Matérialisation de la pensée dans le processus de conception_Rapport d'étude Architecture

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Première de couverture: Aires Mateus House in the Serra de Mira de Aire House in Melides

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INTRODUCTION Les études en école d’architecture sont riches par la pluralité des notions abordées, une réelle procession entre art et technique. En fin de troisième année, réaliser un rapport d’études questionne, les désirs, les éléments déclencheurs, l’expérience subjective, la réflexion menée tout au long de ce parcours. En enclenchant cette rétrospective personnelle, il en est ressort un désir certain pour le processus de conception, un engouement fatal de la création. À l’instar de l’artisan, l’architecte opère au moyen d’outils. S’enclenche ainsi la transformation de ce qui est de l’ordre de la pensée en dessin. Cette opération durant le processus de conception, matérialise la pensée. Elle prend ainsi une apparence matérielle, qu’elle ne dispose pas à l’origine. Cette opération se réalise par les outils de représentation qui par leur définition rendent perceptible. Ces outils sont par les nombreux acteurs associés au projet, des outils de communication. Mais avant d’être des outils de communication les outils de représentation sont des outils de conception. Au regard de ces trois dernières années, ces outils animent et nourrissent ce désir de création. Le rapport entrenu avec ces outils est quotidien. Le choix de ce sujet paraît évident par cette relation personnelle, quotidienne et dévouée. Ce rapport vise à définir ces outils de conception, en questionnant le lien entre pensée et représentation. Chaque outil est spécifique, certes, l’ensemble permet une compréhension exhaustive du projet , mais il s’agit ici de traiter les outils un à un afin d’explorer les réflexions spécifiques à chacun. Ce rapport ne se veut pas exhaustif, et ne prétend en aucun cas aborder l’ensemble des éléments de conception du projet. Suite à la rétrospective, un choix des éléments à traiter s’en est découlé : le plan, la coupe, le diagramme, le croquis ainsi que les mots. Chacun aborde une projection spatiale spécifique. La notion de projection spatiale introduit cette relation entre ce qui est de l’ordre de la pensée, l’imaginaire, la projection, et ce qui est de l’ordre de la représentation. La projection est saisissante, elle révèle les intentions, expérimente par l’itération. Les éléments sont traités ici comme images opératives. Le rapport se concentre ainsi sur la réflexion engagée par l’élément de représentation et non l’esthétique et le graphisme dégagé.

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MATÉRIALISATION DE LA PENSÉE DANS LE PROCESSUS DE CONCEPTION

I. Le plan comme pensée de la déambulation II.

La coupe comme pensée in-situ

III. Le diagramme comme pensée essentielle IV. Le croquis comme pensée d’une pratique de l’espace V. Les mots comme pensée évocatrice

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First Unitarian Church, Louis Kahn

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I. Le plan comme pensée de la déambulation En amont d’aborder la pensée de la déambulation, il s’avère nécessaire de définir l’implantation afin de positionner cette déambulation dans un environnement. Il s’agit de se positionner par rapport à un tissu, des éléments remarquables, des ambiances thermiques, acoustiques, lumineuses et un rapport aux éléments naturels tel que l’eau et le végétal. L’implantation questionne les limites du projet et le point de départ de cette déambulation. Le plan par sa projection horizontale, selon un plan de section horizontal, définit l’espace dans lequel déambulera l’homme. C’est par cette procession que l’homme découvre, ressent et comprend l’espace. Le plan joue de cette curiosité du regard mouvant ; lui-même en mouvement par la marche. La pensée du plan est la pensée d’un espace vécu par cette procession. La sensation se génère par le rapport de proximité, d’éloignement entre l’homme, les éléments de matières et la définition même de ces éléments de matière, selon leur matérialité, épaisseur, aspect et degrés d’opacité. Un rapport de grandeur est également généré entre l’homme et ces éléments, par le rapport entre le plein et le vide. Le plein compose le vide, cet espace de déambulation de l’homme. La composition du plan qualifie l’espace, le définit, selon une composition linéaire, planaire ou volumique, altérant le degré d’ouverture et la sensation d’espace. Les éléments de matière disposés de manière linéaire créent une continuité de l’espace. L’espace s’ouvre et se diffuse. La disposition d’éléments de matière comme plan dans l’espace, oriente et offre une certaine fluidité. La définition volumique de l’espace renvoie à un degré d’ouverture plus faible, générant une certaine concentration de l’espace. Le plan génère cette sensation d’espace de l’usager, qui se projette ou se renferme. La pensée du plan est une composition par ce rapport que les éléments de matière entre eux. Chaque élément influe sur le tout. L’élément dans une définition de l’espace volumique est la pièce. « Un espace n’en est pas un tant que l’on n’aperçoit pas comment il est créé. Alors j’aime l’appeler une pièce»1. Louis Kahn organise la réflexion en plan autour de ces entités, cherchant à composer avec. La notion de pièce se confronte à la 1 Louis Kahn dans John W. Cook et Heinrich Klotz, Questions aux architectes

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Les 4 Compositions, Le Corbusier

