Habiter sans habitat. Intéraction des sans-abris avec l’espace urbain.

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Lisa Caplanne

Habiter sans habitat

Intéraction des sans-abris avec l’espace urbain

S5SA / Méthodologie de l’écriture 1 / ENSA Grenoble



Introduction Ils sont partout et nul part à la fois, nous y faisons peu attention mais nous les voyons tous. Notre accoutumance à leur surexposition a banalisé la situation jusqu’à leur disparition. Ces gens de la rue, appelés Sdf, clochard, vagabons.., stigmatisés par les politiques, les médias et les citoyens, sont les plus exposés à l’espace public ; ils se l’approprient, y déambulent et finalement ils y habitent. L’espace public, terrain de mouvements et d’attente semble parfois s’opposer à leurs présences, mais à qui appartient la ville ? Cette maison éclatée vient répondre tant bien que mal à des besoins. Il y a autant de possibilités d’habiter sans habitat que de diversité et singularité de ces personnes, pourtant certains lieux et chroniques sont récurrents. Les sans-abris entretiennent un rapport interactif à leur environnement mais aussi aux différents acteurs. Les institutions rencontrent des difficultés pour répondre aux besoins à long terme des sans abris. Certes le problème est principalement à traiter au niveau politique, mais à notre simple échelle humaine, n’avons-nous pas déjà tous des responsabilités pour éviter d’alimenter l’exclusion des grands précaires ? Et en tant qu’architecte, quel rôle avons nous ?

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Sans-abris avec identité Dans l’usage courant, ainsi qu’au niveau des politiques publiques, la domination «sans-abris» insiste sur la dimension de l’habitat, du domicile comme explication de la pauvreté ou de l’exclusion. «Une personne sansabris est une personne qui dort dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, cave, parking, jardin public, sous un pont, terrain vague, hall de garage, cage d’escalier, voiture, sous une tente )»1. Cette définition de l’INSEE est assez restrictive car elle exclut toutes les personnes logées dans des structures d’hébergement. Celles-ci sont en fait recensées au titre de communautés tout comme les maisons de retraite ou encore les camps militaires. Nous avons tendance à définir les sans-abris, tel une catégorie sociale, il n’est pas sans préciser que derrière ce groupe se trouve de nombreuses situations diverses. Le raisonnement par ensemble, fait abstraction des particularités de chaque individu et porte ainsi un jugement simpliste et généraliste. Traiter la question du sans-abrisme revient à démêler les termes et interprétations qu’elle comprend. Les personnes à la rue subissent des situations d’extrême qui les affectent physiquement, psychiquement, et les rendent vulnérables. «La vulnérabilité qualifie le processus dynamique de fragilisation des rapports sociaux, elle est vue comme une insécurité sociale et renvoie à l’incertitude»2. L’absence de domicile personnel est criminel : En 2016, le collectif « Les Morts de la Rue » à comptabilisé 501 décès3. Il rappel que chaque année, plus d’une personne décède de la rue chaque jour. Cumuler des précarités dans plusieurs domaines mène à la rupture et à l’exclusion qui privent la personne d’une existence sociale et de jouir de ses droits fondamentaux. La dé-socialisation est la difficulté de créer du lien avec la société, est le phénomène majeur qui touche les sans abris. Si pour Patrick Declerck les clochards sont les plus dé-socialisés des Sdf, pour Patrick Gaboriau les clochards sont ceux qui cultivent l’espace public, la rue. «L’espace public»4 est l’espace sensible d’apparition des individus mettant en scène la pluralité des mondes, des conventions et des appartenances. 2

INSEE,Définition sans-domiciles, 13/10/2016, consulté en octobre 2017, URL : https://www.insee. fr/fr/metadonnees/ definition/c1256 1

Caraës M et Pichon P, La recherche s’expose - Espace public et sans domicile fixe, Cité du design IRDD, 2013, p.85. 2

Collectif les Morts de la rue, Liste des morts de larue, 19/04/2017, consulté en octobre 2017, URL : http://www. mortsdelarue.org/spip. php?article14 3

