Alban Caussé et Jacques Desse
MAIGRET CHEZ RIMBAUD : HISTOIRE D’UN FAUX
La publication de la photographie d’Arthur Rimbaud à l’Hôtel de l’Univers nous a valu des aventures parfois improbables, pour le meilleur et pour le pire, que nous espérons pouvoir raconter un jour. Certains de ces épisodes sont dignes d’un roman policier… En mars 2011, la « polémique » venait de rebondir et l’agitation était à son comble. Certains pensaient reconnaître sur notre photographie un certain docteur Dutrieux, or celui-ci ne pouvait, a priori, s’être trouvé à Aden en même temps que Rimbaud. C’est alors qu’un document extraordinaire, retrouvé en Suisse, fut publié sur Internet : cette carte postale mentionnait le passage de Dutrieux à Aden en août 1880, c’est-à-dire au même moment que Rimbaud, et à l’époque de notre photo 1.
Ce document était « pain béni » pour nous, puisqu’il balayait le seul argument factuel de nos « adversaires ». Leur château de cartes s’écroulait. Logiquement nous aurions dû lui donner la plus large publicité, le communiquer à la presse, etc. Mais les conditions de sa survenue nous ont rendus très prudents, d’autant que nous avions déjà été confrontés dans cette affaire à des tentatives de manipulations, également sur Internet. 1
http://roxanne-1971.blogspot.com/2011/03/le-docteur-pierre-dutrieux-etait-aden.html
Pourtant, vérifications faites, les informations contenues dans cette carte étaient parfaitement exactes… Il existait bien en 1880 un Achille de La Harpe (18071887), habitant une maison baptisée Le Chalet à Ouchy-Lausanne, etc., etc.
A force d’insistance, nous avons fini par recevoir l’original de ce document, dans des conditions assez rocambolesques. Il nous paraissait un peu bizarre, mais les experts en autographes et en documents philatéliques que nous avons consultés n’y décelaient rien de vraiment rédhibitoire. La solution est finalement venue d’un examen poussé par l’un des plus grands experts français, travaillant pour la police scientifique. La carte est authentique, la composition de l’encre de l’écriture est identique à celle utilisée au XIXe siècle, et pourtant il s’agit d’un faux 2. L’examen chromatographique montre que l’encre des cachets postaux de la ville de départ et de la ville d’arrivée est identique, ce qui était impossible à cette époque. Deux autres éléments, que nous préférons ne pas révéler, montrent que ce faux est récent.
Plaque chromatographique, comparant les encres des deux cachets postaux
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Cela rappelle un autre faux rimbaldien, plus grossier, publié en 1935 : un dessin de Rimbaud figurant sur une carte postale envoyée à Delahaye en 1885, qui fut même exposée à la Bibliothèque nationale en 1954. Mais, en 1986, Paul Gribaudo a montré que ce type de carte postale n’existait pas à cette époque…
Pourquoi avoir fabriqué et diffusé un tel faux, qui ne peut avoir été forgé que par une personne connaissant parfaitement les arcanes de ce dossier fort complexe ? Nous ne voyons qu’une explication possible : il s’agissait de nous piéger et de nous déconsidérer. On se demande si l’auteur ou le commanditaire de cette invraisemblable machination se rend compte à quel point de délire il est parvenu… Pour autant, ce n’est pas le premier « dérapage » dans cette affaire : on a vu un célèbre auteur rimbaldien envoyer une fausse information à l’AFP, qui fut diffusée sans vérification et largement reprise par les médias ; un universitaire se livrer à une lamentable opération de désinformation sur Internet ; des actes relevant de la pathologie mentale ; et dernièrement - last but not least ? – des spécialistes de Rimbaud faisant interdire de publication une étude que nous avions réalisée… On est ici bien loin du « débat intellectuel » ou de la légitime recherche de la vérité. Tout cela pour une photographie de Rimbaud… ! Il est vrai que ce cliché a trois défauts : il présente une image non conventionnelle du poète ; il n’a pas été découvert par ceux qui nous attaquent ; et nous avons assumé sa publication, plutôt que de le confier à une puissante maison de vente aux enchères, qu’il aurait été beaucoup plus délicat d’attaquer 3. Plongez le tout dans le bouillon de culture que constituent les milieux rimbaldiens, ajoutez le fait que des déséquilibrés sont alléchés comme des guêpes par de telles polémiques, enrobez l’ensemble de la facilité et de l’anonymat d’Internet, et voilà le travail…
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La précédente photographie retrouvée de Rimbaud avait suscité autant de résistances que la nôtre, mais ces critiques ou soupçons étaient restés souterrains. Engager une polémique publique aurait supposé de mettre en cause Sotheby’s, qui aurait pu réagir et demander des comptes.