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SO FAR, SO CLOSE
1979 — 1990
BRITAIN IS GREAT AGAIN !
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Les élections générales de 1979 portent Margaret Thatcher au pouvoir. Tout au long de ses trois mandats, la «Dame de fer 26 » applique une politique de rupture marquée par un libéralisme économique. Si l’inflation est contenue, le nombre de chômeurs ne cesse de croître (3,3 millions début 1983), tandis que le pays perd 15% de sa capacité industrielle entre 1979 et 1981 27 . Les crises intérieures sont nombreuses : longue et violente grève des mineurs (1984-1985), attentats de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (Irish Republican Army – IRA) 28 … Moquée par une partie croissante de l’opinion, elle est notamment la cible du mouvement punk 29 et voit les critiques et parodies se multiplier. Vivienne Westwood s’illustre ainsi en une du magazine Tatler d’avril 1989, métamorphosée en «Maggie 30 ». Une nouvelle réforme fiscale exacerbe les oppositions et entraîne sa démission en 1990.
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À l’international en revanche, Margaret Thatcher replace son pays au cœur du jeu diplomatique. La victoire aux Malouines (avril-juin 1982) constitue un coup d’éclat remarqué 31 : Britain is great again 32 . Elle obtient le rabais britannique pour la contribution financière versée à la Communauté européenne (1984), popularisé par la célèbre phrase apocryphe «I want my money back» 33 . Après un alignement sur l’anticommunisme américain, elle développe une relation particulière avec Mikhaïl Gorbatchev, permettant ainsi au Royaume-Uni d’ouvrir une voie singulière entre les deux blocs.
2 1 Margaret Thatcher, 1979
2 Vivienne Westwood en Margaret Thatcher, Tatler Magazine, avril 1989
(coll. Lee Price) — cat. 112
westwood, mcLaren et l’esthétiQue dU PUnK
La détonation punk résonne au milieu des années 1970 en réaction à des valeurs sociétales étouffantes et à un climat économique dégradé. Associée à la jeunesse urbaine, la culture punk écarte le mouvement hippie et clame son nihilisme. Les punks — pour «voyous» ou «bons à rien» — repoussent toujours plus loin les limites de la provocation, remettant en cause l’Establishment dans leur sillage chaotique. S’exprimant dans la musique, la mode ou le graphisme, le Punk se nourrit des subcultures précédentes, mais s’en distingue par sa radicalité, son inventivité et sa postérité. Depuis leur boutique établie 430 King’s Road à Londres, Vivienne Westwood et son compagnon, le controversé Malcolm McLaren, sont les artisans de ce phénomène majeur. Passerelle entre les foyers new-yorkais et londoniens du Punk, ils insufflent au mouvement ses références politiques et cisèlent son esthétique. Les Sex Pistols diffusent un concept élaboré par le couple, mais porteur des aspirations de toute une génération.
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Le laboratoire du 430 King’s Road
1971 marque un tournant pour le duo formé par Vivienne Westwood et Malcolm McLaren, respectivement âgés de 30 et 25 ans. Vivienne démissionne de son poste d’enseignante et acquiert une machine à coudre Singer. Malcolm tourne la page des écoles d’art, qu’il fréquentait depuis la fin de l’adolescence 3 . Depuis quelque temps déjà, une passion commune pour la mode les conduit à arpenter les trottoirs de King’s Road durant le weekend. Cette artère londonienne, située dans le quartier de Chelsea, est alors un lieu de shopping alternatif recherché, accueillant des boutiques développées autour de concepts, telles Granny takes a trip, Hung on you ou Mr Freedom. Sous l’influence de Malcolm, Vivienne adopte une apparence de plus en plus élaborée, notamment en affichant une coupe de cheveux courte et décolorée. Son look détonne dans le paysage londonien alors submergé par la vague hippie, que rejette le couple avide de rébellion. Il se reconnaît davantage dans le revival fifties, plus confidentiel, qui essaime également en ce début des années 1970 4 . McLaren revêt l’uniforme des Teddy Boys : veste longue à col et revers en velours contrasté, chaussures à semelles de crêpe (creepers). Née dans les années 1950, cette subculture bercée par le rockabilly détournait les codes vestimentaires édouardiens du début du XX e siècle 5 . Pressentant le potentiel de cette mouvance, Vivienne et Malcolm collectent des disques, des vêtements et des souvenirs des années 1950 sur les marchés de Londres, et les revendent dans le stand qu’ils inaugurent dans la boutique Paradise Garage, située 430 King’s Road.
