Mémoire L'inondation vertueuse - PFE ENSAPM 2015 - Lisa Poletti-Clavet / Marguerite Wable

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L’inondation vertueuse Le risque support du développement de l’écométropole Nantes - Saint-Nazaire

MÉMOIRE DE FIN D’ÉTUDES - JUIN 2015 Lisa Poletti-Clavet & Marguerite Wable

DIRECTEURS D’ÉTUDES Philippe Simon, Sabine Chardonnet et Can Onaner



«Puisqu’il est impossible d’envisager l’avenir, utilisons donc notre énergie à considérer l’incertitude comme une liberté.» Thomas Sieverts



REMERCIEMENTS

Ce Projet de Fin d’Etude (PFE) été réalisé dans le cadre de la dernière année à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais. Il clôture ainsi notre scolarité malaquaisienne. Nous tenons à adresser nos sincères et chaleureux remerciements aux personnes nous ayant accompagné et soutenu tout au long de cette aventure studieuse, en particulier : - nos enseignants, Sabine Chardonnet, Philippe Simon, et Can Onaner, pour leur confiance, leur disponibilité, leurs conseils avisés et leurs encouragements qui nous ont accompagné au cours de ce projet, Yann Rocher, Anne Bossé, Nicolas Gilsoul et Jac Fol pour leurs regards éclairés et la pertinence de leurs remarques, ainsi que Dominique Rouillard pour sa confiance encourageante ; - les personnes rencontrées : François Prochasson, Laurie-Mai Denoux, Xavier Liébard et Antoine BaguenierDesormeaux, fins connaisseurs du territoire, pour le partage de leurs points de vue ; - nos camarades et amis, en particulier Milena et Corentin, Pauline et Juliette, Charles et Emilien pour la bienveillance et la sincérité de nos échanges ; - Thomas et Clémence, pour leur patience, leur soutien et leur indulgence ; - Catherine et Gérard, Vincent et Laurence, ainsi que nos entourages respectifs pour leur appui et leur incompréhension compréhensive.

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DÉFINITIONS PRÉALABLES Résilience : système capable de s’adapter, de prévoir et d’anticiper les situations de crise Vulnérabilité : fragilité d’un système et caractéristique dont la prise en compte est source de progrès et de soutenabilité Risque : élément générateur d’incertitudes devenant opportunités innovantes de projet Inondation / submersion : outil et filtre permettant de renverser notre regard sur le territoire Architecte-urbaniste : acteur ayant un rôle d’aiguillon, capable d’anticiper, préparer et organiser les changements sociaux et environnementaux de demain en construisant le présent. Métropole de la marée : construction politique et géographique recherchant la cohérence de paysages fragmentés, d’identités plurielles et de rives dissociées autour des fluctuations de l’estuaire ligérien

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TABLE DES MATIÈRES Introduction Se risquer

15 15

Un binôme

15

Une postUre

15

Prémices

17

Un contexte de crise climatiqUe

17

l’inondation, risqUe majeUr

17

l’incertitUde soUrce de projet

18

l’estUaire de la loire et la métropole nantes-saint-nazaire : Un territoire inondable

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I. Métamorphose du risque 1. La catastrophe paralysante

29 29

1.1 réchaUffement climatiqUe et montée des eaUx

29

1.2 xynthia : Génèse d’Une catastrophe

31

1.3 adapter plUtôt qUe résister

35

2. La catastrophe vertueuse

37

2.1 l’obsolescence des rèGlementations, l’amnésie dU risqUe et la defaillance des protections 37 2.2 tUtoyer le risqUe : conjUGUer politiqUe d’aménaGement et politiqUe de prévention

38

2.3 Une démarche transversale et mUlti-scalaire

40

2.4 Une noUvelle cUltUre dU risqUe

42

II. Horizon référentiel

45

1. Inondation, projet urbain et territorial

48

2. Inondation, espace public et mobilier urbain

52

3. Inondation, modes de vie et architecture

56


-

-

1. Horizons de l’éco-métropole Nantes – Saint-Nazaire

65 65

1.1 la métropole d’éqUilibre

65

1.2 prospective démoGraphiqUe

67

1. 3 identité métropolitaine et réconciliation des deUx rives

69

2. L’estuaire de la Loire : Trait d’union métropolitain ?

74

2.1 Un fleUve anthropisé

74

2.2 fraGmentations paysaGères

78

2.3 Un territoire inondable

92

3. La submersion ligérienne, support du développement métropolitain

105

3.1 de la contrainte à l’action : le risqUe moteUr de projet

105

3.2 temporalités et caracteristiqUes dU facteUr inondation

107

3.3 aUtopsie dU territoire sUbmerGé

111

3.4 répandre la métropole

112

IV. Méthode et processus

116

1. Le diagnostic – Latences, caractères et spécificités d’un territoire à risques

116

2. Le récit - L’inondation et la narration du territoire

120

3. Le guide – L’opportunité de la submersion

128

4. Mise en pratique – Un développement urbain résilient

131

Construire le risque

137

Bibliographie

140



Introduction


16

Ancien avant-port, Paimboeuf, 31 dĂŠcembre 2014, 17h34


Introduction Se risquer Un binôme Accomplissement et dessein de notre parcours scolaire, le Projet de Fin d’Etude (PFE) représente à la fois un achèvement et un point de départ, de basculement ; moment de réflexion sur l’enseignement reçu et de projection de sa concrétisation professionnelle à venir. L’un des premiers impératifs, résultant de nos expériences professionnelles, fut celui de travailler en binôme, puisque le métier d’architecte est avant tout le fruit d’un travail d’équipe. Mener ce diplôme en duo nous est apparu comme une opportunité, une force et une richesse permettant d’échanger, de partager des idées, des points de vue, des questionnements et des doutes autant que d’entraîner plus loin notre réflexion. Fruit d’une construction fondée sur une amitié et concrétisée par des échanges, des débats nous ayant permis de nous retrouver l’une et l’autre dans des questionnements et préoccupations similaires, la décision d’expérimenter ce duo de travail à l’occasion du diplôme constituait également une prise de risque et un pari. Véritable aventure humaine, cet ultime projet scolaire s’est révélé être un précieux temps de maturation et de progression tant intellectuel que personnel, nous permettant d’envisager une hypothétique poursuite professionnelle de cette collaboration.

Une postUre Ce projet entend tout d’abord questionner le mode d’exercice de notre futur métier : interroger le statut de cette profession actuellement en crise et envisager les conditions dans lesquelles nous nous y projetons. En outre, un des enseignements majeurs de notre cursus est la prise de conscience du rôle politique et social qui nous incombe.

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1. MULLE Félix, « L’architecte, médecin de sa campagne » in Criticat, n°13, printemps 2014, p. 21

Ce rôle est rendu ambivalent par les jeux d’acteurs et l’augmentation du nombre de contraintes auxquelles sont soumis les architectes. Toutefois, plusieurs maitres d’œuvre semblent aujourd’hui vouloir se saisir de ce rôle politique, notamment à travers la généralisation des démarches participatives. D’autres, à l’image de Simon Teyssou, se muent en « architecte médecin de campagne »1 en s’intéressant au milieu rural et proposant leurs services aux habitants et à la municipalité. Par sa pratique, il fait de l’architecte un personnage public dont les connaissances et le savoir-faire sont mis à la disposition du plus grand nombre, devenant un acteur et consultant incontournable dans l’aménagement architectural et urbain de la ville.

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En effet, l’architecte ne pourrait-il pas, par la spécificité du regard qu’il porte sur nos espaces de vie, incarner un rôle et une vocation pédagogique, devenir un acteur politique et social capable de mettre en exergue les dysfonctionnements, d’anticiper et d’impulser les mutations. Pour ce faire, l’architecte doit se saisir de ses outils et tirer parti de la pluridisciplinarité inhérente à la profession. L’architecte trouve sa force dans le fait qu’il agit et interagit continuellement avec d’autres acteurs, du maître d’ouvrage à l’artisan, en passant entre-autres par les politiques, urbanistes, programmistes ou paysagistes. De ces échanges, du travail en équipe ainsi que de la prise en compte d’un contexte économique, social et politique nait le projet. Nous considérons de manière conjointe et complémentaire l’architecture et l’urbanisme ; l’idée que l’architecture soit un fait solitaire et autonome est pour nous impensable et nous concevons cette pratique comme un aller-retour continu entre différentes échelles.


Prémices Un contexte de crise climatiqUe La crise climatique aujourd’hui à l’œuvre produit une instabilité et des risques de différentes natures, certains advenant plus rapidement que d’autres, tous engendrant des conséquences irréversibles et brutales. Ces aléas sont responsables d’importants incendies de forêts à répétition, d’une augmentation progressive de la température mondiale (jusqu’à + 3,5°C selon certains rapports), d’une dégradation de la qualité de l’air, de précipitations de plus en plus violentes et de la montée des eaux (due notamment à la fonte des glaces et à la dilatation thermique)... La montée du niveau des océans est engagée et ne devrait aller qu’en s’accentuant au cours des décennies à venir. Phénomène incertain dans ses proportions, la prévision de prospectives fiables d’une année sur l’autre est rendue difficile par le fait que le processus dépasse déjà les estimations produites, « les projections pour 2100 envisagent une hausse d’un mètre par rapport à aujourd’hui, et non plus de 40 à 60 centimètres, comme l’estimait le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) dans son cinquième rapport, en 2013 »2. En France, les risques reconnus comme naturels sont les inondations, les submersions marines, les avalanches, les mouvements de terrains ou encore les séismes. l’inondation, risqUe majeUr Les inondations sont les évènements les plus fréquents parmi toutes les catastrophes naturelles. Dans certaines régions, ce risque d’inondation peut être considéré comme une préfiguration du phénomène de montée des eaux pesant à plus long terme sur le territoire. Au cours de la dernière décennie, des inondations extrêmement dommageables ont eu lieu dans le monde : à la Nouvelle-Orléans en 2005, au Royaume-Uni en 2007, en Europe centrale en 2009, en Chine

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2. LISON, Céline, « Jusqu’où la mer va-t-elle monter ? », in National geographic, n°186, Mars 2015, p.30


3.

Op. cit. LISON, Céline, p.30

en 2010, en Thaïlande en 2011, et encore plus récemment à New-York lors du passage de l’ouragan Sandy en octobre 2012. Et ce phénomène devrait concerner de plus en plus de territoires. Aussi, anticiper dès à présent ce risque et réfléchir à la vulnérabilité de lieux de vie semble être un impératif inhérent à la manière de penser et d’appréhender le projet dès aujourd’hui. D’ici 2040, la population habitant le long du littoral et des côtes pourrait dépasser les neuf millions d’habitants3 en France (contre 7,6 millions en 2007). Or, au regard de la montée des eaux et du risque d’inondation, ces personnes ne sont pas à l’abri de submersions marines courantes, d’érosion du trait de côte, de tempêtes ou de grandes catastrophes extrêmes liées à de forts coefficients de marées, voir même de la constitution d’un nouveau littoral. En outre, le risque inondation peut être l’élément déclencheur d’autres risques, et occasionner des catastrophes, comme en atteste la catastrophe nucléaire de Fukushima qui fait suite à la conjonction d’un séisme puis d’un tsunami sur le territoire.

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l’incertitUde soUrce de projet 4. DUPUY, Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Ed. du Seuil, Points essais, 2002, p.142. 5. Conférence réalisée par Alain Bourdin dans le cadre des « 5 à 7 » du Club Ville Aménagement, compte-rendu disponible en ligne : http://www.club-villeamenagement.org/_upload/ ressourcesproductions/5a7/2 6.

Association des maîtres d’ouvrages d’Opérations Urbaines créé en 1993, à l’initiative de Jean-Paul Baïetto et de Jean Frébault, le Club Ville Aménagement, regroupe des aménageurs responsables de grandes opérations urbaines françaises aux côtés de l’administration du ministère chargé de l’équipement.

« Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasicertaine » 4 Lors de la conférence « L’incertitude comme moteur de l’action »5, organisée par le Club Ville Aménagement6 le 21 mai 2014, Ariella Masboungi, architecte-urbaniste en chef de l’Etat, insistait sur la nécessité de prendre en compte dès à présent les menaces que représente le réchauffement climatique tout en en mesurant les conséquences. En analysant la posture de la plupart des praticiens, elle déclarait : « face à l’incertitude, plusieurs attitudes sont possibles telle la paralysie, je ne sais, je ne fais pas, je ne décide pas. Il y a également l’attitude opposée, qu’est l’engagement chevronné pouvant aussi mener à une impasse ». La présidente du Club concluait en évoquant l’impératif de se projeter dans l’avenir


et de rendre les risques, les aléas et les incertitudes moteurs de projet, en cessant de les considérer comme des contraintes, de passer d’un processus d’anticipation à celui d’adaptation en somme. Ce diplôme prend ainsi source dans cette exigence de considérer l’inondation comme une opportunité de réduction de la vulnérabilité et de développement des territoires par le biais du projet architectural et urbain. Il s’agit de « vivre avec » le risque, de faire fi du schéma « maitre et possesseur de la nature »7 pour prendre en compte la nature et « inventer de nouveaux modes d’aménager »8.

7. Jérôme Baratier, « Habiter l’eau » in Traits d’agence, supplément n°25 de Traits urbains n°73, Hiver 2015, p.7 8.

Ibid. p.7

l’estUaire de la loire et la métropole nantes-saintnazaire : Un territoire inondable L’émergence de la question du risque inondation et submersion marine comme point de départ d’un projet de territoire est née de l’étude préliminaire de l’estuaire de la Loire, site à l’origine de ce diplôme. Cette embouchure ligérienne, par sa proximité avec le littoral atlantique, se trouve dès à présent fragilisée par les changements climatiques. L’estuaire est une «embouchure fluviale sur une mer ouverte, formant une indentation profonde dans le tracé littoral, qui correspond souvent à une vallée submergée par la transgression flandrienne et qui est soumise à l’onde de marée »9. Il s’agit de zones basses, souvent situées en dessous du niveau de la mer, très vulnérables lors de conditions météorologiques extrêmes ou à l’occasion de la montée des eaux. Arpenter ce territoire estuarien, pris en étau entre Nantes et Saint-Nazaire, entre la ville dense et le littoral, entre industries, villages péri-urbains, ruraux et marais, permet de s’imprégner de la fluctuation de ses paysages. L’eau, constituante essentielle de ces horizons estuariens, teinte d’un caractère spécifique ce rivage variant au rythme des saisons et des conditions météorologiques. Le fleuve et ses affluents déterminent ses rives en autant d’espaces sauvages, marais,

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9. Définition issue du Dictionnaire Larousse, Paris, 2012. Disponible en ligne, URL : http://www.larousse. fr/dictionnaires/francais/ estuaire/31228


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Embarcadère du Pellerin, Couëron, 21 mars 2015, 17h35


étiers, canaux, prairies et zones humides, fertiles réserves naturelles pour la faune et la flore, brouillant les contours de ce fleuve nébuleux. Fleuve vivrier et ressource économique, dont témoignent les pêcheries, les cheminées bicolores et les navires bordant le rivage, cette eau latente représente également une menace et un risque pour le territoire dont la submersion peut être synonyme de destruction. Lieu de jonction entre les eaux douces de la Loire, considéré comme le dernier fleuve sauvage de France, et les eaux salées de l’Océan Atlantique, connu pour ses coefficients de marée exceptionnels ; l’Estuaire est un territoire vulnérable. Et si, face à la montée des eaux, l’attention est principalement mobilisée par les littoraux, les estuaires demeurent les grands oubliés de cette problématique. Alors, doit-on vraiment attendre de connaître une catastrophe, telle que la tempête Xynthia, sur un territoire estuarien pour éveiller les consciences et prendre en considération les dangers qui pèsent sur ces zones ? Et si nous renversions la situation. Et si l’inondation, habituellement considérée comme une contrainte, une menace et un danger, devenait opportunité, moteur et support de développement urbain. Et si à travers l’Estuaire s’incarnait la métropole. Et si les débordements de la Loire projetaient, façonnaient et structuraient l’essor et le rayonnement de la métropole Nantes-Saint-Nazaire.