Caraës M et Pichon P, La recherche s’expose - Espace public et sans domicile fixe, op. cit, p.39. 4



Dans cet espace sensible surgissent des conflits d’usages et d’occupations. En effet les gens de la rue dérangent. Depuis le XVIIIe siècle, le «vagabondage»5, c’est à dire la circulation sur le territoire sans adresse et sans moyens de subsistance, peut être puni de trois à six mois de prison (article 269 à 273 du code pénal de 1810). Jusqu’en 1994, la mendicité et le vagabondage étaient des délits. S’établir à un endroit provoque de nombreux litiges avec les habitants, les commerçants et les forces de l’ordre. Les images véhiculées par les discours politiques, les médias, le cinéma montrent la personne sans-abris comme malade, agressive voire criminelle, et alimentent le cliché dégradant du sdf qui effraie. La réalité c’est que les personnes atteintes de troubles, sont douze6 fois plus victimes d’agressions physiques et cent trente7 fois plus victimes de vols que leurs concitoyens.

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Ibid p.37.

ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, Paris, Edition revue et augmentée, 2014. 6

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Ibid p.37.

Selon Caraës Marie-Haude et Pichon Pascale, personne ne fait le choix de vivre à la rue dans des conditions de vie extrême, et si parfois les sans-abris disent le contraire, c’est un moyens de justification pour sauvegarder sa face ou encore revendiquer une liberté. Ne voyant pas d’autre alternative à leur situation, il est préférable pour certain de se considérer comme acteur de leurs destin. Si quelquesuns affirment le choix de la rue comme rejet d’une vie routinière et sans perspectives, la plupart oscillent entre le rêve d’une vie « comme tout le monde » mais l’abscence de logement les différencies de tout le monde. Comment définir habiter pour une personne sans habitat ? Si d’après le Larousse, «Habiter» se définit comme «Avoir son domicile quelque part, y résider de manière relativement permanente, y vivre.», Michel Lussault, Chris Younès et Thierry Paquot affirment que « Habiter » entremêle le temps et l’espace ; c’est le rapport que l’homme entretient avec les lieux de son existence. Ils rejoignent la vision de Heidegger, avec la dimension existentielle : «Habiter (…) c’est construire votre personnalité, déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque et qui devient vôtre. C’est parce qu’habiter est le propre des humains (…) qu’inhabiter ressemble à un manque, une absence, une contrainte, une souffrance, une impossibilité à être pleinement soi.»8 4

Heidegger Martin, Bâtir, habiter, penser, essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, p.13 et 15. 8


Le problème des gens à la rue demeure principalement dans l’isolement. Des association comme La Croix-Rouge pratiquent des maraudes. La maraude est un dispositif de ronde qui permet de créer du lien, à la fois social, temporel et spatial. C’est un suivi jour et/ou nuit assuré par des bénévoles qui vont à la rencontre des gens de la rue avec pour objectif premier de maintenir un lien social, mais aussi de distribuer du matériel (couverture, tente, boissons), d’encourager l’orientation vers des travailleurs sociaux et d’alerter les pouvoirs publics en recensant les situations rencontrées. Un travail de sensibilisation, à travers l’éducation, les médias, la politique pourrait diminuer la stigmatisation du sans-abris. Encourager les citoyens à interagir avec les personnes à la rue, éloignerait la rupture sociale qui est une des grandes souffrance de ces personnes.

Une visibilité invisible Damon Julien, La question SDF critique d’une action publique, Paris, Presses universitaires de France, 2002, p.49. 9

Clément S, Fierro F, Mantovani J, Pons M, Drulhe M, À la croisée de lieux et de chroniques : les gens de la rue, PUCA, 2007, p. 13 et14. 10

