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LA COLÈRE
by Le Zadig
Sivousn’êtespasFrançais,vousavezprobablementétésurpris, agréablementjel’espère,parl’ampleurdurassemblementdu jeudi 19 janvier, suite à l’appel de l’intersyndicale des huit principaux syndicats en France. Ce plan de réforme des retraites, Emmanuel Macron entend le faire passer depuis sa première campagne présidentielle, en 2017. A la seule différence qu’à l’époque, il prome ait de ne pas toucher à l’âgededépart.“Nousn’ytoucheronspas,”écrivait-ilnoirsur blancdanssonprogramme.Ilsouhaiteaujourd’huirepousser la retraite à 65 ans, en retardant de 4 mois supplémentaires par an jusqu’en 2031. C’est la dégradation du système nancier des retraites qui aurait poussé le gouvernement à virer de bord en 2019, avant qu’il ne propose en mars 2020 son projet de loi consistant à repousser l’âge de la retraite, à supprimer les régimes spéciaux qui perme ent de partir plus tôt, et à assurer à chacun un minimum de 1100 euros deretraite,c’est-àdireenvironleseuildepauvretéenFrance. Cependant, face aux mobilisations massives qui avaient ni par bloquer une partie du pays, le gouvernement avait été contraint de repousser la réforme, jusqu’à ce que le coronavirus ne paralyse le pays pour de bon. La réforme a donc été mise en suspens face à l’urgence sanitaire, puis par lacampagne présidentielle de 2022, durant laquelle il aurait été de bien mauvais goût de s’obstiner à faire passer une réformeimpopulaire.
Ala ndel’année2022,legouvernementBornereprendson projetdeloisurlesretraitesaprèsavoirfaitpasserl’intégralité de sa loi budget 2023 à l’aide d’une série de dix 49.3, annihilant le débat parlementaire jugé contre-productif, paralysant et nuisible. L’enjeu était d’empêcher les députés devoterlaloienl’amendant,enlamodi ant,etdelafaire passer immédiatement telle quelle selon les souhaits du gouvernement.Laloiendébatestuneloiditedemodi cation duprojetdesécuritésociale,etrentreparconséquentdansle champdel’article44-1,quipermetàtermeaugouvernement de faire passer sa loi par ordonnances si après quelques dizaines de jours, les parlementaires ne votent pas le projet deloi.
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Le Gouvernement Avait
Contraint
Les arguments du gouvernement en faveur de ce e réforme reposent sur le fait qu’on vive plus longtemps, et que parce que l’espérance de vie augmente, alors nous reversons plus longtemps des retraites. Les caisses seraient alors déséquilibrées entre le nombre d’années de cotisation et le montant des pensions. A cela, les syndicats répondent que l’espérance de vie en bonne santé n’a pas augmenté, stagnant à environ 66 ans et que donc les travailleurs ne peuventpasjouirdeleurretraitepleinements’ilssontalités, malades,affaiblis,et que le butde leurexistence n’est pasde travailler jusqu’à la mort, où jusqu’à l’incapacité. Ils clament qu’un autre chapitre de la vie s’ouvre après la carrière professionnelle,etqu’ilseraitinjustedelesforceràtravailler jusqu’à la maladie. De plus, environ un tiers des travailleurs lespluspauvressontdéjàmortsàl’âgede65ans,carilssont exposésàdesrisquessanitairesouphysiquesbienplusélevés que la moyenne. Il semble en effet censé de ne pas laisser partir un cadre supérieur au même âge qu’un ouvrier du bâtiment:quirêve desefaire réparersontoitparquelqu’un quipourraitêtrenotregrand-père?Quipeuttolérerqu’une femme de 66 ans ne oie dessalles de classede 6h du matin à22h?
Lessyndicatsontdoncappeléunanimementàlagrèvele19 janvier 2023, faisant dé ler policiers, in rmières, pompiers, professeurs, étudiants, retraités, cheminots dans les rues du pays. Alors en visite en Espagne, Emmanuel Macron a réponduresterfermesursespositions.
Voilàpourlesfaits.Maintenant,immergeons-nousdansle cortègeniçoisdu19janvier,pourécouterlacolèredelarue. Lorsque10hsonne,laplaceMassénaestdéjànoiredemonde, d’autant plus que les estrades installées pour le carnaval de Nice qui doit avoir lieuprochainement réduisent largement l’espacedisponible.Entête,laCGT,ConfédérationGénérale des Travailleurs, créée en 1905, autrefois proche du Parti Communiste français et aujourd’hui deuxième syndicat de France,ouvrelamarche.Lesspeakerstententdecommencer àfairechanterlesmanifestants,maisl’heuresembleêtreaux retrouvailles des collègues, amis et vieilles connaissances qu’on est agréablement surpris de croiser dans le cortège. Les manifestants qui dé lent sous les drapeaux de la CGT sontdetouslesâges,maisoncroiseicipeud’étudiants. Des jeunes enfants, des grands-parents, des parents. Trois générations. “Maman ! A ends-moi, t’as besoin d’aide”, s’exclame une quarantenaire qui tient un enfant par la main. “J’en ai fais plus que toi, des manifestations !”, lui répond la grand-mère, qui a épinglé pour l’occasion des pin’s de la CGTsursonmanteau.
