Loriane Lucas - Bousculer un territoire alangui - Mémoire de fin d'études (TFE) février 2020

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-Bousculer un territoire alangui Rencontre de deux histoires, celle d’un plateau céréalier et celle du projet Cigeo, Centre industriel de stockage géologique des déchets radioactifs

Loriane Lucas Mémoire de fin d’études 2019-2020


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Un territoire languide bousculé d’une certaine manière et à bousculer d’une autre * Bousculer

apporter un renouvellement brutal, un changement complet dans quelque chose (Dictionnaire Larousse)

* Alangui

être dans un état d’abattement, de faiblesse (Dictionnaire Larousse)


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MEMBRES DU JURY Directeur d’études Lolita Voisin

Ingénieur paysagiste et maître de conférences en aménagement de l’espace et urbanisme Directrice et enseignante en stratégie d’acteurs appliquée au projet de paysage à l’école de la Nature et du Paysage de Blois

Professeur encadrant Fred Maillard

Artiste plasticien à Voiture 35 - Fred Maillard et membre de la plateforme Terrain de Jeux Enseignant en communication visuelle à l’école de la Nature et du Paysage de Blois

Président de Jury Bruno Ricard

Docteur en méthodes de conception et techniques urbaines Ingénieur en génie civil et urbanisme Enseignant en hydrologie à l’école de la Nature et du Paysage de Blois


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Comment accompagner et impulser des mutations sur le territoire enclavé entre la Meuse et la Haute-Marne avec le projet Cigeo contre le déclin de l’hyper-ruralité et pour la mémoire des déchets radioactifs ? Mémoire de fin d’étudeS 2019-2020


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Sommaire 8-9 10-11 12-13

Avant-propos Introduction Généralités

1- Approcher un territoire sous tension 14-23

Une opposition palpable

24-25 Un projet qui divise à différentes échelles

de l’extérieur vers l’intérieur du territoire 26-27 Une lutte visible, invisible, bruyante à silencieuse 28-31 Une lutte construite contre le projet

Transition : Quels sont les arguments contre Cigeo ? 2- Comprendre la gestion des déchets nucléaires

36-37 38-39 40-41 42-43 44-45 46-47

A l’origine du nucléaire A l’origine des déchets radioactifs Des réponses de gestion tendant vers la fiction Divergences internationnales Les solutions techniques actuelles Vivre à côté d’un risque nucléaire majeur ?

Transition : Comment a été fait le choix du territoire pour ce projet industriel pharaonique ? 52-53 54-55 56-57 58-59 60-61 62-63 64-65 66-67 68-69 70-71 72-73 74-75 76-77

3- Constater la déprise d’un agricole enclavé

Un territoire observé pour son histoire géologique A l’origine des paysages contrastés des côtes et plateaux territoire Une hyper-ruralité choisie pour un projet controversé Des services fragiles sur le territoire hyper-rural Quatre manières de vivre la ruralité sur le territoire Une lente désindustrialisation et baisse démographique Un potentiel fluvial à valoriser La structure du socle Les paysages hyper-ruraux d’Ouest en Est Les relations entre topographique et urbanisation De l’avenir des pratiques agricoles Un remembrement comme bouleversement majeur de l’histoire du plateau buron Les conflits hyper-locaux


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Transition : Que se passera-t-il demain ?

4- Construire la rencontre entre l’histoire locale Bure/Saudron et l’histoire du nucléaire 84-89 90-91 92-93 94-95 96-97

Les relations agricoles et industrielles dans le paysage L’Andra et la plannification du projet Cigeo Les besoins de l’Andra et ses potentiels pour le territoire Une gouvernance en question Une mémoire pour les déchets nucléaires, divergences internationales

Transition : Que se passera t-il après-demain ? 5- Connecter hier, aujourd’hui, demain et après demain 1O4-105 106-107 108-109 110-111 112-115 116-119 120-123 124-125 126-127 128-131

Du besoin d’un projet de cohésion inter-rurale Un changement de gouvernance comme levier de projet Une échelle de projet Restructurer le territoire par une nouvelle voie ferrée Habiter la voie ferrée Réouvrir le territoire par le transport fluvial Soutenir le territoire par un centre de formation Faut-il aménager la mémoire pour les déchets radioactifs ? Renouveler les pratiques agricoles Vers de nouveaux paysages agroforestiers

132-133 Annexes 134-135 Conclusion 136-137 Remerciements 138-139 Bibliographie


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Avant-propos Pour cette année de diplôme, découvrir une nouvelle région était pour moi essentiel. Je souhaitais développer un regard neuf, rencontrer des habitants, dessiner des paysages, m’imprégner de la culture, comprendre les relations conflictuelles . . . Ce sont les relations humaines qui, de par leur nature et leur évolution dans le temps, déterminent des usages, sculptent et colorent le paysage. Ces couleurs font rarement partie d’un même camaïeu et donnent lieu à des ruptures dans la composition du territoire. Les conflits sont partout, ils sont comme consubstantiels à l’espace qui est limité et sur lequel viennent se juxtaposer, superposer des usages différents sinon contradictoires. Ces conflits peuvent être de différentes complexités et importances. Le paysagiste, dont le terrain de jeu se rapporte à l’espace, est régulièrement confronté à des problématiques idéologiques et politiques lorsqu’il conçoit un projet de paysage. Etudiante, j’ai observé au cours de ces dernières années d’étude la difficulté liée aux enjeux soulevés par les partis pris de projet. Dénicher des solutions par le paysage pour délier les noeuds et arriver à une diplomatie de projet est une posture que j’aimerais

développer dans ma future pratique de paysagiste et que j’ai envie d’expérimenter ici, par ce présent travail de fin d’étude. Par ailleurs, je me suis posée la question du rôle que pouvait avoir un paysagiste dans le cas de conflits majeurs. C’est donc par cette première envie que j’ai commencé à chercher des lieux de conflits pour mon diplôme. Aujourd’hui, beaucoup de grands débats de société touchent des sujets environnementaux, souvent liés à une pollution. Un des plus connus est celui du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes qui représente un des grands symboles contemporains de la lutte militante. Il s’inscrit dans la liste des GPII «grands projets inutiles et imposés» de la «Charte d’Hendaye». Elle a été signée en décembre 2010 lors d’une manifestation contre les projets de lignes à grande vitesse (LGV) rassemblant 15 000 personnes à la frontière franco-espagnole entre Hendaye et Irun (collectif Des plumes dans le goudron, 2018). Le petit livre noir des grands projets inutiles militant sous le pseudonyme Camille en 2015, établit une liste conséquente de ces projets en invitant à multiplier les zones à défendre (ZAD). Le projet d’enfouissement des déchets radioactifs prévu à Bure (55) a retenu

mon attention par son ampleur technique, spatiale et temporelle. Il s’agit d’un projet titanesque qui a pour objectif de mettre à 500m sous terre, les déchets radioactifs les plus dangereux produits par l’industrie nucléaire et dont la durée de vie avoisine les 100 000 ans. Je me suis également intéressée à d’autres espaces très conflictuels qui ne font pas nécessairement partie des GPII évoqués précédemment. Le démantèlement de la plus ancienne centrale nucléaire de Fessenheim a été fortement débattu et repoussé à plusieurs reprises car cela implique de grands bouleversements culturels, économiques et sociétaux. Son arrêt définitif était une des promesses de campagne de François Hollande en 2012. Cependant, beaucoup de syndicats s’y sont opposés en raison des 850 agents EDF et 250 salariés d’entreprises prestataires y travaillant. Aux dernières nouvelles, les réacteurs de Fessenheim ne fonctionneront plus au-delà de l’été 2020. Le cas des boues rouges de Gardanne m’ont fortement intéressée lors du choc médiatique du 12 février 2019. En effet, des opposants au rejet en mer et au stockage en plein air des boues rouges de l’usine Alteo ont déversé des boues rouges chargées


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en métaux lourds devant le ministère de l’environnement. Certaines personnes s’inquiètent pour la santé des locaux tandis que d’autres y voient une source d’emplois importante; ce qui crée localement des conflits. Ces espaces de conflits ont en commun d’opposer des enjeux environnementaux et économiques, soit des «protecteurs» et des «aménageurs». Une vision généraliste et nuancée pourrait être apportée par le paysagiste. L’ouverture d’un dialogue peut également être proposée par ce dernier. Le paysagiste n’est pas un acteur politique bien que son action soit intimement liée à cette notion. On pourrait penser que cela limite la pensée et les choix du paysagiste et peut poser des questions d’éthique. Je pense cependant, que c’est précisément son analyse complexe des tensions politiques et de leur cadre qui lui permet de se saisir de son absence de pouvoir décisionnel de voir au-delà, de les manipuler avec subtilité et d’en faire son atout créatif. En effet, l’approche paysagère est transversale et permet de se projeter à plus ou moins long terme. Le paysagiste dessine donc en veillant à ce que les couleurs visibles, existantes et celles encore invisibles dans le paysage s’accordent. Les résidus de bauxite de l’usine d’aluminium Alteo sont déposés sur le site de stockage en plein air à proximité de Gardanne (19)

Gardanne


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Introduction J’ai finalement reconsidéré ma première idée qui consiste à travailler autour du projet d’enfouissement des déchets radioactifs en couche géologique, Cigeo. J’y ai pressenti une marge de manoeuvre pour un projet de paysage que je ne percevais pas sur le site de Gardanne par exemple. A Gardanne, il me semble que l’urgence sanitaire et écologique dépasse les compétences d’un paysagiste et que les tabous politiques se cristallisent depuis longtemps et pour longtemps. En effet, le projet Cigeo, s’il voit le jour, impulsera des changements radicaux, brutaux sur le territoire dont les impacts dépassent le site d’exploitation de manière intrinsèque. Nouvelles circulations, réaménagements de surface, flux de population, voie ferrée, . . . Un bouleversement assez global implique un regard transversal et fait émerger de nombreux questionnements. Comment viton aujourd’hui sur une zone de conflits ? Est-ce qu’on peut vivre à côté d’un centre d’enfouissement de déchets radioactifs en couche géologique ? Quel est l’avenir de ce territoire pendant l’exploitation du site Cigeo et après ? Quelle trace, quelle mémoire laisse-t-on de ce site ? Ainsi, je me suis interrogée sur la manière dont on vit ce territoire

aujourd’hui et dont on l’investira demain et après demain. Dans un premier temps, je suis allée me confronter au territoire sous tension, à sa réalité locale pendant quelques jours d’été. Puis, j’ai cherché à comprendre d’où venaient les déchets radioactifs et comment le choix du village de Bure avait été pensé pour décider de les enfouir ici. Ensuite, je me suis demandé quel pourrait être l’avenir en ce lieu, si cette rencontre forcée entre l’histoire d’un territoire agricole enclavé et celle du problème national de la gestion des déchets radioactifs venait à se concrétiser durablement. Ensuite, je me suis questionnée sur le besoin de conserver une mémoire de ces déchets. Enfin, j’ai essayé d’imaginer une trajectoire conciliante pour ce territoire conflictuel.


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Extraits de carnet de terrain ĂŠtĂŠ 2019


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Généralités Actuellement, seul un laboratoire souterrain transfrontalier existe entre la Meuse (55) et la Haute-Marne (52), non loin des Vosges (88). Il est composé de galeries situées à 490 m de profondeur dans la même couche d’argilite Callovo-Oxfordien où serait implantée non loin de là, au-dessous du bois Lejuc, la zone de stockage du projet Cigeo. L’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) a été missionnée par l’état pour gérer les déchets radioactifs. L’agence vient juste de déposer sa demande d’autorisation de création (DAC) pour le projet Cigeo fin 2019. Il faudra attendre encore 3 ans pour que le projet Cigeo soit définitivement acté ou non. La catégorie de déchets radioactifs qu’il est envisagée d’enfouir de manière irréversible en couche géologique correspond aux déchets les plus radioactifs produit par la France. Il s’agit des déchets HA (haute activité) et MA-VL (moyenne activité à vie longue) dont la durée de vie est comprise entre quelques milliers à quelques centaines de milliers d’années (source Andra et laradioactivite.com). Saudron(52)

La Meuse (55)

Les Vosges (88) La Haute-Marne (52)

Bois Lejuc (55)

Bure (55) Espace technologique de l’Andra (52) Laboratoire souterrain de l’Andra (55)

Mandres-enBarrois (55)

Zone Puits

Zone Descenderie -20m -120m Double descenderie

Puits

-420m

-550m

Zone de stockage MA-VL

Zone de stockage HA


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Un centre d’enfouissement des déchets radioactifs pour 100 000 ans à 500m sous terre . . . Lorsque l’on entend parler de Bure la première fois, il est très difficile de se faire une idée de ce que cela représente tant la démesure du projet nous dépasse. . REPèRES de durée A- -100 000 ans : Premières sépultures (homme de Néandertal) B- -50 000 ans : Apparition des premières formes d’art (homo sapiens) A-

C- -20 000 ans : Peintures de Lascaux (homo sapiens) D- -10 000 ans : agriculture (Croissant fertile) E- -3 000 ans : écriture (Egyptiens) C-

B-

Il y a 100 000 ans

D- E-

Durée de vie estimée des déchets radioactifs ultimes

Aujourd’hui

Dans 100 000 ans

REPèRES de profondeur

2-

1-

1- 105,5 m : Station de métro Arsenalna (métro de Kiev, Ukraine) 2- 140 m : Tunnel ferroviaire de Seikan (Japon) 3- 176 m : puits de la forteresse de Kyffhaüser (Allemagne) 4- 3,9 km : mine d’or Tautona ( Afrique du Sud) 5- 12 km : forage à Kola (Russie)

3-

4-

5-


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APPROCHER un territoire sous tension «Y a-t-il de votre part un refus fondé sur des raisons objectives et je vous invite à nous les dire ou doit-on traduire votre refus par une crainte confuse et irrationnelle du fait du stockage ?» Christian Bataille, député «Chez nous,nous n’enterrons que les morts.Pour nous il est irrationnel d’enterrer des produits actifs, donc je ne sais pas où est la rationalité. Est-ce nous qui sommes irrationnels si nous disons qu’il ne faut pas enterrer quelque chose qui est radioactif ?» M. Freret (Deux-sèvres)


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Une opposition palpable En juillet 2019, je me suis rendue pour la première fois à Bure. Je n’étais jamais allée en Meuse, j’ignorais tout de ses paysages, de ses habitants et de la forme que pouvait prendre le conflit autour du projet Cigeo. Par cette première approche, j’espérais prendre la mesure de ce qui se passait sur ce territoire, au-delà de l’information médiatique propagée dans les articles de presse et sur internet. C’est emplie de curiosité que je suis partie rencontrer cette réalité rurale peu banale.

L’immensité jaune, un paysage ouvert et graphique ...

... s’étire à l’horizon et vers le ciel


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Les vaches paissent dans les fonds de vallĂŠe


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La ligne haute-tension symbolise bien lĂ oĂš je suis, en plein milieu de la diagonale du vide


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Le paysage est marqué par les éoliennes dans lesquelles le vent s’engouffre.


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Pendant que les agriculteurs s’activent dans la nuit, l’Andra concurrence les étoiles.


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Après son passage, les chemins agricoles et anciens usoirs se revĂŞtent d’un lisse bitume.


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Réoccupation du bois Lejuc


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Un projet qui divise à différentes échelles de l’extérieur vers l’intérieur du territoire Cigeo est un sujet de société que l’on retrouve dans les débats publics mais qui est également discuté entre scientifiques. Par exemple, Bertrand Thuillier, agronome et professeur à l’université de Lille, a étudié plusieurs centres d’enfouissement, comme celui de Mol en Belgique qui présente des similitudes avec celui de Bure. Il présente divers risques du stockage en couche géologique. Il pointe notamment du doigt les risques d’incendie, d’explosion et de contamination. Ainsi, le professeur s’oppose à ce mode de gestion et propose un entreposage à sec et en surface pendant 100 ans qui permettrait un dégazage, une perte en température et laisserait du temps à la science de trouver une meilleure solution (Bertrand Thuiller, 2019). On croise également des signes de lutte autour de Bure mais aussi beaucoup plus loin sur le territoire français. En effet, j’ai vu apparaître de plus en plus de tags “BureStop” (nom d’une association) sur la route entre Blois et Châteauroux que j’emprunte assez régulièrement. Il est évident que si le laboratoire de l’Andra n’avait pas élu domicile à Bure, on ne trouverait probablement pas de tags ici. C’est parce que la situation géographique de l’Andra engendre l’arrivée d’une population

militante, souvent jeune, venant de territoires ruraux comme urbains dispersés à l’échelle nationale voire internationale, que naît ce besoin de communiquer afin d’exprimer une occupation, une présence, une résistance collective. C’est ainsi un moyen de rassembler autour d’un message politique transmis par un langage spécifique, lié au mouvement contestataire “antinucléaire” mondialisé (représenté par de nombreuses associations) mais qui fait difficilement écho auprès d’une population hyperrurale et vieillissante. Par exemple, le sigle “ACAB”, signifiant “All cops are bastards” (soit “Tous les flics sont des bâtards”), est un slogan anti-police popularisé durant la grève des mineurs britanniques de 1984-85 qui est très utilisé encore aujourd’hui dans le milieu militant. En effet, ces tags font sens au sein d’un groupe en marge ; c’est ainsi que les membres communiquent entre eux hors de l’information et de la communication habituelle (ENi. P. Orlandi “Métaphores de la lettre : écriture, graphisme”). Les tags rassemblent comme ils divisent au sein des «anti-Cigeo», car les revendications ne sont pas exprimées dans le même registre et que ces tags peuvent s’apparenter à du vandalisme, une dégradation

du cadre de vie pour les locaux. Les traces laissées sont presque indélébiles, elles peuvent être anxiogènes pour les habitants car perçues comme des agressions d’étrangers anonymes et font l’objet de frais supplémentaires puisqu’il faut réparer les dégâts. La mairie de Bure par exemple a été taguée à l’huile de vidange qui s’est infiltrée dans la pierre ancienne. Ce geste désigne une personne voire un petit groupe d’individus anonymes mais n’est pas représentatif du mouvement. Il ne me semble donc pas pertinent d’essayer d’identifier les «antiprojet» comme appartenant à une même idéologie sociale ; ce ne serait que caricaturer et fausser les relations des différents acteurs d’un conflit. Toutefois, il est important de souligner qu’il n’y a pas un mais plusieurs conflits. Les citoyens opposants peuvent se sentir en conflit avec l’Andra, de manières différentes, plus ou moins lointaines.


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Caravanes dans le jardin de la Maison de la Résistance à Bure Novembre 2019

Traces de l’occupation passée du Bois Lejuc Novembre 2019

Huile de vidange projetée sur la mairie de Bure en février Novembre 2019

En quittant Montiers-sur-Saulx Octobre 2019


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Une lutte visible, invisible, bruyante à silencieuse Si les tags, occupations de lieux symboliques et autres manifestations publiques ne font pas l’unanimité localement, ils représentent une forme visible de la lutte. Cela montre un besoin de s’exprimer sur des prises de décisions importantes auxquelles les citoyens ne sont pas conviés. Cependant, cette lutte peut prendre d’autres formes. Aujourd’hui, la répression sur Bure prend des dimensions très importantes. Les habitants, jusqu’aux agriculteurs qui travaillent dans leurs champs, sont régulièrement interpellés par la gendarmerie mobile. Nombreux sont les habitants du territoire de proximité qui se plaignent régulièrement de cette répression quotidienne qui rend leur vie pesante. En effet, la patrouille

Et alors ton maraîchage à Ecurey ça se passe bien ? Oui,ça va. Y a 3 mecs en réinsertion qui m’aident bien. Là je vends mes légumes aux restaurants et en vente directe.

circule en permanence sur le territoire et chaque individu semble suspecté d’être un opposant à Cigeo. Je suis allée 4 fois sur site et je me suis faite contrôlée à chaque visite, plusieurs fois et souvent par les mêmes gendarmes. Ce climat de méfiance de l’autorité déteint sur l’atmosphère générale du territoire, comme si toute nouvelle personne sur le territoire n’était pas là par hasard et était forcément pour ou contre le projet Cigeo. Les yeux plissés du visage des gens qui essayaient de comprendre qui j’étais et surtout de quel “bord” j’étais, je les ai croisés plusieurs fois. Les habitants de la Maison de la Résistance à Bure sont les premiers visés par la répression. Ils se savent sur écoute et sortent très rarement et le plus possible en groupe, de

Ok, et tu voudrais élargir ton marché ?

Ah oui ?! Et t’as dit quoi ?

Pourquoi pas ? D’ailleurs, l’Andra m’a contacté pour des légumes .

