Prince, Fragments d'un discours de fan (Fanny Capel)

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GUITAR I love U baby, but not like I love my guitar…

C’est sa croix, sa geisha, son hétaïre. Il faut voir en concert comme il la plaque sur son bas-ventre, comme il la berce, la caresse, lui lèche le manche, se couche sur elle, comme il la porte en offrande, bras tendus et tête inclinée, comme il la brandit au-dessus de sa tête pour la jeter de rage, ou la secoue de profil entre ses cuisses tel un phallus monstrueux… Parmi la vingtaine de spécimens en sa possession, dont certaines constituent des pièces uniques qu’il a lui-même dessinées, chacune possède son caractère et sa beauté propres, et le choix de la guitare pour le concert, comme le choix pour la nuit d’une des odalisques de son harem, reflète l’humeur du maître – la séraphique Cloud guitare blanche, la Hohner Telecaster en peau de tigre, cheap et canaille (sa préférée, la guitare de son adolescence), la Fender rouge, la pompeuse Gold Symbol Guitar… Le public espère le solo de guitare comme une apothéose. Noces de l’instrumentiste et de son instrument, moment 36

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obscène et sacré, on le sent venir de loin. Les musiciens préparent le terrain, ne laissant flotter dans l’espace qu’une ligne de basse ou un beat de batterie dépouillés. Au seuil de la première note, il y a comme une grande respiration angoissée, comme les premières secondes d’un saut fantastique du haut de la falaise… ensuite, on ne sait plus bien ce qu’on ressent, pris dans une traversée d’orage, une cavalcade sauvage, une orgie où le plaisir confine à la douleur. Et chaque fan chérit le souvenir d’un solo d’anthologie, délivré à telle date, en tel lieu, célébration liturgique d’une chanson, dont la fugacité (aussitôt joué, aussitôt envolé) ajoute au caractère bouleversant. Solos majeurs, éternellement mutants, de « Let’s go crazy », « Computer blue », « Purple rain », « Bambi », « The Ride », « Empty room », « Shhh »… Ce n’est pas tant la virtuosité qui bouleverse (même si elle joue son rôle), que l’intensité de certaines notes tenues, distordues jusqu’à la fausseté, haillons de métal jetés au ciel par poignées, qui retombent en pluie fuligineuse et fusent dans des directions inattendues, obliques, orientales… et ce corps à l’unisson du son, emporté dans un typhon… Tantôt le visage baissé, recueilli dans une intense concentration, sur l’agilité ailée des doigts… tantôt rejeté en arrière, masque de possédé, montrant les paupières closes et des tressaillements involontaires des lèvres, des tics dans les joues, exactement comme au bord de l’orgasme, un corps entièrement livré à la décharge… comme une dictée sublime, jaillissement qui le traverse de part en part, genoux fléchis, reins creusés, dessinant alors un S, tendu comme un arc électrique… Jeu ou transe sincère, peu importe, car alors, au fil des œillades putassières échangées avec le public qui brame d’aise, on entrevoit l’Olympe. 37

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