Lou Artémis !
magazine androgyne
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NUMÉRO#1
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CUL
toisons
p a r o le s
rir
c jouer i l c é d
silhouettes
humour
SON
!
aventure !
BEAU
Sueurs
se
surd
chambre noire
échos
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PUTE baiser(s) Jouer ab
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I manger O F E S I A MAUV
sorts
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balles & boules
pages
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amour
lies
vagues
JEUNEUSSE
es
Amuse-bouche
DUNE
JOUISSANCE
humeurs
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tét C h Œ u r on s
nerd
s r u e t c e j pro
Fourru re
Couture
pets & paillettes
NECTAR !
SPOTS
TEXTILE
Art
encre
!
Horreur
Esqu Pilules TOILE(S) Plumes isses androgyne
GRAND ÉCRAN
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Bienvenue. Nous sommes deux jeunes gens. Lou et Artémis. Et nous voilà au pied du mur. Curieux, intéressés, ouverts à toute expérience, nous ne savons pas quelle part de notre personnalité mettre en avant. Masculinité ou féminité. Nous avons conscience de vivre dans un monde étrange, parfois agaçant, toujours plein de contradictions. Nous avons besoin de parler de nos vies, de notre société, de notre monde. Nous sommes passionnés de culture. Elle nous permet de rêver, de sortir de nous-mêmes, de nous élever. Qui dit culture dit exposition. C’est pourquoi nous tenterons de rendre compte de cet art, de ces sons, de ces images, de ces pensées, de ces évasions. Ils nous épuisent avec leur bon goût. Ne pensez pas voir ici une culture globale, consensuelle. Le détournement d’une œuvre, la mise en perspective est nécessaire à la bonne compréhension des artistes. Oui, nous certifions qu’il n’existe pas une seule culture. Tous les avis doivent être disponibles.
Édito Nous sommes deux jeunes, avides du futur, nostalgiques de ce passé qui nous fuit, mais fermement passionnés par notre présent. Ce temps met en scène des styles, des modes, des sports pour lesquels nous nous passionnons, des jeux qui nous rendent notre enfance, des voyages qui écarquillent nos pupilles. Et le plaisir bien sûr. Épicuriens, nous aimons la bonne bouffe comme nous apprécions la bonne chaire. Le sexe est entré dans nos vies, dans vos vies, et n’est pas près d’en sortir. Tout du moins on l’espère. Pour finir, il ne faut pas se le cacher, nous sommes un peu tarés. Nous vivons dans l’absurde. Nous mangeons décalé. Nous buvons burlesque. Nous dormons loufoque. Et le rire nourrit notre existence. Voilà. Nous avions besoin, à cet instant précis de nos vies, de rendre compte à qui voudra bien nous lire, de notre monde. De notre univers androgyne. Lou & Artémis
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SOMMAIRE!
DUO Lou & Artémis
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MALCHANCES Touchée mais pas coulée
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Les mésaventures poisseuses de héros ordinaires. Marie Dolorès,
VERSUS Cerf vs. Gorille
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10! 13!
Le fight de l’absurde. Préparez vos zygomatiques !
IL FAIT LA COUV’ Ren Hang
DOSSIER!
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Censuré en Chine, exposé à l’international, les clichés du jeune photographe nous font entrer dans l’intimité de la capitale, Beijing, où il réside et travaille.
PORTRAIT Boris Johnson
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Bienvenue à
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Le portrait du maire de Londres. Burlesque et classe !
Sciences Popo
POURQUOI ? 51 Michel Drucker veut-il mourir sur scène ? ..................................................................................................................................................................................................................................................
ÉTYMOLOGIE L’origine des mots
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Deux spécialistes réputés proposent une fine analyse de deux expressions. « Pédé comme un phoque » « Avoir les portugaises ensablées »
VIDEOGAMES 67 Le jeu-vidéo peut-il devenir le 10ème art ? ...................................................................................................................................................................................................................................................
« Les écoles de prestiges », « Les écoles qui réussissent en France »... Les charmants hebdos français fournissent chaque année leurs tout aussi charmants avis - lol - sur les grandes écoles françaises, au premier rang desquelles trône Sciences Po. Alors pas de listings insensés, pas de points de vue puérils. Le fameux Crit’, le financement inexistant des neuf Sciences pos, Richard Descoings et la férocité des Ultras fournissent à eux seuls une photographie froide et actuelle de cette si souvent appelée – à tort ? - « formation d’élites ».
Les ressources du secteur vidéo-ludique sont infinies et croisent de plus en plus les différents champs artistiques.
PORTFOLIO! Léo Bigiaoui!
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41!
27!
! Instantanés
Lou & Artémis! Paris, France Septembre 2011
Lou et Artémis et leurs instants photographiques. À découvrir au tournant d’une page. Londres Marseille Moscou Paris Palerme Hong Kong Bruxelles
le porno intello
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MANUSCRIT Reviens nous
On ne comprend plus la maison Yves SaintLaurent. Yves, éclaire-nous.
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52!
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PAR LES TEMPS QUI COURENT Enter the ZEF side
Die Antwoord. Cela fait maintenant environ trois ans que ce groupe d’Afrikaners fait danser et propage sa techno de « mauvais goût » des US jusqu’en Europe.
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Le porno et la littérature n’ont jamais fait bon ménage. Grâce à son
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Ces mélodies, pourtant source historique de la musique électronique, ne sont plus écoutées. Mais sans le savoir, on les retrouve dans tout ce qui nous entoure.
© Lou & Artémis – Fanny Anseaume
Katsuni!
MÉLODIE Vous avez dit « musique classique » ?
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CHRONIQUE J’ai faim !
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SUEUR Les Lisbon Lions
De la coupe « aux grandes oreilles », De la quête du Graal, Et de la classe
blog et sa finesse, Katsuni marie habilement porno, sexe et poésie.
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UCHRONIE
L’Histoire telle qu’elle aurait pu être. Bienvenue dans le « non-temps »
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ŒIL AU LOIN Date ou crève
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Une culture. Un œil vif et neuf. La Corée du Sud.
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Les logos, nos nouveaux héros! Le placement de produit au cinéma semble être la cible d’un intérêt renouvelé. Let us see !
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Lou. « J’aime bien mai si tu lis sa a ta classe avec malefoï tu va voire »
Petite. Extrêmement fine. L’allure aérienne de son corps frêle mise en valeur par une peau transparente et une coupe garçonne inspirée de Louise Brooks. Un carré châtain dont la frange tombe sur des yeux rieurs d’un bleu gris sombre. Un sourire enfantin mais franc. Pas une fossette pour trancher avec l’image de séductrice qu’elle cherche parfois à donner. Lou aime les chaussures trop grandes de sa mère, les vêtements qu’elle ne peut pas enfiler de sa sœur et se faire prendre en photo. Pour cause, Lou a 8 ans. Ses goûts de petite fille, pervertis par sa condition de cadette d’une famille recomposée de bobos parisiens, la font paraître plus âgée. Combien de fois Lou n’a-t-elle pas entendue qu’elle était petite pour son âge ? Mais enfin, ce n’est qu’une enfant. Le goût des expositions, les images des magazines féminins, l’humour piquant et auto dérisoire qu’elle s’approprie naturellement et l’amour inconditionnel qu’elle porte à son frère ne peuvent pas remplacer ses passions enfantines. Vernis pailletés, tubes de Cœur de Pirate chantonné dès qu’elle croit être seule et collections de Barbies peuplent sa chambre rose et blanche.
Lou n’aime pas les méchants des dessins animés mais est amoureuse de Drago Malefoy. Elle déteste lorsque sa sœur lui fait remarquer qu’elle ne pourra jamais avoir son dressing, car elle ne grandira pas, mais répond par mille surnoms et noms d’oiseaux qui la font rire aux éclats. Lou connaît Jean Michel Basquiat et aime les macarons chocolat de Ladurée. Elle pense pourtant encore pouvoir régler l’addition au restaurant grâce à son porte-monnaie Hello Kitty rempli de cents ou avoir un chaton à Noël. Ses amies s’appellent Rose, Lola et Maïwenn. Son frère Virgile. Qu’est ce qu’elle pense de son prénom ? Il est trop court. Lou ? Mais c’est un animal ! Encore reconnaît-elle l’absence du « p », suffixe insonore qui masculinise ce prénom donné 1934 fois en 2003. Elle n’est pas dérangée par le fait que des garçons puissent s’appeler comme elle. Réelle insouciance ou tentative de faire l’intéressante alors que je lui pose la question ? Elle aurait préféré un prénom plus long c’est sur, mais au moins elle n’a pas de diminutif « débile » me lance-t-elle avec défi. Lou, prénom désormais classique, raz-de-marée caractéristique des années 2000, inspiré par les étrangetés données comme patronymes par le star system à ses enfants, piédestal des variantes « débiles » Leelou, Loulou et autres. Mais Lou s’en moque, elle n’a que 8 ans. M. P.
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Artémis.
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« Que toutes les montagnes soient les miennes ! »
Protectrice des Amazones, Artémis est comme qui dirait une femme forte. Si elle arrive souvent à ses fins, c’est rarement en charmant ses ennemis à l’aide d’une lyre, comme le fait si bien son jumeau Apollon. Rancunière, les hommes font souvent appel à elle pour accomplir une vengeance. Et gare à qui osera provoquer sa Némésis. L’orgueilleuse Niobé, fille de Tantale, affirme à qui veut l’entendre que sa fécondité est prodigieuse et se moque ouvertement de Léto, mère de seulement deux enfants. Oui, de seulement deux enfants, mais du dieu du soleil, et de sa sœur jumelle, déesse... de la lune. Indignés d’une telle présomption, Apollon et Artémis, archers hors pair, s’acharnent sur les douze enfants, vidant leurs carquois. Une fille échappe au massacre, et, selon la légende, sa frayeur fut telle qu’elle conserva toute sa vie un teint d’une pâleur mortelle. Entendant les cris de ses enfants agonisants, Niobé sort de son palais, reste interdite, comme pétrifiée face à l’horrible spectacle des corps de ses enfants étendus et râlants. Morale de l’histoire : « Don’t mess with Artemis ! » Surnommée la « Coureuse des forêts », sauvageonne insoumise et fière, elle est seule parmi les dieux, à l'exception de Dionysos, à être constamment entourée d'une troupe d'animaux sauvages. Elle est à la tête d'une troupe de nymphes – les jolies jeunes déesses aux sexappeals assez puissants pour ameuter tous les satyres à une centaine de kilomètres à la ronde. Appelée aussi la « Bruyante », elle mène sa meute et les pousse de la voix. Artémis est à la fois compagne des animaux sauvages et chasseresse. La biche symbolise bien son ambivalence : la bête
est sa compagne favorite, et de nombreuses représentations la montrent à son côté. Néanmoins, Artémis est aussi celle qui est réputée pour posséder la plus grande collection de têtes de cerf empaillées de toute la Grèce antique. Orgueilleuse et fière – elle est la fille de Zeus, elle peut se le permettre – Artémis se clame maîtresse du monde sauvage, des montagnes et de la forêt : « Que toutes les montagnes soient les miennes ». Tout comme ses consœurs Athéna et Hestia, elle est une déesse « vierge ». Plutarque explique qu’Artémis est parthenos, celle qui s’abstient de tout commerce sexuel avec des hommes. Si Athéna préfère emmener ses adorateurs à la guerre, la déesse de la lune, elle, punit sévèrement les hommes qui tentent de la séduire. Et gare au retour de bâton : élevé par le centaure Chiron, un homme nommé Actéon surprend un jour, au cours d’une de ses chasses, la déesse Artémis prenant son bain. Furieuse, elle le transforme en cerf. Impuissant, Actéon meurt déchiré par ses propres chiens rendus fous de rage. Artémis n’est donc pas vraiment une déesse fun, ce qui explique peut-être aussi l’ampleur du temple construit en son honneur à Ephèse (en Turquie actuelle), mentionné par ailleurs par les chroniqueurs antiques comme l’une des Sept Merveilles du monde, tout simplement. Vierge farouche, égale des hommes, Artémis évoque une étrange modernité grecque. Éternellement jeune et active, elle est de compagnie idéale pour former un couple réussi, avec un(e) ami(e) encore jeune et insouciant(e), Lou. R. F.
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OURS
Roman Fruitier & Romain Lagarde
Fanny Anseaume & Maurane Pauli
Roman Fruitier
Fanny Anseaume, David Asselino, Léo Bigiaoui, Alizée Cogez, Lucas Lebrun, François Moreau, Maurane Pauli, Bastien Resse, Denis Rome, Maxime Saulue, Maud Sztern
Georges Delcros, Francis Fruitier, Jean-Pierre Petit
Marie-Hanna Belaakalia Léo Bigiaoui, Ren Hang, Maurane Pauli
Ren Hang
Fanny Anseaume & Maurane Pauli
Elsa Lagarde & Yohann Bauce, Pascale Beyssier, Lou Minvielle
ROMAIN LAGARDE & ROMAN FRUITIER
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a ! e c ! c h ! l! n! a M s!
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Retrouvez ici des mésaventures incroyables, des infortunes à faire glacer le sang, de la déveine à n’en plus pouvoir, bref, de la scoumoune bien poisseuse. Attention, histoires vraies !
Touchée mais pas coulée, voici
Une vie ordinaire, une routine bien huilée, un
Elle souffrait d'une ischémie aiguë, un sale truc à base d'artères thrombosées. Elle s'en tire à petits pas, puisqu'elle ne peut plus faire autrement, et passe au travers d'un taux de mortalité conséquent de 20% liées à ce genre de maladies. Elle ne saura que cette année que ses problèmes de santé sont liés au contraceptif du laboratoire Bayer, contre qui elle a porté plainte.
travail mérité, il n'en fallait pas plus pour attirer, en 2006, les foudres de la malchance. Marie est Chichiline. Ce n'est pas une habitante d'une petite bourgade bien triste perdue dans les contreforts de l’Altaï en Sibérie, mais d'un village bien de chez nous : Séchilienne, au cœur de l'Isère. Gentillé moins joli et encore moins pratique, il est aussi convenu que madame Ribas est Séchiliennoise. Avant que le sort ne s'acharne sur elle de la plus vive des manières, sa seule crainte était incarnée par les « Ruines », un mouvement de versant qui menace de rompre et d'écraser sur son passage tous les habitants de la vallée de la Romanche.