J’ai rendez-vous vendredi, je vais voir.

peur d’être contrôlés. Ils font partie de ceux qui ont occupé le bois Lejuc et sont potentiellement recherchés. A les écouter parler, j’ai l’impression qu’ils vivent dans un climat de guerre. En 2019, les dernières tentatives d’occupation n’ont duré que quelques jours. Le rapport de forces inégal semble être à la défaveur des opposants. Cependant, leur combat n’est pas terminé ; en effet, tous les deux ans le festival “Les Bure’lesques” propose concerts, spectacles, projections et conférences sur le sujet du nucléaire et de l’enfouissement des déchets. Beaucoup de citoyens manifestent également leur mécontentement lors des concertations organisées par l’Andra ou des manifestations dans les préfectures. Mais il existe aussi des petites marques subtiles de cette lutte qui habitent le quotidien de la population. . .

16 10 Un soir à Villiers le Sec 19 Fais gaffe, si tu vends à l’Andra et que les gens l’aprennent, ils viendront plus t’acheter tes légumes. C’est ça la lutte silencieuse.


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*Paroles entendues sur le terrain à Bure et ses environs entre juillet et novembre 2019 ‘‘J’ai vu les routes de ma commune se détériorer. Aujourd’hui, sur 1600 véhicules par jour, 350 sont des camions !’’ Maire de Sauvoy, Novembre 2019

‘‘Un référendum a été demandé ici il y a 10 ans, il a été refusé contrairement à Notre-dame-des-Landes.’’ Opposant (55) Novembre 2019

‘‘Je ne veux pas participer aux sondages de l’Andra car je n’ai pas voulu ça. Et je ne veux pas qu’un jour mes petits enfants me disent : Papi qu’est-ce que t’as laissé faire sur notre territoire ?’’ Habitant de Couverpuis (55) Novembre 2019 ‘‘Il y a des manifestations très souvent ici mais on n’est pas assez nombreux. Et puis, c’est eux les patrons !’’ Habitante de Domrémi la Pucelle (88) Juillet 2019

‘‘Le territoire appartient à l’Andra.’’ Habitant de Bure (55) Novembre 2019 ‘‘Je ne veux pas répondre à des questions concernant l’Andra. Une des règles pour se protéger les uns les autres, c’est l’anonymat. On a tous des blazes, je te conseille de t’en trouver un.’ Habitante de la Maison de la Résistance, Bure (55) Juillet 2019

‘‘L’Andra, on nous l’impose.’’ Habitant de Bure (55) Novembre 2019

‘‘Je vais aux bêtes, y a la patrouille. Je vais aux bêtes, y a des hélicos. Les contrôles d’identité, je commence à en avoir marre !’’ Agricultrice à Mandres-en-Barrois (55) Novembre 2019 ‘‘On nous avait parlé d’un projet de territoire mais le territoire est réservé à l’Andra.’’ Maire de Montiers sur Saulx (55) Octobre 2019


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Une lutte construite contre le projet Entre 1982 et 1984, une commission dirigée par Raimond Castaing se réunit afin d’étudier les possibles sur le devenir des déchets nucléaires à vie longue et le type de gestion à adopter. Celle-ci se positionne finalement en faveur d’un stockage géologique. En 1987, l’Andra, qui est encore une antenne du CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), est mandaté pour étudier l’insertion d’un centre de stockage. Des géologues sont alors envoyés sur le terrain sur 4 sites aux géologies différentes mais les premiers mouvements contestataires se mettent rapidement en place partout. Un comité intercommunal d’action et de défense CIAD se forme dans les Deux-Sèvres tout comme l’association CADSA dans le Maine-et-Loire. Des opposants se regroupent sous la Sauvegarde de la Bresse tandis que dans l’Aisne, un Comité Anti Poubelle de l’Aisne CAPA voit le jour. Face à cette première stratégie politique, l’opposition est particulièrement radicale et unanime. Finalement, une vingtaine de sites est approchée (“Notre colère n’est pas réversible.”, Collectif Burestop, 2014) dont Bourg-d’Iré (49), Bourg-en-Bresse (01), Neuvy-Bouin (79), ou encore

Sissonne (02). Les géologues n’ayant pas pu faire de forages, repartent et l’état est obligé de soumettre un moratoire en préparation de la Loi Bataille. Le 31 décembre 1991, l’état met en place cette loi qui propose une nouvelle stratégie d’approche. L’état promet une réversibilité du projet et des compensations financières pour le développement des départements candidats. De plus, on parle uniquement de l’implantation d’un laboratoire, pas d’enfouissement. 3 départements sont alors retenus : le Gard, la Meuse-Haute Marne en formation argileuse et la Vienne «Ni ici, ni ailleurs» pour sa couche granitique. Les citoyens se mobilisent en se mettant en relation avec la Coordination des anciens sites. Le site de Bure est finalement choisi en 1998 pour l’implantation du laboratoire géologique. La loi Bataille imposait un deuxième laboratoire en sol granitique, mais l’opposition reste très importante et ce projet est abandonné. A Bure, plusieurs manifestations, et occupations ont eu lieu depuis 1998. Entre 2016 et 2018, la présence des forces de l’ordre s’est intensifiée et a donné lieu à des affrontements, notamment autour du Bois Lejuc, lieu d’occupation emblématique. Aujourd’hui, les

relations demeurent tendues même si l’occupation du Bois semble plus difficile que par le passé en raison de l’omniprésence policière. Les concertations citoyennes menées par l’Andra auprès des citoyens montrent encore que le projet et la manière dont il s’impose au territoire ne sont pas acceptés. Le débat public du 25 novembre 2019 organisé par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) a également mis en lumière le problème de gouvernance de l’Andra et une réelle envie des citoyens d’être davantage impliqués dans la gouvernance du territoire. Ainsi, la politique de l’Andra semble ne pas fonctionner, peut-être faudrait-il changer de stratégie de gouvernance à nouveau.

« Pour réduire l’opposition écologique au stockage des déchets nucléaires, les pouvoirs publics proposent aux parlementaires de conjuger transparence des pratiques et incitations financières» Aline Richard, La tribune de l’Expansion, 25 juin 1991


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politique de «terrain» 1987-93 Stratégie au nom de la «recherche»

1982-84 Choix du stockage géologique

OPPOSITION RADICALE sur 25 sites approchés «Ni ici, ni ailleurs»

Une Commission se réunit pour chosir un mode de gestion des déchets radioactifs

Juin 1989

... 2000 personnes dessinent un «NON» humain à Bourg d’Iré (49)

Février et Juillet 2019

Tentatives de réoccupation du Bois Lejuc

Mars 2018

1990 Moratoire Arrêt des travaux

Bataille 1991 Loi Nouvelle stratégie politique

Combat des forces de l’ordre contre les opposants à Bure

Stratégie politique du «compromis» à l’appel à candidature contre compensation financière

Juillet 2016 puis du 15 août 2016 au 22 février 2018 Occupation prolongée du Bois Lejuc

2005 2004

Référendum local refusé Bure Zone Libre (association) achète la future Maison de la Résistance à Bure.

L’Opposition se mobilise sur les 4 sites choisis par l’ANDRA ( le Gard, la Vienne, la Haute-Marne et la Meuse)

1991-.. ? 1993-94

Un millier de manifestants 1995 à Joinville contre le projet d’enfouissement à Morlley (55) et Cirfontaine(52) Après le choix de l’Andra pour 1998 la commune de Bure, 3000 personnes manifestent dans les champs face aux forages


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Photographie extraite de la série «Bure ou la vie dans les bois» de Jürgen Nefzger pendant l’occupation du Bois LeJuc 2016-18


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Transition : Quels sont les arguments contre Cigeo ? Au-delà de toutes les études réalisées par les équipes scientifiques, la gestion d’enfouissement en couche géologique reste un sujet expérimental, innovant techniquement et temporellement à l’échelle mondiale, il est donc forcément incertain et ne permet pas une prise de recul suffisante. La science perd son authenticité absolue et s’oriente selon des volontés politiques nationales. Le débat qui existe aujourd’hui est donc inévitable et nécessaire afin de soulever le plus de questions possibles. Je n’orienterai donc pas mon travail ni contre ni pour le projet Cigeo, je m’affranchirai de cette question dichotomique. Dans mon rôle de paysagiste, je pourrais essayer de dépasser le différend, de comprendre plus en finesse les conditions des conflits. En effet, à l’échelle locale, on ne peut pas évoquer un seul conflit binaire, mais plusieurs, déjà existants ou générés, que l’on entrevoit dans cette partie mais que je développerai par la suite et sur lesquels je pourrais travailler pour le projet de paysage. J’essaierai néanmoins de comprendre dans un premier temps de quoi il est réellement question. Quel est le sujet ? D’où vient ce choix de gestion ? Est-ce que les autres pays nucléarisés font de même ?

* Il s’agit ici d’une liste d’arguments soulevés dans différents ouvrages et sites internets d’opposition et dans la presse.

Enjeux technologiques et de Sureté ARGUMENTS SANITAIRES ET DE Sécurité > Les structures de soutènement métalliques (évitant l’effondrement des galeries) vont être en contact avec de l’eau et produire de l’hydrogène. Ce même hydrogène peut entraîner divers problèmes, dont la fragilisation de la structure par la pression gazeuse. Il est aussi un combustible en cas d’incendie et être un explosif1. > la mémoire des déchets n’est pas possible6. > Le personnel de l’Andra aurait des conditions de travail délicates, dans un milieu confiné, poussiéreux avec des risques de chutes, d’écrasement et la potentielle présence de sources radioactives dans la zone de stockage1. > Les transports de déchets nucléaires, par trains et par camions, provoqueront des nuisances et sont dangereux6. ARGUMENTS TECHNIQUES > Il existe un risque d’effondrements liés à la structure de la roche argileuse gorgée d’eau1. > La conception de Cigeo est faite telle que pénétrer dans les alvéoles irradiantes soit impossible. Il sera donc très complexe d’y effectuer une maintenance des équipements notamment de la ventilation1. > La ventilation est primordiale pour éviter les risque d’incendie et d’explosion mais sa gestion dans le temps est complexe et le milieu confiné de plus en plus difficile d’accès pour intervenir. Il faudrait un arrêt de 10 jours pour que la concentration d’hydrogène soit critique1. > L’argilite est trop fine pour placer des ascenseurs lourds2. > On ne sait pas si les sols resteront stables pendant des milliers, voire des millions d'années6.


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Enjeux socio-économiques et territoriaux

Les points sur lesquels ma réflexion de projet pourrait porter.

ARGUMENTS POLITIQUES > La direction scientifique de l’Andra n’est pas transparente sur la composition exacte de la couche d’argilite2. > La population est écartée des décisions5. > La réversibilité et récupérabilité des déchets sont impossibles6. > Cigeo favorise la survie de la filière nucléaire au détriment d’autres sources d’énergies6. ARGUMENTS ECONOMIQUES > Pas d’investissements, moins d’habitants, désertification, dûs à l’arrivée de l’Andra et ce, malgré la manne financière7. > Le projet, sous évalué à 25 milliards d’euros est un gouffre financier6. ARGUMENTS ENVIRONNEMENTAUX > Le réchauffement du sous-sol pourrait entraîner la prolifération de bactéries de type légionelloses dans l'aquifère qui se situe juste au dessus de la zone de stockage1. > Il est possible que les dégradations des structures laissent s’échapper les radionucléides contaminant les galeries, puis les eaux de surface et aquifères du bassin parisien6. ARGUMENTS TERRITORIAUX > Pas d’avenir, les promesses pour le développement du territoire ne sont pas tenues7. > Le territoire appartient à l’Andra qui s’accapare le foncier6. > L’intérêt géothermique du site est connu et l’Andra dément en faussant ses études3. > L’avenir du territoire sous emprise d’une évolution qui n’est pas la sienne, qu’il ne maitrise pas, pose question4.

1- «Risques liés à l’exploitation et à l’infrastructure», Bertrand Thuillier, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 2- «Le haut du Callovo-Oxfordien n’est pas de l’argilite mais du calcaire marneux : conséquences scienfiques et politiques», Antoine Godinot, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 3- «La ressource géothermique à Bure ou l’histoire d’une science dévoyée», Ambroselli, Franchisse, Virrion, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 4- «Déchets nucléaires, la question de l’acceptabilité sociétale», Corinne François, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 5- Source CNDP, rapport du débat pulic sur le projet Cigeo, octobre 2013 6- Source Burestop 7- «Daniel Ruhland remonté contre l’Andra», entretiens, L’Est Républicain, 7 octobre 2017»


34

02


35

COMPRENDRE LA Gestion des déchets nucléaires «Il y a ce que l’on appelle la prise de décision en situation d’incertitude et pour la question des déchets radioactifs, c’est exactement ce que l’on doit faire . Il faut établir ce que l’on sait, ce que l’on sait qu’on ignore et ce que l’on ne sait pas qu’on ignore.» Into eternity, 2010


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A l’origine du nucléaire

1896

Henri Becquerel découvre par hasard le phénomène de radioactivité en oubliant dans un placard une plaque photographique impressionnée par de l’uranium. Il décrit des «rayons uraniques».

1900

1- Les premiers déchets nucléaires sont produits dès les années 30 dans le domaine de la médecine.

1903

Marie Curie nomme le phénomène de «Radioactivité». Elle en trouvera notamment une application médicale pendant la première guerre mondiale. Les radiodiagnostics permettant aux chirurgiens de localiser les éclats d’obus avec précision.

1910

2- Au lendemain de la guerre, 90% des foyers ont l’électricité. D’autre part, le centre de recherche nucléaire commence à produire des déchets en grandes quantités. Il n’y a cependant pas encore de stockage organisé.

1934

Irène et Frédéric Joliot-Curie découvrent la radioactivité artificielle. Pendant l’entre-deux guerre on utilise des substances radioactives pour des objets du quotidien : cosmétiques, fontaines à eau, montres. Les Radium Girls sont des ouvrières américaines ayant été exposées à du radium contenu dans une peinture utilisée pour des cadrans lumineux.

1920

3- Au cours des années 50-60, avec le développement de la recherche et la fabrication des armes atomiques, les déchets s’accumulent car on ne sait pas les recycler. De plus, avec l’arrivée des appareils électroménagers, les besoins en énergie augmentent.

1938

Strassmann et Hahn découvrent la fission nucléaire. Une année plus tard, le projet Manhattan regroupant des milliers de scientifiques aboutit à la première bombe atomique.

1930

1-


37

1951

1967-69

1973

1982-84

Le premier réacteur nucléaire Experimental Breeder Reactor I (EBR-I) produisant de la chaleur convertie en électricité est inventé par l’équipe de Walter Zinn dans l’Idaho. Il peut d’abord illuminer quatre ampoules de 200 Watts. Par la suite, il génè--re assez d’électricité pour alimenter la totalité du bâtiment l’abritant.

Des campagnes d’immersion de déchets radioactifs sont pratiquées dès 1946. La France participe à deux d’entre elles, celles de 1967 et de 1969. Puis des traités internationaux désapprouvent cette méthode de gestion jusqu’à l’interdire définitivement en 1993.

Lors du premier choc pétrolier, le président Richard Nixon déclare «Notre demande en énergie a crû si vite qu’elle dépasse désormais notre approvisionnement disponible, et au rythme de croissance actuel, elle aura presque doublé par rapport à ce qu’elle était en 1970.» Cette crise renforce la tendance nucléaire.

Raymond Castaing, scientifique français préside une commission pour étudier les possibilités de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs à vie longue. Le stockage géologique est choisi.

1950

1960

1970

3-

2-

évolution de la production de déchets

1980


38

A l’origine des déchets radioactifs Le cycle du combustible nucléaire en France

Entreposage uranium appauvri

Fabrication de combustibles Mox (mélange d’oxyde plutonium et d’oxyde d’uranium) et UO2

Enrichissement Rebuts de fabrication Conversion

Concentration

Extraction du minerai uranium naturel

Production d’énergie nucléaire et conversion en énergie électrique

Uranium recyclé

Usines de retraitement

Entreposage des combustibles usés Mox et UO2

Stockage définitifs de déchets radioactifs ultimes 3 % des combustibles usés 0,5 % de l’uranium naturel extrait Les volumes des déchets à vie longue entreposés en majorité à la Hague, Marcoule, Bugey et Cadarache

Le schéma ci-dessus montre le processus du fonctionnement nucléaire français, quelques petites divergences peuvent exister d’un pays à l’autre. Tout au long du cycle, des déchets radioactifs sont produits puis généralement entreposés dans des sites de stockage à sec. En fin de cycle et après son recyclage, le combustible finit par devenir un déchet ultime, des déchets radioactifs qui ne peuvent plus être traités dans les conditions techniques et économiques actuelles, on ne peut plus extraire leur part valorisable et on ne peut pas non plus réduire de leur caractère polluant ou dangereux (Christophe Bouillon et Julien Aubert,2013).


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Le cycle du nucléaire est un long processus commençant par l’extraction du minerai naturel uranifère dans des mines à ciel ouvert ou en galeries souterraines. On les retrouve principalement en Australie, aux Etats-Unis, en Russie, en Afrique du Sud et au Canada. En France, l’extraction a commencé juste après la deuxième guerre mondiale. Encore aujourd’hui, la France continue de miser sur le nucléaire pour sa stratégie énergétique. En effet, après le surprenant rachat de terres agricoles autour de plusieurs centrales d’EDF, Catherine Fumé, membre de l’association Sortir du Nucléaire, a mené l’enquête. Ces rachats, déclare-t-elle lors du festival Les Bure’lesques en août 2019, ont pour ambition de prolonger le parc nucléaire. Dans cette stratégie de développement, la France continuera donc de produire des déchets nucléaires. Par ailleurs, l’Andra précise que 30% des déchets HA et 60% des déchets MA-VL destinés à Cigeo sont produits et que l’Agence anticipe donc d’enfouir encore beaucoup de déchets qui n’existent pas encore. Paradoxalement, la loi sur la transition énergétique adoptée en 2015 a pour but de réduire la production d’électricité d’origine nucléaire à 50 % en 2025, contre 75% actuellement.

Les différents déchets radioactifs VTC

Les déchets à vie très courte résultent majoritairement du domaine médical et ont une durée de vie inférieure à 100 jours.

TFA

Les déchets de très faible activité sont d’origine industrielle nucléaire. Ils proviennent majoritairement du démantèlement des installations dont les pièces issues du découpage d’équipements et de gravats sont très faiblement contaminés.

FMA-VC

Les déchets de faible et moyenne activité à vie courte proviennent principalement de l’industrie nucléaire, mais aussi de quelques laboratoires. La radioactivité de ces déchets est inférieure à 31 ans, ce qui est proche de la radioactivité naturelle. Ils sont stockés en surface pour 300 ans comme les TFA.

FA-VL

Les déchets de faible activité à vie longue sont soit des déchets contaminés par du radium, soit les déchets provenant du démantèlement. Leur durée de décroissance est supérieure à 31 ans. Le mode de stockage en faible profondeur est encore à l’étude.

MA-VL

Les déchets de moyenne activité et à vie longue résultent du traitement des combustibles usés et de la maintenance des installations nucléaires. Leur durée de vie varie de quelques milliers à quelques centaines de milliers d’années.

HA

Les déchets de haute activité et à vie longue sont des matières non recyclables issues du traitement des combustibles usés des centrales nucléaires. Tout comme les MA-VL, ces déchets ont une durée de vie transhistorique. Il est prévu de les enfouir en stockage géologique définitif.

Dans les profondeurs marines

Entre 1946 et 1993, la plupart des pays nucléarisés ont immergé leur déchets radioactifs dans l’Atlantique, l’Océan Arctique et le Pacifique, sur plus de 80 sites. La France participe à deux campagnes expérimentales d’immersion entre 1967 et 1969 et rejette un total de 20 000 tonnes de déchets au large de l’Espagne et de la Bretagne. Puis, un centre de stockage en surface est créé dans la Manche, à la Hague. Cependant, jusqu’en 1982, on continue de rejeter des déchets d’essais nucléaires en Polynésie dans le Pacifique. C’est cette même année que la décision du stockage définitif en couche géologique est prise.


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Des réponses de gestion tendant vers la fiction Comment répondre autrement que par une fiction pour gérer des déchets si peu palpables qu’ils semblent eux- même sortis d’une fabulation lunaire ? Les déchets nucléaires paraissent insaisissables, indestructibles dans une dimension transhistorique. Diverses solutions ont été fantasmées tour à tour dans l’imaginaire mondial. Mais la redescente sur Terre a été rapide, et ces scénarios ont rapidement été écartés car ils présentent des incohérences logistiques bel et bien réelles. Un rapport de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) paru en 2019 en fait le recensement.