Tous les documents et photographies dont la source n’est pas indiquée sont de notre fait.

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PĂŠcheurs, Cordemais, 19 mars 2015, 18h45


Ecluse et prairies, cheminées de la Centrale électrique, Lavau-sur-Loire, 29 décembre 2014, 18h45




I. MĂŠtamorphose du risque



I. Métamorphose du risque 1. La catastrophe paralysante 1.1 réchaUffement climatiqUe et montée des eaUx « Selon l’Agence européenne de l’environnement, le coût économique mondial des inondations devrait atteindre 100 milliards d’euros par an à la fin du XXIème siècle. Environ 75% des dommages sont recensés en milieu urbain. Actuellement, en France, le risque inondation a un coût moyen de 250 millions d’euros par an, soit 80% du coût des dommages imputables aux risques naturels. Une commune sur trois est concernée, dont quelques 300 agglomérations. Au total, 4,5 millions de personnes habitent dans 20 000 km2 de zones inondables, ce qui met en cause l’équilibre des systèmes d’assurance et pourrait impliquer à court terme des évolutions de mécanismes de solidarité. (…) Il s’agit là de risques importants, avec des impacts humains, économiques, matériels conséquents. Il est cependant primordial de considérer l’ensemble des risques et ne pas « déplacer » l’urbanisation des zones soumises à un aléa inondation « gérable » vers d’autres zones, elles-mêmes soumises à d’autres risques ou nuisances. » 10 À l’heure actuelle, deux tiers de la population mondiale résident à moins de cent kilomètres des seuils littoraux11. Le littoral attire, séduit, captive et fascine puisqu’il incarne « notre ultime frontière »12 et symbolise l’infini, l’immensité. Le développement démographique et urbain de ces territoires ne cesse de croître ; en France, en 2006, 6,1 millions d’habitants résidaient dans une commune littorale contre 4,8 en 196813. D’ici 2040, le nombre d’habitants de zones côtières pourrait atteindre neuf millions en France et représenter plus du trois quart de la population mondiale14. La pression foncière et économique qui pèse sur ces littoraux ne va donc qu’en s’accentuant, provoquant parfois une urbanisation massive et irréfléchie. En France, 200 000 hectares de zones agricoles ou humides situés à proximité des

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10. BARROCA, Bruno, Comment envisager une urbanisation résiliente ? in Revue Urbanisme, n°395, p.37 11. VIRILIO, Paul, Le littoral, la dernière frontière. Entretien avec Jean-Louis Violeau, Clamecy, Collection Sens&Tonka, 2013, p.18 12. Ibid, p.19

13. Selon le rapport de l’observatoire du littoral La population du littoral métropolitain en 2006, édité le 9 Mars 2012, http:// www.onml.fr/articles/ la-population-du-littoralmetropolitain-en-2006/ (dernière consultation le 10/05/2014) 14. LISON, Céline, « Jusqu’où la mer va-t-elle monter ? », in National geographic, n°186, Mars 2015, p.30


15. Selon le rapport de l’observatoire du littoral Évolution de la Surface Agricole Utilisée des exploitations agricoles des communes littorales et de leur arrière-pays de 1970 à 2010, édité en avril 2013, http://www.onml.fr/onml_f/ Evolution-de-la-SurfaceAgricole-Utilisee-desexploitations-agricolesdes-communes-littoraleset-de-leur-arriere-paysde-1970-a-2010 (dernière consultation le 10/05/2014)

16. « 2050, le coût du changement climatique » in National geographic, n°186, Mars 2015, p. 59

32 17. BARROCA, Bruno, Comment envisager une urbanisation résiliente ? in revue Urbanisme, n°395, p.37 18. LISON, Céline, « Jusqu’où la mer va-t-elle monter ? », in National geographic, n°186, Mars 2015, p.30

seuils littoraux ont été urbanisés entraînant un dérèglement des équilibres biologiques et naturels15. Aujourd’hui, cette pression économique se justifie également par l’explosion des taux d’assurances ayant évalué les conséquences financières inhérentes aux risques d’inondation et de submersion marine. Ainsi, si en 2050 le niveau des océans augmentait de 40,5 cm, les dégâts causés par les inondations pourraient coûter un billion de dollars par an pour les villes littorales, ceci en excluant les effets indirects.16 Si nous ne prenons pas conscience de ces risques et ne changeons pas nos comportements, la montée des eaux, corrélée aux dérèglements des systèmes naturels et à l’urbanisation massive de ces espaces déjà fragilisés pourrait être dévastatrice. De surcroît, si le scénario d’une montée des eaux d’un mètre d’ici 2100 se confirme, comme le prévoit actuellement le Giec, les inondations seront de plus en plus fréquentes et intenses. Leur coût économique, sur le plan mondial, atteindrait plus de 100 milliards d’euros par an et 75 % des dégâts se produiraient en milieu urbain.17 Enfin, à l’heure actuelle, en France, 850 000 habitants vivent dans des zones basses18 (Fig.1) et le risque inondation concerne 19 000 communes soit un habitant sur 4 et un emploi sur 3. Les dommages directs et indirects occasionnés par l’inondation, 48,6%

de la population du littoral de la Manche et de la mer du Nord résidant en zones basses

40,9% de la population du

Fig.1. Un risque majeur à l’échelle nationale : de nombreuses zones basses concernées par le risque d’inondation sur le territoire français Source : National geographic, n°186, Mars 2015, p.30

littoral Atlantique résidant en zones basses

10,5% de la population de Zones basses

40,9% Part de la population résidant en zones basses

la Méditerranée résidant en zones basses


répertoriée comme catastrophe naturelle par les assurances, coûtent aujourd’hui 650 à 800 millions d’euros par an, les seuls dommages directs représentant à eux-seuls 400 millions d’euros. À titre d’indication, on estime que la crue centennale de la Seine coûterait aujourd’hui entre 3 à 30 milliards d’euros de dommages directs.19 Dernièrement, en France, les conséquences tragiques de la tempête Xynthia (2010) ayant causé la mort de cinquante-trois personnes et coûté 2,5 milliards d’euros de dommages directs20, ont permis une prise de conscience nationale du danger que constitue les risques d’inondation et de submersion marine.

19. CEPRI (Centre Européen de Prévention du Risque Inondation), « Nouvelle directive inondation en date du 23 octobre 2007 », in Traits d’agences, supplément n°25 de traits urbains n°73, Hiver 2015, p.8 20. LISON, Céline, « Jusqu’où la mer va-t-elle monter ? », in National geographic, n°186, Mars 2015, p.30

1.2 xynthia : Génèse d’Une catastrophe Entre le 26 février et le 1er mars 2010, la tempête Xynthia a violemment frappé plusieurs pays européens, touchant et dévastant en particulier une partie du littoral atlantique français. Initialement annoncée comme une tempête ordinaire ne représentant pas de caractère exceptionnel, elle fût pourtant l’une des plus destructrices et meurtrières depuis 1999. Les vents violents et le fort coefficient de marée (102) provoquèrent une surcote de 1,5 mètres sur le littoral et des submersions marines extrêmement rapides. La pleine mer, combinée à l’onde de tempête, entraina la rupture de nombreuses digues de protection, notamment en Vendée et en Charente-Maritime, causant la mort de cinquante trois personnes, dont vingt neuf dans la seule commune de La Faute-sur-Mer. La Faute-sur-Mer, jadis station balnéaire du sud de la Vendée, se définit à l’ouest par l’océan atlantique et à l’est par l’estuaire du Lay, la rendant fragile aux risques d’inondation et de submersion marine. Première victime de la tempête Xynthia, avec sa commune voisine de l’Aiguillon-sur-Mer, la commune subît en 2010 des destructions importantes. Résultat d’une urbanisation massive inaugurée dans les années 1960 et s’intensifiant jusqu’à la fin des années

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1990, plusieurs maisons situées en zone inondable furent anéanties (Fig.2). Ces nouveaux quartiers, construits sur des anciennes terres agricoles régulièrement inondées, accueillaient essentiellement des maisons de style vendéen (maison de plain pied, sans ouverture sur le toit pour la plupart et avec une toiture basse de faible inclinaison). Cette urbanisation intensive, résultante d’une volonté politique et de pressions foncières, entendait répondre aux attentes d’un tourisme de masse en proposant une alternative aux grands immeubles présents sur le littoral vendéen. Cependant, du fait de l’absence de PPRI (Plan de Prévention des Risques Inondation) établi, ces constructions, pourtant implantées à

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Fig.2. Sinistres de la tempête Xynthia à la Fautesur-mer, 2010 Source : Bertrand Guay / AFP

21. Témoignage de rescapés tirés de l’article, GAUVRY, Christan, «La maison s’est remplie en une demi-heure» in Libération, 28 février 2010, AFP

proximité de l’océan et de l’estuaire, en zone basse et en zone inondable, ne prirent pas en compte les risques d’inondation et de submersion. L’habitat n’était ni adapté ni équipé pour faire face à un tel drame. Lorsque, pendant la nuit du 27 au 28 février 2010, la digue de protection s’est rompue sous l’effet de la tempête, du vent et de la pleine mer, l’eau s’est infiltrée à une vitesse inouï dans l’ensemble de ce quartier situé en contrebas : «La maison s’est remplie en une demi-heure », témoignaient ainsi les survivants qui ont pu se réfugier sur leur toit.21 Les secours, bien que prévenus de l’intensité de la tempête, ont également été surpris par la violence du


phénomène. Premiers alertés et premiers sur place, les sapeurs pompiers avaient dans un premier temps établi un poste de contrôle dans la mairie de la Faute-sur-Mer. Cependant, la nuit empêchant de mesurer l’étendue des dégâts et l’eau rendant la circulation presque impossible, les opérations de sauvetage furent rendues très difficiles. C’est seulement le lendemain matin que la plupart des sauvetages eurent lieu, à l’aide de zodiacs, de plongeurs et d’hélicoptères permettant d’évacuer les personnes réfugiées sur les toits. Sur les deux communes de la Faute-sur-Mer et de l’Aiguillon-sur-Mer, plus de 550 personnes durent être évacuées et relogées provisoirement dans un gymnase22. Dès le 28 février 2010, l’État décréta ce

22. Ibid GAUVRY, Christan.

sinistre en tant que catastrophe naturelle, permettant une meilleure indemnisation de la part des services d’assurances. À la suite de ce drame, de nombreuses victimes portèrent plainte contre l’équipe municipale donnée pour responsable, selon la partie civile, de la non prise en compte du risque d’inondation dans l’aménagement du nouveau quartier. Le procès, qui se déroule fin 2014, condamne l’ancien maire, René ALERTE

CRISE

POST-URGENCE

l’eau n’est pas encore là

l’eau est là

l’eau repart

- 10 h

- 1h

se réfugier

hébergement

protéger

+ 72 h

sauvegarder demeurer

se rassembler

s’abriter

surveiller

évacuer

rentrer sauver

anticiper

préserver se sustenter

susbister

organisation

+6h

résister

préserver

nettoyer renforcer

informer

assiter

protéger

surveiller

se préparer

secourir

subvenir accompagner intervenir aider

déserter

fuir

flux

partir

revenir

abriter

veiller

anticiper

patrouiller

suspendre

acteurs

35

habitants

secouristes

collectivité

État

contrôler

touristes EDF

actifs architecte

restaurer réparer inspecter

Fig.3. Temporalités, acteurs et actions pendant l’urgence de l’inondation


Marratier, à quatre ans de prison ferme et 30 000€ d’amende et l’ancienne adjointe en charge de l’urbanisme, Françoise Babin, à deux années de prison ferme et 75 000 € d’amende. C’est la première fois, en France, que des élus sont jugés pour « faute non intentionnelle » allant jusqu’à une peine de prison ferme. A la suite de ce drame, 647 maisons furent rachetées par l’État dans l’optique de les détruire (Fig.4). Un nouveau PPRI (l’ancien avait été instauré en 2007) fut établi dès l’été 2010 qui interdisait toute nouvelle construction sur 80 % du territoire communal de la Faute-sur-Mer. Au regard de la désertion de la commune par ses habitants, de la démolition de 600 habitations et face à l’impossibilité de reconstruire de

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Fig.4. Démolition et destruction du quartier inondé en 2010 pendant la tempête Xynthia, la Faute-sur-mer, avril 2011 Source : Richer Jean, “Ainsi disparait la ville”, in URL : http://www.villefluctuante. com/, 29 mai 2011

nouveaux logements, ce PPRI fut finalement annulé début 2015. Un nouveau règlement est en cours de rédaction afin de rendre certaines zones constructibles, en particulier grâce à des systèmes sur pilotis ou d’autres adaptés aux risques. Cependant, les dégâts et les conséquences provoqués par cette tempête peuvent apparaître comme la préfiguration de ce qui pourrait advenir sur l’ensemble du littoral atlantique dans les années à venir. Jean Richer, architecte-urbaniste de l’État, voit en Xynthia, une expérience qui « pourrait être mise à profit pour anticiper les conséquences prévisibles des effets du changement climatique et penser le littoral autrement, à travers une solidarité renouvelée avec le rétro-littoral et


l’arrière-pays et une transformation urbaine allant au delà de la simple adaptation »23. Face à ces dangers, désormais connus et incontestables, l’architecte a également sa part de responsabilité ; il est de son devoir de proposer des nouveaux modes de vie et d’habitat ainsi que des solutions alternatives à la démolition et la paralysie du territoire afin d’adapter les infrastructures et les constructions existantes au regard de

23. RICHER, Jean, « 20102100, de Xynthia à la transformation urbaine”, in Revue Urbanisme, n°395, Hiver 2015, p.43

ces risques.