On aimerait bien la laisser tranquille, au repos sur les berges de la Romanche tranquille, mais la tragédie se poursuit. Dommage collatéral : elle perd son emploi dans l'immobilier (invalidité oblige). On en vient même à prétendre que son état est la conséquence du tabagisme actif. Autour d'elle s'enclenche un funeste ballet, emportant un à un ses proches, en commençant par sa mère, au rythme glaçant d'un décès tous les trois mois. La vie n'est que souffrances et déprimes, aux grands mots les grands remèdes, quoi de mieux qu'un voyage pour laisser le passé bien derrière soi ?
la terrible aventure de Marie Dolorès Ribas. par Lucas
Lebrun
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Parce que les canons de beauté sont ce qu'ils sont et que Marie est un peu complexée par ses rondeurs, à 43 ans, elle décide de consulter son médecin pour perdre du poids. Nous sommes en 2003 et ce dernier lui prescrit du Benfluorex, dérivé de la norfenfluramine, molécule proche de l'amphétamine, principe actif réservé aux diabétiques et utilisé aussi comme « coupe-faim ». Autrement dit, elle prend deux comprimés de Mediator par jour, pendant trois ans. Elle maigrit, certes, mais ressent d'étranges palpitations au niveau du cœur. Elle ne fera pas partie des 1200 victimes recensées par l’INSERM dans ce terrible scandale sanitaire. Reste que les effets néfastes pour la santé peuvent se déclarer plus tard...
Une croisière pendant qu'on y est. Voilà que notre Séchiliennoise, son mari, son beau-frère et sa compagne prennent le large à bord du... Costa Concordia. La suite on la connaît. Le 13 janvier 2012, à 21h44 (UTC+1), aux coordonnées 42°21!55"N 10°55!17"E / 42.365347°N 10.921400°E, le bateau s'ébranle et chavire. À bord, la panique règne, sans morale aucune. Nos protagonistes malheureux ne suivent pas les conseils de sécurité, martelant dans la pagaille que les voyageurs doivent regagner leurs cabines. L'indiscipline de Madame Ribas et ses compagnons leur permettra de s'en sortir, une nouvelle fois. La mer emportera trente-deux corps.
Pourtant, si Marie n'a pas de dysfonctionnements des valves cardiaques, elle en aura un tas au niveau des jambes, au point d'en frôler l'amputation pure et simple. En effet, en 2006, année fatidique, notre Séchiliennoise retourne voir son médecin, le même, car elle est obligée de changer de contraceptif. Voilà qu'il lui conseille Melodia, une pilule de troisième génération. Après quelques jours, une douleur se fait sentir au niveau des jambes. De longs mois défilent dans la souffrance. Madame Ribas a bien failli participer aux fêtes de fin d'année dans un fauteuil roulant et se voir offrir une planche à roulettes pour Noël. Estropiée - autrement dit cul-de-jatte, voilà ce à quoi elle a échappé grâce aux efforts répétés des chirurgiens.
Marie Dolorès Ribas est encore en vie actuellement, et elle écrit, en témoigne son livre, Le Concordia, une nuit pour la vie (Edition Mélibée). Parce que cette histoire doit se terminer sur une note mystique, caractérisant tout destin extra-ordinaire, sachez que quelques heures avant l'accident, Marie avait fait un détour par le Vatican pour y allumer quelques cierges... Mais parce que cette chute est bien trop convenue, soulignons que Marie peut encore intenter deux procès pour les affaires du Mediator et du Concordia. Espérons que Madame Ribas puisse profiter pleinement de la vie, et de ses futures indemnisations sans vouloir aller trop vite, car de toute manière, depuis Melodia, elle ne peut plus courir.
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CERF Je vous arrête tout de suite, le cerf n’a pas attendu les hipsters pour être cool. Et ce pour une bonne raison : le cerf c’est, et de loin, ce qui se fait de mieux en animal de compagnie, critère qui devrait être le seul et unique indicateur de qualité de nos petits potes les animaux.
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animal de !
Son utilité et sa beauté jamais ne doivent être remises en cause et guident notre plaidoyer cervidé. D’un point de vue pratique, se déplacer à dos de cerf c’est, à peu de chose près, comme se déplacer à dos de cheval : port de tête altier et allure gracieuse, les bois en plus qui participent activement à rendre le tout majestueux et un chouille flippant. Oui, flippant : prends-toi un grand coup de bois dans la tête, tu feras moins le malin. C’est aussi ça le cerf, ton bodyguard, en plus intéressant et qui essaiera pas de te pécho. Il est essentiel de préciser qu’il te suivra dans tes soirées car les cerfs sont, et c’est aussi peu connu que véridique, de grands fêtards. Typiquement, un cerf arrive dans une soirée, l’air sérieux du bourgeois pédant et après deux trois verres se révèle être un grand déconneur, intéressant et ouvert. D’ailleurs, les cerfs ont récemment pris parti pour le mariage gay, preuve ô combien évidente de leur suprématie intellectuelle et culturelle dans ce monde de bobos qui ne jure que par l’égalité. Phénomène explicable par l’ennui mortel qui les accable dans leur environnement naturel et donc leur nécessité de s’instruire pour occuper leurs longues soirées d’hiver, ce qui facilite grandement les discussions, élément non négligeable quand on sait que l’espérance de vie d’un cerf est comprise entre 20 et 25 ans, il faut quand même se le farcir.
pas une poupée ! Il risquerait de prendre assez mal que vous tentiez de le déguiser en sapin pour vos endiablées soirées déguisées. En revanche, pratique, serviable et plus original qu’un meuble Ikea, notre copain le cerf accepte, lorsque l’on range notre dressing une fois la décennie, de se transformer en porte manteau chic : Qui n’a jamais rêvé de suspendre sa garde-robe sur des bois (merci Blanche-Neige) ?
Heureusement, tout un champ lexical d’insultes s’ouvre à nous pour le remettre vite et bien à sa place. « Son of a biche » fait tout de suite son petit effet dans l’esprit du cerf, à éviter néanmoins lorsque notre ami aux bois est en pleine puberté. Oui c’est aussi ça un cerf, un vrai adolescent dont le corps en(faon)tile mute sans prévenir. Pas de poussée d’acné pour lui ni d’hormones mal odorantes merci bien, mais de fiers pics boisés qu’il faudra acérer et limer régulièrement. Attention cependant, le cerf n’est
Depuis longtemps les cerfs servent d’égéries et d’emblèmes. De John Deere à Jägermeister en passant par les Baratheon et Harry Potter, ils ont su représenter, fiers et puissants, ceux qui se sont identifiés à eux.
Point positif aux vues de nos appartements, studios et autres colocations estudiantines, le cerf ne prend pas de place et sent bon naturellement. Abandonne ton tube d’encens senteur patchouli pauvre bab’ que tu n’es pas et adopte un cerf ! Odeur de santal, d’orme vert et de rosée matinale changeront des effluves de lardons trop cuits ou de croquettes pour chat. Bien réfléchir donc lors du choix de ton futur copain l’animal de compagnie : pour ceux qui étaient tentés par un quelconque macaque, souviens-toi de nos conseils et rappelle-toi de cette fétide odeur de bananes pourries du zoo auquel on te traînait lorsque tu avais 6 ans. Bonus pas futile pour un sou : le cerf se camoufle très facilement. Regarde, c’est presque un cheval ! Il suffit que l’importun qui te demande quel est cet animal que tu montes sereinement soit un tant soit peu saoul, myope ou totalement con et l’affaire est dans le sac !
C’est pourquoi aujourd’hui, haut et fort, tatouées et amourachées, nous vous crions notre amour pour le lolcat 3.0 : le cerf, pour vous servir. F.A. & M.P.
!
GORILLE dans ton lit. Il ne te borde pas, le gorille n’aime pas ça. Il dort sagement au pied de ton lit, veillant sur toi.
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compagnie
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Gorilles et Hommes font bon ménage. C’est Tarzan qui nous l’a appris. Alors il est temps de passer le cap. Vous rêvez d’avoir un primate comme animal de compagnie ? Le gorille est l’animal qu’il vous faut : un homme, en mieux. Une ADN 98% identique à la notre, sans avoir à se taper ses excès de raison. Laissez-vous guider, tout est dans l’instinct ! Le gorille est doué d’une classe innée : à son imposante posture et sa bouille de cuir s’ajoute sa bouffonnerie naturelle. Certains animaux sont classes sans être drôles. Votre gorille, il a les deux. Infatigable, il peut vous emmener partout en ville, vous faire escalader n’importe quel mur trop abrupt, tout en étant discret. Cette discrétion est bien l’atout majeur du macaque. Posez-le à côté de vous dans un café, ni vu ni connu, les gens le prendront pour un Morgan Freeman empâté. Bien dressé, il pourra même boire son café, le petit doigt levé ! Un animal de compagnie, c’est cool, sauf quand tu dois le mettre de côté lors des occasions un peu tendues. « J’emmène mon chat chez mes parents, je fais une soirée ce soir » : losers. Notre gorille, lui, peut rester. Il prend part à la préparation. Tes potes et même tes amies l’apprécient. Met une fille sous LSD et elle te dira que c’est le meilleur coup de sa vie : gare au gorille. Il passe sans peine pour un homme, et fait monter tout le monde sur le toit, en fin de soirée, pour fumer des splifs, posés. Et ce qui est encore mieux, c’est que ton gorille n’est jamais défoncé ou bourré. Enfin un pote qui ne vomit pas à la dixième bière. « Il n’y a pas d’amour sans confiance » disait Musset. Et tu peux avoir confiance en ton gorille. Il te surveille quand tu n’es plus en mesure de le faire. Il chasse les méchants qui te font du mal en boîte, tapant fermement ses points sur son torse. Et il te porte jusque
Imagine ton réveil, samedi matin. Tu descends l’escalier, mal réveillé. Ton gorille est là, vêtu de son tablier. Des œufs brouillés et du bacon dans une poêle, quelques toasts en train de griller, le brunch est prêt. Ton gorille te check, comme chaque matin, il est de bonne humeur. Ensuite c’est direction Carhartt pour se trouver quelques sapes. Pack de bières à la main, chaîne stéréo old school à fond sur l’épaule, tu rentres avec ton gorille, sans te casser le dos, musique crescendo, boire quelques binch’s sur ta terrasse. Avec tes potes ton gorille est cool, pas prise de tête. Ses singeries lui permettent de communiquer et ses quelques grimaces sont parfaites pour détendre l’atmosphère. Il est minuit. Chemise à carreau entr’ouverte, petit short en jean. Il mixe tranquillement derrière les platines. Tu peux profiter du son, tout en étant la star de la soirée. Après tout, c’est grâce à toi si ce putain de beaugosse de gorille multitask est là. Deux meufs stylées arrivent. Pas de bol, à leurs côtés un cerf de compagnie. De quoi t’éclipser, toi et ton gorille, de la soirée ? Non. Ce gros nigaud bouscule tout le monde avec ses bois, et d’un coup de tête maladroit, il renverse tous les verres du bar. Ni une, ni deux, ton gorille le prend sous le bras, et le raccompagne gentiment vers la sortie. Fin de soirée, bord de fleuve, posés, ton gorille et toi, chacun une fille dans les bras. Elles sont assoupies. De sa main gauche il caresse sa meuf pendant qu’il t’entoure de son bras droit. Accolés l’un à l’autre, vous échangez un regard. Ses pattes baignent dans l’eau fraîche, de laquelle il sort une bonne bouteille. Un mouvement de tête suffit pour se comprendre. Pendant que tes doigts glissent le long d’une cuisse, ton gorille remplit le verre qui repose dans ta main libre.... Depuis que tu as ce gorille, c’est la belle vie.
R.F. R.L.
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Adieu ! L’amour est libre il n’est jamais soumis au sort O Lou le mien est plus fort encor que la mort Un cœur le mien te suit dans ton voyage au Nord Lettres Envoie aussi des lettres ma chérie On aime en recevoir dans notre artillerie Une par jour au moins une au moins je t’en prie Lentement la nuit noire est tombée à présent On va rentrer après avoir acquis du zan Une deux trois A toi ma vie A toi mon sang La nuit mon coeur la nuit est très douce et très blonde O Lou le ciel est pur aujourd’hui comme une onde Un cœur le mien te suit jusques au bout du monde L’heure est venue Adieu l’heure de ton départ On va rentrer Il est neuf heures moins le quart Une deux trois Adieu de Nîmes dans le Gard 4 fév. 1915 Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou
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PORTFOLIO
Ren Hang
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IL FAIT LA COUV’
Ren Hang’s Republic of China Crue, érotique, ambiguë, dérangeante, douce, amère, vive, froide, la photographie de Ren Hang met en scène une certaine jeunesse chinoise. La nudité est décrétée normalité. Le corps est dévoilé. Sous toutes ses formes. Sans pudeur, parfois avec cruauté. Fesses, jambes, pénis, pieds, mains, seins, lèvres... sont magnifiés et maltraités. Censuré en Chine, exposé à l’international, les clichés du jeune photographe nous font entrer dans l’intimité de la capitale, Beijing, où il réside et travaille. Ils jettent une lumière crue, mais jamais glauque, sur une jeunesse chinoise ténébreuse, où désir et plaisir se mêlent dans une ardente fuite en avant, comme n'importe où ailleurs dans le monde.
REN HANG
Ren Hang a accepté en toute simplicité de publier quelques unes de ses photographies pour le premier numéro de ce magazine. Il est l’auteur de quatre ouvrages, dont le plus récent Republic est disponible en France aux Éditions du Lic. Au delà de la liberté affichée et jouissive de photographier sans fard, Ren Hang incite le spectateur à poser un regard à la fois cru et poétique sur la Chine et ses habitants, qui reste encore trop souvent associé aux images d’Épinal de la Cité Interdite et des gigantesques portraits de Mao. Le rapport anti-sexualisé qu’entretient l’artiste avec la nudité pratiquée met avec bienveillance sur le même piédestal, hommes et femmes, qu’elle que soit leur sexualité. R.F.
