Architecte responsable et engagée : pour une architecture pour tous.

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pour une architecture pour tous

ARCHITECTE RESPONSABLE ET ENGAGÉE :

Lisa Caplanne


Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Année universitaire 2017/2018

ARCHITECTE RESPONSABLE ET ENGAGÉE : pour une architecture pour tous Sous la direction d’Ivan Mazel Enseignement sous la responsabilité de : Théa Manola

Lisa Caplanne


Boîte à livre et reliure du rapport d’étude réalisés par mes soins. Imprimé sur papier 100% recyclé cyclus, certifié Écolabel Européen


REMERCIMENTS Je voudrais remercier tous ceux qui ont participé à l’élaboration de mon rapport d’étude. Tout d’abord, I. Mazel, mon enseignant de rapport de licence, pour l’aide apportée tout au long du semestre, pour son temps consacré à mon rapport d’étude au fil des semaines et ses nombreuses corrections. Mais aussi, mes parents, pour leurs longues relectures et leur soutien. Je veux remercier l’ENSAG et l’ensemble des professeurs, grâce auxquels je fais partie du monde de l’architecture. Évidemment je remercie « architectes de l’urgence » et « architectes sans frontières » qui m’inspirent et me motivent par leurs pratiques de l’architecture. Enfin je souhaite remercier T. Manola, de m’avoir accordé le redoublement volontaire de cet enseignement, sans quoi je n’aurais pu m’épanouir pleinement à travers mon sujet.



SOMMAIRE I. De l’architecture d’urgence à une architecture pour le développement a. Loger et habiter b. Les contextes d’interventions d’urgence c. La pérennité dans les projets, l’architecture de développement

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II. Pour une architecture vernaculaire a. Les habitats informels b. Préserver l’identité ; le territoire comme ressource c. La résilience à travers l’appropriation et l’écologie

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III. Une éthique dans la posture de l’architecte a. La participation habitante, un outil d’implication dans le processus de projet b. L’architecte comme professionnelle de terrain

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AVANT-PROPOS 13 novembre 2002, le pétrolier Prestige fait naufrage au large des côtes de Galice provoquant une grande marée noire. Le mazout se propage jusqu’au littoral Aquitain, venant toucher ma chère contrée : le Pays Basque. Du haut de mes six ans, je suis aux premières loges pour assister au spectacle d’horreur : au milieu de galettes d’hydrocarbures et d’oiseaux intoxiqués, des équipes vêtues de leur combinaison blanche nettoient les plages noires, souillées par le fioul. Touchée par ce désastre et largement sensibilisée à l’école, je ne peux plus fermer les yeux sur les conséquences de l’action humaine. L’injustice des catastrophes vient de nouveau choquer lorsque les vagues du tsunami s’abattent sur le territoire Sri Lankais, laissant un silence chaotique dans les villes anéanties. Le paradoxe est de constater que l’architecture qui permettait d’abriter et de protéger devient dangereuse et sème le désordre. L’homme ne maitrise pas tout. Sa vulnérabilité face aux évènements naturels est une raison pour laquelle l’homme et son environnement doivent établir une relation harmonieuse.

Encadré : Prestige Catastrophe environnementale, naufrage du pétrolier « Prestige » 13 novembre 2002


INTRODUCTION En tant qu’étudiante en architecture, femme de vingt et un ans, instruite par les études et sensible aux inégalités (sociales, climatiques, géopolitiques), comment puis-je à mon échelle, au travers de l’architecture, avoir une incidence positive sur le monde que l’on habite ? La politique est-elle le seul moyen d’action pour un monde plus juste ? De la même manière que l’homme politique utilise le pouvoir, je pense que l’architecte pourrait utiliser l’espace comme levier d’action. Je rejoins la pensée du philosophe M. Heidegger sur la notion d’habiter : « Habiter est la manière dont les mortels sont sur terre ». (Heidegger, 1951, p. 175). Cette dimension existentielle justifie le fait que non seulement habiter est universelle, mais aussi qu’habiter, c’est abriter son histoire, son identité, sa personne. Le droit d’exister, de vivre, ne relève pas d’autorisations juridiques, il devrait en être de même pour le droit d’habiter, car cela touche aux fondamentaux de la condition humaine. L’architecture existe depuis si longtemps et pourtant, encore aujourd’hui, une grande partie de la population n’a pas accès à une architecture de qualité, qui répond aux besoins principaux. Est-il possible d’imaginer l’habitable pour tous, dans des conditions décentes et dignes ? Dans un premier temps, j’exprimerai, comment l’action d’habiter diffère de celle de loger.

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L’inégalité architecturale est d’autant plus flagrante en contexte de crise. Les tremblements de terre, tsunami, guerre, migration, pauvreté urbaine, dévastent des territoires et des populations. Malgré la forte demande, les réponses architecturales restent aujourd’hui insuffisantes. Comme le dit l’architecte chilien A. Aravena « Quels que soient leurs revenus, les gens n’ont pas besoin de charité, mais de qualité ». (Aravena, 2016, p. 18). Évoquer la qualité d’un projet, c’est aussi pour moi penser sa pérennité et sa cohérence. Comment les usagers s’approprient-ils le projet dans le temps et comment l’espace est-il capable d’évoluer ? C’est à travers un parallèle entre l’architecture d’urgence et celle de développement que je vais analyser les différentes réponses architecturales humanitaires, destinées à ceux qui en sont le plus privés. Des habitats informels et spontanés, tels que des bidonvilles, se multiplient. Plus leur visibilité s’intensifie, plus la volonté de les exclure et les masquer se manifeste. Pourtant, ces constructions sans architectes et sans planification ont de réels enseignements à nous apporter. Pour parler de territoires ressources, du local et d’identité, je porterai mon regard sur l’architecture vernaculaire et montrerai en quoi, l’appropriation et l’écologie, jouent un rôle majeur dans l’autonomie et la résilience des territoires. Enfin, je m’intéresserai à l’architecte et ses valeurs. Travailler à une échelle réduite de projet est pour moi un atout qui permet une certaine proximité avec les acteurs et le terrain. Aujourd’hui, le métier d’architecte vit une transformation et c’est sur son rôle en pleine évolution, que je m’interrogerai.

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I. DE L’ARCHITECTURE D’URGENCE À UNE ARCHITECTURE POUR LE DÉVELOPPEMENT a. Loger et habiter Ma vision de l’architecte est celle d’une personne de savoirs et de compétences diversifiées, et qui, selon ses intérêts, ses préoccupations, sa sensibilité, les met au service de bénéficiaires. Qui sont ces bénéficiaires ? L’architecte semble travailler la plupart du temps pour une classe sociale élevée, voire riche et/ou puissante. On observe la qualité architecturale s’évaporer lorsqu’il s’agit de logements sociaux ou de projets pour les plus défavorisés.