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déambulation par le caractère volumique de l’espace. Il en ressort quelque chose qui renvoie vers soi. En questionnant l’échelle de la pièce par rapport à l’homme, le degré de liberté de la déambulation varie. La composition des entités, précédée par la décomposition engendre la nécessité de la connexion ente ces différentes entités. La déambulation se questionne ainsi non pas par rapport à la pièce, mais par rapport à l’ensemble et plus précisément la connexion qui créé cet ensemble. La décomposition de ce qui formait habituellement un tout questionne l’articulation entre ces différentes entités, articulations dans le sens de la distribution. La composition de Khan génère une « architecture de connexion ». Il attire une particulière attention sur cette connexion. « Cette architecture est d’une importance égale à celle des espaces principaux ; (…)Les éléments qui composent cette architecture ne sont pas précisé dans le programme et que leur surface n’est bien sur pas précisé »2. Les surfaces servantes par leur indéfinition dans le programme offre à l’architecte cette liberté de composition. L’architecte compose et offre la promenade à l’usager. La pièce, espace servi, selon sa fonction, sa nature, exige des qualités. La connexion, quant à elle, offre cette liberté de composition. L’espace servant est l’espace dédié à la déambulation de l’homme, cet espace se qualifie selon les désirs de l’architecte. La composition de l’espace servant offre cette liberté, mais exige de ressentir l’ensemble de la composition. C’est par cette connexion que chaque entité forme un tout. Dans une définition de l’espace plus ouverte composée à partir d’une composition linéaire, Le Corbusier propose la disposition d’organe libre dans une forme pure. La composition linéaire à partir d’éléments types est structurelle. Les organes quant à eux répondent à des nécessités fonctionnelles et qualités plastiques. Ainsi, les organes sont libres les uns à l’égard des autres. Le plan libre recherche à exprimer cette liberté, par l’expression existentielle de chacun. Dans une conception de l’espace convexe, l’organe libre prend ses aises par sa forme et son échelle. La déambulation qualifiée selon le Corbusier de « promenade architecturale» se veut témoin de ces variations d’espace. C’est par ces variations que la déambulation se voit offrir une suite d’effets d’espace. « Elle s’apprécie par la marche (…) c’est en marchant, en se déplaçant que l’on voit se développer les ordonnances de l’architecture »3. Ce rapport à la déambulation nous fait 2 Louis Kahn repris dans Richard Saul Wurman, The Words of Louis Kahn 3 Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Oeuvre complète

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Maison de campagne en brique, Mies Van Der Rohe

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apprécier l’architecture, « les perspectives se développent avec une grande variété »4. La déambulation est vécue comme une réelle narration spatiale. La définition des éléments de matière non pas comme élément séparateur, mais élément de connexion apporte une toute autre valeur à l’élément. Le mur devient une paroi qui définit et oriente. Cette vision de la matière engage un tout autre rapport entre l’homme, l’espace et la déambulation dans cet espace. La composition planaire de l’espace par l’absence de l’angle supprime l’espace clôturé et créé la fluidité. L’appellation « plan ouvert » est évoquée par Van Doesburg en 1925, dans « L’évolution de l’architecture moderne en Hollande ». L’ouverture diffuse l’espace supprimant la dualité entre ce qui est de l’intérieur et ce qui est de l’extérieur. La composition se met en place dans un espace qui est universel, sans aucune hiérarchie. Les éléments de matières viennent se positionner dans cet espace universel qui « reçoit une nouvelle expression plastisque »5. Cette composition génère une toute autre sensation d’espace, par la liberté qu’acquiert l’Homme dans la déambulation de cet espace. Il ne se retrouve plus face à une concentration de l’espace engendrant une déambulation restreinte, mais face à un degré d’ouverture qui laisse libre et suggère. La notion de pièce disparaît face à cette continuité spatiale relatant une tension entre le plein et le vide. Cette tension définit l’espace et plus particulièrement le rapport que l’homme entretient avec. La déambulation se voit définit par cette tension entre le plein et le vide. L’architecte se voit composer une justesse de la dilatation et contraction de l’espace. L’équilibre se cherche entre ces différents plans afin de composer un tout. Le mur, par l’indépendance que celui-ci acquiert devient une entité. On retrouve ainsi la question de composer un ensemble à partir d’entités distinctes évoquées précédemment. Par cette notion de continuité, les entités forment plus simplement un ensemble que la composition de pièce qui compose un ensemble à partir de pièce définissant chacune un espace. La décomposition de la pièce génère plus facilement l’ensemble, ce qui est quelque part paradoxal. Mies Van Der Rohe a également recherché cette «suite d’effets d’espace» engagée par la vision de la paroi comme articulation. En questionnant l’espace universel, Mies s’intéresse à la limite de celui-ci. La Maison de 4 Le Corbusier et Pierre Jeanneret, Oeuvre complète 5 Theo Van Doesburg, L’évolution de l’architecture moderne

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Pavillon de l’Allemagne à l’exposition internationale de Barcelone, Mies Van Der Rohe

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campagne en brique de Mies ouvre cet espace hors-limite. Les parties se prolongent hors du plan. En revanche lors de la conception du Pavillon de l’Allemagne à l’exposition internationale de Barcelone, l’espace est «cadré» par deux parois venant se plier, en cherchant l’angle. Deux angles fermés disposés chacun à l’opposé du plan composent un espace « suggéré » dans lequel Mies Van Der Rohe va venir positionner les éléments (élément linéaire et planaire). On ressent, pour l’avoir visité personnellement deux fois, cette composition à partir d’un espace universel et cette continuité quelle que soit la position au sein du pavillon, de cet espace. Le plan par sa continuité suggère la promenade, oriente. Il y a dans cette idée de la suggestion cette manière douce de diriger sans être trop directif laisser tout de même cette liberté de se décaler de quelques pas de curiosité, observer un reflet, une percée, un regard qui parfois se projette sur quelque chose de lointain puis proche. Il y a ce jeu de distance dans la composition, cette manière de générer des contractions, dilatations et parfois fuites d’espace. La promenade s’agrémente d’une suite d’événements. On ressent l’espace. On parle de narration spatiale. Le mouvement questionne cette narration qui s’accélère ou se tait. Les sensations de l’Homme perçues lors de cette narration affirment ce rapport entre les sensations et le mouvement. L’architecture est ainsi perçue, assimilée et ressenti par cette déambulation mouvante et les multiples points de vue projetés.