Instantanés
Londres, Royaume-Uni Août 2013
© Lou & Artémis – Maurane Pauli
PORTRAIT
BORIS JOHNSON par Franรงois Moreau
« If you vote for the Conservatives, your wife will get bigger breasts » Dire qu’Alexander “Boris” Johnson suscite de l’émotion relève de l’euphémisme. Les uns l’adorent publiquement lorsque les autres le détestent secrètement. Parfois les deux sentiments s’entremêlent ; chez les politiciens, notamment ses frères tories. Car si le maire conservateur de Londres fait des émules au sein de la population, il crée une atmosphère de peur au sein du monde politique britannique. Bref, Boris, comme l’appellent les citoyens de sa majesté, ne laisse pas de marbre. Il faut dire qu’il travaille jour et nuit à créer ce personnage excentrique usant et abusant d’un humour qui n’est pas toujours au goût de tout le monde. Demandez aux habitants de Liverpool qu’il taxa d’accrocs au « Welfare state » et à la victimisation dans une des chroniques tranchantes qu’il écrivait dans les années 90 pour le journal The Spectator, lorsqu’il en était le directeur.
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Mention burlesque
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Il est le seul politicien anglais qui arrive à sortir la tête de l’eau dans les sondages en cette période de marasme économique où la perfide Albion voit son modèle libéral chahuté. Et pourtant Boris s’est toujours ouvertement proclamé comme le défenseur des banquiers de la City. Mais il veut être bien plus que cela. C’est un véritable singe. Il trimballe sa trombine blonde et décoiffée, et gesticule partout où son corps trapu peut l’emporter. La recette de son succès ? Tout faire pour se détacher de l’image traditionnelle de l’austère politicien de la haute société anglaise. Sa méthode ? Le burlesque. Costume mal taillé, sac à dos de lycéen sur le dos, déambulant sur son vélo dans les rues de « sa » ville, Boris Johnson survit à tous les obstacles qui se dressent devant lui. Il en ressort même grandi. Comme lorsque pour la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres, il resta coincé pendant de longues minutes au bout d’un fil suspendu dans les airs agitant l’Union Jack. Le Premier Ministre David Cameron avoua peu de temps après que cet évènement aurait couvert n’importe quel autre politicien de ridicule. Boris lui s’en sort sous les clameurs du public. C’est ce côté bouffon que ses concitoyens adulent. Ses détracteurs, quant à eux, tentent tant bien que mal de démontrer que le phénomène Boris n’est qu’une bulle de savon.
PORTRAIT
Top 5 des punchlines de Boris
BORIS
JOHNSON
N°1 - “Voting Tory will cause your wife to have bigger breasts and increase your chances of owning a BMW M3.” N°2 - “In 1904, 20 per cent of journeys were made by bicycle in London. I want to see a figure like that again. If you can't turn the clock back to 1904, what's the point of being a Conservative?” N°3 - “My friends, as I have discovered myself, there are no disasters, only opportunities. And, indeed, opportunities for fresh disasters.” N°4 - “My speaking style was criticized by no less an authority than Arnold Schwarzenegger. It was a low moment, my friends, to have my rhetorical skills denounced by a monosyllabic Austrian cyborg.” N°5 - “My chances of being PM are about as good as the chances of finding Elvis on Mars, or my being reincarnated as an olive.”
An empty shell ? Boris a su montrer sa haute maitrise de la communication. Outil essentiel à la réussite de tout homme politique du 21ème siècle, elle n’est malheureusement pas synonyme d’efficacité. Même si ce n’est que très peu le cas, les Britanniques sont en droit de se demander qui est Boris Johnson. Qu’a-t-il réellement accompli à Londres depuis son élection de 2008 ? Les partisans de Ken Livingstone, ancien maire labour de Londres, détrôné et battu à deux reprises par le candidat conservateur, sont très clairs sur ce point : « absolutely nothing ». Formalités partisanes me direzvous. Mais pas que. Réforme du fonctionnement de la mairie, interdiction de boire de l’alcool sur le réseau de transport en commun… Un bilan qui n’a pas de quoi casser trois pattes à un canard. Rien non plus qui ne laisse présager la naissance d’un grand homme d’Etat. On raille les lacunes de son programme politique. Mais Boris est plein de ressources. Et ce n’est pas ses adversaires politiques, travaillistes comme conservateurs, qui diront le contraire.
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PORTRAIT BORIS JOHNSON Du « Glass gonad » au 10 Downing Street
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Bien qu’il se défende d’avoir des visées sur le 10 Downing Street, ses proches assurent qu’il y pense depuis son plus jeune âge, et sa stratégie de conquête se met doucement en place. Il a déjà promis que son second mandat serait le dernier. Ce qui lui permettrait par la suite de retrouver un siège à Westminster, condition sine qua non pour devenir Premier ministre. Car malgré sa volonté de se détacher de l’establishment, le maire de Londres a tout du prétendant parfait pour le poste. Il est passé par le Eton College, comme tous les enfants issus de la « posh society », et par la prestigieuse université d’Oxford où il étudia les lettres classiques. Parcours remarquablement similaire à celui de David Cameron qui fréquenta les mêmes institutions quelques années plus tard. Le parallèle entre les deux hommes n’est pas anodin. Bien que l’un ait préféré la partition du premier de la classe, quand l’autre jouait au poète de la Grèce antique, les deux se livrent une concurrence acharnée pour atteindre le sommet. Après avoir été retardé par une affaire extraconjugale qui lui a couté son poste de vice-président du parti conservateur, il est possible que le temps de Boris soit arrivé.
Un nouveau cirque pour Boris ?
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Malgré son attitude, Boris Johnson n’est autre qu’un conservateur modéré, somme toute traditionnel, à l’instar de son compère David Cameron. En cette période où la City est montrée du doigt par la population, sa popularité ne semble pas souffrir de son soutien inconditionnel au monde de la finance et au libéralisme économique installé sous l’ère Thatcher, à laquelle il voue une grande admiration pour avoir su imposer son modèle de gouvernance à l’ensemble de la classe politique britannique (prends ça Bobby Sands !)1. Politiquement, Boris Johnson sait aller au-delà de ses compétences. Comme lorsqu’en 2008, il avait ouvertement soutenu la candidature de Barack Obama. Ou encore, lorsqu’en 2012 il avait fait des déplacements de soutien à des candidats tories en campagne pour les élections partielles. Quoi qu’il en soit, il devra un jour ou l’autre faire part à la nation de ses véritables intentions. Et là, il ne s’agira plus de faire le clown 1.
Son vrai nom est Robert Gerard Sands. Né en 1954, il fut un des visages de la protestation irlandaise menée par l’IRA face à la domination de la très méchante Angleterre. Certes, il est connu pour sa grève de la faim de 66 jours à la prison de Maze mais le cher Bobby n’était pas qu’un contestataire. Il fut député à la House of Commons et combattu l’oppression toute sa vie. Même si Miss Thatcher ne serait pas de cet avis, God bless you.
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Bienvenue à
Sciences Popo
« Les écoles de prestiges », « Les écoles qui réussissent en France »... Les charmants hebdos français fournissent chaque année leurs tout aussi charmants avis - lol - sur les grandes écoles françaises, au premier rang desquelles trône Sciences Po. Alors pas de listings insensés, pas de points de vue puérils. Le fameux Crit’, le financement inexistant des neuf Sciences pos, Richard Descoings et la férocité des Ultras fournissent à eux seuls une photographie froide et actuelle de cette si souvent appelée – à tort ? - « formation d’élites ».
Richie
De l’adoration à la chute Nous souhaitions donner la parole aux étudiants de Sciences Po Paris. Ils auraient enfin pu parler de cette longue année 2012 qui leur a fait perdre l’adoré Richie, a dévoilé une gestion impensable de la première école de France et a fait s’affronter l’élite française sur la succession. Seulement, les élèves de Sciences Po que nous avons contacté n’ont pas souhaité écrire sur leur feu directeur. C’est triste mais cela ne nous empêche pas de revenir sur les sources de cette accélération de l’histoire pour le célèbre institut. Et ce, en grande partie grâce au magazine Charles (voir encadré page 30) qui publie un charmant numéro sur l’école des élites.
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Elèves de Sciences Po Toulouse, devant batailler pour la survie matérielle de notre IEP, nous fûmes abasourdis, et à vrai dire joyeusement déçus, de voir l’acharnement intellectuel, médiatique et politique autour de la succession de Richard Descoings. Nous ne comprenions pas le désintérêt de la hiérarchie universitaire et politique pour les IEP de province. Pourquoi ne veulent-ils pas financer ? Pourquoi sommes-nous oubliés ? Mais avec la publication du rapport de la Cour des Comptes et l’étalement médiatique autour de la succession, nous avons enfin compris. Tout ça proviendrait-il de Descoings ? Ainsi, en bons citoyens à la liberté d’expression intacte, nous ressentons le besoin d’écrire sur cet homme, centre névralgique de Sciences Po Paris pendant des années et par extension impliqué dans l’élaboration du budget des autres Instituts de France. Richard Descoings était un homme brillant et audacieux. Après avoir fait un parcours universitaire frôlant la perfection (voir encadré), il fut propulsé à la tête d’une des plus prestigieuses écoles françaises. Et Richard n’y est pas allé pour regarder les mouches voler ! Pris d’une hyperactivité débordante pendant tout son règne, il ne cessa de « faire avancer les choses ». Mais reste à savoir dans quel sens ! Nous nous souvenons encore de la présentation élogieuse, limite féérique, que l’on pouvait lire
dans la plupart des médias. Un démocrate généreux et amoureux de ses élèves. Cela était vrai. Il y eût peu de directeurs d’université autant apprécié par ses élèves – comme l’a montré la veillée funèbre. Tout du moins en apparence. Descoings était physiquement proche de ses étudiants qui l’appréciaient. Il les rencontrait dans les couloirs, fumait une clope avec eux. Sincérité ou manœuvre politique ? Ce qui est certain c’est qu’il gérait son IEP tel un chef d’entreprise, et n’avait aucun remords à se présenter comme le décideur de tout sur tout. Il avait de l’ambition pour son école, pour ceux qu’il appelait « ses élèves » et for himself. Il a certes développé son école comme jamais personne ne l’avait fait avant lui. Mais à quel prix ? Sa mort a permis d’enfin lever le voile sur les dysfonctionnements flagrants concernant les financements et l’organisation de la rue Saint Guillaume. Richard Descoings tenait Sciences Po derrière une barrière infranchissable, où les tractations financières avaient goût d’inconnu, où les réseaux élitistes s’entremêlaient au sens propre comme au figuré, où
1958 : Naissance de Richie à Paris. 1977 : Il entre dans sa future maison, Sciences Po Paris. 1983 : Reçu à l’ENA après trois tentatives. Persévérant ! Il sort au Conseil d’Etat. 1987 : Il commence à enseigner le droit public à Sciences Po et en devient le Directeur adjoint. Ambitieux ! 1992 : Chargé de mission au Cabinet de Jack Lang au Ministère de l’Education Nationale. Politique. 1996 : Il devient Directeur de l’IEP de Paris et Administrateur de la FNSP. Consécration ! 2000 : Il est nommé Conseiller d’Etat. Juin 2009 : Il remet son rapport pour une nouvelle réforme du lycée à Nicolas Sarkozy. 3 avril 2012 : Mort de Richie à New-York. Tristesse.
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hauts pontes du système universitaire et financier effectuaient leur tambouille. À sa mort, tout cela a sauté. Sciences Po était au dessus des lois, tout se décidait dans le bureau du Directeur. Comme l’explique très justement Baptiste Bouthier dans Charles, la procédure était « verrouillée » et « le décès de Richard Descoings a une conséquence inattendue : Sciences Po redécouvre ses statuts ». Il est plus facile de gouverner « entre soi » qu’en concertation ouverte et démocratique. Le caractère gênant de cette histoire est le paradoxe Descoings. Il présente son Institut formateur « d’élites » comme la septième merveille du monde, et l’organise telle une entreprise du CAC 40 en s’attribuant des dividendes substantiels. On se souvient de la révélation de Mediapart sur « l’existence d’une « Commission des
rémunérations » jusqu’ici restée secrète, et qui a attribué un total de 300 000 euros de bonus à une dizaine de dirigeants de l’IEP en 2011, 100.000 euros de plus en 2010 ». Partout ailleurs en France, les IEP de province partent en lambeaux ! L’aberrante gestion financière n’est pas l’unique révélation due à la mort de Richard Descoings. L’organisation interne de l’IEPP laissait à désirer. Et le cirque de la succession du prince en est la preuve. Alors que les IEPs de province manquent cruellement et chroniquement de financement et que les élèves sont plongés dans leurs études, un bal des prétendants s’est opéré pendant de longs mois, et non sans affrontements. Nous n’allons pas revenir sur les tractations entre la gérontocratie iepienne dirigée par
Tous les trois mois, Frédéric Houdaille, Alexandre Chabert et leur joyeuse troupe de plumes fines, proposent des articles construits et complets – ça change – dans Charles. Ce jeune magazine, créé en Mars 2012, sort du lot de par son format rigide qui s’apparente à un livre qu’on conserve en bibliothèque, ses graphismes de qualité et le plus important ses écrits passionnants, qui ne survolent pas les sujets mais les traitent à leur juste valeur. La politique y est discutée de tous bords. Les interviews sont fouillées et agiles. Les enquêtes et les thèmes choisis sont analysés finement. Cerise sur le gâteau, l’humour transpire entre les lignes. Alors c’est 16 euros à débourser quatre fois par an. Mais on peut se le permettre pour une fois qu’un mag’ français politique est intéressant.
