L'Officiel Hommes-Levant, June-October Issue 56

Page 1

N° 56 – 7,500 L.L.

Ryad Slimani en chemise Saint Laurent et pantalon Gucci.

RYAD SLIMANI . WALID AL DAMIRJI . AVEDIS SEROPIAN ELY DAGHER . JOSEPH GHOSN . GHAITH & JAD À PRAGUE


NOUVELLE CALIBRE DE CARTIER “DIVER” CARBONE MOUVEMENT MANUFACTURE 1904 MC ÉTANCHE JUSQU’À 300 MÈTRES, LA MONTRE CALIBRE DE CARTIER “DIVER” CARBONE EST UNE AUTHENTIQUE MONTRE DE PLONGÉE. DOTÉE DU MOUVEMENT 1904 MC, ELLE ASSOCIE L’EXIGENCE TECHNIQUE DE LA NORME

cartier.com

ISO 6425 : 1996 À L’ESTHÉTIQUE AFFIRMÉE DE LA MONTRE CALIBRE DE CARTIER. NÉE EN 1847, LA MAISON CARTIER CRÉE DES MONTRES D’EXCEPTION QUI ALLIENT AUDACE DES FORMES ET SAVOIR-FAIRE HORLOGER.









www.dior.com - 01 99 11 11 ext.592






BEIRUT 62 Abdel malek Street 01 99 11 11 ext. 222

ZEGNA.com


www.etro.com




149 saad zaghloul street, NeXt to aIshtI dowNtowN t: 01 99 11 11 eXt. 525 facoNNable.com


LEBANON 225 Foch St., Downtown Beirut Tel. + 961 1 991111 Ext. 480



corneliani.com







SOMMAIRE

L’OFFICIEL HOMMES

NUMÉRO 56

34

L’ÉDITO 36

NEWS 52

MON, MA, MES 76

« BY WALID », NI LIEU NI ÂGE 80

NÉ D’HYÈRES 82

MONTRES DE LUXE 91

QUELQUES GRAMMES DE POÉSIE 94

JOSEPH GHOSN 97

BONNE FÊTE ! 121

LA PEAU QU’ELLE HABITE 13 0

ELY DAGHER CRÈVE LA BULLE 13 2

LES SUUNS ET LA COOLITUDE DU RIEN 13 4

LES INCLASSABLES FRÈRES MAEL 14 0

NOMBRE D’OR 14 6

RYAD SLIMANI, QU’EST-CE QU’ELLE A SA GUEULE ? 170

FORMULA E 174

ET SI PINTEREST ÉTAIT LA START-UP DU SIÈCLE ?

J U I N - O C T OM BA RR ES2 20 0115 5


© 2015 TUMI, INC.

NICO ROSBERG · GLOBAL CITIZEN M E R C E D E S A M G P E T R O N A S F o r m u l a O n e T M Te a m D r i v e r

D E S I G N E D I N A M E R I C A F O R G LO B A L C I T I Z E N S

Available at Aïshti Stores 01 99 11 11


177

À LEUR MANIÈRE 18 4

LA MER EST LA MER EST LA MER 18 8

CAMOUFLAGE 19 8

UN PEU DE PARIS AU CŒUR DE BEYROUTH 200

LE GRAND PALAIS, SALLE POLYVALENTE… DE LUXE 206

TULIPOMANIA 212

ELLES VOIENT VERT 216

AVEDIS SEROPIAN, TIGRE ET DRAGON 220

LES BRIGADES DU TIGRE 222

COMMENT OUVRIR SON RESTAURANT ? 226

COMMENT J’AI MANGÉ MELBOURNE 232

PRAGUE, VASTE SCÈNE 234

13 KG, JUSTE CE QU’IL FAUT 236

DETROIT REVIVAL 24 0

L’AGENDA CULTUREL D’ALEX 242

HOMMAGE : RELIRE SAUL BELLOW 24 6

100% HI-FI 250

HITLIST 2 52

PLAY IT SUNSET



Éditeur Rédaction

Département artistique

Contributeurs

TONY SALAME GROUP TSG SAL

Rédactrice en chef FIFI ABOU DIB Rédactrice et Coordinatrice STÉPHANIE

NAKHLÉ

Directrice de création MÉLANIE DAGHER Directrice artistique MINJA EL-HAGE

Photos JIMMY

DABBAGH, TONY ELIEH, RAYA FARHAT,

CYRILLE KARAM, TAREK MOUKADDEM, BACHAR SROUR

Rédaction CLAIRE AZUÉLOS, RITA BASSIL, ANDREANE WILLIAMS Mode JOE ARIDA, AMINE JREISSATI Production

Directrice ANNE-MARIE TABET Retouche numérique FADY MAALOUF

Publicité et Marketing

Directeur général commercial et marketing MELHEM MOUSSALEM Coordinatrice commerciale STÉPHANIE MISSIRIAN Directrice marketing KARINE ABOU ARRAJ

Directeur Responsable

AMINE ABOU KHALED

Imprimeur

53 DOTS DAR EL KOTOB

w w w. l o f f i c i e l h o m m e s . f r Édité par LES ÉDITIONS JALOU SARL au capital de 606 000 € — Siret 331 532 176 00087 — CCP n° 1 824 62 J Paris 5, r ue B achaumont, 75002 Paris. Téléphone : 01 53 01 10 30 — Fax : 01 53 01 10 40

Fondateurs GEORGES, LAURENT et ULLY JALOU † L’Officiel Hommes is published quarterly in September, December, March and July — Total : 4 issues by Les Éditions Jalou



DIRECTION

Gérants, co-présidents des boards exécutif et administratif Marie-José Susskind-Jalou et Maxime Jalou Directeur général, directeur des boards exécutif et administratif Benjamin Eymère (b.eymere @ jaloumediagroup.com) Assistante de direction Pascale Savary

PUBLICITÉ

Directeur général publicité, membre du board exécutif Olivier Jungers (o.jungers @ jaloumediagroup.com) Directrice commerciale Anne-Marie Disegni (a.mdisegni@ jaloumediagroup.com)

DIRECTION ÉDITORIALE

Directeur éditorial, membre du board exécutif Emmanuel Rubin (e.rubin@ jaloumediagroup.com) Coordination éditoriale Edson Pannier (e.pannier @ jaloumediagroup.com)

ADMINISTRATION ET FINANCES

Directeur administratif et financier, membre du board administratif Thierry Leroy (t.leroy @ jaloumediagroup.com) Directrice des ressources humaines Emilia Étienne (e.etienne @ jaloumediagroup.com) Responsable comptable et fabrication Éric Bessenian (e.bessenian@ jaloumediagroup.com) Contrôleur administratif et financier Frédéric Lesiourd (f.lesiourd@ jaloumediagroup.com) Trésorerie Karine Tan (k.tan@ jaloumediagroup.com) Diffusion Lahcène Mezouar (l.mezouar @ jaloumediagroup.com) Clients Nadia Haouas (n.haouas@ jaloumediagroup.com) Facturation Barbara Tanguy (b.tanguy @ jaloumediagroup.com)

ABONNEMENTS

i-Abo, 11, rue Gustave-Madiot, 91070 Bondoufle — Tél. : 01 60 86 03 31 ou http://jalouboutique.com (voir page 193)

VENTE AU NUMÉRO

France VIP, Laurent Bouderlique — Tél. : 01 42 36 87 78 International Export Press, Alain Lecour — Tél. : 01 40 29 14 51

INTERNATIONAL ET MARKETING

Directeur international et marketing, membre du board exécutif Nicolas Reynaud (n.reynaud @ jaloumediagroup.com) Directeur du développement Gérard Lacape (g.lacape @ gmail.com) International editorial et archive manager Nathalie Ifrah (nathalie @ jaloumediagroup.com) Directrice de la publicité internationale Milan Angela Masiero (a.masiero @ jaloumediagroup.com) Senior manager publicité internationale Milan Claudia Della Torre (c.dellatorre @ jaloumediagroup.com) Manager publicité Milan Monica Traina (m.traina@jaloumediagroup.com) Managers publicité internationale Paris Flavia Benda (f.benda@ jaloumediagroup.com) et Kathleen Bussière (k.bussiere @ jaloumediagroup.com) Chef de produit diffusion Jean-François Charlier (jf.charlier @ jaloumediagroup.com) Ventes directes diffusion Samia Kisri (s.kisri@ jaloumediagroup.com)

PUBLICATIONS DES ÉDITIONS JALOU

L’Officiel de la Mode, Jalouse, L’Optimum, La Revue des Montres, L’Officiel Voyage, L’Officiel 1000 Modèles, L’Officiel Hommes, L’Officiel Art, L’Officiel Shopping, L’Officiel Chirurgie Esthétique, L’Officiel Hommes Allemagne, L’Officiel Asie Centrale, L’Officiel Australie, L’Officiel Azerbaïdjan, L’Officiel Brésil, L’Officiel Hommes Brésil, L’Officiel Chine, L’Officiel Hommes Chine, L’Officiel Art Chine, Jalouse Chine, L’Officiel Hommes Corée, L’Officiel Grèce, L’Officiel Hommes Grèce, L’Officiel Inde, L’Officiel Indonésie, L’Officiel Italie, L’Officiel Hommes Italie, L’Officiel Lettonie, L’Officiel Liban, L’Officiel Hommes Liban, L’Officiel Lituanie, L’Officiel Maroc, L’Officiel Hommes Maroc, L’Officiel Mexique, L’Officiel Moyen-Orient, L’Officiel Hommes Moyen-Orient, L’Officiel Art Moyen-Orient, L’Officiel Pays-Bas, L’Officiel Hommes Pays-Bas, L’Officiel Russie, L’Officiel Singapour, L’Officiel Hommes Singapour, L’Officiel Suisse, L’Officiel Hommes Suisse, L’Officiel Voyage Suisse, L’Officiel Thaïlande, L’Officiel Hommes Thaïlande, L’Optimum Thaïlande, L’Officiel Turquie, L’Officiel Hommes Turquie, L’Officiel Ukraine, L’Officiel Hommes Ukraine www.lofficielmode.com — www.jalouse.fr — www.larevuedesmontres.com — www.editionsjalou.com

COMMUNICATION ET RELATIONS PRESSE

Thomas Marko & Associés Céline Braun et Emmanuel Bachellerie — Tél. : 01 44 90 82 60 Dépôt légal à parution — Commission paritaire N° 0419 K 89063 — ISSN 1777-9375 Photogravure Cymagina Suivi de fabrication et papier Entagos Group, 3, rue du Pont-des-Halles, 94150 Rungis Impression Rotolito, Via Sondrio 3, 20096 Pioltello (Mi) Distribution MLP


m a r c j ac o b s s to r e s w o r l d w i d e

w w w. m a r c j ac o b s . c o m


C’est une édition romantique et tendre que vous livre L’Officiel Hommes en ce premier mois d’été. Depuis de nombreuses années déjà, avec un tournant marqué au début de ce millénaire, sans forcément se féminiser, l’homme assume de plus en plus sa part féminine et rompt avec les dictats secs et contraignants de la virilité. La fête des pères, ce 21 juin, sera une occasion de plus de célébrer la nouvelle race de papas poules qui langent et donnent le biberon, soufflent dans les voiles de leurs fils tous les vents favorables, offrent à leurs filles un regard valorisant et leurs premières robes de princesses.

Contre l’instabilité de notre époque et sa brutalité insidieuse ou marquée, l’homme oppose un romantisme contemporain qui se manifeste à travers les arts. C’est un court métrage résolument baudelairien qui a valu à Ely Dagher sa Palme d’or au Festival de Cannes. C’est la nostalgie poignante des époques qu’on n’a pas vécues, le faste des cours japonaises du 19e siècle, le lyrisme échevelé de la France post-impériale, l’atmosphère néo-gothique de l’Angleterre victorienne qui font le succès des hybridations vestimentaires de Walid al Damirji. C’est la pratique de la méditation et du Taichi (taijiquan), le plus pacifique, en apparence, des arts martiaux, qui fait d’Avedis Seropian un maître de niveau olympique. C’est sa gueule de Van Gogh, l’oreille en plus, et son regard rêveur qui font aussi de Ryad Slimani le mannequin du moment.

Paradoxalement, face à la montée croissante des violences intégristes et sociales, jamais le machisme n’aura été aussi has been.

FIFI ABOU DIB

34



UN TAUREAU SUR LE CAPOT

L

a Lamborghini n’est pas seulement une voiture, c’est un mythe. Née du désir de son créateur d’améliorer les performances, notamment le confort de la Ferrari, la marque au taureau est non seulement symbole de prodiges mécaniques, mais de tout un art de vivre lié aux valeurs terriennes, aux racines et à l’authenticité. En attendant d’étoffer son compte en banque pour s’offrir la bête, on peut déjà adopter la ligne de vêtements créée par Lamborghini. Le taureau à l’emplacement du cœur, c’est un bon début, avant de l’arborer sur le cache-radiateur.. | F.A.D Lamborghini, en vente chez Aïzone, rue El Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.140

VIRIL ET DOUX

B

runello Cuccinelli ne se contente pas de fournir les plus beaux lins et cachemires. Le culte de la sublime enseigne de Spolète pour les textiles les plus raffinés va de pair avec un sens profond de la décontraction élégante. Des coupes impeccables, formelles mais pas guindées, contemporaines mais pas déjantées, et des coloris d’une profondeur exceptionnelle, soutenus par la qualité des matières, lui confèrent une éternelle jeunesse. | F.A.D Brunello Cucinelli, en vente chez Aïshti, rue El Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.120

36


D

POUR SE FAIRE DÉVORER (DES YEUX)

e leur adolescence à Hong Kong, dans les années 90, Mo et Vish ont gardé des souvenirs joyeux marqués par une culture street qu’ils ont décidé de décliner sur une ligne de vêtements. Ainsi est née la marque Made in Paradise, destinée aux hommes et aux femmes qui, comme ses fondateurs, cultivent leur sens de l’humour et une certaine forme d’autodérision. Cet été, on retrouve sur leurs maillots et T-shirts des allusions jouissives à la gastronomie vernaculaire, autrement dit le junk food. Burgers, hot-dogs, tacos, homards ou bretzels, demandez le menu. Ne tache pas, inoffensif pour la ligne. | F.A.D Junk in the trunk by Made in Paradise, en vente chez Aïzone, rue El Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.140

D

QUESTION D’ATTITUDE

epuis l’Âge de pierre, les gibecières et autres besaces sont l’apanage de l’homme qui y serrait ses outils et le produit de la chasse. Cet attribut viril, par la suite confisqué par les femmes, demeure nécessaire au guerrier urbain désormais couplé à son ordinateur et toujours prêt à prendre un train ou un avion en transportant son minimum vital. Tant qu’à porter un sac, autant le porter avec attitude. Gucci en propose une version élégante et épurée, en veau grainé anthracite, à porter à l’épaule grâce à une large bandoulière en coton et cuir équipée d’attaches en métal doré. | F.A.D

Photos DR

Gucci, 141 rue El Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.200

37


The Kooples, 148 rue Saad Zaghloul, Centre-Ville, Beyrouth +961 1 99 11 11 ext.535

38

Photos DR

Photo DR

POUR UN TOUR AVEC ELLE

C’est l’histoire d’un mec qui rêve de grands espaces sur une musique folk. Son jeans a fait toutes les guerres ; il ne se sépare jamais de son gilet de cuir et tant qu’à mettre une chemise, elle aura des imprimés fauves, une cravate américaine et par dessus, une veste à rayures avec un col étroit. Chez Kooples, quand on n’a pas encore trouvé sa moitié, on la cherche assidument, et on affiche des codes aussi précis qu’une petite annonce. | F.A.D


Celebrating 280 Years of Royal Service

THE OLDEST JEWELLERY HOUSE IN THE WORLD

SYLVIE SALIBA QUANTUM TOWERS - ACHRAFIEH - BEIRUT - TEL: 01/330500


QUAND ZEGNA POUSSE LE VOLUME

P

arvenue au summum de la confection masculine italienne, la griffe Zegna peut se permettre une audacieuse incursion dans la marge, avec des détails excessifs qu’elle seule peut se permettre en gardant grâce et élégance. Ainsi de ces nouveaux revers de pantalons et ces poches surdimensionnées, ces vestes longues qui rappellent vaguement une allure cavalière mais demeurent éminemment urbaines. Du beige, du bleu pastel ou marine, la palette est militaire, voire coloniale, la fantaisie en plus. Sans se poser de questions, on adopte et on fait confiance. Parce que c’est Zegna, et c’est simplement beau. | F.A.D Zegna, 62 rue Abdel Malek, Centre-Ville, Beyrouth,+961 1 99 11 11 ext.222

I

QUAND DEPP JOUE DIOR

Dior parfums en vente chez Aïshti, rue El Moutran, CentreVille, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.105

40

Photos DR

l a tant de visages, Johnny Depp, que bien malin est celui qui réussit à le reconnaître, d’un film à l’autre, sans avoir lu le générique. En attendant la sortie en septembre de « Black Mass » où il campe le personnage du roi de la pègre James J. Bulger, l’acteur fétiche de Tim Burton, mais aussi de John Waters, Gore Verbinski, Rob Marshall, Jim Jarmusch, Emir Kusturica, Lasse Hallström, Oliver Stone, Terry Gilliam ou Julian Schnabel, prête son visage à une fragrance masculine inédite. Pour la Maison de Parfums Dior et pour la première fois, ni Pirate des Caraïbes, ni Edward Scissorhands, ce musicien (on l’oublie) et comédien protéiforme incarnera l’image d’une composition olfactive de François Demachy. Le nom du parfum n’est pas encore révélé, mais on l’imagine énigmatique, versatile et fascinant. | F.A.D


P

COMME UN KING

our célébrer ses 80 ans d’existence, la maison Canali a lancé une campagne, « 200 Steps », qui met en avant la longue marche des plus brillants artistes et entrepreneurs vers le succès. Cette saison, c’est Riccardo Zacconi, le fondateur des jeux en ligne King, éditeur, entre autres, des célèbres Candy Crush Saga et Candy Crush Soda Saga, qui joue les icônes pour le faiseur italien. Avec 91 millions d’utilisateurs, ses jeux doivent leur succès à leur qualité graphique et ergonomique. Une exigence qui rejoint celle de Canali pour ses propres produits, destinés à l’homme qui recherche l’excellence et fuit la médiocrité, surtout quand il s’agit de ses loisirs. | F.A.D. Canali, 225 rue Foch, Centre- Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.480.

41


P

LES PIEDS DANS LES ÉTOILES

our ceux qui sont fatigués de se chausser comme tout le monde, il existe une alternative aux baskets uniformes. Ironiquement, elle s’appelle Losers, comme perdants, volontiers perdants, juste pour sortir de la masse uniforme. En gomme naturelle avec son caractéristique bout en « V » et son logo où se distingue un monstre stylisé, elle affiche fièrement sa différence, tantôt éclaboussée de peinture noire sur bleu, rouge sur gris ou jaune sur noir, tantôt rebrodée d’étoiles ton sur ton, ou telle qu’en elle même, simplement. Réservée aux créatifs, aux décalés, aux vrais rêveurs. | F.A.D Losers, en vente chez Aïzone, rue El Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.140

DE LA FORGE A NOS DOIGTS

R

Rosa Maria concept store, 56 rue de Madrid +9611 571 985 +961 76 63 68 35

42

Photos DR

osa Maria crée des bijoux minimalistes, mais accumulés, ils deviennent rock et baroques, se portent comme des tatouages tribaux, des ornements de rois barbares. Ces créations artisanales, forgées, martelées, cloutées inspirent une force totémique et s’imposent comme un signe d’appartenance à l’énergie sombre et séminale d’une ville, Beyrouth. En être ou pas. | F.A.D



C

ANCRER SA CHALOUPE AU MUSICHALL

haque semaine, de jeudi à samedi, le MusicHall est toujours une bonne idée pour boire un verre, découvrir des musiques parallèles et se laisser griser par la brise estivale devant la skyline illuminée de Beyrouth. Ce club emblématique est à la capitale libanaise ce que le rêve est à la nuit : un avatar nécessaire, apaisant. Voilà des années que Michel Eléftériadès en peaufine la programmation, entre chanteurs et musiciens arabes, roms, latino, français ou italiens. Autoproclamé « Empereur du Nowheristan », ce pays de nulle part qui embrasse le monde, Éléftériadès est d’ailleurs un historien passionné de la culture tzigane. Cet été, en plus de ses shows habituels, le MusicHall accueillera le 27 juillet le festival Anghami où se produiront des DJ locaux et internationaux tels que Fady Ferraye, Michael Clafan et Avener. Le 7 juillet est annoncé un concert de Bombino, fascinant chanteur et guitariste africain célébré par la grande presse musicale. Y aller parce que c’est un des rares endroits où le corps exulte. Le laisser chalouper. | F.A.D MusicHall, Beyrouth Waterfront, Centre-Ville, +961 1 36 12 36

Dinh Van, chez Sylvie Saliba, Achrafieh, Beyrouth, +961 1 33 05 00

44

Photos DR

M

UN PEU DE SUBTILITÉ DANS L’OR(DINAIRE)

i Vietnamien par son père, mi Breton par sa mère, le créateur français Jean Dinh Van fait partie de ces pionniers qui, dans les années 60 du siècle dernier, ont révolutionné le bijou traditionnel avec des lignes pures, simples, abordables, sans ostentation. La bague carrée 2 perles qu’il a dessinée avec Pierre Cardin en 1965 est exposée au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Ses « Lames de Rasoirs » font un tabac en 1970 et le bijou en forme de sein qu’il crée avec César, en 1980, est un objet de désir. Les Menottes qu’il a dessinées en 1976 symbolisent l’amour, le lien, l’amitié. Ce bijou destiné aux deux sexes est désormais décliné sur des bracelets à cordons de soie tressée de plusieurs couleurs. | F.A.D


Photos DR

E

PAPA , PAPA , PAPA !

n Orient, les papas appellent leurs enfants « papa ». Et Brooks Brothers a tout juste avec sa campagne de la fête des pères qui met en scène des lignées de « papas », où fils et géniteurs partagent leur idée du style. Plus qu’une marque de vêtements, Brooks Brothers incarne le chic et les valeurs américaines et se distingue comme fournisseur officieux des présidents des Etats-Unis depuis Abraham Lincoln. Sa nouvelle campagne pères/fils souligne la complicité familiale et l’éternel binôme transmission- rébellion. | F.A.D Brooks Brothers en vente chez Aïshti, rue El Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.120

45


D

BRAVE , TOUJOURS

Diesel, 129 rue Foch, Centre- Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.450 Diesel, Beirut City Center, Level 1, +961 1 28 99 89

46

Photos DR

iesel a commencé sa carrière dans une ferme, en Vénétie. En ce début des années 80, Renzo Rosso faisait écraser ses jeans par des pelleteuses, au milieu des bottes de foin. Depuis, la marque a fait le chemin que l’on sait, avec une communication espiègle, appelant à toujours plus d’audace et de liberté. En 2015, rien n’a changé. Diesel est toujours la marque des « braves » et ses jeans maltraités matérialisent comme une seconde peau les coups et blessures dont on ne cesse de se relever. | F.A.D



VISER LES SOMMETS

N

apapijri, la marque au drapeau norvégien en logo, a en fait été fondée en 1987 en vallée d’Aoste. Si son nom signifie plus ou moins « cercle polaire arctique » en finnois, ses premiers clients ne sont que des vacanciers alpins attirés par son produit phare, le sac Béring, un sac boudin, vrai barda de poilu mais fun et d’une légèreté inégalée. Forte de son succès, Napapijri a étendu son offre au vêtement de loisirs. Efficaces, beaux, confortables, adaptés aux situations extrêmes en vacances comme à la ville, doués pour la couleur et inusables, ils signent un mode de vie authentique et oxygéné. | F.A.D Napapijri, en vente chez Aïzone, rue El Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.140

LA LIGNE ET LA PÊCHE

Q

ue l’on ait ou pas un corps de rêve et une silhouette affûtée, on laisse Corneliani faire le travail. Inutile de suer sur ses abdos. Une veste subtilement coupée, cintrée là où il faut, un pantalon cigarette, minichaussettes dans les mocassins pour un effet piedsnus, l’ensemble savamment dépareillé est harmonisé par un simple rappel de couleur, en pochette ou en cravate. On se sent beau. Ca fait du bien. | F.A.D Corneliani, 225 rue Foch, Centre- Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.500

n peut présenter des angles et rester souple et ronde, avoir des Velcro et plaire aux adultes, jouer le noir et le blanc sans tourner le dos à la couleur. La collection de souliers masculins de Prada pour l’été 2015 décline une multitude de contrastes avec cependant un point commun : des semelles architecturées comme des sculptures de Xavier Veilhan, follement contemporaines et rigoureusement techniques. Les sandales sembles clippées aux pieds et les tennis prêtes à s’envoler. | F.A.D