Dans le soleil

Dans les années 1970 et 1980, la NASA a envisagé plusieurs destinations pour les déchets à la surface de la lune, en orbite du soleil et même au-delà du système solaire. Un envoi directement dans le soleil a également été pensé afin de les désintégrer. Cependant, le lancement d’une fusée chargée de déchets nucléaires présente un risque : en cas d’explosion, les éléments radioactifs seront disséminés dans l’espace et/ou sur terre. Ce danger a conduit à l’abandon du programme.

Dans les glaces polaires

L’idée était de déposer les colis de déchets sur ou dans les calottes polaires. La chaleur dégagée par la radioactivité provoquant la fonte de la glace, les colis seraient entraînés progressivement vers le fond et finiraient par emprisonner les conteneurs. Mais les scientifiques ont mis en évidence la présence, dans la glace, de poches salées. La corrosion des conteneurs serait alors très rapide. De plus, la pérennité des calottes sur des centaines de milliers d’années est très hypothétique.


41

Dans le désert

Implanter des déchets nucléaires dans un désert avait pour avantage de ne pas être en contact avec l’eau. En France, cette réflexion a vite été écartée pour des raisons politiques. La Chine, quant à elle, convoite actuellement le désert de Gobi pour y enfouir ses déchets.

Dans une mine

Enfouir les déchets dans une mine semblait être une solution opportune, avec des coûts raisonnables mais il semblerait que ce ne soit pas suffisant. En Allemagne, l’ancienne mine de sel d’Asse est ré-exploitée depuis 1967 pour stocker des déchets radioactifs. Le sel d’Asse repose ici depuis 150 millions d’années et on espérait pouvoir y garder les déchets nucléaires, celui-ci les envelopperait hermétiquement et les protégerait pour des millions d’années. Cependant, de l’eau coule dans la mine, ronge le sel et de l’eau contaminée au césium pollue l’environnement.


42

Divergences internationnales Aujourd’hui, le parc nucléaire mondial compte 437 réacteurs nucléaires, répartis de manière très inégale dans 30 pays dits nucléarisés (AIEA 2015). Les plus importants pays producteurs d’électricité d’origine nucléaire sont les ÉtatsUnis avec 99 réacteurs nucléaires. La France est au deuxième rang, avec ses 58 réacteurs. Cependant, la France produit en moyenne 75% d’électricité d’origine nucléaire, ce qui en fait le pays le plus nucléarisé par rapport au nombre d’habitants et par conséquent très dépendant de cette source d’énergie. Malgré les controverses, le parc électronucléaire mondial continue d’augmenter, porté par les pays en voie de développement et développés comme la France. La gestion des déchets produits varie d’un pays à un autre. On observe cependant une réponse géologique majoritaire. (IRSN 2019)

Les Etats-Unis

Depuis 1999, la Waste Isolation Pilot Plant est actuellement le seul centre de stockage en profondeur déjà opérationnel. Un projet de stockage à Yucca Mountain est en suspens depuis une trentaine d’années, en raison de risques majeurs de séisme et d’infiltration d’eau.

Le Canada

La construction d’un site d’enfouissement souterrain est actuellement planifié en Ontario. Il pourrait résister aux glaciers qui le recouvriront dans des milliers d’années.

La Russie

La Russie a longtemps accueilli les déchets des pays étrangers pour les immerger. Aujourd’hui, elle se penche vers le stockage géologique en s’inspirant de celui de la France. Elle prévoit de construire un laboratoire souterrain dans la région de Krasnoïarsk destiné à l’étude de la faisabilité d’un stockage géologique profond dans un massif granitique.

La Chine

La Chine est en train de construire un laboratoire à 560 mètres de profondeur du désert de Gobi, pour effectuer des essais sur les déchets nucléaires et en vue d’un stockage définitif.

Le Japon

Le Japon a déjà construit deux laboratoires souterrains l’un, dans une formation cristalline à 1000 m et l’autre en milieu sédimentaire argileux à 500m. Le fonçage des puits a commencé respectivement en 2004 à Mizunami et en 2005 à Honorobe.

La Corée du Sud

La Corée du Sud a ouvert un centre à Gyeongju, à 80 m de profondeur en 2015.

La Belgique

Depuis 1974, on y étudie le stockage des déchets radioactifs en couche géologique argileuse (argile de Boom) à 224 mètres sous terre.

L’Allemagne

Entre 1967 et 1978, les anciennes mines de Morsleben et de Asse ont accueilli des déchets. Après des problèmes de pollution des nappes souterraines, ces pratiques ont été abandonnées. Cependant, l’Allemagne pense à implanter un site de stockage pour les déchets hautement radioactifs en s’inspirant d’expérience de la France.

La Finlande

Onkalo (« cachée » en finnois) est un site finlandais d’enfouissement de déchets nucléaires de haute activité, prévu pour accueillir des déchets à partir de 2020.

Les Pays-Bas

Il n’est pas envisagé la mise en service d’une installation de stockage en couche géologique profonde avant 2130. En attendant, la politique néerlandaise de gestion des déchets prévoit l’entreposage en surface de tous les déchets radioactifs.

L’Ecosse

L’Écosse s’oppose à l’Angleterre pour ce choix en considérant que les déchets doivent être gérés dans des installations à proximité de la surface et situés au plus près du site où les déchets sont produits. Le programme écossais prévoit jusqu’en 2070 la construction de générations successives d’installations d’entreposage à sec.

L’Italie

L’Italie n’a pas l’intention de stocker en profondeur mais recherche actuellement un site pour un entreposage sur le long terme.


43

Nombres de réacteurs nucléaires par pays 0 entre 1 et 9 entre 10 et 19 entre 20 et 49 50 et plus

Données de l'AIEA au 3 août 2015


44

Les solutions techniques actuelles Bâtiment d’entreposage

Entreposage en surface et subsurface Bâtiment de Cette solution est souvent celle réception et privilégiée par les opposants conditionnement à l’enfouissement géologique définitif. En effet, sa réversibilité permettrait de laisser le temps à la science de trouver une meilleure solution de gestion des déchets. L’entreposage à sec est conçu pour une période de 300 ans -15m maximum. Cela demande également une surveillance et un contrôle accrus pendant toute la durée de confinement des déchets. Ainsi, il s’agit d’une solution provisoire au galeries de stockage vu de la durée de vie des déchets Voie d’acheminement MA-VL et HA.

Bâtiment de surveillance

Bâtiment de réception, conditionnement et sruveillance

Transmutation

En 2006, les résultats du CEA ont montré que la transmutation ne supprime pas la nécessité d’un stockage profond car elle ne serait applicable qu’à certains radionucléides. Par ailleurs, Gérard Mourou, Prix Nobel de physique en 2018, a inventé une nouvelle technique laser qui pourrait permettre de diviser par 1000 le volume des déchets radiotoxiques et offrirait à terme une alternative à l’enfouissement des déchets nucléaires. Son travail n’est pas encore exploitable à l’échelle industrielle mais pourrait mener à une solution efficace Neptunium (demi-vie : 2,14 millions d’années)

Laser et générateur de neutrons

Molybdène (demi-vie : 11 minutes)

Neutron Noyau

Neutrons

Technétium (demi-vie : 5 secondes)

Ruthénium (Stable)

Rayonnement bêta

Iode (demi-vie : 21 heures)

Xénon (demi-vie : 525 jours)

Césium (Stable)


45 Zone Descenderie

Stockage géologique, l’exemple du projet Cigeo Contrairement à l’entreposage, le stockage géologique est plus sûr si l’on considère que les agissements humains sur le long terme sont imprévisibles et que le risque terroriste n’est pas exclu. Cependant, cette solution n’est réversible qu’une centaine d’années, à la fin de l’exploitation, il sera impossible de récupérer les déchets; ce qui ne laisse pas à la science beaucoup de temps pour trouver une autre solution. De plus, en cas d’accident sous terre ou de problèmes techniques, il sera très compliqué d’intervenir. Les études de l’Andra montrent que la couche d’argile sur le site étudié en Meuse/ Haute-Marne présente une capacité d’imperméabilité nécessaire pour le stockage, ce qui peut être par ailleurs contredit par les travaux d’autres scientifiques (Antoine Godinot, 2017). Selon l’Andra, les roches argileuses contiennent une très faible quantité d’eau, elle est présente dans les pores et espaces formés entre les minéraux. Cependant, ces eaux souterraines auraient un débit spécifique faible, elles seraient presque immobiles, avec une progression de l’ordre de 3 mètres en 1 million d’années.

Zone Puits

Double descenderie

Puits

Zone de stockage HA

Zone de stockage MA-VL

-500m

Le choix géologique de la France

Schiste

Argile

Granite

Argilite Callovo-Oxfordien

Sources Andra

Sel


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Vivre à côté d’un risque nucléaire majeur ? Quelques données sur l’impact des rayonnements sur l’être humain 0,01 mSv/an

Impact de Cigeo estimé pendant son exploitation

0,03 mSv

Les risques liés au projet Cigeo peuvent dissuader les gens d’habiter ici ...

20 mSv/an

Limite réglementaire pour les travailleurs exposés

Exposition lors d’un vol Paris-New York

100 mSv/an

Dose d’exposition prolongée au dessus de laquelle la santé peut être impactée sur le long terme

Je ne vois pas pourquoi on arrêterait d’habiter là !

0,25 mSv/an

Limite que l’Andra s’impose de ne pas dépasser pour le public

1 mSv/an

Limite réglementaire d’exposition du public liée aux activités industrielles

2,4 mSv/an

0

Exposition moyenne à la radioactivité naturelle en France

20

40

Je ne suis pas certaine que cette question se pose en cas d’un accident grave pour lequel le périmètre impacté pourrait s’étendre à l’échelle internationale. En France, les 58 réacteurs sont répartis sur le territoire et leur durée de vie initialement de 30 ans est aujourd’hui prolongée, ce qui accentue les questionnements sur des potentiels risques. Cependant, les dangers du nucléaire ne se résument pas à quelques accidents dramatiques comme Fukushima et Tchernobyl, les risques d’exposition aux radiations peuvent exister plus localement et quotidiennement. Une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Marc Saint Aroman, 2012) montre un doublement des leucémies et cancers infantiles dans un périmètre de 5 km autour des centrales nucléaires. Cependant, il me semble important de ne pas amalgamer les centrales datant pour la plupart de la deuxième partie du XXe et le centre d’enfouissement en couche géologique prévu à Bure. La manipulation nucléaire reste délicate et incertaine, il me semble qu’il est difficile de savoir si les émanations gazeuses représenteront un risque

60

Chargée de communication de l’Andra Juillet 2019

80

100mSv

localement. L’Andra affirme cependant que l’impact sera de 0,01 mSv/an soit bien en dessous de la radioactivité naturelle qui est de 2,4mSv/an et qu’un observatoire étudiera les conditions environnementales sur 960km². De plus, lʼIRSN (associé technique de l’Autorité de sûreté nucléaire) a démontré que c’était surtout le risque d’incendie dans les alvéoles de stockage qui pourrait entraîner des rejets de gaz radioactifs en quantité plus importante. Par ailleurs, la population française est en moyenne exposée chaque année à une dose de 3,7 mSv/an par habitant. Cette dose se compose de 2,5 mSv de radioactivité naturelle, 1,1 mSv d’origine médicale et 0,06mSv de radioactivité liée à l’activité humaine (laradioactivité.com). Où que l’on habite sur Terre, l’on vit plus ou moins avec divers risques naturels ou/et liés à l’homme. Parfois, on en n’a pas conscience ou la culture du risque est suffisamment ancrée dans la société pour que le risque soit en quelque sort banalisé dans les esprits. Pour l’instant, je ne pense pas que le territoire d’implantation du projet Cigeo soit beaucoup plus condamné qu’un autre à être déserté.


47

Gravelines Penly

Paluel

Chooz

La Hague

Cattenom Flamanville

Nogent Soulaines Morvilliers

Dampierre

St-Laurent

Fessenheim

Gravelines

Belleville

Chinon

Paluel Civaux

La Hague Bugey Gravelines

Le Blayais

Paluel La Hague Golfech

Paluel

Flamanville

St-Alban Penly

Gravelines Tricastin Flamanville Penly

St-Laurent

Chooz

St-Laurent Nogent

Flamanville

Civaux

Dampierre Civaux Belleville

Soulaines Morvilliers Cattenom Civaux Dampierre Belleville Le Blayais Morvilliers Fessenheim Bugey Golfech St-Alban Bugey

Golfech

Belle

Chinon Nogent

Blayais

Le parc nucléaire français

La carte ci-dessus montre la répartition des réacteurs nucléaires à l’échelle nationale. De plus, les centrales les plus anciennes sont principalement Le Blayais concentrées dans le Sud-Est, là où des risques sismiques, modérés à moyens, existent et sont les plus importants de France.

Dampier Cattenom

Soulaines

Chinon

usine de retraitement St-Laurent centres de stockage de déchets de faible àChinon moyenne activité à vie courte (soit moins de 31 ans de durée de décroissance de la Le radioactivité)

N

Chooz

Cruas

La Hague

Sismicité Réacteurs Moyenne moins de 15 ans Modérée entre 15 et 24 ans Faible entre 24 et 32 ans Très faible Nom de la centrale

Penly

Golfech

Tricastin St-Alban

Cruas Tricastin

Cruas

Tri


48

Transition : Comment a été fait le choix du territoire pour ce projet industriel pharaonique ? La filière nucléaire produit des déchets plus ou moins dangereux et difficiles à gérer et qui exigent de trouver des solutions qui sont encore incertaines, quelles qu’elles soient. Les déchets HA et MA-VL sont les déchets les plus dangereux que l’industrie atomique ait produit et continue de produire encore aujourd’hui. Cette problématique trouve une résonance à l’échelle mondiale pour tous les pays nucléarisés. Les pays se positionnent différemment pour le choix de gestion de ces déchets. En France, les recherches ouvrent d’abord la porte à trois potentielles solutions: la transmutation, l’entreposage à sec et le stockage géologique. Initialement, le choix est technique, puis il prend une tournure politique et la décision finale d’enfouissement géologique est prise par l’état en 1982. Au vu de l’opposition sociale sur l’ensemble du territoire français, il est aisé de comprendre que le choix de lieu d’implantation du site d’enfouissement n’est pas seulement un choix technique mais c’est aussi un choix géographique et social. Ainsi, Bure est choisi non pour les qualités de son sous-sol d’argilite Callovo-oxfordien mais pour ses conditions géopolitiques en surface : un territoire isolé, hyper rural, avec peu de contestation. En temps que paysagiste, mon projet de paysage n’a pas pour objectif de contrer ou valider ce choix politique. Je trouvais cependant essentiel dans cette partie de remonter à

l’origine du problème nucléaire qui n’est par ailleurs pas réglé. Cela m’a permis de prendre la mesure des enjeux pour le nucléaire qui se jouent ici et ailleurs, aujourd’hui et demain. Ces déchets improbables, ces «inquiétantes étrangetés», selon la définition freudienne, ouvrent une dimension fictive et prospective qui rentre dans les compétences d’un paysagiste. Ainsi, mes intentions pour le projet de paysage quel qu’il soit, se devront d’être à la dimension de l’objet du conflit. La question du risque nucléaire est épineuse, cependant il me semble qu’elle se pose surtout à grande échelle et qu’elle appartient là encore au choix politique qui est fait par l’état. Il me paraît important que comprendre maintenant plus en détails les réalités du choix de ce territoire enclavé entre Haute-Marne (52) et Meuse (55), dont l’histoire et la réalité sont complètement détachées de la filière nucléaire.


49


50

03


51

cONSTATER LA Déprise d’un territoire agricole enclavé «Chacun sait qu’un territoire se défend avec ses habitants, et qu’un territoire vidé de sa population est un territoire facile à conquérir.» Les Habitants qui résistent, 2009, Notre-Dame-des-Landes


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Un territoire observé pour son histoire géologique Coupe schématique du Bassin Parisien Oligocène

Trias supérieur (Keuper)

Eocène

Trias moyen (Muschelkalk)

Crétacé supérieur

Trias inférieur (Buntsandstein)

Crétacé inférieur

Permien

Jurassique supérieur (Portlandien) Jurassique supérieur (Oxfordien)

Côte des Bars (Portlandien) Côte de Meuse (Oxfordien)

Paris

Bure

Jurassique moyen (Bajocien) Jurassique inférieur (Lias)

Est

Ouest

Normandie

Si le projet Cigeo voit le jour, la radioactivité des déchets sera présente dans le sous-sol pour une durée d’environ 100 000 ans. Cependant ils resteront pour toujours enfouis dans le CallovoOxfordien âgé de 160 millions d’années, datant du Jurassique moyen à supérieur. Comprendre les évolutions passées semble donc nécessaire pour mesurer la vitesse de ses évolutions futures. Il faut donc remonter à plusieurs centaines de millions d’années et se placer à l’échelle du Bassin Parisien. Il s’agit du plus grand des

Île-de-France

Champagne

3 bassins sédimentaires français avec une superficie de 110 000 km². Il s’étire de la Normandie aux Vosges et selon une forme d’amphithéâtre incliné du Sud-Est vers le Nord-Ouest. Il s’est formé progressivement par les allées et venues de mers ou de lacs dans la vaste dépression peu profonde du bassin favorisant l’accumulation de sédiments marins datant de -245 à -1,8 millions d’années. Il s’apparente à un ensemble de cuvettes emboitées, aux bords relevés en côtes à l’Est. Cette courbure morphologique peut s’expliquer

Lorraine

Vosges

par la pression exercée par le poids des sédiments accumulés ainsi que par les mouvements tectoniques (site du Système d’information pour la gestion des eaux souterraines en Seine-Normandie). Les couches sédimentaires distinctes correspondent donc à des âges différents . Plus l’on regarde vers l’Est et plus la formation géologique est ancienne. Le territoire de Meuse/Haute-Marne se situe sur la formation du Tithonien (ou Portlandien) qui se termine sur la Côte des Bars.


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Côte des Bars Côte de Meuse St Dizier

Bar-le-Duc Ligny-en-Barrois Gondrecourt-le-Château

Ornain Marne Meuse Bar-leDuc St Dizier

N

Laboratoire de l’Andra

Ligny Gondrecourtle-Château Bure Neufchateaux

Carte géologique de la Meuse «Gaize» du Massif d’Argonne Sables, argiles, calc. du crétacé inférieur Calcaires du Barrois (Portlandien) Marnes et calc. de l’Oxfordien supérieur et du Kimméridgien Oxfordien moyen Marnes et argiles de la Woëvre (Callovien) Calcaire du Bajocien/ Bathonien Grès marneux du Lias

Pour trouver la formation d’Oxfordien dans laquelle il est prévu d’enfouir les déchets, il faut regarder entre - 420 et 550 m de profondeur. Il s’agit de la couche sédimentaire précédant celle du Tithonien. L’Oxfordien, qui forme la Côte de Meuse, désigne le premier étage stratigraphique du Jurassique supérieur dont la période s’étend environ de -163,5 à -157,3 MA. Sur le plateau agricole de Bure, si l’on

Formations géologiques autour de Bure Alluvions plio-quaternaire

0

10

20 km

Jurassique moyen (Dogger)

Crétacé supérieur

Jurassique inférieur (Lias)

Crétacé inférieur

Trias

Jurassique supérieur (Malm)

Permo-Carbonifère

Callovo-Oxfordien (Malm)

Socle indifférencié

regarde plus finement la stratification du sol, les descenderies et puits traverseraient successivement des couches de calcaire du Barrois, de Kimméridgien marneux, et d’oxfordien calcaire avant d’arriver à une centaine de mètres d’épaisseur du Callovo-Oxfordien. Dans ces différentes couches, l’eau ne s’écoule pas de la même manière. Les formations sus-jacentes sont une succession de dépôts alternant

entre aquifères et horizons semiperméables. D’après l’Andra, les interactions hydrauliques entre les couches seraient faibles. Leurs comportements hydrauliques au vu du stockage dépendent de leurs caractéristiques et de la disposition du stockage (Andra 2005).