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Jean-Claude Casanova et Michel Péberau, soutiens de Hervé Crès, et la nouvelle Ministre de l’Enseignement Supérieur Geneviève Fioraso qui a attendu, avec soin et présage, le rapport de la Cour des Comptes pour se décider. Et mettre ainsi Hervé Crès hors concours. Nous vous conseillons de lire l’article fourni de Baptiste Bouthier dans Charles sur ce sujet. Ce qui nous intéresse ici, c’est Richie. Pourquoi aurait-il eu besoin de laisser s’affronter en interne une partie de l’administration et la direction de l’IEP et de la FNSP ? Si ce n’est pour mieux régner. Avait-il d’autres ambitions. Un ministère ? Sans aucun doute, à en croire ses visites au QG de campagne de François Hollande, restées lettre morte. Il sentait la vague révélatrice de la Cour des Comptes monter. Mais il n’eut besoin de ramer, la mort l’emporta tragiquement le 3 avril. Et ce fut un défilé de louanges et de respect qui s’est opéré dans la capitale, à Sciences Po, dans les Ministères, à l’Assemblée et pour finir lors de ses obsèques à l’Eglise Saint-Sulpice. Ses élèves d’abord lui ont rendu un hommage appuyé si ce n’est démesuré, pour célébrer l’homme qui leur avait redonné confiance en eux, qui avait appuyé leur candidature, qui leur avait permis d’entrer à l’ENA… Vint le tour des personnalités publiques, politiques ou universitaires, qui faisant fi des tractations et des alliances, se sont regroupées pour saluer « l’intégrité » de l’homme. Comme dans tout groupe social, la mort du meneur engendre un rassemblement. Une union sacrée. Même si des courants déviants se forment pendant le
règne, ils respectent la mémoire du défunt pour partir ensuite en croisade de pouvoir. Et c’est ce qu’il s’est passé. Le lendemain de sa mort, Richie était un saint homme. La semaine suivante, rapport de la cour des comptes aidant, il devint piètre gestionnaire pour les uns, magouilleur pour les autres. Et les élèves dans tout ça ? La veillée funèbre montra l’influence qu’exerçait Descoings sur « ses petits » et le symbole qu’il représentait à leurs yeux. Seulement, se sont-ils questionnés sur la gestion réelle de leur mentor. Sa mort a provoqué un étalage de rumeurs, pour la plupart fausses, mais qui montrent tout de même un certain voile sur la vie professionnelle de cet homme. La direction de Richard Descoings fut remise en question par cette affaire. Le rapport de la Cour des Comptes arrivait. Les non-dits lui pesaient. Il voulait partir mais pas de cette façon. Mais ce qui transpire dans cette lutte personnelle mêlant ambition et intégrité, c’est le manque de franchise de ses soi-disant associés visà-vis de son action, principalement après sa mort pendant la succession. Au moins vis-à-vis de ses élèves. Eux qui l’ont soutenu en vers et contre tout. Eux qui sont venus si nombreux rue Saint Guillaume et place Saint Sulpice. Sans doute ne savait-il pas lui-même vers quelle contrée la brise aller l’emmener ? Seulement, un conseil avisé s’impose. Les décisions personnelles sans concertation d’autrui n’ont jamais permis au peuple de s’émanciper. Alors espérons que les étudiants ne suivront plus un directeur tête baissée. A Sciences po comme ailleurs Romain Lagarde
Les feux de Paris, (un feuilleton en trois épisodes) Comme l’eût chanté Jean Ferrat, « les Feux de Paris » n’ont pas fini de brûler et d’entrainer sur le bucher la province. Rien de mieux que ce poème d’Aragon chanté par le mélodiste pour illustrer la situation des Sciences Po de Province desservis par Paris.
« Plein feu sur la noirceur des songes Plein feu sur les arts du mensonge Flambe perpétuel été Flambe de notre flamme humaine Et que partout nos mains ramènent Le soleil de la vérité »
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« Pour des siècles et des siècles » On ne sait plus à quoi s’attendre de la part de Sciences Po Paris. Il est vrai que cette prestigieuse école respirait, respire et respirera « pour des siècles et des siècles » l’excellence. Amen ? Pas forcément. Bien que la plupart de notre élite a posé ses fesses dans l’amphi parisien et qu’un élève de Sciences Po jouit encore de cette charmante aura, l’affaire Descoings et le rapport de la Cour des Comptes n’ont guère montré une image glorieuse de l’école parisienne. Et puis, quel doit être le sentiment des élèves des autres facultés françaises, tout aussi respectables si ce n’est expertes des sujets ? Je ne vous jette pas la pierre Richard, mais vos collègues de la cour des comptes, eux-mêmes issus de Sciences Popo, ont prouvé dans leur rapport une
gestion accablante de l’école qui a desservi l’ensemble des Instituts d’Etudes Politiques en France. Et ils en souffrent les pauvres petits agneaux de province. Sans que les loups de la capitale en soient affectés pour autant. Mais pas d’opposition improductive, la solidarité doit être de mise. Et surtout, une table rase pour permettre des lendemains plus égaux entre les peuples. Et c’est bien ce que représente à nos yeux le rapport de la Cour des Comptes ; un socle pour pointer les erreurs et reconstruire un système de Sciences Po plus solidaires. Seulement, qu’en est-il dans les faits ? Nous supputons un certain relâchement dans l’intérêt porté à ce rapport, chiant comme ils le sont tous, mais indispensable, depuis la fin de la vague médiatique Descoings, Mion &co.
Les feux de Paris, (un feuilleton en trois épisodes) Paris tout feu tout flamme Tout avait bien commencé mais il a suffit que le nouveau directeur de l’Institut parisien soit nommé pour que les problèmes financiers des autres Sciences Po soient placés aux oubliettes. À en croire un petit règlement de compte entre anciens camarades issus des mêmes bancs, pour certains à la Cour, pour d’autres à la fac. Chers magistrats, nous vous respectons trop pour que cette pensée incongrue puisse être réelle. Mais nous sommes tout de même en droit de se questionner sur les résultats concrets de cette affaire, de ce rapport, de cette encre tant écoulée dans les « journaux » friands de ces révélations pseudo-officielles parisiennes. Les IEPs de province à genoux ?!
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800 euros. C’est ce qu’il aurait fallu payer pour les étudiants de l’IEP de Toulouse à la rentrée de septembre 2013. Il manquait 90 000 euros au Directeur de Toulouse, Philippe Raimbault, pour boucler son budget. Plusieurs solutions s’offraient à lui. Faire appel à la générosité de Cahuzac, partir mettre fin à ses jours à New York, convaincre le ministère de revenir sur sa décision… ou augmenter la somme payée en septembre par ses chers petits étudiants. Cette dernière option avait été choisie dans un premier temps. Mais le mouvement initié par les étudiants, conjugué aux négociations de couloirs menées par le maire de Toulouse et le directeur de l’IEP, ont permis de débloquer une aide exceptionnelle de l’Etat pour raisons de sécurité, couvrant les 90 000 euros qui faisaient défaut. Cette somme correspond à la baisse de la dotation de 5% du Ministère de l’Enseignement Supérieur en faveur de six IEP de province : Toulouse, Lyon, Strasbourg, Rennes, Lille et Aix. Bien sûr directions et étudiants de l’IEP toulousain se réjouissent de cette décision. Mais ils se joignent à leurs partenaires de province pour pointer du doigt le gouffre qui sépare leurs IEPs de celui de la rue Saint-Guillaume.
Le budget de Paris est sans commune mesure avec celui de ces six IEPs. La raison réside au sein même de l’Etat qui lui verse plus de 60 millions d’euros, hors salaires des enseignants payés sur le budget ministériel, alors que la subvention n’était « que » de 47,7 millions en 2005. Une progression de 33,3%, tout baigne ! Quand Lille se contente d’une quinzaine de personnes payées directement par l’Etat, Paris peut se targuer d’en avoir 950. « Il y a un problème politique, c’est le sous-financement de l’enseignement supérieur par l’État » assure Laurent, élu UNEF. D’aucuns commencent à penser que le problème est surtout le sous-financement de certains établissements par rapport à d’autres. Ramené au nombre d’étudiants, l’IEP de Toulouse doit se débrouiller avec mille euros par tête à remplir de savoir, quant l’ancienne école du Président de la République en reçoit six milles. Directeurs et étudiants commencent à s’indigner de ce manque d’équité, au profit d’une école qui aime faire grand bruit de son souci de démocratisation de l’enseignement. Pour faire face au désengagement de l’Etat, la solution est souvent de relever les frais d’inscriptions. Des mobilisations estudiantines naissent puis meurent, sans qu’aucune solution alternative ne prenne de consistance. Les directeurs de ces écoles tentent alors de faire front commun. Sans succès. Le 5 avril, ils se sont réunis pour définir une position et une action commune afin de faire pression sur le ministère. Une déclaration signée par les six directeurs a été largement relayée par la presse. Mais elle n’a pas permis de faire bouger les lignes. Lors de ces rencontres, les directeurs ont imaginé la création d’une fondation pour trouver de nouvelles sources de financements. Seulement, il faut avancer plusieurs dizaines de milliers d’euros pour la créer. Cet argent étant introuvable, ils se tournent vers une fondation qui existe déjà : la FNSP1. La FNSP (Fondation Nationale de Sciences Politiques) a été créée à la sortie de la seconde
Instituts d’Études Politiques Infographie : chiffres-clés
Budget Année de création
Nombre d’étudiants
145.000 k! 1872
IEP
12000
Nombre d’enseignants
Paris
Pourcentage d’étudiants boursiers
1200
3630 27%
N.C. 1945
1100
Strasbourg
13.000 k! 1948
1710
14.600 k! 180
320
Grenoble
1948
1948
1956
1930
!!
9.000 k! 250
200
Aix
1948
210
372 7.100 k!
30%
1800
Lyon
35% 250
250
28%
1709
Toulouse
14.000 k!
1991
19% 1700
Lille 310
436 22%
33
294
360
3.371 k! 24%
1470
Bordeaux
22% 200
370
Taille moyenne d’une promo
5.500 k! 1991
950
Rennes 185
237 37%
Guerre Mondiale, en même temps que l’IEP de Paris, avec deux objectifs : d’en gérer le budget et de l’administrer. Un statut juridiquement complexe qui lie donc un établissement d’enseignement supérieur et une fondation de droit privé. À l’époque cette solution fut trouvée pour contenter aussi bien les partisans de l’indépendance de ce haut lieu de formation et les défenseurs de son intégration à l’enseignement supérieur public. La Fondation avait également un second rôle. Développer l’enseignement et la recherche en sciences politiques dans tout l’hexagone. Mais cet objectif a été supprimé un beau matin des textes, sans même qu’en soient avertis les directeurs et directrices des IEP de province. Une rayure dans les textes, décidée en catimini, avec la bénédiction des nababs parisiens.
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Ce petit tour de passe-passe, qui date d’une dizaine d’années, a fini d’asseoir une grande inégalité. Quasiment tout l’argent de cette fondation nationale reste dans le giron de Paris. Pour faciliter les choses, le directeur de l’école de la rue SaintGuillaume et l’administrateur de la Fondation étaient historiquement une seule et même personne. Le décès de « Richard coeur du lion » a momentanément mis fin à cette incongruité. Mais point d’inquiétudes pour l’élite des étudiants en science politique, en effet, le nouvel administrateur n’est autre que… l’ex bras droit de Descoings ! Casanova comme Descoings ont, ou profitent encore de cette opacité. La Cour des Comptes accuse Le rapport de la Cour des comptes de novembre 2012 a enfin mis au grand jour ce que beaucoup savait. Pendant que le toit de l’IEP de Toulouse part en lambeaux et que les planchers de Lille s’effondrent, les grands mandarins de Paris s’octroient des rémunérations de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Sans compter les avantages multiples. Pour conduire son école, Richard Descoings avait besoin d’un chauffeur privé. Revenons quelques instants sur ce rapport qui, après avoir fait grand bruit, n’est plus d’actualité pour les autorités de l’enseignement supérieur. Cette « fuite en
en avant financière et cette gestion peut scrupuleuse des deniers publics », pour reprendre les mots des magistrats, nécessite un éclairage. En ce qui concerne la rémunération du cher Directeur, elle fût augmentée de 60,4% sur la période 2005-2011. Mais calmez-vous très cher ! Avez-vous réellement besoin d’un salaire annuel autour de 500.000 euros sans compter les primes, pour signer vos parapheurs ? D’autant que vos collègues de la Cour indiquent que « l’indemnité mensuelle ne repose sur aucun contrat formel et n’a pas été votée en conseil d’administration ». Voilà des manières d’un autre temps. On ne parle pas des primes du Président de la FNSP, on est à table. Le code général des impôts, pourtant enseigné par l’IEP de Paris, était bafoué et tout était normal. Une démocratisation ratée à cause du coût d’entrée à Sciences Po Paris. Un lien dangereux entre Institut public et milieux privés grâce au charmant banquier Michel Pébereau. Des avantages matériels alarmants. Un brassage d’argent public pour les belles rémunérations des directeurs. Voilà le bilan de Richard Descoings à la tête Sciences Po Paris. Tout n’est pas de son ressort puisque certains manquements existaient avant lui. Mais il faut avouer qu’il a bien achevé ce beau cycle de moralité ! La solution est alors toute trouvée. La FNSP doit revenir sur son objectif de développement des sciences politiques dans toute la France. Le magot (130 millions d’euros environs) doit être partagé plus équitablement. Les syndicats et étudiants qui exigent un financement public pour la mission de service public qu’est l’enseignement, se tournent donc vers cette fondation privée. Une contradiction qui ne semble point les gêner, tant qu’elle est synonyme de budgets revus à la hausse. D’autres alternatives existent, bien qu’elles soient aussi absentes des débats que Geneviève Fioraso, pourtant ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Demander à l’Etat de financer plus équitablement les IEP, quitte à faire perdre à Paris quelques places dans les classements mondiaux ? L’argument du pur sang emmenant les autres dans son sillon perd de sa vigueur quand ceux-ci deviennent trop faméliques pour avancer Denis Rome & Romain Lagarde
1 - La FNSP est une fondation de droit privé reconnue d’utilité publique, créée par ordonnance le 9 octobre 1945 et dont le fonctionnement est précisé par le décret du 22 mai 1946. Elle a hérité du patrimoine de l'École Libre des sciences politiques, et est chargée, par convention puis par décret et depuis 1998 par la Loi, de la gestion administrative et financière de l'Institut d'Études Politiques de Paris.
