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Évariste

Tout compte fait, Évariste reste incontestablement le plus grand ovni de la musique populaire française. Devenu culte avec son Calcul intégral, ce chanteur hors du commun se distinguait notablement de ses congénères. Né dans l’Ain, en 1943, Joël Sternheimer ne garde malheureusement aucun souvenir de son père disparu à Auschwitz. Joël est un élève studieux et sans aucun doute plus doué que la plupart de ses camarades pour les mathématiques. Cela ne l’empêche pas d’écouter les premiers succès yéyé diffusés sur Europe n°1 dans l’émission Salut Les Copains

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Le jeune homme, alors en classe préparatoire à Lyon, amuse la galerie en réécrivant les chansons de Sylvie Vartan ou Richard Anthony. Après avoir été recalé de l’École Normale Supérieure et de Polytechnique, Sternheimer poursuit son cursus à Paris et obtient une licence ès sciences mathématiques. Ses condisciples le surnomment Évariste, en référence à Évariste Galois éminent mathématicien du 19ème siècle décédé à l’âge de vingt ans lors d’un duel. L’obtention d’un doctorat en physique théorique propulse Sternheimer à l’université de Princeton dans le New Jersey où il devient assistant du professeur Wigner qui étudie la théorie des groupes aux masses de particules. Mais la guerre au Viêt Nam engendre une baisse des budgets alloués aux chercheurs et son poste est supprimé.

De retour en France, Joël reprend l’un de ses textes pastiches Connais-tu l’animal qui inventa le calcul intégral ? et le met en musique. Il pense alors pouvoir faire mieux que les débutants, Antoine (diplômé de l’École Centrale) et Dutronc, qui ne l’impressionnent guère : « Ce que je pense d’Antoine et de Jacques Dutronc, ça commence par C et ça fini par On ». Le label Disc AZ est séduit par l’univers surréaliste et caustique de Sternheimer qui choisit le pseudonyme d’Évariste sans toutefois envisager une carrière d’artiste. Ce Calcul intégral attise la curiosité des médias qui diffusent la chanson et veulent en savoir davantage sur cet excentrique qui, avec ses cheveux longs et ses diplômes, détonne tant dans le paysage musical. Les réponses du jeune homme qui mêle références mathématiques, philosophiques ou historiques laissent souvent sans voix le journaliste un peu perdu. Deux 45 tours sont enregistrés avant que ne surgisse mai 68. Sur le deuxième, Wo I nee, il reprend le général de Gaulle sur “La chasse au boson intermédiaire” en évoquant un quarteron d’octogénaires, quand le président de la République évoquait les généraux putschistes de l’Algérie française.

Celui qui a connu les manifestations contre la guerre au Viêt Nam ne reste pas insensible à ce vent de mécontentement qui gronde aux quatre coins de l’Europe. Évariste participe à l’occupation de la Sorbonne qui lui inspire les titres “La Révolution” et “La Faute à Nanterre” : « Si j’suis tombé par terre, c’est la faute à Nanterre, le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Grimaud ». Grimaud est alors le préfet de Police de Paris qui a fort à faire avec la “chienlit” provoquée par la jeunesse. Le label refuse de publier ce 45 tours controversé qui voit quand même le jour en autoproduction. Une première dans le métier. Georges Wolinski illustre la pochette du disque qui sera vendu en masse à 3 francs pièce. Évariste publie deux autres disques illustrés par Wolinski dont le nostalgique “Reviens Dany reviens” en hommage à Cohn-Bendit, leader de la fronde étudiante de 68, à Nanterre. Le chanteur ne vit que des droits d’auteur de ses chansons car il refuse d’être rémunéré pour son travail de cher cheur afin de ne pas être aliéné ; ce qui représente pour lui un obstacle à la création. Le compositeur écrit les chansons des pièces de Claude Confortès et Wolinski, Je ne veux pas mourir idiot puis ne pense qu’à ça

Au cours d’une émission de télévision, Évariste déclare que le bonheur ne peut guère être un but dans la vie, dans la mesure où il ne peut pas se distinguer de son illusion, c’est-à-dire du délire schizophré nique. En 1971, les médias sollicitent Évariste pour évoquer l’organisation de la société qui souhaite établir un système hiérarchique comme celui des systèmes bureaucratiques. La hiérarchie étant équivalente à la naissance de deux notions : l’aliénation qui est son moteur et l’exploitation qui en est sa conséquence. D’autres théories sont parfois plus hasardeuses. Ainsi, il prévoit l’extinction de l’espèce humaine pour 1992 suite à une guerre mondiale ou une révolution en s’appuyant sur les faits survenus depuis la fin du 19ème siècle. L’ORTF renonce d’ailleurs à diffuser un documentaire intitulé Évariste et les 7 dimensions considérant que ses propos relèvent davantage de la science-fiction que de la science.

Joël Sternheimer délaisse peu à peu son activité de chanteur et les milieux gauchistes pour se consacrer à ses recherches sur la biologie cellulaire, les particules élémentaires et les “protéodies”, des séquences musicales provenant de celles des protéines. En 1984, il devient conseiller scientifique de la nouvelle Cité des sciences et de l’industrie, à Paris où il fait installer un piano des particules. Il n’a jamais exprimé l’envie de revenir dans le milieu de la chanson mais laisse une œuvre

Auteur d’un second disque Normal anormal dans la continuité de leur précédent Incendies , le duo originaire de Belleville poursuit sa peinture sonore d'une société où les espaces de liberté se raréfient, oxygène pourtant indispensable à la bonne respiration de la démocratie.

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