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A l’origine des paysages contrastés des côtes et plateaux Une des formations caractéristiques du Grand Est est la succession de côtes surplombées de plateau. En effet, les marges septentrionales, orientales et méridionales du Bassin Parisien ont été soulevées au Néogène, il y a environ 23 Ma, par la poussée alpine. Le Bassin de Paris a donc basculé vers l’ouest. Lors du soulèvement, l’érosion a attaqué les reliefs de roches tendres (marnes, argiles) tandis que les reliefs de roches dures (calcaires, grès) ont résisté; ce qui a sculpté les Côtes ou Cuestas aux versants dissymétriques dessinant de vastes plateaux en revers de Côte (François Michel, 2008). En périphérie Est de Bure, sur le plateau barrois, le territoire est morcelé par la Côte des Bars. Les paysages y sont très différents avec des élévations de butes et cuestas plus abruptes qui sont des marqueurs, des points d’appel. Cependant, le plateau Barrois est loin d’être plat, l’érosion et le passage de plusieurs rivières en ont fait un territoire vallonné, lui même divisé en petits plateaux dont l’occupation actuelle est principalement agricole. Sur ces plateaux, aucun marqueur géologique ne semble rompre les courbes gracieuses du paysage ouvert.

Dessin de principe du relief des Côtes 12345-

Front de côte Revers Butte témoin Roche dure Roche tendre

3

4

2

1

5

Le relief participe aux différentes occupations des sols, les cultures sont moins présentes sur les côtes qui vont donc être occupées par des forêts. Les villages se concentrent également dans les fonds de vallées.

Plateau agricole de Bure sur le plateau Barrois

Côtes Durangs en face de la Basillique du Bois Chenu à Domrémi-La-Pucelle (88) à 30 kilomètres de Bure


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Reconstruction du paléoenvironnement à l’Oxfordien

Joinville

Commercy Bure

Gondrecourtle-Château

Lagon

Plateforme contimentale

Barrière récifale

Mer ouverte Faciès de plateforme Faciès «fin» de lagon

N

Calcaire argileux

La faible perméabilité des formations calcaires, notamment celles de l’Oxfordien et du Dogger serait dûe à une importante recristallisation de ces calcaires. Les fluides d’origine météorique qui ont progressivement remplacé les eaux marines seraient en partie responsable de ces phénomènes chimiques de consolidation et de durcissement d’un dépôt sédimentaire. Les pores de la roche calcaire auraient donc été bouchés régionalement en bordure du Bassin Parisien, notamment à Bure. Cette reconstruction du territoire à l’Oxfordien (160 Ma), inspirée de documents

Calcaires oolithiques ou récifaux

de l’Andra (2005), montre la présence importante de fluides, lagons, et massifs importants là où il y a un plateau agricole sec aujourd’hui. Il est intéressant d’observer en parallèle le territoire périphérique des côtes actuelles (comme à Domrémi-la-Pucelle) et les reliefs de l’Oxfordien présents en lieu et place du plateau burien actuel. Bien que les conditions ne soient pas les mêmes (dont la présence d’eau), on observe des similitudes dans le découpage des massifs au pied des plaines ou plateaux.


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Une hyper-ruralité choisie pour un projet controversé Comme évoqué précédemment (1ère et 2ème partie), le territoire de Bure est rural, plus précisément «hyperrural» (DATAR, 2011). Ce type de territoire isolé n’est pas rare puisque 26% du sol français n’accueille que 5,4% de la population, soit 3,4 millions d’habitants. Ces territoires en marge sont définis comme déficients en terme d’équipements, de services publics, privés et de santé. Leur enclavement géographique se caractérise souvent par une désindustrialisation, une population de faible densité et en baisse. Ces territoires ont de faibles ressources financières, ce qui est un frein pour faire aboutir l’initiative publique ou privée. De manière caricaturale, Bure peut correspondre à cette définition, si on retire le critère financier. Ce qui m’a le plus marquée la première fois que je suis allée sur le territoire, réside dans cet immense espace céréalier, qui n’offre presqu’aucun service à ses habitants, les obligeant à faire des distances d’en moyenne 30 à 45 minutes de voiture pour y avoir accès. L’hyper-ruralité fait l’objet de représentations clichées sur le « rural profond », la « désertification » des campagnes ou la « diagonale du vide ». Cependant, Samuel Depraz, maître de Conférences en géographie et aménagement à l’Université de Lyon, évoque un renouveau de la ruralité amorcé en France. Les dynamiques démographiques récentes contredisent l’idée de baisse démographique et montrent une redensification des zones très faiblement peuplées. De plus, les néo-résidents y trouvent des conditions économiques attractives. Cependant, l’éloignement géographique reste une réalité des difficultés rurales (Samuel Depraz, 2017). Si la dynamique rurale est en train d’évoluer, ce n’est pas non plus une notion à généraliser. Ceci est d’autant plus vrai sur le plateau burien qui est loin d’être une campagne isolée comme les autres de par son contexte politique complexe lié à l’installation du laboratoire de l’Andra et à l’éventuelle arrivée du projet industriel Cigeo.


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Des services fragiles sur le territoire hyper-rural «L’hyper-ruralité» du territoire se définit entre les deux petites agglomérations de Joinville (52) et Ligny-en-Barrois (55). Ces petites villes, respectivement de 3177 et 4058 habitants (Insee 2017), offrent des services variés : supermarché, commerces divers, bar-café, restaurants, . . . Il y a notamment un hôpital à Joinville tandis que Ligny, situé à 15 kilomètres de celui de Barle-Duc, ambitionne d’être nommée «cité Européenne de l’optique». L’enseignement de la primaire au lycée y est également prodigué, les bourgs hyper-ruraux en sont donc dépendants. Le territoire hyper-rural est plus précisément encadré par les vallées de la Saulx et de l’Ornain. Les villages qui le jalonnent comptent en moyenne entre 100 et 300 habitants. Les Villages de Gondrecourt-leChâteau et Montiers-sur-Saulx, situés respectivement dans la vallée de l’Ornain et de la Saulx, semblent être les deux pôles de développement importants du territoire hyper-rural. C’est un atout pour ces deux villages d’accueillir quelques commerces de proximité, comme des épiceries, des restaurants, . . . et surtout des collèges. En effet, les écoles sont des lieux de

sociabilisation importante dans les campagnes. Elles représentent des établissements essentiels de résistance à la dévitalisation des campagnes et les parents d’élèves n’hésitent pas à se mobiliser pour leur maintien. En effet, un secteur sans école dissuade les ménages ayant des enfants de s’y installer. Cependant depuis 2018, le collège de Montiers-sur-Saulx a fermé et celui de Gondrecourt est menacé. Parallèlement, Montiers-sur-Saulx a perdu des habitants soit -15,74% de sa population en 5 ans alors que la démographie meusienne est en moyenne de -2,91%. En effet, la commune comptait 380 habitants en 2017 pour 451 en 2012 (Insee 2017). Avec la perte du collège, il est possible que cette commune continue de perdre des services de proximité et des entreprises comme elle a perdu sa filière métallurgique au cours de la première partie du XXe siècle. Cela questionne donc sur l’avenir de cette hyper-ruralité dont les pôles économiques qui lui permettaient une certaine autonomie, disparaissent. Ainsi, si l’on regarde ce territoire plus en détails, on distingue des dynamiques différentes entre le Nord et le Sud. Le Nord Ouest et Est semblent montrer des potentiels développements économiques

dans leurs vallées, malgré les difficultés observées à Montiers par exemple. En effet, dans ce même secteur Ouest-Nord, les villages de Morley, Dammarie-sur-Saulx, Villers-Sec, Ecurey, proposent des services plus diversifiés que dans le Sud et accueillent davantage d’associations et d’évènements publics, attirant des populations plus jeunes. Dans le Sud et le centre (noyau), la plupart des villages n’ont pas de services et la population semble y être plus vieillissante. On différencie dans cette poche hyperrurale, 4 secteurs principaux.

Les dynamiques hyper-rurales Périmètre de l’hyper-ruralité sur le plateau Barrois Noyau de l’hyper-ruralité Agglomération de petite taille Pôle rural Bourg Villages possèdant 1 à 6 services (poste, restaurant, médecin, coiffeur, boulangerie. . .)


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4 manières de vivre la ruralité sur le territoire 2 La vallée animée ou la vallée de la Saulx, est caractérisée par quelques initiatives relativement récentes qui redynamisent son tissu. A Ecurey, l’ancienne abbaye, qui accueillait notamment des fonderies d’art, a été reconvertie en 2011 en «Pôle d’avenir» sous l’impulsion de la communauté de commune des Portes de Meuse. Il accueille des activités culturelles, évènementielles, maraîchères et formatives. Ainsi, cette campagne par certains aspects déclinent, par d’autres rayonnent; en somme, elle résiste au déclin. 4 Le plateau des villages isolés ou le plateau Sud ressemble aux paysages que l’on peut observer dans le centre avec des paysages très ouverts qui se referment sur un cordon boisé en périphérie. Les habitants sont en grande partie agriculteurs et il ne semble pas y avoir le même dynamisme social que dans le Nord.

1 Le noyau ou le plateau buron est le territoire central dominé par les activités céréalières et de polyculture sur lequel se dresse actuellement le laboratoire et sur lequel est prévu le projet Cigeo. Il semblerait que de plus en plus d’activités viennent s’agglomérer autour du laboratoire (restaurant, hôtel, épicerie, centre de secours, . . .). Les trois villages qui le composent sont relativement isolés des autres et ne possèdent presque aucun commerce dans leur centrebourg. Cependant, il n’en a pas toujours été ainsi. Par exemple, à Bure, pendant la première partie du XXe siècle, il y a avait plusieurs cafés, et divers artisans, tels un maréchal ferrant, un bourrelier, un cordonnier, un appariteur, . . Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les 3 personnalités du village étaient «Le maire, l’instituteur et le curé» selon Pierre Levet, habitant du village. Puis, l’école a fermé en 1956. Aujourd’hui il n’y a plus dans l’église de Bure datant du 12ème siècle que 4 messes par an , la messe la plus proche étant à 40 minutes de voiture.

3 La vallée des industries ou de l’Ornain est principalement occupée par un bon nombre de bâtiments et s’inscrit dans un registre architectural industriel de par la présence d’industries du bâtiment et de la transformation du bois. Cependant, ces entreprises sont en difficulté, car handicapées par le manque de dessertes et la diminution de la population. Les industries autour du meuble faisaient une des spécificités de Gondrecourt mais elles se raréfient. En effet, Meuse Omni Style, une entreprise employant cinq cents personnes, la plus grosse entreprise du secteur a dû fermer en 2011. Aujourd’hui, on peine à imaginer qu’il y a quelques années il y avait des bouchons dans le bourg (Gaspard d’Allens et Andreas Fuori, octobre 2017). Dans le Nord de la vallée, on trouve cependant moins d’industries actuellement mais plus de gîtes liés à l’attrait touristique du tunnel de Mauvages.


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Une lente désindustrialisation et baisse démographique Pour comprendre les fragilités actuelles du territoire, il faut remonter à son passé industriel entre le XIXe et XXe siècle ; en effet, l’activité était répartie sur l’ensemble du département meusien mais elle se concentrait le long des vallées notamment celle de la Saulx et de l’Ornain. Aujourd’hui, il existe quelques traces dans le patrimoine du bâti avec quelques maisons de maître forgeron ou anciennes usines muséifiées, mais aussi à travers la toponymie. Tout d’abord, il n’y a pas eu de réelle révolution industrielle en Meuse, mais une lente évolution. Les principales caractéristiques de cette industrialisation meusienne, que l’on retrouve dans une majorité de régions, résident dans la localisation rurale des industries, avec des débouchés extérieurs et vivant en symbiose avec l’agriculture présente. La spécificité de cette industrialisation dépend en partie des ressources disponibles.

La filière métallurgique En Meuse, la richesse du territoire provenait notamment de son soussol minier. L’industrie métallurgique meusienne pourvue en usines de fer, forges, fonderies est une des premières en France. Cependant, des phénomènes multifactoriels de désindustrialisation métallurgique ont commencé dès 1850. Paradoxalement, la voie ferrée et le canal de la Marne au Rhin ont été mis en service respectivement en 1852 et 1856. En effet, en parallèle, un brutal virage démographique est pris entre 1851 et 1856 et une partie de la population a quitté la Meuse pour la région parisienne ayant besoin de main d’oeuvre pour les grands travaux Haussmanniens. De plus, il semble que la population meusienne de l’époque n’appréciait pas l’industrie qui s’était développée sur son territoire. L’agriculture était une bonne ressource nourricière pour les habitants et il y avait une certaine résistance à devenir ouvriers plutôt que paysans puisque le travail d’ouvrier ne fournissait pas un très bon salaire. De surcroît, en 1870, la bataille franco-allemande a fait de la Meurthe et la Moselle un territoire sidérurgique qui créait donc de la concurrence à la production meusienne. La desserte ferroviaire n’était pas non plus adaptée aux besoins industriels du territoire. En effet, l’axe Paris-Strasbourg s’arrêtait à Bar-le-Duc et non à Saint Dizier qui était une des villes de maîtres forgerons. Dans les vallées de la Saulx et de l’Ornain, les retards de constructions des lignes secondaires nécessaires au désenclavement des vallées ont accentué le processus de désindustrialisation (Antoine Naegel, 2006).

La filière textile Le Sud Meusien a également connu, autour des années 1820, une «fièvre cotonnière» qui concernait surtout la filature et le tissage ; à Montiers-surSaulx, il y avait notamment une usine importante nommée «Chez Simonet». Cependant, le textile a lui aussi commencé à disparaître suite à une crise d’approvisionnement du coton en 1860. En 1862, malgré la reconversion des produits innovants comme le corset sans couture, introduit en Meuse par le Suisse Jean Werlg, le trop grand nombre d’usines textiles meusienne s’est soldé par une faillite. Aujourd’hui, seule une usine de traitement de la laine a subsisté à Bar-le-Duc. La filière bois L’industrie du bois a gardé une place sur le territoire meusien pour le bois de chauffage et la fabrication de meubles, mais elle n’a pas l’importance qu’elle connaissait jadis. La forêt, malgré des prélèvements importants à cause des usines à charbon de bois, retrouvera fin XIXème une densité correcte après l’abandon du charbon et la baisse de la consommation du bois de chauffage par les habitants. On retrouvait également des savoir-faire liés au bois dans presque tous les villages meusiens comme boisseliers, tonneliers, sabotiers, cercliers, charpentiers. Les semelles de galoches étaient notamment fabriquées à Commercy, Naix-aux-Forges et à Montiers-sur-Saulx (Jean-Paul Streiff,1989)


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La filière alimentaire La transformation du fromage a également fait l’objet d’une industrialisation pour fabriquer le Brie de Meaux dont on ne retrouve qu’une seule usine aujourd’hui située à Bar-le-Duc. Comme partout en France, les brasseries se développent, les «Brasseries de Meuse» ont alors une reconnaissance nationale et des usines sont créées jusqu’à Nantes. Elles disparaîtront au XXe siècle. Cependant, la «Brasserie de la Saulx» située à Morley a aujourd’hui une renommée locale à l’échelle départementale. La filière verrière Les verreries du Clermontois ont également perduré jusqu’à la fin du XIXe siècle. La ressource en pierrre La ressource naturelle de la pierre à bâtir a aussi été valorisée jusqu’à l’extérieur du territoire vers Paris via le canal de la Marne au Rhin jusqu’en 1854 puis par le chemin de fer. Les infrastructures de transport tant souhaitées par les industriels n’ont été utilisées que pour les transports des ressources.

Malgré une industrialisation diversifiée et réputée, depuis le XIXe siècle jusqu’aux années 90, le territoire a connu une désindustrialisation importante dont les raisons sont multifactorielles. On note particulièrement l’absence ou le manque d’utilisation des infrastructures pour désenclaver le territoire. Le secteur de la métallurgie (sidérurgie, fonderie, . .) et de la sylviculture (transformation de meubles, . . .) ont pourtant marqué l’identité du territoire. En raison de la crise économique des années 1970, les difficultés économiques accélèrent un processus de désindustrialisation entre 1970 et 1990 et ont des répercussions sur la société ; en effet, les ouvriers, après être licenciés, restent au chômage. Ainsi, la désindustrialisation est l’une des principales causes de la baisse de la démographie du territoire. A l’échelle de l’hyperruralité autour de Bure, la majorité des villages voient leur population se réduire de moitié tous les 50 ans depuis 1900. On peut donc se demander ce qu’il en sera demain.

Démographie projetée des villages autour de Bure

Quelques chiffres sur la démographie Il y avait en Meuse 328 657 habitants en 1851 pour 184 474 en 2019 tandis que la Haute-Marne comptait 268 208 habitants en 1851 pour 173 041 en 2019 (Insee). Dans la Meuse, la densité de population est la plus faible de Lorraine et d’après des statistiques réalisées par l’Insee, à l’horizon de 2050, les naissances ne compenseraient plus les décès. La Haute-Marne connaît elle aussi des difficultés de développement démographique. L’Insee rapporte que la Haute-Marne est le département de la région Champagne-Ardenne qui est le plus critique avec un solde migratoire très déficitaire. La Champagne-Ardenne est, par ailleurs, la seule région à perdre des habitants depuis 1999 (Insee). Le département a perdu 10 000 personnes en l’espace de cinquante ans. Le Scot Nord Haut-Marnais montre également un déclin démographique important. la natalité reste assez importante mais de nombreux départs ont lieu vers des départements proches, plus dynamiques. Ces migrations accélèrent le vieillissement du territoire. Dans cette dynamique de déprise, la population continuerait à diminuer, passant de 72 000 en 2013 à 61 000 personnes d’ici 2042 (N. Belhakem, M. Emorine, 2017).

?

? 1900

1950

2000

2050

2100


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Un potentiel fluvial à valoriser Le territoire a la chance d’avoir un lien avec le canal de la Marne au Rhin par la vallée d’Ornain, à l’Est du territoire, au Port de Houdelaincourt. Si, au XIXe siècle cet axe fluvial a été utilisé, il l’est beaucoup moins aujourd’hui. Le port pourrait pourtant être un réel atout pour la vallée de l’Ornain voire pour tout le territoire enclavé. Au vu de l’évolution de la politique énergétique, le port-canal pourrait offrir une alternative essentielle au transport économique, d’autant qu’il est situé à proximité de la voie ferrée entre Gondrecourt et Bar-leDuc et du réseau routier. Cette voie ferrée n’est plus utilisée aujourd’hui mais pourrait être réaffectée pour contribuer également au désenclavement du territoire. Le long du canal de raccord qui descend jusqu’à Houdelaincourt, une autre liaison fluviale se dessine par le tunnel de Mauvages. Le tunnel de Mauvages traverse la ligne de partage des eaux entre les bassins de la Seine et de la Meuse. Il relie les villages de Mauvages et Demange-aux-Eaux et constitue le bief de partage séparant les vallées de l’Ornain et de la Meuse. Il mesure 4 877 m, ce qui en fait le second tunnel fluvial français après celui de Riqueval dans l’Aisne.

Tunnel de Mauvages

Port du Canal de la Marne au Rhin

0

500

1000 m N


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Bassin versant de la Meuse

Paris

Nancy

BAR-LE-DUC

Canal de la Marne au rhin Toul

N

DEMANGE Houdelaincourt Tunnel de

Mauvages

Bassin versant du Rhin

Bassin versant de la Seine

STrasbourg

mauvage

Marne

Bar-leDuc Commercy Toul

in na Or L’ lx u Sa

La

St Dizier

Bure

N 0

Tunnel de Mauvages Ă Demange

20

40 km

Port du Canal de la Marne au Rhin,Houdelaincourt


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La structure du socle

Le territoire d’étude défini précédemment est cadré par deux vallées d’Ouest en Est. Il s’agit de la vallée de la Saulx et celle de l’Ornain. A l’intérieur de ce grand plateau, deux autres cours d’eau, l’Orge affluent de la Saulx et l’Ormeçon affluent de l’Ornain, resserrent leur cadre sur le centre du territoire, soit sur le plateau buron. Le territoire suggère donc une certaine symétrie de par son organisation et une concentration relativement circulaire vers Bure. Cette géomorphologie présente, ironie du sort, un intérêt particulier puisque c’est un endroit qui attire l’attention depuis l’arrivée du laboratoire de l’Andra sur le territoire. L’occupation du sol par les forêts semble également respecter cette symétrie et s’oriente de manière concentrique. Bure Saudron La Saulx

L’Orge

Mandres-en-Barrois L’Ormançon

Schéma synthétique du territoire perçu Hyper-ruralité insérée entre les vallées de la Saulx et de l’Ornain Noyau / plateau buron 1

1

Bure

2

2

Saudron

3

3 Mandres-en-Barrois

4

4

Le laboratoire de l’Andra pôles urbains

Axonométrie de la répartition des masses boisées, et des cours d’eau sur le territoire L’Ornain

N


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Les paysages hyper-ruraux d’Ouest en Est En périphérie Ouest, le paysage est plus fermé par les forêts qui occupent les sommets et les haies éparses qui longent la route descendant vers Sailly.