L

SOLAR GEEKS

es lunettes, en plus de protéger les yeux de la lumière et de rectifier les visions défaillantes, sont surtout de beaux objets. Trônant au milieu du visage, elles ne passent pas inaperçues et méritent d’être choisies avec soin. Cet été, des matières exclusives distinguent les tout nouveaux modèles de Dior et Gucci où le verre miroitant s’offre des nuances inédites. | F.A.D

Prada, en vente chez Aïshti, rue El Moutran, Centre-Ville,

Nouvelle collection de lunettes Dior et Gucci, en vente chez Aïshti,

Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.120

rue El-Moutran, Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext104

48

Photos DR

O

COMME UNE SCULPTURE


L

LA COUPE ET LE CULTE

es jeans, chemises et blousons masculins et féminins de True Religion sont reconnaissables à leurs surpiqûres sellier très visibles et au motif de fer à cheval mis en évidence au niveau des poches. Réputée pour ses coupes infaillibles, qui vont immédiatement à n’importe quelle silhouette, la griffe américaine affiche cet été de nouvelles coupes d’inspiration biker, ornées de multiples usures, matelassages et motifs isolant les genoux. | F.A.D True Religion, Beirut City Center, Level 1, +961 1 29 19 91 True Religion, Beirut Souks, +961 1 99 11 11 ext.585

Photos DR

A LA FORCE DU POIGNET

C’est un bracelet puissant comme un poignet de force résumé par un symbole. Large juste ce qu’il faut, avec un élégant tressage d’authentique poil d’éléphant terminé par un fermoir en acier noir et or, il résume un certain art de vivre au masculin, fait d’aventure, de voyages, de curiosité scientifique, de combats confiants, et de succès justement récompensés. Depuis sa création à Monaco en 1928, la Maison Albanu n’a jamais cessé d’améliorer et d’élaborer sa technique et ses beaux fermoirs en métal précieux. Avec zéro culpabilité, puisque cette enseigne exclusive, fournisseur de SAS le prince Albert de Monaco, a scellé un accord de respect de la préservation des espèces avec le WWF. | F.A.D Maison Albanu, en vente chez Sylvie Saliba, Achrafieh, Beyrouth, +961 1 33 05 00

49


MOC DANDY

M

algré un nom à consonance anglosaxonne, la chaussure Weston, née à Limoges, est un symbole du dandysme à la française. Sa version penny loafer, baptisée 180, est un signe de reconnaissance pour les initiés qui savent en distinguer le profil au premier coup d’œil. Elle doit son nom à la ville de Weston, dans le Massachusetts, où son créateur, Eugène Edouard Blanchard, s’est installé pendant trois ans, de 1904 à 1907, pour apprendre les techniques de production les plus pointues de l’époque, en matière de cordonnerie, notamment le cousu Goodyear. En 2015, la 180 s’enrichit d’une nouvelle ligne, la « Moc Weston », souple, légère et déclinée en une palette de couleurs inédites. On laisse les pieds s’exprimer. | F.A.D J.M. Weston, rue Allenby, centre-ville, Beyrouth +961 1 97 12 67

C

CITOYENS DU MONDE

’est Nico Rosberg, champion de Formule 1 sous les couleurs de Mercedes AMG Petronas et Claude (Soo Huyin) Kim, célèbre actrice koréenne, que le malletier bagagiste Tumi a choisis pour incarner sa campagne « Global Citizen » célébrant la nouvelle race de citoyens du monde. A Barcelone, ville cosmopolite par excellence, entre plage et cafés, les deux vedettes sont photographiées par Tom Craig dans un scénario qui définit la citoyenneté globale comme une vie dans un monde sans frontières et sans limites. Avec un bagage Tumi, cela semble jouable. | F.A.D Centre-Ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.102

50

Photos DR

Tumi, en vente chez Aïshti, rue El Moutran,


S

LES 1001 NUITS DE YOLANDE

héhérazade a négocié sa survie en racontant à son prince une histoire sans fin. Figure familière de la scène artistique libanaise qu’elle occupe depuis plus d’un demi siècle avec son style pop et force techniques expérimentales, Yolande Labaki ouvre à son tour un dialogue avec la camarde. En mille et un dessins réalisés en autant de nuits, elle raconte l’histoire sans fin qui tient la mort à distance. Sur des carrés inégaux, de taille modeste, elle illustre en valeurs plutôt qu’en couleurs, en noir et blanc, clair et obscur, la lutte immémoriale du vivant pour la vie. Ces œuvres conçues comme un tout déclinent des figures disparates, des animaux, des portraits, des signes astrologiques, des abstractions. On les découvre en traversant un rideau noir sur lequel dansent des projections en lumière blanche. On les quitte en traversant un rideau blanc dans un sas émaillé des détails du Jardin des Délices de Jérôme Bosch. Un parcours à la fois initiatique et jubilatoire. | F.A.D Installation « A thousand nights to live, one night to dream » Yolande Labaki, Minus 1, rue du Liban, Achrafieh, jusqu’au 15 juin.

L’ESSENTIEL EST INVISIBLE

A

Photos DR

première vue, c’est une derby on ne peut plus classique, en cuir noir, à quatre passants, le genre qu’ont porté tous les hommes de 1940 à 1960 pour aller au travail parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix, et qu’ils portent encore parce que c’est, depuis, une icône. Mad Men en diable, elle est au businessman ce que l’escarpin est à l’executive woman, le complément d’uniforme qui fait bon genre en entreprise. Sauf qu’on est chez Camper. Le roi espagnol de la chaussure de loisir sait aussi être sérieux, mais pas trop longtemps. Regardez bien. C’est une derby toute bête, mais il se passe des choses fascinantes au niveau de la coupe. La tige est posée comme une guêtre. On dirait une Western boot déguisée. Pour flatter le cowboy qui s’impatiente en vous. | F.A.D Camper, Aïzone, Beirut Souks, Centre-Ville, +961 1 99 11 11 ext.568 Camper, Beirut City Center, Hazmieh, +961 1 28 71 87

51


Photos

R AYA

FA R H AT

Réalisation M I N J A E L - H A G E

AMIS, JE VAIS À MIAMI, ET N’EN DÉPLAISE AUX HÉDONISTES, EN PLUS DE MA PANOPLIE DE PLAGE, J’EMPORTE DE QUOI TRAVAILLER UN PEU SOUS LA CLIM’ POLAIRE.

Veste Façonnable

52


Valise Tumi

53


Sac Ă dos Moncler

54


Polo Etro

55


Maillot de bain Dolce & Gabbana

56


Chaussures Dolce & Gabbana

57


Sac Bottega Veneta

58


Veste Saint Laurent

59


ww

Veste Corneliani

60


ww

Foulard Gucci

61


62


De gauche Ă droite: Baskets Prada, Dolce & Gabbana, Gucci

63


Sac Balenciaga

64


1.

2.

1. Lunettes de soleil Mykita 2. Lunettes de soleil Thom Browne

65


Baskets Balenciaga

66


T shirt Marc by Marc Jacobs

67


Maillot de bain Orlebar Brown

69


T shirt Eleven Paris

68


Marinière Saint Laurent

70




WWW.AISHTIBLOG.COM



WWW.AISHTIBLOG.COM


« BY WALID », NI LIEU NI ÂGE PRODUIT MULTICULTUREL, WALID AL DAMIRJI A GRANDI ENTRE LA GRANDE BRETAGNE ET LA FRANCE. CONÇUES AUTOUR DE TISSUS RARES, PRÉCIEUX ET SOUVENT HISTORIQUES, LES CRÉATIONS DE CE DESIGNER ÉCLECTIQUE ET CONFIDENTIEL MÉLANGENT ÉPOQUES ET CULTURES SOUS LA GRIFFE BY WALID. SA MODE IGNORE LA MODE. Par F. A . D

76


Photos DR

B

Si la rêverie était un vêtement, elle serait « By Walid ». Nous avons voulu en savoir plus. Damirji a répondu à nos questions.

asé à Londres, Walid al Damirji a fait ses armes chez Joseph avant de lancer sa propre maison de couture. Une clause de non concurrence l’ayant contraint à s’éloigner du métier durant quelques années, il consacre ce temps à l’élaboration d’un nouveau concept de salon de thé. Ce sera Cocomaya, une enseigne implantée Connaught street, servant délices chocolatés et viennoiseries artisanales, où l’on est invité à trainer autour d’une infusion ou d’une coupe de champagne, dans un cadre chaleureux, un rien rustique. Le succès est au rendez-vous, Cocomaya fait ses preuves et essaime. En 2010 vient enfin le moment, pour le créateur, de revenir à ses premières amours : la couture. Depuis des années, il écume marchés et brocantes, à Londres et par le monde, à la recherche de textiles rares, dentelles fines, broderies compliquées qu’il collectionne avec passion. Il va leur donner une nouvelle vie. A la rigoureuse perfection de ses coupes s’ajoute la sensualité des textures. On est au-delà de la mode, quelque part à la croisée de l’histoire et de la géographie. Les fragments anciens sont utilisés tels quels, appliqués sur des toiles neuves. Le tout subit, au gré de l’inspiration, des opérations de teinture. Les tissus sont plongés dans des bains de pigments naturels, pourpre ou indigo. La couleur embrasse et harmonise des hybridations fascinantes entre un habit occidental contemporain et ses ornements venus d’ailleurs et d’un autre temps.

Le côté irakien de votre personnalité a-t-il quelque chose à voir avec votre passion pour les textiles? Mes origines multiculturelles aussi bien que mon intérêt pour l’histoire m’ont ouvert les yeux à toutes sortes d’explorations. Quel genre d’enfance avez-vous eu ? J’ai eu de la chance. J’ai eu une enfance heureuse et privilégiée. Des pensionnats et beaucoup de voyages. Quel est l’événement ou l’influence qui a déterminé votre choix de carrière ? J’ai toujours été intéressé par l’art, la créativité et la mode. Selon quels critères et où choisissez-vous vos tissus ? J’ai tendance à vouloir sauver de l’obscurité les choses en déshérence, leur donner une nouvelle vie, leur restituer leur valeur. Quel est le profil de vos clients et clientes ? Ils n’ont pas d’âge et surtout, ils ont dépassé une certaine phase dans la mode. Ils ne sont pas victimes d’une mode

77


jetable. Je trouve très encourageant que des jeunes du monde entier rêvent d’une veste By Walid.

Où achetez-vous vos propres vêtements ? Chez By Walid

Vous avez créé Cocomaya avec le succès que l’on sait, avant de revenir à la mode. Vous avez d’autres talents cachés ? J’ai toujours voulu faire quelque chose de créatif au-delà de la mode. Aujourd’hui j’ai tourné la page Cocomaya et j’envisage d’autres défis.

Quel est votre restaurant préféré, à Londres ou ailleurs ? J’aime le River café et Nobu. Où iriez-vous pour un verre et de la musique, ce soir ? Au Claridges Quelle est votre destination préférée ? Une croisière sur la côte turque, avec de proches amis.

Combien de collections livrez-vous par an ? Nous livrons des collections masculines et féminines deux fois l’an et nous avons aussi des collaborations avec d’autres marques.

Quel est le film qui vous a le plus impressionné ? Barry Lyndon de Stanley Kubrick Quelle est l’expo qui vous a le plus marqué dernièrement? L’exposition Yves Saint Laurent au Grand Palais

Vos collections ont-elles des thèmes ? Toujours ! Tout dépend des textiles dont je dispose et qui m’inspirent. Les kimonos chinois et japonais du 19e siècle, les vêtements ecclésiastiques du 18e français…

Votre définition du luxe ? Le confort élégant. |

Que préparez-vous en ce moment ? Wait and see

78

Photos DR

Que lisez-vous, en ce moment ? Je relis encore « The Secret History » de Donna Tartt.



Current Studies (2013)

80


NÉ D’HYÈRES LE FESTIVAL INTERNATIONAL DE MODE ET DE PHOTOGRAPHIE DE HYÈRES FAIT VIBRER LA VILLA NOAILLES LE TEMPS D’UN LONG WEEK-END. CHAQUE ANNÉE, DEPUIS TRENTE ANS, UN STYLISTE ET UN PHOTOGRAPHE SONT DISTINGUÉS. CETTE 30E ÉDITION A SALUÉ L’ÉMERGENCE DU TALENTUEUX ARTISTE SJOERD KNIBBELER. Par A D R I A N FO R L A N

|

Photos S J O E R D K N I B B E L E R

Photos Sjoerd Knibbeler/Pays-Bas

P. 170 (2014),The Paper Planes

P

hotographier ce qui ne peut pas l’être : on connaît défi moins ambitieux, entreprise moins herculéenne. Et pourtant : si Paul Valéry disait qu’un poète ne devait pas écrire qu’il pleuvait, mais susciter la pluie, on voit mal (si l’on ose dire) pourquoi un photographe devrait se dispenser de s’en faire une devise.

81

Le Néerlandais Sjoerd Knibbeler ne se l’est pas tatouée sur le biceps (que l’on sache), mais il semble suivre, tel un fil d’Ariane, ce bel impératif. Son travail, entre ellipses délicates, bricolages poétiques et malices théoriques, a hypnotisé le jury de Hyères. Sa tentative de captation du vent, vouée à l’échec, est plus touchante que bien des réussites. | www.sjoerdknibbeler.com


6 NOUVEAUTÉS QUE VOUS ALLEZ AIMER LES HORLOGERS SONT TOUJOURS À L’AFFÛT DE NOUVELLES IDÉES POUR ÉVEILLER LES ENVIES DES AMATEURS D’AVENTURES. VOICI SIX DES PLUS BELLES CRÉATIONS DÉCOUVERTES À LA FOIRE DE BÂLE SUSCEPTIBLES DE BOULEVERSER LEURS SENSATIONS TEMPORELLES. Par F. A . D e t VINCENT DAVEAU | Photos CHRISTOPHE BOUQUET

8 2


ORIGINELLE • Breguet « Tradition Automatique Seconde Rétrograde 7097 » Lancée il y a dix ans, cette collection associant des détails mécaniques de modèles du maître A.-L. Breguet à d’autres plus modernes, a tout de suite séduit les amateurs. Cette montre

83 83

en or blanc ou rose, animée par un calibre automatique 505 SRI fait d’emblée l’unanimité, car elle réussit à fusionner le passé et le présent avec une cohérence déconcertante. |


DESIGN • Herm`es « Slim d’Hermès Quantième Perpétuel » On n’imagine pas combien le dessin de certains détails influence la perception d’une pièce de qualité. Celle-ci, façonnée en or rose et se portant sur cuir d’alligator, vit au gré d’un calibre

automatique de manufactureH1950. Mais ce que l’on retient d’elle, ce sont ses chiffres délicats, la lune au dessin réaliste, et toutes les informations calendaires affichées à perpétuité. |

8 4


COMPLIQUÉE • Chanel « J12 Tourbillon Volant Squelette » Editée à 20 exemplaires en céramique hightech noire mate, cette montre ose l’inspiration stellaire pour attirer les étoiles filantes. Animée par un calibre à remontage manuel dissimulé

85

sous une comète sertie de 30 diamants, cette pièce réalisée en exclusivité pour Chanel par la manufacture Renaud et Papi, cultive l’androgynie pour servir madame ou monsieur. |


HAUTES PROFONDEURS • Cartier « Calibre diver watch » Robuste, racée, lisible en toute circonstance, la Calibre de Cartier Diver Watch est une bête des hautes profondeurs. Résistante à 300m sous l’eau,

son épaisseur de 11mm, son diamètre de 42mm, sa couronne en or rose et son remontoir incrusté d’un saphir facetté en font un véritable joyau marin. |


BIG DATA • Bvlgari « Diagono Magnesium » Cette montre ouvre une nouvelle voie vers les technologies de pointe sans renoncer au plaisir du traditionnel calibre automatique. Elle y parvient en intégrant à son boîtier

87

une puce cryptographique qui, à proximité du smartphone, permet de stocker différentes données perso et confidentielles (passeports, codes privés…) et d’y accéder. |


NAVIGATION • Blancpain « Bathyscaphe chronograph flyback » céramique noire orné d’indicateurs fluorescents. L’élégance et la sobriété d’une montre Blancpain transposées dans l’univers de la navigation. |

Un garde-temps totalement étanche jusqu’à 30m de profondeur, une réserve de marche à 50h, une mécanique de haute précision sous un capot de

8 8




QUELQUES GRAMMES DE POÉSIE ILS ÉTAIENT DOUZE, EN MAI DERNIER, À INVESTIR LA SCÈNE DU THÉÂTRE GEMMAYZÉ, DANS LE VIEUX BEYROUTH. DOUZE POÈTES VENUS DE LONDRES, MARSEILLE, ANVERS, BARCELONE, ALEP ET DIFFÉRENTES RÉGIONS DU LIBAN. À L’INVITATION DE LA MAISON INTERNATIONALE DES ÉCRIVAINS À BEYROUTH, PRÉSIDÉE PAR CHARIF MAJDALANI, ILS ONT PARTAGÉ AVEC LE PUBLIC DES CRÉATIONS VERBALES FASCINANTES. PARMI CELLES-CI, DES VERS DU BELGE WILLIAM CLIFF (GONCOURT DE LA POÉSIE), ADRESSÉS À UN VIEUX CARGO NOMMÉ TALAVERA QUI L’EMMENA D’ANVERS À BUENOS AIRES. ET UN POÈME HYPNOTIQUE ET SENSUEL DE FLORENCE PAZZOTTU (ÉGALEMENT VIDÉASTE). Par F. A . D | Collage M I N JA E L- H AG E


La vue d’un torse d’homme Depuis ton torse Lisse subtilement velu et l’étreinte Infinie la vue d’un torse d’homme depuis Ton corps et par lui éclairé le Torse nu infiniment M’émeut Hors d’atteinte la vue d’un Torse d’homme Seulement depuis le tien subtilement Me touche la vue d’un torse nu depuis Ton visage éclairé le torse nu m’émeut d’un homme sans que jamais C’est curieux comme la vue d’un Voluptueux délicat vallonné ou Ferme torse lisse velu Subtilement Vulnérable me Bouleverse La vue d’un torse d’homme Florence Pazzottu

9 2


A toi Talavera et à toi seul ces vers sont dédiés Talavera petit cargo transatlantique où j’ai connu la solitude au milieu de la mer oui toi vaillant guerrier contre les vagues démontées luttant tout seul Talavera tu es un bon navire et ton ventre profond contient beaucoup de marchandises que tu vas au loin vomir dans des pays Talavera qui aimeront te voir venir comme le signe inespéré de la prospérité à toi Talavera et à ton équipage entier je dis Salut et Longue Vie William Cliff

93


IL SE RÉFUGIAIT DANS LES JOURNAUX BARBE BRUNE ET LUNETTES RONDES, CHARME LEVANTIN ET BAGOUT GERMANOPRATIN, ÉRUDIT DU COOL GREFFÉ SUR UN ADOLESCENT STUDIEUX, JOSEPH GHOSN EST UN OBSERVATEUR, UN ANALYSTE ÉCLECTIQUE ET CURIEUX DE TOUS LES FAITS DE CULTURE. DE LA MUSIQUE À LA LITTÉRATURE EN PASSANT PAR LE CINÉMA ET LA MODE, RIEN N’ÉCHAPPE AU SCALPEL DE CE QUADRA EXTRALUCIDE, MUSICIEN, CRITIQUE ET AUTEUR, VENU DE SCIENCES PO, NORMALE SUP ET L’EHSS AUX INROCKS, PUIS MENSTYLE, GQ, VOGUE, GLAMOUR, À OBSESSION ENSUITE, IL EST À PRÉSENT RÉDACTEUR EN CHEF DE GRAZIA. Par F. A . D

Vous, en quelques mots/lignes ? « Nous ne sommes plus nous-mêmes. » - enfin, je crois.

plus. Du coup, oui, je pense qu’inévitablement j’aurais fait quelque chose du même ordre.

A quel âge êtes-vous arrivé à Paris ? J’y suis arrivé plusieurs fois. La dernière remonte à 1984, j’avais 12 ou 13 ans.

Normale sup, l’art, la musique, la littérature, la BD, la mode, la table, quelque chose en vous de Roland Barthes ? Plus je vieillis, plus je comprends que Barthes est un modèle. Autant par sa vie que par ses écrits. Lorsque je dis « sa vie », je pense surtout à la façon qu’il avait de penser sa vie par rapport à l’action (ou pas). Je tiens la deuxième partie de son livre Incidents pour l’une des plus belles choses jamais écrites, comprenant son texte sur le Palace et son carnet intime parisien. Et puis, mourir rue des Ecoles (ou à peu près), ce n’est pas donné à tout le monde… Dans le genre, évidemment, Deleuze et Debord sont d’autres figures qui me plaisent et ont succédé aux héros de mon adolescence, Artaud, Lautréamont, Breton, etc.

Si vous aviez vécu à Beyrouth, auriez-vous développé les mêmes compétences, la même curiosité ? Je suis persuadé que oui. Que mon goût pour les journaux s’est affirmé pendant mes années à Beyrouth. A cette époque, pour cacher un peu le quotidien de la guerre, je me réfugiais dans des journaux, des revues, des livres, des bandes dessinées. J’y trouvais à la fois quelque chose d’un autre univers, mais aussi des idées, des envies, des illusions. Je lisais autant le journal de Spirou que l’Orient-Le Jour ou Paris Match - les nouvelles me fascinaient et leur mise en scène encore

94


à un clavier ? Si oui, qu’y perdons nous, qu’y gagnonsnous ? Je ne crois pas que la dématérialisation affecte tant que cela l’instrument : c’est chose faite depuis longtemps. Et, par contraste, les années récentes ont vu un regain des machines - retour de la techno, hyper mode des synthétiseurs modulaires, inflation du prix des machines analogiques des années 70, etc. Il n’y a pas de question de perte ou de gain, d’ailleurs. Mais plutôt une façon différente d’écouter et de s’immerger. La musique désormais est partout, dans n’importe quel écran (ce n’était pas le cas il y a 20 ans) et il faut surtout savoir se créer ses propres filtres, plus encore qu’auparavant. Mais c’est plutôt chouette d’en être ainsi submergé.

Photos DR

Vous avez créé un groupe de musique, « Discipline », pourquoi ce nom ? Parce que c’était un hommage à Sun Ra qui s’est aussi transformé en hommage à Throbbing Gristle - deux de mes héros musicaux. Et aussi parce que n’ayant jamais appris la musique c’était une manière de me rappeler qu’il fallait bien s’y mettre. Et aussi parce que le mot est à la fois banal et reflet de mille fantasmes ou fantaisies et qu’il ne cache pas ce qu’est ma musique : une suite obstinée de quelques figures minimalistes, répétitives et qui, à force d’être répétées (avec discipline) finissent par sombrer dans l’hypnose ou l’ennui - c’est selon. Sous quelles influences s’est formé votre goût musical ? Un cousin, une radio, des amis, des magasins de disques et beaucoup de lectures de journaux. A une époque où tout se dématérialise, allons-nous vers une musique sans instruments classiques, réduite

Passer des Inrocks à Obsession et maintenant à Grazia. Suite logique ? J’aime faire des journaux, en papier ou sur écran.

95


A Paris; notre appartement, la rue Sainte Anne, la rue Git-le-Coeur, la librairie Yvon Lambert, le Palais Royal, des cafés et quelques restaurants. Montmartre aussi. A Beyrouth: Le toit de l’immeuble, l’appartement de la famille, la Corniche, la rue Sursock, la rue Hamra, le Torino, la descente entre la tour el-Murr et le Phoenicia, surtout lorsque la lumière y est frissonnante, presque éteinte.

Partout où je vais je cherche la même chose : l’invention, l’énergie, l’air du temps et la transmission (comme dans la chanson de Joy Division). On sait que vous avez été appelé à la rédaction en chef de Grazia à un moment où le magazine, comme tous les féminins, battait de l’aile. Qu’avez-vous envisagé pour le redresser ? Avec quel résultat ? J’y suis depuis 6 mois et je n’y fais que ce que je sais faire, ce que j’ai appris auparavant et continue à faire grandir en moi. J’essaie aussi de le faire avec une vision sur du long terme, de rester toujours élégant, surprenant, rapide.

Livre de chevet La Vie L’Amour La Mort Le Vide et Le Vent de Roger Gilbert-Lecomte Theater of Love de Araki, Tout et Rien d’autre de Susan Sontag, L’Amérique de Joan Didion, Jerry Spring vol1 de Jijé, Moisson Rouge de Dashiell Hammett, Clyde Fans de Seth, LDN2 d’Anthony Cairns, Site/Cloud de Daisuke Yokota.

Un homme à la direction d’un magazine féminin, qu’est-ce que cela change? Pour l’homme ou pour le magazine ? Je crois qu’en 2015, la question ne se pose plus… Ou alors il faut demander d’abord au patron de Vanity Fair US si son magazine est masculin ou féminin. Que vous apprend la mode sur notre époque ? La mode reflète l’époque, la dépasse parfois, la prolonge souvent. Et dans une époque où toute la culture est accessible facilement, la mode demeure le dernier bastion du désir, là où les aspirations convergent et les identités se créent, se floutent, se troublent ou s’affirment. C’est un lieu passionnant, surtout si l’on sait demeurer élégant en toutes circonstances.