La favela Paraisópolis à São Paulo au Brésil © Tuca Vieira, 2007

De plus, je constate que cette catégorie accède de manière privilégiée à une culture de l’architecture. Celle-ci n’est pas enseignée ni accessible à tous. Et si les villes et les écoles s’emparaient de la question pour améliorer le rapport des personnes à l’architecture. Le fait que les gens soient sensibilisés permettrait de démocratiser l’architecture et peut-être d’engendrer une transition : passer de la problématique du logement à la problématique de l’habiter. Encadré expérience : Challenging practice, piloté par Architectes sans frontières, est une formation sur les fondamentaux pour la production sociale de l’habitat. 2016, Lyon

Encadré expérience : Cours Logement évolutivité flexibilité, S. Dadour L2, 2015/2016, ENSAG Encadré expérience : Cours La grande ville, C. Bonicco-Donato, L2, 2015/2016, ENSAG

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Dans le cours d’introduction de la formation Challenging practice d’Architectes sans frontières, j’ai appris que : « La discrimination est avant tout un concept social (…) envers des individus ou des groupes vulnérables basés sur leur appartenance à des catégories (…). Les étiquettes utilisées par les groupes les plus influents d’une société, sont l’expression des relations de pouvoir du dominant envers les dominés, créant l’inégalité ». (Architectes sans frontières, 2012, p.153). Si l’architecture est discriminatoire, l’action d’habiter, elle, est universelle. Peu importe la manière dont nous le faisons, nous habitons tous. C’est dans les cours de Logement évolutivité flexibilité et de La grande ville que j’approfondis la notion « d’habiter ». J’y ai découvert la pensée de M. Heidegger, celui-ci affirme « On n’appréhende plus l’habitation comme étant l’être de l’homme : encore moins l’habitation n’est-elle jamais pensée comme le trait fondamental de la condition humaine ». (Heidegger, 1951, p.174). Cette vision est partagée par T. Paquot, M. Lussault, et C. Younès, qui révèlent la notion d’ « inhabiter », la décrivant comme un manque, une absence, une souffrance, une impossibilité à être pleinement soi. (Paquot, Lussault, et Younès, 2007, pp.13-15).


L’architecture ne devrait-elle pas être un droit universel ? L’article dix de La Charte de Hasselt veut « Défendre, fournir et améliorer un habitat digne et adéquat pour tous comme un “droit universel fondamental” ». Loger n’est pas habiter. C’est avec l’objectif de loger le plus de personnes possible et parfois même le plus rapidement possible, que les grands ensembles sont nés : la quantité au détriment de la qualité. Le bien-être et l’épanouissement au sein de l’habitation ne sont pas la priorité dans le fait d’être logé, on préférera parler de surface minimum, de fonctionnalité et d’économie. Lors de l’événement « les architectes ouvrent leurs portes » en 2016, la présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, C. Jacquot, parle de démocratisation de l’architecture, « Au nom de l’égalité des territoires, l’architecture, qui n’est pas un luxe, doit être totalement démocratique et accessible à tous, l’architecture c’est pour tous ». (Jacquot, 2016, vidéo). Une prise de conscience dans le réseau de l’architecture est en train d’opérer pour que la culture de l’architecture se répande, mais aussi pour que le droit, non seulement d’être logé, mais surtout d’habiter, soit davantage considéré. Bien que pour agir face à ces inégalités, l’humanitaire se soit développé ces dernières décennies et que chaque grande entreprise possède sa fondation de charité ; ces pratiques, qui sont souvent utilisées comme vitrines ou comme moyens de défiscalisation, sont un sournois business qu’il faut aborder avec méfiance. Certains architectes ou ONG de construction tentent néanmoins de répondre de manières plus professionnelles et adéquates. Selon mes deux expériences dans « Architectes de l’urgence » (ADU) et « Architectes sans frontières » (ASF), j’observe deux types d’intervention architecturale : l’urgence et le développement. Celles-ci fonctionnent de manière complémentaire. b. Les contextes d’interventions d’urgence

Encadré : Charte de Hasselt 10 articles ont été rédigés par plusieurs ONG de développement dans l’objectif d’avoir une charte commune.

Encadré expérience : Formation ADU. Cette formation de trois jours m’a permis d’aborder la gestion des risques, des solutions de conception et de construction parasismique, paracyclonique et des exemples d’interventions. 2016, Amiens Encadré expérience : Engagement dans l’association ASF. Je réalise la formation Challenging practice et je participe aux réunions mensuelles d’ASF. 2016, Grenoble / Lyon

Les situations de crise telles que les tremblements de terre, tsunami, guerre, migration, pauvreté urbaine, mobilisent de nombreux acteurs, mais il m’apparaît évident que ces contextes méritent l’intervention d’architectes. Comme réponse à ces situations, les ONG humanitaires sont aujourd’hui nécessaires. Cependant, elles peuvent parfois manquer de professionnalisme et de pérennité. Il y a une nécessité de développer la pensée architecturale dans le monde de l’humanitaire. Architectes de l’urgence (ADU) est une fondation créée par P. Coulombel. En France comme dans le monde entier, l’intervention, par le biais de la construction, s’adresse aux plus démunis afin qu’ils puissent retrouver des conditions de vie décentes dans les meilleurs délais. Après des catastrophes naturelles, technologiques ou humaines, ADU tente d’apporter des solutions architecturales, mais aussi des conseils de mise en sécurité et une assistance aux populations. Lors de ma formation, j’ai pris connaissance des différentes missions de ADU. Tout d’abord, ils procèdent à la mise en sécurité. Après la catastrophe vient l’alerte, c’est là que doit se collecter le maximum d’informations. Ils s’occupent des populations pour éviter qu’il y ait d’autres victimes touchées par la catastrophe et répondent aux besoins immédiats, en mettant en place les premiers abris d’urgence qui sont des abris provisoires, transportables, légers et compacts.

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Il est nécessaire mettre en place des solutions pour évacuer les décombres et dégager les espaces de circulation. Cela aborde la question des déchets de bâtiments. Pouvons-nous les recycler, faire du réemploi ? Les architectes de ADU établissent ensuite un diagnostic technique avec l’évaluation des dommages. Pour ces évaluations, des outils ont été développés comme un inventaire des pathologies des bâtiments. Ces bâtiments peuvent ne présenter que quelques fissures, être effondrés ou en mille-feuilles, d’autres ont basculé ou n’ont plus de rez-de-chaussée. Dans le meilleur des cas, ils ne sont pas dangereux et restent habitables, d’autres doivent bénéficier d’une expertise poussée indispensable avant la réintégration et dans le pire des cas, les immeubles sont trop dangereux et doivent être rasés. Il faut souvent repasser dans des immeubles déjà expertisés, car les nombreuses répliques occasionnent des dégâts supplémentaires. Enfin vient l’étape de la reconstruction pour le relogement des sinistrés de manière permanente. Lorsqu’ils font de la réhabilitation, ils procèdent à des renforcements de structures. Pour les nouvelles constructions, des stratégies parasismiques et paracycloniques sont intégrées. Dans leurs systèmes constructifs, ils choisissent de renforcer les structures avec de nombreux contreventements, les ouvertures elles, sont renforcées avec des chaînages horizontaux et verticaux. Si le traitement de l’urgence s’éternise de trop, cela peut devenir un problème de plus. Se concentrer sur le provisoire réduit les moyens pour les reconstructions pérennes. Il est nécessaire pour ces populations déjà vulnérables, d’avoir l’assurance de projets de qualité et durable. Je suis d’accord avec l’article neuf de la Charte de Hasselt, pour « Intégrer une stratégie de développement durable dans les programmes de posturgence ».