Au centre, le paysage est ouvert tout autour de Bure sur des cultures ceinturées au loin par des forêts de hêtres.


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Dans le fond de vallée de Mandres-en-Barrois, les prairies remplacent les céréales. Les clôtures sont entourées de haies timides.

Entre Bonnet et Abainville, le ruisseau de Richecourt, affluent de l’Ornain, souligne sa présence d’une ripisylve entre les prairies.


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Les relations entre topographique et urbanisation Les villages meusiens sont relativement tournés vers leur centre, il suffit cependant de s’écarter légèrement pour que le paysage s’ouvre. Cependant, le vallonnement et l’implantation des villages près des rivières en fond de vallon, isolent visuellement les villages des autres formes urbaines. Au contraire, les installations industrielles de l’Andra sont situées en sommet de côte. Il suffit souvent de s’écarter légèrement du village pour pouvoir les observer. Les coupes ci-contre montrent l’occupation du sol avec une prédominance céréalière et quelques prairies pâturées dans les dépressions. Les paysages sont très simplifiés, les bosquets se font rares.

bâti anarchiques. Ces derniers pourraient être intéressants à redessiner dans un but d’accueillir de nouvelles constructions, de nouveaux habitants, de nouveaux usages, . . . Par ailleurs, en voulant s’agrandir, certains agriculteurs sont sortis des villages pour construire leurs hangars agricoles. Or, il me semble important de conserver cette identité lorraine de regroupement bâti. Les villages souffrent déjà de manque de dynamisme et il me semble qu’isoler des agriculteurs, qui animent les villages, contribuerait à réduire davantage la cohésion sociale des villages.

Les villages meusiens sont traditionnellement regroupés sous des formes de village-rue, comme Bure ou plus désorganisés et avec un tissu lâche comme Mandres-en Barrois ou Saudron. Ces villages se sont construits autour de corps de fermes, ce qui a créé ces tissus

Bure N

A Saudron N

L’Orge Mandres-en-Barrois N

L’Ormançon

C

B


71 L’Orge

L’Ormançon

Bure A

Mandresen-Barrois

2,8 km

Saudron B

2 km

C

3,3 km

A’

B’

C’

Laboratoire de l’Andra Laboratoire de l’Andra

N

N

L’Orge A’

B’ Laboratoire de l’Andra L’Orge C’


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De l’avenir des pratiques agricoles Dans les deux départements de la Meuse et de la Haute-Marne, l’agriculture occupe la majorité du sol soit 54,7% dans la Meuse (Chambre d’Agriculture, 2014) et 42% dans la haute-Marne (Ign 2014). L’agriculture est une composante majeure de l’économie locale. En Meuse, cela représente 10 650 emplois, soit 16 % des actifs du département, bien plus que la moyenne nationale (données du conseil départemental). Les exploitations laitières, céréalières et de polyculture (viande bovine) y sont relativement équilibrées. N

0

2

Cependant, leur répartition à l’échelle départementale montre une pratique d’élevage au nord de la Meuse et un sud majoritairement céréalier. Auparavant, dans le sud meusien on trouvait davantage d’élevage mais la pénibilité du travail et les conditions du sol ont favorisé la monoculture, notamment sur le plateau buron. En effet, il y a eu une laiterie à Bure qui est maintenant fermée pour cause de fuite. De plus, la Meuse se trouve dans le secteur AOP Brie de Meaux dont le sud jouit très peu. Les cultures céréalières (orge, blé, maïs, luzerne, . .) dominent

largement le plateau buron mais on trouve encore des poches d’élevage et de prairies le long des cours d’eau. Jusqu’à aujourd’hui, les agriculteurs n’avaient pas besoin d’irriguer leurs cultures et l’absence d’eau sur le plateau ne se faisaient pas sentir. En effet, la rivière de l’Orge est souvent asséchée en été. Ainsi, les épisodes de sécheresse se font de plus en plus sentir et pénalisent les agriculteurs. Durant l’été 2019, les récoltes de maïs n’ont pas été fructueuses , c’est pourquoi les agriculteurs commencent à s’imaginer ne plus cultiver cette céréale gourmande en

4 km

Bure Mandres-enBarrois

Saudron Laboratoire de l’Andra

2 3

Occupation du sol

1

1- Céréales, légumineuses et oléagineuses

2- Prairies permanentes à temporaires

3- Forêts de feuillus (dominance : Charme (Carpinus betulus), Hêtre (Fagus sylvatica) et Chêne pédonculé et sessile (Quercus robur et petraea)


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eau sur le plateau. Le projet Cigeo les amène aussi à se questionner sur le long terme sur le territoire. Or, les épisodes de sécheresse risquent de se répéter et de s’accentuer au cours du siècle à venir. A l’horizon 2070-2100, le changement climatique pourrait provoquer, dans le Grand Est, des vagues de chaleur cinq à sept fois plus nombreuses, avec des records possibles jusqu’à 55,3 °C, sur une période de 50 jours selon le scénario le plus pessimiste du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental

sur l’évolution du climat), soit sans avoir aucune action limitant les émissions de gaz à effet de serre. De plus, une diminution du nombre de jours anormalement froids en hiver sur l’ensemble de la France métropolitaine pourra être constatée en particulier dans les régions du quart Nord-Est. Cette pression climatique aura donc un impact conséquent sur le territoire agricole, voire elle risquera sa désertification et son enfrichement. Si rien n’est fait, il est possible que la transmission agricole soit encore

«Je préfère l’enrubannage à l’ensillage. Il n’y a pas de bactéries, c’est bon pour mes bêtes.» «La viande est vendue dans les boucheries du coin, à moins de 2h de route.»

« J’ai 120 blondes d’Aquitaine. Je traite mes bêtes comme moi-même, je leur donne la même eau que je bois. »

plus complexe sur ce territoire. En effet, à Bure comme ailleurs, le phénomène de transmission des terres familiales continue d’exister mais a tendance à se perdre depuis les années 90. L’atmosphère conflictuelle, les difficultés du métier associées au changement climatique et les rachats de terres de l’Andra pourraient accentuer cette désertification des enfants d’agriculteurs et ne seraient pas non plus propices au «retour à la terre» de nouveaux habitants.

«Je pense que c’est la fin du maïs ici, on n’en refera plus.»

« En culture dérobée, entre deux cultures, je fais du lin et sarazin pour le pâturage.»

«Je donne à pâturer les semences restantes de maïs, radis, anette, moutarde, pois et avoine. »

«Sur le village de Mandres, il doit y avoir 12 familles d’agriculteurs. Moi, Je travaille en culture de conservation afin de préserver mon sol. Je fais du semis direct et pas de labourage pour garder l’humidité de mon sol.»

« La luzerne marche très bien et n’a pas besoin d’engrais! La févrole fonctionne bien aussi, elle capte l’azote du sol.»

« Le Sorgho, il y en a beaucoup dans les Vosges autour de Neufchâteau, ça pourrait marcher ici ! C’est très bien, cela n’a pas besoin de beaucoup d’eau, ni d’intrant !»

Agricultrice en polycultures à Mandres-en-Barrois, 2019


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Un remembrement comme bouleversement majeur de l’histoire du plateau buron Aujourd’hui, les harmonieuses courbes estivales des champs de céréales dorent l’étendue du paysage ouvert, ponctuée par quelques bosquets, clochers et éoliennes. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas, le remembrement intensif des années 60 a fortement impacté le territoire. Aujourd’hui, plusieurs agriculteurs burons évoquent le remembrement qui s’est opéré entre 1959 et 1962 comme d’un bouleversement de la vie locale. Le maillage de haies qui existait, a été détruit. les agriculteurs s’accordent à dire que le remembrement du territoire a été mal fait. Le découpage a formé des parcelles avec des formes non adéquates aux pratiques agricoles (triangulaires, . . .) et n’a pas tenu compte de la notion de productivité que promouvaient les nouvelles technologies agricoles (parcelles trop petites). Les paysages ont également été impactés ; les agriculteurs rencontrés regrettent d’avoir perdu leurs arbres qui ne les gênaient pas dans leur pratique. Si l’on observe maintenant les cartes d’état-major et de Cassini, on comprend que le territoire n’a pas beaucoup évolué. Les villages et forêts, dont le bois Lejuc, existent depuis au moins le XVIIIe. * Cartes de Géoportail *Paroles Buronnes, 2019 *Remarques personnelles, 2019

"Sans arbres, c’est triste!" Bure

Saudron

"Le remembrement a presque déclenché une guerre civile pendant 25 ans. C’était un gros changement, on ne savait pas comment on allait faire avec les chevaux."

Bure

Saudron Laboratoire

"On a détruit les haies, on va les replanter surement !"

2019

"Les formes du bâti et les jardins qui les entourent, ont très peu évoluées."

"Sur cette carte, la notion de noyau est particulièrement rendue visible par le relief cerclant le Mont de Mandre sur lequel est aujourd’hui installé le Laboratoire."

Années 60

"Une cité galloromaine a été redécouverte entre Bure et Saudron."

1820-1866

1754-1755


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Bure, avant le remembrement

Bure, après le remembrement


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Les conflits hyper-locaux Le territoire a connu des périodes de conflits plus ou moins importantes qui l’ont dévasté du XVI au XVII, pendant les guerres de François 1er contre Charles Quint et durant la Guerre de Trente Ans. Le remembrement a également créé des tensions importantes lors de la redistribution des terres. En effet, le sol de nature argilo-calcaire est très caillouteux et il convenait à chacun de retirer les cailloux de ces parcelles. Par ailleurs, avant d’être source de conflits, ces mêmes pierres ont été extraites du sol de l’Antiquité jusqu’au XIXème, car la roche était trop dure à sculpter. (Pierre Levet, habitant de Bure depuis 1939, rencontré en 2019 ; Collectif, 1999). A la suite du remembrement, les paysages sont devenus plus homogènes et la biodiversité s’est appauvrie. Encore aujourd’hui, les chasseurs se plaignent de la disparition des haies causant raréfaction du petit gibier comme le lièvre, la perdrix, depuis 30 à 40 ans. La généralisation des intrants dans les monocultures est également un facteur qui a impacté la faune. Aujourd’hui, la chasse en Meuse reste cependant réputée pour le sanglier dont regorgent les forêts. Des chasseurs des départements frontaliers et jusqu’en Belgique n’hésitent pas à

venir louer des terres. Cependant, cette présence importantes des mammifères ravageurs des forêts et cultures n’est pas favorable à la pratique des agriculteurs et à la gestion forestière souhaitée par l’ONF. Les pêcheurs sont eux aussi en conflit avec les agriculteurs dont les intrants raréfient la ressource en poissons mais également avec les propriétaires fonciers qui privatisent les cours d’eau. Ces conflits de gestions et de fonciers sont relativement communs dans les espaces ruraux et viennent s’associer aux conflits idéologiques engendrés par le projet Cigeo qui ont été évoqués en première partie. D’ailleurs, des conflits générés par les pratiques de l’Andra sur le territoire s’ajoutent à ce réseau conflictuel complexe. Ces conflits sont principalement dûs à l’accaparement du foncier agricole, forestier et privé par l’Andra, correspondant à une réserve d’environ 2000 ha. Les conflits générés par la gouvernance plus globale de l’Andra ont été abordés en première partie également, ils seront développés ultérieurement en quatrième partie.


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Transition : Que se passera-t-il demain ? Le territoire atone décline doucement depuis sa désindustrialisation qui s’est accélérée dans les années 70. L’agriculture a toujours été très importante sur ce territoire; cependant, l’atmosphère conflictuelle, les difficultés du métier associées au changement climatique et aux rachats de terres de l’Andra pourraient accentuer cette désertification des enfants d’agriculteurs et ne serait pas non plus propice au «retour à la terre» de nouveaux habitants. Il y a un besoin de changement des pratiques agricoles profond pour que des jeunes, issus ou non du milieu aient envie et puissent s’installer sur ce territoire. La question de la transmission me semble essentielle à penser. De quelle manière le faire ? De qui à qui ? Faut-il un encadrement ou un accompagnement pour cette transmission ? Le «fond du département» est enclavé, délaissé depuis longtemps, le territoire reste dans son jus depuis le remembrement, les agriculteurs céréaliers ont acquis plus de foncier et triplé les surfaces cultivées que leurs parents leur avaient transmis en conservant des pratiques intensives traditionnelles. Les pratiques peinent à évoluer car les difficultés des exploitants augmentent, prisonniers du marché mondial, ainsi il faut beaucoup de courage et de moyens pour se lancer dans des processus nouveaux. Les agriculteurs rencontrés sur le terrain sont, pour beaucoup, plus ou moins proches de la retraite, et n’ont pas d’intérêts à se lancer dans autre chose que ce qu’ils font depuis des dizaines d’années. Le changement de génération d’agriculteurs semble donc se profiler en parallèle de l’éventuel projet Cigeo qui est vecteur de changements

radicaux sur le territoire et pourrait donc impulser le basculement agricole de par son dynamisme et la manne financière qu’il dégage. Si le projet Cigeo est acté, il pourrait être un levier important pour sauver le territoire de la désertification et de l’enfrichement des terres auxquels il était promis avant même l’arrivée du projet Cigeo. En effet, les contraintes agricoles augmentant et le nombre d’agriculteurs diminuant (Mutuelle Sociale Agricole,2010), ce territoire aurait été complètement oublié si l’Andra n’était pas venu s’y implanter et pourrait être davantage dépeuplé si le projet Cigeo est rejeté. D’autre part, la forte opposition à Cigeo est également un autre levier contre le déclinisme. En effet, il amène d’un certaine manière de nouvelles personnes militantes qui diversifient le tissu social du territoire. Elles apportent de nouvelles forces vives, notamment associatives, sur ce territoire. Le plateau buron ne peut être pensé comme une campagne banale basée sur des clichés collectifs ; il s’agit d’une campagne avec d’énormes leviers d’évolutions possibles. Ainsi, le territoire connaît un déclin lent et l’Andra pourrait aider à la revitalisation de l’espace. Faut-il pour autant redynamiser le territoire ? Il se trouve que ce n’est pas le territoire seul qui aurait besoin du dynamisme du projet pour se relever. En effet, le territoire et le projet Cigeo sont interdépendants : le projet Cigeo a besoin des ressources du territoire ( sol, sous sol, eau, électricité, main d’oeuvre, . . .) et pour sortir de sa déprise, le territoire a besoin des leviers du centre industriel.


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Pages suivantes Le territoire d’aujourd’hui [est composé de vastes espaces cultivés] avec le laboratoire de l’Andra. Aux environs de 2050, [la déprise du territoire risque de conduire à un enfrichement progressif] sans le projet Cigeo.


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lE TERRITOIRE d’AUJOURD’hui

... Avec le laboratoire de l’ANdra


AUX ENVIRONS DE 2050 ...

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... sans le projet Cigeo


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Construire la rencontre entre l’histoire locale et l’histoire du nucléaire


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Les relations agricoles et industrielles dans le paysage Afin de construire la rencontre entre les histoires locale et celle du nucléaire, il convient de se préoccuper de ce qui apparraîtra dans le paysage et comment vont se cotoyer le language agricole et industriel. Les deux zones d’exploitation prévues pour le projet Cigeo se trouvent sur des sommets de buttes, ce qui rendra les bâtiments et les puits visibles à plusieurs kilomètres. En effet, le bâtiment nucléaire de la zone de descenderie mesurera entre 20 et 25 mètres de haut tandis que la plus haute cheminée de la Zone uits culminera à environ 40 mètres de haut. L’Andra dit vouloir «intégrer» ses installations dans le paysage alors que les bâtiments du laboratoire qui existent actuellement sont placés au centre du plateau agricole et sur un sommet entre 365 et 377. De plus, je ne pense pas que cela soit possible sans être anecdotique et que cela ait un sens particulièrement intéressant. Il n’y a rien qui mérite d’être caché ou dissimulé d’une quelconque manière. Je pense que le mieux serait d’assumer l’impact des ouvrages du projet Cigeo dans le paysage. Les centrales et autres bâtiments industriels font paysage comme le souligne Claude Parent, «l’architecte du nucléaire». Il voyait

dans les constructions nucléaire, une certaine beauté qui nécessitait un caractère architectural fort (1978). Le paysage est subjectif et son unique rôle n’est pas d’être «beau», à chaque personne de le trouver désirable ou indésirable. Il me semble que le message que transporte le paysage doit être à la hauteur de ce qui s’y passe. Le territoire est bousculé par l’arrivée d’un centre nucléaire, il faut l’assumer pleinement et ne pas mentir. Il me semble que le paysage actuel est déjà, à sa manière, grandiose de par sa dominante monoculture qui ouvre le paysage.

Principales infrastructures existantes et points de vues des liens d’implantation prévu par le projet Cigeo. Points de vue sur le Bois Lejuc (future Zone Puits) Points de vue sur le Laboratoire de l’Andra (future Zone Descenderie)


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N 0

500

1000m


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Citations de Claude Parent « Ce qui m’intéressait, c’était de donner une silhouette cohérente à l’ensemble. Il s’agissait d’épurer les formes et de leur donner ce caractère de sphère, de demi-sphère, particulièrement pour le lieu de la fusion nucléaire. »

« On ne peut laisser la décision d’implanter de tels engins à la seule discrétion d’un maire, d’un préfet ou d’un président de région, sans exercer le moindre contrôle esthétique sur l’impact des éoliennes sur le paysage, contrôle exercé par des hommes possédant les capacités de sensibilité pour ce faire au mieux de l’intérêt de la population. »

« Ce qu’il y a de plus beau chez vous, c’est que vous faites des panaches qui sont propres, qui font une vapeur d’eau blanche, qui n’abîment pas le paysage et qui font un dessin gigantesque à l’échelle du paysage. Le vrai mythe de la transformation énergétique de votre petit machin d’uranium en électricité, quel en est le signe pour la population ? C’est ce panache. »

« Tout ce qui concernait les centrales, depuis le dessin du réacteur jusqu’au paysage et à l’environnement, devait être vu par des architectes. »

Illustration première de couverture du livre de C. Parent «L’architecture et le nucléaire», Éditions du Moniteur 1978


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L’Andra et la plannification du projet Cigeo L’Andra a été créée au sein du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) en 1979. Elle change de statut grâce à la loi Bataille qui la place sous la tutelle des ministères en charge de l’énergie, de l’environnement et de la recherche. L’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs devient alors un établissement public à caractère industriel indépendant des producteurs de déchets.

2016

Loi sur les modalités de création de Cigeo et sur la réversibilité

fin 2019

2022

Après plusieurs années de recherches pour un site d’implantation d’un laboratoire, le site de Bure/Saudron est finalement choisi et les travaux commencent en 2000. En 2005, l’Andra a rédigé son étude «Dossier 2005» qui relate les années de recherches et affirme que la couche d’argile peut stocker des déchets nucléaires. En 2011, le projet est nommé Cigeo.

Décret d’autorisation de création

2030

Autorisation de mise en service

Dépôt de demande création

CONCEPTION

CONSTRUCTION INITIALE INSTRUCTION

Pendant cette période d’une dizaine d’années il s’agit de construire les bâtiments, notamment le bâtiment nucléaire, et creuser la descenderie, les puits et autres premiers ouvrages souterrains.

Préparation du projet de territoire et mises à jour régulières*


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Dans le processus du projet Cigeo, l’on en est actuellement à la phase d’instruction. Le concept proposé par les chercheurs de l’Andra a été soumis dans un dossier à l’Autorité de sûreté nucléaire. Il sera étudié pendant 3 ans à l’issue de cette période, le projet Cigeo sera validé ou non et donnera lieu à une autorisation de création. Ainsi, il n’est pas encore certain que le projet Cigeo voit le jour mais c’est

une éventualité que l’on ne peut minimiser au vu des changements que cela représente sur le territoire. En effet, si le projet voit le jour, c’est tout un territoire qui va être concerné par le Projet Cigeo, bien au delà de ses deux zones d’exploitation intrinsèques. La période d’instruction me semble être le moment idéal pour penser d’un regard de paysagiste, l’avenir du territoire avant qu’une décision politique ne soit prise.

2035 PHASE INDUSTRIELLE PILOTE L’objectif de cette étape consiste à tester en grandeur réelle des résultats des expérimentations menées au Laboratoire souterrain et de caler la suite de la construction.

2150

Autorisation de mise en service complète

Loi autorisant la fermeture définitive du stockage

FERMETURE ET SURVEILLANCE

EXPLOITATION ET CONSTRUCTION PROGRESSIVE Le stockage sera exploité pendant plus de 100 ans et construit de manière progressive au fur et à mesure de l'arrivée des colis.

