qui ontaboutiàlarépartitiondessiègesentre dix partis au sein du nouveau Congrès et ont donc empâché la constitutiond’uneforcepolitiquemajoritaire

La campagne pour le second tour des élections présidentielles a été caractérisée par une forte polarisation des citoyens,divisésentre“anti-fuji morisme”et“anti-communisme”.

Pedro Castillo a devancé Keiko Fujimori, candidate du parti d’opposition de droite et lle du controversé Alberto Fujimori, auteur de l’auto-coup d’État de 1993. Toutefois, la différence a été minimale : 50,1% des voix contre 49,9%.

La forte polarisation de la société et l’absence de majorité parlementaire ontentraîné,dèsledébutdugouvernement de Pedro Castillo, la poursuite d’une guerre politico-institutionnelle de longuedateentre l’exécutif etlelégislatif.Undilemmeclassiquededouble légitimitédanslesrégimesprésidentiels d’Amérique latine, où les outils institutionnels à disposition sont utilisés par le Congrès pour entraver et ralentir le programmedugouvernement.

Le 12 octobre 2022, Patricia Benavides, procureur général du Pérou, a déposé une plainte constitutionnelle contre le président Pedro Castillo, l’accusant de diriger une organisation criminelle. Elle a demandé suspension a ndelejuger.Toutefois,selonl’article 117 de la Constitution péruvienne, le président ne peut être suspendu/révoqué que pour “trahison ; pour entrave aux élections présidentielles, parlementaires, régionales ou municipales ; pourdissolutionduCongrès,saufdans les cas prévus à l’article 134 de la Constitution, et pour entrave à sa réunion ouàsonfonctionnement,ou àceuxdu Jury national des élections et d’autres organes du système électoral”. Nulle part n’apparaît lapossibilité de suspensionpourlescausesémisesparPatricia Benavides.

Néanmoins, la procureur a fait valoir que,étantdonnéquelePérouestsignataire de la Convention des Nations uniescontrelacorruption,unemotionde vacance de poste sous prétexte de corruption pourrait acquérir une portée constitutionnelle. Dans un premier temps,c’est auCongrèsdeseprononcersurlavaliditédelademandeduprocureur.Danslecasoùlelégislatifaurait donné son feu vert pour poursuivre la procédure,PedroCastilloauraitpudemander protection au tribunal constitutionnel.

Ainsi,le7décembre,undébatauCongrès sur la possibilité d’une motion de vacance pour corruption contre le président Pedro Castillo devait avoir lieu. Il ne s’agit pas d’un événement exceptionnel. M. Castillo a subi trois tentatives de vacance de poste depuis juillet 2021 et donc au cours des dix premiersmoisdesonmandat. Quelques heures avant la session législative, Pedro Castillo a publié un communiqué à la nation péruvienne annonçant la dissolution temporaire du Congrès ; la convocation de nouvelles élections législatives pour la formation d’un Congrès constitutif ; la mise en place d’un état d’urgence avec un couvre-feuetoùl’exécutifgouverneraitpar décret-loi.Desresponsablesthéoriquement proches et alliés de Pedro Castillo, dont sa vice-présidente Dina Boluarte, ont quelques minutes plus tard annoncépubliquementleur désaveu du communiqué publié par Pedro Castillo. Les forces armées se sont rangées à leur tour du côté du Congrès.SiellesavaientsoutenuPedro Castillo,lasituationauraitpeut-êtreété différenteaujourd’hui.

Face à ces événements, la population péruvienne est profondément divisée. D’unepart,lespartisansde PedroCastillo considèrent la motion de vacance delaprésidencecommeuncoupd’État du Congrès. De l’autre côté, les partisansdel’oppositiondedroiteaffirment que la déclaration de Pedro Castillo était une tentative d’auto-coup d’État anticonstitutionnel. Qui a raison ? Qui est le méchant de l’histoire? Il est nécessairedecomprendrequ’il n’existe pas de coupable unique et absolu. En effet, l’ensemble de la classe politique estenpartieresponsabledece ecrise.

À la suite des annonces controversées de Pedro Castillo, il a été décidé au Congrès d’utiliser la session prévue pour le débat sur lamotion de vacance pour corruption et l’interprétation de la Convention des Nations unies contre la corruption pour aborder une autre question que les législateurs considéraient comme plus urgente : la tenue d’un vote non programmé sur une motion de vacance présidentielle pour “incapacité morale”. Avec 101 voixpour,6contreet10abstentions,le président fut ce jour même démiss de sesfonctions.

Quelques heures plus tard, la à résent ex vice-présidente Dina Boluarte est devenue la première femme présidente du Pérou. L’ancien président Pedro Castillo, qui, en théorie, n’est plus en fonction et ne béné cie plus de l’immunité, a été arrêté alors qu’il tentait de rejoindre l’ambassade du Mexique pourdemanderl’asilepolitique.

