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1. Planche Neuer Leipziger Bilderbogen imprimée chez Alinéa 2. Masque en carton réalisé en collaboration avec Stefanie Schilling 3. Carton d’invitation de l’exposition chez Les Libraires Associés
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’exposition débute par la présentation de micro-éditions réalisées à Leipzig avec l’imprimeur Alinéa et en collaboration avec Sascha Noatsch, graphiste et typographe, et Stefanie Schilling, graveuse et illustratrice. Dès le départ, Blexbolex nous parle de techniques d’impression à propos de ces planches qui rappellent les images d’Epinal, présentées sous cellophane. “Elles ont été imprimées à 100 exemplaires sur presse typographique avec des clichés polymères. C’est de l’édition à une petite échelle pour se faire plaisir”, dit-il. Un peu plus loin, des travaux réalisés en collaboration avec Stefanie Schilling : les planches d’un livre en papier découpé et des masques en carton. Une vitrine présente ses activités de jeunesse : des petits objets, des badges, le petit catalogue de sa première exposition à la librairie Un Regard Moderne, des carnets, des photocopies en 2 couleurs, des collages de scotch, un projet de boîte d’allumettes qui n’a pu être réalisée pour des raisons techniques, mais qui a été repris pour l’invitation au vernissage de l’expo.
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Blexbolex Passionné d’impression Illustrateur né en 1966, Blexbolex, de son vrai nom Bernard Granger, est surtout connu par ses livres destinés à la jeunesse : L’Imagier des gens – qui a reçu en 2009 le prix du “plus beau livre du monde” à la Foire du Livre de Leipzig –, Saisons, Romance (Albin Michel, 2009 et 2013). Il est aussi l’auteur de livres pour adultes : L’œil privé, Destination : Abecederia (Les Requins Marteaux, 2006 et 2008), Crimechien et Hors-zone (Cornélius, 2012). Après des études aux Beaux-Arts d’Angoulême où il apprend la sérigraphie, il perfectionne cette technique dans un atelier parisien, ce qui lui permet d’auto-éditer son premier livre en 1992. Blexbolex vit aujourd’hui à Leipzig, en Allemagne, et travaille pour la presse et l’édition. Au mois de novembre 2014, deux expositions consacrées à Blexbolex ont eu lieu, l’une, au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, avec le travail d’autres illustrateurs, présentait des dessins originaux de ses livres, l’autre, chez Les Libraires Associés exposait sa production “underground”, ainsi que les illustrations originales de son prochain livre, La fleur Oracle, qui sera édité par Orbis Pictus. Blexbolex nous a fait le plaisir d’une visite commentée de cette exposition.
Graphzines n arrive ensuite aux premiers graphzines qu’il a réalisés à partir de 1992 : “tout mon linge sale” dit-il. Blexbolex est satisfait de son premier livre XXX, imprimé à 50 exemplaires. Travaillant à l’époque dans un atelier de sérigraphie, il commence à expérimenter cette technique et à en comprendre les possibilités. “Pour imprimer sur du papier cristal, j’ai utilisé de l’encre à solvant car
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1. 4 graphzines créés entre 1992 et 2000, imprimés en sérigraphie et offset. En haut à droite, XXX, imprimé en noir et blanc sur papier cristal 2. Page de L’Imagier des gens
l’encre à l’eau fait plisser le papier. J’aime bien le contraste entre le brillant du papier cristal au début, puis de l’encre mate qui le recouvre peu à peu, ça donne des effets de matières, une couleur presque argentée aux réserves de papier.” L’histoire de ce livre est une aventure des 3 petits cochons ! Son deuxième livre est également une prouesse technique où le mode d’impression s’adapte à l’idée directrice. The woodaddict est imprimé lui aussi en sérigraphie, en blanc sur papier kraft. “Le jeu, c’est qu’on croit que le papier est blanc et on découvre le kraft en dessous au fur et à mesure, C’est un livre dans lequel la présence du faux bois fonctionne comme un running-gag.” Suivent d’autres graphzines où Blexbolex a essayé presque tous les procédés d’impression artisanaux. Celui-là a été imprimé en photocopie avec différents toners de couleur : “Impossible de finir l’impression (30 