Mise en place des actions du projet de territoire*

*Planification imaginée pour le projet de territoire

En souterrain, les alvéoles de stockage, galeries puits et descenderies seront obturées, remblayées et scellées. Les installations de surface seront démantelées.


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Les besoins de l’Andra et ses potentiels pour le territoire Si le projet Cigeo voit le jour, le territoire connaîtra des bouleversements conséquents. Leurs domaines de mutations seront multiples relativement liés, voir en chaîne les unes des autres : - Industrielles : il est possible que les industries locales créent des partenariats avec le projet Cigeo dont les besoins en matériaux et main d’oeuvres sont importants - Urbaines : les réseaux sont à adapter aux nouveaux flux et de nouveaux habitants sont à loger. - économiques : le projet Cigeo va évidemment générer de l’emplois par son besoin de main d’oeuvre diversifié mais également nécessiter de nouveaux services extérieurs à Cigeo pour la nouvelle population. -Sociales : les personnes employées par Cigeo auront des niveaux d’études différents et ne seront pas forcément originaire de la région. -Des formations : les nouveaux ouvriers venus sur le territoire avec leur famille contribueront au maintien des écoles, collèges sur secteur. De plus, des besoins de nouvelles compétences sur le territoire comme dans le secteur de la tunnellerie seront nécessaire et pour donner lieu à l’ouverture de centres de formation. -Agricoles : Il faudra nourrir la nouvelle population tout en s’adaptant au changement climatique.

installation souterraine > Une emprise de 15km2 > 270 km de galeries et alvéoles > 500 mètres de profondeur installation en surface > Environ 550 hectares (village de Bure = 10 ha construit) > 280 hectares pour la zone descenderie > 270 hectares pour la zone puits, dont 180 hectares pour les verses + 1000 hectares pour les compensations agricoles, sylvicoles et environnementales > Adaptation des documents d’urbanistes > 60 bâtiments répartis sur les deux zones Les convois nucléaires > Au démarrage : 5 trains par an > phase industrielle pilote :10 à 20 par an >phase d’exploitation : une moyenne d’environ 5 trains par mois. > Les colis de déchets en provenance de Valduc (Côte d’Or) seraient transportés jusqu’à Cigéo par voie routière avec un flux estimée à un peu plus d’une centaine de camions.

Besoins en eau > 2022-2030 : 500 m3 par jour maximum (restauration, équipements sanitaires, etc.) et les besoins liés au chantier (fabrication du béton, réserves en cas d’incendie, etc.). > 2030-2150 : le besoin d’adduction en eau potable s’établirait à une moyenne 200 m3 par jour (+ rejet) Besoins en electricité > 2022-2030 : 724 mégawatts heure en moyenne par jour (soit l’équivalent de la consommation moyenne d’environ 56 000 foyers français de trois personnes sur une journée). > 2030-2150 : 822 mégawatts heure en moyenne par jour (soit l’équivalent de la consommation moyenne de plus de 63 000 foyers français de 3 personnes sur une journée). BESOINS EN Matériaux > béton : 6 millions de m3 > Ciment : 2,25 millions de tonnes > Sable : 3,4 millions de tonnes > Graviers : 4,4 millions de tonnes > Acier : 200 000 tonnes EMPLOIS > 2022-2030 : entre 1000 et 2000 emplois d’abord BTP/génie civil puis davantage d’emplois d’équipementier (électricien, câbleur, etc.). > 2030-2150, 600 emplois pour le stockage


DemangeBaudignécourt L’arrivée d’ouvrier va faire augmenter la population locale et peu suciter l’arrivée d’autres services.

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voie ferrée à Houdelaincourt réhabiliter Les besoins en matériaux sont trop importantes pour les petites insductries locales, de nouvelles insdutries pourraient s’installer.

Le village de Bure risque de se retrouver quelque peu en étaux entre les deux zones avec des désagréments sonores

Abainville

180 Ha de verses

Bonnet Zone Puits

adduction en eau et rejet des effluents

Gondrecourtle-Château

Bure Saudron

Zone descendErie

Mandresen-Barrois on

liaison is lia tombereau e uvelleèr privée No ovi

liaison ferrée à créer

r

fer

Guillaumé

La voie ferrée entre Saudron et Gondrecourt à créer et celle à réabiliter entre Goudrecourt et Nançois-sur-Ornain pour acheminer les déchets jusqu’à la descenderie pourrait être utiliser pour le transport de passager ou de marchandises

Les verses importantes pourraient servir pour les aménagements des bourgs à l’entour, comme matériaux de construction.

N 0

1

2

5 km


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Une gouvernance en question Un «projet de développement du territoire pour l’accompagnement de Cigeo» a été confié au préfet de la Meuse, coordinateur de Cigeo. Ce dernier a convoqué une commission d’acteurs variés, nationaux à départementaux pour établir les grandes intentions de ce projet en novembre 2019. Cependant, il est à noter que ce projet dit «de territoire», n’est pas suffisamment pensé dans l’intérêt de ce dernier dans les mesures proposées et les acteurs mobilisés sont assez éloignés de ses enjeux. Ce projet tel qu’il est écrit actuellement a du mal à faire le lien entre le développement du projet Cigeo et celui du territoire. En effet, chacun projettent des intérêts privés sans penser aux enjeux globaux. Le projet Cigeo a des enjeux multiéchelles, mais son ancrage reste territorial et hyper-localisé. Or, au sein du comité de pilotage formé, les acteurs sont principalement politiques et très peu d’acteurs hyperlocaux sont mobilisés. De plus, les conflits engendrés ou non par Cigeo sont mieux connus des citoyens qui vivent, pratiquent le territoire au quotidien. Un projet de territoire se veut d’être un projet global et cohérent. Cependant, les conflits du territoire rendent difficiles tout compromis, système d’entraides, ou de mutualisations. Le débat public du 25 novembre

dernier organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) a notamment mis en lumière le problème de gouvernance de l’Andra et une réelle envie des citoyens d’être davantage impliqués dans la gouvernance du territoire. Pendant ce débat mais également lors de mes rencontres sur le terrain, j’ai constaté que les hyperlocaux ont le sentiment d’être dépossédés de leur territoire par l’Andra. Pour faire face aux conflits, l’Andra a déjà été obligée de changer sa stratégie de gouvernance en 1991 à travers la loi Bataille. Cette loi impose également une pratique de concertation avec la population. Dans le cadre de la DUP (Demande l’Utilité Publique), la concertation et les enquêtes publiques sont également imposées à l’Andra. Je me suis jointe à l’une de ces concertations, sur le thème de «l’insertion paysagère et du cadre de vie». Les échanges ne peuvent être très constructifs car la confiance est rompue et l’Andra poursuit sa stratégie de gouvernance qui la place au centre du territoire. Elle use par exemple de stratégies juridiques pour acquérir le foncier (droit de préemption sur les terres agricoles, achat en masse contre échange, . . .). Cela ne fait donc que renforcer la rupture sociale avec le projet Cigeo. Les objectifs futurs pour le projet Cigeo seraient de développer un bassin de vie sur le territoire pour

maintenir une dynamique sur place pendant et après l’exploitation de Cigeo (fin d’exploitation prévue en 2150 environ). En effet, si le territoire perd son dynamisme quand le projet Cigeo se termine, le territoire risque de tomber dans le déclin et d’être oublié. Or, l’Etat souhaite conserver la mémoire du site Cigeo. Ainsi, la stratégie de gouvernance actuelle peut difficilement permettre un projet de territoire cohérent et qui puisse survivre après le projet Cigeo. Les dimensions temporelles, techniques et financières de ce projet sont incommensurables, la gouvernance doit s’adapter à ce contexte exceptionnel pour expérimenter les possibles de l’espace et transmettre la mémoire de déchets dangereux pour environ 100 000 ans. Pour tenter de réussir ce projet de territoire et réduire les conflits, je pense donc qu’il faudrait expérimenter une nouvelle gouvernance qui intègre mieux les acteurs hyperlocaux pour rééquilibrer les forces du territoire. L’enjeu étant de favoriser une communication et de mettre en place des espaces de débat équilibrés avec une importante place laissée aux hyper-locaux ou aux citoyens de manière générale. Si, ces espaces ne voient pas le jour, les désaccords continueront de s’épaissir et les points de vue se diviseront davantage (Vincent Carlino,2018).


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CNE COntrôle et valide le décret de DAC

Rôle d’un acteur sur un autre Interdépendance entre des acteurs

participe à un partenariat de recherche

Etat

la rupture entre projet de territoire et conflits de terrain

EDF

est placé sous la tutuelle

ORANO

ANDRA

ASN

PDT pour l’accompagnement de Cigeo Acteurs participant au pilotage du PDT Acteurs hyperlocaux à associer au PDT

CEA

POLLUEURS PAYEURS financent l’andra

Echelle nationale

mutations urbaines

«Projet de Développement mutations du Territoire pour agricoles et l’accompagnement de sylvicoles Cigeo»

mutations foncières

Chambre de commerce et d’industrie 55/52 Communauté de communes de Bar-le Duc, Portes de Meuse, St-Dizier et Joinville

Chambre d’agriculture 55/52

Préfet de la Région GrandEst

ANDRA

Comité de pilotage du projet de développement du territoire pour l’accompagnement de Cigeo

Conseils départementaux 55 et 52

Région Grand Est

Echelle interdépartementale

Andra : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs CNE : Commission nationale d’évaluation CEA : Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (EPIC) ASN : Autorité de Sûreté Nucléaire ORANO : Anciennement AREVA GIP : Groupement d’intérêt public

mutations sociales et culturelles

Préfet de la Meuse coordinateur Cigeo

mutations écologiques

Chambre des métiers et de l’artisanat 55/52

GIP 55 et 52

mutations des formations mutations des mobilités

mutations industrielles et artisanales

L’échelle hyperlocale est celle sur laquelle il y a de réels conflits de terrain et pourtant c’est celle qui est la moins associée au projet de territoire

?

Andra

Gendarme Habitant

Opposant

SAFER Pêcheur

Echelle hyper-locale

Propriétaire foncier Chasseur Agriculteur ONF


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Une mémoire pour les déchets nucléaires, divergences internationales La mémoire est une construction humaine et collective, une forme de conscience de l’héritage passé, qui devra ici perdurer pour les 100 000 ans à venir. Cependant, estelle raisonnablement possible ? La mémoire reste aléatoire, partielle et instable. Cependant, la règle de sûreté de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) du 1er juin 1991 prévoit « la conservation de la mémoire du stockage, permettant de rendre extrêmement peu probable l’intrusion humaine dans la zone du stockage ». L’Andra estime que pour conserver la mémoire des centres de stockage, il est nécessaire d’étudier l’héritage de peintures rupestres, parchemins, pyramides et mégalithes. La conservation de la mémoire pendant une longue période de temps est possible et pourrait prendre diverses formes. Le principal questionnement de l’Andra se concentre sur la sémiologie nucléaire, la préservation du sens du message à transmettre pour une durée raisonnable de 500 ans. En effet, plusieurs réflexions ont été menées à l’échelle mondiale. L’art a été pensé comme moyen de transmettre la mémoire des déchets. En effet, les objets d’art contrairement aux objets fonctionnels sont destinés à survivre à la vie limitée des mortels (Hannah Arendt, 1961). Sur le site

d’enfouissement de WIPP (Waste Isolation Pilot Plant) au Sud-Ouest du Nouveau Mexique aux étatsunis, les chercheurs misent sur la transmission de la mémoire par les émotions en s’inspirant notamment du tableau Le Cri (Munch,1893) , qui exprime la peur, le danger. Mais il faudrait être certain pour cela que les émotions et interprétations des symboles soient intemporelles et universelles. Un rapport américain sur la mémoire des centres de stockage du département de l’énergie appuie également cet argument. En effet, transmettre l’idée de danger par des paysages d’épines, de pointes, des blocs menaçants ou des kiosques avec des dessins qui font peur comme l’expressionnisme norvégien du XIXe siècle, ne suffiraient pas car l’humain par nature est curieux. Le sémiologue Thomas Seabok a lui aussi interrogé la manière de transmettre la mémoire pour le projet d’enfouissement américain Yucca Mountain. Il a imaginé créer un «clergé atomique», une commission à long terme qui opèrerait pendant les dix prochains millénaires, comme un rite religieux autour des déchets. Mais l’on pourrait se demander quelle religion est susceptible de résister à de telles durées. Le catholicisme est né il y a 2 000 ans seulement tandis

que le totémisme des aborigènes australiens datant de 50 000 ans est en train de disparaître (Gaspard d’Allens, Andrea Fuori, 2017) La question du matériau est également soulevée. Sur quel support ? Par quelle forme transmettre la mémoire? En chronobiologie, on différencie l’âge du minerai, de celui de l’arbre et de celui de l’être humain. Francis Hallé dit que les arbres ne voient pas les humains tant leur chronobiologie est supérieure à celle de l’Homme. Parallèlement, la longévité de l’arbre reste cependant bien dérisoire comparé à celle de la pierre. Si l’on compare la durée de radioactivité des déchets avec le nombre de générations humaines nécessaires sur une même période, on arrive à environ 4000 générations humaines, en considérant un renouvellement moyen des générations tout les 25ans. La pierre est en effet le matériau qui, par sa relation au temps, est ainsi souvent utilisé pour témoigner de la mémoire. Cependant, on peut se demander si la pierre suffira pour témoigner de la présence de déchets hautement radioactifs.


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La Finlande, quant à elle, se positionne de manière radicalement opposée. A Onkalo, elle souhaite que le site d’enfouissement des déchets soit oublié en espérant que personne n’ait l’idée d’aller y creuser ; tous les documents de recherches produits seront détruits ou tous archivés dans des coffres de l’état. En effet, les Finlandais estiment qu’à la surface, le temps passe plus vite qu’en profondeur et que l’environnement en surface n’est pas stable. Les conditions politiques, sociales et culturelles ne seront sans doute pas les mêmes dans le futur et l’on n’est pas certain aujourd’hui que l’on pourra faire confiance aux générations futures. L’objectif est donc de donner au site d’Onkalo un maximum d’indépendance vis-à-vis de la nature humaine, car on ne peut pas prévoir le comportement des êtres humains dans l’avenir (Into eternity, 2010)

Onkalo


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Transition : Que se passera t-il après-demain ? Il est fortement possible que le projet Cigeo voit le jour. Il me semble déraisonnable de ne pas imaginer un avenir avec et de ne pas essayer de comprendre quels pourraient en être les leviers pour le territoire. En effet, le territoire aura beaucoup de difficultés à se revitaliser seul. Et inversement Cigeo a besoin du territoire pendant son exploitation pour ses ressources. Cependant, lorsque le projet Cigeo sera terminé, qu’adviendra t-il du territoire ? Retombera t-il en déclin à nouveau après une nouvelle vague de désindustrialisation ? La France a fait le choix politique de conserver la mémoire des déchets sur leur site d’enfouissement. Cependant, après le départ des derniers ouvriers aux environs de 2150, on peut se demander si beaucoup d’habitants resteront sur place tant le climat qui règne rend la vie difficile sur le territoire. Or, la mémoire est beaucoup plus difficile à maintenir si le territoire est déserté par la présence humaine. Il est donc crucial de garantir le maintien du bassin de vie créé pendant l’exploitation, après cette période. Le projet de territoire se doit d’être particulièrement efficace pour redynamiser le territoire avec des leviers d’actions extraordinaires qui lui permettent de se maintenir même après la fermeture définitive de l’Andra. Cependant, la notion de mémoire

est à manipuler avec précautions. Même si le bassin de vie se maintient après Cigeo, il n’est en rien garanti que la mémoire se conserve sur ce site pour des centaines de millénaires. En effet, c’est bien en creusant dans le sol que des cités gallo-romaines ont été découvertes, jusque dans le sol de Bure. Maintenir la vie sur place est une première action importante mais, elle ne sera peut-être pas suffisante seule et devra surement s’associer à la chronobiologie de la pierre. La Meuse est déjà un territoire meurtri par la guerre de 1870 et la bataille de Verdun de 1916. La forêt de Verdun en garde une mémoire, une cicatrice. Ici, il ne faut pas amalgamer un besoin de mémoire lié à une catastrophe et un besoin de prévenir les générations futures d’un risque, bien que ce geste d’enfouissement des déchets des plus dangereux créés par l’humain puisse être objectivement et légitimement perçu comme des plus effrayants.


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Le Cri, Edvard Munch, 1893

Pages suivantes Aux environs de 2050, [ le territoire enclavé va connaître des grands changements et pourrait en tirer partie ] avec le Cigeo. Aux environs de 2150, [ les déchets enfouis risquent de tomber dans l’oubli ] si le territoire est déserté.


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AUX ENVIRONS DE 2050 ...

... avec le projet Cigeo


AUX ENVIRONS DE 2150 ...

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... Si le territoire est déserté


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05


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Connecter hier, aujourd’hui, DEMAIN et après demain


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Comment accompagner et impulser des mutations sur le territoire enclavé entre la Meuse et la Haute-Marne avec le projet Cigeo contre le déclin de l’hyper-ruralité et pour la mémoire des déchets radioactifs ? INterdépendance entre L’ANdra et Le territoire ressources

ANDRA

Mémoire des déchets

Projet de territoire

Redynamisation

Dynamique et financement

TERRITOIRE


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Du besoin d’un projet de cohérence inter-rurale En 2020, nous nous situons à un moment crucial pour le territoire. Nous avons vu précédemment que le projet Cigeo risquait fortement de voir le jour sur le territoire et qu’il allait le modifier profondément et que rendre ces changements les plus viables possibles ne dépendaient pas seulement du projet Cigeo mais surtout de la capacité du territoire à y prendre part. Le territoire frontalier meusien/hautmarnais est en déprise malgré des fortes volontés des communautés de communes locales pour le redynamiser. De plus, il est dans l’intérêt de l’Andra de conforter la redynamisation du territoire pour faciliter l’implantation du

Dynamisme territorial

projet Cigeo et surtout préparer la mémoire des déchets, bien que cette dernière reste incertaine. Ainsi, l’enjeu principal du projet hyper-rural que j’imagine consistera à accueillir des nouveaux habitants et faire renaître un bassin de vie cohérent, autonome et diversifié le plus longtemps possible. Il convient pour cela d’essayer d’améliorer les relations conflictuelles actuelles qui existent sur le territoire, qu’elles soient générées ou non par le projet Cigeo. L’aménagement d’un nouveau cadre socio-politique semble nécessaire pour une nouvelle cohésion territoriale. Ici, le territoire devra être autonome après le départ de Cigeo pour ne

pas retomber en déclin. Il est donc important que les 4 secteurs ruraux repérés précédemment soient suffisamment diversifiés et ne soient pas tous directement liés au projet Cigeo pour que la population déjà sur place et nouvelle se maintienne le plus possible. En effet, la difficulté réside bien ici : maintenir la population sur place après Cigeo. Il est dans l’intérêt du territoire d’anticiper et d’éviter ces potentiels départs dans le programme du projet de cohérence inter-rurale qui devra donc évoluer tout au long de l’exploitation du projet Cigeo. Un des premiers leviers à enclencher serait un changement radical de gouvernance.