Hors catégorie : Chaland, Clerc, Floc’h & For A Language To Come. Disque de chevet : Adnos I-III d’Eliane Radigue + 3R4 de Lewis & Gilbert. L’époque à laquelle vous auriez aimé vivre Les années 1930 peut-être. Les années 1960 aussi. Les années 1990, histoire de les revivre.

Camus définissait l’homme moderne en deux actes : « Il forniquait et lisait des journaux ». Que diriez-vous de vos contemporains ? « Ils observent les arbres et les feuilles qui tombent. » - Mais ça c’est de Ian Curtis.

Inspiration La nouveauté, les images qui racontent autre chose, les personnes qui interprètent le monde avec distance et singularité, la Californie des années 1970, le Londres des années 1970/80, Paris entre 1978 et 1984, Beyrouth n’importe quand.

Votre pluridisciplinarité vous permet-elle de détecter les tendances culturelles majeures des dix prochaines années ? Non, bien sûr que non. Je ne suis pas un prédicateur, mais un journaliste : c’est l’événement qui se déroule qui m’intéresse.

Fidèle à ma parole, ma famille, mes lubies. Heureux de me dire que tout est possible.

En bref Meilleur souvenir Hier après-midi, avec une de mes filles, juste tous les deux, au cinéma, dans une librairie, une glace pour elle et des sourires pour moi.

Envie de continuer à avancer. |

Lieux préférés

96

Photos DR

Affligé par la stupidité paresseuse.


LES MAMANS, C’EST BIEN CONNU, ADORENT LES COLLIERS DE NOUILLES, SURTOUT ACCOMPAGNÉS D’UN PETIT QUELQUE CHOSE DANS UN ÉCRIN DE SATIN. MAIS COMMENT CÉLÉBRER LES PAPAS, CES HÉROS DE LA PETITE ENFANCE, CES MONUMENTS DE TOUTE UNE VIE ? VOICI NOTRE LISTE DE CHOSES BELLES CRÉÉES POUR SOULIGNER LEUR SUCCÈS ET RÉCOMPENSER LEUR MÉRITE. RIEN N’EMPÊCHE D’Y AJOUTER UN PETIT DESSIN. Photos P E T R A C O L L I N S | Direction artistique F LO R E B OT TA R O Réalisation H E L E N A T E J E D O R | Décorateur A Z Z E D I N E SA L EC K

97



Dior Homme Cologne (125Â ml) Christian Dior Parfums



Sac “Peekaboo” en cuir selleria Fendi


Briefcase “In Between Visions” en veau grainé et broderies multicolores Dior Homme



10 4


Eau de toilette “La Nuit de l’Homme” (100 ml), Yves Saint Laurent Beauté



Chapeau “Fedora” en feutre de lapin et intérieur en cuir d’agneau The Kooples


Chemise polo trompe-l’œil en coton et soie et pantalon en crêpe de coton Façonnable




Sac à dos en néoprène Emporio Armani



Baskets “Belgravia” en cuir miroir Jimmy Choo



Gabardine “The Sandringham� en coton Burberry Heritage



Sac Ă dos en cuir souple Louis Vuitton



Sneakers sans lacets en cuir de veau grainĂŠ Ermenegildo Zegna


LA PEAU QU’ELLE HABITE CYRILLE KARAM, NÉE AU LIBAN, ÉLEVÉE À RYAD, LÂCHÉE DANS LA CAMPAGNE AUVERGNATE, A SCULPTÉ SON REGARD À L’E.N.S DE LA PHOTOGRAPHIE À ARLES. SES SUJETS DE PRÉDILECTION VONT DES GENS DU SPECTACLE AUX ENFANTS, EN PASSANT PAR LES CICATRICES DES GRANDS BLESSÉS. ELLE NOUS LIVRE DE BEYROUTH UNE VISION À LA FOIS SOMBRE ET SENSUELLE. MANIÈRE POUR ELLE D’APPRIVOISER LA VILLE EN LA TOUCHANT AVEC LES YEUX, ELLE EN RÉVÈLE LES TEXTURES ENTRE LISSE ET RUGUEUX, SOMBRE ET LUMINEUX, GLUANT ET MIROITANT, RÊCHE ET VELOUTÉ, VOLUPTUEUX ET FUNÈBRE.. Par F. A . D

12 0


121


12 2


12 3


124


12 5


12 6


127




ELY DAGHER CRÈVE LA BULLE POUR LE CINÉMA LIBANAIS, QUEL TRIOMPHE, QUEL BONHEUR, QUEL ESPOIR QUE CETTE PALME D’OR REMPORTÉE AU FESTIVAL DE CANNES 2015 PAR ELY DAGHER ! A QUELQUES MINUTES DE LA PROJECTION DE SON FILM, LA VEILLE DE LA REMISE DES TROPHÉES, LE JEUNE RÉALISATEUR RACONTAIT À L’OFFICIEL LEVANT SON PARCOURS ET LA THÉMATIQUE DE SON FILM.

C

Par F. A . D

annes, 23 mai, 9:30. A quelques minutes de la projection des courts métrages, Ely Dagher se prépare, dans sa chambre d’hôtel, à affronter le jury. Quand retentit le signal caractéristique de Skype, c’est un jeune homme déjà frais, les idées claires malgré le stress, pas très confiant mais serein, qui décroche. Il nous répète qu’avoir franchi une sélection de près de 4500 films de plus de 10 pays, retrouver son court -métrage parmi les 9 finalistes, c’est déjà une Palme en soi. LE SUJET Dans une banlieue de Beyrouth, piégé dans une vie médiocre et sans relief, Omar rêve. D’emblée, Ely Dagher nous invite dans ce décor glauque et l’atmosphère est pausée. « Je me suis toujours senti concerné par l’état du Liban, la réalité du pays, alors que les gens de ma génération sont, en général, dans le déni », affirme le réalisateur de 27 ans. Il souligne que son film présente deux niveaux de narration, l’un positif, qui reflète sa découverte de Beyrouth et tout ce que la ville a de beau à offrir, et l’autre réaliste, donc sombre, qui met en avant l’accablement permanent des habitants, une angoisse sourde mais intégrée, devenue une seconde nature et qui semble entraver toute possibilité de changement. « J’ai une certaine propension à poser

des questions, à interroger ce qui existe, à proposer des angles différents pour voir les choses autrement » confie Dagher. REJOINDRE LE LÉVIATHAN URBAIN Un jeune homme étendu dans l’obscurité de sa chambre, quelque part dans une banlieue de Beyrouth. Des parents qui regardent ensemble dans la même direction, oui, mais c’est la télévision, le journal télévisé, cette présentatrice caricaturale dont l’identité est réduite à des lèvres, artificiellement gonflées s’entend. Il y a ce laisser aller, cette lassitude, le soir. La chaleur lourde se devine au marcel avachi du père dont la panse dénonce une certaine abdication. Chaque jour, tout recommence, pareil, les mêmes histoires, la même routine. Du toit de son école, l’adolescent, Omar, observe la ville, au loin, qui l’intrigue et le fait rêver. Une apparition lumineuse va tout faire basculer. Omar et ses amis se dirigent vers la lumière. Ils quittent la sécurité visqueuse de leur triste banlieue et rejoignent le Léviathan urbain qui les magnétise. Ils sont envahis d’un bien-être psychédélique dans lequel on pourrait lire une allusion aux drogues. Plus tard, dans un sursaut de lucidité, Omar voudra revenir sur ses pas. LE RÊVE DE CANNES C’est avec une détermination sans faille qu’Ely Dagher

13 0


Photos DR

se destine au cinéma d’animation. La cohérence de son parcours le prouve. Une licence d’illustration à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts suivie d’une autre en animation avec le grade de major, et puis une année à Londres, au Goldsmiths Institute, pour une maîtrise en art conceptuel et nouveaux médias. De ces années de formation, il reste un premier film de 4,51 minutes, intitulé Beirut, un film de diplôme où la signature de l’animateur est déjà décelable, entre collages, photos, dessins, paysages réels et personnages animés. Depuis la fin de ses études, Ely Dagher produit des courts métrages publicitaires, mais surtout des vidéos clips pour des chanteurs et des musiciens. Il y a quatre ans, Ely Dagher a décidé de s’installer en Belgique, sans arrêter les aller-retour, fréquents la première année, vers Beyrouth. Ce que la Belgique lui apporte ? « La présence de gens qui peuvent m’aider, qui ont les compétences et le niveau technique dont j’ai besoin ». Ce film « Waves 98 », allusion à sa propre découverte de la ville au seuil de l’adolescence, le réalisateur l’a produit tout seul, avec l’aide de fonds qataris tels que Afac (Arab Fond for Arts and Culture) et le DFI (Doha Film Institut). « Peu de moyens informatiques, beaucoup de dessin et de collage, c’est un film très manuel », précise Dagher. « La bande son, ajoute-t-il, est l’œuvre de Matthew Wilcock, du studio Zelig. Dans ce film, le son est un élément majeur, et Matthew a restitué à merveille l’enveloppe sonore de la narration ». Et finalement, au

bout de deux ans et demie de travail, c’est tout seul qu’Ely Dagher inscrit son film au Festival de Cannes. Ce n’est qu’à deux ou trois semaines de la fermeture des inscriptions qu’il est prêt à le livrer. Le règlement des courts métrages impose un format de 15mn. Presque par hasard, « Waves 98 » fait 14,55 mn. Il n’y a plus qu’à croiser les doigts. DE LA SURPRISE À LA CONSÉCRATION S’y attendait-il ? Sûrement pas. Le Liban a parfois frôlé la Palme sans jamais la décrocher. Mais quand il apprend que son film est sélectionné, puis classé favori parmi les 9 finalistes, Ely est transporté. Le lendemain de notre rencontre par écran interposé, nous recevrons la nouvelle de sa victoire. Entouré des anges gardiens du cinéma libanais, notamment de Joana Hadjitomas qui fait partie du jury du court-métrage mais révèle que Waves 98 a été primé à l’unanimité, La Fondation Liban Cinéma, sa présidente Maya de Freije et son attachée de presse Zeina Toutounji, Serge Akl, directeur de l’Office du Tourisme du Liban à Paris, le ministre du Tourisme libanais Michel Pharaon et bien d’autres, Ely est sur un nuage. La veille, il nous confiait que la sélection de son film le rendait « plus tranquille », que ses nouveaux projets se poursuivraient dans la même veine, centrés autour de l’identité. Dans les photos, sur la tribune, en costume sombre et cravate noire, son regard se perd au loin, très loin. |

131


LES SUUNS ET LA COOLITUDE DU RIEN CÉLÉBRÉ PAR LA PRESSE SPÉCIALISÉE, LE GROUPE MONTRÉALAIS SUUNS PRODUIT UNE MUSIQUE SIDÉRANTE, TANTÔT DÉPRESSIVE ET TANTÔT HYPNOTIQUE. BEN, MAX, JOE ET LIAM PARTICIPAIENT EN AVRIL, À BEYROUTH, AU FESTIVAL IRTIJAL QUI MET EN AVANT LES GROUPES LES PLUS UNDERGROUND ET LES PLUS POINTUS DU MOMENT. RETOUR AVEC BEN SUR UNE EXPÉRIENCE PAS ANODINE.

S

Interview par F. A . D | Photos TO N Y E L I E H

UUNS signifie « Zéro » en thaï. Votre groupe s’appelait au départ « Zeroes », pourquoi cette fascination pour le Zéro ? L’idée du zéro me plaisait bien parce que ça signifie « rien ». Il y avait en effet, et il y a toujours une esthétique minimaliste dans notre musique. Je crois que celle-ci était encore plus prégnante à nos débuts. Alors ce nom, littéralement, ne

voulait rien dire pour ne rien signifier. SUUNS, c’est cool, visuellement. Quelles sont les musiques qui vous ont influencées au départ ? Le Classic Rock&Roll. La musique électronique minimaliste. Comme je joue de la guitare, j’écris de la musique pour la guitare. Mais la musique électronique me passionne, alors qu’elle est à l’opposé de la guitare. A

13 2


l’arrivée, nous produisons un son toujours en équilibre entre un Led Zepelin et l’influence d’un Plastikman. En 2011, à peine formé, votre groupe faisait partie des meilleurs bands de l’année, selon l’hebdomadaire britannique New Musical Express. Comment avez-vous accueilli le succès ? Nous n’étions pas très conscients de ce qui se passait, à cette époque. Je ne crois pas que nous ayons vécu cela come un « succès ». C’est un peu abstrait, ce paysage. Les éloges de la presse, c’est cool, mais c’est éphémère et ça ne signifie pas grand-chose dans une perspective plus large. C’était génial de donner des concerts et des shows devant un vrai public. Les gens venaient nombreux… mais nous n’étions pas aussi populaires. Notre groupe n’a jamais vraiment décollé de manière spectaculaire. Donc c’était cool de recevoir la reconnaissance du NME, mais rien n’a changé pour nous, du moins dans notre esprit. Dans une interview, vous suggérez que l’art contemporain contient les germes de ce que seront la culture et les goûts dans 10 ans. Pouvez-vous donner un exemple ? Je crois qu’un artiste comme Christian Marklay est un bon exemple, avec ses idées simples sur la musique et le street-art. Ce n’est pas tant une question de style, mais plutôt une manière de regarder les choses. Ou peut-être pas. Peut-être que je ne sais pas de quoi je parle. Il me semble simplement que la culture populaire est toujours la dernière à adopter les tendances. Le monde de l’art, en revanche, plus pointu, est le premier à les lancer. Vous êtes de purs Montréalais. Cette appartenance québécoise pose-t-elle des difficultés au niveau identitaire ? A-t-elle joué un rôle dans votre choix artistique? Ouais, c’est parfois dur d’être un Québécois. Vous n’êtes pas vraiment Canadien, mais en même temps, vous n’êtes pas un pur Québécois. L’identité est une chose à laquelle je réfléchis beaucoup. Être de Montréal fait de vous davantage un Montréalais qu’un Canadien ou un Québ. C’est parfois dur, ce sentiment d’appartenir à un lieu.

Sharif Sehnaoui ? C’est notre ami Radwan Moumneh (Jerusalem In My Heart) qui nous a mis en contact. Sans lui, nous n’aurions jamais pu venir à Beyrouth. Quel goût vous a laissé cette expérience ? Nous nous sommes tous sentis très chanceux d’avoir cette opportunité de jouer à Beyrouth. C’est une scène difficile à investir. Nous avons eu toutes sortes de drames à la frontière. C’est aussi une ville lointaine qui s’annonce trépidante pour des étrangers. Mais nous nous sommes éclatés. J’espère que nous reviendrons. Ce fut une expérience très spéciale pour tout le groupe. Aviez-vous des idées préconçues sur le Liban ? Une appréhension ? Évidemment, nous étions nerveux à l’idée de venir au Liban. Le pays a un passé marqué. On a l’impression qu’à tout moment il peut se retrouver sens dessus dessous. Nos parents étaient inquiets. Ce que nous savions sur le pays ? Uniquement ce que nous lisions dans la presse. Évidemment, Radwan nous a beaucoup encouragés et grâce à lui nous nous sommes sentis chez nous. Comment avez-vous trouvé le public libanais ? Génial, fun, beau. Quelle impression avez-vous gardée de Beyrouth ? Beyrouth est fou ! Une ville beaucoup plus méditerranéenne et européenne que je ne m’y attendais. Une belle ville avec pas mal de classe. Un livre James Salter - Solo Faces Une musique Helado Negro - Double Youth Un plat Roast chicken. Un lieu Lake Cornu, Quebec.

Parlez-vous plus spontanément l’anglais ou le français ? Anglais. Nous sommes anglophones. Mais nous parlons le français avec nos petites amies.

Un vêtement Jeans.

Vous avez participé à Beyrouth, en avril, au Festival Irtijal, un événement musical pointu. Comment avezvous rencontré les organisateurs, Mazen Kerbaj et

Un beau souvenir Des bières sur un banc de parc, les nuits d’été, à Montréal. |

13 3


Créateurs de Sparks, les frères Mael (Ron allongé et Russell au premier plan) entourés des membres de Franz Ferdinand avec qui ils viennent de s’associer pour former FFS

13 4


LES INCLASSABLES FRÈRES MAEL LES MYTHES NE MEURENT JAMAIS. AU CONTRAIRE, ILS NE CESSENT DE SE RÉINVENTER. SPARKS, EN SIGNANT UN JUBILATOIRE ALBUM COLLABORATIF AVEC FRANZ FERDINAND, CONFIRME LA RÈGLE. Par M I C K E Y M A D D E N

P

Photo David Edwards

acific Palisades se niche à Los Angeles sur des collines ondoyantes aux petites rues plates et idylliques délimitées par le sinueux Sunset Boulevard et la large Pacific Coast Highway. Ce quartier pourrait tenir lieu de parodie de banlieue chic avec ses manoirs dépareillés (une maison Tudor par-ci, une d’architecte par-là et des poignées de villas espagnoles disséminées çà et là), ses vues imprenables sur l’océan Pacifique, et sa zone commerciale pittoresque conçue pour répondre aux besoins sans cesse changeants des habitants de la Cité des anges, obsédés de commerce équitable et de santé. En résumé, on ne pourrait imaginer lieu de naissance plus improbable pour un projet d’avantgarde séminal. Et pourtant, c’est bien ici parmi les fuchsias et les achillées des monts de Santa Monica, entre la brise marine et le soleil éclatant, que Ron et Russell Mael – fondateurs de Sparks – ont passé leur enfance.

ture sur Sunset Strip et concerts dans des clubs comme le Whisky a Go Go et le Roxy où jouaient les Seeds, les Standells, les Doors, et d’innombrables autres innovateurs radicaux, les frères Mael ont pu développer leur goût inné pour l’éphémère et le bizarre. Pendant ce temps, les Beach Boys créaient leur variété toute personnelle de psychédélisme californien et les petits génies du studio du Wrecking Crew concoctaient en coulisses un son inimitable. Dans une séquence du Big TNT Show, on aperçoit les jeunes Ron et Russell dans le public d’un show des Ronettes, au Moulin Rouge Club de L.A.

Toutes influences disparates infléchirent le développement du sens esthétique des Mael, mais le plus gros impact devait venir du Vieux Continent, où le déluge de musique venant d’Angleterre produisait chef-d’œuvre sur chef-d’œuvre. Parmi ce qui fascinait le plus les frères, le psychédélisme erratique des Pink Floyd, le music-hall Encouragés dès leur plus jeune âge par une mère aimante moderne des Kinks, les incursions des Who dans le pop à développer leur créativité, Ron et Russell semblent avoir art sonore, le blues modal explosé des Yardbirds et le partagé une jeunesse idyllique jusqu’à la mort soudaine proto-rock progressif de The Move. On peut deviner des de leur père en 1957. Leurs parents, et plus tard leur beau- échos des expérimentations musicales de tous ces groupes père, avaient en commun un goût pour le kitsch, le bric- dans le répertoire de Sparks. à-brac et l’incongru. Ils bourraient la maison d’objets étranges et originaux, souvent des surplus du magasin de En 1968, les Mael, secondés par Earle Mankey, son frère babioles de leur beau-père, The Gilded Prune, qui attirait James et Harley Feinstein montèrent leur propre groupe, comme un aimant les collectionneurs et les allumés de la baptisé Halfnelson. Ils ne firent pas beaucoup de bruit, région. Comme l’a observé le rock critique Daryl Easlea, mais réussirent à retenir l’attention d’Albert Grossman, auteur de la biographie du groupe intitulée Talent Is An le légendaire expert de la folk, qui les aiguilla vers Todd Asset, ce fourre-tout de pop culture, mêlé à une passion de Rundgren. Ce dernier, qui était en train de se transformer l’art et du design, a constitué une toile de fond idéale pour en sommité de la production et du songwriting, donna le sceau de son approbation à Halfnelson en produisant l’enfance “des futurs Sparks”. son premier album éponyme en 1971. Un an plus tard, le groupe adopta un nouveau nom, Sparks (hommage à une VIRÉES EN VOITURE SUR SUNSET STRIP À l’adolescence, les frères Mael sont entrés en plein âge autre bande de frères excentriques, les Marx Brothers). d’or de la musique – la renaissance des années 1960 – qui Et conclut un contrat tout neuf chez Warner Bros. Dans laissait une place exceptionnelle à l’expression de l’indivi- Halfnelson, le groupe dénote une confiance et un sens de dualité et de l’excentricité. Entre émeutes, virées en voi- l’identité remarquablement développés. De fait, on peut y

13 5


Ci-dessous, Sparks a toujours accordé une grande importance à son look ainsi qu’aux visuels de ses pochettes de disque Kimono (en bas, à g.), Propaganda (ci-dessus) ou Introducing Sparks (à g.). En ht à g., en 1974, Ron fait la une du NME. En ht à dr., en 1979, avec Giorgio Moroder, le producteur qui va ouvrir le répertoire des frères à l’électro disco et booster leur carrière

13 6


narquois et tendu, avec sa petite moustache entre Chaplin et Hitler, ses cheveux gominés, sa chemise et sa cravate Sears et son sérieux imperturbable donnait à la performance un côté fou, extraterrestre, ironique. Côte à côte, les frères n’ont strictement rien à voir sur le plan visuel, mais le groupe fonctionne précisément sur cette ligne de fracture entre leurs personnalités et looks si différents. Leur dépendance totale l’un vis-à-vis de l’autre s’affirme au cours de leur passage dans TOTP : enlevez l’un des frères de l’équation et tout se casse la figure. Après cette Ils décrochèrent un hit très mineur avec Wonder Girl. Le salve, le single grimpa jusqu’à la seconde place des charts, premier titre de Halfnelson ne réussit pas à bouleverser et le plus improbable des groupes s’imposa dans la pop son monde. Sans se décourager, ils affinèrent leur musique culture. Les jeunes proto-punks et post-punks qui allaient avec A Woofer in Tweeter’s Clothing, dont la promotion faire la new wave anglaise de 1976 à 1983 y virent quelque les amena finalement en Angleterre. Leur vision roman- chose de radicalement neuf et prirent visiblement des tique et anglophile eut enfin l’occasion de se confronter notes. Curieusement, les qualités mêmes qui permirent à la réalité crue du pays, qui n’avait pas grand-chose à aux frères Mael de devenir des pop stars en Angleterre voir avec la pastorale urbaine dépeinte par Waterloo Sun- firent d’eux un groupe culte dans leur pays. L’Amérique set des Kinks. Néanmoins, Londres s’avéra bénéfique à n’a jamais eu autant d’attirance pour les choses outrées Sparks. Avec un nouveau line-up et un public neuf, les et arty que les fans de pop anglais. Sans doute les plus étoiles commençaient à s’aligner. Ainsi, une résidence au grands fans de Sparks, côté États-Unis, sont-ils depuis Marquee entraîna une apparition dans l’émission musi- toujours des misfits anglophiles comme les Mael euxcale britannique, Old Grey Whistle Test, qui amena un mêmes. nouveau manager, un nouveau contrat et, surtout, en 1974 l’enregistrement du troisième album, Kimono My House, chef-d’œuvre musical et réussite commerciale. L’album s’ouvre sur un chorus tendu, palpitant, aux claviers, une grappe de croches entêtées bientôt interrompue par le falsetto théâtral de Russell. “Recensement/Le dernier recensement/Il y aura plus de filles en ville mais ça ne fera toujours pas assez/Battement de cœur, de plus en plus vite.” Le couplet se gonfle d’une tension insupportable jusqu’à ce que le groupe stoppe net. “Cette ville n’est pas assez grande pour nous deux”, crache Russell. C’est un riff de guitare énorme qui lui répond. “Et ce n’est pas moi Après Kimono My House, les frères Mael s’attelèrent à qui vais m’en aller !”, réplique-t-il. Une course-poursuite Propaganda, nouveau classique générateur de hits et de commence. This Town Ain’t Big Enough for the Both of tournées. Ils recrutèrent Tony Visconti, célèbre pour ses Us peut être considéré comme l’un des plus formidables productions de Bowie, mais les résultats escomptés (à morceaux publiés. Dès lors, Sparks ne pouvait plus être quelques exceptions près) étaient à mille lieues du son glitter-rock attendu par la présence de Tony. Indiscreet, ignoré. en 1975, voit les frères creuser plus avant des instincts musicaux qu’ils avaient laissés entrevoir dans leurs préLIGNE DE FRACTURE Cette année-là, le groupe joua le single à Top of the Pops cédents albums et qu’ils allaient continuer d’explorer (TOTP), une émission à l’audience légendaire. Environ pendant toute leur carrière : l’humour pince-sans-rire, un quart de la population britannique s’y branchait ainsi l’équivoque, les références au music-hall et au dramachaque semaine. Son passage entra immédiatement dans turge britannique, l’original et élégant Noel Coward. La la légende. Les frères ne ressemblaient à rien qu’on ait voix et le chant de Russell sont excellents de bout en bout. jamais vu. La beauté efféminée de Russell et son andro- Son sens du drame, son humour et son érudition se manigynie galopante s’intégraient dans un paysage déjà des- festent magnifiquement dans des chansons telles que Witsiné par Marc Bolan et Bowie, mais la présence de Ron, hout Using Hands et Pineapple, cette dernière commençant entendre la plupart des signes distinctifs des Mael. Les performances vocales, quasi-opératiques de Russell sont bien mises en avant, débordantes de falsetto et de vibrato. La musicalité décalée de Ron surprend également. Le rock’n’roll de Sparks ne l’est qu’au sens le plus elliptique : les arrangements sautent brusquement de section en section et de style en style, mais avec une logique tordue qui s’impose à mesure que l’auditeur s’immerge dans l’univers créé par le groupe.