c. La pérennité dans les projets, l’architecture de développement

La vulnérabilité est le caractère fragile, le plus souvent après un choc, que peut présenter une personne, un bâtiment, un territoire. Comme l’explique le cours d’introduction de d’ASF : « La vulnérabilité est liée à la question du risque et cela s’exprime par une multiplication : risque de catastrophes = aléas x vulnérabilité ». L’aléa devient donc catastrophe quand les vies et les moyens de subsistance des gens sont touchés. (Architectes sans frontières, 2012, p.150). Pour les personnes vulnérables, la mauvaise connaissance du terrain, l’ignorance de la vision durable et des risques du territoire, ainsi que l’urgence du besoin d’habiter créés des constructions informelles, nonparasismiques, augmentant la fragilité des territoires et des personnes. Pour réduire le risque, il est nécessaire d’avoir un renforcement structurel, un renforcement de la planification, ainsi qu’un renforcement de la prévention du risque, afin qu’elles soient plus résilientes. Selon le Grand Robert, en écologie, la résilience est la « Capacité (d’un écosystème, d’une espèce) à retrouver un état d’équilibre après un événement exceptionnel ». (Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française, 2017).

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Architectes sans frontières (ASF), est une association créée par Pierre Allard en 1979. L’objectif d’ASF est d’apporter une réponse architecturale à la détresse des plus pauvres, réfugiés, habitants de bidonvilles, victimes de catastrophes ou de guerres dans de nombreux pays. Aujourd’hui ASF comporte plusieurs délégations en France (ASF Grenoble, ASF Lyon, ASF Marseille, etc.), mais aussi une vingtaine d’autres associations d’Architectes Sans Frontières à travers le monde.


Les valeurs d’ASF rejoignent celle de ADU sur la proposition de pratiques professionnelles architecturales adaptées, qui intègrent les exclus et les plus démunis. Cependant, cette dernière traite davantage le développement que l’urgence. Je rejoins leur positionnement, car je trouve des difficultés à associer l’architecture à l’urgence étant donné que je ressens le besoin de m’imprégner d’un contexte, de réaliser des études de terrain, afin que le projet soit le plus cohérent possible. Ma présence régulière aux réunions mensuelles d’ASF m’a permis de comprendre leur méthode d’intervention. Lors d’un projet, il y a en amont une phase d’analyse, puis, une équipe part en mission sur le terrain, cela va permettre d’aller rencontrer sur place les acteurs (associations, structures locales, pouvoirs publics…), prêt à s’investir dans le projet et pourquoi pas en trouver d’autre. Parfois, il se peut que l’équipe s’aperçoive que les besoins et les possibilités sont différents de ceux initialement annoncés, alors le projet est réadapté. C’est grâce à ces missions de terrain qui comprennent des études et des diagnostics que le projet trouve toute sa cohérence. Au-delà de leurs interventions post-catastrophe, ASF conçoit et réalise des projets de développement, fournit un regard technique, mais aussi intervient pour aider au montage de projets, à la création de partenariats, à trouver des subventions. Ils sont en quelques sortes, facilitateurs de projets. Des compétences administratives et de médiation sont alors requises. Dans le cours intitulé Mutations urbaines contemporaines de T. Manola, nous avons rédigé un article sur le rôle de l’architecte, et nous avons compris que la médiation et l’animation deviennent des outils importants pour l’architecte afin de faire le lien entre les habitants, les élus, les ONG, les différentes associations, etc. Celui-ci est de plus en plus amené à travailler avec de nombreux acteurs qui ont des enjeux différents et possèdent leurs propres intérêts. La médiation permet alors de dialoguer et de trouver un terrain d’entente.

Encadré expérience : Cours Mutations urbaines contemporaines, T. Manola L3, 2016/2017, ENSAG

Je pense que les personnes les plus vulnérables doivent aussi bénéficier d’une réelle qualité architecturale, êtres logées, mais surtout pouvoir habiter dignement. L’accès à l’architecture et à la culture de l’architecture m’apparaît comme un droit qui devrait toucher tout le monde. Au vu de l’augmentation des catastrophes, j’ai l’espoir que des réponses architecturales émergent et que la communauté des architectes se sente concernée. Pour moi, les solutions d’urgence qui répondent dans un premier temps aux besoins immédiats, doivent s’associent à la nécessité de solutions de développement qui assurent la pérennité et la cohérence du projet. Dans ma vision, je préfère favoriser la reconstruction et la réhabilitation à la destruction. Ceci pour des raisons économique, écologique et de respect du « déjà là ». Pour éviter la destruction, il faudrait anticiper avec des techniques parasismiques et paracycloniques afin que le projet soit le plus pérenne possible et cela même en zone sensible. À travers ces deux exemples d’intervention, j’ai compris qu’une culture du risque s’enrichit de plus en plus, avec des inventaires de pathologies architecturales et d’architecture vernaculaires. Une organisation s’est mise en place avec des « savoirs intervenir » selon chaque type de catastrophe, mais aussi un « savoir interagir avec les acteurs » avec des compétences de médiations. Pour moi, l’humanitaire ne doit pas juste réaliser de belles actions de charité qui traitent les problèmes en surface. L’important est d’agir en profondeur, avec du sens, des actions cohérentes et pérennes. Ne devrait-on pas professionnaliser les ONG afin de les responsabiliser ? Les conséquences de toutes actions de construction devraient être mesurées, étudiées, diagnostiquées, sur le court terme comme le long terme. 6


Pour cela, j’envisagerai de réaliser des études d’impact, des évaluations régulières et des suivis de projet, même une fois celui-ci terminé. Ces études recouvriraient autant l’aspect technique du bâtiment que l’aspect sociologique des manières de vivre des habitants dans leur quartier. J’aimerais travailler à l’international. Pour savoir intervenir intelligemment dans ces différentes situations de crise à travers le monde, j’aimerais m’intéresser aux spécificités architecturales de chaque lieu d’intervention. L’architecture vernaculaire m’apparaît comme un outil que j’aimerais utiliser, car il respecte la diversité des cultures et révèle l’identité des territoires.