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Logements à Sidi Abbaz, André Ravéreau

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II. La coupe comme pensée in-situ La coupe est une représentation orthogonale, en projection vertical, suivant un plan de section vertical. La verticalité du plan de section place l’Homme debout dans l’espace, perpendiculaire à la ligne d’horizon. L’homme est situé, dans un espace défini par les éléments de matières. Par la section verticale, les éléments de matière sont de l’ordre de la paroi, du plancher ainsi que de la toiture. La figure humaine entretient un rapport avec ses éléments de matière qui définissent l’espace vécu. Un rapport d’échelle entre les éléments et l’homme est ainsi généré par la coupe. Ce rapport s’identifie par la notion de grandeur, qui influe la sensation d’espace de l’usager. La coupe qualifie cette grandeur par la hauteur de l’espace vécu. En effet, l’Homme dans sa verticalité, debout génère un univers. L’apparition de cette figure renvoie à l’expérience de celui qui visionne cette figure, en s’imaginant ce rapport à l’espace. Par cette figure, la hauteur des éléments recherche la justesse entre la sensation d’espace et la nature de cet espace. Le Corbusier, en composant par un jeu d’imbrication la Maison Guiette, génère cette variation de hauteur selon la nature de l’espace. Des espaces en double hauteur viennent se placer de part et d’autre de l’escalier. En rez-de-chaussée le séjour qui s’ouvre sur le jardin et au dernier étage l’atelier qui s’ouvre au ciel. Entre ces deux étages des volumes plus fermé, en simple hauteur qui sont les chambres. Une terrasse en toiture vient quant à elle s’ouvrir au ciel. Le Corbusier joue de cette variation de hauteur et de degré d’ouverture provoquant une réelle «suite d’effets d’espaces». La composition prend en compte le mouvement de l’homme au sein de cet espace vécu. Le mouvement évoqué précédemment comme déambulation, est également sujet à la posture de l’homme. En effet, la figure humaine peut être représentée debout, dos droit, les bras le long du corps de la manière la plus conventionnelle possible, ou le bras levé comme le Modulor. La posture est une notion qui aborde la manière dont sera occupé l’espace, cet espace vécu par la variation de la posture de l’Homme. « La position debout, c’est la stature, le mouvement, le passage. La position couchée est plus ou moins absence ou sommeil. Mais la position assise est celle du repos éveillé, de l’activité de l’esprit et d’un certain nombre de

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Hammam Salahine, André Ravéreau

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gestes. »1 La composition de Ravéreau est vitale par le rapport à la figure humaine, aux pratiques culturelles, le rapport au site et ses conditions climatiques. L’architecte par cette question de la posture définit une occupation de l’espace selon des pratiques culturelles. La variation de la posture influe sur la hauteur du regard, une « autre hauteur de la vie »2 s’approchant de celle de l’enfant debout. Selon la culture, la posture assise est à même le sol ou en rapport avec un élément de mobilier. Dans les dessins de Ravéreau, l’architecture ancrée dans un climat méditerranéen représente l’assise à même le sol frais. Les ouvertures sur l’extérieur sont modérées et disposées à une hauteur du regard de l’Homme en contraste avec l’Homme dans la rue qui lui est debout. Le rez-de-chaussée est habité et conserve son intimité par une composition générée selon la posture de l’Homme. La toiture habitée par l’Homme en temps plus frais, se compose toujours selon la posture, allongé et bordé par un muret ou debout bordé par un mur. Par ces variations de posture, la coupe est sensible. La figure humaine évoque les sens tels que la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat. Ces sens, affectés par la composition des éléments de matières dans l’espace, mais surtout par la composition même des éléments, leur matérialité. L’épaisseur de la matière, son inertie, son aspect, sa finition ou sa brutalité affecte les sens de l’Homme qui entretient un réel rapport avec cette matière comme on le voit sur les coupes de Ravéreau. La pensée d’André Ravéreau révèle la concomitance entre la figure de l’Homme, la matière, l’espace, le climat et la culture. La verticalité du plan de section fait apparaître le sol naturel. Le profil de cette section identifie le lieu, variation importante ou quasi-inexistante. Ce profil est caractéristique du site, son histoire. La topographie inscrit le site dans un rapport au temps. En L2, la maison individuelle a été abordée à Celles, bordant le lac du Salagou. L’étude de la topographie a révélé de nombreux phénomènes géologiques qui sont venu sculpter le paysage au cours du temps.. La pensée du projet s’inscrit dans ce paysage, cherchant à le révéler par le dialogue ou au contraire l’absence. La nature du sol, sa composition, renvoie à une certaine matière, aspect, palette de couleurs. Le sol est une surface, élément déjà-la avant le projet. Penser la coupe questionne sur la position du plancher bas par rapport à ce sol. Surélever le plancher bas, sur pilotis, rend possible la conservation du sol naturel. 1 André Ravéreau, Du local à l’universel 2 André Ravéreau, Du local à l’universel