Responsabilité du Congrès

Les actions du législateur, avec la complicité du pouvoir judiciaire, sont répréhensibles. Pas spéci quement à cause du vote sur la vacance du poste de président lui-même ou de sa destitution. A priori, cela est conforme à la constitution péruvienne, malgré certaines irrégularités*. Paradoxalement, cela constitue le problème lui-même. Sanss’écarterapparemmentdelalégalité, le Congrès a pu utiliser les mécanismes de pouvoir institutionnels à sa disposition pour ses propres intérêts partisans. Une utilisation cumulative des pouvoirs institutionnels qui n’a pas cherché à servir de contrepoids au pouvoir de l’exécutif, mais plutôt à le me reentrelemarteauetl’enclume,en l’immobilisant et en l’empêchant d’exercer ses fonctions les plus fondamentales. Ce e orchestration d’un “coup d’État politico-institutionnel”, dont le corps législatif avait déjà préparé les jalons, a nalement abouti parce que Castillo a fourni une excellente raison d’êtredémisdesesfonctions.Maisl’intentionétaitlàdèslepremierjourdela prisedefonctiondel’ex-président.

La liste des actions malveillantes est longue mais voici les plus remarquables : après les résultats du scrutin de 2021,lespartisd’oppositionontaccusé PedroCastilloetsonparti,lePérouLibre, de fraude électorale.Ceci aété totalement démenti par les organisations internationales et ne fut rien d’autre qu’une tentative de délégitimer Castillo.LeCongrèsaensuitemisdesbâtons dans lesroues pourque le présidentne puisse pas former un gouvernement. De plus, il a refusé mécaniquement de donner son feu vert pour toute initiative de l’exécutif, en paralysant ainsi l’action politique. A plusieurs occasions,leCongrèsn’apasautoriséPedro Castilloàeffectuerdesvoyagesofficiels à l’étranger avec des explications farfelues. En outre, le pouvoir législatif a tenté de déme re le président de ses fonctionsoudelesuspendreà plusieursreprises.Lalistepourraitcontinuer.

Responsabilité

Du Pouvoir Judiciaire

Pedro Castillo et son entourage ont égalementétéaccusés decorruptionet d’infractions diverse. Ces accusations contre le gouvernement ont nécessité l’interventiondupouvoir judiciaire, dont le rôle a été extrêmement actif et non-partial. Le cas leplus représentatif est celui de la procureure Patricia Benavides qui, comme nous l’avons évoqué, aaccusé PedroCastillo de diriger une organisation criminelle. Il y a des raisons de croire que ce e accusation a été faite pour des raisons politiques a n d’augmenter la pression pour une nouvelle motion de vacance contre le président, surtout si l’on considèrequel’article117dela

Constitution ne permet pas de suspendre un président pour les raisons invoquées par Patricia Benavidsez. La procureureelle-mêmeaunpasséquestionné:elleaétéaccuséed’avoirorganisé des changements dans les nominations deprocureurs a n de faire classer l’affaire contre sa sœur Emma Benavides, une juge accusée de liens présumésavecdestra quantsdedrogue. Cela ne veut pas dire que Pedro Castillo ne puisse pas être coupable de ce dont il est accusé, ni que Patricia Benavides soit coupable de facto. Il s’agit simplement d’un exemple qui nous permet de douter de l’impartialité et de l’absence de corruption au sein du pouvoirjudiciaire.S’ilétaitsiimpartial, le pouvoir judiciaire ne devrait-il pas intervenir aussi rapidement pour mettre n à la violence de la police et des forcesdel’ordrelorsdesmanifestations contre le nouveau gouvernement, qui ont fait tant de blessés et de morts ? Si ces protestations avaient été dirigées contre Pedro Castillo, le pouvoir judiciaire aurait été beaucoup plus prompt àcondamnerl’illégalité des actionsdes forcesdel’ordre.

Il semble que le pouvoir judiciaire soit complice des forces d’opposition de droite et n’hésite pas à être leur plus dèle serviteur, utilisant sans scrupule tousles moyens légaux àsadisposition dansleseulbutdeneutraliserunadversaire. Il ne s’agit pas d’insinuer que le pouvoir judiciaire a tort d’enquêter sur les hommes politiques ou de suivre de près leurs actions a n de se prononcer sur leur légalité. Ce qui m’interroge, ce sontlesraisonsbiaiséespourlesquelles elle le fait. Le système judiciaire est totalementpolitiséetfonctionnecomme un “parti politique doté de pouvoirs gouvernementaux”.