Damon Julien, La question SDF critique d’une action publique, op. cit, p.49. 11

Pour Julien Damon, la thématique de «l’exclusion»9 consiste en une coupure radicale sur l’échelle des ressources (revenus, liens sociaux), elle comprend la pauvreté, la ségrégation spatiale, la solitude, la vieillesse. Ces difficultés agglomérées dans un même mot caractérisent des déficiences et des manques. Cette notion de carence est partagée par Clément, Fierro, Mantovani, Pons, Drulhe qui attestent que «L’exclusion génère des ensembles flous d’individus « sans », sans attaches, sans histoires, sans moyens, sans citoyenneté, elle est caractérisée par la perte et l’isolement et n’ouvre aucune perspective de reconnaissance sociale.»10 C’est parce que l’idée de l’exclusion reste pleines d’ambiguïtés car elle porte sur des problèmes de populations hétérogènes, qu’on préfèrera parler «des» exclusions. Catégorie contemporaine de l’action publique, l’exclusion comprend des questions de pauvreté, d’emploi, d’inégalité, d’intégration, ou de citoyenneté11. Travailler pour avoir un logement n’est pas suffisant : 5



ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, op. cit. 12

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Ibid

Un quart12 des sans-abris travaillent et deux cinquième cherchent un logement. En étant à la rue, les portes du domaine professionnelle se ferment. Quand bien même certains tentent de trouver du travail, ils sont contraint de devoir justifier une adresse reconnue comme domicile. L’absence de domicile est un obstacle pour trouver un emploi, les difficultés se retrouvent aussi dans le prix du transport ou le manque de vêtements convenables. 35%13 des sans-abris dit inactifs, sont principalement composés d’étrangers non autorisés à travailler, mais aussi de personnes ayant des problèmes de santé ou de mères isolée avec enfants. Depuis les année 1980, les règlements et lois promouvants l’insertion et la lutte contre l’exclusion, sont devenues des priorités de l’action publique, dont les SDF sont une cible emblématique. Le droit de suffrage de 1789 affirme comme primordiale la condition de domicile fixe, qui a une importance décisive pour l’exercice des droits civils et l’accès aux droits sociaux. Il en est de même pour la condition d’attribution d’une carte d’identité qui jusqu’en 1994 requière d’une adresse de domicile fixe. Aujourd’hui les personnes Sdf peuvent désormais indiquer leur adresse de domiciliation administrative sur leur carte d’identité. Néanmoins de nombreuses mairies n’ont jamais reconnu ces adresses comme garanties suffisantes pour donner droit à une inscription sur les listes électorales. Les populations relevant de la précarité, qui ont besoin de se faire entendre, sont les plus abstentionnistes. Comme les sans-abris gênent, avant que les rayons de soleil ne réveillent la ville, ils doivent s’éclipser pour éviter d’importuner habitants et commerçants. Les forces de l’ordre ont leur rôle à jouer pour faire disparaître ce que la ville refuse de voir et ainsi, les sans-abris deviennent invisibles. Des municipalités ne tolèrent pas la présence de sdf, et pour éviter l’ancrage, interdisent des accès. Ceux qui se réfugiaient dans le métro remontent à la surface et continuent de façon perpétuelle à se déplacer, car s’établir à un endroit n’est pas sans conséquences. Comme le dénoncent les clichés du plasticien photographe Arnaud Elfort, les villes ont vu fleurir de «l’architecture de prévention situationnelle» c’est à dire du mobilier anti-SDF. 7