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Frey House II, Albert Frey

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La position du plancher bas génère une continuité visuelle en rez de chaussée. Le projet se surélève et prend de la hauteur, s’ouvrant sur le lointain. L’architecture sur pilotis questionne l’usage possible sur ce sol naturel conservé qui se retrouve sous la sous-face du projet. Dans le cas inverse, pénétrer dans ce sol naturel en recherchant une partie ou la totalité du projet enterré génère un tout autre rapport au sol. Il y a quelque part cette idée de venir habiter cette roche-mère en s’y introduisant. Cette position donne une force à cette roche qui enveloppe le projet. Selon le degré d’enterrement du projet, l’ambiance thermique influe, profitant de la température constante du sol et l’éclairage se retrouve uniquement zénithale, générant une intériorité. Lors de la visite de Bell Lloc Winery pensé par RCR, les seules ouvertures zénithales font ressentir une réelle composition de la lumière. L’absence totale de lumière puis percer quelques failles venant mettre en scène l’espace, créé une réelle ambiance où la lumière se diffuse dans la pénombre. L’espace rend sensible l’homme à la lumière qui prend une toute autre dimension. L’ambiance visuelle est générée par cette composition d’ouverture uniquement zénithale. L’ambiance thermique se fait également ressentir. La fraîcheur de la terre rend agréable ce lieu par temps chaud. Enfin, le projet se positionnant au niveau du sol naturel rend possible la continuité. En effet, le dialogue avec le site s’engage ici par l’interpénétration de l’extérieur à l’intérieur ou inversement. On peut se référer à Albert Frey qui appréhende et s’approprie le milieu. Son architecture se situe dans le paysage des déserts californiens. La beauté de ce territoire est révélé par son architecture. Albert Frey engage cette pénétration de l’extérieur à l’intérieur. La roche naturelle est sublimée. Le dialogue entre l’Homme et la nature est à son apogée. Dans la manière d’habiter, il y a réellement ce rapport du « vivre avec ». Ce rapport de continuité questionne la notion de seuil. Albert Frey s’en affranchit complètement à la recherche de continuité. En revanche, nous pouvons évoquer l’habitat traditionnel japonais. Le seuil de l’habitat traditionnel japonais qui marque l’entrée « genkan » espace une marche pus bas, où l’on déchausse les chaussures avant de pénétrer à l’intérieur de l’habitat. La culture nippone tient à maintenir la distinction entre ce qui est du dedans et ce qui est du dehors. Le seuil marque matériellement et symboliquement cette séparation. Le dedans est un espace clos, fini et intime. Cet intérieur aux qualités choisies apporte la protection. L’habitat se retrouve ainsi décollé du sol, d’une hauteur de

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Bruder Klaus Field Chapel, Peter Zumthor

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deux marches. C’est en réalité plus d’un seul seuil qui grade l’intimité, plus précisément cinq : le portail, le parcours du jardin, la porte de la maison, la marche du Genkan et le noren (intérieur). La coupe par sa projection verticale représente les pleins qui sont des éléments de matière verticales pour ce qui est du mur, et horizontal pour ce qui est du plancher et du toit. Ces pleins définissent l’espace, ses proportions, son échelle par rapport à l’Homme. Le vide crée par mise à distance de ces éléments de matière ou percement au sein de la matière génère une ouverture. L’ouverture projette un intérieur sur un extérieur, mais aussi l’extérieur sur un intérieur. L’extérieur est un environnement particulier à chaque projet avec certaine qualité spatiale en lien avec les éléments naturels tel que la lumière, le vent, l’eau, le climat. S’ouvrir, c’est aussi recevoir. Le vide est une source de lumière. Selon l’orientation de l’ouverture en plan et en coupe, la lumière se qualifie comme diffuse ou directe. Le vide selon un plan vertical laisse pénétrer la lumière de cet environnement. Le vide selon le plan horizontal, ouverture zénithale laisse pénétrer une lumière plus intense et projette la vue de l’Homme au ciel. La coupe questionne tout ce rapport à la lumière. « La beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre se passe de tout accessoire. »3. La lumière qualifie l’habiter par l’éclairage selon l’usage. En qualifiant l’usage, il en découle une certaine intensité de l’éclairage, mais aussi une certaine qualité. La lumière selon l’orientation et le traitement se révèle plus directe où à l’inverse plus diffuse. La lumière directe plus orientée en direction du sud pénètre au sein de l’espace. Le rayon se ressent, il révèle ce qui se trouve sur son passage. La lumière diffuse quant à elle s’étale. La confrontation entre l’ombre et la lumière se voit disparaître par une transition douce et agréable à l’œil. Le rayon évoque précédemment, génère une lumière pure et intense, marquant sa présence par sa confrontation avec l’ombre. Cette dualité visuelle renforce la présence de cette lumière directe. La lumière associée au soleil, se déplace selon l’heure de la journée et la saison. Cela induit une conception questionnant l’usage dans le temps, les moments de journée. La coupe induit un habiter en relation avec lumière, élément naturel essentiel. Selon le climat ce rapport au soleil et cette lumière directe provoquée par l’ensoleillement se veut plus ou moins 3 Junichiro Tanizaki, Éloge de l’ombre