II. POUR UNE ARCHITECTURE VERNACULAIRE a. Les habitats informels Encadré expérience : Cours La petite échelle et le grand territoire, l’habitat des populations nomades, A. Cankat L1, 2014/2015, ENSAG

Encadré : La loi française n° 2011-725 du 23 juin 2011 est disponible à l’adresse suivante http://www.assembleenationale.fr/13/dossiers/ habitat_indigne_outre-mer.asp

Dans le cours d’A. Cankat La petite échelle et le grand territoire, l’habitat des populations nomades, l’Habitat se définit comme : « Le mode d’organisation par l’homme du milieu où il vit, qui ne se matérialise pas uniquement en tant qu’abri construit, mais comme espace organisé, vécu et symboliquement marqué. L’ensemble des conditions matérielles, sociales et culturelles qui expriment un mode de vie. En géographie, le milieu géographique propre à la vie d’une espèce animale ou végétale ». On comprend ici le lien important entre l’homme et son environnement proche. Les bidonvilles, favélas, camps, constructions spontanées, squat, habitats alternatifs construits sans architectes, sont considérés comme des habitats informels ou spontanés. La loi française n° 2011-725 du 23 juin 2011 les définit comme « L’ensemble de constructions et installations diverses à usage d’habitation, ainsi qu’à usage artisanal et professionnel, édifiées par des personnes ne disposant d’aucun droit ni titre sur les terrains d’assiette, publics ou privés, avec ou sans permis de construire, terrains non ou insuffisamment desservis en réseaux publics de base ». Les instabilités climatiques et géopolitiques engendrent des flux de populations. La migration n’est pas un phénomène nouveau, cependant il va continuer de croître et développer des habitats informels et spontanés. La migration est une des raisons de la présence d’habitats informels et spontanés, on en retrouve bien d’autres comme le nomadisme, la précarité, ou la volonté de vivre ainsi par choix. (les squats, les tiny houses). Pourquoi les acteurs de la ville, de la politique et les médias dénoncent-ils ces constructions et tentent-ils de les cacher ou d’exclure leurs habitants ? Il serait bien plus intéressant d’en tirer des enseignements. En effet, je pense que ces types d’habitats ont quelque chose à apporter à l’architecture et aux architectes. Dans cette précarité se trouve une richesse que les architectes, urbanistes et élus, sous-estiment lorsqu’il pense la ville.

Encadré : Bellastock est une association d’architecture qui œuvre pour la valorisation des lieux et de leurs ressources.

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Dans la ville se trouvent de nombreux espaces « vides », des friches inoccupées, ou des terrains en attente de projets. L’association d’architecture expérimentale Bellastock organise et anime un festival de construction annuel en région Ile-de-France sur le thème de la ville éphémère, traitant ainsi des problématiques d’occupation temporaire d’espace déqualifié souvent en mutation urbaine. La ville en un souffle, la ville palette, et la ville en sac de terre, furent des thèmes expérimentés par l’association avec des participants. Ces techniques constructives peuvent être une réponse aux situations d’urgence.


LA VILLE EN UN SOUFFLE Bruyère-sur-Oise © Bellastock, 2011 Ville éphémère gonflable avec une architecture d’air et de textile.

LA VILLE PALETTE Issoudun © Bellastock, 2009 Ville éphémère qui pose la question du cycle de la matière.

LA VILLE SAC DE SABLES Carrières-sous-Poissy © Bellastock, 2010 Ville éphémère où les sacs de terre affirment le lien possible entre l’architecture et le site.

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Encadré expérience : Optionnel Habiter la ville : temporalités, trajectoires, permissivités, S. Dadour, J. Martin L3, 2016/2017, ENSAG

Il serait intéressant de faire un travail cartographique qui référence dans la ville, ces types d’espaces accueillants et éphémères. L’idéal serait d’avoir une certaine flexibilité dans le bail, qui fait que, si le projet trouve du sens en ce lieu, qu’il apporte une dynamique de quartier et que les acteurs se le sont bien approprié, il puisse s’ancrer sur le lieu à plus long terme. L’exemple de La piscine à Echirolles que nous avons vu en cours optionnel Habiter la ville : temporalités, trajectoires, permissivités, relate bien de ce type d’expérience, car le projet fut réalisable grâce à l’autorisation d’un bail précaire sur un terrain ou le bâtiment était abandonné. La piscine, fabrique de solutions pour l’habitat, est installée dans un bâtiment à Échirolles, anciennement occupé par un fabricant et vendeur de piscines. La piscine est un projet qui part de la volonté de faire avec et pour les personnes en situation de grande précarité, et de leur donner la possibilité de s’organiser et de trouver des solutions. C’est un lieu d’expérimentation, de bricolage, de réflexion, et d’auto-construction ou les différents acteurs (sdf, architectes, sociologues, associations etc) croisent leur énergies et abordent les questions de l’habitat, de la ville et de la précarité. Actuellement La Piscine est fermée depuis octobre 2014, faute de renouvellement de bail précaire. Et si nous pensions davantage la ville accueillante que la ville contrôlée. J’apprécie d’imaginer de manière légèrement utopique, une ville qui laisse une certaine flexibilité sur les espaces vides et abandonnés, autorisant davantage de baux et de constructions éphémères, qui peuvent évoluer en bail plus pérenne si cela à du sens. Nous architectes, pourrions davantage analyser les constructions informelles et spontanées en travaillant avec ses habitants. L’autoconstruction de ces habitats fait souvent appel au réemploi. M’intéresser aux cycles de la matière, à la valorisation d’objets et de matériaux et à la manière dont on peut les intégrer dans un habitat me laisse penser qu’il y a beaucoup de potentiel pour le réemploi en architecture. Les habitats informels et spontanés contrastent avec l’architecture moderne, qui a voulu développer une réponse à l’homme type. Elle s’est industrialisée, standardisée et selon moi, appauvrie. L’architecture vernaculaire permet des réponses plus subjectives, car elle traduit des spécificités locales et culturelles. Nous avons une histoire, une identité, nous sommes différents, et c’est une richesse. Le vernaculaire permet à mes yeux, d’habiter le monde et de cohabiter avec notre environnement plus humainement.

b. Préserver l’identité, le territoire comme ressource

Comme dans tous les domaines, les enjeux économiques et l’efficacité, demeurent au premier plan, au détriment de la qualité d’un projet qui pour moi se définit par : - sa cohérence avec le site, son sol, sa biodiversité, son climat… - sa cohérence avec les acteurs, leurs besoins, leurs usages, leur implication… - l’identité du territoire, son histoire, ses traditions, sa culture…

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Dans le cours de A. Cankat La petite échelle et le grand territoire, l’habitat des populations nomades, il y est définit que « La culture est médiation entre les hommes et la nature. Elle est constituée par l’ensemble des artefacts, des savoir-faire et des connaissances par lesquels les hommes médiatisent leurs relations avec le milieu naturel. La culture est héritage et résulte du jeu de la communication. Tout comme une langue, la culture se définit par le fait qu’elle est transmise. Chaque génération, chaque groupe innove en même temps qu’il reçoit, chaque culture se réinvente, toute tradition est réinterprétée par le groupe ou la génération à qui elle est transmise, c’est ainsi qu’il la fait sienne. La culture est construction, elle est évolutive. Des innovations interviennent. Certaines sont rejetées où mettent du temps à s’imposer, d’autres sont très vite adoptées. Les cultures sont des réalités mouvantes ». Ainsi la maison représente une série de facteurs socioculturels.