“This Town Ain’t Big Enough for the Both of Us” peut être considéré comme l’un des plus formidables morceaux publiés

,

Photos Karl Stoeker/Janet Macoska /Monty Coles/DR

es

137


avec un hit ou une apparition dans la culture mainstream : en 1994, ils ont fait un carton en Europe avec When Do I Après cette période de fertilité artistique et commerciale, les Get to Sing My Way ? ; en 1997, ils ont collaboré avec leurs Mael rentrèrent à L.A. pour tenter de renouer avec leurs ra- descendants Faith No More et Erasure ; en 2003, ils se sont cines américaines. Se dépouillant consciemment d’une partie réinventés avec un chef-d’œuvre, de nouveau porté aux des sensibilités espiègles et lyriques qui les définissaient, ils nues par la presse, un album orchestral, Lil’ Beethoven ; en sortirent Big Beat et Introducing Sparks, albums de rock dur 2004, Morrissey les a invités à jouer au Meltdown Festival ; des 70’s, mais qui, à dessein, manquèrent des qualités qui en 2006, ils sont apparus dans la dernière saison d’une série très populaire en Amérique, Gilmore Girls ; en 2008, ils ont plaçaient Sparks à part. interprété chacun de leurs vingt et un albums dans son intégralité lors de concerts successifs à Londres ; en 2009, JOYAU D’ÉLECTRO-POP CONVULSIVE Ils devaient se réinventer une fois de plus et inaugurer une ils ont lancé un drame radiophonique, The Seduction of nouvelle période de succès. Transportés par le I Feel Love de Ingmar Bergman, porté à l’écran par le génial réalisateur Donna Summer, ils se mirent à chercher leur inspiration à canadien Guy Maddin ; et, en 2012, ils ont joué pour la prel’extérieur des confins du line-up traditionnel du groupe de mière fois en duo sur la longue tournée Two Hands, One rock. En 1979, ils recrutèrent le légendaire Giorgio Moroder, Mouth, pour citer seulement quelques triomphes récents. responsable des excursions électro de Donna Summer, pour créer le chef-d’œuvre N° 1 in Heaven, un magnifique joyau La dernière entreprise de Sparks consiste en une collabod’électro-pop convulsive. L’album est à des années-lumière ration avec Franz Ferdinand, baptisée FFS. L’association de leurs débuts pour ce qui est du son et des arrangements, est on ne peut plus naturelle, car Franz Ferdinand a une mais le cadre disco futuriste se révèle une fois de plus une toile dette énorme vis-à-vis des Mael. Ils partagent un même de fond idéale pour leurs excentricités et bizarreries. Malgré humour pince-sans-rire et un sens du ludique équivalent, ce grand saut, N° 1 in Heaven s’intègre à la perfection dans et ils ont réussi tous deux l’exploit de faire de la musique l’œuvre de Sparks. En empruntant aux univers du disco et de dansante qui peut honnêtement être décrite comme intell’électro, les Mael ont une fois de plus anticipé une tendance lectuelle. L’album éponyme sonne comme un croisement musicale et réaffirmé leur influence. De fait, il est impossible équitable entre les deux groupes ; le son d’aucun des deux d’imaginer la musique d’OMD, d’Erasure ou des Pet Shop ne prend le dessus, et par moments, il peut presque être difficile de distinguer la voix de Russell de celle d’Alex Boys sans l’existence de N° 1 in Heaven. Kapranos. Les claviers caractéristiques de Ron émergent, laissent la place au disco post-punk énergétique typique de Franz Ferdinand, puis ressurgissent et recouvrent l’attaque de guitare vrombissante avec des arpèges purement sparksien. Dans tout le disque, les paroles fondent habilement les ironies respectives de Russell et Kapranos. Cette habileté à se métamorphoser et à s’adapter a toujours caractérisé les Mael. Impossible d’imaginer un autre groupe des années 1960 capable de jouer avec un autre, contemporain, sans paraître violemment déplacé. Mais il en a toujours été ainsi avec Sparks ; des enfants heureux des banlieues résidentielles californiennes des années 1950 qui ont plongé la tête la première dans l’underground déjanté des années Capable de surfer sur les tendances et les modes, le groupe 1960, des ancêtres du music-hall glitter-rock, des squares Sparks était, au début des années 1980, une des entités les qui dansent le disco, les cheveux au vent et les allures de plus vénérables de la pop. Depuis lors, toujours au travail, rock star de Russell entrant en friction avec les faux airs de repoussant leurs propres limites, toujours uniques, toujours comptable rock’n’roll collet monté de Ron. Les frères Mael surprenants (tout en conservant une cohérence gratifiante ont toujours prospéré sur la contradiction et l’incapacité à par rapport à leurs personnalités et obsessions particulières), être classés. Puisse-t-il en être toujours ainsi. | les frères Mael ont créé une présence presque sans équivalent dans les annales de la pop moderne, avec un rendement “FFS” de FFS (Domino). www.ffsmusic.com tout aussi impressionnant. De temps à autre, ils surgissent Traduction Héloïse Esquié par un charmant passage a capella.

13 8

Photos DR

En 2009, les frères Mael ont lancé un drame radiophonique, “The Seduction of Ingmar Bergman”, porté à l’écran par le génial réalisateur canadien Guy Maddin


Du projet de film avec Jacques Tati (1974) à leur affinité avec Andy Warhol (1983), les frères Mael (ci-contre, Russell dans les années 70) n’ont cessé, à travers Sparks, de mener projets musicaux et artistiques.

13 9


14 0


Sac à dos en croco, Balenciaga. Portefeuille, Saint Laurent. Lunettes de vue, Massada. Vase, Zaha Hadid. Espadrilles blanches, Balenciaga.

NOMBRE D’OR ET SI LA PERFECTION ÉTAIT LE RÉSULTAT DE CALCULS SAVANTS, DE MESURES EMPRUNTÉES AU MONDE DU VIVANT ? ORGANIQUE, LE NOMBRE D’OR SE RÉPERCUTE SUR L’ARCHITECTURE ET TOUS LES ARTS. SECRÈTEMENT, NOS OBJETS PRÉFÉRÉS OBÉISSENT EUX AUSSI À SA RÈGLE. Texte par F. A . D | Collage par M É L A N I E DAG H E R

141


142


Boutons de manchettes, Corneliani.

Sandales, Prada. Espadrilles, Saint Laurent. Bougie, Zaha Hadid. Smartphone, Samsung.

14 3


14 4


Cravate, Saint Laurent. Chaussures, Zegna. Lunettes de soleil, Massada. Parfum, Dyptique. Sous plat, Zaha Hadid.

14 5


T shirt, Zadig & Voltaire Veste, The Kooples Écharpe, Hermès Jogging, The Kooples


RYAD SLIMANI QU’EST-CE QU’ELLE A SA GUEULE ? IL EST BEAU, RYAD SLIMANI. BEAU D’UNE BEAUTÉ ÉTRANGE ET INTENSE, MI POILU DE 14-18, MI VAN GOGH HANTÉ DE SPIRALES LUMINEUSES. MANNEQUIN, IL CULMINE À 1,86 CM, CHAUSSE DU 43, A LES YEUX NOISETTE, LES CHEVEUX CHÂTAINS ET INCARNE CE ROMANTISME 2.0 QUI VOUS FERAIT PRENDRE UN SAC À POMMES DE TERRE POUR UN COMPLET DE CRÉATEUR. MAIS ON AURAIT TORT DE LE RÉSUMER À UN PORTE-MANTEAU. Texte F. A . D | Photos T A R E K M O U K A D D E M Réalisation M É L A N I E D A G H E R | Direction artistique M I N J A E L - H A G E , R A YA F A R H A T Stylisme A M I N E J R E I S S A T I | Lieu S T U D I O T A R E K M O U K A D D E M


Pull, Marc Jacobs Page de droite: Pull et pantalon, Marc Jacobs Basket, Hermès

14 8


M

annequin fétiche du moment, il a beau afficher les mensurations de l’homme idéal, Ryad Slimani, c’est d’abord une gueule. De son père algérien, il tient ce regard sombre et cerné, cet air subtil et ombrageux de virilité orientale. De sa mère francoallemande, il a hérité le gène viking qui lui roussit la barbe et lui confère une aura de Robinson urbain. Ryad Slimani est mannequin depuis une dizaine d’années, ayant prêté sa silhouette, à ses débuts, à Yamamoto et Hermès. Alimentaire, au départ, ce métier est officiellement le sien depuis trois ans seulement. Être mannequin, c’est aussi, pour lui, mener une vie qui modifie votre rapport au temps, à l’âge, sans doute. Après des études en histoire de l’art à l’université de Lille, il monte à Paris tenter sa chance. Les premières années, il travaille dans un hôtel, la nuit, avec des permanences de 12h. Il en profite pour lire, se cultive, apprend des langues. Car cet homme-image aime les mots, les textes, la littérature. Il voudrait travailler dans l’édition, un jour, quand il sera sorti du tourbillon du mannequinat.

C’est cela qu’il aurait voulu faire, « à la base », éditer des livres. Et c’est sans doute cet amour de l’écrit qui lui donne ce halo particulier qui fait que dans n’importe quel shoot, son image dégage une densité unique, une présence réelle, la chaleur vive d’un personnage qui transcende le papier glacé, lui donne de l’épaisseur. Pour l’heure, être mannequin, c’est surtout faire de belles rencontres et découvrir le monde. Surexposé, il n’en rajoute pas. Absent des réseaux sociaux, inexistant sur Twitter, Facebook et autres Instagram, il se contente d’une boîte e-mail. L’Asie, affirme-t-il, est sa destination de cœur. L’objectif des caméras l’entraîne d’Istanbul à Dubaï, de Dubaï au Pakistan, et jusqu’au Japon, « une histoire d’amour, pour ce sens profond de l’accueil et de l’hospitalité », en passant par Beyrouth où il posait, en avril, pour L’Officiel Levant. Visiblement content de se trouver au Liban, Ryad Slimani évoquait sa passion pour la Méditerranée et fredonnait une vieille chanson des frères Bandali « Do you love me, do you, do you ?» C’est une vraie question ? |

14 9


Chemise, Dior homme Pantalon, Gucci Chaussures, Hermès

15 0


Chemise, Prada Pantalon, Dior homme


Chemise et pantalon, Dior Homme Chassures, Dolce & Gabbana

152


Total look, The Kooples


Chemise, Saint Laurent Pantalon, Jocob Cohen


15 5


Veste, Dolce & Gabbana

15 6


Veste et polo, Dolce & Gabbana Pantalon, Zegna sport


15 8


Veste et T-shirt, Zadig & Voltaire Écharpe, The Kooples Pantalon, Jacob Cohen Lunettes de soleil, Dior


Chemise, Saint Laurent Pantalon, Gucci


161


Chemise, Saint Laurent Pantalon, Gucci


Chemise, Hermès Costume, The Kooples Sandales, Prada

16 3


Chemise, Saint Laurent Pantalon, Valentino


Chemise, Gucci Pantalon, Dior Homme Chassures, The Kooples Coiffure et maquillage: Velvet Model Management

Alexander McQueen

blanche, Zegna Sartoria

16 5



WWW.AISHTIBLOG.COM



WWW.AISHTIBLOG.COM


Le cœur du réacteur. La « mécanique » d’une Formula E a de l’allure, même sans bouillonnant V6.

170


En course, chacun des pilotes a droit à deux voitures. Ici, le Suisse Sébastien Buemi.

Renault, très engagé sur le terrain de la voiture électrique, ne pouvait pas manquer le rendez-vous de la Formula E.


Au cœur de la ville. Le E Grand Prix de Malaisie, deuxième course de la saison, à Putrajaya, capitale administrative du pays.

Photos DR

Internet (un vote a lieu avant chaque course) bénéficient d’un surcroît de puissance de 20 % pendant quelques secondes lors de la course. Les voitures justement. De belles bêtes, que composent notamment une aérodynamique et des trains roulants conçus par Spark Racing Technology, un châssis carbone signé Dallara, un moteur électrique estampillé McLaren, des batteries élaborées par Williams Advanced Engineering et des pneus 18 pouces Michelin spécifiquement développés et adaptés aux pistes sèches ou humides, tandis que Renault Sport s’est attaché à intégrer et sécuriser la chaîne de traction électrique. Parmi les spécificités des autos, des carénages censés limiter les risques qu’une voiture ne se serve d’une autre comme rampe de lancement en cas de choc : les courses ayant lieu en environnement urbain, il est impensable qu’une voiture s’envole en direction du public après un accident ! DE 0 À 100 KM/H EN TROIS SECONDES Côté performances, les autos développent l’équivalent de 270 ch lors des essais (puissance ramenée à 202 ch en course, pour préserver l’autonomie) pour 800 kilos pilote

compris, grâce à quoi elles passent de 0 à 100 km/h en trois secondes, avec un bruit très particulier, combinant le sifflement aérodynamique, le frottement des pneus et le bourdonnement futuriste du moteur électrique. « En fait, les caractéristiques du moteur électrique ne sont pas très différentes de celles d’un moteur thermique. On s’y habitue vite. Mais la voiture est plus lourde, les pneus sont très spécifiques, il faut gérer les systèmes de freinage et de récupération d’énergie », détaille Nicolas Prost. Jean-Paul Driot résume ainsi le défi de la Formula E: «C’est un challenge technologique, bien sûr, mais aussi médiatique et humain, et c’est pourquoi cela nous intéresse. Le moment est crucial pour notre discipline et pour l’industrie automobile: il fallait relever ce défi, faire partie de l’aventure.» Un défi consistant à définir un sport automobile plus moderne et accessible, car se courant au cœur des villes – Pékin, Londres, Miami, Berlin…– a de fortes chances de débarquer à Paris la saison prochaine ! Anne Hidalgo, maire de la capitale, s’est d’ailleurs prononcée en ce sens. En avril 2016, des voitures de course pourraient ainsi passer par la place des Invalides. Sans polluer davantage que vous à Vélib’. |

173


ET SI PINTEREST ÉTAIT LA START-UP DU SIÈCLE ? ELLE AURAIT PU RESTER UNE START-UP PARMI D’AUTRES. TROIS ANS APRÈS SA CRÉATION, LA PETITE ENTREPRISE A MULTIPLIÉ PRESQUE PAR 20 SON INVESTISSEMENT DE DÉPART… PLONGÉE AU CŒUR DE PINTEREST, À SAN FRANCISCO.

E

Texte B R E N DA N JAY S U L L I VA N | Traduction H É LO Ï S E E S Q U I É

van Sharp regarde par l’unique fenêtre de son salon près du campus de l’université de Stanford à Palo Alto, en Californie. Nous sommes en 2011. Comme d’habitude, il a un million de choses en tête. Dans la journée, ce passionné de photo et architecte de formation se retrouve à faire des travaux d’encodage et de design dans les nouveaux bureaux de Facebook. Mais, comme bon nombre des acharnés de technique de la Silicon Valley, il consacre ses soirées et ses week-ends à son rêve. Sharp veut construire quelque chose qui sera utile, il le sait, mais il ne parvient jamais à l’organiser convenablement. De Frank Gehry à Alexander McQueen, les architectes et les designers ont toujours fait des « tableaux d’inspiration » pour trier leurs pensées. Des esthétiques pour inspirer des idées et communiquer avec leurs équipes de designers et leurs clients. Mais il n’existe pas de manière harmonieuse de transposer la chose en ligne, si ce n’est d’essayer de sauver une série de liens hypertextes dans quelques mails. Dans la Silicon Valley, la route du succès est pavée de startup en échec. Soit on se marie à la technologie et on bâtit son propre empire, soit c’est le burn out assuré. Son collaborateur Ben Silbermann a récemment fermé les portes d’une

appli de shopping, Tote, qui avait trouvé des financements, mais n’était pas tout à fait au point. Il leur reste juste assez d’argent pour rester à flot lorsqu’ils encodent et élaborent la première version d’un outil qu’ils appellent « Pinterest ». Où l’on « épingle » (pin) des choses qui vous « intéressent » à un tableau imaginaire. STAFF EUPHORIQUE ET DANSE DE GROUPE Nous sommes en 2015, Evan sort de la cuisine et entre dans les bureaux récemment rénovés de Pinterest, en plein centre de San Francisco. Il passe devant un mur de réfrigérateurs remplis d’eau de coco et de soda et, pour le dernier, de bière artisanale destinée à l’happy hour des employés de ce soir. . « Les quatre dernières années ont été incroyables », déclaret-il tandis que des groupes d’employés en tenue décontractée le saluent d’un sourire. Ils ont maintenant plus de 500 employés, répartis dans 11 bureaux à Berlin, Londres, Paris, São Paulo et Tokyo pour 70 millions d’utilisateurs. Pour accueillir les nouvelles recrues de la compagnie en pleine expansion, tout le bureau se voit offrir un plantureux petit déjeuner de saucisses anglaises, œufs brouillés et crêpes au fromage avec de la compote de framboise de la région. Il n’y a rien d’exceptionnel. En plus du petit déjeuner

174


Photos DR

spécial, Evan fait quotidiennement livrer un déjeuner collectif à toute l’équipe (avec option végétarienne). Le festin de ce matin comprenait un porridge au gruau d’avoine baptisé « Sunrise Surprise ». Le soleil inonde la pièce centrale garnie de longues tables. On dirait une version XXIe siècle de la cafétéria d’Harry Potter. Les employés des différents départements vont s’attarder comme des étudiants autour des distributeurs de serviettes en papier tout en travaillant parmi les bouteilles de sauce Sriracha, leur MacBook ouvert sur la table. Tout l’immeuble est un bureau géant. Le PDG n’a pas de bureau à lui et il est susceptible de tenir des réunion dans la cafétéria aussi bien que dans les différentes salles de réunions baptisées selon des pinboards (tableaux). La plupart des fondamentaux de la compagnie milliardaire sont discutés ici même, en sirotant de l’eau de coco bio. Un staff euphorique se retrouve près du mur attenant pour annoncer un nouveau projet. Le tube des années 1980 « Push It », de Salt-n-Pepa, résonne à fond et le groupe exécute une petite danse. Comme dans la chanson, ils « enfoncent le clou » – en l’occurrence une punaise rouge géante, de la taille d’une bouteille de vin – dans le tableau Pinterest taille réelle où s’affichent les initiatives en cours. Une tradition du bureau.

Les grands médias ont toujours peiné à effectuer la transition vers le format en ligne. D’abord à cause du commerce. Si votre magazine préféré fait un papier sur des chaussures de jogging, pouvez-vous faire confiance à un article qui vous renvoie sur le lieu d’un site d’achat ? S’agit-il alors d’un magazine ou d’un catalogue ? Internet, malgré toutes ses promesses, est fondamentalement un mélange de relations publiques et de publicité. Nos statuts Facebook sont des publicités de nous-mêmes. Quand nous rêvons de vacances à l’heure du déjeuner en surfant sur les forums de TripAdvisor, nous ne faisons rien de plus que ce que faisaient nos aînés en feuilletant des brochures de voyage. Contrairement à Instagram, YouTube ou Tumblr, Pinterest ne gère pas les contenus générés par les utilisateurs. L’assemblage d’une liste d’articles, d’objets et d’idées constitue l’acte. Consulter la liste de quelqu’un revient à ce qu’était autrefois regarder la bibliothèque ou la collection de disques d’un ami. Tu aimes untel, mais as-tu entendu parler d’untel et untel ? DES CLICS QUI PAYENT C’est au fond une idée simple. Les usagers d’Internet ont toujours généré des listes d’informations. Mais, en 2015,

175


STRATÉGIE LEXICALE « Pin it », il est incroyable qu’un simple verbe puisse valoir 11 milliards de dollars. D’autres plates-formes – notamment Rap Genius connue désormais sous le seul nom de Genius – rament à cause de leur incapacité à trouver un verbe. Leur service fournit des annotations pour expliquer les paroles

de chansons – la septième raison la plus courante de surfer sur le Web – et pourtant le mot « noter » n’a jamais correspondu tout à fait. Les milliardaires ne prennent pas de notes. Ils likent, tweetent, rebloguent, instagramment. Pire, les verbes les plus communs ne se traduisent jamais. Et pourtant les « pinners » sont encouragés non seulement à épingler, mais à choisir ou à créer un tableau spécifique, à « se relier » à d’autres intérêts et utilisateurs. Puis à « aller » en avant et à « faire » quelque chose. Que ce soit « cuisiner » une recette, « réserver » un billet, « acheter» un vase. Que des verbes. Tote n’était jamais tout à fait parvenu à ce niveau. Le mot « épingler » existe dans toute les langues. Il est assez révélateur que Pinterest – à l’inverse de Facebook, Lyft ou Uber – se soit imposé dans les petites villes. Des utilisateurs qui, il y a une génération, auraient découpé des photos dans le catalogue de Sears, Roebuck & Co. ou dans des magazines de cinéma rêvent désormais sur Pinterest. Pourtant, un groupe étonnant participe au crowdsourcing en appliquant à la lettre les méthodes de la Lean Startup. Un groupe qu’ils n’avaient pas vu venir, celui des professeurs de petites villes. |

176

Photos DR

Pinterest a donné lieu à davantage de publicités efficaces – des clics qui conduisent à l’enregistrement du numéro de carte de crédit pour des chaussures, des vêtements, des billets d’avion et autres – que YouTube, Facebook, Twitter ou Instagram. Si l’on veut tenir les comptes, Evan et la compagnie ont récemment célébré le cinquante milliardième pin et une valorisation de 11 milliards de dollars. Ça revient à environ 0,25 dollar pour chaque « pin » qui entraîne en moyenne 11 « re-pins ». Autrement dit, à chaque fois que quelqu’un mentionne un sandwich excellent à Monte-Carlo, 11 personnes qui n’y ont jamais mis les pieds rapportent 2 dollars à Pinterest. C’est environ ce que gagne un écrivain en royalties à chaque fois que quelqu’un achète un exemplaire neuf de son livre.


À LEUR MANIÈRE ALI EST RESPONSABLE DE RELATIONS HUMAINES. RAMI EST TYPOGRAPHE, EN ARABE. CA, C’EST LE JOUR. APRÈS LE BOULOT, CE SONT DEUX PASSIONNÉS DE MOTO QUI SE RETROUVENT DANS LEUR GARAGE DE MAR MIKHAËL POUR RESSUSCITER DE VIEILLES MÉCANIQUES. AVEC AMOUR ET BEAUCOUP DE PATIENCE, ILS RÉALISENT À LA MAIN CHAQUE DÉTAIL MANQUANT, CHOISISSENT LES MEILLEURS COMPOSANTS PARMI CE QUI EXISTE ; NETTOIENT, POLISSENT, PATINENT, PERSONNALISENT, ET DÈS LE PREMIER RUGISSEMENT DE L’ENGIN NOUVEAUNÉ, ENFOURCHENT LA BÊTE ET LA LANCENT SUR LES ROUTES, RUTILANTE COMME À SON PREMIER MATIN. Par F. A . D | Photos J I M M Y DA B B AG H

177


178


179


18 0


181


18 2


18 3


LA MER EST LA MER EST LA MER LA VOILÀ QUI REVIENT, IODÉE, HESPÉRIDÉE, VERTE, FRAICHE, CRAQUANTE ET JUTEUSE, BLEUE, OZONÉE, OXYGÉNÉE, AÉRIENNE : L’ODEUR DE LA MER MÊLÉE AVEC LES ALGUES, AVEC LE SOLEIL ET L’HORIZON, À PERTE DE VUE, À PERTE DE SOUFFLE. ON PLONGE, ON COULE, ON S’ÉBROUE. LE SOLEIL VIENDRA LÉCHER LA DERNIÈRE LARME OCÉANE QUI SERPENTE SUR UNE VEINE APPARENTE. APRÈS, CE SERA L’HEURE DES BAUMES. Par F. A . D | Réalisation M É L A N I E DAG H E R , M I N JA E L- H AG E | Photos TO NY ELIEH


Dans le sens des aiguilles d’une montre: Acqua Di Gio, GIORGIO ARMANI. Mirto Di Panarea, ACQUA DI PARMA. Le soin bronzage progressif visage et corps, LA MER.

18 5


Dans le sens des aiguilles d’une montre: La brume d’ éveil, LA MER. Crème lavante au citron, CHRISTOPHE ROBIN. Le soin solaire anti-age visage SPF30 haute protection, LA MER. Hydratant santal, CHRISTOPHE ROBIN.