1.3 adapter plUtôt qUe résister « Plus jamais ça ».24 En France, une politique de prévention des risques naturels a été mise en œuvre par les gouvernements successifs depuis la loi relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite loi Barnier, du 2 février 1995. Cette loi institue les plans de préventions des risques naturels (PPR), séries de mesures de protection et d’interdiction de construire et d’urbaniser des zones considérées à risques, pouvant conclure à une paralysie du territoire. Cependant, l’année 2010 et le désastre de Xynthia occasionnent une prise de conscience et un changement des mentalités, véritable tournant caractérisé par l’émergence d’une culture du risque en France. Selon Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement de novembre 2010 à février 2012, il y a aura « un avant et un après Xynthia »25 dans la perception et l’appréhension des risques d’inondations et de submersions marines. L’amnésie, qui a conduit pendant de très nombreuses années à urbaniser massivement les littoraux et les zones basses malgré la loi Barnier, est désormais, selon elle, révolue. Dans le but d’accompagner ces changements, plusieurs mesures furent prises, comme la révision de 68 PPRI, la création de nouveaux PPRI pour 242 nouvelles communes, l’amélioration des système de surveillance et de prévention, la mise en place de Plans Communaux de Sauvegarde

24. Déclaration de Nathalie Kosciusko-Morizet le 17 février 2011 à propos de la tempête Xynthia lors de la présentation du plan national de prévention des inondations

37

25. Ibid


(manuel à destination des populations dans le but de préciser les conditions d’alerte et d’évacuation dans les situations d’urgence) ainsi que le renforcement et la consolidation de 1 200 kilomètres de digues.

26. LISON, Céline, « Jusqu’où la mer va-t-elle monter ? », in National geographic, n°186, Mars 2015, p.36

38 27. Ibid, p.37

28. PPRI : Plan de prévention des risques inondation 29. PLU : Plan local d’urbanisme 30. PADD : Projet d’Aménagement et de Développement Durable 31. PAPI : Programme d’Action de Prévention du risque Inondation 32. SCOT : Schéma de cohérence territoriale

Par ailleurs, depuis 2012, l’État a stoppé l’opération visant à renforcer et consolider les digues puisque de nombreux scientifiques ont démontrés que ces ouvrages n’étaient pas la meilleure solution pour faire face à la montée des eaux. En effet, selon Patrick Bazin, responsable des sites patrimoniaux à Vias (Hérault) et membre du conservatoire du littoral, les digues peuvent être contre-productives, aggraver la violence du phénomène et accélérer le recul de la plage.26 Rejoint sur cette idée par Gonéri Le Cozannet, spécialiste de la vulnérabilité des côtes au Bureau de recherches géologiques et minières, ils ne voient que « l’adaptation [comme] unique possibilité pour limiter les effets de l’élévation des eaux »27. Dans ce sens, l’État souhaite favoriser une sensibilisation des élus et des populations face à ces risques et anticiper la relocalisation de certains habitants. Toujours est-il que les PPRI sont toujours en vigueur aujourd’hui et visent essentiellement à interdire à outrance sans réfléchir aux conséquences des actions en cours ni même au devenir des bâtiments inclus dans les périmètres. De plus, la mise en application de ces PPRI se limite aux zones délimitées par les spécialistes sans avoir une vision globale du territoire et en oubliant la solidarité interterritoriale qui pourrait exister. Certaines zones se retrouvent ainsi soumises à ce règlement alors qu’il peut s’agir de zones légèrement surélevées et par conséquent moins sujettes à ce risque. Outre les PPRI28, d’autres règlements pèsent également sur ces territoires : PLU29, PADD30, PAPI31, SCOT32 complexifiant la compréhension des risques et des possibles mesures à mettre en œuvre. Ne serait-t-il pas envisageable d’inventorier des stratégies et dispositifs d’adaptation et d’actions applicables dans ces zones considérées à risque tout en intégrant des zones non-constructibles là où le risque est le plus fort ?


2. La catastrophe vertueuse « Appréhender la catastrophe non plus comme un avenir probable mais comme un présent certain : c’est en admettant la dimension inéluctable de la catastrophe que nous trouverons peut-être les moyens de faire que l’inéluctable ne se produise pas » 33

33. DUPUY, Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Ed. du Seuil, Points Essais, 2002, p.

2.1 l’obsolescence des rèGlementations, l’amnésie dU risqUe et la defaillance des protections « Le tremblement de terre du 11 mars 2011 au Japon et ses répercussions (tsunami, accident nucléaire) sont venus subitement nous rappeler la fragilité de notre environnement quotidien et la vulnérabilité de nos conditions d’habitat face aux risques. »34. Ces dernières décennies ont vu certains territoires plus que jamais confrontés à la problématique des risques naturels ou industriels. Les aléas et les risques se multiplient et se télescopent, produisant de véritables catastrophes ; aucun territoire n’est ainsi épargné par cette menace, qui se soustrait parfois totalement à la perception humaine (pollution, maladie, problèmes sanitaires…). Ces risques, «évènements non-encore-survenus » comme les nomme Ulrich Beck dans La société du risque, « désignent un futur qu’il s’agit d’empêcher d’advenir »35. En effet, face à cette incertitude et ces menaces, plusieurs réactions sont possibles telle la fuite, la lutte ou l’accommodation36. Jusqu’à présent, la prise en compte de ces risques s’est opérée par la mise en place d’un cadre législatif toujours plus précis ainsi que la construction de grandes infrastructures de protection (digues et barrages dans les cas des inondations). Mais les évènements catastrophiques de ces dernières années ont mis à jour les limites et défaillances de ces mesures, ainsi qu’ « une amnésie collective, productrice de vulnérabilités »37 ayant conduit à minimiser voire à oublier le risque ayant eu lieu. La culture du risque qui pourrait permettre de mieux appréhender ces catastrophes et de minimiser certaines conséquences a disparu puisque la population se sent désormais protégée et rassurée par ces murs de béton. Aujourd’hui, règlementations,

34. NOVEMBER Valérie, PENELAS Marion, VIOT Pascal (dir.), Habiter les territoires à risques, espace en société logique territoriale, Ppur, Lausanne, 2011, p.1.

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35. BECK, Ulrich, La société du risque, Collection Alto, éd. Aubier, 2001, p. 36. BOURDIN, Alain, « L’incertitude comme moteur de l’action », 5 à 7 Club Ville Aménagement le 21 mai 2014.

37. RICHARD, Elsa, « L’épreuve de l’adaptation » in Revue Urbanisme, n°395, p.53


38. NOVEMBER, Valérie, PENELAS Marion, VIOT Pascal (dir.), Habiter les territoires à risques, espace en société logique territoriale, Ppur, Lausanne, 2011, p.3334

normes et attitudes protectionnistes ont démontré leurs limites et la difficulté réside dans la nécessité de prévoir, de faire face et d’anticiper un événement dont on ne connaît ni l’ampleur ni les conditions effectives de sa venue et sa mesure. Cette certitude de l’événement corrélée à l’incertitude du moment donne lieu, le plus souvent, à une paralysie. Mais nous n’y échapperons pas, l’actualité en témoigne tous les jours. Dans la mesure où « les risques débordent, résistent aux aménagements conçus. Les éloigner n’est qu’une parade temporaire. Les risques sont plutôt à comprendre selon une relation de connexité, en suivant les processus de traduction du risque. »38. 2.2 tUtoyer le risqUe : conjUGUer politiqUe d’aménaGement et politiqUe de prévention

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Face à l’augmentation de la fréquence et l’intensification des risques, l’inaction et l’ignorance des risques deviennent délits. En outre, les opinions publiques et les responsables politiques ont été fortement marqués par les derniers drames, comme en témoignent les récentes condamnations de responsables politiques suite au désastre de la tempête Xynthia en France. Cette tempête, ayant frappé les consciences par son caractère dramatique, a précipité la création de nouvelles mesures visant à anticiper, prévenir et prévoir les risques sur les territoires. La France a ainsi développé des outils de prévention performants, notamment en considérant l’inondation à l’échelle des bassins et non plus en terme de limites administratives (renforcement des PPR, mise en place de PAPI, Plans Grands Fleuves…). Parallèlement, une nouvelle manière d’appréhender le risque se diffuse, il ne s’agit plus de lutter et d’aménager contre le risque mais plutôt avec le risque. D’une attitude de résistance, il s’agit de comprendre et d’intégrer le risque en vue d’adopter une attitude d’adaptation, d’apprivoisement et d’appropriation du risque par les territoires. Dépassant les dispositifs de prévention et de règlementations, la


nécessaire « territorialisation des démarches »39 se fait jour. Mais l’enjeu de l’adaptation est de taille, il s’agit d’un défi engageant une transformation des modes de pensée et de fabrication de l’urbanisme et des territoires ; en d’autres termes, il s’agit de « sortir du schéma de pensée binaire – autorisation/interdiction de construire pour aller vers des instruments légaux permettant la cohabitation du risque et du développement urbain »40 (p.53). Cette nouvelle pensée complexe de la gestion des risques à partir du concept de résilience impose une modification des stratégies existantes pour s’ancrer dans une approche dynamique, systémique et intégrée qui prend en compte l’ensemble des dimensions de la ville et de ses interactions, de façon organisée et multi scalaire. Il s’agit de tirer parti des mesures techniques de prévention des risques en résolvant des problématiques urbaines, paysagères et programmatiques permettant d’améliorer les conditions de vie dès aujourd’hui. S’atteler à la réduction des conséquences négatives des inondations engage désormais à s’interroger et comprendre l’aménagement de l’espace et la manière dont les citoyens l’occupent. Il s’agit d’inclure le risque et ses temporalités comme fondement du cycle de vie du territoire. Cette récente préoccupation et nouvelle conception des risques s’incrit dans la lignée des mesures liées au changement climatique dans un contexte aussi bien national qu’international. En France, elle s’est traduite par la récente mise en place début 2015 du Grand Prix d’Aménagement « Comment mieux bâtir en terrains inondables constructibles ? », ainsi que de l’organisation de l’atelier national « Territoires en mutation exposés aux risques » par la direction du Ministère du logement, de l’égalité des Territoires et de la Ruralité, le ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, la Direction Générale de l’Aménagement, du logement et de la nature (DCALN) ainsi que la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) au cours de l’année 2013-

39. RICHARD, Elsa, op. cit, p.46-47

40. THOMAS Isabelle, TALLOTTE Laurie, SHERRER Franck, « L’adaptation en questions, un colloque à Montréal”, op. cit. p.53

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2014. Le point de départ de cet atelier est de « tutoyer le risque, d’oser le risque, d’installer et de regarder en face les aléas » comme l’énonçait Jean-Marc Michel (directeur de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature - DGALN) introduisant le séminaire restitutif de l’Atelier national, le 8 avril 2015 à la Maison de la Chimie. Cette démarche novatrice entend ouvrir le champ des possibles, répondre de manière positive au risque désormais pris comme atout et opportunité plutôt que contrainte, en prenant le projet comme démarche méthodologique plutôt que de proposer d’énièmes règlementations supplémentaires. Il s’agit de conjuguer politique d’aménagement et politique de prévention des risques.

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2.3 Une démarche transversale et mUlti-scalaire 41. NOVEMBER, Valérie, PENELAS Marion, VIOT Pascal (dir.), Habiter les territoires à risques, espace en société logique territoriale, Ppur, Lausanne, 2011, p.34

Le risque comme « élément participant activement, intrinsèquement, aux transformations territoriales »41 L’enjeu de cette méthode d’appréhension des risques réside dans le décloisonnement logistique, politique et temporel qu’elle convoque. Cette démarche nécessite de nouveaux modes opératoires, une plus grande collaboration, des regards croisés complexes et la mobilisation de compétences multiples, le rapprochement des savoirs et des pouvoirs. Cette démarche engagée par les services de l’Etat a ainsi mis en exergue la nécessité de décloisonner ou d’assurer davantage de porosité entre les différents services de l’État (DDTM, DREAL) et l’ensemble des acteurs des territoires (régions, départements, communes), les uns devenant experts opérationnels et les autres incarnant les réalités et enjeux économiques et sociaux des territoires. Mais la démarche des Ateliers nationaux nous a encore davantage intéressé par le rôle incarné par l’architecte, figure centrale, force de proposition et d’animation du dialogue entre les différents acteurs, mené par l’agence Obras et Frédéric Bonnet, Grand Prix de l’Urbanisme 2014. Bien que la démarche ait été


organisée par l’État, Frédéric Bonnet et son équipe sont devenus des acteurs centraux du débat, appréciés par leur capacité à proposer, à renouveler un regard sur un territoire, enrichi et nourri du dialogue avec et entre les différents acteurs en présence, trait d’union permettant le saut d’échelles, le dépassement des contraintes et l’émergence des possibles. L’architecte apparaît comme le personnage s’emparant de l’ensemble des données et facteurs, permettant l’ancrage et l’incarnation des normes dans le territoire et transformant les contraintes en projet. Ainsi, la méthode préconisée par Frédéric Bonnet, Grand Prix de l’Urbanisme pour appréhender le risque se décline selon trois impératifs : « L’aléa appartient à un dispositif géographique auquel on ne peut pas échapper. »42 - Entretenir un rapport multiscalaire avec le risque : la capacité d’un territoire à résister à l’événement, à continuer à vivre et à retourner à la normale le plus rapidement possible ne se joue plus seulement à l’échelle du bâtiment et de solutions permettant d’échapper localement à l’aléa. Il faut se situer à l’échelle du quartier, à l’échelle urbaine et concevoir un projet urbain. Ce projet urbain doit s’intégrer dans un projet territorial ample, à l’échelle du bassin. « La protection de la ville existante est le support de la ville à venir. »43 - Réenchanter la technique : il s’agit de réconcilier projet urbain et projet technique, d’assurer une transversalité entre développement urbain et prévention des risques et de sortir de la logique de superposition des normes et règlements. - Faire évoluer les gouvernances et les solidarités territoriales : remettre en cause l’héritage des périmètres administratifs, dans la mesure où la nature se moque des limites, et construire une vision stratégique à long terme.

42. LOUBIERE, Antoine, « Partir du risque pour concevoir un projet urbain » in Revue Urbanisme, n°395, p.32

43. Ibid. p.35

43


2.4 Une noUvelle cUltUre dU risqUe

44. TERRIN, Jean-Jacques (dir.), Villes inondables. Prévention, Adaptation, Résilience, Paris, collection la ville en train de se faire, Ed. Parenthèses, 2014, p.30-94. Cf. Horizon Référenciel, p.45-61

44

45. BARROCA, Bruno, « Comment envisager une urbanisation résiliente ? » in Revue Urbanisme, n°395, p.37 46. www. rebuildbydesign.org/ Cf.Horizon Référenciel, p.45-61

47. Direction générale de l’Environnement, de l’Aménagement et du logement, Directive inondations. Prévenir et gérer les risques. Livret 1: Synthèse sur le bassin Loire-Bretagne, décembre 2011, p.9.