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Encadré expérience : Cours La petite échelle et le grand territoire, l’habitat des populations nomades, A. Cankat L1, 2014/2015, ENSAG

Fig. 1, Fig. 2, Fig. 3 Habitat Lobembe figurant dans le diaporama du cours de A. Cankat, La petite échelle et le grand territoire, l’habitat des populations nomades, L1, 2014/2015, ENSAG © Extrait de Les pygmées d’afrique centrale, Guy Philippart de Foy, 1984

Fig. 1

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Fig. 2 Lobembe - préau pour deux personnes. La tige ultime maintient la courbure de la structure

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Fig. 3

1-Préparation de l’aire d’habitation. 2-Amorce de la construction du lobembe d’un couple 3-Armature du lobembe du couple en voie d’achèvement

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Je trouve que l’architecture vernaculaire parvient à coordonner l’ensemble de ces facteurs pour la qualité d’un projet. Je n’affirme pas que l’architecte est inutile ni que le travail sans architectes est médiocre, seulement, les savoirs et savoir-faire doivent s’articuler pour enrichir les projets. Travailler les méthodes et techniques constructives locales, avec des matériaux locaux, et des ressources humaines du territoire, c’est préserver l’identité et le charme d’un lieu. Cela va aussi permettre de valoriser un travail artisanal, et favoriser la dynamique d’un territoire. L’architecte égyptien H. Fathy est partisan d’une architecture pour le peuple, et de ce fait, se base sur les traditions locales, l’architecture sans architectes, vernaculaire. L’utilisation de matériaux simples n’est pas synonyme pour lui d’architecture pauvre ou pour les pauvres, et je suis d’accord pour dire qu’ils permettent même une esthétique de qualité et une économie des moyens. On se demande souvent si l’architecture vernaculaire est synonyme d’un refus du progrès ou d’une régression dans le passé. H. Fathy répond à cela : « La tradition, affirme-t-il, n’est pas forcément désuète et synonyme d’immobilisme. De plus, la tradition n’est pas obligatoirement ancienne, mais peut très bien s’être constituée récemment. Chaque fois qu’un ouvrier rencontre une nouvelle difficulté et trouve le moyen de la surmonter, il fait le premier pas vers l’établissement d’une tradition ». (Fathy, 1970, p. 59). Promouvoir le vernaculaire c’est aller à l’encontre d’une mondialisation standardisée qui, dans le monde de Globalia, ouvrage dystopique de JC. Rufin en 2005, est présentée comme notre futur monde. Il n’y a plus de pays, plus de culture, plus de différences. Toute la « nature », la « végétation » y est factice et visitée comme un musée. L’aspect surcontrôlé, sécuritaire, de surconsommation et individualiste du monde de Globalia m’a fait réaliser les risques que nos modes de vie peuvent avoir dans le futur.

c. La résilience à travers l’appropriation et l’écologie

Depuis mon enfance, je suis soucieuse des impacts de l’homme sur l’environnement. Lorsque je suis arrivée à Grenoble, étant donnée la politique de la ville, je me suis davantage renseignée sur le mouvement écologique, qui correspond à mes valeurs. L’écologie est pour moi une pratique qui vise à avoir une relation harmonieuse entre les êtres vivants et leur environnement.

illustration EGO vs ECO http://notbuyinganything. blogspot.fr/2012/04/ego-vs-eco. html 11


Au XIX e siècle, après la révolution industrielle, nous avons évolué vers une société commerciale de grande consommation, où l’importance des biens matériels est révélatrice d’une réussite, et où le savoir-faire de l’homme est remplacé par des machines. L’obsolescence programmée est venue rythmer nos achats, notre consommation à outrance devient la base de notre système, économique et social. Cette constante croissance a toujours raisonné avec progrès et succès, il faut toujours faire plus, aller plus vite, produire plus. Ne nous écarterions pas de nos besoins réels ? Ne serions-nous pas en train de fermer les yeux sur les conséquences dévastatrices, tant sur les rapports humains que sur notre environnement, de cette forme de société ? N’avons-nous pas été instrumentalisé par la consommation, les médias, les politiques, au point d’avoir été déresponsabilisé ? À force de me sentir révoltée par ces problématiques, j’ai décidé d’agir à mon échelle. En commençant par ma consommation alimentaire. Je tente d’acheter local et de saison, d’aller au marché plutôt que dans un supermarché, d’acheter en vrac, puis sans devenir végétarienne, de manger moins de viande. Je ne souhaite plus participer aux grandes chaînes telles que McDonald’s, Starbucks, KFC… Je fabrique ma propre lessive et quelques autres produits. J’évite de porter des vêtements neufs et me rends dans des magasins d’occasion, ou je favorise la réutilisation des habits. Je privélégie les transports en commun et le vélo à la voiture. Ainsi je fais ma part. Je fais ici, référence à la légende racontée par P. Rabhi fondateur du mouvement écologique des Colibris, que j’ai découvert dans le cours de Mutations urbaines contemporaines. « Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrorisés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu !” Et le colibri lui répondit : “Je le sais, mais je fais ma part.” ». À mon échelle je fais en sorte de faire évoluer le monde de demain dans le sens de mes opinions, et si je ne peux pas changer le monde, je peux au moins montrer l’exemple. Pourquoi ne pas imaginer étendre « ma part » au domaine de l’architecture ?

Encadré expérience : Cours Mutations urbaines contemporaines, T. Manola L3, 2016/2017, ENSAG

La collapsologie me passionne autant qu’elle m’effraie, cette science de l’effondrement de notre civilisation, n’a fait que conforter mes idées écologiques et ma volonté d’aller vers une décroissance. « Dans nos sociétés, très peu de gens savent aujourd’hui survivre sans supermarché, sans carte de crédit et sans station-service. Lorsqu’une société devient “hors-sol”, c’est-à-dire lorsqu’une majorité de ses habitants n’a plus de contact direct avec le système-Terre (la terre, l’eau, le bois, les plantes, etc), la population devient entièrement dépendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet état. Si cette structure, de plus en plus puissante, mais vulnérable, s’écroule, c’est la survie de l’ensemble de la population qui pourrait ne plus être assurée ». (Servigne & Stevens, 2015, p. 125). Notre système capitaliste basé sur la croissance a ses limites. La décroissance est un concept politique, économique, social et écologique qui s’oppose à la croissance et au productivisme. La décroissance prône un mode de vie plus simple en diminuant notre consommation, et en développant des modes d’organisation plus collectifs et résilients pour faire face à l’épuisement des ressources. Comment penser une architecture dans le sens de la décroissance ?