Dans le sens des aiguilles d’une montre: Body building shampoo, PHILIP KINGLSEY. SOS coups de soleil, CLARINS. Anti-Rides fermeté, CLARINS. Génific HD, LANCÔME.

187


CAMOUFLAGE DE LA LUMIÈRE ET DONC DE L’OMBRE, MOUVANTE QUAND IL PREND AU VENT DE FAIRE BOUGER LE DÉCOR. C’EST LÀ, PLISSANT LES YEUX DERRIÈRE NOS LUNETTES NOIRES, QUE NOUS CHERCHONS REFUGE. DANS CETTE FRAÎCHEUR QUI NOUS AIMANTE SE RÉPLIQUENT EN TRAITS IMMATÉRIELS LES CONTOURS DES OBJETS ET DES LIEUX. A NOTRE TOUR D’ENTRER DANS LE JEU GRAPHIQUE DE L’ÉTÉ. Photos B AC H A R S R O U R Réalisation M É L A N I E DAG H E R , M I N JA E L- H AG E Stylisme J O E A R I DA Lieu M AYO U L I B E D & B R E A K FA S T, B AT R O U N

18 8


Page de gauche: Sac, PRADA. Page de droite: Basketes camouflage, DOLCE & GABBANA.

18 9


Sac à dos, DOLCE & GABBANA. Chaussures, VALENTINO.

19 0


Sac, PRADA. Chaussures, VALENTINO.

191


Chaussures, SAINT LAURENT. Lunettes de soleil, DIOR. Écharpe, VALENTINO.

19 2


En haut: Sac, BOTTEGA VENETA. Baskets, SAINT LAURENT. En Bas: Lunettes de soleil et portefeuille, DIOR.

19 3


Sac à dos, BALENCIAGA.

19 4


Sac à dos et claquettes, VALENTINO.

19 5


En haut: Maillots de bain, VALENTINO. En bas: Sac, BALENCIAGA. Chaussures, DIOR.

19 6



UN PEU DE PARIS AU CŒUR DE BEYROUTH LA VIE DES LIEUX, AUTANT QUE CELLE DES ÊTRES, PRENDS PARFOIS D’ÉTRANGES DÉTOURS. DANS LES MURS D’UN IMMEUBLE RESTAURÉ DU VIEUX BEYROUTH, À LA PLACE D’UN COCON BLANC NICKEL OÙ SE VENDAIENT DES ROBES DE MARIÉES, S’ÉRIGE À PRÉSENT LA VERSION LOCALE DU « 66, CHAMPS ELYSÉES », UN CONCEPT STORE POINTU OÙ VÊTEMENTS ET ACCESSOIRES RACONTENT UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA VILLE. Par F. A . D

S

ur quatre étages, y compris le lobby (cinq, si l’on compte le sous-sol), à un angle de la rue Foch, les murs laissent apparaître, sur toute la hauteur du volume, leur texture écorchée. Sous l’enduit blanc surgit, ici un alignement de pierre ramlé - pierre blonde et poreuse des vieux bâtiments de Beyrouth, là un pan de ciment gratté de frais ou ulcéré de longue date, là encore un flanc noir d’enduit étanche, le tout parfois orné d’un graffiti ou grêlé de trous suspects rappelant les combats dont le quartier fut le théâtre au milieu des années 70. Selon Karim Tabet, initiateur, avec son frère Charif, de ce projet déjanté, l’idée de la déco est venue sur place, au lendemain d’une « demolition party » dont le lieu conserve désormais les ondes positives et le joyeux souvenir. Pour Isabelle Stanislas, l’architecte qui s’est ensuite chargée de la scénographie, conserver ces traces non seulement confère au lieu une identité forte mais l’aligne dans le prolongement d’une histoire marquante. On y vend des vêtements et des accessoires, certes, mais surtout un art de vivre prêt à emporter.

LE CONTENANT Une fois cette atmosphère particulière mise en place, Isabelle Stanislas s’est attachée à valoriser l’architecture extérieure en harmonisant porte d’entrée et vitrines avec l’élégance du bâtiment patrimonial du magasin. Les principaux détails de l’agencement intérieur, déclinant éclairage et métaux, ont été dessinés pour favoriser un certain bien-être, une envie de flâner, de découvrir et de céder à la tentation. Pour l’architecte, la présentation des articles suit le schéma d’un « bazar très organisé ». De fait, chaque espace du magasin a une affectation particulière. Le lobby est une sorte de sommaire de l’ensemble où l’on trouve aussi bien des accessoires que des bijoux et des parfums personnels ou d’intérieur. Le premier étage annonce « Both of you ». Il est destiné à ces articles que l’on s’échange entre hommes et femmes, chemises, vestes, ceintures et autres. Alors que la maison mère, 66 Champs Elysées, joue majoritairement sur cette absence de distinction, l’espace beyrouthin est plus différencié, avec un étage spécifique pour une mode ultra-féminine au deuxième niveau, et un autre pour l’homme « urbain » au troisième. L’espace Both of you est souligné par des détails en acier, l’étage femmes est

19 8


Photos DR

dominé par un cuivre rose et raffiné et l’étage masculin par du fer traité en canon de fusil. De haut en bas, l’éclairage est assuré par une grille créée sur mesure, un quadrillage de néon day light où les miroirs alternent selon la disposition des présentoirs et des portants avec les tringles en « S », signature du concept store des Champs-Elysées. Le magnifique lustre Mikado du binôme de designers libanais David/Nicolas court sur toute la hauteur de la cage d’escalier en se répercutant sur les miroirs brisés qui lui font écho. Cà et là, des œuvres de jeunes artistes contemporains ouvrent un dialogue subliminal avec le visiteur. Entre ready made et street art, ces repères conceptuels indiquent bien qu’on est dans l’énergie du présent, voire de l’immédiat. Une capsule spatio-temporelle ou une coquille précieuse pour les éléments d’un style auquel on s’identifie spontanément. LE CONTENU Gilles Bellaloum, créateur du concept parisien, nous confie qu’au départ, il travaillait dans les luminaires, les cuisines et salles de bain. Mais comme il a « toujours aimé la mode », le 66 Champs Elysées s’est imposé de lui-même : « Un

spot de dingue voué à la démolition. Soit on prenait, soit… On avait un délai d’une semaine pour signer ». Cette première expérience part d’un rêve. Une équipe se monte, portée par une même énergie, une même volonté de réunir sous une même enseigne des articles coup de cœur, enveloppés dans un cadre particulier et nimbés d’une musique signature. La déco industrielle, le beat, le choix d’une marchandise éclectique, pointue et jamais hors de prix séduisent une clientèle transgénérationnelle qui trouve dans les articles proposés un style à la fois décalé, créatif et décontracté qui lui ressemble. Le « 66 » est un succès. Tant et si bien qu’en moins de dix ans, il s’exporte. Bangkok d’abord puis Riyad, et à présent Beyrouth, le vaisseau des Champs Elysées largue ses amarres grâce à des partenaires tout aussi passionnés que Gilles Bellaloum. C’est le cas de Karim et Charif Tabet dont l’enthousiasme, à la veille de l’inauguration, était palpable et communicatif, malgré une atmosphère de crise. Mais ces deux-là se déconnectent résolument de l’info qui fâche. Renoncer n’est pas le genre de la maison. C’est un peu cela, l’esprit du 66 Champs Elysées. |

19 9



FORMULA E : LE SPORT AUTO ENFIN ÉCOLO DU SPECTACLE, DES DÉPASSEMENTS ET DE BELLES EMPOIGNADES : CONTRAT PARFAITEMENT REMPLI POUR LA PREMIÈRE ANNÉE DU CHAMPIONNAT DE FORMULA E, MONOPLACES ÉLECTRIQUES GARANTIES SANS ÉMISSION DE CO2. PARMI LES ÉCURIES EN LICE, LA FRANÇAISE E.DAMS OCCUPE LES AVANT-POSTES. ET QUAND LA FRANCE GAGNE, ÇA FAIT DU BIEN. Par P I E R R E- O L I V I E R M A R I E

Photos DR

D

’abord, une clarification : malgré les apparences, le nouveau championnat de Formula E, qui met en scène des monoplaces à motorisation électrique, n’est pas l’avenir de la Formule 1, mais une nouvelle façon d’envisager le sport automobile. La discipline reine n’est pas près de vaciller sur son trône, malgré les critiques qui fusent parfois sur le manque d’émotion qu’elle peut susciter ou sur son inévitable «trop-plein » technologique. Pour autant, ce 24 octobre 2013, c’est tout sourire qu’Alain Prost, quadruple champion du monde de Formule 1, et Jean-Paul Driot, fondateur de l’écurie Dams en 1988 – 11 titres internationaux en monoplace et une fonction de révélateur de talents si l’on songe aux 27 pilotes Dams ayant accédé à la F1, dont Romain Grosjean, JeanChristophe Boullion ou Paul Belmondo –, officialisaient leur engagement commun dans le championnat FIA de Formula E avec l’écurie E.Dams. Ils seront rejoints

quelques mois plus tard par Renault, qui, lié à Alain Prost depuis toujours (ou presque), devenait partenairetitre de l’équipe pour la saison 2014-2015. LE « FANBOOST », 20 % DE PUISSANCE SUPPLÉMENTAIRE A l’heure du bouclage de ce numéro, les monoplaces de l’équipe française occupaient la tête d’un championnat très relevé et spectaculaire, avec de belles bagarres et du suspense. Ainsi, on aura dénombré six vainqueurs différents au terme des six premières compétitions de la saison, et parmi eux Sébastien Buemi et Nicolas Prost, les deux pilotes E.Dams. Pour eux, le défi avec ces voitures est de se montrer rapides sans gaspiller trop d’énergie : les courses durent une heure, mais l’autonomie des voitures n’excède pas une demi-heure. A mi-course, tout le monde rentre au stand et repart avec une nouvelle monture chargée à bloc ! Autre particularisme, le «FanBoost»: les voitures des trois pilotes les plus populaires sur

171


LE GRAND PALAIS, SALLE POLYVALENTE … DE LUXE

IL ÉTAIT BEAU, LE GRAND PALAIS, CERTES, MAIS À QUOI SERVAIT-IL ? A ORGANISER DE TEMPS À AUTRE DES EXPOSITIONS ÉVÉNEMENTS, MAIS GUÈRE PLUS. AUJOURD’HUI, IL EST DEVENU L’UNE DES PLACES FORTES DE L’ART BUSINESS – DES CONCERTS AUX DÉFILÉS DE MODE, EN PASSANT PAR DES PRIVATISATIONS SPECTACULAIRES. DÉCRYPTAGE D’UNE MÉTAMORPHOSE. Par L A U R E N T - D A V I D S A M A M A

D Photos DR

eux heures du matin à Paris, samedi 2 février 2013. Pour les ultimes instants de l’exposition Edward Hopper dans la capitale, le Grand Palais a ouvert ses portes aux noctambules. A l’heure où les night-clubs se remplissent, ils sont des milliers – 14 262 très exactement – à s’être rués en direction de la pâtisserie Belle Epoque pour vivre une expérience unique : admirer nuitamment les œuvres du maître américain. Quatre jours et trois nuits d’ouverture. 24 heures sur 24. Un événement rare comme la direction du monument s’en est fait une spécialité. Sur toute sa durée, l’exposition Hopper a atteint une fréquentation record de 784 000 visiteurs. Une belle surprise. Depuis, le lieu bâti pour l’Exposition Universelle de 1900 ne cesse d’attirer un public parisien et international en files ininterrompues. De la Fiac à Paris Photo, en passant par les soirées Cinema Paradiso organisées par MK2, le Grand Palais est en plein « retour de hype ». Sa programmation prestigieuse attire les dandys pointus autant que les familles, un jour Karl Lagerfeld, l’autre Prince ou encore Jared Leto et son groupe Thirty Seconds to Mars. Le tout

fleure bon l’éclectisme et l’exception culturelle à la française. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas… En 1993, Jacques Toubon, alors ministre de la Culture, prend la décision de fermer une partie du Grand Palais. Des fondations à la toiture, l’ouvrage montre alors d’inquiétants signes de vieillissement. Le bâtiment est jugé « dépassé », un communiqué émanant du ministère décrit la situation sans ambages : « Les pieux de chêne des fondations commençaient à pourrir, tandis que les fondations profondes de la moitié sud du Grand Palais se tassaient, entraînant des mouvements sur le bâtiment. » Il y a pire : sous la nef en fer forgé, les boulons se dévissaient les uns après les autres. Lorsqu’un élément de rivetage se détache du toit, c’en est trop : on interdit l’accès à la grande verrière. Une fermeture qui durera douze ans. Douze années passées à se demander comment restaurer ce vaisseau gigantesque sans que l’opération ne se transforme en gabegie pour la collectivité. Une gageure… DÈS 1900… Construit pour l’Exposition universelle de 1900, le Grand Palais est, dès l’origine, pensé comme une vitrine de l’évolution des connaissances et des techniques.

2 01


Sous la verrière du Grand Palais, tous les modèles participant au Tour de France Auto sont réunis

Huang Yongping sera l’invité de l’édition 2016 de Monumenta, qui se transforme en biennale. Ci-dessus, Anish Kapoor, Monumenta 2011.

Les défilés Chanel se succèdent depuis 2006 au Grand Palais. Ici, la collection Haute Couture automne-hiver 2010-2011.

Dès 1901, on y organise des manifestations variées tels les premiers salons automobiles ou des expositions consacrées à l’aéronautique, alors en plein essor. Conçu pour être modulable, le lieu a abrité le Salon d’automne, la Fiac et Paris Photo. De façon plus ponctuelle, la nef a également servi de cadre à des compétitions hippiques, aux Championnats du monde d’escrime (2010) ou encore à un combat de boxe qui opposa le mythique Marcel Cerdan à Fernand Viez dans le Paris occupé, en 1942. RETROUVER SON « LUSTRE CULTUREL » Au tournant des années 2000, bien décidé à refaire du Grand Palais un lieu d’exception, l’Etat se résout à agir. Sous l’impulsion de Renaud Donnedieu de Vabres, il va trouver le protecteur idoine. Dans les médias, le nouveau ministre de la Culture affiche ses ambitions :

Le Grand Palais des Glaces, la plus grande patinoire indoor du monde.

« Mon objectif est de redonner tout son lustre culturel et patrimonial au Grand Palais. » Le ministère lance alors un ambitieux plan de réhabilitation, à hauteur de 100 millions d’euros. Travaux de terrassement, injections de ciment à très haute pression sous les fondations, décapage et réparation de la charpente métallique, réfection de la verrière et de l’escalier d’honneur : le chantier est colossal. La rénovation suit quant à elle un principe : renouer avec la tradition, celle d’un monument dès le départ synonyme de progrès et d’innovation. Comme un clin d’œil à l’histoire du lieu, on décide de redonner au Grand Palais sa fameuse couleur « vert réséda » en même temps que l’on revient à une programmation hétéroclite mais soignée. Une volonté clairement exprimée par Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationaux (RMN) et du Grand Palais : « Le Grand Palais est l'un des très rares lieux

202


Photos DR

L’agence LAN (Local Architecture Network) est lauréate du projet de réhabilitation du Grand Palais.

au monde où se côtoient et se succèdent des événements de prestige aussi divers. La Biennale des antiquaires sera suivie du défilé Chanel, la Fiac voisinera avec l’exposition Niki de Saint Phalle et la patinoire géante succédera à Paris Photo. S’agissant du marché de l’art, il ne peut accueillir que des manifestations hautement qualitatives car, en dépit des 13 500 m2 de la nef, il n’est pas en mesure de rivaliser en surface d’espaces offerts avec la Foire de Maastricht ou Art Basel. » C’est donc en renouant avec sa tradition et en misant sur ses atouts que le Grand Palais a retrouvé une seconde jeunesse. Mieux, depuis quelques années, le site s’est mué en haut lieu du Paris culturel, grâce à deux atouts : la superficie gigantesque qu’il offre et sa situation idéale au cœur des quartiers huppés de la capitale. Des points forts qui ont logiquement attiré les tenants du luxe et de la création à la française.

IMAGE DE MARQUE Le 1e juillet prochain se tiendra au Grand Palais l'événement qui annoncera l'inauguration de la Fondation AÏshti d'art contemporain prévue le 26 octobre à Beyrouth. Ainsi, en marge des événements organisés par la RMN, le Grand Palais accueille chaque année des « manifestations non produites par l’établissement ». Dîners de gala, événements internes, remises de prix ou célébrations, l’éventail des prestations proposées par le Grand Palais pour compléter ses revenus est vaste. Parmi celles-ci ? Des soirées de promotions de l’Ena, un dîner organisé par L’Oréal, un concert privé de Sting ou encore le tournage d’un spot publicitaire pour le constructeur automobile allemand Audi. Sous la nef du monument, depuis 2006, les mannequins défilent à l’occasion de la Fashion Week. Chaque saison, Chanel y sublime l’espace sous la verrière, tantôt transformé en forêt équatoriale tantôt en brasserie d’antan par Karl Lagerfeld. D’autres aussi ont craqué pour

203


songent même à y faire revenir des manifestations au fort retentissement : le Salon du livre, des événements sportifs majeurs ou des conférences internationales. MODERNISATION PERPÉTUELLE Pour soutenir la concurrence avec ses rivaux européens et mondiaux, le Grand Palais doit rester à la pointe. Une ambition qui passe nécessairement par la réalisation de nouveaux travaux. Il y a peu, le ministère de la Culture a lancé un appel d’offres pour la modernisation du monument. Un projet incluant la totalité du site, Palais de la découverte compris. C’est le cabinet LAN, créé par deux architectes talentueux, Benoit Jallon et Umberto Napolitano, qui a été choisi pour poursuivre la rénovation du Grand Palais. Idées fortes de leur ambitieux projet : redessiner la circulation à l’intérieur du monument (la nef, les galeries nationales et le Palais de la découverte), améliorer l’accueil du public et dégager un emplacement pour l’intendance et la maintenance du lieu. Autre défi, et pas des moindres : garantir la régulation thermique sous la verrière où la température peut monter jusqu’à 60 degrés l’été. Début des travaux prévu à l’horizon 2018. |

2 0 4

Photos DR

ce lieu : le créateur belge Dries Van Noten, le Libanais Elie Saab ou encore les femmes fortes de la dynastie Rykiel. Directrice des événements et de l’exploitation du Grand Palais, Marjorie Lecointre précise : « La mode est aujourd’hui le premier secteur d’activité du Grand Palais. C’est 40 % de notre chiffre d’affaires annuel. Pour la nef, nous avons un contrat avec la maison Chanel. Cela a beaucoup contribué à la visibilité du Grand Palais dans le monde de la mode. » La marque Hermès a, elle aussi, opté pour le monument en y organisant son événement équestre annuel, le Saut, depuis 2010. « Un lieu rare. La qualité des épreuves, l’accueil, l’ambiance… font qu’il n’en existe pas de comparable », assure Michel Robert, conseiller sportif du Saut Hermès et cavalier français. Même son de cloche chez Jonathan Curiel, directeur général de la chaîne Paris Première qui y a fêté ses 25 ans d’émission, il y a peu : « Le Grand Palais est un lieu majestueux, connu et immédiatement identifié à Paris. Donc idéal pour la chaîne, son image de marque et son ancrage dans la vie culturelle parisienne. » Quelque part entre arts et manifestations de prestige, le monument a su se débarrasser de son image poussiéreuse et reconquérir un public. D’aucuns


Beirut Souks, Souk El Tawileh - Beirut City Center, Hazmieh, Level 1 Also available at all A誰zone stores in Beirut, Dubai, Amman

7forallmankind.com

2/3/15 12:05 PM

7FAM_LOFFICIELHOMME_2015_spring.indd 1


BALICE-HERTLING CETTE FOIS, L’EXPOSITION A LIEU DANS L’APPARTEMENT DE DANIELE BALICE. DANS CE CADRE BLANC, TOTALEMENT BLANC FORCÉMENT, 22, RUE DU RENARD À PARIS, LE GALERISTE DE BALICE-HERTLING DONNE À VOIR CHEZ LUI DIX ŒUVRES CONTEMPORAINES ET UN BOUQUET. CETTE PRÉSENTATION INTIMISTE, POURTANT AGENCÉE SOUS LE THÈME DE LA TULIPOMANIA, NE COMPREND QUE DEUX OU TROIS TULIPES FRAÎCHES PERDUES DANS UN ARRANGEMENT FLORAL. Par F. A . D

206


Photos DR

C

’est l’histoire de la première bulle spéculative de l’histoire de l’économie. La fin des années 1500 fut, dans les Provinces Unies, le théâtre d’un engouement irrationnel pour la tulipe, qui donna lieu à un marché tout aussi absurde. Dans ces Pays-Bas marqués, au 17e siècle, à la fois par le fatalisme résultant d’une récente épidémie de peste bubonique, l’enrichissement d’une classe commerçante portée par la puissance maritime de la jeune fédération et une mobilité sociale favorisée par le calvinisme, les fleurs en général, la tulipe en particulier, faisaient partie des signes extérieurs de richesse. Dans leurs jardins secrets, les marchands prospères collectionnaient les bulbes et s’émerveillaient de les voir éclore au printemps. De cette joie toute poétique réservée aux happy few est né un commerce diabolique, entre jeu de hasard et spéculation effrénée. Les marchands qui ramenaient les bulbes de l’Empire ottoman les proposaient à l’encan. On vit des gens s’associer pour acheter une même promesse de fleur, parfois frauduleusement ventée comme plus rare qu’une autre. Des oignons furent adjugés jusqu’à 5000 florins, le prix d’un immeuble ou d’une peinture commandée à Rembrandt. Cette effervescence qualifiée de « tulipomanie » dura plus de 10 ans. La chute brutale des cours, en 1637, un jour de désamour, transforma

l’innocente fleur en un maléfice botanique. On ne verra presque pas de tulipes dans l’appartement blanc de Daniele Balice. On verra des œuvres de Michael Assif, Will Benedict et Sergei Tcherepnin, Julien Ceccaldi, Sterling Crispin, Valerie Keane, parmi lesquelles se sont invités Francis Piccabia et Man Ray. Au milieu du salon, tel l’esprit d’un bouquet qu’un artiste du 17e n’aurait pu assembler qu’en songe, trône l’arrangement floral de Pierre Banchereau dans un vase en étain. Une vanité ironiquement baptisée « Bouquet de tulipes ». Mais qu’ont en commun ces œuvres en apparence hétéroclites regroupées avec talent par Balice sous le vocable de la « Tulipomania » ? MICHAEL ASSIF Deux grandes toiles vertes, 72x48’’, datées de 2013, titrées « Untitled » avec, pour l’une, un sous-titre au non-titre : « Noir attaqué par un jaguar ». Datées de 2013, elles représentent des paysages inspirés des jungles du Douanier Rousseau, méticuleusement dessinées et recouvertes, dans un premier temps d’une couche de plastique liquide, et dans un deuxième temps d’une couche de peinture verte organique. Ce dernier matériau, naturel, s’oppose au matériau chimique de la base. La référence à la tulipe, dénaturée pour devenir

2 07


VALERIE KEANE Une sculpture en acrylique, acier chromé et tiges d’aluminium (180,34x35,56x3 »), datée de 2015, titrée « sans-titre », détache ses formes noires tel un insecte géant sur la blancheur du mur. Comme la plupart des œuvres de cette artiste, elle dénonce la violence de la production agricole industrialisée à travers des formes abstraites mais violentes, inquiétantes et chargées d’émotions. Entre nœuds et tubes de chrome, elle rappelle, dans le contexte de cette exposition, les réseaux compliqués des marchés et des ordres d’achat échangés sur des biens immatériels. JULIEN CECCALDI Une peinture acrylique sur toile (101,6x76,2 cm), datée de 2015, intitulée « Chiaroscuro ». Cet artiste passionné de Manga depuis l’enfance, dessine de manière obsessionnelle des femmes musclées, après avoir pris pour modèle, jusqu’à sa propre puberté, les frêles fillettes érotisées de la BD japonaise. Ses personnages massifs et larmoyants étalent un mal de vivre dont leur silhouette androgyne accentue le pathétique. Son trait satirique et acerbe n’est pas sans rappeler les pamphlets anti-tulipe des années 1630. WILL BENEDICT ET SERGEI TCHEREPNIN C’est une machine étrange, datée de 2014, une sculpture sonore, que donnent à voir ces deux artistes avec leur « Psychotic Music School » : un banc d’acier, un billot de boucher, un synthétiseur de basses, un amplificateur, un mixeur et une composition musicale originale. De temps en temps, la «

machine » se réveille et émet un son hypnotique, murmurant, captivant. Elle peut se taire longtemps, laisser le spectateur en attente, en demande de stimulation, et puis sortir subitement de sa torpeur comme animée d’une vie propre. Une métaphore du marché des valeurs et de ses crises. STERLING CRISPIN Un cube de 43,18x43, 18x43, 18 cm, en alu et acrylique, renfermant du matériel informatique, un filtre à eau, une radio de secours, des aliments de secours, des composants customisés de jeu pour PC, un canif, des semences originelles. L’œuvre intitulée « Self contained Investment Module and Contingency Package » produit aussi, sur un support LED clignotant, des textes extraits de films, du piratage, de l’information sur les chutes du marché et ses accélérations exponentielles. Ce kit de survie post-crash économique cristallise les prédispositions humaines à la spéculation, partout et de tous temps malgré les risques. FRANCIS PICABIA ET MAN RAY Quel meilleur reflet de la fièvre de la tulipe que celui proposé par la scène surréaliste, initiée dans la première moitié d’un 20e siècle ravagé par deux guerres mondiales ? Les scènes, illogiques, teintées d’anxiété, marquées par une perte évidente des repères, représentées par ces deux génies et acteurs majeurs du surréalisme que sont Picabia et Man Ray, expriment avec fidélité, à trois siècles de distance, le désarroi provoqué par la transformation de la société hollandaise au cœur-même de son Age d’Or. Elles viennent nous rappeler notre propension irrésistible à cultiver les fleurs du mal, de l’innocente tulipe au champignon atomique en passant par les Subprimes. |

208

Photos DR

un objet de spéculation, se retrouve ici dans l’opposition entre l’artificiel et le vivant.