Plusieurs villes et États sont également directement concernées par ce risque et font preuve de figures avantgardistes sur la gestion de leur fleuve ou de leur littoral. Plusieurs villes allemandes et hollandaises expérimentent ainsi depuis quelques années des quartiers résilients construits sur des zones inondables, à l’image de Rotterdam et des Pays-Bas, directement touchés par la montée des eaux, ou encore de la ville d’Hambourg avec le projet Hafen City44. Projet de renouvellement du port d’Hambourg, Hafen City a tiré parti de la contrainte inondation comme richesse dans la production de la ville et non appauvrissement : « Un ensemble de dispositifs quasi-invisibles de protection, de portes étanches, de micro-barrages à monter en cas d’alerte… permet d’installer des programmes variés dans des bâtiments accueillants. Ont été conçus différents cheminements, au sol en temps normal et en hauteur pendant les inondations, afin de préserver les accessibilités piétonnes et les capacités d’intervention des secours. Au delà des éléments matériels, une organisation spécifique est mise en place avec une responsabilisation des usagers.»45. Le concours Rebuild by design46 organisé par le maire de New York après la tempête Sandy ou encore le travail du groupe de Dutch Dialogues46 chargé de la reconstruction de la Nouvelle Orléans suite aux ouragans ayant frappé la région à plusieurs reprises s’inscrivent également dans ces nouvelles conceptions de l’aménagement comme adaptable, mutable et résilient. « Vouloir réduire les conséquences négatives des inondations conduit à s’interroger sur l’aménagement de l’espace et sur la façon dont les citoyens l’occupent. Les modes d’urbanisation et le fonctionnement social et économique d’un territoire participent, en effet, à sa vulnérabilité aux inondations ou au contraire à sa capacité de réduire les impacts puis de se relever plus ou moins vite d’une catastrophe. »47 Cette gestion des risques et le recul de l’horizon du « risque


zéro » impliquent également la participation des citoyens, plus que jamais acteurs de la gestion et de l’adaptation du territoire. Fort de la diffusion de cette nouvelle manière de concevoir le risque autant que de projeter la ville et le territoire par rapport à ce risque, il apparaît que l’architecteurbaniste ait un rôle primordial à jouer. Dès lors, comment changer notre regard sur le risque, l’aléa et la catastrophe, afin que d’un événement négatif, de contrainte il se mue en atout, il devienne opportunité urbaine pour adapter et transformer bâtiments, équipements et territoires ? Comment transformer la catastrophe contingente en un événement vertueux permettant d’améliorer la qualité de vie à court terme, d’apprendre à vivre avec le risque, de transformer les modes de vie pour intégrer et désamorcer la crise dans le long terme ? Quels sont les moyens pour faire émerger une nouvelle culture du risque, renouveler les outils de l’architecte et développer une vision territoriale et multi-scalaire de ce risque ? Comment concilier l’habitat, l’agriculture, le tourisme, l’environnement et l’industrie avec l’inondation, la submersion marine et la montée des eaux ? Plutôt que de lutter contre le risque, ne faudrait-il pas s’adapter et vivre avec la menace, et ainsi désamorcer cette potentielle situation de crise à venir ? Nous pensons alors qu’il ne faut plus aménager contre le risque mais plutôt avec le risque, de manière à ce qu’il permette d’améliorer le présent tout en anticipant le futur.

45


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II. Horizon rĂŠfĂŠrentiel



Horizon référentiel Si le fantasme de vivre sur l’eau a souvent fait l’objet de projets utopiques ou intensifs gagnant du territoire sur la mer, la prise en compte du risque d’inondation et de submersions marines dans les stratégies de développement et d’aménagement urbain et territorial est un fait relativement récent. À la suite des récents événements catastrophiques que sont les tempêtes Xynthia, Sandy et Katrina ayant démontré les limites des dispositifs de protection traditionnels (digues, barrages...), plusieurs architectes, urbanistes et ingénieurs ont imaginé d’autres modes d’intervention et d’action tenant compte et permettant de vivre avec le risque. Fruit d’un travail de recherche et d’investigation, les différents projets détaillés ci-après constituent l’horizon référentiel de notre démarche. Architecturaux, urbains et territoriaux, de différentes échelles, réalisés ou restés esquissés, les contextes d’élaboration de ces projets sont pluriels. Résultats de l’Atelier national des territoires en mutation exposés aux risques, du concours Rebuilt by Design organisé par la ville de New-York suite à l’ouragan Sandy, de la mobilisation ayant fait suite aux désastreux ouragans de Nouvelle Orléans ou de commandes privées et publiques diverses, ces démarches témoignent d’une préoccupation internationale quant à la question des risques, ainsi que de l’émergence d’une nouvelle manière de penser le projet urbain, davantage en symbiose avec la technique. Ces propositions innovantes ont l’audace de proposer de dispositifs oscillant entre résistance et résilience, protégeant tout en devenant support d’un développement urbain durable et soutenable et d’activités. À travers une économie de projet, il s’agit de démontrer qu’il est possible d’apprendre à vivre avec l’eau et les risques qu’elle représente sans que cela n’entrave la vie quotidienne.


1. INONDATION, PROJET URBAIN ET TERRITORIAL Fig.5. «Le risque, un outil d’aménagement», Atelier National Territoires en mutation exposés aux risques,

Vallée de l’Argens, Le Parc agricole

Obras architectes urbanistes, alphaville, mageo, Franck Boutté, rra, burgeap, 2013-2014 Source : site internet de l’agence Obras, URL : http://www.obras.fr/

Le Val d’Oise, de Creil à Compiègne L’industrie au service de la nature

La méthode de l’Atelier national des territoires en mutation exposés aux risques vise à croiser des dynamiques globales de territoires et des déclinaisons locales selon les spécificités de chaque site. Le projet doit faire le lien entre les échelles, et les questions d’enjeux doivent se poser transversalement. Il s’agit de faire du risque un atout pour le projet et d’élaborer des réponses urbaines et sociales, et non uniquement techniques en vue de réduire la vulnérabilité des territoires. Il s’agit d’étudier trois situations, trois enjeux de dévelopement, trois rapports aux risques : - crue lente dans la Vallée industrielle de l’Oise, aux Portes de Paris - crue rapide et dévastatrice dans la Vallée agricole de l’Argens, dans le sud de la France - risque de rupture de digue dans le Val de Loire, dans l’ouest de la France


Fig.6. Le Val de Loire, La Loire retrouvée, Saint-Pierre-des-corps (site pilote 1), Obras architectes urbanistes, alphaville, mageo, Franck Boutté, rra, burgeap, Atelier National Territoires en mutation exposés aux risques, 2013-2014 Source : site internet de l’agence Obras, URL : http://www.obras.fr/

Des dispositifs techniques de réduction des risques ont été mis en place ou sont envisagés sur le territoire. Chaque dispositif a été associé à la résolution d’une problématique urbaine, paysagère ou programmatique. Ci-dessus, l’application de cette idée sur les quais de la Loire : un tissu lâche de maisons de faubourg s’adosse à la digue des quais, ces habitations sont soumises aux risques inondations (rupture de digue, surverse et remontée de nappes). Les travaux entrepris par les collectivités pour solidifier la digue et le quai de Loire sont associés à l’aménagement urbain du parc des berges de la Loire. Une densification est alors possible à l’arrière des tertres, un nouveau quartier résilient lié à un travail sur le risque de crue est aménagé. La combinaison de solutions typologiques et topographiques, associées aux variations du site, font naître un paysage inédit.


Fig.7. La métamorphose d’une friche industrielle en une nouvelle cité fluviale : Vivre avec le risque et non en dépit du risque, Romorantin-Lanthenay, Eric Daniel-Lacombe 2008-2013 Source : site internet de l’agence Eric-Daniel Lacombe, URL : http://www.edlarchitecte.com/#!matraprojets/c1e4l

Le quartier Matra, sur les bords de la Sauldre, est un exemple de construction en zone inondable à l’échelle du quartier, non pas seulement du bâti. Fruit d’une concertation mise en place, entre la ville et ses services, l’équipe d’architectes (Éric Daniel-Lacombe et Diane Collignon), le Service Prévention des Risques, l’inondabilité des lieux est devenue comme partie intégrante de la démarche et du système de réflexion. La protection contre l’eau n’est pourtant pas le seul générateur primaire de formes ; une cité fluviale aux nouvelles typologies et aux nouveaux usages est mise en place : routes-digues, maisons pilotis, parkings-rétention... Ces architectures permettent de se protéger du risque naturel et d’en devenir familier.


Fig.8. IBA 2013, Un urbanisme du risque, Hambourg, 2013-2030 Source : site internet de l’IBA Hambourg, URL : http://www.iba-hamburg.de

Suite à l’importante inondation en 1962 qui a touché de très nombreuses habitations, le grand paysage insulaire de l’île d’Elbe-Wilhelmsburg a été doté d’un système complexe de digues. En 2005, la ville de Hambourg a lancé sur ce site le projet de l’IBA 2013 — une exposition internationale d’urbanisme et d’architecture. Présenté comme un laboratoire d’architecture, l’IBA tend à démontrer qu’une nouvelle manière de penser son territoire est possible face aux diverses vulnérabilités. On observe aujourd’hui dans cette ville une volonté des acteurs de l’urbanisme de dépasser les approches classiques du génie urbain en zones inondables (gestion des mesures de précaution par des digues, des barrages, sécurisation des réseaux d’eau potable, d’évacuation des eaux usées, d’électricité...) pour tendre vers des projets plus innnovants associant ces stratégies hydrauliques classiques avec des propositions d’aménagements urbains davantage intégrés.


Fig.9. Hafen City, Hambourg, Allemagne, ASTOC, Kees Christiannse, Hamburger Plan, 1997-2025 Source : Jean-François StOnge / https://armidatrentino. wordpress.com/tag/places-tovisit-in-hamburg/

Alors que la Hafencity se situe en dehors de la ligne d’action de la digue principale de Hambourg, la protection de ce quartier contre les inondations était une nécessité. Pour autant, la technique de l’endiguement a très vite été écartée. Les solutions ont été apportées par des modes de construction plus appropriés, mais aussi par la préparation du terrain. En cas de crues, les rez-de-chaussée sont condamnés, mais l’accessibilité des bâtiments est assurée par des rues surélevées et par un jeu de passerelles en surplomb. Les promenades et les espaces publics situés entre 4,5 à 5,5 m au-dessus du niveau de l’eau sont alors inondés. Se faisant dans le projet de la Hafencity, l’eau n’est pas uniquement envisagée comme une menace, elle représente également une ressource mobilisée pour le chauffage et le rafraîchissement des bâtiments. La présence de l’eau constitue une opportunité pour repenser les approches urbaines et architecturales et accorder une place grandissante à l’environnement dans le projet urbain.


Fig.10. New Meadowlands : Productive City + Regional Park, The Meadowlands, New Jersey, MIT CAU + ZUS + URBANISTEN, Deltares, 75B et Volker Infra Design, Projet lauréat, concours Rebuild by Design, 2013 Source : http://www. rebuildbydesign.org/

Ce projet s’articule autour de la reconstruction de l’écosystème des Meadowlands, comme ressource paysagère, de stockage de l’eau et de loisirs. Ce paysage crée de nouvelles opportunités de développement le long des bords des Meadowlands. Le concept d’un quartier résilient implique également des mesures pour fournir des équipements d’urgence permettant l’accès aux fournitures essentielles, aux données, à l’énergie et la gestion des déchets pour une période de deux à trois semaines après une catastrophe. Appuyé sur une analyse régionale, l’argument sousjacent à ce projet est qu’un investissement est mieux placé quand il s’adresse non seulement au risque d’inondation mais également au traitement des effets combinés des inondations, les îlots de chaleur, la pollution, la vulnérabilité sociale et la protection des réseaux vitaux.


2. INONDATION, ESPACE PUBLIC ET MOBILIER URBAIN Fig.11. Madrid Rio, Madrid, West 8, 2007- (phase 3 en cours en 2014) Source : http:// seminarioespaciopublico. blogspot.fr/2011/10/proyectomadridrio.html

Ce projet engagé par le gouvernement et la ville de Madrid est un véritable projet urbain et paysager consistant en l’enfouissement d’une partie du périphérique, l’aménagement des berges de la rivière Manzanares et la réhabilitation des quartiers alentours.La ville de Madrid, ayant longtemps tourné le dos à son fleuve, synonyme de danger, d’insécurité et d’insalubrité a investi les 725 000 m2 de parkings sauvages et de délaissés en autant d’espaces publics. Profitant du désir de nature des villes et des demandes de nouveaux espaces publics pour fabriquer un socle poreux, ces aménagements permettent l’expansion et la rétention des eaux dans un schéma à l’échelle territoriale qui anticipe la densification de la ville. Les berges accueillent désormais l’expansion des crues et permettent l’apparition de nouveaux usages urbains.


Fig.12. «London Avenue Canal», Nouvelle Orléans, Waggonner & Ball - Dutch Dialogues, 2010 Source : http://dutchdialogues. com/

D’un espace serti de protections, le lit du London Avenue Canal, à La Nouvelle-Orléans, devient un espace public accessible, permettant d’absorber et de contenir l’eau le temps de la crise. Suivant les différents aléas auxquels la ville aura dû faire face, elle sait et peut garder une même identité, une même structure, et elle assure surtout une continuité de vie fonctionnelle à la suite d’une perturbation quelconque. Le risque habituellement à l’origine de délaissés devient créateur de nouveaux espaces publics. Cette trame verte et bleue accompagne la gestion de l’eau et l’évacuation de l’eau des crues en temps de crise. Ce paysage de l’inondation a également des vertus pédagogiques, les différents niveaux de l’eau restent visibles dans le paysage, constituant la mémoire collective et la culture du risque inhérente au territoire.


Fig.13. « Watersquare» Benthemplein, Rotterdam, De Urbanisten, 2011-2013 Source : http:// www.urbanisten.nl/ wp/?portfolio=waterpleinbenthemplein

Issue d’une double stratégie, cette place publique à Rotterdam combine l’impératif de stockage de l’eau avec l’amélioration de la qualité d’un espace public urbain, devenant une installation visible, utile et agréable et rentabilisant les investissements pour la collectivité. La plupart du temps le square est à sec et s’utilise comme un espace de loisir. Lorsque des averses se produisent, l’eau de pluie du quartier est recueillie et s’écoule sur la place, remplissant une partie de la place ou la transformant en un bassin de rétention ludique en cas de fortes pluies. L’eau peut y être stockée jusqu’à ce que les reséaux collectifs aient la capacité de l’absorber à nouveau.


Fig.14. « BIG U », Manhattan, New York, BIG TEAM, Concours Rebuild by Design, 2013 Source : http://www. rebuildbydesign.org/

Le projet tire parti de la nécessité de construire une infrastructure de protection le long des berges de Manhattan. La digue, le mur s’hybrident pour devenir support d’une série d’équipements qui joueraient le rôle de mur anti-inondations en cas de montée des eaux. Ainsi, la mesure de protection, l’infrastructure préventive devient espace public : des rampes de skate Park, aux boutiques, en passant par des toboggans ou des « murs œuvre d’art ». Le projet est envisagé comme autant d’émergences transitoires, en attendant que la ville se prépare, en attendant la mer.


3. INONDATION, MODES DE VIE ET ARCHITECTURE Fig.15. Maisons flottantes à Ijburg, Ijburg, Amsterdam, Pays- Bas, 1996 - 2015 Source : http://www.archdaily. com/120238/floating-housesin-ijburg-architectenbureaumarlies-rohmer/

Pour gagner du terrain sur la mer, Amsterdam a créé Ijburg, un ensemble d’îles artificielles construites pour pallier à la pénurie de logement de la ville, et devant accueillir près de 45 000 citoyens. En prévoyance de la montée des eaux à laquelle est directement sujette les Pays-Bas, un des moyens de s’adapter est de construire des maisons flottantes. Ce quartier expérimente en ce sens l’adaptation du bâti et de l’organisation de la vie avec et sur la submersion marine. Ces habitations sont « amarrées » à des passerelles flottantes et raccordées à l’électricité, à l’eau et à l’égout. Elles peuvent aisément être déconnectées et déplacées. Les déplacements s’effectuent via un système de pontons, à vélo ou en bateau. Les Hollandais ont toujours combattu l’eau, en édifiant des digues et des barrages, explique Dries Drogendijk, chef de projet. Mais cela ne suffit pas à contrer les flots. Amsterdam a alors décidé de tirer profit de l’eau, en construisant des îles au-dessus du niveau de la mer - alors que les polders sont audessous - et des maisons flottantes. La mer est devenue une alliée et non plus une ennemie.