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Maison Azuma, Tadao Ando

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recherché. En découle ainsi des modes d’habiter selon le climat du site. La coupe cherche à capter ou se protéger. La composition avec la prise en compte dans le climat ancre la conception in situ. La coupe in situ se confronte à une conception universelle de l’architecture. « Ma première idée est la suivante : penser d’abord le bâtiment comme une masse d’ombre et placer ensuite les éclairages comme par un processus d’évidement»4. Zumthor par la forme révélée en coupe laisse pénétrer la lumière, la fait glisser sur les parois et l’amène jusqu’au sol. L’architecte par son travail en coupe se voit composer la lumière. La chapelle s’ouvre au ciel. L’architecte génère une ouverture zénithale avec ses dimensions, proportions influençant l’intensité de la lumière. Mais l’intensité, Zumthor n’en est pas maître. La lumière selon l’heure de la journée, la saison, et les conditions climatiques celle-ci varie. Là est la beauté de la lumière naturelle. La lumière est vivante, elle révèle. Par son degrés de lumière, où à l’inverse son degré d’ombre, l’espace se lit et ressent différemment. La Chapelle par la puissance de la lumière zénithale et le degré d’ombre floute les limites de l’espace. La composition architecturale par ce travail de la lumière génère une réelle expérience par son « atmosphère ». Ando pense l’architecture comme relation entre l’homme et les éléments naturels : lumière, eau, vent. « Je ne crois pas que l’architecture doit parler trop. Elle doit rester silencieuse et laisser la nature parler directement au travers du soleil et du vent ». L’architecte compose avec ces éléments naturels à la recherche d’une certaine intensité de l’expérience corporelle. La coupe de la maison Azuma révèle un volume divisé en trois parties égales, deux volumes de part et d’autre d’un vide. Le patio au centre articule la vie tout au long de la journée. Le patio cour intérieure, enveloppée de quatre murs s’ouvre sur le ciel. Cet archétype est une source puissante de lumière, placé au cœur de la maison Azuma. Cet espace qualifié de vital par son rapport aux éléments naturels, en référence au jardin japonais. Le patio est témoin du monde extérieur, du passage du temps, des saisons. L’architecte par la lumière cherche à « marquer les gens, donner de l’émotion, marquer les esprits »5. L’architecture génère cette relation entre les éléments naturels et l’Homme. Ces éléments naturels se caractérisent selon le site inscrivant la pensée in-situ. 4 Peter Zumthor, Athmosphères 5 Tadao Ando lors d’une interview

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House in Melides, Aires Mateus

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III. Le diagramme comme pensée essentielle Le diagramme est une représentation schématique des composants d’une chose complexe. La figure est sommaire, représentant les traits essentiels. En Archéologie, le diagramme correspond au tracé géométrique déterminant la forme d’un objet. Le diagramme d’un vase, c’est-à-dire son contour, son profil déterminé par une série de lignes droites ou courbes et abstraction faite de toute décoration de l’objet. Le diagramme est associé à l’idée, au concept, il est la représentation de cette idée, il s’affranchit de certains facteurs, il est juste et seulement l’idée. Il s’agit de représenter l’essentiel. La réalisation du diagramme questionne sur la définition exacte de cette idée, à la recherche d’une certaine clarification de celle-ci. Dans l’action de représenter quelque chose, il y a cette transmission de la pensée au concret. La main dessine le diagramme. La main montre. La main fait savoir. L’idée qui auparavant était seulement pensée devient présente. La représentation se retrouve ici plus que jamais comme contenu concret d’un acte pensée. L’idée, le concept, n’a aucune dimension. Le diagramme est non mesurable. Il peut éventuellement y avoir la notion de proportion afin de montrer des rapports, relations. La représentation est libre d’accentuer, l’élément n’a aucune échelle, il se rapporte à l’intuition. La liberté du diagramme, questionne sur la représentation graphique, afin de transmettre au mieux l’idée. Se dessine-t-il à partir de points, lignes, masses, éventuellement en négatif ? Le diagramme est un moyen de réflexion sur son propre questionnement, sur la notion d’essentiel. Des éléments sont-ils superflus? Des éléments sont ils absents ? Cette notion d’essentiel génère une certaine flottaison d’indétermination. Il est également un moyen de communication. Une longue explication où l’auditeur doit visualiser ce que pense l’interlocuteur, se concentrer le discours et imagine à la fois. Un diagramme dessiné, et l’idée est là face à nous. Cet outil de représentation par sa capacité à représenter, observer et comprendre la réflexion est un outil de conception. Le diagramme ancre ce qui est mouvant. La réflexion évolue, la pensée divague, le diagramme fige (l’utilisation du verbe figer dans le sens où

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Test of the validity of Form, Louis Kahn

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cette réflexion s’ancre à un moment donné, et non dans le sens où la réflexion s’achève) . L’élément graphique présente de multiples capables : ancrer un moment de réflexion, cristalliser un principe. « Le principe formel contient une harmonie de systèmes, un sens de l’ordre ainsi que ce qui caractérise une existence par rapport à une autre. Le principe formel n’a ni forme ni dimension.. Le principe formel est « quoi ». Le projet est « comment » »1 Le principe formel par son caractère impersonnel, est l’idée abstraite, isolée, associée à la théorie. C’est une pensée pure par la négligence qu’elle entretient avec les circonstances. Le diagramme matérialise purement la pensée par cette abstraction engagée.

On remarque tout de même deux « temporalités » de diagramme selon la temporalité du projet. Le principe formel cherche une disposition schématique qui recherche la nature du bâtiment et le second ce que Khan appelle «design» qui est la représentation simplifié du projet. Tout au long du processus de conception, il y a cette tension entre ce qui se dessine, de l’ordre du design et ce qui est du principe formel. Cette tension cherche un équilibre afin que le design ne soit pas une copie exacte du principe formel par la négligence que celui-ci engage. À l’inverse, le design ne doit pas trop s’éloigner du principe formel au risque de perdre cet essentiel. On perçoit sur la page-ci contre le premier diagramme, qui est de l’ordre du principe formel, avec la notion de centralité, interrogée sur sa nature, puis le dessin de cercles concentriques ayant chacun sa nature (corridor, school). L’élément graphique donne à voir une « situation spatiale fondamentale ». Le diagramme génère un plan « design » issu directement du principe formel. « Un bon bâtiment doit, à mon avis, commencer par le non-mesurable, passer par des moyens mesurables au moment du projet et à la fin, être non mesurable. »2 La représentation, outils de réflexion, questionne sur ce qui vient d’être généré, sa composition. Le retour au diagramme, cette fois-ci de l’ordre du «design» questionne le plan avec la prise en compte des «circonstances». Différents diagrammes se dessinent jusqu’au final : diagramme illustrant le principe formel selon les circonstances. Le plan de l’église unitarienne 1 Louis Kahn, Form and Design 2 Louis Kahn, Structure and Form