Responsabilité de Pedro Castillo

Le fait que je me sois permis de critiquerlepouvoirlégislatif etle pouvoir judiciaire n’implique pas que je considère l’exécutif comme étant une victime innocente. Bien au contraire. Le contenu du communiqué présidentiel décembre est inconstitutionnel et les démarches de Pedro Castillo peuvent donc être quali ées d’a einte à l’Etatdedroit.L’article134delaconstitution stipule que le président ne peut dissoudreleCongrèsquesicelui-cia et facile à neutraliser) et où l’objectif principal du pouvoir judiciaire n’était pas d’être un troisième pouvoir indépendantetimpartial. établien’apasdeconstitution”.Ilyaun besoindechangement. censuré ou refusé la con ance à deuxConseilsdesministres.Celanes’estpas produit sous le gouvernement de Castillo. Le Congrès a refusé au Premier ministre Anibal Torrez de présenter une question de con ance et Pedro Castillo a interprété cela comme un refus de con ance etdonc comme une chute du gouvernement. Même si la légalitédel’interprétationduprésident faisaitl’objetd’undébat,ilfaudraitqu’il yaitundeuxièmerefusdecon ancedu Congrès au Conseil des ministres, ce qui ne s’est pas produit. La décision de Castillo de dissoudre l’organe législatif estpar conséquentillégale.En outre,la Constitution ne permet pas au président de convoquer des élections pour laformationd’un Congrès CONSTITUANT,chosequ’ilatentédefaire.

La responsabilité du design institutionnel dans la crise

Le président, malgré l’illégalité de sa procédure, n’a pas tout à fait tort de penserquepourtenterdefavoriserune plus grande cohésion sociale et me re n à la crise sociopolitique du Pérou, il est nécessaire de promouvoir un changementdeconceptioninstitutionnelle. En effet, l’incapacité à gouverner etlamé anceàl’égarddupouvoirjudiciaire pourraient découler en partie de laConstitution péruvienne elle-même, dont la légitimité est remise en question. Elle a été adoptée sous le régime autoritaire d’Alberto Fujimori en1993, où la capacité de résistance des forces politiques opposées était presque nulle (d’où un pouvoir législatif fragile

Depuis la transition démocratique de 2001, divers secteurs politiques, notamment ceux de gauche, se sont battus pour une modi cation partielle ou totale de la constitution de 1993. Les partis de droite refusent de le faire car ils y voient une “menace pour la démocratie”. Ce e crainte est légitime auxyeuxde certains.LePérouaconnu 12constitutionsdepuissafondationen tant qu’État et chacune d’entre elles ne semblait pas répondre à un projet des citoyens, mais aux caprices et aux ambitions d’une classe politique particulière pour légitimer un gouvernement defacto.

Ainsi, la rédaction d’une constitution est associée à un régime autoritaire commeceluideFujimori,etnonàl’instauration de la démocratie et de l’État de droit. Qui peut garantir que l’initiative constituante de Pedro Castillo ne seseraitpassoldéeparuneexpérience

Cependant, comme l’affirment les chercheurs Maxwell A. Cameron et Paolo Sosa-Villagarcia, une Constitution est aussi un “document vivant”. C’est-à-dire qu’il faut non seulement rédiger une constitution adaptée à la réalité actuelle du Pérou, mais aussi la faire respecter. Pour éviter que la Constitution agonise, il faut que les élites politiques des deux camps aient la volonté de respecter ce document. Cela implique une interprétation raisonnabledelaconstitution,etnonune approchebiaiséequiviseàannulerl’adversaire pardes mécanismes tels quela fermeture du Congrès ou la vacance présidentielle. Il est difficile d’envisager une réforme constitutionnelle si les hommes politiques pro tent directement du système institutionnel pour s’emparerdupouvoir.

C’est pourquoi le peuple doit être très ferme dans sa volonté de changement constitutionnel a n d’amener les classes politiques à accéder à sa demande. Mais, selon Cameron et Sosa-Villagracia, les Péruviens sont dans un moment “destituyente” (voir tous démissionner) et non “constituyente” (constituant). Le slogan “Que sevayan todos” (“Qu’ils partent tous”) montre une lassitude politique évidente qui ne s’accompagne pas nécessairement d’un espoir de construction d’un pacte démocratiquepaci cateurparlebiais similaire à celle de Fujimori ? Cependant, restreindre la possibilité d’exercer lepouvoirconstituantpeutêtreencore plus antidémocratique. D’autant plus que la constitution actuelle ne garantit pas un réel équilibre et une séparation des trois pouvoirs et, comme le dit la DDHC, “Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée et la séparation des pouvoirs n’est pas d’une nouvelle constitution. Il est évident que ce changement constitutionnel ne serait pas le remède magique et dé nitif à ce e crise socio-politique profonde mais il pourrait être une réponsepouressayerde “redémarrerle système”.•

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