Fig.16. Construire la ville sur pilotis, Castro, île de Chiloe, Chili Source : Lauren Young & Iain Braid, http://justrambleon.com/tag/ chiloe/

Bordant le Pacifique, l’archipel de Chiloe, dont Castro est la capitale, est un territoire à risques. Régulièrement soumis à des tremblements de terre et des tsunamis, et sujet au phénomène de la marée, ce territoire et ses habitants ont développé une véritable culture du risque. Celle-ci transparaît dans l’architecture qui fait la renommée de cette ville : les palafitos, maisons traditionnelles construites sur pilotis en bois. Ces maisons construites au dessus de l’eau permettent de se protéger de l’inondation, de la faune, ainsi que d’utiliser l’espace ombragé sous la maison comme espace de stockage ou de travail.


Fig.17. La ville flottante, Lagos water communities project, Nlé/E.Wassen/UN Development program, Lagos, Nigeria 2013 Source : http://www.nleworks. com/case/lagos-watercommunities-project/

A Lagos au Nigeria, en bordure du Golfe de Guinée, la ville est à la fois soumise aux moussons violentes de juin à septembre et à la montée du niveau de la mer.Sur les berges de Lagos, coincée entre l’autoroute et les terres inondables, se développe depuis 120 ans le plus grand bidonville d’Afrique. Ses habitants sont habitués aux inondations et ont construits des maisons sur pilotis pour essayer de palier au problème et se déplacent en pirogues. Seulement, il arrive que le niveau d’eau monte exagérément à cause des changements climatiques. Ceci a amené les autorités nigérianes à vouloir délocaliser les quelques 250 000 habitants de la région. Aussi, l’architecte Kunle Ayedemi a proposé une solution innovante qui est en même temps une réponse au problème de scolarisation. La Makoko Floating School, prototype flottant autoconstruit et autonome illustre une alternative de projet urbain lacustre. Capteurs solaires, toilettes sèches et réservoir pour l’eau de pluie, l’école pourrait devenir une habitation autonome à moindre coût, remplaçant peu à peu les installations de fortune sans chasser les habitants.




III. Aux sources de la mĂŠtropole Nantes-SaintNazaire


Fig.18. Du Croisic à Nantes, l’estuaire de la Loire



68

SAINTNAZAIRE

NANTES

Fig.19. Limites administratives du P么le m茅tropolitain, structur茅 autour des deux p么les de Nantes et Saint-Nazaire


1. Horizons de l’éco-métropole Nantes – SaintNazaire 1.1 la métropole d’éqUilibre Si le terme métropole fait habituellement référence à une aire urbaine dense, continue et centrée sur un cœur fonctionnel et géographique, l’originalité de la métropole étudiée est de s’articuler autour de deux pôles urbains structurants, Nantes et Saint-Nazaire (Fig.19). Cette métropole, créée par l’État avec l’aide de la DATAR48 dans les années 1962-1963, s’inscrit dans une politique nationale de rééquilibrage du territoire et des modes de gouvernance lancée dans les années 6049. Bien que la politique générale fût abandonnée dans les années 1970 suite à la crise pétrolière et financière, cette décision se maintint tout de même dans le cas de la métropole Nantes– Saint-Nazaire, inaugurant un long processus de réconciliation visant à multiplier les liens entre les deux villes. Cette réunion fût d’abord économique, les activités portuaires furent regroupées pour créer le Grand Port Maritime Nantes Saint-Nazaire, les chambres de commerces furent réunies mais plusieurs autres actions symboliques s’attachèrent à faire émerger une identité partagée entre les deux pôles. La descente de la Loire en bateau qui réunît Joël Batteux (maire de Saint-Nazaire depuis 1983) et le maire entrant de Nantes Jean-Marc Ayrault en 1989, scella cette entente, engageant le processus de réunion des deux villes, se tournant jadis le dos, autour d’un projet commun de cohérence métropolitaine. Nantes–SaintAujourd’hui, l’éco-métropole50 Nazaire, sur le plan légal, est réglementée comme un Pôle métropolitain, conformément à la loi « MAPTAM »51. Le rôle du pôle métropolitain Nantes – Saint-Nazaire, institué

48. DATAR : Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale 49. Cette politique nationale de rééquilibrage se fait en vue de lutter contre le désert français et l’omniprésence de Paris dans la gouvernance et l’organisation du territoire national dénoncé par JeanFrançois Gravier dans son ouvrage Paris et le désert français, paru en 1947

50. Le terme écométropole a été utilisé par Laurent Davezies (expert indépendant sur les politiques régionales, les politiques urbaines et le développement économique local) lors de la conférence « Quelle métropole voulonsnous ? » en novembre 2005 pour évoquer les enjeux économiques et écologiques propres à cette métropole. 51. Loi MAPTAM : loi de modernisation de l’action public territoriale et d’affirmation des métropoles du 27 Janvier 2014 qui a pour but de rendre plus lisible les compétences des collectivités territoriales. Cette loi s’inscrit dans « l’acte III de la décentralisation » voulu par le président, François Hollande. Elle permet la réorganisation des intercommunalités, des métropoles, des pôles métropolitains et des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux.

69


LE GAVRE

LA CHEVALLERAIS

BLAIN

QUILLY

LES TOUCHES NORT-SUR-ERDRE

LA CHAPELLEDES-MARAIS HÉRIC

BOUVRON

CAMPBON

LIGNÉ

FAY-DE-BRETAGNE SAINT-JOACHIM

TRIGNAC

MONTOIR-DEBRETAGNE

NOTRE-DAMEDES-LANDES

LA CHAPELLELAUNAY SAVENAY

SAINT-MALODE-GUERSAC SAINT-ANDRÉ DES EAUX

PETIT-MARS CASSON

PRINQUIAU

BESNÉ

GRANDCHAMPS-DESFONTAINES

MALVILLE DONGES

LAUVAU-SURLOIRE

VIGNEUX-DE-BRETAGNE

TREILLIÈRES

BOUÉE

LA CHAPELLE SUR-ERDRE

CORDEMAIS SAINT-NAZAIRE SAINT-ÉTIENNE DE-MONTLUC

PORNICHET

SAINT-MARSDU-DÉSERT SUCÉ-SUR-ERDRE MAUVESSUR-LOIRE

SAUTRON

CARQUEFOU THOUARÉ-SURLOIRE

ORVAULT

SAINTE-LUCESUR-LOIRE COUËRON

NANTES

SAINT-HERBLAIN

LE PELLERIN SAINT-JEAN- INDRE DE-BOISEAU LA MONTAGNE BRAINS BOUGUENAIS

REZÉ

BASSEGOULAINE SAINT-SÉBASTIEN SUR-LOIRE VERTOU

BOUAYE LES SORINIÈRES SAINT-AIGNANGRANDLIEU PONT-SAINTMARTIN

Fig.20. 61 communes du Pôle métropolitain, concentrées sur la rive Nord de l’estuaire

70

SAINTNAZAIRE NANTES

Pôle métropolitain Nantes / Saint-Nazaire

CARENE

C.C. Loire et Sillon

C.C. de la région de Blain

C.C. Coeur d’Estuaire

C.C. d’Erdre et de Gesvres

Nantes Métropole

Fig.21. 6 intercommunalités (Nantes Métropole, CARENE, Communauté de communes d’Erdre et de Gesvres, Communauté de communes Loire et Sillon, Communauté de communes de la région de Blain et Communauté de communes Cœur d’Estuaire)

SAINTNAZAIRE

NANTES

Pôle métropolitain Nantes / Saint-Nazaire

CARENE

C.C. Loire et Sillon

C.C. de la région de Blain

C.C. Coeur d’Estuaire

C.C. d’Erdre et de Gesvres

Nantes Métropole

Fig.22. Une pôle bipolaire : la ville portuaire nazairienne et la dynamique métropole nantaise


le 1er Juillet 2012, est de fédérer des actions communes liées à l’économie, la recherche, la culture, les transports et d’encadrer des instances telles que le SCOT. À travers le SCOT à l’œuvre depuis 2003, le pôle métropolitain cherche à développer une cohérence sur l’ensemble du territoire métropolitain, intégrant 61 communes (représentant au total 793 000 habitants et environ 400 000 emplois) (Fig.20) réparties en six intercommunalités (Nantes Métropole, CARENE, Communauté de communes d’Erdre et de Gesvres, Communauté de communes Loire et Sillon, Communauté de communes de la région de Blain et Communauté de communes Cœur d’Estuaire) (Fig.21). Afin d’aider et d’accompagner les élus dans la gestion de leurs territoires, le pôle a mis en place plusieurs stratégies dans les domaines suivants : l’environnement, la mobilité, l’accompagnement de projets urbains et l’économie. Il s’agit de l’organisation de conférences métropolitaines, de débats citoyens permettant la rencontre et le dialogue entre habitants, acteurs politiques et économiques, ainsi que du lancement du projet d’intérêt métropolitain Eau & Paysages, inauguré au cours de l’été 2013. L’enjeu de ce premier projet métropolitain est d’organiser une continuité et une cohérence paysagère entre les différentes intercommunalités, en valorisant des aménagements paysagers ou des espaces publics liés à l’eau, dénominateur commun du territoire. En parallèle, plusieurs préconisations sont émises par le pôle métropolitain qui travaille notamment sur la constitution d’une trame verte et bleue, la valorisation de zones à urbaniser ou à protéger et le développement de pôles urbains d’équilibre entre Nantes et Saint-Nazaire, à l’instar de Savenay.

1.2 prospective démoGraphiqUe En partenariat avec l’INSEE et dans le but de prévoir le développement démographique de la métropole, le pôle a mené, en juillet 2012, une étude visant à connaître le nombre

71


52. Étude INSEE n°106, juillet 2012

53. LAURENT Sybille, “Pourquoi entreprises et salariés rêvent de s’installer à Nantes” in Metronews, 26 novembre 2014.

72

d’habitants d’ici à 203052. Ce développement se traduirait par un gain d’environ 150 000 habitants supplémentaires, portant à près d’un million (943 000 habitants) le nombre d’habitants du pôle métropolitain tandis que la population totale en Loire-Atlantique atteindrait 1 550 500 habitants. Cet essor démographique se justifie de deux façons : l’attractivité du territoire d’une part et un accroissement naturel positif de l’autre. Le rayonnement de Nantes à l’échelle nationale et internationale, la proximité avec le littoral, la grande part d’espaces naturels préservés, les activités touristiques et culturelles séduisent unanimement les entreprises autant que les familles53. Cette croissance démographique s’explique également par un solde naturel positif. En effet, 5 900 personnes supplémentaires par an s’installeront sur le territoire dans les années à venir et ce jusqu’en 2030. Et si les années 1990 à 1999 ont vu le nombre d’habitants progresser essentiellement dans les pôles urbains majeurs à l’instar de Nantes et de Saint-Nazaire, le phénomène s’inverse aujourd’hui. En effet, les nouveaux arrivants s’installent désormais en priorité dans des zones périurbaines, rurbaines ou rurales. À titre d’exemple, la population au sein de l’espace rurbain (qualifié par l’INSEE par le retour des citadins et urbains à la campagne), a augmenté de 1800 personnes par an de 1999 à 2009, contre 800 habitants par an de 1990 à 1999. De la sorte, à l’horizon 2030, ce serait près de 30 000 habitants supplémentaires que devraient accueillir les communes rurales et périurbaines (Fig.23). Le territoire de l’entre-deux, s’étalant entre Nantes et Saint-Nazaire et aujourd’hui majoritairement constitué de hameaux et de petits bourgs, est en passe de devenir un lieu d’urbanisation majeur dans les années à venir. Zone

Fig.23. Tableau des prospectives démographiques du pôle métropolitain pour 2030, Source : étude n°106, INSEE, juillet 2012

Population 1990

Population 1999

Population 2008

Population 2032

Gain annuel moyen Gain annuel moyen de population de population 1990-1999 1999-2008

Gain annuel moyen de population 2008-2032

Nantes Métropole

505 100

554 600

580 800

679 400

5 100

2 800

Carene

108 400

110 300

115 900

135 100

200

700

700

« Espace rurbain »

75 700

83 500

100 500

128 500

800

1 800

1 000

Pôle Nantes Saint-Nazaire

3 500

689 200

748 400

797 200

943 000

6 100

5 300

5 200

Loire-Atlantique

1 050 500

1 134 500

1 255 900

1 550 500

8 400

12 500

10 000

Pays de la Loire

3 055 200

3 222 800

3 510 200

4 199 500

18 400

32 200

24 600

56 577 000

58 520 700

62 134 900

69 013 000

226 500

409 600

France Métropolitaine

248 500 Source : Insee, 2010


1. 3 identité métropolitaine et réconciliation des deUx rives Cependant, cette identité estuarienne si chèrement revendiquée par les politiques peut être questionnée : si l’unité géographique de l’estuaire est bien réelle, cette cohérence bénéficie-t-elle de la même évidence en ce qui concerne le territoire vécu, actif et ce que s’en représentent les habitants ? Fait paradoxal, la majorité des opérations et actions menées ainsi que la structure du pôle métropolitain ne concernent que la rive nord du fleuve. Ce périmètre métropolitain, instauré en 2003 par Jean-Marc Ayrault (maire de Nantes de 1989 à 2012) et Joël Batteux (maire de Saint-Nazaire de 1983 à 2014), résulte surtout des partenariats économiques qui rassemblent les deux villes, puisque l’essentiel des activités industrielles, portuaires et économiques polarisent la rive nord de l’estuaire. En outre, les communes de la rive sud se sont délibérément fédérées autour de la communauté de communes du Pays de Retz et chacune des rives s’organise selon des SCOT distincts. Cependant, le SCOT du pôle métropolitain ambitionne ouvertement de devenir un organe de gestion estuarienne, comme l’énonce le PADD, «l’estuaire doit être considéré comme la colonne vertébrale identitaire de la métropole, le fondement de nouvelles aménités. Sa découverte, sa mise en valeur, sa restauration hydraulique constituent donc des priorités d’aménagement.». L’estuaire ligérien est ainsi pensé comme fondement et cadre physique de la métropole en construction. Pour autant, aucune structure politique ou administrative ne gère la totalité du territoire. Ces contours font alors écho au clivage Vendée/Bretagne incarné par le franchissement de l’estuaire. L’estuaire, autant facteur d’unité que de division, apparaît alors comme un espace fragmentant et séparant deux rives peu en contact. Ainsi, si administrativement l’évidence de cette cohérence métropolitaine ne va pas encore de soi, la construction d’un territoire de l’estuaire s’appuie sur une