2020 Projet de cohérence inter-rurale

Déclin de l’hyper-ruralité

Scénario choisi Développement d’un bassin de vie

1790 Industrialisation 1970 Pique de désindustrialisation

Scénario choisi Maintien du bassin de vie

Arrivée de 600 ouvriers (pour une centaine d’années jusqu’à la fin de l’exploitation) Arrivée de 2000 ouvriers (pour une dizaine d’années)

Exploitation du projet Cigeo

Fin du projet Cigeo Temps


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Un changement de gouvernance comme levier de projet Depuis 2003, la loi sur l’expérimentation est inscrite dans la constitution (articles 37 et 72) et pourrait être un moyen pour les acteurs de l’hyper-ruralité jusqu’à l’échelle interdépartementale de faire une proposition au Sénat d’une nouvelle loi qui impulserait une gouvernance plus décentralisée et équilibrée. Cette loi se positionne dans le prolongement de la volonté politique française de décentraliser le pouvoir depuis 1981. Le Parlement peut ainsi habiliter un maire pour expérimenter une action politique dans un domaine. Ce transfert de compétence exceptionnel a déjà donné lieu en France à 969 expérimentations depuis 2003. La nouvelle gouvernance pourrait ainsi être impulsée par cette loi. Il s’agit de produire une sorte de choc sociétal afin de rapprocher les citoyens des centres de décisions. Au vu des échecs des gouvernances passées, la nouvelle gouvernance pourrait proposer une forme expérimentale la plus ascendante possible pour tenter de répondre au mieux aux conflits d’usages hyper-locaux en se basant sur des constats de terrain. Ainsi, les citoyens opposants ou en conflits deviendraient des citoyens acteurs. Un conseil pourrait être formé d’acteurs locaux variés du territoire , des citoyens et politiciens tels des agriculteurs, maires, habitants, représentants des communautés de communes, et encore le préfet coordonnateur de Cigeo,... Il prendrait une forme nouvelle d’EPCI (établissement public de coopération intercommunale) qui ne serait pas définie par la limite administrative mais par une échelle géographique, celle de l’hyper-ruralité. Il s’apparenterait à un syndicat mais son domaine de compétences serait global et avec davantage de pouvoir politique. L’idée de ce conseil serait d’avoir une représentation la plus variée et équilibrée possible au sein de ses membres pour définir collectivement un programme pour le projet de territoire. En effet, l’objectif serait d’éviter que les financements des GIP 55 et 52 (groupements d’intérêts publics) ne fassent l’objet d’opportunisme et ne se destinent à des intérêts privés sans cohérence globale. En effet, sur le territoire, on observe aujourd’hui l’influence de financements importants apportés par les «pollueurs payant» (EDF, ORANO, . . .) de l’ordre de 30 Millions d’euros

par an et par département (55 et 52), soit 60 millions en tout. Ils se retrouvent également dans des grands investissements dans les préfectures comme le projet de centre aquatique de 27 millions d’euros auquel le GIP Haute-Marne participe à la hauteur de 7 millions d’euros soit presque 1 tiers du GIP à accordé pour un seul et même projet. De plus, les financements sont particulièrement importants dans les 15 communes de proximité (présentes dans le rayon des 10 km autour du projet) à la hauteur de plus de 1,8 millons d’euros. Certains équipements déjà en place sur le territoire hyper-local peuvent aussi paraître relativement anecdotiques, telle la salle des fêtes pouvant accueillir une centaine de personnes pour un village de 84 habitants de Bure. Les autres communes, rurales et plus éloignées de Cigeo ne bénéficient que d’une aide restrainte. Ainsi, le territoire ne peut se revitaliser sans actions plus structurantes et globales. Ce programme pourrait ensuite être soumis à un comité incluant les acteurs nationaux comme c’est déjà le cas pour le comité de pilotage du «projet de développement du territoire pour l’accompagnement de Cigeo» supervisé par le préfet coordonnateur. Cet acteur pourrait donc avoir un rôle clé pour établir le lien entre le projet de territoire à l’échelle hyper-locale et celui pensé avec plusieurs échelles locale à nationale. Le conseil local du projet de l’hyperruralité pourrait donc formuler la commande comme maîtrise d’ouvrage, en se positionnant avec et contre l’Etat. Le projet de cohérence hyper-rurale serait discuté alternativement à l’échelle locale au sein du conseil puis lors du comité multi-échelles. Cette gouvernance se calquerait donc sur la temporalité du projet Cigeo et au delà. La durée de l’exploitation étant très longue ( plus de 100 ans), il faudrait bien évidemment mettre à jour cette nouvelle structure ainsi que ses objectifs pour le projet de territoire. En effet, rien ne garantit que ce nouvel EPCI (établissement public de coopération intercommunale) local singulier sera assez pertinent et persistera dans le temps. Il me semble cependant être aujourd’hui nécessaire pour donner de la cohérence au futur territoire en essayant de réduire les tensions qui existent au sein du territoire.


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Aménagements découlant d’intérêts privés

Salle des fêtes de Bure, avec son parking de 60 places vides. Juillet 2019

Nouvelle salle de concert de 15 000 places à Bar-le-Duc, prévue pour ouvrir en 2020 alors qu’il n’y a plus de maternité depuis le 24 juin 2019

Nouveaux trottoirs à Mandres-en-Barrois, qui s’arrêtent brutalement car la route D138 est gérée par le département de la Meuse.

Chemin agricole refait à neuf jusqu’au hangar et éclairé alors qu’il n’y a aucune habitation , Juillet 2019


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Une échelle de projet Le plateau buron, comprenant les villages de Bure, Saudron, Mandresen-Barrois ainsi que le laboratoire de l’Andra ne peut fonctionner seul. Il s’agit d’un noyau enclavé mais qui entretient des relations avec les villages alentour de par les déplacements de la populations, les services,... Je suis donc sortie du noyau pour aller vers l’extérieur, entre les deux vallées rurales qui l’enveloppent. Au delà, l’on sort de la poche hyperrurale et l’on se rapproche des aggomérations (d’Ouest en Est) de Joinville, St Dizier, Ligny-en-Barrois, Vancouleurs. J’ai conscience que le territoire hyper-rural situé entre deux vallées est très vaste (environ 350 km²) et que je ne pourrai pas le traiter intégralement. De fait, je m’appuie sur 4 secteurs présentant 4 dynamiques rurales différentes afin de trouver une cohérence entre eux. En effet, comme présenté précédemment, la vie rurale n’est pas la même que l’on soit dans la vallée de la Saulx ou dans celle de l’Ornain par exemple. Chacun de ces territoires a différents atouts de développement à saisir. Puis, je zoomerai plus précisément sur 3 communes périphériques clés ainsi que sur le trio intercommunal du noyau : Bure, Saudron et Mandresen-Barrois. Je m’attarderai plus précisément sur le centre , la zone de proximité directe avec les zones d’exploitation industrielle de Cigeo. En effet, c’est dans cette zone qu’il y aura le plus d’interactions entre les

domaines agricole et industriel. De plus, c’est de ce petit plateau agricole que partent toutes les mutations sur les autres secteurs ruraux. C’est aussi pour les conditions atypiques de cet endroit précisément que j’ai décidé de venir travailler ici pour mon diplôme de fin d’étude. J’ai eu besoin de comprendre le contexte plus large du territoire qui l’entoure pour déceler ses potentiels d’aménagement et j’ai surtout appris de ce territoire qu’un aménagement unique de cet îlot enclavé n’avait que très peu de sens au vu des relations que ce dernier se doit d’entretenir avec son contexte. En effet, chacun des secteurs ruraux observés possède aujourd’hui sa spécificité sur le territoire et ce sont ces spécificités qu’il convient de développer et surtout de mettre en lien, de penser toutes ensemble pour un projet d’aménagement global. Zoomer sur 100 ans, c’est une durée très longue, je m’efforcerai donc d’échelonner les actions de ce projet en ayant bien conscience qu’il est prospectif avec des moyens d’actions si démesurés qu’il tend vers la fiction. Cette fiction ouvre les potentiels de l’action collective en évitant de focaliser sur des actions de court terme très ponctuelles et décousues, qui ne sauraient pas répondre à des enjeux sur le long terme comme maintenir un bassin de vie pour la mémoire des déchets radioactifs. Cette fiction proposerait une trajectoire, des objectifs à accomplir en un temps

donné, car lorsque le projet Cigeo sera terminé, il ne restera que les déchets sous terre et il sera difficile d’implulser des nouvelles dynamiques si des changements territoriaux n’ont pas eu lieu avant. Le rôle de cette fiction est évidemment d’apporter des solutions concrètes sur ce territoire, mais surtout de proposer à des élus, des habitants, une vision optimiste, de suggérer qu’un avenir peut être possible pour ce territoire à valoriser.

1- Le noyau agro-forestier > Fournir en bois pour le chauffage ou dédié à la tranformation localement > Expérimentation sur le terrain en relation avec le centre de formation >Loger temporairement à durablement des habitants travaillant majoritairement à Cigeo 2- La vallée nourricière et des formations >Former dans les secteurs nécessaires à Cigeo ou non : industriels, métallurgiques, BTP, agricoles, sylvicoles > Nourrir le territoire hyper-rural >Proposer des événements >Loger des habitants travaillant majoritairement dans le secteur 3- la voie ferrée habitée > Loger des habitants qui travaillent à Cigeo mais aussi à l’extérieur du territoire à Gondrecourt ou Joinville 4-La vallée des industries >Fournir de la main d’oeuvre et des matériaux pour Cigeo > Transporter les ressources produite ssur le territoire ainsi que les personnes à l’extérieur du territoire par le transport routier, ferroviaire ou fluvial


109 Interdépendances des pôles hyper-ruraux

Transport de marchandises et de personnes vers l’extérieur du territoire

2-

Formation + alimentation + événementiel Bois + expérience

Porte du territoire hyper-rural Houdelaincourt

Bois

Montierssur-Saulx Cigeo 1

Alimentation + évènementiel Formation + alimentation + événementiel

Bure Saudron 1Cigeo 2

Bois + expérience

3-

échenay, Pansey Aingoulaincourt

4Main d’oeuvre

Mandres- + ressources en-Barrois


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Restructurer le territoire par une nouvelle voie ferrée Portion à réhabiliter pour le projet Cigeo : entre Nançois et Gondrecourt Portion à créer pour le projet Cigeo : entre Gondrecourt et Saudron Portion à créer pour le transport de marchandises et de personnes : entre Saudron et Joinville N

0

2

1

Nançois-sur-Ornain

5 km

Demange

Gondrecourtle-Château

Bure

Saudron

Mandres-enBarrois

Guillaumé échenay Aingoulaincourt

Joinville

Cirfontainesen-Ornois

Horvilleen-Ornois

Lumévilleen-Ornois


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L’aménagement d’une nouvelle voie ferrée prévue pour acheminer les déchets nucléaires est une des grandes opportunités pour le territoire. En effet, pour acheminer les déchets des centres d’entreposage (la Hague principalement) jusqu’à Saudron, il est nécessaire de réhabiliter la voie ferrée qui desservait le territoire entre Nançois-sur-Ornain et Gondrecourtle-Château. De plus, une portion ferrée est à créer pour relier Gondrecourt-leChâteau et Saudron. Pour désenclaver le territoire, il me semble indispensable de tirer partie de cette voie ferrée pour le transport de marchandises mais aussi de personnes. Précédemment, le territoire de frontière meusien/hautmarnais a vu partir la majorité de ses industries identitaires et renommées. Si le territoire a l’occasion de se redévelopper, il est important de ne pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Il serait donc intéressant de prolonger la voie de chemin de fer entre Saudron et Joinville. Cela permettrait ainsi de relier plus facilement les pôles urbains de Joinville et Gondrecourt et de rattacher le territoire au réseau national. Cette liaison pourrait passer au Sud du territoire rural et desservirait des villages qui étaient jusque-là très isolés.

Verdun

Meuse Bar-le-duc

Commercy toul Nançois-surOrnain

St Dizier

Saudron

Goudrecourtle-Château

Joinville

Neufchateau

Bologne Chaumont

Vosges

Haute-Marne

Nouvelle voie inséréé au réseau ferré entre la Meuse, les Vosges et la Haute-Marne Voies ferrées existantes Voie de raccordement ITE projetée par l’Andra Voie de liaison de marchandises et passagers imaginée


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Habiter la voie ferrée Les villages isolés du Sud du territoire pourraient donc bénéficier de cette desserte qui représenterait un atout rural auquel il est extrêmement rare que les villages ruraux aient droit. On pourrait également imaginer près des villages le passage d’un taxibus adapté aux besoins des locaux. En effet, certaines petites lignes ferroviaires rurales sont jugées pas assez rentables car la dépense publique est forte . En effet, chaque année, 1,8 milliard d’euros sont dépensés pour transporter en moyenne moins de 30 voyageurs par train sur les lignes les moins utilisées. Pourtant, au-delà des chiffres, le train est un immense atout dans une campagne où la population vieillit et ne peut se déplacer en voiture. Une startup bretonne nommée EXID a donc inventé le “taxirail” dont la première mise en service est prévue pour 2023, au moment de l’ouverture à la concurrence des lignes TER. Le Taxirail est un module autonome électrique sans raccord aux lignes électrifiées et, sans chauffeur; il contient 40 places en capacité maximum. Ce taxirail pourrait s’adapter quotidiennement aux besoins des habitants sur le territoire et serait même capable de fonctionner à la demande. Par ailleurs, ce nouvel axe de transport pourrait amener de

nouveaux habitants, employés de Cigeo ou ayant une activité dans les villages de ce secteur. En effet, le projet Cigeo va amener plus de 2000 personnes sur le territoire si l’on considère les employés, leur famille ainsi que d’autres personnes pouvant proposer des services à cette nouvelle population sur place. Ces villages ont pour la plupart des tissus très lâches et désorganisés, qu’il pourrait être intéressant d’aménager. L’objectif serait de consolider le tissu des villages plutôt que de venir y juxtaposer des lotissements pavillonnaires qui viennent dénaturer les tissus bâtis des villages lorrains regroupés et villages-rues. De plus, dans ces villages, les anciens usoirs qui étaient des petites cours destinées au stockage agricole devant les corps de ferme, forment aujourd’hui de larges frontages de part et d’autre de la route. Ils pourraient faire l’objet d’une requalification et participeraient à la valorisation de ces espaces de vie. Il s’agit aussi de répartir la population sur l’ensemble du territoire plutôt que de la figer dans un endroit. La diversité des secteurs sur le territoire pourrait le rendre propice à l’accueil d’individus diversifiés qui ne viennent pas sur le territoire uniquement pour travailler à Cigeo.

Comment habiter la voie ferrée ? > Le tracé de la voie ferrée proposé tient compte du relief ainsi que de la gêne sonore que cela peut engendrer même si le taxirail a l’avantage d’être moins imposant et plus silencieux qu’un train classique. Le transport de productions agricoles pourrait également être facilité ici. > Quelques poches ont été repérées au sein des villages d’Aingoulain, Pansey et échenay. Avec l’arrivée du Taxirail, ce secteur Sud pourrait représenter un cadre de vie propice pour les employés de Cigeo ainsi que les personnes travaillant à Joinville ou Gondrecourt désirant habiter à la campagne. Le village d’Aingoulaincourt, situé sur un sommet offre également un point de vue intéressant sur le plateau. Ainsi, ces villages pourraient accueillir des habitants travaillant sur l’axe Joinville-Gondrecourt-le-Château. Des circulations douces pourraient également renforcer cet axe en proposant une autre alternative de déplacement. > Dans ces villages, quelques services pourraient éventuellement être proposés à échenay ou Pansey où l’accueil de nouveaux habitants serait plus important au vu des poches observées dans le tissu des villages. . Cependant, il me semble que de par leur nouvelle desserte jusqu’à Gondrecourt et Joinville, il n’est par pertinent de développer plus de secteurs économiques que celui agricole. poches repérées pour densifier le bâti par de l’habitat Espaces à requalifier : >Centralité du village d’Aingoulain. > périphérie proche de la voie ferrée à échenay pour faciliter le transport de denrées agricoles


113 Repérer des espaces potentiels à développer

N

0

500 m


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Point de vue du haut du village d’Aingoulaincourt


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Réouvrir le territoire par le transport fluvial Le canal de la Marne au Rhin pourrait également être très utile pour désenclaver le territoire. Il pourrait permettre une jonction privilégiée entre le territoire et l’axe Paris/ Strasbourg. C’est un atout pour permettre à des industries de s’implanter dans la vallée de l’Ornain et de redévelopper des secteurs qui ont disparu comme la métallurgie. Au vu des besoins en matériau et main d’oeuvre du Projet Cigeo, des partenariats pourraient être nécessaires. En effet, il y a actuellement dans cette vallée quelques entreprises du bâtiment, d’autres pourraient également s’y implanter. Ainsi, si certaines industries vont travailler pour le projet Cigeo pendant un certain nombre d’années, elles pourront toujours se tourner vers le canal ou la voie ferrée pour transporter leur marchandises Développer des industries dans la Vallée de l’Ornain à Houdelaincourt En profitant de la nouvelle ouverture permise par le canal ainsi que du passage de la voie ferrée, le village d’Houdelaincourt pourrait devenir un carrefour stratégique. En effet, il se situe également à l’intersection des routes départementales 960 et 966, reliant

Vaucouleurs à Joinville et Bar-leDuc à Neufchâteau. Il semblerait donc que le projet de territoire puisse impulser l’implantation d’industries diversifiées renouant avec le passé et répondant aux besoins du territoire. Le village d’Houdelaincourt a une structure de village-rue, suivant les axes routiers. Au vu de l’implantation de nouvelles industries, le logement de la population s’impose. On pourrait donc imaginer ici redonner de l’épaisseur au village de manière modérée. L’idée ne serait pas de bâtir des cités ouvrières autour des industries mais d’intégrer les nouvelles habitations au tissu existant en requalifiant les espaces publics. Les nouvelles franges bâties pourraient s’inspirer des citésjardins, en intégrant des services (épicerie, école, . . .) dans l’ensemble des logements individuels ou collectifs. Les espaces publics pourraient s'insérer à la manière des béguinages comme des îlots qui pourraient être collectifs à privés. En effet, cela permettrait au village de ne pas trop s’étendre, de s’éloigner des nuisances de la route et de reconstituer des espaces publics pour les nouveaux habitants en bénéficiant de services de première nécessité.

La vallée des industries > Profiter du canal qui relie la marne au Rhin comme axe commercial pour conforter les entreprises existantes (principalement BTP et transformation du bois) et ramener l’industrie métallurgique sur le territoire > épaissir le village-rue de Houdelaincourt en insérant du logement pour les ouvriers des industries et leur famille. extensions maîtrisées de logements, services mixtes valorisation des usoirs (frontages épais)


117 Repérer des espaces potentiels à développer

Nouvelles industries profitant du canal de la Marne au Rhin et de la voie ferrée

Houdelaincourt

N

0

500 m

1 km


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Port du canal de la Marne au Rhin longé par l’ancienne voie ferrée à Houdelaincourt


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Soutenir le territoire par un centre de formation Suite à la fermeture du collège de Montiers-sur-Saulx, le village qui était un pôle de développement important pour le territoire risque de décliner rapidement. La communauté de commune a impulsé un “Pôle d’Avenir” à Ecurey, lieu-dit se situant sur la commune. Il a vocation de réinsertion en maraîchage, accueil de résidences d’artistes, troupes de théâtre, spectacles,...C’est un atout rare et important pour le territoire; cependant, il ne peut remplacer le besoin d’un collège à Montiers-sur-Saulx pour le maintien du territoire. Or, le territoire a des financements qui permettent de maintenir cet établissement, et avec le projet Cigeo, l’arrivée d’ouvriers et de leur famille peut légitimer le besoin de réouvrir cette école. Je pense également que diversifier les formations en choisissant des domaines correspondant aux besoins locaux peut conforter l’identité du territoire. Un centre de formation à Montiers-sur-Saulx pourrait comporter plusieurs domaines spécifiques, en lien avec les besoins lors de la construction du projet Cigeo ou du territoire hyper-rural d’acueil comme la sylviculture, la tunnellerie, la fonderie, la dinanderie, la maçonnerie, l’agriculture, …. Ainsi, le pari fait ici est que c’est l’école qui maintient la vie locale. Les

formations étant en relation avec les besoins du territoire, ce dernier fournira des débouchés variés. Ceci qui n’exclut évidemment pas que des habitants venus d’ailleurs pourront travailler ici et qu’inversement il y a aura des habitants qui souhaiteront partir. L’objectif est que les flux de populations puissent se faire dans les deux sens et non pas uniquement dans le sens des départs comme on le voit aujourd’hui. Il est d’ailleurs fort à pariées que ce sont majoritairement des nouveaux habitants qui feront le territoire de demain. Adapter l’agriculture pour nourrir la nouvelle population La formation de maraîchage pourra notamment offrir un emploi dans la vallée même de la Saulx. En effet, le fond de vallée est suffisamment riche pour y cultiver des légumes et ce marché a du succès localement comme en témoigne le maraîchage d’Ecurey. Avec l’arrivée de nouveaux habitants et dans un besoin d’autonomie alimentaire du territoire, le maraîchage pourrait se développer tout le long de la vallée, comme une trame identitaire de cette vallée nourricière. Les parcelles proches de la route qui longent le fond de vallée seraient appropriés

pour accueillir du maraîchage. De plus, il serait intéressant de selectionné les parcelles qui sont les plus proches des bourgs de la vallée pour favoriser la vente directe et le déplacement piéton. Les parcelles plus éloignées des bourgs pourraient servir à alimenter les autres secteurs. La vallée nourricière et des formations > Un centre de formations variées comme impulsion de la dynamique territoriale : tunnelerie, BTP, métallurgie, agriculture,... > Développer une trame maraîchère qui profite du riche sol du fond de vallées pour nourrir la population hyperlocale des différents secteurs. > Réhabiliter le bâti > Favoriser l’arrivée de nouveaux commerces de proximité

On peut imaginer ajouter un peu d’habitat à Montierssur-Saulx au vu de l’arrivée d’habitants impulsée par le centre de formation mais il faudrait dans un premier temps réhabiliter la trentaine de maisons vacantes du village. On pourrait développer une dynamique maraîchère dans la vallée afin de pallier les besoins alimentaires du territoire après l’arrivée de nouveaux habitants. Cette trame pourrait également être ponctuée de vergers près des villages en complément du maraîchage.