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Ce que l’on peut lire sur le site de la Cour
des Comptes
Une architecture institutionnelle atypique et une organisation complexe Sciences Po est un ensemble formé par la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) et l’Institut d’études politiques de Paris (IEP). L’IEP relève du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche mais est géré administrativement et financièrement par la FNSP, il n’a ni budget ni personnel. Il en est résulté une organisation administrative complexe qui a rendu difficile le pilotage de l’ensemble formé par Sciences Po.
Un développement rapide et des innovations nombreuses, obtenus à un coût élevé La croissance du nombre d’étudiants, qui a quasiment doublé depuis 2005, a entraîné une forte progression des charges : le budget de la FNSP a crû de 78,7 à 127,1 millions d’euros de 2005 à 2010. La subvention de l’Etat qui finance à plus de 50 % l’établissement est passée de 47,7 à 63,6 millions d’euros quand le produit des droits d’inscription versés par les étudiants a progressé de 9,9 à 27,9 millions d’euros. L’Etat n’a pas suffisamment assorti son soutien par des contreparties et contraintes en matière de maîtrise et de suivi des dépenses. La situation des finances publiques impose aujourd’hui que cette exigence soit placée au cœur des préoccupations de la FNSP. L’activité de recherche a été développée, notamment à travers le recrutement d'une cinquantaine d’enseignants-chercheurs et de chercheurs permanents sous contrat privé.
Une gestion marquée par de nombreuses anomalies Le contrôle de la Cour a mis en lumière de nombreuses défaillances. Certaines résultent de l’insuffisante vigilance des conseils chargés d’administrer Sciences Po et de l’incapacité de l’Etat à exercer son rôle de tutelle. D’autres ont été permises par l’ambiguïté juridique qui caractérise le statut actuel de Sciences Po et par la méconnaissance des textes qui lui sont applicables. La Cour relève particulièrement les anomalies suivantes : - des irrégularités multiples et récurrentes dans la gestion du service des enseignants-chercheurs ; - les conditions d’attribution à des enseignants-chercheurs de logements de fonction et le défaut de déclaration fiscale et sociale des avantages en nature correspondants; - l’instauration d’un système de rémunération de l’administrateur-directeur non maîtrisé, hors de proportion avec les rémunérations perçues en France par les dirigeants d’établissements d’enseignement supérieur comparables, et opaque car non présenté aux instances dirigeantes de l’institution et à l’Etat ; - le développement d’un système opaque de rémunération des salariés de la fondation ; - le financement sur les ressources de Sciences Po, sans approbation du conseil d’administration de la fondation, de la mission « Lycée pour tous », confiée intuitu personae au directeur de l’IEP par le président de la République et n’entrant pas dans l’objet de la FNSP. - l’absence de respect de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ; - la souscription d’un emprunt structuré dit « toxique » de 15 millions d’euros, potentiellement risqué pour l’institution, sans autorisation préalable du conseil d’administration et sans information des autorités ministérielles.
Conclusion En dix ans, Sciences Po a montré son dynamisme et sa capacité d’adaptation aux évolutions de l’enseignement supérieur et de la recherche. Toutefois, sa gestion a été marquée par de nombreuses irrégularités. La troisième chambre de la Cour des comptes a décidé de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de certains faits constatés et a transmis le dossier au parquet général à cette fin. En outre, dans le contexte actuel des finances publiques, la singularité et la pérennité de l’institution ne seront préservées que si des réformes sont mises en œuvre pour en augmenter l’efficience. La Cour invite dès lors l’Etat et Sciences Po à prendre les mesures nécessaires pour assurer une réelle transparence dans la gestion de l’établissement et renforcer la cohérence de son pilotage opérationnel et de sa gouvernance. La Cour formule 19 recommandations visant à mettre fin aux irrégularités constatées, mettre en place une politique rigoureuse de maîtrise des dépenses ou encore assurer la transparence de gestion de l’établissement.
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Ultras de tous bords, unissez-vous ! Après le sacre du PSG en ligue 1, les débordements qui l’ont suivi et les punitions discutées, le slogan « Liberté pour les ultras » résonne plus fort encore qu’auparavant. Craints mais surtout méconnus, les ultras footeux ont inspiré à certains élèves de Science po la création d’une garde bigarrée. Comment deux milieux que rien ne lie ont-ils pu se rencontrer ?
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Comme chaque année depuis 27 ans, le critérium inter IEP plus communément appelé Crit’ a eu lieu. C’est avec une fierté certaine mais une dignité vacillante, altérée par l’alcool que chaque ville a porté haut ses couleurs. Dans cet immense terrain de jeu, cette orgie sportive, hors du temps et des codes de bienséance 2500 étudiants se sont adonnés à ce qu’il y a de plus vil et nauséabond mais aussi de plus beau et noble. C’est dans cette effervescence annuelle et dans la tête de quelques-uns que sont nés les supporters ultras des IEP. Garants du respect des couleurs, du soutien aux sportifs et de l’ambiance, rares sont les délégations qui ne disposent pas d’un groupe d’étudiants qui ont décidé de donner une partie de leur temps et de leur énergie à devenir la garde rapprochée de leur école. Souvent perçu comme l’apanage des supporters de foot abrutis et désœuvrés, il est surprenant de retrouver un phénomène, si ce n’est identique, au moins calqué, dans ce qui est considéré comme un ensemble de grandes écoles censées former de respectables intellectuels, futurs dirigeants et j’en passe. Pourtant, et si leurs actions se situent dans le domaine du raisonnable, les ultras sont loin d’être isolés au sein de leurs IEPs et bénéficient généralement du soutien du reste des élèves. Plusieurs éléments éclairent à mes yeux ce qui devrait être considéré comme une ineptie mais que je
perçois comme un phénomène naturel. La naissance des ultras au sein des IEPs est directement et uniquement liée au Crit’, seule manifestation sportive intra-école d’une telle envergure et qui explique donc qu’aucune autre grande école ne soit dotée d’un même mouvement. L’effet corporatif de l’école et l’attachement qui en ressort sont les principaux éléments explicatifs du « phénomène des ultras », avec tout ce que ce terme contient de réserve. Réussir le concours d’entrée aux IEP est pour beaucoup l’ouverture vers le monde merveilleux des études supérieures, loin de l’autorité parentale et de la ville natale, dans lequel souffle le vent de la légèreté et où les amitiés ont un goût d’éternel. Faire partie d’un ensemble, d’un groupe, avoir une identité sociale inédite donne à certains le désir de défendre et de promouvoir par quelque biais que ce soit, la structure qui leur sert de giron identitaire.!! Le phénomène d’identification peut être lié avec celui des ultras footeux. Le club est souvent lié à des revendications régionales, choisies ou non, mais est toujours couvé d’une fidélité sans borne. Et c’est autour de cet amour du club que se constituent des groupes de supporters ultras. Il en est tout autrement dans les IEPS.
PHOTOGRAPHIE : Léo Bigiaoui
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C’est avant tout les amitiés, appréciations et acoquinages inter-associations qui régissent la création puis le développement des groupes ultras. Dans le cadre de l’IEP de Toulouse, puisque c’est celui que je connais le mieux, l’impulsion du groupe Ultr’AZF a été donné il y’a deux ans par un groupe de deuxième année, aidé par des aînés forts de leur expérience. Ainsi, alors que pour les supporters de foot, le groupe d’amis est une conséquence de l’amour des couleurs, il en est autrement à l’IEP. Au sein de l’école certains cherchent aussi leur place. Il y a peu de surprise sur les gens qui intègrent les ultras. Ce sont généralement ceux que l’on retrouve au sein des associations ou des groupes ayant de la visibilité sociale au sein de l’école.
Si les modalités ne sont pas exactement les mêmes pour les footeux, on retrouve cette idée d’identité au sein d’un groupe, en contradiction ou en accord, mais toujours en relation et enfin avec ce sentiment d’appartenance propre aux groupuscules, quelques soient leurs revendications. C’est dans cet esprit que les ultras des IEP se parent de tenues particulières. Les couleurs ont été au préalable définies par l’IEP d’appartenance mais ils créent leur nom, leur logo voire leur slogan et enfin leurs chansons. Les ultras doivent être méconnaissables et reconnaissables entre tous. Pulls, écharpes, drapeaux, fumigènes et autres accessoires participent à rendre les individus et le groupe identifiable dans ce qu’il essaie de faire transparaître : une certaine violence.! Car enfin, si je me permets quelques mots de psychologie de comptoir,
Communiqué de l'AssoCrit 2014 Sciences-pistes de la France entière, Tous les ans à l'aube du printemps, les délégations représentant les 9 IEP de France convergent à l'occasion d'un événement unique, vieux de plus de vingt-cinq ans: le Critérium inter-IEP. Unique par son ampleur, cet événement sportif et festif parvient année après année à réunir des milliers de participants d'horizons différents. Symbole incontournable de la fraternité étudiante, l'événement est devenu une véritable Institution. ll n'en reste pas moins que celle-ci a été mise en péril de manière de plus en plus prononcée au cours de ces dernières années malgré plusieurs éditions irréprochables. La faute à des agissements certes intolérables mais marginaux qui n'ont fait qu'affaiblir le Crit’ et son image. Depuis quelques années, la question de la réforme du Critérium est un serpent de mer et des progrès significatifs ont été effectués dans ce domaine. Malgré ça, les directions sont de plus en plus sceptiques quant à leur soutien vis à vis d'un Critérium terni par les incidents emblématiques qui ont entaché certaines des récentes éditions. Ces dernières années, quelques voix discordantes se sont faites entendre mais, pour 2014, le couperet est tombé. Tandis que la Charte du Critérium inter-IEP prévoyait que ce serait au tour de Rennes d'accueillir le Crit’ cette année, les directeurs des six IEP représentant l'Hexaconcours ont décidé que le Crit’ mourrait s'il ne se réformait pas. Jamais le Critérium ne s'était retrouvé dans une situation aussi critique: son avenir est en suspens. Dans tous les cas, s'il émerge, le prochain Crit’ ne revêtira pas la même forme qu'auparavant. Considérant qu'une réforme profonde était de loin plus souhaitable qu'une mort brutale, le Comité d'organisation du Crit’ 2014, entouré des neuf BDS, a souhaité réagir avec mesure et lucidité. Ainsi avons-nous planché sur un projet complet et novateur, destiné à faire perdurer l'évènement. Ce document a d'ores et déjà été présenté à nos directions. L'esprit originel du Crit’ ne sera pas compromis, au contraire, il sera orienté de manière à prévenir les débordements qui ont parfois émaillé son passé récent. Plus sportif, notre projet vise notamment à encadrer de manière plus responsable la consommation d'alcool des Criteux, à la source des réticences de nos directions. Il sera question d'articuler au mieux compétition sportive et soirées mémorables sans compromettre, ni la sécurité des participants, ni la philosophie de l'évènement.
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Il n'y pas de place pour les divisions: le Crit’ sera réformé ou ne sera pas. Dès lors, il s'agit de tout mettre en œuvre afin de soutenir un projet novateur, établi en accord avec tous les BDS. Ceux-ci en partagent tous la philosophie. Notre esprit est animé d'un seul objectif: obtenir l'approbation de nos directions et parvenir à mettre en place un Crit’ en 2014. Pour que survive le Crit., Le Comité d'organisation du Crit’
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on ne peut ignorer le besoin de catharsis qui transparait à travers le « phénomène ultras » des IEP. J’ai le sentiment que l’appartenance au groupe et ce qu’offre le Crit’, à savoir une occasion annuelle, durant 4 ans, de faire ce que bon nous semble, en flouant parfois - souvent ? - les limites du correct, sont pour beaucoup l’occasion de se libérer d’un quotidien appauvri et insatisfaisant le temps d’un week-end en expulsant autant de haine (pour les autres) et d’amour (pour les siens) qu’il est possible de le faire. Bien sûr les dérives sont fréquentes dans les élans de patriotisme estudiantin local et peuvent amener à des sanctions ; nous n’oublions pas les feu brigades loco, éternelles supportrices dissoutes de Grenoble. C’est ici que parfois l’amalgame s’est fait entre défense et violence et où certaines individualités ont pris le parti de
la haine. Cependant, sur un terrain de foot ou dans une confrontation, les ultras de Sciences Po passeraient pour de gentils poupons. N’oublions pas qu’ils n’ont aucune vie, aucune légitimité en dehors de leur école et du Crit.’ Des cagoules et quelques bombes de peinture n’ont jamais fait une armée. Je ne peux malgré tout m’empêcher d’admirer cet embryon de mouvement et de le couver d’un regard approbateur. Qu’il s’agisse finalement de foot ou d’IEP, le vrai lien entre ultras est l’amour des couleurs et souvent des autres membres du Kop, le mélange de haine et d’appréhension à la vue des autres équipes, la liesse des victoires et la déception des défaites, l’envie d’entraîner le public à soutenir plus fort et cette idée, au fond, d’être un peu à part Fanny Anseaume
Le Crit’, c’était mieux avant ? Événement marquant de la vie iepienne - ou pas1, le pompeusement nommé Critérium InterIEPs, « Crit’ » pour les intimes, a franchement perdu de sa superbe. On s’est bien marré au Crit’, on s’y ennuyait parfois ferme, qu’il fasse soleil ou pluie ; mais on s’y ennuiera sûrement. Il a été décidé que tout ça avait bien duré. Les communiqués sirupeux, lourdingues et plein d’autosatisfactions des organisateurs promettent désormais des lendemains qui déchantent.