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Diagramme de la House II, Peter Einsenman

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reste fidèle au diagramme. Les éléments révèlent les itérations réalisées durant le processus de conception. La pensée se matérialise. La conception de Peter Eisenman découle d’un processus concentré sur le diagramme. En réaction au Form Follows Function, Einsenman se concentre sur la forme architecturale en refusant la prise en compte de l’aspect social, politique et fonctionnel de l’architecture. Peter Einsenman recherche à partir du diagramme à produire de la différence. Il s’agit chez Eisenman d’un réel outil de conception. Il engage une pensée de la déconstruction. Ces premières maisons se dessine par une suite d’opération, de transformation de formes. Il y a un travail de la forme pure, en s’affranchissant du contexte et de la matérialité. Le diagramme se concentre sur cet essentiel. Son œuvre Cardboard Architecture est un ensemble de treize maisons. Pour chaque maison, les diagrammes se succèdent, illustrant les étapes de réflexion. Le diagramme travaille des transformations géométriques à partir d’une forme élémentaire. La simplicité de la forme élémentaire se perd parfois dans une certaine complexité spatiale, par les nombreuses transformations. L’avancée de la syntaxe architecturale d’Einsenman s’oriente peu à peu vers la décomposition à l’instar de la déformation générée par les multiples transformations. Il met en place un réel « processus diagrammatique », révélateur de la tension entre forme et spatialité. Chaque diagramme est une « trace ». La succession des diagrammes créés un ensemble qui est l’illustration de toute la réflexion du projet, pensée matérialisée. Cette illustration de la réflexion propose la constante relecture de celle-ci, des opérations réalisées entre chaque diagramme. La relecture observe ce qui a été généré, mais aussi la potentielle perte. Cette illustration de la pensée par étape permet ainsi l’observation et la compréhension de l’espace. C’est par cette relecture d’une pensée simplifiée selon un processus diagrammatique que l’architecte compose. Cet outil est pour Eisenman un élément expérimental. Il identifie deux notions : « structure profonde » et « structure de surface ». La première est l’ensemble des règles qui génère la syntaxe de son architecture. La seconde est ce qui est en ressort, celle qui est perceptible, la forme. L’une questionne l’autre, par l’observation évoquée précédemment, dans l’idée que la pensée de l’architecte est incrémentale, la « structure

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Diagramme, Peter Einsenman

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de surface » se compose selon la syntaxe de la «structure profonde». À l’opposé, la « structure profonde » apprend de la «structure de surface». La pensée simplifiée au moyen du diagramme atteint son paroxysme par la négligence totale de tous les aspects circonstanciels du projet tout au long du processus de conception.

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Croquis de la Casa de Cha da Boa Nova, Alvaro Siza

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IV. Le croquis comme pensée d’une pratique de l’espace Le croquis est une représentation réduite aux grandes lignes. Ses lignes et leur point de fuite rendent capable la perspective. Ce rapport entre la représentation et la réalité. Le croquis recherche cette perception visuelle. Cela indique une perception à hauteur d’œil. La perception visuelle projetée dans l’espace va rechercher cette pratique de l’espace. Comment celui-ci est perçu ? Comment est-il créé ? Quels sont les éléments de matières qui le définissent ? Dans cette recherche de projection visuelle, la perspective recherche ce rapport à la réalité. L’architecte joue le rôle de l’usager. Il désire visualiser, ressentir, vivre l’espace qu’il est en train de penser. Le croquis par cette manière d’appréhender la pratique de l’espace, la déambulation au sein de cet espace peut témoigner de cette promenade architecturale au moyen de séquences. Cette approche se veut d’autant plus réelle en prenant en compte que le regard de l’homme n’est jamais figé. L’homme même n’est jamais figé toujours en mouvement, engendrant des rapport de distance variant au cours du temps. Il s’agit d’exploiter la capacité de projection du croquis afin de pratiquer l’espace pensé. Cette représentation de l’espace nécessite de se situer par rapport à l’espace architectural représenté. Se situer, c’est définir une position qui sera l’origine du cône de vision. Ce choix est libre. La séquence de l’arrivée sur le site peut être une situation en extérieur, identifiant la perception du projet au lointain inscrit dans son environnement. Le projet aperçu dans sa totalité ou en parti se dessine, apparaît face à celui qui pense. L’écriture architecturale se matérialise. Le croquis propose une certaine prise de recul sur le projet et analyse, identifie son existence. Comment existe-t-il dans le paysage ? Le choix du point de vue est révélateur de cet idéal de la vision du projet depuis, cette position précise. On peut se référer à Alvaro Siza et le croquis de la Casa de Cha da Boa Nova. La projection se positionne de manière assez éloignée afin d’identifier la Casa et son intégration dans le site. Pour l’avoir visité personnellement, la Casa se trouve sur une côte rocheuse impraticable. Le projet consiste « à faire une horizontale proche de la surface, presque posé sur les rochers ». Le projet s’insère dans la côte de tel que l’entrée n’est pas perceptible. Le toit joue de cet ancrage dans le site, étant l’un des seuls éléments visible, celui-ci vient marquer sa présence,