Barrières métalliques, grilles, galets ou pics, empêchent toute personne de s’installer. Depuis les années 70, ces sites « anti-gens » ont un objectif : éloigner les populations indésirables et empêcher l’occupation, même éphémère, des stations de métro, paliers de magasins ou des halls d’immeuble. La présence du chien demeure source d’exclusion supplémentaire pour une population déjà stigmatisée. Celui-ci est une présence importante, affective et protectrice, mais peu de structures censées venir en aide, acceptent d’accueillir des animaux. Toutefois, le chien peut être facilitateur d’intégration à une communauté et participe à une identité. Les propriétaires ont inventé autour de l’animal une véritable culture familière. «Je préfère galérer avec mon chien plutôt que de m’en sortir sans lui.»14 Ne pas pouvoir faire garder son animal peut être un obstacle pour mener à bien des démarches administratives, accéder aux soins, trouver un emploi… En cas d’incarcération, comme d’hospitalisation, le devenir de l’animal est en jeu. Certains en viennent à retarder voir de refuser les soins par crainte de perdre leur animal. A Grenoble, en 2016, suite aux débats de l’association «Parlons-en», un chenil solidaire s’est mit en place «La Caboterie» . Ce lieu d’hébergement temporaire et gratuit fonctionne grâce à un réseau de familles d’accueil bénévoles, prêtes à prendre soin des animaux lorsque leur maître doit s’absenter. Répandus dans toutes les villes, le phénomène Sdf nous semble aujourd’hui familier, banal, presque normal. Nos regards se sont accommodés à cette surexpositions, et le sans-abris pourrait presque, à la manière d’un banc, d’un lampadaire, ou d’un trottoir, apparaître comme un élément urbain. «Si l’esprit peut circuler librement, qu’en est il de son enveloppe corporelle, la masse de chair qui l’habille et qui atteste sa présence?» Baudelaire, Fleurs du mal. Les gens de la rue sont visibles et ne peuvent étouffer l’affichage corporel. Pour les personnes sans-abris, «l’exposition de soi»15 traduit le moyen d’exprimer face au 8

Parlons-en, «La Caboterie», 2016 URL : https:// lieugrenoble. wordpress.com/lacaboterie/ 14

Caraës M et Pichon P, La recherche s’expose - Espace public et sans domicile fixe, op. cit, p.117. 15


public, les formes de résistances qui s’offrent à elles, notamment à travers l’activité de la manche. Dans l’exposition de soi, l’acteur met en jeu sa personne sans maîtriser les effets des attributs exposées : pauvreté, dénuement, isolement, alcoolisme.. La présence physique d’une personne implantée dans un lieu devient alors le moyen d’expression, c’est le langage d’une résilience, le message d’une existence. La ville se veut agressive et belliqueuse envers les personnes touchées par la précarité, cependant lors de la trêve hivernale, les médias braquent leurs objectifs, les associations caritatives proposent leurs services et le gouvernement élabore des plans d’urgences. La guerre contre la misère séduit notre compassion, notre empathie est à son comble. Puis les beaux jours reviennent, accompagnés des lunettes de soleil qui empêchent de voir la pauvreté stagner. Caraës M et Pichon P, La recherche s’expose - Espace public et sans domicile fixe, op. cit, p.56. 16

Les personnes sans-abris subissent l’exclusion de la société, ils se voient développer une «cartographie de survie»16 au sein de la ville. L’équilibre entre visibilité et invisibilité du sans-abris est liée aux tensions dans l’occupation des espaces publics. Le statut des espaces urbains entraîne la mise en circulation.

La ville cette grande Maison En français le terme maison englobe les deux notions : l’abri et le chez soi. Alors que les anglais eux, distinguent le foyer «home» de l’abri «house». Où manger, dormir, se laver, s’habiller, lorsqu’on est sans maison? Des dispositifs assistanciels ou charitable offrent des ressources de survie et apportent des réponses de première nécessité. Le rôle de structures assistancielles est double, au delà de proposer des fonctions essentielles de survie, elles ont vocations à la socialisation des personnes sansabris. Par exemple à Grenoble ; le restaurant associatif du «Fournil», offre un repas le midi et reste ouvert l’après midi pour permettre aux gens d’avoir un lieu chauffé pour 9