Le Crit’, qu’est-ce ? Avant tout un événement sportif. L’occasion de s’enjailler et d’oublier nos futurs de jeunes cadres dynamiques, aussi. La Désencyclopédie parle elle de "Beuverie entre gosses de riches sans leurs mamans".2 Certes, de nombreux élèves viennent au Crit’ pour participer, et surtout gagner différentes épreuves sportives. Des équipes se constituent chaque année et chaque IEP se prépare plus ou moins sérieusement, avec des moyens plus ou moins importants, pour le moment fatidique de la fin mars. Pourtant la Désencyclopédie a profondément raison dans sa définition du Crit’ comme un événement festif, à la nature proche du carnaval. Si l’on est tous derrière nos équipes, s’il on goûte autant la victoire que n’importe quel supporter, ce week-end annuel est avant tout une parenthèse, synonyme de travestissement, de bruit, de parade, de beuverie, de chant et de danse. Synonyme donc de débordements de toute sorte, pour quelques jours, certaines des contraintes qui s’exercent dans l’année sont rejetées, avant que chacun ne revienne à sa vie normale dans les jours suivants.
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Avec un pourcentage d’admis issu de la région de l’IEP tournant entre 20% et 40%, les supporters des équipes participantes défendent souvent des couleurs qui ne sont pas les leurs depuis longtemps. Il est pourtant étonnant de voir la ferveur des tribunes remplies à craquer d’iepiens qui paient de leur poche une partie importante des frais d’organisation de l’événement. Se retrouvant seul dans une nouvelle ville avec d’autres étrangers dans sa situation, l’iepien a souvent rapidement tissé des liens forts avec ses camarades. Le Crit’ semble alors pour beaucoup comme l’occasion de célébrer et de supporter son IEP à travers le sport. Et de rencontrer ses alter-egos des autres Instituts, dans une fête aux proportions hors-normes. L’alcool y a sa part, et elle est grande sans aucun doute. Il facilite les rencontres, amicales comme intimes et échauffe les esprits, aussi sûrement que les rivalités sportives. Extension(s), le magazine de l’IEP de Bordeaux osait3, sans vergogne aucune, la comparaison avec les Jeux Olympiques. Si prompts à se féliciter d’avoir
Il sera simple à chacun de calculer, que par une moyenne de 200 représentants par Institut d’Études Politiques participant au Crit’, pour une moyenne d’environ 1240 élèves présents dans chacun des IEPs de province, beaucoup n’ont que peu faire de cet événement même si les autres ont très hâte d’y retourner. 2 En ces temps difficiles, la Désencyclopédie - ruez-vous sur vos souris si vous n’êtes pas encore adeptes - est un valeur sûre des internets français et internationaux.!
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PHOTOGRAPHIE : Léo Bigiaoui
participés à la création de l’institution sportive, les auteurs de l’article semblent avoir, dans leur grandiloquence, oubliés la véritable nature du Crit’. Si c’est par le sport que les « Sciences Po » de France et de Navarre se sont rencontrés une fois l’an depuis 1987, au fil des années et des IEPs rejoignant la danse, l’événement est devenu une fête et un moment quelque peu « hors du temps », où les corps des sportifs et des supporters sont imbibés d’alcool. Vouloir enlever au Crit’ son esprit carnavalesque, son espace de rencontre et de débordements, le résumer à une simple rencontre sportive, c’est en tuer l’essence. « Pour que survive le Crit’ », c’est ainsi que se termine le communiqué transmis par le Comité d'organisation du Crit 20144 à destination des bureaux des sports de chaque IEP, visant à expliquer que le Crit’ avant
c’était n’importe quoi. Et que maintenant ça va filer doux. Les carnavals moyenâgeux avaient une utilité sociale, celle d’assurer la bonne marche de la société, en permettant avant le Carême une période de renversement des règles et de la hiérarchie avant de retourner à la vie quotidienne et de commencer le jeûne. Et de ne pas renverser à coup de glaives et d’arbalètes la famille royale. À sa façon et à son échelle, le Crit’ permettait aux élèves des IEPs de se rencontrer et de mettre leur vie d’étudiant en parenthèse pendant un week-end. Si pour sa « survie » le Crit’ se résume à un affrontement sportif classique sans supporter, nul besoin de dépenser les précieux deniers de nos IEPs, les championnat universitaires devraient largement satisfaire nos appétits de compétition et de victoire. La fête, elle, est finie Roman Fruitier
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Dans son numéro 34, paru en janvier 2013 : « Osons la comparaison ! Le Critérium est aux étudiants des Sciences Po français ce que les Jeux Olympiques sont au monde entier » peut-on lire page 7. Sciences Po Bordeaux était par ailleurs l’hôte de l’édition 2013 du Crit’, le « Grand Crit Classé ». 4 Voir l’encadré page 38.!
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PORTFOLIO
Léo Bigiaoui
Etudiant à Sciences po Grenoble, Léo Bigiaoui a commencé à faire de la photo en septembre 2011 de façon assez intensive après avoir acheté son premier reflex. Après avoir fait pas mal de photos pour ses potes, il commence tout juste à exercer la photo en tant qu'activité semipro depuis octobre 2012. Soirées, festivals, évènements, shootings promo pour des artistes et des sociétés, son répertoire est divers.
Après avoir sévi au Crit’ d’Aix-en-Provence (ci-contre), le photographe (ci-dessus en chemise rouge) nous propose ici une série de photos sur le Critérium inter-IEP 2013 qui a eu lieu à Bordeaux, en mars dernier. Mise à part les rencontres sportives entre les neuf Sciences po de France, l’alcool et la fête en sont les invités d’honneur.
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LA MOULE ET SON PETIT DOIGT
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HEAR ME ROAR !
LE CRIT’ N’EST QU’AMOUR
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LA BITE ET LE CACA SUPERSTARS
S’ALIMENTER POUR NE PAS MOURIR
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FUMER TUE.
UN CRITEUX ÇA TROMPE ÉNORMÉMMENT
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ELLE A VU LE CRIT’ !
POUR L’AMOUR D’UN PLOT LES POMPOMS, MON ŒIL...
LA PLUIE ? ALORS, ON DANSE
LE FOU DU CRIT’ !
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CULTIVONS-
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Katsuni, le porno intello / Les logos, nos nouveaux héros / Le jeux vidéo peut-il devenir le 10ème art ? / Vous avez dit « musique classique » ? / Reviensnous / Enter the Zef Side / Date ou crève
NOUS
Instantanés
Marseille, France Août 2013
© Lou & Artémis – Romain Lagarde
Pourquoi ? par Romain Lagarde
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Il y a de telles incompréhensions dans ce monde. Tellement d’instants où l’on se demande pudiquement, en hurlant à qui veut l’entendre, « Mais pourquoi ? ». Essayons de nous interroger, chaque mois, sur ces énigmes du temps présent, ces incohérences de la vie, ces présentateurs qui ne veulent pas partir. Cette gérontocratie des copains qui nous écœure. !
Tous les dimanches, Michel, 70 ans, reçoit ses amis, anciens ou nouveaux, dans le vent ou oubliés, dans son salon des studios France 2. Assis sur son canapé rouge, entouré de ses chroniqueurs, de jeunes éphèbes comme lui, il discute de la vie de ses invités. Ici, ils ne viennent pas faire de la promo mais parler d’eux. Ainsi, nous apprenons la taille de jupe de Ségolène Royal, le menu du petit-déjeuner de Carla Bruni ou le restaurant préféré de Fabrice Luchini à l’Ile de Ré. Ils sont tous heureux de développer leur existence. Et ils ont le temps chez Michel !
à un doyen. Philippe Bouvard est encore plus vieux. Michel l’accueille, les bras grands ouverts, en haut des marches. Quel parcours ce Philippe ! Et ce n’est que la 457ème émission qui lui est consacré.
A une époque où la bataille politique sur l’âge légal et sur les années de cotisation fait rage, on voudrait bien le voir prendre sa retraite. Michel, dans les pas de Molière, se rêve-t-il mourant sur scène, au pied de sa fidèle chienne ? Tous les journaux télévisés en parleraient. Tous les vieux amis pleureraient. Et le cancre des années 50 deviendrait une légende.
Drucker est membre de cette caste de vieux présentateurs qui jonchent les couloirs des chaînes à l’image de leurs camarades politiques ou chanteurs. Pourquoi seraient-ce les seuls métiers où l’on aurait le droit de continuer jusqu’à ce que mort s’en suive ? Les écoles de journalisme dégorgent de jeunes gens motivés et talentueux. Seulement, les anciens ne veulent pas partir. Et ils se retrouvent commis au café pour les plus chanceux.
Chaque soir, il révise ses fiches de vie(s), à la manière d’un bachelier la veille d’examens. Demain il reçoit Jane et ses trois filles, Kate, Charlotte et la petite dernière, Lou. C’est la famille ! Ils parleront de Serge, de l’actualité des trois gamines. Et Jane versera une larme. La semaine prochaine, l’émission est consacrée
À 70 ans, après avoir informé, cultivé et fait chanté la France, Michel a mérité sa retraite dans le sud. Il pourra recevoir ses invités, de la même façon. Seulement, les Français ne seront plus obligés de subir cet étalement d’intimité tous les dimanches. Et France 2 pourra, et pourquoi pas, proposer un programme à la hauteur du service public.
Avis à tous ceux qui rêvent de « faire de la télé », prenez le temps de la réflexion. Si rien ne change, et si l’âge légal n’est pas respecté, Youtube sera votre seul avenir.
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le po
Le porno et la littérature ménage. Grâce à son Katsuni marie habilement
Katsuni, rno intello par
Romain Lagarde & Roman Fruitier
n’ont jamais fait bon
blog et sa finesse, porno, sexe et poĂŠsie. Ces photographies sont issues des comptes Twitter des actrices suivantes : Lily LaBeau, Cassie Laine, Melissa Lauren, Kristina Rose, Katsuni.
A 18 ans, la jeune Katsumi quitte Lyon pour Grenoble. Elle est prise à Sciences Po. S’en suivra sans doute une carrière politique, journalistique ou diplomatique. Mais la jeune femme décide de poursuivre sur Lettres Modernes pour devenir professeur de littérature. Parallèlement, elle est gogo danseuse en discothèque. Tout va très vite et elle signe un contrat avec le magazine Penthouse tout en poursuivant ses études. En 2001, sous la direction d’Alain Payet, elle tourne son premier film. Mais la France n’est pas assez grande pour elle. En 2005, direction les Etats-Unis et une carrière ainsi qu’une renommée internationales. Productrice, réalisatrice gérant sa propre société, elle devient une des pornstars les plus en vogue de notre temps sous le nouveau nom Katsuni depuis une décision du Tribunal de Créteil qui la condamne pour pseudonyme. Les gens la connaissent, la reconnaissent. Elle passe même chez Ruquier ! Katsuni fait habilement taire les mauvaises langues qui pensent à tort que porno ne peut rimer avec intello. Tout en étant une des actrices porno les plus sollicitée, que cela soit dans du chic ou du trash, elle prend un recul intellectuel sur sa vie, son métier et le monde du X.. Son blog L’industrie du porno vue des coulisses publié sur le site des Inrocks nous plonge dans une vie pas si « extraordinaire », faite de hauts et de bas, tout simplement touchante. On y quitte les fantasmes et les clichés habituellement associés au porno. Laissez-vous guider par Katsuni.
« Ici l’envie n’est pas de séduire ou de faire jouir. Ma vie est multiple, mes envies aussi. » « Certains ne retiendront de votre scène que la brutalité de ses pratiques sexuelles, d’autres sauront percevoir le moment de grâce qui aura su unir trois personnes. Le sexe est un langage et comme tout langage il peut trouver plusieurs sens, plusieurs interprétations. Il peut être perçu comme message de violence alors qu’il parle de plaisir. [....] On peut aimer s’exhiber sans être narcissique, on peut vivre le porno sans le regarder ; vivre sa sexualité sans se filmer. Le plaisir est partout et sous
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des formes parfois surprenantes. A nous de le saisir au vol, de le créer, le cultiver ou le renouveler. » 1 Oui, les actrices porno pensent et savent écrire ! Et elles le font bien. La sodomie et la double pénétration peuvent mêlées le désir et une forme de poésie – n’ayons pas peur des mots. Évoquant sur son blog à la fois sa vie dans et en dehors des studios, Katsuni parvient avec agilité à faire entrer son lecteur dans son univers, qu’elle met avec élégance devant ses contradictions. Une pornstar peut avoir plusieurs envies, faire jouir mais également écrire sur sa vie. Sur son blog, Katsuni ne s’adresse pas exclusivement aux habitués du porno. Amis amateurs, laissez le sopalin au vestiaire. Sans avoir vu une seule de ses scènes, vous pouvez sans problème vous passionner pour les ressorts de l’industrie du X. Elle dévoile lentement, au fil de ses billets, sa vie professionnelle : celle d’une actrice qui vit de sa sexualité. L’incompréhension qui tourne autour du porno est évacuée au fil des posts. Katsuni y présente des tranches de vie, la sienne ou celle des personnes qu’elle croise. Pour transposer par écrit ses pensées et réflexions. Sans trop de fards, car le porno est surtout une industrie. Il est évident que l’actrice dévie rarement du thème central de son blog, qui reste la pornographie et la sexualité. Elle envisage le porno de manière littéraire, parfois érotique. Ainsi, à l’instar d’une sociologue, elle évoque le lien entre porno et clubs aux EtatsUnis. Elle établit une sociologie des strip-teaseuses et plus particulièrement des feature-dancer, les pornstars engagées dans des clubs de strip. « Sachez d’abord que la feature-dancer est rarement la bienvenue parmi les strip-teaseuses. Beaucoup mieux payée, traitée avec soin, c’est un peu la favorite du sultan qui s’affiche dans le harem. » 1 Vocabulaire étayé, style fluide, elle présente les habitus des « filles », leur langage, leur relation avec les hommes et le métier. Katsuni ne se cantonne pas aux actrices mais s’intéresse également aux acteurs. « L’érection. Tout commence là ; du moins, dans un porno » explique-t-elle. Il est vrai que l’acteur est bien moins exposé et par conséquent moins sujet aux préjugés. On n’entendra jamais dire qu’un hardeur « monnaye
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KATSUNI, LE PORNO INTELLO! za dignité » ou « se prostitue » dans un film. De part la consommation majoritairement masculine des vidéos classées X, les actrices sont davantage stéréotypées. Seulement, Katsuni pointe les difficultés physiques et morales de l’acteur qui subit une pression redoutable notamment en ce qui concerne son érection. Le viagra et tout ce qu’il représente est passé au crible et c’est une tout autre image du hardeur qui apparaît sous sa plume.
