Raconter le plateau de Bure entre 1910 et 2150
10 Juillet 1910
CARTE POSTALE
Quotidien burien Chère Léontine, 1905 Comment vas-tu ? Je suis en vacances depuis maintenant une semaine et j’aide mon père aux champs. Parfois, je dois ramasser les récoltes au potager, parfois je dois guider les chevaux pour le labour. L’autre jour, j’ai essayé de faire le fouin mais c’est très difficile et ça envoie de la poussière. Il faut faire du bois aussi mais mon père ne veut pas que je touche aux haies, il dit qu’il faut le faire bien. Ce que je préfère c’est amener les taurions à la fontaine, j’en profite pour me mouiller. Je vais aussi au lavoir avec ma mère. J’avais un peu peur d’y aller au début parce qu’elle en revient toujours les mains violettes de froid ! Mais là c’est l’été, alors ce n’est pas embêtant. Je n’aime pas l’hiver, déjà parce que tu n’es pas là et puis toute cette boue partout, ça colle, j’en ai plein les bottes ! Plus tard, j’aimerais ouvrir un nouveau café au village comme chez la Léa. Dans 4 jours, c’est le 14 juillet, il va y avoir une journée de fête à Bure. Mais je crois que tu n’arrives qu’en août à ce que ta grand-mère m’a dit. Mon père m’a promis qu’à la fin des récoltes d’août, je pourrais te voir ! Je t’embrasse, à bientôt ! Louise
Léontine Lacroix 12, rue des Mûres 55130 Gondrecourt-le-Château
Lundi 7 novembre 1962 Chère Françoise,
CARTE POSTALE Souvenirs de Bure après le remembrement 1962
J’espère que tu te portes bien, il y a longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles. Je t’écris par cette matinée de novembre déjà fraiche et ventée. Je suis rentré il y a deux jours. Après trois années d’absence, service militaire oblige, je reconnais à peine le village. Les arbres, les haies, tout a presque disparu sur le plateau. Cela ne gênait pas pourtant. Il parait que la redistribution des parcelles a généré quelques disputes car tout le monde n’avait pas enlevé les cailloux du sol ! Avant mon départ, mon père a dû se séparer des deux derniers chevaux, la larme à l’oeil mais chaque dimanche, il faisait une démonstration de sa moissonneuse-batteuse. Il n’en était pas peu fier, tout le monde venait voir ! Hier, après la messe, je suis allé prendre un petit canon avec Georges chez la Louise. Il est épicier ambulant maintenant, il passe au village tous les mardis. Il parait qu’on va avoir l’adduction en eau bientôt, plus besoin d’aller au puits ou à la fontaine d’en bas avec les bêtes. Au plaisir de te voir bientôt, Amitiés, Marcel
Françoise Petit 3, rue de la Forge 55140 Vaucouleurs
Chère Fiona,
Le 5 décembre 2019
CARTE POSTALE Arrivée du Laboratoire de l’Andra à Bure 2015
Pour répondre à ta dernière lettre, j’ai suivi le dernier débat public sur le projet Cigeo moi aussi. Ce qu’il en ressort est à peu près mon sentiment sur la gouvernance de l’Andra. Pour l’instant, il n’y a qu’un laboratoire, mais elle rachète tout le foncier agricole, elle s’immisce partout. Les gens n’ont pas confiance et veulent décider de ce qui se passe. Le financement des communes est là, certes, mais l’argent n’est pas toujours utilisé comme il le devrait. C’est vrai, la route, il fallait la refaire, on trainait les pieds dans la boue depuis trop longtemps. Mais au lieu de s’appliquer à bitumer des troittoirs, on aurait d’abord dû rénover les maisons et faire venir les gens. Notre campagne, elle est belle, elle nous offre un cadre de vie privilégié et on ne la valorise pas. Les contrôles d’identité permanents, c’est pesant, ça ne donne pas envie de vivre ici. Quand je pense qu’au temps de la Louise, tout le monde se connaissait dans le village, la place n’était pas bitumée, on pouvait s’y rassembler. Cette vie de campagne qu’on vit, elle est devenue étrange et difficile. Moi ça va, je ne travaille plus, mais pour les agriculteurs ce n’est pas simple. La canicule de cet été ne leur a pas facilité la tâche. Ils ne peuvent pas arroser sur le plateau, y a pas d’eau ! Mon ami Jean me disait encore hier qu’il s’inquiétait pour sa fille Sarah qui veut reprendre la ferme. Je ne sais pas quel va être l’avenir du territoire, ce qu’il y a de sûr, c’est que ça va changer! Nous, les habitants, on ne sait pas quoi en penser,