Encadré : Collapsologie En 2015 Pablo Servigne et Raphaël Stevens lancent un nouveau courant intellectuel qu’ils nomment « Collapsologie » ou « science de l’effondrement de notre civilisation » de l’anglais « to collapse » s’effondrer.

Lors du cours d’ Approche constructive sur le thème masse, nous avons été sensibilisés à la problématique de « faire plus avec moins » ou du moins, faire avec ce que l’on a. Nous devions imaginer un projet masse construit selon la quantité de terre extraite du sol. Finalement ce projet s’inscrit dans un mode de pensée de décroissance.

Encadré expérience : Approche constructive, P. Rollet L1, 2014/2015, ENSAG

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L’impact des modes de vie et des modes de production de l’habitat sur notre environnement est à prendre en considération. Je trouve de plus en plus important de développer des projets résilients en réfléchissant à des modèles d’autonomie et d’autoproduction. Par exemple, le programme peut intégrer un atelier de couture, un jardin de permaculture, un atelier vélo, un atelier bricolage, un espace d’échange, etc. Ces lieux de convivialité et de partage des connaissances permettent aux usagers de se réapproprier la technique, de favoriser le réemploi, l’autoconstruction, le do it yourself. Je vois là, une manière de re-responsabiliser les gens. J’envisage d’utiliser des principes écologiques (conception bioclimatique, matériaux locaux, réduction de l’énergie grise, évolution des espaces dans le temps, traitement des déchets de chantier, etc). Ensuite, l’architecture ne pourrait-elle pas aller plus loin et exploiter le projet comme outil de sensibilisation à l’écologie ? Je pense qu’elle peut inciter à pratiquer des usages/des modes de vie, plus soutenable. L’agriculture urbaine pose la question de notre alimentation en ville. L’architecture pourrait se montrer ouverte à des projets de fermes et de serres urbaine, mais aussi à la production potagère sur les toits, comme le fait l’association Grenobloise Cultivons nos toits. Encadré expérience : Cours Mutations urbaines contemporaines, T. Manola L3, 2016/2017, ENSAG

En cours de Mutations urbaines contemporaines, nous avons eu l’intervention de Silvère Tribout qui a réalisé une thèse intitulée Comment les concepteurs reçoivent le développement durable dans la manière de penser et de faire. Son regard très critique m’a fait prendre conscience que le développement durable reste un terme très large et flou qui ne résonne pas de la même manière et n’a pas les mêmes objectifs selon les acteurs. Le développement durable est un outil de rentabilité et d’économie. En France, nous l’abordons beaucoup comme source d’innovation, de manière très technique et technologique, mais peu avec une approche sociale. Concevoir dans une démarche de développement durable signifie-t-il répondre aux normes, réglementations et labels ? Après cette intervention je pense qu’il ne faut pas se contenter d’intégrer des dispositifs durables au projet, ni de répondre à des normes et des labels instaurés par des organismes, mais plutôt comprendre quelles en sont les conséquences positives et/ou négatives sur un court terme, moyen terme et long terme. Quelles sont les évolutions de ces dispositifs/concepts ? Comment ontils été appropriés par les gens ? Comment s’intègrent-ils à l’environnement ? Il faudrait considérer que le travail de l’architecte sur cette problématique ne s’arrête pas à la conception, mais continue même après réalisation. L’architecture vernaculaire permet des projets cohérents avec des solutions adaptées au contexte et valorisantes d’une culture. De plus l’architecture vernaculaire ouvre des perspectives de résilience qui sont basées sur l’utilisation des ressources et de moyens locaux. Deux articles de la Charte de Hasselt résument bien ma conclusion de cette partie : - L’article un, indique : « Coopérer à des initiatives justes et équitables pour un développement durable en collaboration effective avec les personnes ou communautés défavorisées. Ce processus devra respecter les principes de solidarité humaine, de non-discrimination, avec comme objectif ultime l’autosuffisance des bénéficiaires ». - L’article cinq poursuit : « Faciliter l’usage de technologies appropriées, de matériaux écologiques et main-d’œuvre adaptés aux valeurs et identités culturelles de chaque situation tout en respectant l’environnement ».

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Promouvoir le partage et le « faire soi-même », c’est adopter une démarche qui va à l’encontre de l’individualisme et de la consommation de masse qui détruisent notre planète et nos rapports humains. Face aux problèmes démesurés du changement climatique, des catastrophes environnementales, des disparitions de la biodiversité ; ces pratiques simples et accessibles, au travers de l’architecture, pourraient nous rappeler qu’à notre simple échelle d’individu, nous avons déjà un grand pouvoir d’action. Je pense que les locaux doivent être acteurs dans la construction de leur territoire, car ils ont les clés de leur résilience.

III. UNE ÉTHIQUE DANS LA POSTURE DE L’ARCHITECTE Je souhaite travailler à une échelle réduite de projet pour préserver la proximité ; proximité avec les acteurs, les habitants, en favorisant la participation, mais aussi le lien avec le terrain, les matériaux, la construction. Je ne conçois pas de travailler seul dans un bureau en dessinant des plans à la chaîne, ni même de travailler dans une structure où les projets défilent sans que je puisse m’y impliquer. Il y a, pour moi, davantage de sens quand tout ce qui gravite autour de l’architecture interagit ensemble et fusionne. A. Aravena, malgré sa renommée au prix Pritzker, travaille dans une petite agence de vingt cinq personnes seulement, afin de se concentrer sur les projets et non sur le management de l’entreprise. Je trouve que cette stratégie permet de maintenir un lien entre les acteurs, les collègues, les projets. L’échelle de proximité de cette agence apporte une qualité du travail, un bon suivi et une implication possible. a. La participation habitante, un outil d’implication dans le processus de projet La participation, qui a pris une part majeure dans les années 1970-1980 est avant tout une affaire de pouvoir et de conflits d’intérêts. Comme nous l’avons vu dans le cours de Mutations urbaines contemporaines, elle s’est développée suite à l’aménagement de grandes infrastructures dans tout le territoire français, qui ont provoqué des conflits entre habitants, usagers, et commanditaires de projet. Si je devais décrire ce qu’est la participation au sein de l’architecture, je dirais qu’elle se traduit par l’implication des futurs habitants, d’un l’immeuble, d’un quartier, d’une ville, dans la conception ou sur le chantier, de leurs espaces de vie et des futurs projets qui viendront s’implanter dans leur environnement. Si je fais de la participation, je souhaite qu’elle soit respectueuse de l’environnement et qu’elle intègre la notion d’échelle locale. Je ne pense pas que la participation doit être automatique ou utilisée sur tout les projet à toutes les étapes, car cela n’est pas forcément nécéssaire, mais aussi car il faut tenir compte des disponibilités des gens et de leur réels intérêts.