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Croquis du Pavillon Allemand de l’Expositio Internationale de Barcelone, Mies Van Der Rohe

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créé l’identité du projet, devenant un élément remarquable du paysage. Le croquis est révélateur des intentions de l’architecte par sa liberté de définition de ses grandes lignes. Le croquis ne se veut pas exhaustif, il se contente de l’essentiel. Il révèle et questionne cet essentiel. En observant le croquis de la Casa, on remarque que Siza représente la roche existante, constituant la côte, ses variations, en contraste avec une ligne d’horizon marquant une horizontalité. Le croquis de Siza révèle une puissance de la toiture qui s’élève parmi la roche. L’élément de représentation révèle l’existence du projet dans son environnement, son identité. Cette projection visuelle définit la séquence de l’arrivée sur le site et la perception de la Casa depuis cette arrivée. Le regard mouvant, le corps en déplacement, la pratique de l’espace évolue. Toujours en questionnant la position du point de vue, engendrant un certain rapport aux éléments de matière. La perspective induit la notion de profondeur. Les éléments de matière se positionnent ainsi par rapport au point de vue, mais aussi les uns par rapport aux autres. La pratique de l’espace dimensionne ces éléments selon leur longueur, leur épaisseur ainsi que leur hauteur. Les trois dimensions sont évoquées au moyen du croquis. Les éléments prennent forme, engendrant un rapport de distance et de grandeur. Ils acquièrent leur existence. Le croquis laisse percevoir la définition des éléments de matière comme linéaire, planaire ou volumique. Selon la définition, le degré d’ouverture varie. La pratique de l’espace et la définition des éléments qui définisse cet espace, laisse projeter le regard plus ou moins loin. Dans le processus de conception, en dessinant le croquis, l’architecte positionne ces éléments un à un. Il y a toujours ce ressenti d’une composition. Le croquis par cette pratique de l’espace amène cette réflexion topologique. En observant les croquis du Pavillon Allemand de l’Exposition Internationale de Barcelone de Mies Van Der Rohe, on visualise les différentes séquences, d’une déambulation au sein du pavillon. Mies pratique l’espace en identifiant la nature des éléments : bâti, eau, végétal. La distinction de représentation fait des bassins des éléments de repères. On perçoit la profondeur de l’espace et rapport de distance. La pluralité des séquences devenant une réelle «suite d’effets d’espace» révèle la richesse de la composition de Mies Vans Der Rohe. Les séquences sont révélatrices de la pensée du plan ouvert de Mies. On observe l’autonomie des éléments de matière tel que la

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Croquis du Pavillon Allemand de l’Expositio Internationale de Barcelone, Mies Van Der Rohe

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paroi, le poteau, le toit. Mies identifie ce qui est de la paroi opaque comme articulation, guidant la projection visuelle, et ce qui est du poteau, laissant entrevoir. En ce qui concerne le toit, celui-cipar le débord accentue le jeu d’interpénétration de la composition. Ces séquences, en évoquant une réflexion purement topologique, figurent une réelle pratique de l’espace.

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Au soleil levant, Une douce lumière éveille le jeune couple Le silence des oiseaux survolent la cour Une étreinte, elle s’installe à la fenêtre Elle écrit… Au zénith, Une vive lumière habite l’espace Le bruit de la ville rythme la préparation du déjeuner Il rentre, un repas partagé sous tension Elle écrit… Au soleil couchant, Un bain animé par une lumière sanguine découle du ciel Face à elle, une ouverture. Il lui partage sa journée Un tartare de saumon en guise d’excuse Elle écrit… A la nuit tombée, L’habitat devient lanterne dans le quartier Le murmure d’un film. Ils s’entrelacent sur la banquette Elle s’endort…

Habitat diaphane, Texte personnel (S4)

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V. Les mots comme pensée évocatrice La pensée écrite sous forme de mots. « Le texte n’a plus la phrase pour modèle, c’est souvent un jet puissant de mot, un ruban d’infra-langue. »1. Ce « jet puissant » qui s’affranchit de toute syntaxe. Le jet dans sa liberté de création ne peut être retenu. Il s’agit d’évacuer ce flot. La pensée s’ancre, elle est pure, elle ne suit aucune règle. Le jet peut être constitué de mots n’ayant aucun lien les uns des autres, la pensée qui pense. Les mots peuvent être complémentaires cherchant à identifier tous les aspects d’une ambiance, d’une idée, d’un principe. Dans l’idée du brainstorming, la complémentarité apporte des notions possibles à aborder. Les mots génèrent des possibles. Le jet peut également identifier des dualités, cherchant une certaine tension, une relation, un rapport. Retirés de toute syntaxe les mots prennent une tout autre valeur, ils évoquent. Le mot, seul se tait et c’est parce qu’il se tait qu’il parle. Trouver le bon mot, celui qui évoque à la perfection ce qui est de l’ordre de la pensée. Trouver le bon mot, là est le plaisir de l’auteur. « Pour une architecture lente » de Laurent Beaudouin, se saisit de ce qu’évoque le mot seul. À chaque page, l’auteur qui est architecte, se fixe un mot et le définit. Ce qui est intéressant, c’est qu’à la fois tout le monde comprend le mot selon une définition générale, mais chacun s’approprie le mot. Il y a cette manière de se saisir du mot et le définir de manière subjective. Il génère un univers, peut être lié à une situation, une ambiance, une sensation. L’architecte compose avec ses mots. Le lexique de l’architecte apporte au processus de conception. Le mot seul évoque, mais qu’en est-il du texte, de cet ensemble de mots, de termes, de phrases, constituant un écrit ? Le texte génère aussi un imaginaire, mais celui-ci se précise par la description. L’auteur évoque ce qu’il imagine, voit, ressent dans l’espace pensé. Le texte par son association de mots, par sa syntaxe, précise. La succession d’adjectifs qualifie, excède, dépasse la simple évocation. La description induit une projection, un scénario qui génère chez l’architecte une certaine jouissance. Le scénario est vivant et son rapport à la réalité est défini selon le désir de l’architecte. Cet ensemble de mots ancre la pensée, ici perçue comme l’expression 1 Roland Barthes, Le plaisir du texte