TraverserlaplaceMassénaencejeudiensoleillérelèvede lavéritableépopée;lecortègenes’estpasencoreélancé,les syndicatssontenrangsserrés.Degrandssouriresbarrentles visages des badauds qui se sont rassemblés, et qui semblent soulagésdetrouverune masseencolèrecontreuneréforme qu’ils jugent injustes. Les syndicats de police sont aussi présents dans le cortège, eux concernés par un report de 57 à 59 ans de l’âge de départ. Derrière eux, les pompiers ont barré leurs uniformes d’énormes inscriptions. GRÈVE. Ils sont plusieurs dizaines, semblent joyeux, et se mélangent volontiers aux syndiqués de Solidaires, rassemblés autour d’un énorme ballon rose portant l’inscription du syndicat. La musique résonne, emplit les cœurs, mais elle peine à faire danser plus d’une dizaine de personnes. Sur le camion du syndicat, une femme danse une valse avec un pompier exalté,toutentenantunverredebière.Unefemmelance“ça fait plaisir de voir des jeunes ! On se bat autant pour vous quepournous!”.
Juchéesurunpoteau,jeparviensàavoirunevued’ensemble de la n du cortège. La NUPES, Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale s’organise, étend sa banderole, distribue ses tracts, tandis que les quelques militants du Nouveau Parti Anticapitaliste font de même. Les élus communistes ont eux aussi leurs banderoles, et annoncent le soir-même une réunion de quartier pour discuter de la réforme. Traditionnellement, les partis politiques ferment les cortèges des manifestations organisées par les syndicats. IlyamêmedesreprésentantsducomitéantifascistedeNice, qui tiennent à faire savoir leur présence en sillonnant la n du cortège avec leur unique drapeau noir. Ils s’adressent à notre petit groupe, semblent heureux de voir des jeunes. “Vous venez de Menton ! C’estbeau. Ah, je connais bien làbas. Beaucoup d’extrême-droite. Et puis,c’est la ma a là-bas
La manifestation se nit dans le calme, les manifestants se dispersent. Le groupe de rock du syndicat des enseignants continue de faire chanter et danser les manifestants et les badauds.Finalement,lerassemblementsembleavoirinsufflé un peu d’espoir aux citoyens mécontents. Ils se ba ent. Ils continueront à le faire. Pour nous. Pour vous. Et pour les autres.
“Je ne veux pas enrichir les milliardaires qui niquent la vie sur Terre !”, brandit un retraité. Le dessin de presse qu’il a imprimé représente le monde de 2030 après certaines réformes récentes, en écho au “plan 2030” annoncé par le président. Les violences conjugales, le manque de médecins, l’âge de départ à la retraite, ainsi que le cabinet de conseil McKinsey, qui conseille et facture le gouvernement, sont dénoncés.
Le camion du syndicat interprofessionnel Solidaires..
Au premier plan, un sapeur- pompier en uniforme qui a inscrit “GREVE” sur son dos. Ils sont nombreux à se mobiliser contre la réforme, eux aussi touchés par une modification de leur régime spécial de départ à la retraite. A gauche, un drapeau de l’union syndicale Solidaires dissimule la première lettre du mot, ne laissant apparaître que “RÊVE”.
Après une heure et demie passée à rosir sous le soleil hivernal de la Côte d’Azur,. la queue de cortège s’élance enfin..
On semble mettre un point d’honneur à ne pas mélanger les di érents cortèges, même si l’heure est à la fraternité. Le camion de Solidaires est annoncé par deux hommes qui tiennent à bout de bras des fumigènes, tandis qu’une dizaine de personnes continuent de danser en avançant.
Un étudiant de Sciences Po brandissant une pancarte..
Il avance parmi les fumigènes des syndicats, pour sa première manifestation. Les étudiants sont mobilisés contre cette réforme, car, “à ce rythme là, [on aura] plus de retraites du tout ! Tous les cinq ans, ils repoussent l’âge de deux, trois ans. Je ne veux pas avoir à choisir entre mes études et ma retraite.”
Le cours Masséna le 19 janvier à Nice.
Au fond à droite, le ballon du syndicat Solidaires, en queue de cortège, juste devant les partis politiques qui défilent traditionnellement en dernier. A gauche, le syndicat majoritaire de l’éducation nationale, le SNES-FSU, avait apporté pour l’occasion un mannequin géant représentant Emmanuel Macron, et le lançait en l’air à l’aide d’un drap blanc.
Le «bloc syndical» de la police nationale, . composé d’Alliance-Police nationale (CFE-CGC) et de la branche police de l’Unsa défilaient entre la CFDT et les pompiers dans le cortège de Nice, le jeudi 19 janvier. Les policiers n’ont pas le droit de grève, mais ils sont aussi concernés par la réforme. Les policiers hors-service ainsi que ceux pouvant poser des heures de congés étaient appelés à se mobiliser. Bénéficiant d’un statut spécial concernant le départ à la retraite, la police nationale voit cet avantage lié aux risques du métier menacé par la réforme.
Une pancarte brandie le 19 janvier à Nice. .
Elle représente Emmanuel Macron et Élisabeth Borne en couple tyrannique dépeint par Victor Hugo dans Les Misérables. Dans le roman, ils maltraitent la jeune fille dont ils ont la charge et l’exploitent. Sur la pancarte : “Je sors la matraque”, “Je leur pète la retraite”, “Je leur coupe le courant”, “Je sors le 49.3”, disent les deux personnages, comme s’ils rivalisaient d’ingéniosité pour maltraiter le peuple, transformé en Causette. Les sou rances d’une partie de la population sont citées sur cette a che comme une “punition collective”, comme si un enfant avait désobéi à ses parents.•