Encadré expérience : Cours Mutations urbaines contemporaines, T. Manola L3, 2016/2017, ENSAG

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Dans l’ouvrage L’architecture de survie, Y. Friedman se questionne « A qui revient le droit de décision en matière d’architecture ? ». (Friedman, 2003, p. 11). Celui-ci nous rappel que la raison d’être d’un objet en architecture est de donner staisfaction à l’habitant et de lui servir, mais qu’il n’existe aucun language commun de communication entre l’habitant et l’architecte. De nombreux outils se sont développés pour mettre en place la participation : avec des temps plus ou moins longs, des interventions individuelles ou collectives, sous forme de jeu de théâtre, avec différents supports comme par exemple : débat mobile, brainstorming, metaplan, boîte a idées. Des principes viennent faciliter la participation : le travail en petits groupes, la mobilité, des règles, les rôles tournants, les supports d’expression diversifiée, le caractère ludique, le caractère éphémère etc. Le language commun entre les habitants et les architectes, permet de générer un transition, de passer des différents supports ludiques au plan, ainsi l’habiant devient son propre architecte, Y. Friedman appel ça l’autoplanification. Y. Friedman a dessiner un manuel de l’autoplanification, dont je vous présente quelques extraits. Ce manuel a été plusieurs fois appliqué et expérimenté. La Fig.1 exprime comment l’utilisateur futur est capable de faire ses propres plans : « Si l’utilisateur futur apprend lui-même un language qui indique les conséquences à attendre de son projet pour lui même comme pour les autres, il pourra être son propre planificateur, laissant à l’expert le rôle de technicien » (Friedman, 2003, p. 43). La fig.2 exprime comment l’autoplanification peut-elle se faire ?. La Fig. 3 exprime le déroulement du processus d’autoplanification.

Fig. 1

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Fig. 1, Fig. 2, Fig. 3 © Dessins extrait de l’ouvrage Architecture de survie de Yona Friedman, 2003

Fig. 2

Fig. 3 16


Catherine Jacquot, durant l’évênement « Les architectes ouvrent leurs portes », affirme « Dans les pays du nord, on ne construit pas un mur sans faire appel aux architectes. Il y a toute une éducation, une pédagogie à faire, qui doit être faite dès l’école, qui permettrait aux habitants de participer beaucoup mieux à l’élaboration de leur cadre de vie en toute connaissance de cause. Les architectes sont très attachés à cette participation, cet engagement des citoyens des habitants dans la construction de leurs projets ». (Jacquot, 2016). Il existe des animateurs de participation, celui-ci a rôle de médiateur, il doit veiller à éviter les préjugés, mauvaise interprétation, monopolisation du temps. Le rôle de médiateur est de faciliter la communication, de clarifier le dialogue, d’encourager la participation, de veiller à la gestion du temps et la gestion du rythme. Intégrer, à dose raisonnable et bien encadrée la participation en architecture, ne peut qu’apporter une richesse. Ne devrait-on pas, en tant qu’architecte, être formé à des compétences de médiation et d’animation pour être capable de gérer la participation ? L’article huit de la Charte de Hasselt veut « Soutenir les processus participatifs, démocratiques, multi-culturels et interdisciplinaires dans le renforcement solidaire des communautés comme facteur de développement social rural ou urbain ». Je considère que le rôle de l’architecte ou de l’expert est de favoriser l’autonomisation des habitants en leur permettant de s’engager dans leur environnement. La participation fait évoluer le métier d’architecte, en lui demandant de nouvelles compétences. La participation pourrait être enseigné dans la formation des écoles d’architectures, notament dans le projet, pour donner un nouvel élan à toute une génération concernée par l’avenir des villes et des citoyens.

b. L’architecte comme professionnelle de terrain

Devenir un architecte ouvrier c’est supprimer la marge qu’il y a entre conception et construction. Je vois dans le travail de terrain l’opportunité de me rapprocher de la matière et du détail, mais aussi de penser plus simplement la construction. Je souhaite m’éloigner de l’image du grand architecte qui supervise, pour tendre vers une pratique plus modeste et convivale. C’est sur le terrain que je peux avoir une meilleure compréhension du contexte, du sol, des habitants, du climat. Être sur le terrain c’est être en action et avoir la satisfaction d’observer les réalisations concrètes se développer. C’est un bon moyen de suivre l’évolution d’un projet. Il y a pour moi un « avant », un « pendant » et un « après ». C’est sur l’ensemble de ces étapes que l’architecte devrait intervenir pour avoir un bon suivi.

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Pourquoi ne pas s’installer dans la ville du projet pour m’imprégner davantage du lieu ? C’est ce qu’a proposer P. Bouchain pour le projet de rénovation de 60 maisons locatives sociales à Boulogne-sur-mer. Ces logements sociaux étant insalubres, la démolition les attendait, mais rétissant au gachis, P. Bouchain parvient à investir dans la rénovation des maisons, l’argent prévus pour leur destruction. Pour bien comprendre le lieu existant et faire participer les futurs habitants, l’architecte S. Ricard est allée vivre sur place dans une des maisons afin de réfléchir avec chaque habitant à ses besoins pour rendre la maison plus habitable. Si les toits et isolations de facades de toutes les maisons ont été refaits, chaque maison à été un cas particuliers. Selon la demande de l’haitant il à fallut rajouter des fenêtres, réparer des fuites, casser des cloisons pour agrandir, changer papier peint. Certaines maisons (et pas toutes les maisons) ont été adaptés aux normes handicapés.


RÊnovation de 60 maisons locatives sociales avec les habitants. Boulogne-sur-mer Š Sophie Ricard, 2013

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Dans ma manière de travailler, je rejoins l’article trois de la Charte de Hasselt qui veut « Inciter un professionnalisme éthique qui privilégie particulièrement la coopération et la pratique ensemble avec le commerce éthique, les institutions financières qui œuvrent pour la paix ». Contrairement au groupe Bouygues, je ne souhaite pas pratiquer le lobbying, construire à des échelles démesurées et destructrice, de biodiversité, de territoires et de culture, pour un profit économique et médiatique, mais souhaite plutôt travailler avec des entreprises, instituons qui ont des valeurs humaines et environnementales et travaillent à plus petite échelle. Pour mettre en valeur le travail de l’humain, je souhaite aller à l’encontre du perfectionnisme, de l’efficacité et de l’esthétique pour révéler la beauté des défauts, l’imperfection, les irrégularités. Je veux apprendre de l’artisan et valoriser son travail. Je ressens la nécessité d’approfondir mes connaissances en construction et en mécanique des structures. J’aimerais apprendre des savoir-faire d’artisan comme celui d’ébéniste. Le bois et la terre sont deux matériaux qui m’intéressent particulièrement. Les semaines intensives à l’atelier de l’Isle-d’Abeau comme les expériences de chantiers participatifs m’ont confirmées mon attrait pour le terrain, le contact avec les matériaux, mais aussi avec les différents acteurs. Maintenir des rapports directs avec le projet valorise les interactions. Aujourd’hui je n’envisage pas mon futur métier sans différentes interactions matérielles et immatérielles, qui apportent une dynamique et rendent les projets vivants et humains.