échanger, jouer, discuter. L’association «Point d’eau» met à disposition des services sanitaires (douche, hygiène), de buanderie (machine à laver, sèche linge), d’une bagagerie .. mais c’est avant tout un lieu où se poser, se reposer, prendre un café. Pour la question du «dormir» quelles sont les solutions d’hébergement aujourd’hui ? En Belgique l’association «Solidarité grands froids» a lancé un site parodique de la plateforme de logements en ligne «Airbnb», pour sensibiliser sur la situation des sans-abris. «Un petit château en carton» ou un «palais 100% plastique» pour profiter du meilleur de Bruxelles en amoureux ? C’est l’offre atypique que propose le site Notfairbnb17 qui poste des annonces d’emplacements sur les trottoirs, bancs, gares des villes belges. Son slogan: «Vivre où personne n’a envie de vivre.» Selon le Ministère de la cohésion des territoires : En France, l’accueil en hébergement est inconditionnel et ce principe est inscrit dans l’article L 345-2-2 : «Toute personne sans-abris en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence (…)»18 L’effort accompli est surtout urbain, et les zones les plus rurales souffrent d’un net sous équipement en matière de services, d’établissements et d’interventions. En tant que citoyen solidaire, notre pouvoir d’agir se trouverait dans un appel téléphonique, au numéro d’urgence, d’accueil et d’aide aux personnes sans-abri (115). Si par chance des places sont disponibles, des chambres d’hôtels peuvent être une solution temporaire d’hébergement. Ils faut accepter les conséquences qui en résultes ; déscolarisation des enfants, conditions d’hygiène misérables, insécurité alimentaire, manque d’accès aux droits et aux soins. Ce dispositif pansement ne fait que repousser le problème et privent les personnes d’une réelle insertion faute d’accompagnement social. Des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS), peuvent eux aussi assurer l’accueil et le logement des personnes en difficultées.

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Notfairbnb, 2014, URL https://www. notfairbnb.be/fr 17

Ministère de la cohésion des territoires, Sortir de l’urgence et orienter les personnes sans domiciles ou mal logées, 29 Octobre 2015, URL : http://www. cohesion-territoires. g o u v. f r / s o r t i r - d e - l urgence-et-orienterles-personnes-sansdomicile-ou-mal-logees 18


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Ibid

Pour tendre d’avantage vers l’accès au logement ordinaire, il existe «Solibail»19 qui est un dispositif d’intermédiation locative : un propriétaire privé loue son logement à une association conventionnée par la préfecture qui devient locataire. L’association assure le paiement des loyers mensuels et des charges, l’entretien et la remise en état du logement. Les occupants du logement, des personnes en difficultés, sont accompagnés durant toute la durée de leur contrat par l’association. Oui, il existe des solutions de réinsertion mises en place par les institutions. Mais pourquoi il y a-t-il ces sans-abris, qui refusent des hébergements, «sans raisons» ? Pourquoi s’opposent-ils souvent à un prise en charge ? Ils peuvent accepter un café, une couverture, un repas, mais refusent d’aller dans un centre d’hébergement ou de monter dans un bus qui les mènerait vers un hôpital.

ATD Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, op. cit. 20

Clément S, Fierro F, Mantovani J, Pons M, Drulhe M, À la croisée de lieux et de chroniques : les gens de la rue, op. cit, p.44. 21

Certaines personnes vivent en couple, en famille ou avec leur animaux de compagnie et ne souhaitent pas être séparées, ils craignent les conséquences d’un passage par un centre d’hébergement comme le placement d’enfants. D’autre ne veulent pas être regroupées et assimilées à la catégorie des sans domiciles, n’apprécient pas la vie en collectivité, l’insalubrité, la violence. Beaucoup ont connu des difficultés et des placements pendants l’enfance et ont peur des institutions. Les sans-abris ont une existence quotidienne qui a ses repères et ses régularités, qu’un hébergement en centre pourrait perturber.20 Les personnes se doivent de respecter des règles afin d’être admises. Pour ne pas être exclu de ce système d’aide, il faut déjà faire parti des moins exclus. La politique française de logement fonctionne avec un objectif d’insertion ; différents types de solutions sont proposées et les gens doivent s’y conformer. «On à essayer d’adapter la maison à ces gens et pas le contraire. Je comprends le besoin de créer des modèles auxquels les gens doivent s’intégrer, qui amènent à une société type ; c’est ce qu’on appelle l’insertion. Nous c’est pas ça, on y croit pas.»21