exemplaires) car j’ai ruiné les cartouches, c’est le vert qui est parti en premier !” Ici, Blexbolex a aussi utilisé de la trame “Letraset” découpée. Cette même trame que l’on retrouve, omniprésente, dans son récent livre Romance où il voulait “retrouver la même sensation que dans le fanzine”. Une autre gageure technique : un fanzine imprimé en sérigraphie et à l’eau-forte. “Le but était de coloriser ces gravures et de faire une espèce de fausse quadri avec 3 passages sérigraphie + le trait noir à l’eauforte sur un papier japon très fin, mais il y en a très peu d’exemplaires car j’ai eu un problème de repérage entre l’eau-forte et la sérigraphie.” Lui fait suite un livre entiè-
rement au pochoir : “25 exemplaires, mais chaque page est unique, J’ai fait les modèles à la gouache acrylique puis 5 pochoirs un peu simplifiés d’après les gouaches”. Enfin, la série des Ubu-ru, 5 numéros édités en sérigraphie par Le Dernier Cri (éditeur de fanzines graphiques). “J’ai dessiné directement à la peinture inactinique sur les films, en décalquant sur une esquisse au crayon.” Le style de ces premiers livres ressemble peu à celui de son travail actuel. Toute cette production de graphzines est dans l’esprit “punk” de l’époque. Blexbolex se revendique d’une culture BD qui va de Tintin à Gary Panter en passant par le détournement de Walt Disney. Au mur, sur une grande planche sérigraphiée réunissant toutes les pages d’un des livres de la série Ubu-ru, les aplats de couleurs commencent à devenir prédominants. Blexbolex se met à abandonner le trait de contour : “Ce n’est pas une démarche logique, ça s’est fait peu à peu. Étant sérigraphe, je travaillais aussi pour d’autres dessinateurs et je trouvais l’image plus mystérieuse avant l’étape du trait. Parfois, on est presque déçu par le tirage final, et c’est le cas pour certaines de mes images aussi, elles fonctionnaient très bien juste avec les couleurs, et puis, avec le trait, c’était foutu.” Blexbolex nous montre aussi des essais de créations en volume : des pop-up jamais édités, des maquettes, “amusant à faire mais pas à produire… et puis, l’histoire est trop trash, ça raconte comment faire du sirop contre la toux avec du jus de Bambi : invendable à un éditeur.” On remarque
aussi des livres à systèmes, une série de cahiers auto-édités où il y a “une scène dans la scène” (une page plus courte raccorde avec le panorama des pages du fond) et deux livres imprimés en sérigraphie par Philippe Huger en 2000, “faits à une époque où, excédé par mes échecs répétés pour faire de l’illustration de presse, j’avais décidé de me payer la tête des directeurs artistiques. On fait ce qu’on peut pour s’amuser.” Ses derniers graphzines auto-édités (16 pages) sont “des récits idiots avec un langage visuel proche de celui de la bande dessinée”.
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3. “Un champion”, page de L’Imagier des gens, 2009 4. Page de Romance, 2013 5. 1re et 4e de couverture de La Fleur Oracle, sortie prévue en mars 2015 6. 1re et 4e de couverture de L’arrière-pays, Orbis Pictus, 2012
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liste de mots. Ceux-ci sont choisis en fonction de la place que les images vont occuper dans le livre. Pour La fleur Oracle, j’ai fait le texte d’abord et les dessins après. Ce n’est pas le cas pour L’arrière-pays, mon livre précédent : j’ai fait les gouaches d’abord et le texte sur les images. Pour Romance, j’ai commencé par trouver l’idée, la construction, puis j’ai ordonné les idées, ensuite j’ai fait une image et écrit un mot ou j’ai écrit un mot et fait une image.” Dans son prochain livre, La fleur Oracle, l’idée du projet est partie d’une fleur ! ”Au jardin botanique de Leipzig, la floraison d’un Arum Titan – un événement rare car il ne fleurit que tous les 5 ans – a été filmée par une caméra web qui enregistrait une image toutes les minutes. C’est une grosse fleur très impressionnante et j’ai imaginé une histoire où elle fleurit tous les 100 ans et de façon différente. C’est pourquoi on lui prête des vertus divinatoires : elle dit quelque chose de l’époque. On passe ainsi d’un siècle à l’autre et on suit le destin de trois personnes dont l’histoire recoupe celle de la fleur.”