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Ils investissent bientôt le lieu dans son intégralité et le renomment Let it Rock. Alimentant la nostalgie pour les années 1950, la boutique propose des vieux disques de rock’n’roll, des magazines et des vêtements, dans un décor décliné sur le même thème. À ces pièces originales s’ajoutent les premières créations de Vivienne, des vestes customisées, des pulls en mohair et des T-shirts imprimés. En quête de subversion, le couple perçoit rapidement les limites de la panoplie Teddy Boy et de l’univers sous-jacent, dans lequel l’ambition artistique de Malcolm ne peut s’accomplir. Le 430 King’s Road est rebaptisé Too Fast to Live, Too Young to Die en 1972. Il changera d’enseigne et de décor régulièrement pour traduire les expérimentations stylistiques de Westwood et McLaren. Plus agressif, le nouveau concept s’inspire de l’univers des bikers et se déploie dans une boutique peuplée de têtes de mort. Aux costumes de zazous et aux creepers se mêlent des jeans de seconde main, des cuirs et des T-shirts customisés. Zips, clous, chaînes font leur apparition 6 . Depuis la cuisine de son appartement de Clapham, Vivienne transforme, déchire, brûle, ajoute des zips et imprime des slogans de plus en plus provocants sur les T-shirts. Comme d’autres anciens étudiants en art de sa génération, Malcolm est influencé par les thèses des situationnistes français et par l’ouvrage de leur chef de file Guy Debord, La Société du spectacle (1967) 7 . Les détournements situationnistes en forme d’aphorismes, associés aux événements de Mai 68, dictent pour partie les slogans imprimés sur les T-shirts vendus 430 King’s Road. Cette politisation du vêtement, initiée par l’association Westwood-McLaren, prépare les mentalités à un bouleversement alors en gestation, le Punk 8 .
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2 The Ramones
Londres? New York? Les avis diffèrent quant à la localisation du berceau du Punk et plusieurs protagonistes ont revendiqué, a posteriori, leur prépondérance dans la formation du mouvement. Mais lorsque Vivienne et Malcolm se rendent à New York à l’été 1973, ils découvrent un look et une scène rock caractérisés, évoluant autour du club CBGB 9 . Invités, comme plusieurs boutiques londoniennes, au National Boutique Show à l’hôtel McAlpine, le couple visite la Factory d’Andy Warhol et retrouve les New York Dolls, groupe proto-punk au style glam-rock et androgyne rencontré à Londres. Les musiciens — dont Malcolm deviendra le manager — leur conseillent de s’installer au mythique Chelsea Hotel et les introduisent dans le milieu underground new-yorkais 10 . En 1974 et 1975, McLaren voyage entre Londres et New York. Sans doute a-t-il côtoyé les Ramones vêtus de leur uniforme — blouson de cuir, T-shirt, jean lacéré et sneakers — mais c’est Richard Hell 11 surtout qui frappe son attention. Ses cheveux ébouriffés et son T-shirt déchiré maintenu, déjà, par des épingles à nourrice, le distinguent parmi la faune du CBGB. “And this look, this image of this guy, this spiky hair, everything about it — there was no question that I’d take it back to London. By being inspired by it, I was going to imitate it and transform it into something more english 12 .”
SEX
1974. Trois lettres capitales en caoutchouc rose composent l’enseigne du 430 King’s Road, SEX. Westwood et McLaren empruntent aux pratiques fétichistes et BDSM leurs codes vestimentaires pour déployer, dans une boutique aux murs peints de graffitis pornographiques, des pièces en latex et en cuir, des chaînes, des cadenas, des talons aiguilles (stilettos)… Le lieu intimide, sa notoriété s’accroît. S’y croisent des vendeurs emblématiques, telle l’iconique Jordan, des clients proto-punks mais aussi des voyeurs et des prostituées 14 . Cette incarnation nouvelle de la boutique se dresse contre l’Establishment et le confronte à ses contradictions. Le couple utilise le sexe pour interpeller, choquer et amorcer un changement dans la société. S’affranchir de toute morale sexuelle par le recours aux références fétichistes doit permettre de se libérer du joug politique.