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L’association «Totem» s’adresse au public sans domicile fixe, exclue des dispositifs d’hébergement, et offre la possibilité d’accueillir leur animaux. Ils accompagnent les personnes dans leur logement et oeuvrent pour que le logement puisse être le point de départ d’un parcours d’insertion et non la finalité. Entre l’insuffisance de places disponibles dans les lieux d’accueils et l’existence d’une population dont les caractéristiques ne correspondent pas, quels sont les autres solutions d’habitat ? Comment habitent les populations hors normes ? Beaucoup adoptent une posture critique, de résistance et refuse toutes formes d’aides institutionnelles qui les places dans des situations dissymétriques et infantilisantes. Ceux-là choisissent leurs propres lieux de vie comme revendication politique, et leur formes d’habitat deviennent moyen de lutte et de résistance. Lion Gaspard, Incertaines demeures. Enquête sur l’habitat précaire, Paris, Bayard, 2015, p.29. 22

Caraës M et Pichon P, La recherche s’expose - Espace public et sans domicile fixe, op. cit, p.59. 23

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25

Ibid, p.121.

Ibid, p.99.

Choisir son type d’habitat hors institution, c’est avant tout essayer de «prendre place»22 de manière autonome, de trouver son intimité et d’avoir un chez soi qui leur appartient. Les propriétés essentielles du «chez soi»23 sont : l’aménagement, l’attachement, l’appropriation, et l’ancrage. Selon le mode d’habitat et l’environnement sociale, ces quatre éléments n’apparaissent pas avec la même intensité, mais doivent coexister pour se sentir chez soi. Les personnes sans-abris sont sans cesse confrontées aux espaces publics, partagés, communs. Comment trouver son espace intime, privé quand on est à la rue ? Selon Jean Francois Lae, «l’intimité»24 est à la fois la propriété d’un lieu et la propriété de soi. Les personnes à la rue sont surexposées dans l’espace public. L’exposition de l’intimité à travers le corps notamment, peut devenir une non reconnaissance de la personne. Cela pose la question de l’aménagement d’espace intime dans l’espace public au sein de territoire, mais aussi de la présentation de soi dans les interactions. L’auto-construction et le bricolage sont des moyens de construction matérielle et de reconstruction personnelle, ils viennent modéliser des habitats précaires. Selon Pascale Pichon l’«Habitat précaire»25 est une expression qui rend compte de la diversité des types de lieux d’habitations possibles qui révèlent de l’expérience de la vie à la rue. 13


Les Sdf autos-constructeurs/bricoleurs, deviennent acteurs de leur logement, ils exploitent des ressources tels que la récupération ou le branchement aux réseaux de la ville. Gaspard Lion s’intéresse aux «blancs de la carte»26 , aux espaces absents du cadastre : habitations de plein air dans lesquels les individus se sont immiscés, bois, friches urbaines, véhicules aménagés, caravanes… Ces abris précaires se situent au coeur de la zone de nonlogement. La particularité des squats par rapports aux centres d’hébergement est la capacité à recevoir chez soi. La personne est dans la position de l’offrant et non plus en position d’assisté.

Lion Gaspard, Incertaines demeures. Enquête sur l’habitat précaire, op. cit, p.16. 26

Aujourd’hui il est de plus en plus difficile de construire simplement et par ses propres moyens. Les acteurs institutionnels limitent toujours d’avantage les possibilités d’ancrage et d’appropriation et mettent en oeuvre des dynamiques de destructions. Les nouvelles façons d’habiter informellement sont plus mobiles et les sociabilités y sont plus éphémères. «La mise en flux»27 est l’expression qui caractérise le contrôle social sur les personnes sans domicile fixe. On constate une institutionnalisation croissante qui pourtant ne met pas fin aux pratiques de répressions sur les personnes sans-abris. Le contrôle social s’exerce dans les espaces publics, par l’intermédiaire des forces de l’ordre, mettant en oeuvre une répression sans pénalité par le déplacement d’un site à un autre. L’objectif étant l’invisibilisation des pauvres dans les espaces publics. «L’ensemble des situations des SDF se caractérisent à la fois par leurs multiplicités et hétérogénéités, et par leurs caractères instables et transitoires.»28 Entre lieux de passages et lieux d’attentes, espaces assistanciels et espaces informels, les itinéraires urbains de survie dessinent les trajectoires et forgent l’identité des Sdf. L’errance n’est pas un voyage, l’errance c’est un mécanisme qui enferme. «L’errance»29 est comprise en tant que registre de mobilité répondant sans cesse à de nouvelles situations de précarité. 14