Une pornstar dans son temps En plus d’une sociologie aiguisée du monde du porno, le blog de Katsuni parle tournage et technique. Elle développe par exemple, dans un billet truculent 1 , la préparation d’une scène d’orgie réunissant pas moins de dix-sept acteurs et actrices. Techniques de caméra, difficulté pour booker les actrices, comparaison avec ses débuts, elle propose une étude approfondie des tournages sans que cela tombe dans le voyeurisme. « Aujourd’hui, tout se tarifie, rien ne se fait au hasard. » On apprend ainsi qu’un film X ne se fait pas « à l’arrache » mais se prépare exactement comme un film hollywoodien, avec des gros budgets et des régisseurs qui s’arrachent les cheveux. Elle cherche également à questionner l’intimité des acteurs s’interroge sur l’impact de leur métier sur leur vie de femme et d’homme. Peut-on être en couple ? Comment vit le petit ami d’une actrice X ? Pourquoi cela peut-il choquer une actrice maman ? Ces questions nous paraissent anodines mais ne sont que peu posées par les consommateurs de pornographie. On oublie vite que la femme sexy qui joue à l’écran a une vie privée, un copain, une famille, des enfants. Katsuni replace l’actrice porno dans son temps. Elle n’hésite pas à parler de l’usage de Twitter petite révolution dans la relation entre les actrices et leur public, et ses conséquences sur leur personnalité. « L’actrice se fait coiffer, elle attend que l’acteur arrive, fait une pause déjeuner... son smartphone chauffe dans la paume de sa main, connecté. [...] Twitter, un espace virtuel où l’on peut s’exposer tout 1. 2. 3. 4. 5.
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vous avez toujours quelqu’un à votre écoute et a priori quelqu’un désireux d’en savoir toujours plus [...] plus besoin d’interview pour se faire entendre, la parole est à prendre 24/24h et ce de manière illimitée. [...] Les idoles d’aujourd’hui revendiquent leur droit à être imparfaites, faibles, fissurées... humaines. Si la perfection fait rêver, elle demeure lisse, lointaine et intouchable. Elle sent le mensonge et l’artifice. Elle effraie. » 1 Twitter permet de s’exposer différemment puisqu’acteurs et actrices semblent garder le contrôle sur leur intimité.
« Il n’en faut pas plus pour piquer ma curiosité. » Ce qui frappe chez Katsuni en lisant son blog c’est son appétit - sans jeu de mot - d’information et de compréhension du monde qui l’entoure. Pour cela, elle réalise des interviews. Elle se penche sur le film de Pascal Arnold Chroniques sexuelles d’une famille ordinaire et discute avec lui, telle une véritable journaliste, de la sexualité, du rapport au corps présenté dans le film. Par ailleurs, elle s’intéresse aux textes du rappeur Orelsan. « Je viens de moralement condamner un homme pour l’image qu’il donne à travers ses textes, alors que je suis moi-même jugée pour celle que je renvoie dans mes films »5. Voilà ce qui captive Katsuni, c’est la remise en question constante de son métier par rapport aux autres domaines de la société. Ainsi, dans l’interview qu’elle réalise, le jeune rappeur présente sa vision du porno mais également le lien entre musique et sexualité. Ce que veut dire « trash » et où est ce qu’on peut aller que cela soit en musique comme dans le porno. Et au milieu de ses articles sur l’industrie du X, Katsuni se permet, avec talent, d’écrire une nouvelle, Parenthèse érotique, mettant en scène les désirs sexuels d’une jeune femme. De Sciences Po à Los Angeles, en passant par les clubs et les plateaux de tournage, son ordinateur où elle écrit ses billets comme de courts essais de sociologie, la charmante Katsuni n’en finit pas de nous étonner
« Dans la peau d’une actrice porno… Sur le tournage d’une double pénétration » ; 28/03/2012 « Dans les loges des strip-teaseuses » ; 5/08/2011 « Comment réaliser une bonne orgie… ou pas » ; 31/08/2011 et 13/09/2011 « De l’usage de Twitter par les actrices porno 1/2 – Du désir d’être soi, et une autre » ; 29/10/2011 Katsuni rencontre Orelsan : « Le porno est une forme d’art » ; 6/06/2012
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LES LOGOS, NOS NOUVEAUX !
Avec une croissance de 11% en 2012, selon un rapport de l’agence PQ Media, le placement de produit semble être la cible d’un intérêt renouvelé. L’augmentation des dépenses de placement est-elle le reflet d’un changement de stratégie des grandes marques ? Comment expliquer l’engouement des annonceurs pour cette technique publicitaire ? À en croire le buzz provoqué par la sortie du dernier James Bond, journalistes et cinéphiles ne s’étaient pas rendus compte de l’essor que prenait le phénomène. !
! par Alizée
HÉROS !!
En octobre dernier, le contrat 1 entre Heineken et les réalisateurs de Skyfall provoque des réactions très mitigées. Si la plupart des journalistes soulignent et reconnaissent le rôle des marques dans le financement et la promotion du film, beaucoup s’interrogent encore. Démesure, marchandisation à outrance, homme-sandwich, l’espion britannique est l’objet de critiques souvent à peine voilées.
Cogez !
Il est étrange d’observer que la polémique autour du placement de produit ressurgit occasionnellement mais que le grand public reste très mal informé et relativement indifférent. Le véritable débat se situe en réalité chez les professionnels du cinéma et de la publicité, confrontés quotidiennement aux enjeux du sujet. Du point de vue des studios cinématographiques, on questionne l'impact du placement sur l'intégrité du film. La contribution de marques à la production d'un film est-elle nécessaire ? Ne distrait-elle pas le réalisateur de l'intérêt du film ? Le besoin de camouflage des marques ne va-t-il pas influencer le scénariste, lui faire perdre son temps, ou modifier les intrigues ? Si les studios prennent finalement le temps de nouer des partenariats, c’est pour plusieurs motifs, et la raison financière n’est pas toujours la plus importante.
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LES LOGOS, NOS NOUVEAUX HÉROS!
« Orgie de consumérisme » « Nous vivons dans un univers consumériste de marques » rappelle Jean-Marc LEHU. Un film se déroulant à notre époque manquerait de réalisme si aucune marque n'était représentée à l'écran. De plus, le placement d’une marque comme référence, comme repère pour le spectateur, est un recours qui simplifie la création de sens. Lorsque Blair Waldorf porte une robe signée Christian Dior dans la sulfureuse série Gossip Girl2, ou bien quand elle utilise son Macbook d’Apple, le spectateur l’associe aux valeurs de ces marques très haut de gamme. Au contraire, dans Wayne’s World, l’apparition successive et flagrante de Pizza Hut, Doritos et Reebok donne une image bien moins sophistiquée des personnages. D’autre part, le budget moyen des longmétrages subit une forte tendance à la hausse, et la contribution financière, matérielle, ou communicationnelle d'une grande marque reste un moyen très recherché par les producteurs pour mener leurs projets à terme. Du point de vue des marques, pour l’instant aucune étude n’a pu chiffrer l’efficacité d’un placement au grand écran (en termes d’effet direct sur les ventes par exemple), même si l’impact de certains grands succès hollywoodiens a été prouvé. La diversité des placements est un obstacle à la mesure de leur effet ; chaque apparition se fait dans un contexte unique. Les contrats qui scellent l'accord entre le producteur, le réalisateur, et l'entreprise sont de plus en plus détaillés, spécifiant la manière dont le placement sera intégré au scénario, la place du produit ou du logo dans le décor, sa relation aux personnages ou bien encore la
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durée d'exposition. L'intégration d'une marque ou d'un produit peut être faite de manière plus ou moins subtile, et un peu de discrétion assure parfois une meilleure perception par le public. En fait, le spectateur n’est réellement choqué que par un placement mal intégré ou mal fait, ou bien par des placements trop nombreux dans un même film... Une critique publiée en 2008 par le Guardian parle même d’une « orgie de consumérisme et de trivialité » à propos du film Sex and the City. Les médias se font les relais de l’opinion générale en désapprouvant certains films qui deviennent à leurs yeux de vrais panneaux publicitaires. Sex and the City est de loin le champion (94 marques différente rien que dans le premier opus), mais on a aurait pu parler aussi de Minority Report (44) ou plus récemment de Ted (38). En comparaison, le tant décrié James Bond a une moyenne de 17,5 marques placées par film sur les 4 dernières sorties cinéma.
Un travail de pro Fort heureusement, il y a des placements plus intelligemment réussis, et qui apportent une valeur ajoutée au film. C’est le cas d’Ikéa dans Fight Club. David Fincher s’est servi de l’esthétique très reconnaissable de la marque pour introduire son personnage principal. Dans une des toutes premières scènes, celui-ci évolue dans un salon reconfiguré façon catalogue 3D Ikéa, parfaitement anonyme, Monsieur Tout-le-monde. Le placement de produit ne donne lieu à une rétribution financière que dans 1/3 des cas3, preuve que les réalisateurs trouvent souvent un intérêt à utiliser des marques. Dans le cas de Fincher, Ikéa est un symbole du monde de la consommation.
LA GRANDE AVENTURE DES MARQUES, VUE DES COULISSES DES PREMIERS SUCCES…
1933
1982
1980
1962
… AUX PLACEMENTS LES PLUS OUTRANCIERS SEUL AU MONDE
SEX & THE CITY 2
2000
2010
QUELQUES CHIFFRES
SKYFALL (James Bond) Part du budget (selon estimations) :
PLACEMENT DE PRODUITS *
1/3 Autres financements
Croissance du secteur en 2012 :
12%
Paiement en contrepartie du placement de produit (en moyenne) :
RETRIBUTION FINANCIERE
* Soit 45 millions de $ Autres rétributions
LES LOGOS, NOS NOUVEAUX HÉROS!
Dans d’autres cas, le simple soutien matériel ou logistique (barter agreement) à la production peut être une contribution suffisante. Les différentes marques de voiture dans les films d'action sont devenues un incontournable ; le spectateur serait surpris par la présence d'un véhicule non identifié si ce n'est par sa marque et/ou son modèle. Ainsi la saga Taxi, avec Samy Naceri, est inséparable de la Peugeot 406. Et en contrepartie, les prêts de véhicules ont évité des frais non-négligeables au cours du tournage. Les placements d'appareils électroniques hightech passent également de plus en plus inaperçus : dans les films, mais aussi dans les clips vidéos ou dans les séries, comme Sony dans le clip de Britney Spears, Hold It Against Me.
Toujours plus Chaque année désormais, les meilleurs et les pires placements sont récompensés par les Brandcameo Product Placement Awards du site américain brandchannel.com. En 2013, The Amazing Spiderman obtient le prix du plus mauvais placement de produit. L’acteur principal effectue une recherche sur son mobile grâce au moteur Bing. Loin d'améliorer l'image de Bing auprès des spectateurs, les critiques ont afflué pour dénoncer ce super-héros non-conformiste. Le placement était trop flagrant aux yeux des spectateurs, habitués dans leur vie de tous les jours au leadership de Google. Brandchannel a récompensé, entre autres, le film Looper pour un tout nouveau genre de
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placement de produit. Outre Mazda et Pepsi, la principale marque à s’être invitée au scénario n’est pas une entreprise, mais un pays : la Chine. La production a passé un accord avec la société DMG Entertainment, basée à Shanghaï, pour y tourner certaines scènes, alors qu’elles étaient initialement prévues à Paris. Pendant une séquence, l'un des personnages conseille à son acolyte "Je viens du futur : tu dois aller en Chine". La force du message est claire. En retour, les associés chinois ont participé au budget et contribué à promouvoir le film. Looper n’était pas le premier. Avant lui, il y a eu le dernier Mission Impossible, en collaboration avec Dubaï. Et ce n’est qu’un début, car ces pionniers sont déjà imités par un autre film à gros budget, Ironman 3, lui aussi impliqué en Chine. Pour tous ceux qui voient le cinéma comme une extension de la télévision, et les films comme des objets de divertissement, la démarche des producteurs de Mission Impossible, de Looper et d’Ironman offre de nouvelles possibilités aux professionnels de la publicité et du marketing. En revanche, les défenseurs du 7ème art qui prônent l’imperméabilité aux logiques commerciales ont du souci à se faire. Il est possible que le monde du cinéma connaisse une rupture idéologique entre les partisans du placement de produit et les défenseurs de la création artistique libre. Pour autant, la renommée d’Andy Warhol n’a pas terni la réputation de Michel-Ange, ni empêché la popularité de Liu Bolin 35 millions d'euros, soit près d'un cinquième du budget total du film, pour que 007 remplace sa traditionnelle vodka-martini par une bière Heineken. Saison 3 Episode 15 notamment. La publicité est dans le film, Jean-Marc LEHU, Éditions d’Organisation, 318 pages, 27,30 euros.
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Instantanés
Moscou, Russie Novembre 2011
© Lou & Artémis – Maurane Pauli
L’ORIGINE DES MOTS. !
par Lucas
Lebrun & Maurane Pauli!
Deux spécialistes réputés, philologues, linguistes, étymologistes, épistémologistes, pitres poètes, cruciverbistes professionnels, docteurs en langues diverses et variées, troubadours modernes des Lettres anciennes, proposent une fine analyse de deux expressions bien d’chez nous.