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CONCLUSION Depuis plus de trois années, l’ENSAG m’apporte des méthodes, des approches et des réflexions diverses que j’ai su accueillir. Le travail d’écriture de ce rapport d’étude m’aura permit de consacrer du temps à approfondir des sujets qui me tiennent à cœur et de les enrichir de références, mais surtout d’organiser ma réflexions et de poser mes idées. Encadré expérience : Studio projet Architectonique et technologies de l’architecture S. Doucerain Studio projet Synthèse architecturale, urbaine et paysagère E. Lena L3, 2016/2017, ENSAG Encadré expérience : Cours Mutations urbaines contemporaines, T. Manola L3, 2016/2017, ENSAG Encadré expérience : Cultures contemporaines, S. Dadour, S. Paviol L3, 2016/2017, ENSAG

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L’année de licence trois a été particulièrement importante pour moi. En atelier de studio j’ai apprécié travailler à des échelles opposées : du détail au territoire, cela m’a fait prendre du recul sur les enjeux de l’architecture. Les cours de Mutations urbaines contemporaines et de Culture contemporaines suscitèrent toute mon attention, car ils relataient de thèmes auxquels je m’intéressais déjà auparavant sans penser que l’on pourrait en parler à l’école : le réemploi, la transition énergétique, le féminisme. Le lien à l’architecture s’étend alors bien plus loin que ce que j’imaginais. C’est à partir de cette année-là, avec notamment les travaux d’écriture, les articles et le rapport d’étude, que j’ai commencé à appréhender l’architecture comme un engagement. Les formations et les séminaires chez AUD et ASF furent révélateurs. Ces expériences riches de rencontres, d’interventions et de réunions constructives, m’ont prouvé que le type d’architecture vers quoi je souhaitais m’orienter, existait, et que la communauté pratiquant cette architecture était importante. Grâce à ce réseau et ces échanges, j’ai aiguisé ma réflexion sur la manière de pratiquer cette architecture « humanitaire », et s’il m’est difficile de m’imaginer faire ça toute ma vie, je sais que j’ai tout de même besoin d’une expérience comme celle-ci dans mon futur métier. Je me demande parfois si je dois réellement avoir la casquette d’architecte pour faire du développement, intervenir après une situation de crise ou pour construire de manière éthique ? Aujourd’hui je suis toujours engagée au sein de l’association Architectes sans frontières de Grenoble. Je n’ai pas terminé la formation Challenging practice puisqu’il me reste un stage et un mémoire à faire avant de la valider.


Je pars faire ma première année de master à Guadalajara au Mexique où j’aurai l’occasion de participer à des cours sur l’architecture vernaculaire et l’architecture mexicaine, j’ai aussi l’intention de voyager et d’apprendre des habitats informels tels que les bidonvilles. J’envisage pour ma deuxième année de master de postuler aux deux ateliers de studio différents : - AEdification, Grands Territoires, Villes, qui a une approche assez social de l’architecture, où le thème traité en semestre un est « l’habitat pour les plus démunis ». - Architecture, Environnement et Cultures Constructives, pour le rapport aux matériaux, au détail et à l’apprentissage par l’expérimentation et la réalisation de projets. J’ai envisagé quelques perspectives post-master, à travers notamment des Diplômes Spécialisés en Architecture (DSA). J’aimerais faire le DSA Risques majeurs à l’école d’architecture de Paris-Belleville afin d’être formée sur la gestion des risques et sur les problématiques de développement de la ville résiliente. Le cycle de formation comprend des voyages d’études où l’on est directement sur le terrain. Je suis aussi vivement intéressée par le DSA Architecture de terre à l’école d’architecture de Grenoble. Une expérience chez Architectes de l’urgence à travers un stage ou un contrat de volontariat international serait aussi envisageable dans mon parcours. Face aux situations de crise, je pense trouver dans l’architecture une forme de solidarité. L’idée de devenir une architecte de terrain et d’action me séduit. Sans tomber dans l’utopie ni dans le militantisme, j’aimerais penser mon futur travail comme un engagement optimiste dans l’action et l’interaction.

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BIBLIOGRAPHIE LIVRES HEIDEGGER Martin, 1951, « Bâtir, habiter, penser », Essais et Conférences L’Homme et l’Espace, Gallimard, 349 p. LEFEBVRE Henri, 2009, Le droit à la ville, Economica, coll. Anthropologie, 135 p. PAQUOT Thierry, LUSSAULT Michel, YOUNÈS Chris (dir.), 2007, Habiter, le propre de l’humain : Villes, territoires et philosophie, La Découverte, coll. Armillaire, 384 p. FRIEDMAN Yona, 2003, L’architecture de survie, L’éclat, coll. Premier Secours, 222 p. RUFIN Jean-Christophe, 2005, Globalia, Gallimard , coll. Folio, 512 p. FATHY Hassan, 1970, Construire avec le peuple, Jérôme Martineau, 310 p. ARTICLES ARAVENA Alejandro et SABBAH Catherine, 2016, « Alejandro Aravena », Les Echos BOTTA Mario, 2005, « Ethique du bâti », (1re éd. ita. Etica del costruire 1995), Editions Parenthèses ARCHITECTES SANS FRONTIÈRES, 2012, « Challenging practice, Fondamentaux pour la production sociale de l’habitat », 175 p. ASF-España, Architecture & Développement, ASF-France, ASF-Portugal, ASFONLUS-Italia, ASF-Italia (Milano), Africa ’70 (Milano), ASF-RDCongo, ASF-Brazil, ASF-UK, ASF-Sweden, ASF-Belgium, ARC-PEACE (Architects Designers Planners for Social Responsibility), Arquitectos Solidarios, A&D India & Architecten ueber Grenzen, ASF-Nepal, « Les 10 articles de la Charte de Hasselt »

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VIDEOS JACQUOT Catherine, 2016, « Les architectes ouvrent leur portes », France BOUCHAIN Patrick, 2017, « Patrick Bouchain, architecte : construire la ville avec ses habitants » Le Monde, Propos recueillis par Fanny Laemmel, https://www.lemonde.fr/festival/video/2017/07/13/patrick-bouchain-architecteconstruire-la-ville-avec-ses-habitants_5159853_4415198.html LIENS INTERNET PAQUOT Thierry, 2009, « Hassan Fathy, construire avec ou pour le peuple? », Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique, mis en ligne le 01 juillet 2012, consulté le 23 mars 2018, http://journals.openedition.org/chrhc/1907 La loi française n° 2011-725 du 23 juin 2011 http://www.assemblee-nationale.fr/13/dossiers/habitat_indigne_outre-mer.asp Association Bellastock http://www.bellastock.com Projet La Piscine http://www.fabriquedesolutions.net

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