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« Béton, bois, beurre, marbre, eau . Le béton cherche à être vrai. La bavure du joint exprime la nature du matériau coulé et aussi le module du coffrage. Elle renforce la perfection de la tranche des voiles et anime la texture subtile qu’imprime la veine du contreplaqué. Les impressions du teck et de verre qui marquent les studios et les bureaux viennent se bloquer dans le béton comme des boucliers de bois. Ils réalisent le caractère de la façade tournée vers le pacifique et le rythme du faca à face par-dessus le marbre de la cour. La cour. Pierre et marbre gravés d’une résille d’eau, qui coule, et se draine vers le murmure ininterrompu de la fontaine qui chante le message de son eau, présence d’une fraîcheur sous le soleil californien. »

La construction poétique de l’espace, Louis Kahn

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projetée d’un futur vécu. Ci-contre un extrait « La construction poétique de l’espace » écrit par L. Khan Les matériaux sont énoncés, l’atmosphère en découle. Chacun évoque un univers. Le mélange recherche une harmonie de la composition. Khan décrit et ressent la matière. Les mots permettent de fixer des pensées, sensations vécues ou projetées. Par son écrit l’architecte rentre dans le détail de l’atmosphère évoquée. La pensée du projet est vivante, le soleil se lève, se couche, le vent souffle parfois, la température varie selon la saison, les usages varient tout au long de la journée dans le même ou différents espaces, seul ou à plusieurs. Cette mouvance de la projection participe au processus de conception.

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CONCLUSION

La pensée dans le processus de conception se matérialise par ces éléments de représentation devenant des éléments de représentation de la pensée même. Ces éléments sont d’une nécessité absolue au cours du processus. En réalisant ce rapport, se positionner par rapport à chaque élément a nécessité de questionner l’expérience subjective en réalisant une introspection sur ces trois dernières années. Cette prise de position engendre une réflexion certes non-exhaustive, mais c’est par cette prise de position que la réflexion a pu se développer, soulever le questionnement. Certaines itérations ont été nécessaires, afin que la prise de position s’avère être la plus pertinente possible. Ce rapport, au travers des réflexions engagées a permis de cultiver la vision et le rapport aux outils. Tout au long du processus de conception, on constate ce continuel dialogue entre la pensée qui a besoin de se matérialiser, et la pensée matérialisée qui évoque. Ainsi, c’est un toute une suite d’itérations qui s’enclenche. Ces itérations, menées au cours du processus, ne s’avèrent pas être constamment liées au même outil. Afin de développer ce rapport entre l’élément de représentation et la pensée, ce rapport d’étude a traité les éléments un à un. Mais, dans le processus de conception, il s’avère être nécessaire d’alterner entre les différents outils afin de ressentir, visualiser et comprendre le projet. La pensée architecturale est incrémentale par la mémoire. Chacune des itérations menées au cours du processus engage une réflexion consciente ou inconsciente et surtout un apprentissage. La matérialisation de la pensée comme construction d’un savoir.

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BIBLIOGRAPHIE LITTÉRATURE « Pour une architecture lente », Laurent BEAUDOIN « La construction poétique de l’espace », Louis KHAN « Composition, non composition: architecture et théorie XIX et XX », Jacques LUCAN « La représentation du projet comme instrument de conception : approche pratique et critique » , Durand Jean Pierre « Figures de la conception architecturale : manuel de figuration graphique » Boudon, Philippe « Atmosphère », Peter Zumthor «Éloge de l’ombre», Junichirô Tanizaki ENTRETIEN Marion DEVILLERS, « Dessiner pour quoi faire ? »

SITES INTERNET https://sfarchi.org/larchitecture-en-representations/ https://architizer.com/blog/practice/details/architecture-101-what-is-asection/ http://www.fondationlecorbusier.fr http://www.detailsinsection.org http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2004. bailly_b&part=87487 https://www.persee.fr/doc/item_1167-5101_2000_num_14_1_1137 https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2019/07/28/architecture-lesquisse-a-la-fois-genese-et-chef-d-uvre_5494384_4497319.html

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https://fr.wikipedia.org/wiki/Dessin_d%27architecture#Plan_de_niveau https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2007-2-page-46.htm#no15 https://www.jerevedunemaison.com/pepite/8-cles-historiques-pourmieux-comprendre-haussmannien-paris https://www.arc.ulaval.ca/files/arc/Peter-Zumthor_Bregenz.pdf https://www.bewaremag.com/la-maison-pas-comme-les-autres-de-soufujimoto/ https://balises.bpi.fr/files/live/sites/Balises/files/Pdf/Arts/ BibliographieTadaoAndoatelechargerenPDF.pdf https://www.archdaily.com/106352/bruder-klaus-field-chapel-peterzumthor https://www.arc.ulaval.ca/files/arc/Tadao_Ando.compressed.pdf

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