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54. « La construction d’une identité estuarienne », ENS, 2012-2013, http://www. geographie.ens.fr/Laconstruction-d-une-identite. html

55. Jean Blaise est un directeur artistique de spectacles très présents à Nantes (directeur du Lieu Unique, organisateur de la biennale Estuaire et directeur du Voyage à Nantes depuis 2012)

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56. Jean Blaise, cité dans BATTEUX, Joël, SaintNazaire, Vouloir sa ville, coll. Documents, ed. Le Cherche Midi, 2012, p.329.

multitude d’évènements médiatiques et culturels afin de « créer un référent identitaire fort, symboliquement approprié par les populations qui y vivent et plus largement, par les habitants de la métropole »54. La valorisation de l’estuaire et la réconciliation des deux rives s’incarnent tout d’abord par la facilitation de l’accès au rivage estuarien, avec la création d’équipements de loisirs, de circuits pédestres et cyclistes ou encore de croisières (Fig.24). C’est également l’ambition du programme culturel de la biennale d’art contemporain estuaire depuis 2007, puis en 2009 et en 2012, organisé par Jean Blaise55, et qui considère l’estuaire comme support culturel et identitaire visant à « créer de l’imaginaire, du symbole autour de cette métropole afin qu’elle ne soit pas seulement économique, mais corresponde à un projet de vie »56 (Fig.25). Moteur de création artistique autant que symbole politique, cet événement est conçu comme « un accélérateur de métropole », traçant un parcours, un fil continu mettant en cohérence aussi bien les deux rives que l’ensemble des communes de l’entre-deux Nantes-Saint-Nazaire. Il s’agit de faire découvrir les paysages et le patrimoine longeant l’estuaire, de dynamiser le territoire estuarien tout en incitant les traversées et circulations aussi bien longitudinales que transversales entre les différents bourgs constituant cet entre-deux, désormais incarné, réceptacle

Phare du Croisic

Infrastructures portuaires de Nantes

Pont de Saint-Nazaire

Le Pellerin

raffinerie de Donge


es

de l’unité métropolitaine, et non plus seulement considéré comme un vide entre deux villes. Cette dynamique de projet favorise le développement tant touristique qu’économique du territoire. Le Parcours Estuaire se compose actuellement de vingt-cinq œuvres installées de manière pérenne sur les rives de la Loire. Toutefois, les choix de situations de ces œuvres peuvent être questionnés puisque certaines communes semblent avoir été oubliées de cet événement à l’instar de la ville de Donges. D’autre part, la capacité des œuvres à mettre en évidence certains enjeux, à mettre en œuvre un nouveau regard ou à favoriser l’appropriation de ce territoire est parfois discutable. Si l’observatoire de Lavau-sur-Loire, crée par Tadashi Kawamata, permet de redonner une vue sur la Loire, retissant avec le passé portuaire du village tout en multipliant les points de vue sur ce paysage estuarien pluriel (roselières, fleuve, village, raffinerie, centrale thermique de Cordemais…) ou que la Maison dans la Loire évoque et questionne l’usage de l’estuaire et les impacts de l’activité humaine sur son environnement ; d’autres œuvres apparaissent davantage comme d’étranges objets aux hasardeuses portées d’interpellation métropolitaine. Si cette initiative peut être considérée comme anecdotique par certains, qui déploreront les manques d’une réunion politique à l’échelle de l’estuaire, elle révèle toutefois la difficulté à

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Fig.24. Du Croisic à Nantes, la rive Nord de l’estuaire Marais et village de Lavau-sur Loire

Centrale électrique de Cordemais

Nantes

De Nantes à Saint-Brévinles-Pins, la rive Sud de l’estuaire Ancien avant-port de Paimboeuf

Pêcheries de Corsept

Pont de Saint-Nazaire


Fig.25. Oeuvres pĂŠrennes du Parcours Estuaire 2007-2009-2011 Source : www.estuaire.info



fédérer une métropole autour de deux pôles urbains et d’un vaste territoire constitué à 80% d’espaces naturels contre seulement 20 % de zones urbanisées ou à urbaniser. L’enjeu et la difficulté de cette construction métropolitaine repose effectivement dans cet entre-deux réunissant une pluralité de paysages et d’usages, partagé entre une nature domestiquée, une autre conçue comme « sauvage » et un horizon industriel. Le patrimoine valorisé est ainsi composite, marin et fluvial, urbain et campagnard, naturel et culturel.

2. L’estuaire de la Loire : Trait d’union métropolitain ? 2.1 Un fleUve anthropisé Symbole identitaire et amarrage culturel de la métropole, l’estuaire de la Loire a façonné et structuré le paysage au cours des siècles passés. Ressource principale, l’évolution du lit du fleuve et de ses rives apparaît comme le premier témoin et la première victime de l’expansion humaine et du développement de ses activités, reflétés par les aménagements entrepris par l’homme pour s’y installer.

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> La canalisation du fleuve

Fig.26. XVIIIème sIècle : Un fleUVe saUVage La Loire n’a pas encore été canalisée. Elle est jonchée d’un archipel de bancs de sable et s’épanouit dans son lit majeur. Source : Carte de Cassini

Si les premières traces d’aménagements de la Loire remontent à l’époque gallo-romaine, le port de Nantes s’ouvre au commerce international au XIVème siècle (Fig.26). Dès le XVIème siècle, un imposant système de digues submersibles


inaugure la conquête du lit majeur du fleuve cherchant sans cesse à faciliter le transport fluvial et maritime. A partir du XVIIème siècle, l’essor du port de Nantes par le commerce triangulaire exacerbe la transformation du chenal de la Loire. Souvent réduit à moins d’un kilomètre de large et concentrant les eaux dans un chenal, ce lit endigué permet de mettre hors d’eau des terres agricoles, d’installer villes et villages, et de rendre ou conserver un chenal navigable. Ces travaux eurent des répercussions écologiques importantes sur les milieux, comme le creusement et l’érosion du lit ainsi que la déconnexion entre lit mineur et lit majeur. Parallèlement aux transformations du fleuve, les marais font également l’objet d’aménagements. Dès la fin du XVIIe siècle, d’importants travaux hydrauliques sont entrepris dans les marais des rives Nord et Sud, avec de nombreuses constructions : levées, canaux, douves, écluses, vannes57.

57. GIP Estuaire, « Histoire » disponible sur URL : http://www.loire-estuaire. org/accueil/un_territoire/ histoire

Fig.27. XIXème sIècle : aménagement et IndUstrIalIsatIon Travaux de canalisation et dragage afin de rendre le fleuve navigable jusqu’à Nantes

La mise en place des chantiers navals et l’industrialisation croissante du XIXème siècle finaliseront ces politiques d’aménagements du fleuve, l’accroissement des tirants d’eau exigeant un chenal toujours plus profond (Fig.27). En 1856, le creusement du premier bassin du port de Saint-Nazaire58 inaugure une série de grands travaux au service du développement industrialo-portuaire de l’estuaire, qui conduisit à l’agrandissement du lit du fleuve. En outre, afin de préserver la Loire, altérée par le trafic de navires trop imposants qui peinaient à remonter l’estuaire de plus en plus ensablé, le port de commerce muta progressivement vers

Source : Carte de l’état-major, 1820-1860

58. BATTEUX, Joël, SaintNazaire, Vouloir sa ville, coll. Documents, ed. Le Cherche Midi, 2012, 456 pages.

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l’aval, en direction de Saint-Nazaire. Visant à réguler le débit, de nombreux barrages hydroélectriques furent construits sur le fleuve et ses affluents. Afin de créer une voie de dérivation à la Loire et de maintenir une activité économique à Paimboeuf, avant-port majeur de Nantes, le canal de la Martinière fût creusé entre 1882 et 1892. D’une intense activité jusqu’à la première guerre mondiale, le ralentissement progressif du trafic le conduisit à son obsolescence et son délaissement, la profondeur n’étant plus suffisante pour les bateaux de gros tonnages ou à fort tirant d’eau. Aujourd’hui, le canal sert de réserve d’eau pour irriguer les terres maraichères environnantes. > Remblaiements et installation d’industries lourdes

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Fig.28. 1952, Un fleUVe anthropIsé - Installation de barrages régulateurs et d’industries lourdes - Inondations fréquentes du lit majeur, gagné par le pâturage. Source : Photographies aériennes IGN

En parallèle de l’activité portuaire, de nombreuses industries s’implantèrent sur les rives de l’estuaire à l’aide de remblais ou de polders qui modifièrent considérablement le lit du fleuve (Fig.28). Progressivement, la plupart des îles disparurent et le cours du fleuve se rétrécît jusqu’à Nantes. En 1966, l’Etat prit la décision de créer le Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire par la fusion des deux ports éponymes, induisant un regain d’activité par l’implantation de nouvelles industries et activités sur le territoire. Au-delà des installations portuaires liées au Grand Port Maritime de Nantes–Saint-Nazaire et aux chantiers navals de SaintNazaire, le rivage estuarien se polarisa autour d’industries lourdes telles le terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne (mis en service en 1980), la raffinerie de Donges (mise en


service en 1933, détruite pendant la Seconde Guerre Mondiale et reconstruite en 1947 – il s’agit de la seconde plus grande raffinerie en France, occupant 350 hectares) ou la centrale thermique de Cordemais (en service depuis 1970, elle est la centrale thermique la plus puissance en France et produit 25 % de la consommation annuelle du département des Pays de la Loire)59.

59. Op.cit. BATTEUX, Joël, p.83

Fig.29. 2012 : la loIre, Un fleUVe à protéger - Démontage de barrages - Allègement du dragage et réduction des terminaux nantais -l’Estuaire comme réserve naturelle et biologique

Le creusement du fleuve, la mise en place de canaux de navigation et d’irrigation ainsi que le remblaiement de milliers d’hectares sont autant d’actes d’anthropisation qui ont transformé la dynamique du fleuve et entravé sa naturalité. Ainsi l’estuaire est un territoire aménagé, espace de commerce et de production60. Aujourd’hui, les décisions entendent toutefois restreindre l’urbanisation industrielle des rives de la Loire en vue de limiter de nouvelles transformations et anthropisations du lit du fleuve. Classé zone Natura 200061 et ZNIEFF62, l’estuaire est désormais également considéré comme une réserve naturelle et biologique à protéger et une ressource paysagère et touristique à valoriser de manière durable, au point qu’un projet de réserve naturelle nationale est semble-t-il en cours (Fig.29).

Source : Photographies aériennes IGN

60. « La construction d’une identité estuarienne », ENS, 2012-2013, http://www. geographie.ens.fr/Laconstruction-d-une-identite. html 61. Depuis 2007, un périmètre de 21 726 hectares de l’Estuaire et ses abords a été décrété zone Natura 2000. 62. Selon la DREAL Pays de la Loire, une ZNIEFF (Zone Naturelle d’Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique) est un secteur de superficie variable qui présente un intérêt biologique élevé.

81


2.2 fraGmentations paysaGères Espace paradoxal transformé, notamment par l’industrie, il est également valorisé pour sa dimension « naturelle », alors même que cette nature est très largement anthropique. Si la diversité des activités coexiste dans un même territoire, il s’agit d’un espace conflictuel, convoité par des acteurs aux aspirations divergentes. Paysage contradictoire à la croisée d’un écosystème de zones humides et de l’activité humaine, l’estuaire de la Loire se caractérise ainsi par la multitude d’images qui vient troubler l’identité plurielle de ce territoire.

82

L’estuaire correspond à la partie terminale de la Loire. D’une largeur de 300 mètres juste après l’île de Nantes, elle atteint sa largeur maximale de 3000 mètres à l’aval du resserrement entre Donges et Paimboeuf (2000 mètres). Géographiquement, l’estuaire se définit par la faille du sillon Bretagne au Nord et par le plateau du Pellerin, ainsi que l’escarpement de Saint-Père-en-Retz au Sud. L’estuaire ainsi défini s’étend sur une superficie d’environ 250 km² (25000 hectares) dans le département de la Loire Atlantique. Il est caractérisé par de très importantes zones de basse altitude (inférieures à 5 m par rapport au 0 NGF). L’estuaire ligérien est un paysage horizontal, un fond de vallée plan d’une grande amplitude délimité par les coteaux du Pays de Retz au Sud et du sillon de Bretagne au Nord. Traversé par la Loire et bordé de part et d’autre de zones humides importantes (15000 ha de zones humides dont 11000 hectares de prairies inondables), c’est un paysage aqueux qui se ramifie dans toute la vallée par des canaux, étiers, douves et fossés structurant le paysage. Les terres alluviales de l’estuaire sont essentiellement composées de prés humides ainsi que de vasières et de roselières. Un ballet perpétuel d’oiseaux anime les prairies et pâtures inondables où paissent des troupeaux de bétail. Un peu plus haut, comme posé sur la ligne des plus hautes eaux, un paysage de bocage habité joue le rôle de refuge l’hiver,


quand toutes les prairies sont inondées. Plusieurs bourgs s’implantent sur le pied de coteau et s’étagent parfois jusqu’en haut comme pour dominer ce paysage grandiose de l’estuaire. D’autres bourgs se sont implantés sur les rives de la Loire, s’organisant de manière insulaire en implantant le bâti autour d’un promontoire, de manière à s’isoler des marais inondables, donnant la perception de véritables îles urbanisées (Lavau-sur-Loire). De la tuile à l’ardoise, du schiste et du granit à la brique, des enduits sablés aux façades blanches ou colorées, différentes influences architecturales se mêlent dans les maisons de pêcheurs, habitats ouvriers et nouveaux quartiers hésitant entre influences bretonnes au nord et vendéennes rive sud63. Si la Loire n’est aujourd’hui plus l’axe économique principal, la navigation de quelques cargos et la persistance de quais et cales dans les bourgs ligériens racontent ce passé industrieux. Le tissu industriel ancien demeure d’ailleurs encore aujourd’hui actif et se distingue sur les berges par les volumes monumentaux. Fortement polarisé par ses activités industrialo-portuaires, la rive Nord de l’estuaire de la Loire se distingue par un chapelet de sites anthropisés : la centrale thermique de Cordemais, la raffinerie de Donges et le complexe portuaire de Montoir-de-Bretagne. Ces infrastructures larges et volumineuses, parfois verticales et rythmées, cheminées bicolores, fumées et brouillards, tels des points d’ancrages, imprègnent le paysage d’un imaginaire maritime renforcé par les sons et odeurs de leurs activités. Ces repères industriels et leur verticalité créent un jeu de contraste avec l’environnement agro naturel des prairies inondables, paysage horizontal.