beaucoup sont pessimistes. On verra dans 3 ans si le projet de l’Andra est validé ou pas. ça déterminera pas mal de choses. Si le projet voit le jour, j’espère qu’on aura plus de services à proximité. Même le passage d’un simple épicier ambulant comme je faisais, ça soulagerait les personnes âgées du village. Voilà mon ressenti, Fiona ! Je te fais des bises à toi et ta famille. Georges Fiona Farge 15, rue de la Liberté 54000 Nancy
15 septembre 2040
CARTE POSTALE
Chère Emma, Bure pendant l’exploitation 2035 Je te remercie pour m’avoir envoyé une carte pour mes quarante-cinq ans, cela m’a fait très plaisir de te lire après du monde est arrivé, ça a fait du bien aux anciens de toutes ces années. Ici, les choses ont beaucoup changé. Les côtoyer des jeunes et à moi aussi. Je me suis fait de nouveaux travaux de Cigeo ont commencé il y a maintenant plus de amis. Quelques-uns sont partis quand les galeries ont été 15 ans. On ne peut pas louper les bâtiments nucléaires de loin, ça, c’est sûr ! Mais suite aux mouvements contestataires, creusées, d’autres sont restés et se sont réorientés dans la fonderie d’art ou l’agriculture. La nouvelle voie ferrée entre l’Andra a décidé de changer de gouvernance et un vrai projet de territoire coopératif est né. Beaucoup de compromis Joinville et Goudrecourt a beaucoup aidé le territoire à se développer aussi. Bon, après, on est pas dupe, on sait qu’ils ont su être trouvés. Nous, les agriculteurs, on a été bien font tout ça pour que le territoire ne soit pas oublié et aidé pour surmonter le réchauffement climatique, plein de surtout qu’on n’oublie pas que des déchets dangereux sont nouvelles formations ont ouvert dans le coin, et les pratiques enfouis ici. Au plaisir d’avoir de tes nouvelles ! agricoles ont complètement changé. On cultive des céréales qui poussaient en Tunisie au début du siècle, tu imagines?! Heureusement, on a pu développer tout ça aussi rapidement, il y a des endroits très en crise en France où les agriculteurs n’ont pas réagi assez vite et n’ont pas été aidés. La vie a beaucoup changé ici, quand j’étais jeune, j’hésitais vraiment à partir mais mon père ne voulait pas que je reste. Il disait qu’il n’y avait pas d’avenir ici. Ma grand-mère qui rêvait tant de voir revenir les arbres et haies sur le territoire depuis le remembrement, elle aurait été contente ! Ces dernières années,
Sarah
Emma Ferret 8, place des Albizias 63100 Clermont-Ferrand
Le 30 Mai 2150, Chère Marie,
CARTE POSTALE Quotidien burien 2150
J’espère que tu vas bien. Moi je vais bien, je continue d’enseigner au centre de formation de Montiers sur Saulx. Le secteur métallurgique continue de se développer même si les besoins locaux sont moindres avec la fermeture du site de Cigeo. Du côté de Houdelaincourt, le canal de la Marne au Rhin nous permet de valoriser nos savoir-faire locaux grâce à un accès au marché national. C’est un atout car mes élèves peuvent trouver du travail facilement. De son côté, mon compagnon continue de vendre ses produits au marché de Montiers sur Saulx. Depuis cette année, il donne également des cours de maraîchage au centre de formation. Quant à mes enfants, tous deux semblent vouloir s’orienter dans la filière bois, l’un dans la gestion forestière des deux anciennes zones d’exploitation de Cigeo tandis que l’autre s’intéresse à la transformation du bois et à postuler du côté de Gondrecourtle-Château. J’espère que tout va bien pour toi et les tiens. A bientôt, Delphine
Marie Bourdy 4, rue de la promenade 31000 Toulouse
Loriane Lucas Annexes du mémoire de fin d’étude février 2020