121 Repérer des espaces potentiels à développer

Montiers-sur-Saulx

N

0

1 km


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Parking vide devant l’ancien collège de Montiers-sur-Saulx


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Faut-il aménager la mémoire pour les déchets radioactifs ? De manière générale, le projet de territoire que je propose a pour objectif de maintenir la mémoire du site par le vivant. Le bassin de vie ainsi créé se doit de durer le plus longtemps possible, et ce, même après la fin du projet Cigeo aux environs de 2150. Les enjeux sont donc énormes pour le projet de territoire. Dans le «noyau», dans les zones nucléaires, on peut se demander justement ce à quoi vont ressembler les zones Puits et Descenderie, à la fin de l’exploitation. L’Andra prévoit une irréversibilité du stockage en fin d’exploitation en comblant des structures souterraines et en démantelant les bâtiments de surface, l’objectif est soit de ne pas laisser de traces, soit très peu en surface. Pourtant, on aurait pu penser que ces bâtiments témoigneraient de la mémoire d’une certaine manière. Si les structures disparaissent, les 2 zones du projet Cigeo resteront sous surveillance et on peut supposer que ces zones resteront fermées à la population. Est-ce que cela signifie que la nature reprendra ses droits dans ces espaces ? Est-ce que ce seront des sortes de sanctuaires naturels, des promontoires libérés de l’humain après des années de pressions anthropiques? Cela

pourrait alors, à une toute autre échelle, s’apparenter à l’Île de Derborence dans le parc Matisse de Gilles Clément, sur laquelle pousse une forêt inaccessible de 2500 m², perchée sur un socle de sept mètres de haut. Par ailleurs, aujourd’hui quand on va à Tchernobyl, la nature a largement et rapidement repris ses droits dans la zone contaminée comme en témoigne Emmanuel Page : le dessinateur est allé sur place et ce séjour a donné naissance à une bande dessinée “ Un printemps à Tchernobyl”, paru en 2012. Il nous fait découvrir comment il a été surpris par la beauté des lieux, chose à laquelle il ne s’attendait pas, car ce n’était pas ce qu’il était venu chercher en ces lieux, il s’attendait à des paysages beaucoup plus inquiétants. Quand on pense à la durée de vie des déchets, on se rapporte à la chronobiologie des pierres pour témoigner, cependant quand on regarde les plus anciens édifices de pierres laissés par des être humains, comme c’est le cas des pierres de Stonehenge, érigées entre -2800 et -1100, on peine à comprendre. Transmettre un geste humain pour une longue durée semble possible mais lui conférer une signification me paraît peu probante.

Faut-il penser la mémoire maintenant ? D’habitude, quand on parle de mémoire, on se tourne vers le passé. Ici on parle d’avenir, et surtout, on a un objectif de durée. D’habitude, la mémoire est une notion floue : on espère garder une trace le plus longtemps possible mais on n’a pas d’enjeu plus fort que celui de garder une mémoire pour elle-même, pour l’histoire. Ici c’est une durée relativement fixée qui conduirait à un risque. Beaucoup de moyens ont été imaginés pour transmettre la mémoire mais avec beaucoup d'incertitude. De plus, on n’est pas sûr que la manière de transmettre la mémoire ne va pas évoluer en 100 ans. Y songer maintenant conduirait donc à des solutions anecdotiques. Tout ce que je pense, c’est qu’il ne faut pas que ce lieu devienne un désert car le territoire sera plus facilement prédisposé à être oublié que s’il est habité. Ainsi, à Onkalo en Finlande, on veut oublier les déchets, donc on choisit de déserter la zone. En France, on veut garder une trace donc il faudrait sûrement rester et accomplir une multitude de démarches pour activer le souvenir. Il faut sûrement que la mémoire prenne une échelle nationale dans ce cas, que cet enfouissement rentre dans la grande histoire nationale, voire plus, pour une mémoire


125

plus forte. En effet, plusieurs pays semblent s’orienter dans la même direction en prenant la France en exemple, il pourrait donc y avoir des relations fortes entre les différents sites de stockages où l’on veut garder la même mémoire avec des échanges, des retours d’expériences sur la vie à côté d’un centre d’enfouissement. Ainsi, le projet de cohérence inter-rurale et sa

mémoire prendrait non seulement une dimension nationale, mais aussi internationale. De la même manière que les habitants, qui sont restés à Tchernobyl, ont été mis en contact avec ceux de Fukushima et leur ont donné des conseils, forts de leur expérience. Je garde donc en tête les questions liées à la mémoire mais je n’y participerai qu’en proposant un projet de revitalisation spécifique

Extrait de «Un printemps à Tchernobyl», Emmanuel Lepage, Futuropolis, 2012

à ce territoire d’inter-ruralités autour du projet Cigeo. En effet, cela dépasse mes compétences de paysagiste et mes propositions pourraient devenir anecdotiques, car on ne transmettra sûrement pas la mémoire des déchets dans plus de 100 ans telle que l’on l’imagine aujourd’hui.


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Renouveler les pratiques agricoles Le plateau buron est actuellement essentiellement cultivé par des cultures céréalières intensives. Ici, l’idée n’est pas de changer radicalement la manière de cultiver, ou de reproduire ce qu’il y avait avant, soit une agriculture non mécanisée, plus diversifiée, mais de l’adapter aux conditions actuelles et à venir en prenant en considération le changement climatique. En effet, le plateau est depuis longtemps dépourvu d’eau mais le climat et les précipitations étaient plus régulées sur le territoire. Cependant, le dérèglement du climat tend à une augmentation des épisodes de sécheresse, des hivers moins rigoureux et des pluies moins réparties tout au long de l’année. L’été 2019 n’a pas permis aux agriculteurs céréaliers d’obtenir de bonnes récoltes de maïs, cette céréale va donc progressivement disparaître des rotations culturelles. Néanmoins, d’autres céréales, tels que le blé, orge, colza. . . ne pourront pas non plus surmonter durablement les hausses de températures (jusqu’à 4°C) prévues pour la fin du siècle. Il faudra donc trouver sur le territoire des moyens ingénieux pour que les cultures s’adaptent au climat. En effet, on observe aujourd’hui que des espèces comme les lichens propres au climat méditerranéen

apparaissent en région Grand Est. Or, les lichens sont des bons indicateurs du fait de la précision avec laquelle ils intègrent les facteurs écologiques spécifiques. Je pense qu’il faut donc se montrer résilient et observer les pratiques dans des zones chaudes où la ressource eau se fait rare. Dans le Sahara, en Tunisie par exemple, le problème de la ressource en eau et de la chaleur pour les cultures est ancien et s’est traduit par une sélection naturelle des variétés. En effet, on pourra peut-être trouver sur le territoire buron des espèces endémiques du Moyen-Orient comme le blé des Oasis, la luzerne de Gabès qui sont parfaitement adaptés à la sécheresse. Il pourrait également être intéressant d’expérimenter la culture d’espèces exotiques sur une partie des terres du plateau afin d’observer leur adaptation ou non au climat. Ce laboratoire pourrait permettre aux agriculteurs locaux de ne pas prendre de risque sur l’ensemble de leur culture et de mutualiser leurs connaissances pour une transition des espèces à cultiver sur le plateau. Pour amoindrir les conséquences du changement climatique, dont les épisodes de sécheresse, il convient également d’intervenir en amont en stockant mieux le

carbone présent dans le sol. Là encore, le plateau pourrait être un lieu privilégié pour expérimenter les pratiques agricoles favorables et une meilleure sélection des cultures pourrait être opérée. Ces cultures pourraient être valorisées, transformées sur le territoire avant d’être envoyées à l’extérieur du territoire. Le PETR du Pays Barrois (pôle d’équilibre territoriale) impulsé par le département de la Meuse a pour objectif de neutraliser le carbone. Il pourrait travailler avec le conseil local créé et ensemble contribuer à ce basculement des cultures céréalières actuelles vers des cultures plus résilientes et veiller à leur insertion dans les réseaux du territoire. prairies en frange des villages Secteur potentiel d’agroforesterie autour des nouvelles cultures ainsi que dans les parcelles pâturées


127 Repérer des espaces potentiels à développer

Matériaux de construction issus du déblais

Vers l’extérieur

0

1

2 km

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Vers de nouveaux paysages agroforestiers A l’échelle du plateau, il pourrait être judicieux de développer de l’agroforesterie. En effet, le conflit du territoire qui lie agriculteurs, chasseurs, ONF et pêcheurs a une origine socio-écologique. Ainsi, une symbiose pourrait être trouvée par le biais de la nouvelle pratique agricole d’agroforesterie. Pour commencer, elle leur permettrait de stocker le carbone du sol, de réguler la température mais également de stocker l’eau dans le sol et de veiller à sa bonne fertilité. Elle servirait également de refuge à une biodiversité plus large sur le territoire. La réintroduction d’insectes dans les cultures réduirait les besoins d’intrants qui représentent un coût pour les agriculteurs, et les arbres réduiraient également leur dispersion jusqu’aux cours d’eau. La qualité de l’eau en serait donc meilleure et la reproduction des poissons moins affectée. Les pêcheurs y trouveraient donc une ressource en poissons plus abondante. De plus, les petits gibiers qui avaient disparu en raison de la supression des haies qui leur servaient d’habitat pourraient réapparaître et permettre aux chasseurs de rediversifier leur chasse. La prolifération de sangliers qui était à la base du conflit entre agriculteurs

et chasseurs pourrait donc être régulée. De plus, l’agroforesterie fournirait aux agriculteurs une nouvelle ressource économique comme le bois pour le chauffage pour le territoire environnant, ou pour la transformation dans les industries de la vallée de l’Ornain. En terme de paysage, les habitants nostalgiques des haies et de la présence des arbres sur le plateau, retrouveraient leur présence dans leur paysage. Ainsi, l’agroforesterie pourrait être un bon compromis pour réduire les conflits, s’adapter aux conditions climatiques et les améliorer, enrichir la qualité de leur sol, être une ressource économique utile pour les agriculteurs ainsi que pour le territoire environnant et enfin elle pourrait représenter une plus-value pour les paysages environnants. Le projet de cohérence inter-rurale pourrait donc aider à l’impulsion de ce changement de pratique important par des leviers de planifications et financiers.

Quelle place pour les villages ? Dans ce centre du territoire, il faut également penser la place des villages et ne pas les laisser se faire engloutir par le projet Cigeo ni par l’importante agroforesterie. Des poches vides de prairies communales pourraient servir d’espaces tampons, de respiration entre les habitations et les cultures, elles pourraient également avoir divers rôles, comme d’accueils d'événements, ou d’installations de population plus ou moins temporaires selon les étapes d’avancement du projet Cigeo, ou encore de pâturage, … Elles représenteraient des espaces polyvalents accessibles et à réinventer par les habitants et pouvant favoriser le lien social. Il s’agit donc de er ces villages d’une nouvelle manière en privilégiant la réappropriation des espaces publics par les habitants. Les villages pourraient également accueillir des habitants plus permanents. Ici comme dans les autres secteurs, la réhabilitation des maisons est primordiale pour que des habitants viennent s’y installer. A Bure, le tissu bâti n’est pas très ample pour accueillir de nouvelles habitations mais à Mandres et Saudron , cela pourrait être envisageable.


129 Régulation des sangliers

Comment l’agroforesterie pourrait améliorer les relations sur le plateau ?

Refuge pour la biodiversité dont les insectes pollinisateurs et petits gibiers Régulation de la température Brise vent Ressource bois Stockage du carbone restitution de matière organique

épuration des polluants Qualité des cours d’eau et de la ressource en poisssons

Lutte contre l’érosion du sol Rétention en eau Activité biologique du sol Assimilation des minéraux de la couche profonde du sol


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Comment l’agroforesterie peut-elle apporter une plus-value paysagère sur le plateau ?


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Annexes > 5 cartes postales mettant en récit l’histoire et la trajectoire proposée pour le plateau buron > 1 carte des enjeux à l’échelle du projet de cohésion inter-rurale


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Conclusion Pendant toute cette première période de diagnostic, il a été nécessaire de manipuler les informations recueillies avec beaucoup de précautions, en les confrontant de part et d’autre du conflit pro et anti pour mieux démêler les noeuds et entrevoir les tabous. Initialement, je pensais que ce travail prendrait une forme presque journalistique dans la manière de prospecter sur le terrain. Cependant, dans ce contexte sous tensions, les journalistes ne sont pas toujours bien perçus et inversement, le paysagiste intrigue. Qui est-il ? Quel est son rôle ? Est-il anti ou pro? Ce statut inhabituel a été le plus souvent un atout pour moi pour installer un climat de confiance. J’ai donc profité de mes outils de terrain de paysagiste, marcheur, flâneur et curieux. Le dessin de terrain, la prise photographique m’ont par exemple permis des rencontres spontanées enrichissantes. Cette pratique a été essentielle pour recueillir des visions authentiques et m’ont aidé à me détacher des influences médiatiques. J’ai également compris où se trouvait ma place de paysagiste dans ce conflit majeur : être un acteur détaché du conflit avec une vision transversale et projeter un avenir là où beaucoup pensent qu’il n’y en a plus. Le conflit à Bure découle d’une longue histoire du nucléaire

français qui a commencé à faire débat dès sa démocratisation de par la production de déchets radioactifs sans issue et dangereux pour l’homme et l’environnement. Initialement, le projet Cigeo n’était pas spécifiquement prévu à Bure. Ce choix a été fait pour deux raisons, une géologique et l’autre sociale. Une couche épaisse de callovo-oxfordien a été retenue par l’Andra pour son étanchéité qui est par ailleurs critiquée par d’autres scientifiques (Thuillier etc…). La lutte contre le projet Cigeo demeure à Bure malgré son isolement géographique des agglomérations et la tendance au déclin du territoire transfrontalier entre Meuse et Haute-Marne. Des militants trouvent leur place à l’échelle du territoire français et ses frontières étrangères, mais aussi très localement où la lutte prend plusieurs formes de la plus bruyante à la plus silencieuse. Dans la zone de proximité, il faudra cependant parler “des conflits” plutôt que d’un conflit. En effet, au delà du choix de gestion des déchets qui reste une décision politique de 1982, l’implantation du laboratoire de l’Andra et la préparation des travaux n’est pas aisée et complexifie les relations hyperlocales. Le projet génère de nouveaux conflits qui se superposent sur ceux déjà existants. Il me semble donc nécessaire de

penser cette complexité dans sa globalité à l’échelle d’un projet de territoire transversale et multidisciplinaire afin de confronter les divers enjeux du territoire. Il faut penser ce projet de territoire comme bien plus qu’une compensation financière pour faire accepter le projet Cigeo. Outre le fait d’être un outil de discussion, de diplomatie en rééquilibrant les forces multiéchelles du territoire, le projet de territoire est indispensable au désenclavement du territoire qui pourrait lui même avoir un rôle clé dans le maintien de la mémoire du territoire. En effet, le territoire sans l’énergie de l’Andra est voué à une désertification sur le long terme. La mémoire des déchets radioactifs sur un territoire déserté est d’autant plus difficile à maintenir. Ce projet titanesque permet un projet de revitalisation de territoire avec des leviers temporels, économiques, humains extraordinaires. La complexité de ce site de TFE aurait pu me sembler limitante pour le projet de paysage mais c’est au contraire un champ ouvert de possibilités que j’entrevois avec autant d’étonnement que d'excitation pour la suite. Ce mémoire m’a permis de dépasser le constat du conflit et d’y rêver un avenir. D’y écrire le scénario d’une fiction, celle d’un territoire alangui bousculé.


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A Moustache. Je tiens à remercier tout particulièrement mes encadrants Lolita et Fred pour leur écoute, leurs riches conseils, ainsi que leurs encouragements qui m’ont été très précieux. Un grand merci à ma famille, leur soutien est toujours sans failles. Merci pour la résidence d’écriture ! Merci Victor, pour tes sourires et la rêverie. Je dois également beaucoup à ma super collocataire Marie, pour son énergie, et sa bonne humeur quotidienne. à tous les copains pour ces cinq années passées ensemble en riant, en travaillant aussi. Un merci à Valentin et Marine, à Arnaud et Marion pour leur accueil chaleureux sur mon site d’étude. Enfin, je remercie toutes les personnes, qui m’ont aidée à réaliser ce travail de fin d’étude, pour leur disponibilité et leur regard.


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Bibliographie «Résister aux grands projets inutiles et imposés», de Notre-Dame-des-Landes à Bure», collectif Des plumes dans le goudron, édition textuel, 2018 «Le petit livre noir des grans projets inutiles», Camille, édition le passager clandestin, 2015 01- Approcher un territoire sous tension ENi. P. Orlandi «Métaphores de la lettre : écriture, graphisme» Astérion, 29 Juillet 2011 «Notre colère n’est pas réversible.» Collectif Burestop, 2014 «Présentation du projet de Mol en Belgique», Bertrand Thuillier, festival les Burelesques, Août 2019 «Risques liés à l’exploitation et à l’infrastructure», Bertrand Thuillier, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 «Le haut du Callovo-Oxfordien n’est pas de l’argilite mais du calcaire marneux : conséquences scienfiques et politiques», Antoine Godinot, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 «La ressource géotermique à Bure ou l’histoire d’une sicence dévoyée», Ambroselli, Franchisse, Virrion, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 «Déchets nucléaires, la question de l’acceptabilité sociétale», Corinne François, L’opposition citoyenne au projet Cigeo, 2017 «Daniel Ruhland remonté contre l’Andra», entretiens, L’Est républicain, 7 octobre 2017 «rapport du débat pulic sur la gestion des déchets radioactifs», CNDP, octobre 2013 Burestop.free.fr 02- Comprendre la gestion des déchets nucléaires laradioactivite.com https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/parc-nucleairemondial-production-d-electricite https://reporterre.net/Dans-le-Centre-EDF-cherche-mysterieusement-a-acheterdes-terrains «Panorama international des recherches sur les alternatives au stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue» Rapport IRSN, 2019 https://www.forumnucleaire.be/theme/dechets-nucleaires/gestion-desd%C3%A9chets-radioactifs-dans-le-monde «La gestion des matières et déchets radioactifs» députés Christophe Bouillon et Julien Aubert ,rapport d’information déposé et enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2013


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«Études épidémiologiques autour de centrales nucléaires européennes» Marc Saint Aroman, 2012 https://www.andra.fr/sites/default/files/2018-01/585.pdf 03- Constater la déprise d’un territoire agricole enclavé Système d’information pour la gestion des eaux souterraines en Seine-Normandie http://sigessn.brgm.fr/spip.php?article255 «Le Tour de France d’un géologue», François Michel, éditions Delachaux Et Niestlé, 2008 http://www.vinsvignesvignerons.com/Geologie/Geologie-de-la-France/Histoiregeologique-du-Bassin-parisien «Evaluation de la faisabilité du stockage géologique en formation argileuse», Andra, Dossier 2005 Argile «Penser les marges en France : l’exemple des territoires de « l’hyper-ruralité », Samuel Depraz, 2017 «Le patrimoine des communes de la Meuse», Collectif, , Tome 2 , éditions Flohic, 1999 «chiffres agricoles», Mutuelle Sociale Agricole (MSA), Agreste, Ministère de l’agriculture, 2010 «Bure, la bataille du Nucléaire», Gaspard D’allens et Andrea Fuori, édition Seuil, 2017 «Le département de la Meuse : industrialisation entre 1790 et 1914» Antoine Naegel, Université de Nantes, 2006 «Vivre en Meuse autrefois», Jean-Paul Streiff, édition Horvath, 1989 «Diagnostic territorial du SCoT nord Haut-Marnais : un territoire fragile en quête d’équilibre», Nadia Belhakem et Marine Emorine, 2017 04- Construire la rencontre entre l’histoire locale et l’histoire du nucléaire « L’architecture et le nucleaire», Claude Parent, éditions du Moniteur, 1978 «L’énergie de la contestation : formes de désaccord et arènes du conflit sur le nucléaire en Lorraine», Vincent Carlino, 2018. «Crise de la culture» Hannah Arendt, 1961 «Into eternity», Michael Madsen, 2010 05- Connecter hier, aujourd’hui, demain et après demain «To-morrow : A peaceful path to real reform», Ebenezer Howard, 1898 «Un printemps à Tchernobyl», Emmanuel Lepage, Futuropolis, 2012


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