83

63. DREAL Pays de la Loire, « La Loire Estuarienne » in Atlas des paysages de Loire-Atlantique, disponible sur URL : http://www. paysages.loire-atlantique. gouv.fr/indexf1f0.html?_ pg=paysage&_p=2&_up=4


Eolienne du Carnet , Paimboeuf, 31 dĂŠcembre 2014, 17h53



Cheminées de la Centrale électrique de Cordemais, Lavau-sur-Loire, 29 décembre 2014, 18h45



Centrale ĂŠlectrique de Cordemais, Frossay, 19 mars 2015, 15h28



Raffinerie de Donges, Corsept, 31 dĂŠcembre 2014, 17h18



L’ancien avant-port de Nantes Lavau-sur-Loire, 29 dÊcembre 2014, 18h42



La Villa Cheminée de Tatzu Nishi à Cordemais, Frossay, 31 décembre 2014, 18h21



2.3 Un territoire inondable Se déformant en fonction des saisons et des marées, le paysage horizontal de l’estuaire ligérien est un espace difficile à appréhender dans son ensemble. Mais l’eau, composante principale de ce paysage, est avant tout à l’origine de la vulnérabilité de ce territoire aux risques d’inondation et de submersion (Fig.32). Débouché d’un fleuve de plus de 1000 kilomètres, parcours terminal de la Loire allant de Nantes à l’océan Atlantique sur quelques soixante kilomètres, l’estuaire de la Loire est un espace où les eaux marines rencontrent les eaux douces du fleuve.

96

Fig.32. Hydrologie du territoire

64. Source : GIP Estuaire

Auparavant considéré comme un axe de communication majeur, le trafic portuaire et maritime corrélé à l’industrialisation massive des rives de la Loire décrites précédemment ont transformé la géomorphologie de ces rives, devenue variables au gré des marées, des saisons et des conditions météorologiques et provoquant un abaissement de son lit ainsi qu’une progression de l’onde de marée et du front de salinité. La ligne de rive de l’estuaire est ainsi automatiquement franchie lorsque le coefficient de marée atteint 94 (sur 120). Néanmoins, il se peut que le fleuve déborde de son lit même lors de coefficient inférieur (à titre d’indication, en moyenne, de 1996 à 2011, 4 pleines mers sur 10 ont débordées64. Ces activités contraignirent et modifièrent également le cours du fleuve : tandis que le niveau de l’eau augmenta par endroit, elle se retira dans d’autres. Alors que


le village de Lavau-sur-Loire possédait un rivage, la Loire distance désormais de cinq kilomètres les anciennes rives de l’avant-port passé (Fig.30 & 31). Ces aménagements diffusèrent également l’illusion de la maitrise du fleuve, éloignant la menace du risque inondation et incitant de fait les communes à poursuivre leur développement en zone inondable. Ils témoignent d’un paradigme techniciste où la croyance en la puissance du génie civil et l’indiscutable efficacité des infrastructures devait permettre à la croissance urbaine de s’affranchir de la menace de l’inondation. Toutefois, dans les années 1980, face à la croissance de ces aménagements, plusieurs mouvements contestataires apparurent et soulevèrent des questions sécuritaires et écologiques : efficacité des grands barrages, interruption du transport de sédiments, appauvrissement biologique des milieux... Cette contestation fût progressivement relayée par un changement de mentalité et une évolution vers un paradigme plus environnementaliste concevant l’eau non plus seulement comme une ressource mais comme un milieu. En 1994 l’adoption du « Plan Loire Grandeur Nature » remit en cause les programmes en cours d’aménagements lourds du bassin de la Loire. Visant à concilier la sécurité des personnes, la protection de l’environnement et le développement économique, ce plan d’aménagement global constitue un tournant et une véritable inversion des priorités dans les relations entre aménagement et environnement. De l’aménagement au ménagement, les

1.

97 2.

Ancien-port de Lavau-surLoire, Fig.30. 1. 1900-1930

Source : Archives départementales de LoireAtlantique, http://archives. loire-atlantique.fr/archivesnumerisees-fr-c_5562

Fig.31. 2. 19 mars 2015


65. Projet de SDAGE de juin 2007, disponible sur URL : http://www.sage-estuaireloire.org/

cours d’eau sont désormais conçus comme des milieux à préserver et valoriser plutôt que des ressources à aménager. Le projet de Schéma Directeur d’Aménagement et Gestion des Eaux (SDAGE) Loire Bretagne illustre ce changement de point de vue : « il n’est pas possible d’annuler les effets des crues car aucun ouvrage ne peut constituer une protection absolue ; d’autre part, les crues jouent un rôle majeur dans la dynamique des cours d’eau, contribuent à la recharge des zones humides et à l’épuration des eaux »65. Devenant un enjeu public, de nombreuses instances, en parallèle des PPRI, ont été mises en place pour analyser le cours de l’estuaire et prévenir d’éventuels dangers. Le Groupe d’Intérêt Public (GIP) Loire Estuaire, créé en 2004 et travaillant de pair avec les institutions politiques, a pour mission d’éduquer et de sensibiliser les habitants à leur environnement, de s’assurer de la protection et du respect de la faune, de la flore et de la gestion des eaux sur le territoire estuarien ainsi que de développer un «savoir-vivre inondation » pour habiter durablement dans les vallées inondables.

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Raffinerie, Donges, 21 mars 2015

En outre, si l’inondation et la submersion marine constituent les risques majeurs de ce territoire, ceux-ci sont accrus par les risques industriels liés à l’exploitation de matériaux dangereux et aux rejets de substances chimiques inhérents aux industries lourdes, chimiques et polluantes implantées sur la rive nord de l’estuaire. La corrélation des ces risques (fuite, incendie, explosion, rejets nocifs) à celui de l’inondation constitue une menace certaine pour ce territoire, ayant par ailleurs déjà été affecté dans le passé. En effet, plusieurs fuites de la raffinerie de Donges


ont jadis causé des marées noires dans l’Estuaire, comme dernièrement le 4 janvier 2006 (collision de deux butaniers – 30 tonnes de fioul lourd libéré dans l’estuaire) et le 16 mars 200866 (fuite de canalisation

66. Guimard Emmanuel, «Total veut assumer la marée noire à Donges» in L’Usine nouvelle, n°3094, 27 mars 2008

– 400 tonnes de fioul lourd toxique et d’hydrocarbures sont déversés dans le fleuve). Leur dangerosité est attestée par leur classement au seuil le plus haut de la directive SEVESO67. Si des mesures préventives sont développées pour éviter, minimiser ou réagir à ces risques industriels, il appartient aux industriels de maitriser ces aléas. Au contraire, le risque inondation et la conscience de son caractère inéluctable avéré nécessitent qu’il soit prévu, anticipé et prévenu.

Infrastructures portuaires, Donges, 21 mars 2015 67. ADDRN, Les risques technologiques majeurs. Carene et Cap Atlantique, octobre 2009, disponible sur URL : http://www.addrn.fr/ IMG/pdf/risques_industriels. pdf

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Port de Cordemais, 19 mars 2015, 13h50 - basse mer


Port de Cordemais, 21 mars 2015, 18h09 - haute mer - coefficient : 119


102

Ancien avant-port de Lavau-sur-Loire, 19 mars 2015, 10h47 - basse mer


103

Ancien avant-port de Lavau-sur-Loire, 20 mars 2015, 16h44 - haute mer - coefficient : 115


Marais de Lavau-sur-Loire, 19 mars 2015, 11h43 - basse mer


Marais de Lavau-sur-Loire, 20 mars 2015, 17h26 - haute mer - coefficient : 115


Port de Paimboeuf, 21 mars 2015,

106 12h16 - basse mer

Port de Paimboeuf, 19 mars 2015, 17h05 - haute mer - coefficient : 105


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3. La submersion ligérienne, support du développement métropolitain 3.1 de la contrainte à l’action : le risqUe moteUr de projet Si jusqu’à aujourd’hui aléas, risques et menaces pesant sur nos territoires étaient synonymes de sinistres, de catastrophes et de désastres parfois meurtriers, il semblerait qu’une inversion de cette conception néfaste soit possible. En effet, de contrainte à éliminer, de poids accablant et paralysant, nous imaginons le risque comme point de départ d’un nouveau mode d’aménagement et de développement de nos territoires, plus en adéquation avec leurs caractéristiques intrinsèques. Passant d’une stratégie d’évitement à celle de l’intégration, ces risques incarneraient dès lors des moteurs, supports et constituants d’un renouveau urbain. A la source de notre démarche, ce renversement de la conception du risque a porté notre projet, qui veut croire et concevoir l’inondation comme socle fondateur, réceptacle générateur du futur développement de l’éco-métropole Nantes-SaintNazaire. Le territoire étudié, les rives de l’estuaire de la Loire et plus particulièrement « l’entre-deux » s’étendant de Montoir-de-Bretagne et Saint-Brévin-les-Pins à l’ouest jusqu’à la Centrale de Cordemais à l’est, a le paradoxe, tout en étant fortement inondable et donc à risque, de promettre un fort développement dans les décennies à venir. On prévoit effectivement, à l’horizon 2030, que 150 000 habitants supplémentaires viendraient s’y installer. Preuve que les risques inondation et submersion marine ne rendent pas nécessairement un territoire inhabitable ou impraticable, habiter le risque ne revient cependant pas à le minimiser. Au contraire, connaître ce risque et plus particulièrement diagnostiquer le territoire et les aléas auxquels celui-ci s’expose, constitue la première étape pour s’y préparer.

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Lavau-sur-loire Paimboeuf

Cordemais

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aujourd’hui

+ 3 mètres catastrophe

Fig.33. Conséquences et temporalités de la montée des eaux sur le territoire

+ 3 mètres montée des eaux


3.2 temporalités et caracteristiqUes dU facteUr inondation Le territoire que nous étudions est soumis à un risque d’inondation faisant suite à des épisodes pluvieux ou par remontées de nappe et à un risque d’inondation par submersion marine, directement issu de l’estuaire, via l’océan atlantique. Nous concevons ce risque selon deux échelles temporelles. A court et moyen terme, causé par la concomitance de phénomènes météorologiques inhabituels (fort coefficient de marée, onde de tempête, vents violents), cette submersion peut survenir de manière soudaine et plus ou moins imprévisible en s’installant pour quelques heures ou quelques jours. Si ces phénomènes sont aujourd’hui relativement rares, les statistiques montrent qu’ils ne devraient aller qu’en s’accentuant et s’intensifiant au cours des prochaines décennies, la dernière en date étant la tempête Xynthia en 2010. Cette tempête, survenue pendant un coefficient de marée de 102 (sur 120), provoqua une montée du niveau de l’eau atteignant jusqu’à trois mètres à certains endroits ; de nombreuses zones, principalement naturelles et agricoles, se retrouvèrent en eau rapidement. Dernièrement, à l’occasion des marées du siècle (événement se produisant tous les dix-huit ans environ avec des coefficients pouvant aller jusque 120) de février et mars 2015, la météo étant clémente, l’impressionnant marnage resta de l’ordre de l’événement sensationnel : le fleuve sortit de son lit habituel à certains endroits, certains cours d’eau débordèrent et plusieurs terres se retrouvèrent inondées le temps de quelques heures. Toutefois, des conditions météorologiques mauvaises auraient suffi à transformer cette attraction curieuse en sinistre. Ces montées des eaux, occasionnelles mais relativement régulières, peuvent également être entendues comme la préfiguration du devenir du territoire. En effet, à plus long terme, nous considérons que ce territoire littoral est sujet à la montée des océans. Dès lors, l’eau pourrait s’installer et coloniser de manière progressive le territoire, allant, dans les

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Fig.34. La tempête Xynthia, 2010 - De nombreuses terres agricoles en eau pendant une semaine Source : GIP Estuaire

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Fig.35. Submersion à + 1 mètre

Source : Site internet Flood Maps (données extraites des radars altimétriques de la NASA)

Fig.36. Submersion à + 3 mètres

Source : Site internet Flood Maps (données extraites des radars altimétriques de la NASA)


scénarios les plus catastrophiques, jusqu’à le submerger en partie d’ici 2100. L’intensité de cette submersion, comme c’est le cas aujourd’hui, varierait en fonction des saisons. C’est dans cette double perspective, ces deux temporalités de l’inondation, que nous avons décidé de considérer le territoire. Le scénario d’une montée des eaux de trois mètres, déjà survenue dans l’estuaire de manière occasionnelle et hypothétiquement prévisible d’ici 2100, est le point de départ de notre projet. Ce scénario s’appuie sur les données fournies par le site « Flood Maps », à partir duquel il est possible de simuler une montée du niveau des océans allant jusqu’à quatorze mètres, et dont les données sont issues d’un radar altimétrique de la NASA68. Volontairement exagérées, les cartes issues de ce site donnent cependant une vision simplifiée de la situation, ne prenant pas nécessairement en compte, dans un premier temps, l’ensemble des données topographiques et morphologiques du territoire. La confrontation de ces visions aériennes du territoire submergé avec l’étude précise et le parcours de celui-ci nous a permis de faire émerger des territoires de projet.

68. Flood Maps, site disponible sur URL : http://flood.firetree. net/?ll=44.5905,40.0781&z=14&m=14

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3.3 aUtopsie dU territoire sUbmerGé La montée des eaux de trois mètres met à jour la vulnérabilité du territoire estuarien, recouvrant environ 87,4 kilomètres carrés, soit 40,7 % du territoire étudié69. Dans la mesure où l’inondation, s’affranchit de la plupart des limites et frontières, nous nous sommes volontairement libérées du périmètre métropolitain et des multiples limites administratives fragmentant le territoire afin de considérer univoquement les deux rives en plaçant le fleuve et ses débordements à la source du projet. Le territoire le plus concerné est celui de l’entre-deux, celui des zones basses entourant l’estuaire, espaces semi-naturels formés par et à cause de l’anthropisation du fleuve. Recouvrant environ 52,8 hectares2 de terres agricoles, la première victime de l’inondation est l’agriculture, composante pourtant essentielle du paysage. Si, en considérant une montée des eaux à plus trois mètres, le nombre de bâtiments sinistrés (à l’échelle de la métropole) n’est aujourd’hui pas catastrophique bien qu’il concerne quand même 1100 bâtiments, il réduit pourtant grandement le nombre de surfaces constructibles, interrogeant les conditions d’habitat et de développement urbain à venir. En outre, la submersion concerne particulièrement les anciens avant-ports de Nantes, en particulier Lavau-sur-Loire et Paimboeuf, bourgs dont l’organisation insulaire pourrait désormais correspondre à une réalité maritime. Enfin, la question infrastructurelle se manifeste comme le troisième et dernier enjeu de ce territoire. Il touche aux différents réseaux et flux, concernant tant la mobilité des personnes et des marchandises que celle des informations et des ressources. En effet, l’inondation pourrait causer l’obsolescence ou la ruine de plusieurs infrastructures, en particulier de routes majeures qu’il s’agit de mettre hors d’eau.