MEA70th_UBATE_22.4x29.7_FR.pdf

1

5/22/15

9:55 AM




ELLES VOIENT VERT EN CES JOURS DE CÉLÉBRATION DU DESIGN À BEYROUTH, OÙ TOUT SEMBLE POSSIBLE EN MATIÈRE DE TRANSFORMATION D’OBJETS ET D’ESPACES, ATELIER HAMRA, AGENCE LIBANAISE DE LANDSCAPE ARCHITECTURE OU « PAYSAGE » PROPOSE UNE APPROCHE ALTERNATIVE DU DESIGN, MISSIONNAIRE ET RÉSOLUMENT INSCRITE SOUS LE SCEAU DE L’HUMILITÉ : TROUVER LE GÉNIE DU LIEU (GENIUS LOCI) POUR MIEUX LE RÉVÉLER ET PERMETTRE LE RETOUR DE LA NATURE DANS LA VILLE. Par C L A I R E A Z U É LO S

LE PAYSAGE, UN LUXE AU LIBAN L’Atelier Hamra, co-fondé en 2008 par l’architecte Maha Issa et la paysagiste Gamar Markarian, a pour métier la fabrique du paysage. “Le paysage est aujourd’hui un luxe au Liban alors qu’il devrait être un droit. Les habitants de Beyrouth doivent pouvoir accéder à des dizaines de jardins comme celui de Sanayeh» - déclarent-elles d’entrée de jeu. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le ratio de mètres carrés de verdure par habitant est de 0,8 mètres carrés à Beyrouth à l’heure actuelle tandis que L’Organisation Mondiale de la Santé recommande 12 mètres carrés par individu. Dans le même temps, les zones urbaines gagnent du terrain (650km2 en 1998 et a priori 885km2 en 2030). En 3 décennies, la population libanaise a augmenté de 150%. L’enjeu principal de ces designers est dès lors de sortir les espaces verts du domaine privé et de les développer. La majeure difficulté pour l’instant est que

la commande de projets provient essentiellement de la part de particuliers, donc relève du domaine de la propriété privée. Les jardins publics en ville sont très peu nombreux et il n’y a pas de politique municipale claire quant à la création de nouveaux parcs publics. La dimension sociale est d’emblée posée. ECOLOGIES URBAINES Diplômée de l’Ecole d’Architecture de Paris Villemin, Maha Issa a fait ses armes à l’Agence Ter (Paris), une référence mondiale dans le domaine du paysage. Sur place, les commandes émanent sans exception des autorités publiques pour des interventions en espaces publics. Le cahier des charges consiste généralement à bonifier des sites « difficiles » : espaces enclavés, résultant de constructions datant des années 1970, toutes en barres et en tours, ou banlieues marginalisées, parfois explosives. Le parc des Cormailles (Ivry les Cormailles),

212


Photos DR

Le Parc Eli Lotar (Aubervilliers), ou Le Parc Lucie Aubrac (Lilas), pour citer quelques exemples de chantiers de l’Agence Ter, ont ainsi contribué à améliorer les conditions de vie dans ces quartiers. Pour ces projets, les équipes de paysagistes bénéficient d’un recrutement pluridisciplinaire : leurs enjeux sont tant anthropologiques et sociologiques qu’artistiques. Diplômée de l’AUB, Gamar Markarian a fait ses études à l’Université Earth au Costa Rica où elle a développé une sensibilité aux enjeux de l’écologie, renforcée ensuite par un Master en Urban Ecologies à Parsons New York. Les deux jeunes femmes font équipe à l’AUB où elles co-dirigent depuis 2006 des studios de design au sein du département de Landscape Design and Ecosystem Management. Sur place, en 2011, elles proposent des ateliers en vue de créer un parc public, en collaboration avec la municipalité d’El Mina. Un concours d’étudiants est organisé et la municipalité retient 3 projets parmi la vingtaine proposée. LA FABRIQUE VERTE HAMRA Avec ses consultants en botanique, en écologie et en urbanisme, l’Atelier Hamra aménage le paysage et plante à longueur d’année. Il opère sur des échelles très variables. Les plus réduites - à partir de quelques mètres carrés - vont de l’aménagement de rez-de-chaussée, véritables “avancées” dans le public participant à la définition de la rue, aux aménagements de terrasses et balcons qui prolongent la verdure sur les facades. Les opérations peuvent aussi être extravagantes : jardins à même le ciel sur les toits de Beyrouth où la relation n’est plus avec les piétons mais avec l’horizon. A une autre échelle, des projets de complexes hôteliers comme celui, étoilé, du Kempinski Summerland, en cours de développement au Sud de Ramlet El-Bayda. La place emblématique qu’occupe l’ancien Summerland dans l’imaginaire de tout Beyrouthin a poussé Atelier Hamra à travailler sur ce projet malgré l’emplacement contesté du site en front de mer. Le design proposé est basé sur l’activité humaine potentielle : repos, marche, promenade, glisse. Ce processus a donné lieu à une complexité d’espaces : promenade en front de mer, jardin de tamaris, bungalows enfouis dans une végétation luxuriante, grotte au ciel étoilé. La collaboration avec un pépiniériste et un botaniste a permis de développer une palette de plantes pour le site, entre plantes endémiques et plantes adaptées et exotiques. Bizarrement, les premières sont plus difficiles à trouver localement, alors que les plantes exotiques,

plus commerciales, sont massivement accessibles. Autres interventions : le premier campus de l’école Wellspring à Mathaf, en collaboration avec Hala Chmaitely dont le design consiste à imbriquer les bâtiments de l’école avec les espaces verts du campus pour créer une école buissonnière. L’école-jardin intègre une vaste place minérale, lieu de récréation et de rassemblement pour tous les élèves. En 2013, pour le second campus a Ain El Remmaneh (City Center), Atelier Hamra a cette fois travaillé en étroite collaboration avec la municipalité pour formuler des scénarios d’intégration de l’école à son contexte urbain, par un jeu ingénieux d’ouvertures sur le quartier. Quel que soit le contexte dans lequel les projets s’inscrivent, ceux-ci sont travaillés avec un souci de développement durable, d’écologie et de sauvegarde de l’eau. DESIGN CITOYEN La capitale libanaise compte une vingtaine de jardins, toutes tailles et densités de verdure confondues, dont le plus vastement vert et planté de pins, Horsh Beyrouth, n’est pour l’instant, pas accessible au grand public. Par ailleurs, la spéculation immobilière rend presque impossible l’acquisition de terrains par la municipalité pour les transformer en jardins publics. Atelier Hamra imagine qu’un travail peut néanmoins être fait à l’échelle des quartiers. L’Atelier travaille sur une réappropriation possible des espaces résiduels aujourd’hui laissés pour compte. En imaginant un réseau de mini espaces verts, connectés par des cheminements piétons, l’idée serait de restituer la priorité au piéton dans une ville de plus en plus dédiée aux voitures. Ce projet ambitieux est en cours d’étude au sein de l’agence. De telles actions permettraient de consolider le tissu urbain et d’offrir différentes qualités d’espaces ouverts (publics et semi publics) que les habitants, notamment les enfants, pourraient s’approprier. D’autres initiatives citoyennes vont d’ailleurs dans ce sens : Le collectif Beirut Green Project vient d’organiser un pique-nique géant au Horsh et invite chaque année, via l’opération “Green your lunch break”, les Beyrouthins à aller déjeuner sur l’herbe, au début du printemps et de l’été, pour revendiquer l’espace public. Leur dernière initiative pour favoriser ces pauses vertes : des partenariats avec des lieux de restauration pour qu’ils livrent directement sur le tapis gazon la commande de midi aux intéressés. Vous voyez ce qu’il vous reste à faire. | http://www.atelierhamra.com

213


KRISTIAN & REBECA EN COUPLE DEPUIS 3 ANS

148 SAAD ZAGHLOUL STREET - DOWNTOWN BEIRUT



AVEDIS SEROPIAN, TIGRE ET DRAGON DEUX FOIS CHAMPION DU MONDE DE TAIJIQUAN, PSYCHOTHÉRAPEUTE ET PROFESSIONNEL DES ARTS MARTIAUX, AVEDIS SEROPIAN EST UN ATHLÈTE ACCOMPLI. A 33 ANS, CET AUTODIDACTE AUX TALENTS EXCEPTIONNELS ET FASCINÉ PAR LES CULTURES ASIATIQUES A FAIT DE SA VIE UNE PERPÉTUELLE QUÊTE SPIRITUELLE, MALGRÉ LE CHAOS DE SA VILLE NATALE. Par A N D R E A N E W I L L I A M S

A

vedis Seropian ne se prédestinait pas à une carrière dans les arts martiaux. Né dans le quartier populaire de Bourj Hammoud et descendant de survivants du génocide arménien, les cultures et les arts martiaux asiatiques étaient loin de faire partie des préoccupations quotidiennes de son entourage prolétaire. Amateur de films de Kung Fu dès son plus jeune âge, sa fascination pour les arts martiaux s’est cependant rapidement développée. C’est dans les années 1990 qu’avec quelques amis, le jeune prodige s’inscrit à son premier cours d’arts martiaux. Pour lui, c’est une révélation. « Je crois que j’ai été inspiré par des acteurs comme Bruce Lee et Jackie Chan. J’admirais leur liberté de mouvement, la façon et la facilité avec laquelle ils bougeaient. Cela m’inspire toujours d’ailleurs», explique d’emblée Avedis. Également passionné d’astronomie et en quête de spiritualité, Avedis s’est vite tourné vers le TaijiQuan, un art martial chinois traditionnel dérivé du Kung Fu et fondé sur une

gestuelle lente, ronde et harmonieuse. “J’ai toujours eu un grand intérêt pour l’ésotérisme. La méditation et l’intériorisation sont des choses auxquelles je me suis intéressé dès l’adolescence parce que, venant d’un milieu défavorisé, je voyais beaucoup de souffrance autour de moi », se souvient Avedis. «Le TaijiQuan est une combinaison d’ésotérisme et d’amour du mouvement. C’est à la fois une danse et un art martial. On y inclut aussi des éléments d’acrobatie et de combat », ajoute-t-il. Le manque de ressources et de professeurs qualifiés ont cependant forcé Avedis à se former seul. Lors des compétitions, il enregistre les performances de ses adversaires sur des cassettes VHS pour les analyser. “A l’époque, il n’y avait pas Youtube” lance-t-il. “Nous avions quelques instructeurs, mais ils n’avaient pas le niveau international. Ce que j’ai appris d’eux est un sens de la discipline. J’ai donc commencé à observer mes adversaires, lors des compétitions, pour essayer de faire la même chose”.

216


Photos DR

PHILOSOPHIE CHINOISE ET CULTURE LIBANAISE Aujourd’hui, Avedis Seropian partage son temps entre le TaijiQuan, l’enseignement de différentes formes de conditionnement physique et de la méditation ainsi que la psychothérapie. « Je voulais exercer une profession liée au milieu médical. J’ai fait deux ans de préparation pour l’école de médecine, mais je n’étais pas convaincu par les traitements pharmacologiques, c’est pourquoi j’ai décidé d’adopter une approche plus holistique », raconte-t-il. « Dans la culture chinoise, tous les éléments suivent une hiérarchie. Les hommes suivent la terre, la terre suit l’univers, etc. Tout est interconnecté et ne fait qu’un », ajoute-t-il. Cette philosophie de vie, Avedis s’est donné comme mission de la transmettre à ses élèves, de plus en plus nombreux au Liban. « Ce n’est pas une philosophie très compatible avec le rythme de vie de Beyrouth, mais de plus en plus de gens sont en quête de sens et recherchent ce genre d’enseignement. Quand je regarde les gens bouger, je me rends compte qu’ils manquent de coordination. Ils sont en mode automatique et

ne sont pas authentiques vis-à-vis d’ eux-mêmes. Ils veulent quelque chose, mais expriment ou font l’inverse, ce qui les fait souffrir. J’observe également beaucoup de symptômes névrotiques chez les Libanais. C’est peut-être dû à un stress post-traumatique lié à la guerre », explique-t-il. Pour se ressourcer, l’athlète aime d’ailleurs s’isoler dans la nature libanaise. « J’adore les cèdres du Barouk et le Sannine. J’y vais parfois pour camper. Je ne mange pas de viande, mais seulement parce que je n’en aime pas le goût. Pour ce qui est de la musique, j’adore la trance car j’ai besoin d’énergie. Je suis un acrobate après tout! », explique-t-il en riant. Malgré son emploi du temps surchargé – il donne jusqu’à huit cours par jour – Avedis se lance dans l’écriture de son premier livre; une fiction basée sur des évènements réels, sur le parcours d’un homme qui tente de se réconcilier avec les aspects sombres qui l’habitent et l’entourent. «Je crois que la vie n’a pas de sens si on ne partage pas ses connaissances avec les autres ». |

217



Camper Beirut souks, Souk El Tawileh Street, Beirut central district, Tel: 01 99 11 11 ext: 568 Beirut central district, Tel: 01 99 11 11 ext: 568 • Beirut City Center, Level 1, Hazmieh, T. 01 287 187 • CAMPER.COM


Les brigades du tigre Avec des prix de vente supérieurs à celui du kilo de cocAïne, le tigre est lA dernière mArotte en dAte des trAfiquAnts. le brAconnAge du félin prospère, et l’espèce est, plus que jAmAis, menAcée. Par H é l è n e B r u n e t- r i va i l lo n

Si la famille royale britannique s’est officiellement engagée, en décembre dernier, à retirer les trophées de chasse exposés au public au palais des Windsor de Sandringham, ce n’est pas juste pour moderniser le décor. Les espèces protégées figurant parmi ces bestioles empaillées finissaient par faire franchement tache, alors que le prince William combat le trafic d’animaux sauvages. Son ancêtre, le roi George V (petit-fils de la reine Victoria), féru de chasse et de safari, aurait notamment abattu 21 tigres en quelques jours, en Inde, en 1911. Le prince Philip (époux de la reine Elisabeth II), pourtant président honoraire du WWF (World Wide Fund), aurait lui-même tué l’un de ces félins. Des faits d’armes qui font grincer des dents, à l’heure où l’extinction du tigre est imminente, et où les réseaux criminels organisant ce trafic sont suspectés de contribuer au financement du terrorisme. Pendant des siècles, les hommes ont décimé le tigre pour se protéger. Historiquement, il est perçu comme une bête dangereuse. Puis, de la fin du xixe au début du xxe siècle, on le traque pour sa fourrure et pour le prestige de la chasse coloniale exotique. Il y a un siècle, on dénombrait 100 000 tigres à l’état sauvage dans le monde. Aujourd’hui, selon le WWF France, ils ne sont plus que 3 200. Quelque 20 000 tigres vivent en captivité (dont 5 000 aux USA), dans des zoos, des cirques, ou encore chez quelques milliardaires excentriques. Trois espèces de tigres – de Caspienne, Bali et Java – ont déjà disparu.

L’exploitation des forêts, la construction des villes et les activités minières ont détruit une grande partie de son habitat. L’animal est inscrit sur la liste des espèces en danger de l’UICN (Union nationale pour la conservation de la nature) et, depuis 1975, la Cities (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) a interdit le négoce de produits issus des tigres. LA CHINE ET LES ETATS-UNIS, SPoTS PrIVILéGIéS Car chez lui, comme dans le cochon, tout est bon ! Sa peau est le fétiche déco des nouvelles élites asiatiques, ses os entrent dans la fabrication de remèdes traditionnels (le fameux baume du tigre – dans sa composition originelle – qui soulagerait l’arthrose et aurait des vertus antiinflammatoires). on utilise ses griffes et ses dents pour faire baisser la fièvre ou stopper les insomnies ; on attribue à ses globes oculaires des pouvoirs contre l’épilepsie et le paludisme. Mêmes ses moustaches, son pénis et ses fœtus seraient miraculeux. résultat ? Le business du tigre est en hausse, la Chine et les Etats-Unis seraient les spots privilégiés. Avec des tarifs pouvant s’élever jusqu’à 70 000 dollars, la vente d’un tigre en « pièces détachées » sur le marché noir serait plus lucrative que le deal d’un kilo de cocaïne ! Pire, les bandes qui coordonnent ce juteux marché seraient impliquées dans le soutien de mouvements terroristes. Après l’or noir et l’or blanc, sommes-nous entrés dans l’ère de l’or à rayures ? |

220


JORDAN: CITY MALL +962 6 582 3724,KUWAIT: THE AVENUES MALL +965 2259 8016

TRUERELIGION.COM / WESTBROOK

#BESOBOLD

DUBAI: MALL OF EMIRATES +971 4 347 9333, DUBAI MALL +971 4 3306 442, MIRDIFF CITY CENTER +971 4 284 3007

AVAILABLE IN LEBANON: AÏSHTI DOWNTOWN, AÏSHTI SEASIDE, AÏSHTI VERDUN, AÏZONE BEIRUT SOUKS, AÏZONE ABC ASHRAFIEH, AÏZONE ABC DBAYE, AÏZONE CITY MALL

+961 1 991 111, BEIRUT CITY CENTER +961 1 287 187


COMMENT OUVRIR SON RESTAURANT ? VOUS RÊVEZ DE VOUS RÉINVENTER ? VOUS ÊTES CERTAIN QUE VOTRE CAVE À FROMAGES BIO VA CARTONNER ? QUE VOUS SAVEZ CUIRE LE STEAK À LA PERFECTION ? SACHEZ QU’EN MOYENNE, CHAQUE JOUR, DEUX RESTAURANTS FERMENT À PARIS… UN COLLÈGE DE CUISINIERS, DONT UN JOURNALISTE PASSÉ EN CUISINE (BRUNO VERJUS), ET UN ENTREPRENEUR-RESTAURATEUR, CRÉATEUR D’ADRESSES D’EXCEPTION (DAVID LANHER), UN CUISINIER AYANT ANTICIPÉ LA VOGUE DES ADRESSES MULTIPLES (MICHEL ROSTANG), UN EX-TOP CHEF (PIERRE SANG-BOYER), ET TROIS ÉTOILÉS (CYRIL LIGNAC, GUY SAVOY ET DAVID TOUTAIN), PARTAGENT LEURS CONSEILS POUR NE PAS SE RATER. Par B A P T I S T E P I É G A Y

Q

uand avez-vous ouvert votre premier restaurant ? Cyril Lignac (1 étoile, trois restaurants, deux boulangeries-pâtisseries) En 2005 Pierre Sang-Boyer (deux restaurants) En juin 2012. David Toutain (1 étoile, deux restaurants) Le 23 décembre 2013 dans le VIIe arrondissement. David Lanher (neuf restaurants) Le Café moderne, en septembre 2002. Bruno Verjus (un restaurant) Le 11 avril 2013. Michel Rostang (six restaurants) En 1978. Guy Savoy (4 étoiles, six restaurants, une boutique de brioches) En 1980, rue Duret, dans le XVIe. Qu’est-ce que ça vous a coûté ? Cyril Lignac Quand j’ai ouvert Le Quinzième, j’avais un associé, un financier, dont j’ai racheté les parts après trois ou quatre ans. Je ne pourrais pas donner un montant, je ne

me suis jamais trop occupé d’argent… Pierre Sang-Boyer 100 000 € pour reprendre le lieu, et deux ou trois fois ça investi dans les travaux. David Toutain De l’énergie, beaucoup de travail et d’enthousiasme. Bruno Verjus Une remise en question de mon mode de vie. Passer de client à cuisinier, me lever à 6 h pour me coucher à 2 h. Par chance, je vivais seul, sinon cela m’aurait sans doute coûté aussi ma vie sentimentale. David Lanher 350 000 €. Michel Rostang 30 000 € pour le fonds de commerce. Un crédit sur cinq ans. Et 20 000 € de travaux. Guy Savoy Je me souviens surtout du taux de mon prêt, dans les 12 % ou 13 %. Et que j’avais fait le minimum de travaux, selon mes moyens. Quelles erreurs avez-vous faites ? Cyril Lignac M’associer à un financier… Mais il m’a appris le business. J’ai payé pour mon apprentissage. Pierre Sang-Boyer Dans la sélection du matériel. J’avais fait confiance à des jeunes pour refaire le lieu, ce qui m’a coûté cher et m’a obligé à faire des choix…

222


Photos DR

David Toutain Je ne me suis pas fait assez confiance à certains moments. Bruno Verjus Avoir pris un consultant pour déterminer les besoins du restaurant. J’ai vite transformé cette erreur en gains, et fait exactement le contraire de ce qu’il me recommandait. J’ai gagné pas mal de temps et d’argent. Puis je l’ai remercié ! David Lanher Croire que les gens allaient venir de suite. Ça a pris un peu de temps avant de se faire connaître. À quoi sert vraiment la presse ? Cyril Lignac C’est primordial, elle donne le premier souffle. Après, c’est au chef d’enchaîner. Pierre Sang-Boyer Il faut que tout soit absolument calé lorsqu’elle vient… Ensuite, le plus important, c’est de fidéliser la clientèle, d’où mon idée de faire des menus qui changent tous les jours, avec des formules à 6 plats pour 39 €. David Toutain La presse sert à se faire connaître bien sûr, mais, avec Internet et les réseaux sociaux, les informations circulent beaucoup plus vite aujourd’hui. Les réseaux sociaux sont également devenus de puissants modes de communication. Le journaliste professionnel reste

néanmoins une référence et permet souvent d’aller plus loin, d’approfondir le propos au-delà de l’expérience subjective du repas. Bruno Verjus À débouler chez vous le jour de l’ouverture au premier service de midi. Puis rendre un avis définitif pour une longue année… À vous envoyer des foodies « newopening restaurant fuckers » qui rendront eux aussi leur avis définitif. Bref, la presse doit vous servir à devenir autiste. David Lanher À remplir le restaurant. Michel Rostang C’est sûr qu’elle est importante. Mais ça a beaucoup changé depuis mes débuts : à l’époque, il y avait moins de critiques et, parmi eux, quelques-uns étaient plus importants que d’autres, et leur avis comptait vraiment. Guy Savoy À l’époque de mon ouverture, Philippe Couderc tenait une chronique gastronomique sur France Inter. Une demi-heure après son intervention, j’étais complet… À quoi faut-il absolument penser avant d’ouvrir ? Pierre Sang-Boyer Que l’aspect financier, ainsi que la gestion des ressources humaines, d’une équipe sont essentiels. La confiance en ceux avec qui l’on travaille est importante.

223


Sans la dimension humaine, ça ne peut pas marcher. Bruno Verjus D’abord penser, ce qui n’est pas si simple quand on dort aussi peu et que l’on est sollicité en permanence par des milliers de détails à régler. Penser à tout, même à ce à quoi l’on ne peut penser. Penser à soi aussi, se préserver et rester dans la totale sincérité avec son projet. David Lanher A la qualité, toujours ! Michel Rostang Il faut surtout savoir que faire la cuisine chez soi ou pour 40 ou 50 personnes, ce n’est pas la même chose. Qu’il faut apprendre à gérer : entre 1978 et aujourd’hui, le temps que j’y consacre est passé de 1/10e de mon temps à 50 %. Lorsque je rencontre quelqu’un qui veut monter son restaurant, je lui présente d’abord mon expert-comptable et lui demande s’il sait faire un prix de revient. Il faut apprendre à acheter, à cuisiner et à vendre. Bien acheter, c’est la première étape pour bien gérer. Si je devais changer de métier, je ferais un apprentissage. Et aujourd’hui, les écoles de cuisine proposent des cours pratiques et théoriques. Guy Savoy Il faut avoir le feu sacré, être animé par la passion, et aussi être insouciant. J’ai comblé mes lacunes par une débauche d’énergie, je passais mes nuits à Rungis, pour avoir les meilleurs produits au meilleur prix. Le plus beau compliment que j’ai reçu venait de mon maître Jean

Troisgros, de Roanne : il m’avait félicité pour la taille de mes langoustines… Si nous n’avez pas de convives, savoir gérer un restaurant ne sert à rien. Faire un bon dîner pour quatre personnes et rivaliser avec un chef étoilé est à la portée de tout le monde. Mais le faire pour 40, deux fois par jour, en satisfaisant chaque personne, non. Le plus dur, c’est la première année ou celle d’après ? Cyril Lignac C’est aussi durer. Il y a plein d’ouvertures, mais aussi de fermetures. Il faut fidéliser le client qui vient une première fois par curiosité. Pierre Sang-Boyer La première année, on bosse 100 heures par semaine, sans trop de moyens humains, et on ne gagne pas d’argent. La restauration est l’un des seuls secteurs où tu peux arriver sans avoir passé d’examen. S’y lancer sans expérience, c’est de la folie. David Toutain Le long terme, la constance, ne jamais s’arrêter d’imaginer, perfectionner et développer. Bruno Verjus C’est tous les jours. Il n’y a aucune règle sur la fréquentation d’un restaurant, sinon celle de faire bon et sincère deux fois par jour. David Lanher Celle d’après. Michel Rostang Le paysage a beaucoup changé : en 1978, ce qui comptait, c’était seulement de bien faire la cuisine. Il suffisait alors d’allumer la lumière, et les clients venaient.