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Livres l’origine de L’Imagier des gens, c’est Béatrice Vincent chez Albin Michel, avec qui j’avais fait un livre de bain, qui m’a demandé si j’avais des idées de livres. Je suis venu au rendez-vous avec juste une liste : L’Imagier des saisons, L’Imagier des gens… Ce dernier titre a piqué sa curiosité et elle m’a fait confiance sur ce projet-là. Des livres comme L’Imagier des gens ou Saisons démarrent par de l’écriture mais ce n’est pas une règle pour tout. J’écris beaucoup pour ces projets-là, je fais une
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Réalisation graphique “
our chaque livre, je fais des tests graphiques, je détermine une gamme de couleurs, je fais des essais de dessin sur ordinateur avec une tablette.” Blexbolex a commencé à travailler directement sur ordinateur depuis qu’il est entré chez Cornélius en 1996, “pour seconder Jean-Louis Gauthey qui, bien que lui-même imprimeur, voulait consacrer plus de temps à l’édition.”
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Blexbolex devait préparer les documents pour l’impression en sérigraphie. C’est là qu’il a parfait ses connaissances de l’imprimerie et de la mise en page et qu’il est devenu directeur de deux collections : “Lucette” et “Louise” dans laquelle il a publié son album L’Enclos. “Ce livre est imprimé en offset en 2 couleurs, bleu et orange, dont le mélange produit un noir optique impressionnant, je trouve. Romance est imprimé en 3 couleurs : jaune, rouge-orangé et bleu. Avec 3 couleurs pures, on en obtient 7 en mélange + le blanc du papier, ça fait 8, ce qui donne déjà une belle gamme rien qu’en aplats.” Tous ces livres sont imprimés en offset mais en tons directs (Pantone). “Avec ce procédé, il faut faire un BAT (bon à tirer) sur une dizaine d’images pour voir vraiment le résultat.” On l’aura compris, Blexbolex ne travaille bien que lorsqu’il maîtrise tous les éléments du livre : support papier, quantité de pages, mode d’impression, nombre de passages, choix des couleurs, etc. La sortie du livre La fleur Oracle, justement, est retardée car, dit-il, “c’est une catastrophe d’imprimerie, le gris est raté, l’aspect de l’encre est trop satinée”. Pour ce livre, imprimé en sérigraphie, Blexbolex a lui-même fait la sélection des couleurs. “C’est difficile de traduire une gouache originale sur laquelle vient se superposer un travail au crayon. Il faut faire un vrai travail d’adaptation afin de permettre l’impression en sérigraphie, mais c’est plus amusant à faire que de simplement nettoyer un scan pour de la quadrichromie.”