69. Données et chiffres indicatifs établis en fonction des cartes préalablement réalisées

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3.4 répandre la métropole

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Ainsi, le prisme de l’inondation permet de considérer sous un autre regard ce territoire. Les espaces qui se trouvaient délaissés ou isolés deviennent enjeux et lieux de projet. Cette nappe d’eau débordant de l’estuaire nous engage à repenser les solidarités territoriales. L’enjeu ne se situe plus à l’échelle du bâtiment à mettre hors d’eau mais tant à l’échelle de la métropole qu’à celle de l’ancien-port revenu à sa fonction passée, à celle de la localité, du village, comme des agriculteurs inondés. Considérée de manière systémique, l’inondation se transforme en support du développement à venir et agit comme un outil de solidarité territoriale et de réconciliation entre les deux rives. En tant qu’architecteurbaniste, nous ne pourrons traiter les sujets sur lesquels nous n’avons ni prises ni compétences suffisantes comme la question, néanmoins primordiale, des réseaux. Ambitionnant de répondre au risque inondation par l’enchevêtrement des échelles, l’enjeu de ce projet sera de réfléchir et de proposer des stratégies urbaines et territoriales ainsi que des dispositifs architecturaux durables permettant non seulement à l’inondation d’advenir mais surtout de maintenir les activités et la vie quotidienne tout en assurant une cohérence territoriale. Garantir la protection de la population et la résilience tant pendant l’inondation qu’à plus long terme ne peut se faire, selon nous, qu’en pensant une urbanisation à l’échelle du bassin et en fonction de différentes temporalités. Adapter, anticiper et accompagner une urbanisation et un développement soutenables permet de mettre à jour, d’ores et déjà, les espaces de vie à maintenir, les espaces à réaménager et ceux à sacrifier ou à sanctuariser dans le but de concentrer les efforts et les actions. Il semblerait que ce fleuve et cet estuaire, à travers le risque qu’ils représentent, puissent véritablement devenir le réceptacle identitaire de la métropole en permettant de mettre en place des dynamiques et solidarités territoriales.


Eloignant les deux rives, cette inondation peut également être l’occasion du développement ou d’un retour d’une culture maritime commune. Nous éloignant ainsi quelque fois de la question de l’inondation, la démarche n’aura à priori rien à voir directement avec le risque « mais avec la manière de s’en prémunir ou de la réduire. Cela devient plus transversal, plus inter-scalaire, voire trans-scalaire. »70, pour que s’opère progressivement la métamorphose du risque en un événement vertueux. La démarche proposera d’abord une stratégie paysagère métropolitaine, s’inscrivant dans la suite du Parcours Estuaire et des différentes initiatives déjà mises en place de manière à faire face ou se protéger de l’inondation tout en préservant la continuité des espaces naturels et la durabilité des paysages, selon une conception longitudinale, d’est en ouest, du territoire. L’enjeu est également de respecter, maintenir, voire rétablir des coupures d’urbanisation dans le paysage ainsi que de définir les zones à développer tout en maitrisant l’étalement urbain. De l’autre, il s’agira de réfléchir au rééquilibrage du territoire selon un axe Nord-Sud, en valorisant l’oblique Savenay-Lavau-surLoire-Paimboeuf. Enfin, ces stratégies s’incarneront dans des dispositifs et projets urbains établis à l’échelle des localités. L’enjeu et l’ambition de ce projet sont ainsi de traiter les modes d’action et capacité de réaction face au risque inondation, tant à l’échelle de l’habitant que celle du chef d’entreprise, du maire ou du responsable métropolitain.

70. LOUBIERE, Antoine, « Partir du risque pour concevoir un projet urbain » in Revue Urbanisme, n°395, p.34

117


118


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IV. MĂŠthode et processus


IV. Méthode et processus 1. Le diagnostic – Latences, caractères et spécificités d’un territoire ris ues Les risques performent et transforment les territoires. Ils s’inscrivent au sein de logiques complexes dépendant des aménagements, des modes d’installation et des dynamiques spatiales inhérentes à un territoire. Aussi, étudier un risque engage d’abord à mesurer la relation que

120 71. Gouvernement du uébec, Ministère de la Sécurité publique, Politique Québécoise de Sécurité Civile 2014-2014. Vers une société québécoise plus résiliente aux catastrophes, Québec, ibliothèque et archives nationales du uébec.

ceux-ci entretiennent avec le territoire qu’ils touchent, à recenser ses vulnérabilités. Ces vulnérabilités émergent du décryptage et de l’analyse pointue du fonctionnement et de la structuration de ce territoire, ses infrastructures et ses réseaux, ses zones de latences et de développement, ses constituants identitaires et structurants. Il s’agit de repérer les « actifs clés »71, à savoir l’ensemble des éléments qui, du point de vue social, économique ou environnemental ont une valeur particulière ; constituent un atout, un attrait ou un symbole reconnu ; ou ont une importance stratégique dans le milieu. La destruction, la disparition, l’endommagement ou l’interruption prolongée ou permanente des activités leur étant associées représenteraient une perte importante pour la communauté. Ces constituants étant de natures différentes, les pertes et dommages occasionnés peuvent aussi bien être matériels et physiques que symboliques. Ces constituants sont de différents ordres : - les équipements et les infrastructures, les activités économiques et sociales (activités et sites touristiques, industries manufacturières ou entreprises employant un nombre important de citoyens, bâtiments et infrastructures publics, etc.) ; - les biens culturels ou patrimoniaux et archives ; - les milieux naturels d’un grand intérêt écologique ou esthétique.


Dans le cas du territoire que nous étudions, NantesSaint-Nazaire se structure autour de l’estuaire de la Loire et de son paysage marécageux, desquels se polarisent les composants identitaires culturels des œuvres du Parcours Estuaire ainsi que ses industries, constituants économiques dont les cheminées sont désormais devenues symboles de l’estuaire de la Loire. Plusieurs de ces constituants se distinguent également en autant de points hauts marquant l’horizon estuarien (Fig.38).

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Construire le risque



Construire le risque « Le « risque zéro » est un horizon qui recule lorsque l’on croit s’en approcher.» 72

Tutoyer et projeter avec le risque revient à accepter la fin du risque zéro, à admettre qu’on ne peut être à l’abri de tout, à reconnaître la vulnérabilité avérée de nos milieux de vie. A l’encontre des politiques fondées sur l’amnésie du risque, la confiance aveugle dans les dispositifs de protection et la déperdition d’une culture du risque, ce postulat engage à repenser la relation de l’homme à la nature. Le risque n’est pas un évènement (sur)naturel ou un accident, autrefois considéré comme volonté divine, c’est un futur pour parti connaissable et maitrisable. Il surgit dans un contexte organisé et c’est l’organisation humaine, spatiale et sociale qui rend le territoire vulnérable à l’aléa et construit le risque ; métamorphosant possiblement une crise environnementale en crise sociale, spatiale et politique. Loin de nous le fatalisme ou le catastrophisme, nous avons la possibilité d’agir et de réagir face à cette incertitude omniprésente. Se paralyser, négliger ou éloigner le risque n’assure qu’une sécurité illusoire et fugace ; autant prendre l’incertitude comme un élément moteur et tangible avant que celle-ci ne resurgisse de manière désastreuse et catastrophique. outefois cette acceptation du risque astreint à un changement de paradigme profond, bouleversant les habitudes et nous invitant à repenser les processus, les méthodes et les organisations spatiales. Installer et regarder en face les aléas engage à améliorer le territoire, plus uniquement par la réglementation mais par le projet territorial. Un nouveau champ d’action et de recherche s’ouvre aux architectes-urbanistes, dont la mission est d’anticiper et d’organiser les modes de vie, les changements sociétaux et économiques à l’aune de cette incertitude. ransversalité,

72. ASCHER, François, Les nouveaux principes de l’Urbanisme, Gémenos, collection Monde en cours, éditions de l’Aube, 2001, p.27

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pluridisciplinarité et multi-scalairité apparaissent comme les points d’orgue de cette démarche innovante. Le risque se mue en un outil de dialogue entre des échelles, des disciplines et des regards, cristallisant une diversité d’enjeux et de logiques différentes, qu’il convient de combiner et de faire correspondre.

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Dépassant l’échelle de la parcelle et du b timent pour l’articuler à celle du quartier, de la ville et du bassin, le projet découlant de cette démarche est flexible et adaptable, mutable selon différentes temporalités. Se projetant dans un temps long, il regarde et agit sur la vie quotidienne. Le risque n’est plus conçu comme un élément incertain, lointain et irréel, c’est un facteur mesurable et connaissable auquel correspondent une réalité et une spatialité. Acceptant l’eau et évitant de gérer l’urgence, le projet réconcilie projet et technique. A l’articulation entre utopie et pragmatisme du quotidien, le présent construit surgît comme une anticipation de demain. Cette anticipation projectuelle du risque, à travers des interventions peu co teuses et utilisables dès aujourd’hui, apparaît comme un outil essentiel pour favoriser une acceptation sociale des risques et accélérer les processus liés au développement urbain, à l’écologie ou au développement durable. Levier vers la résilience, la prise en compte et l’anticipation de ce risque permettent d’accélérer les processus pour rendre éco-responsable un territoire, elles promeuvent un urbanisme durable en phase avec les dynamiques sociales et environnementales. Entouré de politiques, d’experts et d’acteurs variés, l’architecte-urbaniste est responsable de l’articulation et de l’organisation de cette réflexion à l’échelle des grands territoires. Décision avant tout politique, la difficulté repose sur l’obligation de prendre des décisions complexes sur des bases scientifiques non totalement établies. La démarche se doit d’être démonstratrice, en particulier envers la population, que l’on ne peut désormais plus évincer de la


décision mais qu’il s’agit d’impliquer, d’avertir et d’entrainer. Lors de la conférence « Le Grand Paris est-il prêt pour un risque majeur », à la Maison de l’architecture en le-deFrance, organisée par l’Atelier International du Grand Paris le 21 mai 2015, Paola Vigan soulignait l’importance de trouver un équilibre entre résistance et résilience dans les territoires concernés par les risques, notamment celui d’inondation. Nécessité est de mettre à jour et de décider des zones devant résister au risque, celles amenées à disparaître et celles capables de vivre avec le risque. Dans le cas présent, le risque apparaît alors comme une nécessité, une potentialité et une opportunité pour repenser la métropole de manière horizontale et cohérente en redéfinissant les relations, les solidarités et les liens unissant des centres et une périphérie. Le risque d’inondation permet de « déborder la métropole ». 143



Bibliographie



Bibliographie 1. Inondation, risque et résilience 1.1 vUlnérabilité et incertitUde BECK, Ulrich, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, collection Champs Essais, Flammarion, Paris, 2003, 520 pages. DUPUY, Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain, Seuil, Points Essais, Paris, 2002, 224 pages. LOUBIÈRE, Antoine (dir.), Dossier « Vulnérabilité et résilience urbaines », in Revue Urbanisme, n°395, Hiver 2015, p.28-61 NOVEM ER, Valérie, PENELAS, Marion et VIOT, Pascal (dir.), Habiter les territoires à risques, collection Espace en société, logique territoriale, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2011 Conférence : OURDIN, Alain, « L’incertitude comme moteur de l’action », les 5à7 du Club Ville Aménagement, 21 mai 2014, Tour Séquoïa, Grande Arche de la Défense. (url : http://www.club-villeamenagement.org/production-fiche.php?id=282) 1.2 inondation et sUbmersion AMIOT, Antonin, FERNANDES, Laura, NICOLAS, Clémence, ROMANE, Julien, Vivre avec le risque. La Submersion marine à Guissan, Cahiers du DSA d’architecte-urbaniste 2012-2013, étude réalisée sous la direction d’Éric ALONSO et Yves LION, EAVT, Marne-la-Vallée, 2013 ARATIER, Jér me, Dossier « Habiter l’eau », Traits d’agences, supplément n°25 de traits urbains n°73, Hiver 2015 DREAL, Directive Inondations. Prévenir et gérer les risques, Livre 1 : Synthèse sur le bassin, décembre 2011, 98 pages

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LISON, Céline, « Jusqu’où la mer va-t-elle monter ? », in National geographic, n°186, Mars 2015, p. 26-36 TERRIN, Jean-Jacques (dir.), Villes inondables. Prévention, adaptation, résilience, collection la ville en train de se faire, Parenthèses, Saint-Étienne, 2014, 279 pages. VIRILIO, Paul, Ce qui arrive, Editions Galilée, 2002, 128 pages VIRILIO, Paul, L’accident originel, Editions Galilée, 2005, 168 pages Conférence : Séminaire de restitution de l’Atelier national «Territoires en mutation exposés aux risques», organisé par la DGALN et la DGPR, avec la présence de Frédéric Bonnet et l’agence Obras, le 8 avril 2015 à la Maison de la Chimie

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Question vive « Risques et Résilience - Le Grand Paris est-il prêt pour un risque majeur ?», organisé par l’Atelier International du Grand Paris, avec Paola Vigano et Finn Geipel, le 21 mai 2015 à la Maison de l’architecture en Ile-de-France

2. L’éco-métropole Nantes - Saint-Nazaire 2.1 estUaire et littoral DEPRES Laure (coord.), L’estuaire de la Loire, un territoire en développement durable ?, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 472 pages VIRILIO, Paul, Le littoral, la dernière frontière. Entretien avec JeanLouis Violeau, Clamecy, Collection Sens&Tonka, 2013 AUVER, rice, FROMENT, Delphine, LE LOND, Nelly et EN E , Florence, Estuaire de la Loire, ENS Géographie, 2013. URL : http:// www.geographie.ens.fr/-Estuaire-de-la-Loire-.html 2.2 constrUction politiqUe de la métropole ATTEUX, Jo l, Saint-Nazaire, Vouloir sa ville, coll.Documents, ed. Le Cherche Midi, 2012, 456 pages MASBOUNGI, Ariella et AUDOUIN, Jean, Estuaire Nantes-SaintNazaire, écométropole, mode d’emploi, Paris, Le Moniteur, 2012


3. Méthode et processus LÉVY, Jacques et LUSSAULT, Michel (sous la direction de), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003, 1033 pages

4. Lois et règlementations ARTELIA, DDTM 44, Direction régionale Ouest, Atlas des submersions marines de l’Estuaire de la Loire. Analyse hydrogéomorphologique, octobre 2013. BASSO, Marcel et BRIGANDO, Marc (coord.), Guides. Plan de prévention des risques naturels (PPR). Risques d’inondation, La Documentation Française, Paris, 2002 SCOT Métropole, Les nouveaux horizons de la métropole, in : Nantes – Saint-Nazaire, conférences métropolitaines, juin 2007 SCOT Métropole, Projets et gouvernance pour une éco-métropole, in : Nantes – Saint-Nazaire, conférences métropolitaines, novembre 2008 SCOT Métropole, uelle métropole voulons-nous ? , in : Nantes – Saint-Nazaire, conférences métropolitaines, novembre 2005

5. Urbanisme ASCHER, François, Les nouveaux principes de l’Urbanisme, Gémenos, collection Monde en cours, éditions de l’Aube, 2001, 104 pages AR ET-MASSIN, Olivia et MAS OUNGI, Ariella, Extension du domaine de l’urbanisme : Frédéric Bonnet, grand prix de l’urbanisme 2014, collection Grand Prix de l’urbanisme, Parenthèses Editions, 2015, 143 pages ROUILLARD, Dominique, L’infraville : futurs des infrastructures, Paris, Archiboks, 2012, 269 pages SECCHI, ernardo et VIGANO, Paola, La ville poreuse, un projet pour le Grand Paris et la métropole d’après-Kyoto, Métis Presses, 2011, 256 pages SIEVERTS, Thomas, Entre-ville : Une lecture de la Zwischenstadt, collection Eupalinos, Parenthèses Editions, 2004, 188 pages VIGANO, Paola, Les territoires de l’urbanisme, le projet comme producteur de connaissance, Métis Presses, 2014, 293 pages

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