2 24


Photos DR

Aujourd’hui, il y a bien plus de concurrence. Comment choisir le quartier où l’on ouvre ? Cyril Lignac Le Quinzième est un peu excentré, mais comme l’était La Régalade d’Yves Camdeborde et de Bruno Doucet aujourd’hui, qui est tout au fond du XIVe, et qui ne désemplit pas. Ce n’est pas pour ça que les gens ne reviennent pas. C’est important de faire en fonction de son budget et de croire en un lieu. David Toutain Il n’y a pas de règle stricte, ce n’est pas noir ou blanc. A chacun sa cuisine, à chaque cuisine sa clientèle. J’ai choisi le VIIe arrondissement car j’y vivais et j’y étais depuis longtemps très attaché. J’ai fait un choix affectif. Il se trouve que c’est également un quartier central, touristique, proche de nombreuses entreprises et institutions. C’était un bon compromis. Bruno Verjus Un quartier avec un bon environnement de bureaux, une bonne clientèle résidente et un quartier touristique. Vous l’avez compris, il n’y en a pas des dizaines… David Lanher Selon les affinités, les connaissances et les opportunités. L’idéal, c’est un quartier de bureau pour remplir le midi. Le soir, les gens se déplacent. Michel Rostang Il faut surtout adapter l’affaire que l’on monte au quartier, se mettre en phase avec ceux qui l’habitent. On

n’ouvre pas un gastronomique à La Courneuve. Guy Savoy Je ne sais pas quelle importance donner au contexte : lorsque j’ai repris Le Chiberta, qui se situe à deux pas des Champs-Elysées, il était en faillite. Faut-il encore faire des adresses thématiques, conceptuelles ou monoproduit ? Cyril Lignac J’ai peur du monoproduit, mais la réalité me donne tort ! Pierre Sang-Boyer Ce qui compte, c’est la personnalité, l’expérience, l’histoire que tu racontes. Bruno Verjus La segmentation fractionne la clientèle pour profiter d’un effet de mode, il faut se méfier des modes. Un restaurant n’est pas une boutique de téléphonie ou de cigarettes. David Lanher Par expérience je trouve que cela finit toujours par s’essouffler. Moi, je ne le ferai jamais, mais ça n’engage que moi. Michel Rostang Je ne crois pas trop au monoproduit. Il faut savoir offrir un choix. Guy Savoy Aujourd’hui, Paris s’est anglo-saxonnisé, nous sommes sortis du cadre du repas français traditionnel. On peut avoir aussi bien envie d’un restaurant comme celui que j’ai créé, L’Huîtrade, où l’on ne sert que des huîtres, que d’une soirée gastronomique. |

225


COMMENT J ’AI MANGÉ MELBOURNE C’EST LE NOUVEAU FAR EAST. LA VÉRITABLE CAPITALE AUSTRALIENNE A BEAU ÊTRE À PRÈS DE 17 000 KM  DE  CHEZ  NOUS, LES PRÉTEXTES  NE  MANQUENT  PAS POUR  S’Y  RENDRE.  SURTOUT QU’EN  MATIÈRE  DE  LIFESTYLE,  DE  FOOD  ET  DE  FUN,  LA  VILLE  SAIT  DE  QUOI  ELLE  PARLE. Par AY M E R I C M A N TO UX | Photographie S H A RY N K A I R N S

226


P

as la peine d’espérer voir des kangourous entre l’aéroport et le centre-ville, il n’y en a pas. Le premier que j’ai vu figurait à la carte d’un restaurant espagnol branché, Movida, en plein cœur d’un quartier de bureaux pas spécialement excitant, sous l’appellation “Carpaccio de wallaby”. Tout juste descendu de l’avion et décidé à en découdre avec la cuisine australienne, j’apprends que ce plat est servi ici, et qu’il est de saison. Banco. Le wallaby (de Tasmanie) est un animal sauvage, chassé comme n’importe quel gibier en Europe. Allez, si l’idée de manger toute crue l’une de ces adorables bestioles qui vous rappellent les peluches de votre enfance vous rebute, vous pourrez toujours vous consoler en vous disant que prélever la faune locale est meilleur pour l’environnement que faire venir d’autres espèces animales du bout du monde. On se rassure comme on peut. J’étais, quoi qu’il en soit, curieux de voir en quoi la viande est différente du kangourou cuit. D’apparence, l’assiette ressemblait à du bœuf, en moins rouge. La viande a un goût de noisette et sa chair est délicate, ça valait le coup d’essayer. Mais en matière de foodies, la table à ne pas rater ici, c’est Attica, dont le chef australien, Ben Shewry, est le seul à figurer au palmarès des 50 meilleurs du monde. De l’avis des autochtones, c’est la meilleure table du continent ! La preuve, la liste d’attente chaque soir. Ben Shewry n’a pas choisi Melbourne par hasard. Labo de la food bout-du-mondesque, Attica est un concentré d’innovation, mais demeure inspiré par la nature incroyable qui l’entoure. Installé dans les faubourgs éloignés de la ville, sa cuisine éclectique, technique, Shewry l’élabore en bon locavore à partir des produits qu’il ramasse lui-même le matin dans la péninsule de Bellarine. Le menu dégustation à 190 dollars australiens (env. 130 euros) permet de goûter le merlan au myrte et à la chair d’huître perlière, une salade de concombre, kangourou rouge, porc et oignon. Le prédessert, un cône de glace, est élaboré à partir du jardin d’herbes qui a été aménagé derrière, sur un ancien parking. Ferran Adrià, qui est passé il y a quelques mois, a adoré. David Chang, le chef propriétaire du groupe Momofuku, aussi. Même si, à Melbourne, ce dernier voue (pas si) secrètement une passion à Dainty Sichuan, une table very very spicy qui tient le haut du pavé depuis plusieurs années. C’est sa cantine préférée en ville, et, au moins, l’enseigne n’est pas trompeuse. En plein CBD (Central Business District), ses plats particulièrement aromatisés (concombre à l’ail, agneau au cumin) ou exotiques (fourmis grimpant à l’arbre, poisson fourré à l’aubergine, poulet Kung Pao) défilent sur la table pour le plus grand bonheur des amateurs de cuisine sichuanaise. Seul bémol, de mauvais retours après la récente rénovation de l’hiver. Ce n’est pas grave, de toute façon le dernier hot spot in town

c’est Dan Hunter, qui vient d’ouvrir sur les contreforts des Otways, à une bonne heure et demie de route de Melbourne. Brae, c’est son nom, possède surtout suffisamment de terrain pour permettre à Hunter, passé chez Mugaritz au Pays basque, de cultiver ses propres fruits, légumes et herbes. Dehors, ça a l’apparence d’une ferme typique des environs. À l’intérieur, c’est contemporain, épuré, en bois foncé et fer forgé. Aux murs, des œuvres d’art des meilleurs artistes de tout Victoria. Dans l’assiette le menu change tous les jours : filet de bœuf au poivre local, kangourou au myrte citronné (décidément !), bœuf wagyu à la laitue grillée, radis braisé et canard, dessert à base de panais et pomme. La cuisine de Hunter est plus relax qu’avant. Il lui arrive de cuisiner à l’ancienne avec du feu de bois et de la fumée, dans un ancien four à pain. On y retrouve sa signature, les couches de saveurs, mais c’est plus subtil et plus vrai aussi. Un côté régional, terrien, presque tellurique. Malgré l’aspect ultra-contemporain du CBD et ses buildings de verre et d’acier qui bordent la Yarra river, poumon de Melbourne, on retrouve cet esprit au Victoria Queen Market, sorte de pendant local des Halles version Baltard. Ici, la grande épicerie est en plein air. Ces halles aux viandes, aux poissons, ces palanquées de fromagers italiens et de traiteurs, ces vieilles halles de 130 ans sont un Landmark très apprécié des habitants, y compris pour des sorties nocturnes, avec son lot de food trucks qui préparent des spécialités introuvables ailleurs, comme les moules de la baie, géantes ! Personne ne sait vraiment si c’est parce que l’Australie a été séparée du reste du monde il y a plusieurs millions d’années, mais 80 % de ce qu’on mange ici est 100 % original. Le minikangourou passé à la casserole est un bon exemple, mais ce n’est pas le seul. Sur les étals des poissons, le bay bug, un crustacé qui ressemble à un cafard géant, mais qui est meilleur que du homard, a la préférence des foodingues. Il est excellent en risotto, comme son congénère à carapace. Et encore, on ne compte pas les produits venus du monde entier comme ces étonnantes pommes chinoises au furieux air de molaires de dinosaures. D’ailleurs, Melbourne compte, entre restaurants grecs, italiens, chinois et français, l’une des cuisines les plus variées de la planète. Comme Cookie, d’inspiration thaïe fusion, incontestablement l’une des bonnes tables du moment. Pour un brunch, pas gastro (mais presque) et euphorisant en tout cas, il faudra courir à l’autre bout de la ville, au bord de l’eau, à The Little French Deli, tenu par un Français des plus cool, Romain, à Chelsea, en banlieue. “Worth the detour”, comme on dit ici. Lui, installé depuis quatre ans, est l’incarnation du rêve australien. On vient de loin dans sa petite maison dont l’arrière-cour, transformée en terrasse pour le brunch,

2 27


228


donne sur une grande et belle plage sauvage. Romain fume son propre saumon et fournit les tables les plus chics de Melbourne. Il n’y a pas que les brunchs qui soient meilleurs qu’à Paris ici, les cafés également. “Long black no sugar” ou “Cappuccino two sugars”, une chose est sûre, pas de café chaussette ici, ni de ristretto amer. Même Nespresso ou Starbucks n’ont jamais pu s’installer, tant la culture du “cahoua” est forte ici. Les plus hypsters des barristas, avec force barbe et tatouages vont même jusqu’à chercher leurs propres grains au Timor ou en Indonésie, à commander leurs mélanges et leur toastage. Mais, bien sûr, tout cela ne serait rien sans les vins australiens qui coulent à flots et mettraient quotidiennement à mal la réputation (et le rapport qualité/prix local) des crus frenchy si les meilleurs d’entre eux n’étaient pas de chez nous ! Ainsi, Dominique Portet fait un excellent pinot noir à 30 minutes du centre-ville dans la Yarra valley, l’une des régions viticoles les plus réputées du pays. Dans son wine loft au style provençal 2.0, on vient entre amis profiter de la musique et des crus locaux. On est loin des piquettes des débuts. La plupart des propriétés proposent dégustation de vins et tables réputées au milieu des vignes. Les vignobles s’enchaînent, et, entre pinot noir et chardonnay, mon cœur balance toujours… DÉJEUNER, DÎNER Attica : 74 Glen Eira Road, Ripponlea Vic. 3185, tél. +61 3 9530 0111. Brae : 4285 Cape Otway Road, Birregurra Vic. 3242, tél. +61 3 5236 2226. Cookie : 252 Swanston Street, Melbourne Vic. 3000, tél. +61 3 9663 7660. Cutler & Co (Richmond) : 55-57 Gertrude St, Fitzroy Vic. 3065, tél. +61 3 9419 4888. Dainty Sichuan : 176 Toorak Road, South Yarra Vic. 3141, tél. +61 3 9078 1686. Gazi : 2 Exhibition Street, Melbourne Vic. 3000, tél. +61 3 9207 7444, gazirestaurant.com.au Huxtaburger : 106 Smith St, Collingwood Vic. 3066, tél. +61 3 9417 6328, huxtaburger.com Jimmy Grants : 113 Saint David St, Fitzroy Vic. 3065, jimmygrants.com.au Moon Under Water : 211 Gertrude St, Fitzroy Vic. 3065, tél. +61 3 9417 7700. Movida : Lvl 1, 500 Bourke Street, NAB building Vic. 3000, tél. +61 3 9663 3038, www.movida.com.au Supernormal : 180 Flinders Lane, Melbourne Vic. 3000, tél. +61 3 9650 8688, supernormal.net.au The Little French Deli : 524 Nepean Highway, Bonbeach Vic. 3196, tél. +61 3 9776 0855, thelittlefrenchdeli.com The Town Mouse : 312 Drummond Street, Carlton Vic. 3053,

tél. +61 3 9347 3312, thetownmouse.com.au UN HÔTEL Park Hyatt Melbourne : 1 Parliament Place, East Melbourne Vic. 3002, tél. +61 3 9224 1234. UN MARCHÉ Queen Victoria Market : Corner of Victoria Street and Elizabeth Street, Melbourne Vic. 3000, tél. +61 3 9320 5822, qvm.com.au UN BURGER Andrew’Burger : 144 Bridport Street, Albert Park Vic. 3206, tél. +61 3 9690 2126. UNE GLACE Jock’s Ice Cream & Sorbets : 83 Victoria Ave, Albert Park Vic. 3206, tél. +61 3 9686 3838. UN FILM Point Break, de Kathryn Bigelow, dont la scène finale se déroule à Bells Beach, à une heure de route de Melbourne. La plage est utilisée chaque année pour les mondiaux de surf. UN MP3 Sweet About Me, de Gabriella Cilmi. En 2008, une jeune chanteuse de 16 ans, originaire de Melbourne, cartonne avec ce tube mondial. Six ans après, elle est presque devenue une diva. UN GUIDE Melbourne Precincts, de Dale Campisi, éditions Explore Australia, 245 p., 39 $AU. Un répertoire des meilleures adresses agrémenté de commentaires courts, percutants, et d’une icono contemporaine, très graphique. UN LIVRE Nos voisins du dessous, Chroniques australiennes, de Bill Bryson, Petite Bibliothèque Payot, 451 p., 9 €. Plus qu’un récit de voyage, un livre savoureux bourré d’humour sur le pays des drag-queens, des surfers et des kangourous. Sans aucun doute le bouquin le mieux renseigné sur l’Australie. PLUS D’INFOS Passeport : en cours de validité. Visa : payant, indispensable et disponible en ligne. Monnaie : le dollar australien (1 $AU = 0,70 €). Courant électrique : 220 volts, mais adaptateur local nécessaire. |

229




LA VILLE, VASTE SCÈNE POUR SA 13E ÉDITION, LA QUADRIENNALE DE PRAGUE, ÉVÉNEMENT INTERNATIONAL AUTOUR DE LA SCÉNOGRAPHIE, ACCUEILLE DES ŒUVRES ET DES ARTISTES DE 64 PAYS, Y COMPRIS LE LIBAN. ENTRE DESIGN ET ARCHITECTURE SCÉNIQUE, COSTUMES, SON ET LUMIÈRES, PERFORMANCES URBAINES ET AUTRES, PRAGUE SE TRANSFORME, DU 18 AU 28 JUIN 2015 EN UNE VASTE SCÈNE À CIEL OUVERT. COMMISSIONNÉ PAR HADI DAMIEN, CURATEUR DE LA PARTICIPATION LIBANAISE, LE JEUNE BINÔME D’ARCHITECTES GHAITH ET JAD Y PROPOSE PLUSIEURS INSTALLATIONS QUI ONT RETENU NOTRE ATTENTION.

A

Par F. A . D

u cœur de l’ancienne église gothique Sainte Anne, convertie en imprimerie, dépôt de papier et service postal sous l’Empire austrohongrois et siège, depuis 2004, de la fondation Vize 97 créée par Vaclav Havel, le Liban présente, sur 28m2, une installation interactive, entre photos et gravures, des principaux travaux scéniques réalisés sur ses planches, cette année. Dans l’incontournable maison de Kafka, à la périphérie de l’ancien ghetto juif de la ville, sont réunies sur 18m2 des photos des meilleurs spectacles universitaires donnés par l’ALBA, l’USJ, l’USEK l’AUB, la LU, la LAU, la NDU, Kafa’at et d’autres. Dans la section « Tribes » Hadi Damien y va de son propre écot avec des costumes de scène spectaculaires qu’il a imaginés sous le titre « Lay within ». Drapés dans des arums géants dont l’intérieur est tapissé d’une surface réfléchissante, les quatre membres de sa « tribu » déambuleront dans la ville sur un parcours de 40 minutes, invitant le monde environnant dans leurs réflexions intimes par le biais des miroirs qui les enveloppent.

Autre idée de Hadi Damien, sous le titre « Send down the basket », un panier géant attaché à une corde est lâché du haut de la tour du pont Charles , sur le coup de 14h annoncé par les clairons. Ce geste rappelle celui, ancestral, des ménagères libanaises qui envoyaient ainsi leur panier au passage des marchands ambulants, à charge pour ces derniers d’y déposer la commande et prendre leur monnaie. Dans le cadre d’une performance autour de l’aliment, Miriane Zgheib présentera un design de pain libanais conçu en hexagone pour se casser exactement en son tiers, rappelant que le fattouche, l’une des plus célèbres salades de la gastronomie libanaise après le taboulé, comprend 1 tiers de pain pour deux tiers de verdures. Enfin, au palais Clam-Gallas, Cyrille Najjar présente sous le titre « The Black Box, if buildings could speak », une expérience sonore qui transforme une pièce en caisse de résonnance, interrogeant ainsi les bruits de la ville et des bâtiments. GHAITH & JAD : MUSIQUE, POLITIQUE ET CLIMAT Avec l’aide de Cornelia Krafft et Arine Aprahamian,

232


Photos DR

Ghaith Abi Ghanem et Jad Melki ont réalisé une installation sensorielle sous le vocable « Undo-Lation », un jeu de mot entre « onduler » et « délier ». Il s’agit de 24 hémisphères de ciment légèrement creusés. Les uns contiennent du sel, d’autres de l’encens, d’autres encore recèlent des miroirs. Ensemble, ils forment un petit jardin, un paysage de poche. Le moindre mouvement des visiteurs les fait basculer. Dans leur balancement, ils produisent un bruit de ressac ou de pluie. Le sel et l’encens, deux matières organiques. L’une est essentielle à la vie organique, l’autre exprime la dimension spirituelle. Quand le mouvement des contenants fait refluer les grains, on découvre des écritures et des visuels qu’ils voilent. Les demi-sphères qui contiennent des miroirs reflètent le plafond et les visages de ceux qui se penchent. Autant de supports de méditation sur l’être au monde, la relation de l’homme à la nature, les échanges entre les pays. UN LABYRINTHE Dans l’incontournable maison de Kafka, c’est encore

Gaith et Jad qui font l’événement avec un labyrinthe également sensoriel, baptisé « A trail of ten », comprenant trois entrées et un petit parcours cloisonné par dix panneaux. Quiconque choisira de s’y perdre un moment sera surpris, tantôt par une petite fenêtre lui révélant une présence, ou le frottement et le parfum d’un monticule de copeaux de bois de cèdre. La vision minimaliste et urbaine d’une promenade en forêt. TEXTURES URBAINES Dans le cadre du projet « Mood to matter » où l’on donne les villes à ressentir à travers du matériel visuel, sonore ou olfactif, Ghaith et Jad ont imaginé emporter des moulages de murs, des enregistrements de bruits caractéristiques des rues de Beyrouth, des photos, bien sûr, mais de perspectives particulières, celles notamment où l’on voit des maisons traditionnelles se refléter dans les façades des gratte-ciels de nouvelle génération. La peau de la ville, en quelque sorte, et le projet prévoit qu’en retour, nous renvoyions la politesse à Prague qui proposera le grain de ses murs aux caresses des Libanais. |

233


1

2

4

3

3

5

6 8

7 10

9

234


13 KG JUSTE CE QU’IL FAUT A CHAQUE HOMME, SA VALISE. AVEC SES HAUTS ET SES BAS. SES ESSENTIELS ET SON SUPERFLU. LE RÉSUMÉ DE TOUTE UNE VIE. COMME UNE CARTE DE VISITE, MAIS EN SURDIMENSIONNÉ. Par F. A . D | Réalisation M I N JA E L- H AG E | Photos R AYA FA R H AT

16 17

15

11

14

13

1.Valise, Tumi 2. T.shirt en coton, Burberry 3. Ceinture, Zegna 4. Foulard imprimé, Etro 5. Chemise en laine, Corneliani ID 6. Chapeau fedora en paille, Gucci 7. Short, La Martina 8. Bracelet, Tateossian 9. Portefeuille en cuir Saffiano, Prada 10. Lunettes de soleil, Kris Van Assche 11. Mocassins, Dolce & Gabbana 12. Pull en Maille, The Kooples

12

235

13. Haut-parleur portable, Tumi 14. Seaside style, Taschen 15. Cravatte, Hermès 16. Maillot, Burberry 17. T.shirt, Zadig & Voltaire



DETROIT REVIVAL SI CHÔMAGE ET CRISE ENDÉMIQUE ILLUSTRENT UNE SOIF D’ENTREPRENDRE PEU COMMUNE. AUJOURD’HUI OBSÉDÉE PAR LA RÉUSSITE ENTEND MÊME INCARNER LE RENOUVEAU MADE

SON CÔTÉ FACE, SON CÔTÉ PILE REFLÈTE RETOUR DANS LA VILLE INDUSTRIELLE ET L’UNDERGROUND. L’EX-MOTOR TOWN IN USA, ET EN MUSIQUE S’IL VOUS PLAÎT.