1. Page de Hors-zone, 2012 2. Le G et le S de Destination : Abecederia, 2008
Conception graphique : Pascale Rousseau / Relecture : Benoit Marchon
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De façon étonnante, le travail à l’ordinateur n’a pas transformé son style. Il parvient à reproduire la matière de la gouache sur Photoshop, les dégradés “granuleux” (passer au scanner une feuille éclairée en biais permet de retrouver le grain du papier), bricoler des trames : “pour Romance, j’ai scanné des aplats au lavis ou au crayon que je repasse en bitmap ; afin d’obtenir différentes densités, je superpose les trames en me calant sur le point de trame.” Sont exposées des gouaches originales de Hors-zone et des carnets d’études à la gouache, “des recherches stylistiques pour essayer de simplifier et voir si ça fonctionne. Mais aujourd’hui je n’en fais plus. C’est un peu un luxe de faire des originaux”. Il y a aussi le croquis et l’illustration à la gouache et au pochoir de la lettre S de son livre Destination : Abecederia. “Abecederia était une belle expérience éditoriale. C’est un livre qui est paru d’abord en allemand. On a travaillé sur la traduction avec l’éditeur et cela a été un bon moment : mon texte était trop long et on a discuté sur la façon d’écrire, la compréhension du texte. L’idée de départ était de faire un abécédaire, je ne voulais pas que ça soit l’illustration d’une lettre mais que la lettre soit la construction de l’image”.
connaissais pas du tout au moment de L’Imagier des gens. J’avais acheté un livre japonais avec des images de Lebedev, je connaissais l’Art déco et j’avais la volonté de travailler dans ce style-là, d’avoir une démarche très construite. Finalement on arrive à un résultat très proche, mais j’ai découvert ces illustrateurs relativement récemment avec les livres des éditions MeMo. Celui qui m’a vraiment influencé, c’est Richard McGuire : un illustrateur américain au travail très formel, chaleureux. Il a fait trois livres pour enfants qui sont magnifiques. C’est lui qui m’a convaincu de prendre cette direction : épurer, épurer, épurer…” Des illustrations de Blexbolex se dégage tout de même une atmosphère surannée. Dans L’Imagier des gens, par exemple, on reconnaît des silhouettes des années 50. “C’est le fait de simplifier. Aujourd’hui, on ne représente plus les gens comme ça, et je voulais montrer aussi que ça ne se situait pas forcément à notre époque.” Quant à la typo, qui crée l’ambiance de ce livre, “j’ai trouvé un jeu de cube et j’ai scanné les lettres. J’avais fait des essais avec de la typo Futura mais c’était trop mécanique, trop dur, ça ne fonctionnait pas.”
Les lecteurs Références n établit une parenté entre Blexbolex et des illustrateurs plus anciens comme Edy Legrand ou ceux qui dessinaient pour les albums du Père Castor : Hélène Guertik, Nathalie Parain. “Nathalie Parain, je ne la
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es images de La fleur Oracle sont très compliquées par rapport aux imagiers, le style de Blexbolex semble évoluer dans ce sens. “Ça dépend de ce qu’on veut raconter avec un livre : le style change avec le sujet. Je ne vais pas raconter l’horreur carcérale avec les
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dessins de L’Imagier des gens !” Le profil du lecteur de Blexbolex est peut-être difficle à cerner. “Je n’y réfléchis pas, je fais les livres qui me plaisent. Il y en a qui sont des fours et d’autres qui fonctionnent. Les trois ressources qui me permettent de vivre sont les livres, les illustrations de commandes et les expositions.”
Relation texte-image ans la plupart des livres de Blexbolex, le texte court en bas ou en haut de page, jamais de bulles ni de texte mis à part. “Le jeu amusant, c’est de faire dire au texte autre chose que ce qu’il y a dans l’image – perversion ou subversion –, par exemple, dans les imagiers, ne pas mettre le mot qui vient à l’esprit, ce qui provoque une autre interprétation de l’image. Celui qui m’a le plus influencé concernant la narration, c’est Frans Masereel, bien que, chez lui, il n’y ait pas de légende du tout. Dans Romance, le mot devient une image, se retourne, et la fin, c’est presque du Masereel ! Le rapport mot-image est un équilibre difficile à obtenir, car je ne suis pas un bon illustrateur de textes. Je ne parviens à faire exister mes pages qu’en étant moi-même l’auteur des textes ou des mots que j’illustre. Mais les textes et les mots me sont indispensables parce que ce sont eux qui donnent à mes dessins une finalité dont ils seraient peut-être privés sinon. En tout cas, c’est quelque chose que je trouve passionnant.”
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Pascale Rousseau