Caraës M et Pichon P, La recherche s’expose - Espace public et sans domicile fixe, op. cit, p.67. 27

Clément S, Fierro F, Mantovani J, Pons M, Drulhe M, À la croisée de lieux et de chroniques : les gens de la rue, op. cit, p.14. 28

Collectif Hatzfeld Marc, Firdion JeanMarie, Frechon Isabelle, Marpsat Maryse, Les sdf, représentations, trajectoires et politiques publiques, articles de recherche, Paris-La Défense, PUCA , 2003, p191. 29


Elle fabrique des territoires par le croisement des réseaux institués et des pratiques sociales. Plus on est immobile dans son errance, plus on va être stigmatisé et désigné comme dé-socialisé. Inversement, savoir jouer des mobilités dans la précarité est une ressource. Les personnes précaires vivent la ville comme une maison de par le réseau de structures d’accueil, des espaces publics et des différents types d’habitats informels. Le projet de la «Piscine» à Echirolles s’inspire de ce fonctionnement. C’est un lieu support de micro-projets, ouvert à tous. Ce lieu est née suite aux débats grenoblois «Parlons-en». D’un côté, il y avait la revendication des gens de la rue de pouvoir s’organiser, utiliser leurs savoirfaire et avoir un lieu pour pouvoir faire. D’un autre côté il y avait des architectes, des juristes, des travailleurs sociaux, des bénévoles et des militants prêts à apporter leurs compétences et leurs connaissances. L’idée fut de fonder un espace d’expérimentation, de bricolage, de réflexion, dédié aux questions de l’habitat, de l’auto-construction, et plus généralement des solutions qui pourraient découler du croisement des différents acteurs et énergies.

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Des architectes tentent de répondre à la question de l’habiter des personnes sans habitat. En 2015, James Furzer propose un projet à Londres de petites cabanes pouvant se fixer comme des excroissances aux flancs des immeubles. Ces espaces en hauteur ne seraient qu’une solution temporaire à cette crise du sans-abrisme, car si ces boîtes traitent le problème des intempéries et de l’insécurité, elles ne détiennent ni accès à l’eau, ni à l’électricité. Luc Shuiten conçoit un projet «vegtal city» visant lui à réinsérer durablement les personnes sans-abris dans des logements à hautes valeurs architecturales et environnementales. À travers ce projet il y a le souhait de promouvoir le droit à un logement décent et ainsi contribuer au respect de la dignité humaine. Par son action, Archi Humain veut susciter l’ouverture et l’empathie et ainsi recréer des liens affectifs avec Bruxelles et lui rendre un visage plus humain. La problème des espaces normés reflète une crise plus globale du savoir habiter. Les projets architecturaux comme les habitats informels spontanés, reposent sur la revalorisation d’espaces résiduels délaissés. La ville propose parfois à des initiatives locales, autorisant d’occuper des parcelles disponibles pour une courte durée. Les porosités, les interstices et terrains vagues laissent une souplesse d’interventions et favorisent la cohabitation d’un public difficile.