Par A N D R E A N E W I L L I A M S

D

Photos DR

ifficile d’imaginer qu’au 5e étage de cet immeuble Arts déco, qui servit de centre de recherche et développement pour General Motors, en plein cœur de Detroit, se cache désormais la dernière manufacture horlogère américaine. Fondée il y a à peine deux ans par Tom Kartsotis, l’ancien créateur du groupe horloger Fossil, l’entreprise Shinola est pourtant bel et bien là. Lumineux avec ses grandes baies vitrées et son sol en béton ciré, l’étage est calme, quoi que plein comme un œuf. Bureaux de style, de création, salles blanches où s’affairent plusieurs dizaines d’ouvriers vêtus de combinaisons de laboratoire, charlottes et gants, c’est une véritable ruche où chacun est à sa place. Derrière leurs établis, tout comme dans la vallée de Joux, en Suisse, les employés manient des outils minuscules et des pièces qui ne le sont pas moins. Chaque semaine, de nouvelles recrues arrivent, si bien que l’effectif global de Shinola va prochainement passer la barre des trois cents. Cette jeune start up est le symbole, l’expression même du renouveau de la ville qui attire créatifs, artistes et entrepreneurs de toute la côte est. Chaque jour, une marque de jeans, une galerie d’art, un café trendy ou une marque de jus de fruits bio et cool apparaissent. Des immeubles en ruines, qui ont fait les unes de tous les journaux du monde entier et qui ont failli disparaître, sont rachetés et transformés. Ils deviennent le fer de lance du renouveau du design “made in America”. Et certains labels de Detroit se paient même le luxe de proposer des gammes de produits à l’ancienne : savons, vélos, accessoires en cuir, boissons. Ils s’arrachent dans le monde entier comme les ittrucs à la mode, d’autant plus recherchés qu’ils reprennent des codes esthétiques iconiques de l’Amérique conquérante. Un look vintage qui puise dans les années 1950 et 60, âge d’or de la ville qui a vu la moitié de la production automobile mondiale sortir de ses ateliers devenus des lofts pour publicitaires et directeurs artistiques. Surtout, la ville s’est imposée

rapidement auprès des trend-setters et des arbitres du style aux États-Unis, une fois passée la crise des subprimes de 2008. Les collections pleines de bruit et de fureur des jeunes créateurs et artistes qui peuplent le downtown Detroit ont été conçues comme un plaidoyer pour la liberté. Les plus grands mannequins, acteurs, chanteurs s’engagent pour la ville, pour ses talents et acceptent d’y travailler ou d’y être associés pour rien (ou presque). “Les plus grands magazines américains, les meilleurs stylistes, Mr Porter et les célébrités organisent des événements chez nous et viennent dans les showrooms des marques de la ville”, confie un proche de la mairie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’ancien président Clinton a récemment visité les locaux de Shinola, l’une des rares entreprises industrielles à avoir émergé des décombres encore fumants d’une Detroit ruinée, comme abandonnée par les dieux, et en tout cas brisée par les crises successives. Car cette ville, c’est plus qu’une affaire de style. Aux États-Unis, on ne plaisante pas avec le nationalisme ni avec l’économie. D’autant plus que, depuis les années 1960, la population de Detroit a chuté de 2,5 millions à 650 000. Jadis, les constructeurs automobiles faisaient la réputation et la richesse de la capitale du Michigan. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant que Barack Obama lui-même se saisisse de la renaissance de la ville, quoi qu’encore modeste, pour l’ériger en symbole d’une Amérique capable, tel le Phénix, de renaître de ses cendres. En quelques mois, Détroit est devenue le symbole de la résistance nationale à l’inéluctable mondialisation qui délocalise toute production en Chine et écrase tout. Les chefs locavores reprennent du poil de la bête, revoient leurs ambitions de rentabilité à la baisse, rivalisent de créativité pour inscrire leur table sur la nouvelle carte de la cuisine américaine, ou leur bar écolo. “Tous nos produits sont fabriqués aux ÉtatsUnis, essentiellement à Detroit”, explique Trish, la responsable des relations publiques d’un bar branché du centre de la ville. Même les boîtes d’allumettes sont élaborées par une

2 37


entreprise locale. On comprend que le message porte. Surtout quand on se promène dans Downtown Detroit déserté, dans un silence absolu. Les vitrines des magasins sont brisées ou recouvertes de panneaux de bois, des immeubles entiers sont vides. Des herbes folles poussent sur les trottoirs, des arbres sur les toits. C’est Waterloo morne plaine. Gotham City avec ses impressionnantes tours 1900 en briques, abandonnées aux pigeons. “To let”, dit un panneau. “For sale”, indique un autre. “Forclosure”. Il n’y a guère que quelques pâtés de maisons rénovés et le centre-ville autour du stade des Tigers, le club de football américain local, qui soient préservés. Pourtant, c’est le riche passé industriel de la ville et ses loyers peu onéreux qui ont attiré les fondateurs de start up comme Tom. “Plus qu’une marque, Detroit est un style de vie”, assure-t-il. Car Detroit dispose d’une énergie inépuisable. À l’image de la bande originale de la Motown et de son célèbre studio A qui a vu passer Diana Ross ou les Supremes, et de leurs airs populaires qui ont accompagné son odyssée industrielle. Aujourd’hui encore, toutes sortes de mélodies sont des marqueurs identitaires de la ville comme Eminem et son 8 mile, du nom de la frontière qui séparait les quartiers blanc et noir. Sans compter les déclarations musicales de rockers ou de hip-hoppeurs qui ont chanté ici ou là leur passion pour Detroit, au même titre que Johnny célébrait Cadillac. La ville entretient une relation émotionnelle avec l’automobile, d’où son surnom de “Motor City”, mais elle ne devra peut-être son salut qu’à la musique et à la mode. Depuis deux ans, les jeunes et les start up des industries

créatives, attirés par les faibles loyers, réinvestissent la ville. Certaines boutiques branchées réalisent 30 000 dollars de chiffre d’affaires par jour. Il y a de l’argent à Detroit. Il y a Ford, Chrysler et GM, sans oublier quelques autres grosses compagnies. Tout avait fermé avec la crise, les premiers à revenir font donc tinter le tiroir-caisse. Dans le centre-ville, sur West Milwaukee avenue, l’immeuble Argonaut, landmark historique de la ville, qui fut entre 1936 et 1956 le laboratoire de recherche de General Motors, incarne ce renouveau du haut de ses onze étages. Aujourd’hui propriété du College of Creative Arts, cet immeuble qui vit fabriquer la première transmission automatique, ou encore des avions de chasse, accueille des sièges d’entreprises, des bureaux et des ateliers. L’idée d’y implanter de nouveaux business est un coup de génie. Car en visitant cet immeuble on ne peut qu’être convaincu que surfer sur l’histoire manufacturière de Detroit peut permettre d’orchestrer le retour d’industries disparues ou parties à l’étranger. Parmi les projets locaux du moment, des jeans, des chaussures, ou encore du mobilier. L’idée des pionniers ? Créer un cercle vertueux et susciter des vocations. En plus des usines, les nouvelles marques locales contribuent à revitaliser certains quartiers de la ville comme un trottoir abandonné de Old Class Corridor, un endroit jusquelà réputé pour ses dealers et ses prostituées. Aujourd’hui, le quartier revit, un excellent restaurant de tapas y fait le plein et de nombreux business s’y sont implantés. Non loin,

238


le Detroit Art Center déborde d’énergie, de concerts et d’expositions. L’effet multiplicateur fonctionne : pas moins de vingt commerces et une brasserie s’y épanouissent déjà. Le bourgeonnement de la jeunesse arty agit comme un aimant, y compris sur les affaires. “Nous savons que cette ville a un avenir, assure Steve Bock, le CEO de Bedrock. C’est important pour notre modèle économique.” Un jour, assurent les publicités grinçantes de la ville, on appellera Genève la Detroit suisse.

Photos DR

DORMIR The Towndsend Hotel Bon, autant le dire tout de suite, ce n’est pas le plus bel hôtel de la Terre. Mais c’est le must “in town”. Très bien situé et confortable ce qu’il faut. La preuve, toutes les célébrités qui viennent à se trouver en ville y descendent. Sans doute pour les draps en coton d’Égypte, les couettes italiennes en duvet et les salles de bains en marbre, plus que pour la déco et le service. Mais on doit être mal habitués ! À défaut, plein de belles choses à 30 minutes de voiture. À vous de voir… 100 Townsend St. Birmingham. Tél. +1 212 248 642 7900. townsendhotel.com. DÉJEUNER, DÎNER Slows BAR-B-Q Un des meilleurs établissements de tout l’État pour les ribs. Ultra-ricain, ultra-branché aussi. 138 Michigan Ave. Tél. +313 962 9828. slowsbarbq.com

La Feria Un restaurant espagnol à base de tapas, classique mais bluffant. 4130 Cass Ave. laferiadetroit.com BOIRE UN VERRE Astro Coffee Le meilleur spot de la ville en journée. Et les best oatmeal cookies ever. 2124 Michigan Avenue. Tél. +313 638 2989. astrodetroit.com The Sugar House Tabourets vintage et trophées de chasse pour une ambiance lodge chic et les meilleurs mixologistes en ville. Jus frais, sirops maison, décoctions artisanales. Le top. 2130 Michigan Avenue. Tél. +313 962 0123. sugarhousedetroit.com SHOPPER Shinola Le flagship store de la marque, avec son atelier de bicyclettes. 485 W. Milwaukee Street. shinola.com Willys Un nouveau concept store qui vient d’ouvrir dans les anciennes usines des Jeeps Willys. 441 W. Canfield. Tél. +313 285 1880. willysdetroit.com Smithshop Un ferronnier d’art nouvelle génération installé dans une pépinière d’entreprises hype. 1401 Vermont Street. Tél. + 269 599 6164. |

239


L’AGENDA CULTUREL D’ ALEX ALEXANDROS KHATER EST UN DESIGNER LIBANO-GREC BASÉ À LA. SON AVENTURE COMMENCE À SA SORTIE DE L’INSTITUTO MARANGONI OÙ IL EST AUSSITÔT ENGAGÉ PAR GIORGIO ARMANI POUR DÉCORER SES VITRINES. IL POURSUIT SA CARRIÈRE À NEW YORK ET LA EN S’ASSOCIANT AVEC LE DÉCORATEUR TRIP HAENISCH. SOUS SA MARQUE, LAEX, IL CRÉE UNE COLLECTION DE VÊTEMENTS SMART CASUAL ET UNE LIGNE DE MAROQUINERIE. IL A 29 ANS. Par F.A.D

MES LIVRES : Le Petit Prince. C’est mon seul livre de chevet. Je le relis à volonté, parce qu’au fond je suis un enfant dans un corps de soi-disant adulte. Sinon, je ne lis pas beaucoup de romans. J’ai des lectures plutôt réalistes. J’adore les

essais sur l’histoire, l’art, la mode, la politique, l’économie et la société. Tous ces domaines sont liés et j’ai un côté « nerd ». MA MUSIQUE : Je suis réactif et les idées rapides me stimulent. Quand une musique ou une atmosphère me stimule, je m’y plonge à fond. MES RESTOS À LA: Pour un petit-déjeuner sain, le SQRL Pour déjeuner, ça dépend dans quel quartier je me trouve coincé dans l’embouteillage. Sinon, il suffit de faire un saut chez Zaggat, c’est toujours bon. Pour diner, j’irais à Bottega Louie où l’on sert de délicieux macarons, au Perch pour la vue sublime de la terrasse, ou à Soho House avec Trip Haenisch (j’adore le retrouver). |

24 0

Photos DR

MES FILMS : « The adjustment bureau » (L’Agence) avec Matt Damon. J’aime le message de ce film qui dit en gros que nos chemins ne sont pas tout tracés et qu’il est possible de changer ce qu’on est et ce qu’on voudrait être. « A single man » de Tom Ford avec Colin Firth. Rien que pour la présence de cet acteur extraordinaire et pour la manière dont l’élégance et la mode s’adaptent au cinéma. « Nine » de Rob Marshall avec Daniel Day-Lewis et Marion Cotillard. Une expérience visuelle exceptionnelle et un jeu d’acteurs réaliste à vous rendre fou.


www.napapijri.com

Available at A誰zone stores +961 1 99 11 11


242


RELIRE SAUL BELLOW IL AURAIT FÊTÉ SON CENTENAIRE EN 2015, IL EST MORT IL Y A DIX ANS. DEUX ANNIVERSAIRES QUI MÉRITAIENT BIEN QUE L’ON SALUE LA MÉMOIRE D’UN DES PLUS GRANDS ÉCRIVAINS AMÉRICAINS DU XXE SIÈCLE. Par B A P T I S T E P I ÉG AY

C

Photo by Keystone/Getty

apter la trajectoire d’un écrivain admiré, c’est aspirer à lui faire honneur. Rendre compte de sa vie, faire d’anecdotes un bilan esthétique, tenter de tirer de péripéties privées une morale littéraire, s’aventurer dans les méandres d’une œuvre conséquente est bien risqué. On en ferait presque un prétexte pour laisser tomber, tant s’attaquer à Saul Bellow est intimidant. Nobélisé en 1976, l’Américano-Canadien est aux États-Unis une figure totémique, incarnant à la fois une tradition de narrateurs picaresques tel Mark Twain et un parcours exemplaire de l’histoire américaine (parents juifs russes émigrés au début du XXe siècle, arrivés à Montréal, puis installés à Chicago). L’ENFANT MALADE Exemplaire aussi par sa biographie : enfant, il tombe gravement malade, atteint d’une pneumonie. Curieusement, Mémoires de ma vie de Chateaubriand, Les Mots de Sartre, Vie de Henry Brulard de Stendhal, Les Confessions de Rousseau ou encore Le Roman d’un enfant de Loti, grands livres autobiographiques, mettent tous en scène le même motif : celui de l’enfant malade, sauvé aux portes de la mort par la main du destin, favorisant leur génie : “On pourrait croire que tout a commencé quand j’étais enfant, à Montréal, mourant au Royal Victoria Hospital”, écrit-il dans J’ai une stratégie, le texte qui ouvre l’édition française des Aventures de Augie March et Le Don de Humboldt

(Quarto, Gallimard). Solomon Bellows choisira de modifier, à peine, son nom pour lancer sa carrière d’écrivain, faisant un pas de côté pour mieux étudier son identité : “Comme je voulais rompre avec tout le monde, même avec ma famille, j’ai choisi un autre nom, un nom légitime et qui m’appartenait”, expliquera-t-il dans ce même texte. De la même façon, il prendra ses distances avec la syntaxe que l’école aura voulu lui inculquer, pour forger un style vibrant, d’une puissance évocatrice chatoyante, biblique : “La voix, les voix, ne s’inventaient pas, poursuit-il. Et qu’elles le sachent ou non, toutes les créatures humaines avaient une voix, des oreilles, un vocabulaire, tantôt parcimonieux, tantôt illimités, exubérants. C’est ainsi que les mots et les phénomènes se répondaient, donnant tout son sens au métier d’écrivain.”

“Comme je voulais rompre avec tout le monde, même avec ma famille, j’ai choisi un autre nom, un nom légitime et qui m’appartenait”

24 3


UN YIDDISH MUSICAL De longs séjours en Europe après la Seconde Guerre mondiale ont connecté profondément Bellow à son patrimoine littéraire, à sa richesse narrative, à sa langue aussi, celle de ses aïeux – un yiddish musical, émouvant, important au cœur de ses récits une culture dévastée par la Shoah. Les fils du drame, de l’humour, de la fantaisie et du prosaïsme, se croisent pour tisser une toile dont la densité enivre plus qu’elle ne décourage.

derne et ses valeurs. Les lecteurs trop pressés y lurent la manifestation de sa misogynie, de son conservatisme, de sa haine du monde, et ainsi de suite. Un peu d’attention, en se rappelant que la littérature échappe à une grille de lecture binaire du monde, fait voir, au contraire, des figures égarées dans un monde aux morales changeantes, au courage balbutiant ses velléités d’émancipation, où la culture – envisagée comme socle d’une vie libre – s’étiole.

Romans bouillonnants d’intelligence, où le sexe fait courir les personnages (en rond)

CE VACARME D’OISEAUX Il est toujours tentant de faire d’un livre écrit au crépuscule un testament. Ravelstein, peut-être à son corps défendant, s’y prête pourtant admirablement. Dans ce portrait, à peine déguisé du philosophe Allan Bloom, un ami cher de Bellow, récit d’une amitié, interrompue par la mort de Bloom, on y lit une formule au cynisme seulement apparent : “Ce n’est pas rien que de devenir riche et célèbre en disant exactement ce que l’on pense, de le dire à sa façon, sans compromis.” Couvert d’honneurs, Bellow pensait, on le jurerait, chaque mot de cette phrase, avec fierté. Et pour ceux qui, justement, trouveraient à redire à l’amabilité de cet aveu, la dernière scène du livre désamorcerait leur réticence : “[Les perroquets] se nourrissent de fruits rouges. Ravelstein me regarde, riant de plaisir et d’émerveillement, me faisant de grands gestes parce qu’il ne peut pas m’entendre dans tout ce vacarme d’oiseaux. On ne cède pas facilement une créature comme Ravelstein à la mort.” S’il y a bien une morale à tirer de cette œuvre puissante, c’est que la littérature est toujours du côté de l’esprit, du désir, donc de la vie. |

Que lit-on dans cette œuvre profuse ? Des trajectoires fracturées (Herzog, dans le roman éponyme), de bouleversants portraits de femmes esseulées (le méconnu Le Cœur à bout de souffle), des échos du désastre de la guerre (La Planète de M. Sammler), des satires dans un esprit digne de Woody Allen (Le Don de Humboldt), des captations urbaines formidables de vivacité (le Chicago des Aventures de Augie March ou le New York de Herzog) ou encore une douce élégie amicale, intellectuelle, dans l’ultime Ravelstein. Romans bouillonnants d’intelligence, mettant en scène des cerveaux comme des corps, où le sexe fait courir les personnages (en rond), la crainte de leur mortalité paralysant et stimulant leurs vocations (Charlie dans Le Don de Humboldt), développant une énergie quasi-métaphysique. Avec une mauvaise humeur réjouissante, il n’épargne personne (y compris lui-même, dont la silhouette se tient discrètement en arrière-plan) et surtout pas la société mo-

L’œuvre de Saul Bellow est éditée en France par Gallimard.

24 4

Photos Victoria Lidov, DR

Trois jaquettes (en version originale) de l’auteur américain. Page de dr., Saul Bellow en 1958


24 5


Sr Peter Blake

Calvin Harris

Tim Cook

Sam Smith

100 % HI-FI L’EMBAUCHE DE ZANE LOWE EN QUALITÉ DE «DIRECTEUR ARTISTIQUE MUSIQUE» PAR APPLE N’EST PAS PASSÉE INAPERÇUE OUTRE-MANCHE: STAR DE LA RADIO ET DE LA TÉLÉVISION, APRÈS DOUZE ANS PASSÉS À LA BBC ET DIX-HUIT SUR MTV, IL REJOINT LA FIRME DE CUPERTINO DANS SA BATAILLE CONTRE SPOTIFY. Par B A P T I S T E P I É G A Y

| Illustrations

35% - SAM SMITH Excellent découvreur de talents, il a contribué à l’explosion des Arctic Monkeys et de la chanteuse Adele, mais surtout il a travaillé en tant que producteur et coauteur sur l’album In The Lonely Hour de la nouvelle star de la pop anglaise Sam Smith, vendu à 3,3 millions d’exemplaires pour la seule Angleterre… 40% - TIM COOK Lorsque Apple a acheté Beats – concepteur de casques haut de gamme et d’une plate-forme de streaming – pour 3 milliards de dollars en 2014, le message était clair : s’attaquer en priorité au quasi-monopole exercé par Spotify. Main dans la main avec les grandes maisons de disques exaspérées par la nouvelle culture de la gratuité, le lancement d’un service d’écoute en streaming est prévu pour cet été, avec un prix d’appel à 8 $ par mois selon les dernières rumeurs. Son carnet d’adresses démentiel lui sera d’un grand secours : respecté par ses pairs, Zane

JAUME VILARDELL

Lowe est du genre à décrocher des interviews exclusives avec Kanye West, et à le faire pleurer. 5% - CALVIN HARRIS S’il est bien loin des cachets astronomiques de la star des DJ et ses 66 millions de dollars récoltés en 2014, il joue dans les plus grands festivals estivaux. De Coachella à Glastonbury, en passant par les clubs d’Ibiza ou de Croatie, il n’en rate aucun, ou presque… Il a ainsi assuré la première partie de Muse au stade de Wembley. 20% SIR PETER BLAKE Néo-Zélandais comme l’aventurier, Zane Lowe a quitté Auckland pour Londres à l’âge de 24 ans. Ses coups d’éclat ? Passer deux fois de suite un morceau qui lui plaît ou, en 2006, sauver la vie du musicien Ryan Jarman des Cribs, qui avait chuté sur un morceau de verre, s’ouvrant le dos… Aujourd’hui encore, cette anecdote fait la joie des milieux rock britanniques. |

24 6


www.aeronautica.difesa.it www.aeronauticamilitare-collezioneprivata.it Available at all A誰zone stores, +961 .1. 99 11 11 Produced and distributed by Cristiano di Thiene Spa


OUTDOOR LIVING WWW.RAUSCH-CLASSICS.COM

AÏSHTI . S E A S I D E AÏSHTI BUILDING, 4TH FLOOR, JAL EL DIB, BEIRUT TEL: 04 717716 EXT 118



HITLIST ACQUA DI PARMA +961 1 99 11 11 EXT.105

JIMMY CHOO +961 1 99 11 11 EXT.120

ALBANU CHEZ SYLVIE SALIBA +961 1 33 05 00

JUNK IN THE TRUNK +961 1 99 11 11 EXT.140

ARMANI BEAUTÉ +961 1 99 11 11 EXT.105

KRIS VAN ASSCHE +961 1 99 11 11 EXT.104

ATAMIAN +961 1 25 66 55

LA MARTINA +961 1 99 11 11 EXT.140

BALENCIAGA +961 1 99 11 11 EXT.570

LA MER +961 1 99 11 11 EXT.105

BLANCPAIN CHEZ ATAMIAN +961 1 25 66 55

LAMBORGHINI +961 1 99 11 11 EXT.140

BOTTEGA VENETA +961 1 99 11 11 EXT.565

LANCÔME +961 1 99 11 11 EXT.105

BREGUET CHEZ ATAMIAN +961 1 25 66 55

LOSERS +961 1 99 11 11 EXT.140

BRUNELLO CUCINELLI +961 1 99 11 11 EXT.120

LOUIS VUITTON +961 1 96 68 10

BURBERRY +961 1 99 11 11 EXT.455

MARC JACOBS +961 1 99 11 11 EXT.148

BVLGARI +961 1 99 91 59

MASSADA +961 1 99 11 11 EXT.104

CAMPER +961 1 28 71 87

MONCLER +961 1 99 11 11 EXT.120

CARTIER +961 1 97 26 00

MYKITA +961 1 99 11 11 EXT.104

CHRISTOPHE ROBIN CHEZ ÏDAY SPA

NAPAPIJRI +961 1 99 11 11 EXT.140

+961 1 99 11 11 EXT.350

ORLEBAR BROWN +961 1 99 11 11 EXT.120

CLARINS +961 1 99 11 11 EXT.105

PHILIP KINGLSEY CHEZ ÏDAY SPA +961 1 99 11 11 EXT.350

CORNELIANI +961 1 99 11 11 EXT.500

PRADA +961 1 99 11 11 EXT.120

DIESEL +961 1 99 11 11 ext.450

ROSA MARIA +961 1 571 985

DINH VAN CHEZ SYLVIE SALIBA +961 1 33 05 00

SAINT LAURENT +961 1 99 11 11 EXT.120

DIOR +961 1 99 11 11 EXT.592

SYLVIE SALIBA +961 1 33 05 00

DIOR PARFUM +961 1 99 11 11 EXT.105

TATEOSSIAN +961 1 99 11 11 EXT.120

DIPTYQUE +961 1 99 11 11 EXT.105

THE KOOPLES +961 1 99 11 11 EXT.535

DOLCE & GABBANA +961 1 99 11 11 EXT.555

THOM BROWNE +961 1 99 11 11 EXT.104

ELEVEN PARIS +961 1 98 33 15

TRUE RELIGION +961 1 99 11 11 EXT.140

ETRO +961 1 99 11 11 EXT.590

TUMI +961 1 99 11 EXT.102

FAÇONNABLE +961 1 99 11 11 EXT 525

VALENTINO +961 1 99 11 11 EXT.120

FENDI +961 1 99 11 11 EXT.120

YVES SAINT LAURENT +961 1 99 11 11 EXT.104

GUCCI +961 1 99 11 11 EXT.200

ZADIG & VOLTAIRE +961 1 97 37 56

HERMÈS +961 99 97 10

ZAHA HADID CHEZ AÏSHTI HOME COLLECTION

J.M. WESTON +961 1 97 12 67

+961 1 99 11 11 EXT.151

JACOB COHEN +961 1 99 11 11 EXT.120

ZEGNA +961 1 99 11 11 EXT.222


©2015 New Balance Athletic Shoe, Inc.

BORACAY SOLAR ECLIPSE PACK

THIS IS #FRESHFOAM. THIS IS #RUNNOVATION.

Available at Aïzone stores T: 01 991 111 and retail sport shops

Follow us on

@NEWBALANCELEBANoN


PLAY IT SUNSET

EN MARGE DES FESTIVALS, IL Y AURA CET ÉTÉ ENCORE UN SPECTACLE PERMANENT À LA PORTÉE DE TOUS : LE COUCHER DU SOLEIL. VISIBLE DE TOUTES LES TERRASSES DONNANT SUR LA MER, LE CRÉPUSCULE EST UN MOMENT ENCHANTÉ DE DÉTENTE ABSOLUE. LE DIMANCHE COMME EN SEMAINE APRÈS LE TRAVAIL, ON PRÉPARE LE BARBECUE, ON SERT L’APÉRO, ON S’AFFALE SUR DES MEUBLES DE RÉCUP ET ON RÉVEILLE LA MUSIQUE DES ROOFS DE BROOKLYN OU D’AILLEURS. ON LÂCHE PRISE. ET PUIS UNE BRISE SE LÈVE. ON DANSE.

Nicolas Jaar - Encore Petit Biscuit - Sunset Lover The Crusaders - Street Life (Moog & Scratch edit by Synapson) Booker T & the MGs - Green Onions (Luke Danfields Bluehouse Edit) The C90s - Shine A Light (Flight Facilities Remix) Gorillaz (Miami Horror Remix) - Empire Ants Is Tropical - Dancing Anymore (Two Door Cinema Club Remix) Uppermost - Visions Ro - Friends (Part II)

Fakear - La lune Rousse Yanis - Hypnotized Chet Faker - Gold Argonaut Wasp - Higher_Ground Brigitte Bardot - La Madrague, Antis Remix Chromeo - Old 45’s Darius - Maliblue Duke Dumont - I Got You, Bondax Remix Felix Jaehn - Ain’t Nobody feat. Jasmine Thompson Flume - Insane feat. Moon Holiday Gregory Porter - Liquid Spirit Knuckle G Remix Janet Jackson - If, Kaytranada Remix

2 52

Photos DR

Par MÉLANIE DAGHER


OUVERT DU MARDI AU DIMANCHE DE 11 HEURES À 19 HEURES METROpOlITAN ART SOCIETy, RUE TRAbAUD, ACHRAfIEH, bEyROUTH, INfO@MASbEIRUT.COM, T: 70.366.969



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.