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Conclusion Les inégalités au sein de la société augmentent. La fin de la trêve hivernale marque une diminution de considération, mais le problème de fond persiste. Les rapports de domination et d’injustice qu’entretiennent les institutions et l’Etat avec les personnes exclues posent des questions. Comment après tant de réitération, ces grandes précarités peuvent elles subsister ? Augmentation du coût du logement, austérité budgétaires, renoncement politique, vide juridique, les limites volontairement posées, empêchent d’apporter une réponse à la hauteur de la gravité de la situation. C’est le comportement adopté par une société urbaine, qui se protège des plus pauvres. La ville génère à la fois l’hospitalité et l’exclusion. Nombreux sont les instruments qui influencent le rapport des personnes sans-abris à leur environnement : les matérialités, aménagements urbains, dispositifs et structures sont à même d’apporter sécurité et confort comme l’inverse. Être chez soi, partout et nul part à la fois, c’est habiter dans la grande maison qui est la ville ; les différentes pièces sont réparties dans le territoire dont les rues sont les couloirs. L’espace urbain est générateur de ressources qui répondent aux différents besoins. Le parcours de l’errance n’est pas un hasard, il se dessine entre lieux assistanciels, espaces informels, mais aussi parc, place, et gare. L’interaction entre l’espace public et les sans abris devient une forme d’expression et les choix de visibilité et d’invisibilité interrogent : Quel public a sa place dans l’espace public ? A la manière de Hestia et Hermès dans la mythologie Grecque, les personnes sans abris symbolisent l’espace et le mouvement, la stabilité et la transition. Le droit d’habiter est au centre des préoccupations des sans abris, mais quelle est la responsabilité de l’architecture ? Il y a t il un mode d’habiter propre à ceux qui ont vécu dans la rue ? Il est aujourd’hui important que les architectes travaillent avec différents acteurs qui ont la connaissances des situations de précarités : associations, éducateurs spécialisés, psychologues et surtout bénéficiaires. Nelson Mandela disait «Tout ce qui est fait pour moi, sans moi, est fait contre moi.» 18


Développer des typologies d’habitats pour les sans abris, pourrait renforcer l’exclusion, car cette réponse serait inadaptée à une « catégorie » hétérogène. La mixité et la participation sont outils d’intégration de l’usager au projet, et apparaissent comme moyens de réinsertion. L’apprentissage de l’habiter c’est surtout la reconstruction de soi. Au travers du métier d’architecte, quelles sont les possibilités qui nous sont donnés pour influer sur les processus qui fabriquent la ville ? Peu être devrions nous reconnaître d’avantage le rôle et les qualités de l’habitat informel, pour travailler avec. Il y a une vraie nécessité de sortir de la vision misérabiliste et de mener des réflexions sur l’habiter.

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Table des images et illustrations page de couverture : © Guillaume Tomasi La série «Play with the street» est une recherche du photographe Guillaume Tomasi, sur des jeux de motifs, de lumières et de géométries dans son propre quartier au Quebec. On y voit des matérialités urbaines, familières aux sans-abris. Et si ce carré de lumière était la fenêtre de leur maison ? p.3, photo 1,2,3 : © Lee Jeffries Dans la série intitulée « Lost Angels », Lee Jeffries photographie dans la rue des Sdf. Il réalise ses images monochromes à la lumière naturelle, avec parfois, un simple réflecteur. Ces images reflètent des identités. Derrière ces visages abîmés, on peut voir à travers les regards, la chaleur de l’humanité. p.6, photo 1,2,3 : © Association Aurore L’association Aurore lance une campagne de sensibilisation par le biais de l’affichage urbain libre afin de débanaliser le phénomène Sdf. Ces personnes sont incarnées par Yves Sans Logement, Jean-Paul Galère et Christian Dehors, une métaphore qui joue du contraste entre l’univers du luxe, de la mode et celui de la rue. p.12 : © Gaspard Lion 2013 C’est dans la forêt, que l’on peut trouver la maison fleurie et décorée, d’une personne qui a choisit d’habiter. Un cliché de Gaspard Lion, qui symbolisent le «chez soi». p.15 : © http://www.alpesolidaires.org/plongee-au-coeurd-un-systeme-d-solidaire-la-piscine-fabrique-de-solutionspour-l-habitat-echirolles Le bâtiment «La Piscine» à Echirolles. Un lieu de fabrique de solutions pour l’habitat. p.17, photo 1,2 : © James Furzer, https://www.archdaily. com/770386/these-detachable-pods-aim-to-provideshelter-for-britains-homeless Ce projet de James Furzer pour mettre les Sdf à l’abri du froid, de l’humidité et des agressions, donne une place visible dans la ville.

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