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L’ORIGINE PÉDÉ COMME UN PHOQUE voile/grec/pinnipède
MOTS CLÉS
Pédé comme un phoque, gay comme un pinson… Les proverbes ont le stéréotype facile concernant les animaux. Aucune observation toute scientifique quelle qu’elle soit n’a jamais confirmé l'homosexualité du phoque. Ni du pinson d’ailleurs. par Lulu Joy-Eudrille, aventurier barbu Sens 1 : Comportement audacieux s'apparentant aux joyeuses pratiques des phoques membres de la famille des Phocinae cystophora sodomita (pinnipède à capuchon). Sens 2 : Donner la même application à la « tâche » que le capitaine de la corvette HMS Condoms, Andrew Fock, lors de sa fameuse prise à revers dans les derniers instants de la « bataille de l'île de Gay ». Sens 3 (le plus rare) : Le terme péjoratif « pédé » est en réalité tiré, sans raison apparente, du terme grecque : « !"#$%&'()* +,(-" », apparu lors de l'introduction de la natation aux Jeux Olympiques de -93 av J.C. « Pédé comme un phoque » revient à dire : maîtriser le dos crawlé à la perfection (tel un phoque). !
Revenons-en aux faits. L’explication première nous viendrait de la marine et plus particulièrement de la petite voile triangulaire placée à l’avant du bateau, le foc. Celui-ci prenant le vent par l’arrière je vous laisse faire le rapprochement, seuls comme des grands. D’autres apportent une définition bien plus historique, tirée par les cheveux je vous l’accorde. Les mœurs des Grecs anciens et celles de la ville de Gêne étant portées
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sur les hommes et le grand foc se nommant également « génois », il a été facile de passer de « pédé comme un grec » à « pédé comme un génois » et enfin à « pédé comme un foc ». La déformation écrite suivante est pour nous un mystère, le phoque n’ayant clairement rien à voir dans tout cela… Une autre explication que l’on peut retenir nous vient d’un grand malin qui aurait fait le lien entre la fameuse famille des pinnipèdes, dont le phoque fait partie, et les très classieux termes « pine » et « pède ». Il fallait quand même le trouver... Aux vues du caractère mystérieux qui entoure l’association entre les phoques, simples mammifères exilés sur leur banquise, et les homosexuels, permettons-nous une dernière explication. Nous ne sommes pas sûrs que celle-ci soit vraie. Laissons chacun choisir selon ses goûts. Cette exquise expression serait en réalité relative à la marine anglaise réputée elle aussi pour ses mœurs à la grecque - ou à la génoise - et qui employait très fréquemment le mot « fuck ». La francisation aurait fait le reste. Très moyen on l’admet. Si vous non plus vous n’appréciez pas cette expression, il vous est toujours possible de vous rabattre sur les équivalents de nos chers voisins : « Bizarre comme un bœuf au bal » diront les Irlandais, la Queen of England préférant « Pédé comme une rangée de tente », les Bas-Pays optant pour « C’est une vraie cousine ». M.P.
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DES MOTS. AVOIR LES PORTUGAISES ENSABLÉES MOTS CLÉS
!! ! par Maria de Boas Maneiras, ! audiologiste spécialité pileuse !
Avoir les portugaises ensablées, curieuse expression pour signifier ne rien vouloir entendre. Symboliquement les portugaises sont en effet associées à nos pavillons récolteurs de son : j’ai nommé les oreilles. Pourquoi portugaises ? Bien évidemment à cause de la pilosité des susnommées, que l’on retrouve abondante dans la cavité de nos petits lobes. Or, à partir des années 1950, les Portugaises se sont mises en grève, lors la crise de la Jetée. Petit point historique : la crise de la Jetée correspond à la période de surconsommation de fruits de mer qui entraina une baisse fulgurante des prix ; particulièrement des huitres cultivées sur la côté portugaise par la gente féminine. Les hommes étant réquisitionnés sur les bateaux pour la pêche au large. La grève perdura de longs mois durant lesquels nos fières matrones du Portugal, ignorant les forces de police autoritaires, siégeaient sur les places communes, les ports et les plages. Pieds dans le sable, elles bloquaient l’accès au commerce maritime. Ne cédant devant les menaces, les Portugaises réussirent donc à obtenir du gouvernement une hausse du prix de leur marchandise. Au bout de plusieurs mois les assiettes vides firent céder les dirigeants franquistes. Origine pour le moins héroïque dont la signification est tombée dans l’oubli, remplacée par une expression au style balourd et quelque peu vulgaire.
!huitre/poil/1950!
Et non, cette expression n'a aucun lien avec cette dernière : « j'ai les bonbons qui collent au papier ». C'est bien dommage d'ailleurs parce que ça sonnait plutôt bien à voix haute : « j'ai les portugaises ensablés » cf : La classe américaine. Il ne faut pas chercher l'origine de cette étonnante tournure dans une sombre boutade facilement raciste de quelques officiers soûlards de la Coloniale, mais bel et bien dans un... mollusque à coquille. En effet, la forme de l’huître portugaise ressemble étrangement à une oreille. Par contraction argotique vers 1950, l'expression « les portugaises ensablées » signifie « avoir les oreilles bouchées », à l'image du sable contenu dans le coquillage, assimilé au conduit auditif. Contraction : « Embouteiller les portugaises » revient à dire « casser les oreilles ». Nos amis belges utilisent quant à eux cette phrase « avoir de la rijstpap dans les blaftures » : « avoir de la pâte de riz dans les oreilles », alors que nos voisins espagnols emploient l'expression : « sordo como una tapia », qui, une fois traduit, donne : « sourd comme une clôture ». L.L.
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Instantanés
Paris, France Septembre 2011
© Lou & Artémis – Fanny Anseaume
LE JEU-VIDÉO PEUT-IL DEVENIR LE 10ème ART ? vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv
!À l’heure où le jeu vidéo n’est plus l’apanage d’une minorité, le
secteur vidéo-ludique est toujours en mal de reconnaissance, et peine à trouver sa place sur la scène culturelle française. Ses ressources sont pourtant infinies et croisent de plus en plus les différents champs artistiques.
par Bastien
Resse
Chaque année, la valse des costumes trois-pièces et des robes à paillettes fait chanter la Croisette. On peut alors admirer les plus grandes pontes du cinéma gravir les marches du Palais des festivals, suivis de brillants techniciens, compositeurs de renoms et autres artistes illustres. Imaginez maintenant que ces grands noms puissent être des créateurs de jeux-vidéo, des doubleurs, des programmeurs ou des level-designers. Étonnant, non ?
En décembre dernier aux Etats-Unis, le célèbre et charismatique Samuel Lee Jackson enflammait le public déchaîné de Culver City pour la 10ème édition du Spike Video Games Awards, qui récompense les meilleurs jeux de l’année à l’aide d’une panoplie complète de prix et distinctions. Invités de marque, retransmission en direct et surprises en tous genres, l’évènement sut une nouvelle fois mobiliser les médias à bon escient.
Mais pourquoi ces gens viendraient-ils souiller le sol de Cannes et y exposer leurs babioles pour jeunes boutonneux asociaux, diront les plus susceptibles d’entre vous ? Si vous appartenez à cette dernière catégorie, vous n’avez sûrement pas eu l’occasion de découvrir l’étonnante diversité qu’offre aujourd’hui le monde du jeu. Et vous êtes loin d’être les seuls : nombreux sont ceux qui en France ne prennent pas la mesure de ce nouveau média en mal de reconnaissance.
Certes, on est bien loin de l’ambiance chic et élitiste de Cannes, mais l’intention est là : récompenser un genre qui mérite amplement qu’on s’y intéresse. Ce type d’évènements pourrait-il voir le jour en France ? Verra-t-on demain le César du meilleur jeu-vidéo ? Au vu du potentiel des créateurs français et de la place du secteur dans l’économie du pays, l’idée semble alléchante mais pourtant peu plausible. !
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LE JEU-VIDÉO PEUT-IL DEVENIR LE 10ème ART ?!
Un secteur bien ancré dans le paysage économique et culturel Précisons que la France dispose de fleurons dans ce domaine : sans parler de la marque au tatou, « Infogrammes » et de sa tragique destinée, beaucoup de studios de taille petite ou moyenne, tel Arkhane Studios basé à Lyon – responsable de l’excellent Dishonored, font preuve d’un dynamisme et d’une solidité à toute épreuve. Au total, près de 300 entreprises françaises travaillent dans le secteur, unies sous la bannière des deux principaux syndicats, le SELL (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs) et plus généralement la SNJV (Société Nationale du Jeu Vidéo). Et puis, bien sûr, il y a le géant français, un des leaders mondiaux dans le développement, l’édition et la distribution : Ubisoft. Une entreprise internationale si présente à l’étranger qu’on oublierait presque l’origine de son nom : « soft » pour « software », logiciel en anglais (je ne vous apprends rien) et « ubi » pour… « Union des Bretons Indépendants ». Preuve irréfutable de la capacité innée des bretons à s’immiscer dans les rouages du marketing - les filières du cidre et du quatre-quarts leur doivent beaucoup. Mais outre cet aspect purement économique, la culture du jeu vidéo est quant à elle définitivement ancrée en France. Le succès croissant d’évènements centrés sur le jeu comme la Paris Games Week et le Toulouse Game show en témoigne. Internet reste également un indicateur appréciable, avec l’émergence de véritables stars françaises de la culture jeu-vidéo.
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Citons pêle-mêle, parmi les nombreuses fictions et autres podcasts, le Joueur du Grenier, 36 15 USULE ou encore la web-série Noob, qui, ensemble, cumulent des centaines de millions de vues sur Youtube. À noter que la culture du jeu se démocratise, ne se cantonne plus au « hardcore gaming » sur console et sur PC mais s’étend au « casual gaming », sur tablette ou téléphone. Le terreau est là, le public bien présent, mais l’intelligentsia bleu-blanc-rouge aura sûrement du mal à sortir de son carcan. Pourquoi ? Tout simplement parce que le jeu conserve cette image populaire, soit « beauf », soit « nerd », et qu’on ne se permet pas de l’observer comme un objet culturel et artistique en soi. Il faut dire que l’univers du gaming a du mal à se désolidariser de la culture geek en général, tiraillé entre l’ambiance ultra-kawaï du Soleil-Levant et les super-héros gonflés aux stéroïdes issus des comics américains. Dire que la France ne reconnait nullement ses talents relèverait de la mauvaise foi, car quelques politiques ont su apprécier le jeu à sa juste valeur : en 2006, le Ministère de la Culture nomme 3 personnalités du jeu vidéo - dont deux français - au grade de Chevalier des Arts et des Lettres, notamment Michel Ancel, le père de Rayman, Shigeru Miyamoto, créateur de Mario et de Zelda et Frédérick Raynal, à qui l’on doit le fameux Alone in The Dark. Ces discrètes récompenses mises à part, point de cérémonies en grande pompe pour célébrer le jeu vidéo dans sa diversité.
Un univers de plus en plus décloisonné Dans le monde anglo-saxon, cette reconnaissance par l’élite artistique existe depuis plus de dix ans. Il faut dire qu’en à peine deux ans, le chiffre d’affaires du secteur du jeu vidéo au niveau mondial a augmenté de 43,2 % et devrait atteindre 75 milliards en 20151 : il serait dommage de rater le coche. Conscients du potentiel que représente le monde du jeu vidéo, plusieurs comités récompensent les jeux les plus méritants, et les récompenses sont très diverses, tant le jeu est à la croisée des chemins : cinéma, littérature, musique, etc. L’une des plus prestigieuses reste sûrement les British Academy Film and Television Art Awards ou BAFTA qui récompensent, entre autres, les meilleurs jeux-vidéos depuis 1998, au point d’en faire une catégorie à part en 2004 : les British Academy Video Games Awards. On y honore chaque année la meilleure innovation, la meilleure bande originale, la meilleure direction artistique ou encore le meilleur scénario original. Aux Etats-Unis, les Spike Video Game Awards sont sans conteste la référence, mais de nombreux autres évènements sont organisés à travers le continent américain. Fort de cette médiatisation, les plus grands développeurs américains essayent de quitter la simple sphère de la console et de la souris pour offrir une place de choix à leurs poulains sur le grand écran. S’il est courant en effet de voir un film voire un livre, comme la saga Tom Clancy, être adapté en jeu, rares sont les licences vidéo ludiques à franchir la frontière de l’adaptation,
et quand elles y parviennent, c’est rarement pour le meilleur, souvent pour le pire. Ceux qui gardent en mémoire le Tomb Raider de Simon West sorti en 2001, se souviennent sûrement de ce film insipide et un brin stéréotypé, qu’une Angeline Jolie pulpeuse à souhait et un Daniel Craig bodybuildé n’ont pas réussi à sortir de la mélasse.
Au total, un bilan mitigé : plus de 100 000 entrées au box-office mais une plâtrée de clichés définitivement ancrés dans l’imaginaire collectif. C’est là que le bât blesse : le secteur du jeu vidéo peine à percer les autres médias, et quand il le fait, ce n’est pas sous son meilleur jour. Triste constat pour cette partie émergée de l’Iceberg, qui dissimule un trésor d’ingéniosité, de créativité et de bon goût, en témoigne le foisonnement qui agite l’univers du jeu indépendant depuis des années.
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LE JEU-VIDÉO PEUT-IL DEVENIR LE 10ème ART ?!
L’Independant Game Festival, qui se tint en mars dernier à San Francisco, offre justement un florilège de ces bijoux de poésie et de technologies. Les formes se renouvellent, les frontières entre jeu, fiction, cinéma et littérature s’atténuent. Un exemple parmi d’autres : Dear Esther, développée par The Chinese Room et primée lors du festival, est littéralement un roman à ciel ouvert: le joueur parcoure le paysage désolé d’une île bucolique, en suivant la voix du narrateur, découvrant l’intrigue au fur et à mesure de ses pas, à l’instar d’un roman épistolaire dont on pourrait contrôler le rythme et renouveler à chaque lecture. Et les exemples abondent : Kentucky Road Zero réinvente le road movie, Voyageurs évoquerait presque un Petit Prince réincarné dans un jeu d’exploration à l’esthétique épurée, tandis que Cart Life sait habilement mêler les genres sur un fond d’apparence austère et simpliste. Il devient de plus en plus difficile de dresser la liste de ces petits chefs-d’œuvre tant celle-ci s’allonge d’année en année. Mais nul besoin de se cantonner au jeu indépendant, « d’art et d’essai » dirait-on avec malice, pour trouver des productions de qualité. Et pour s’y plonger en profondeur, un petit détour par les platines s’impose.
Jeu et son : un exemple parlant La musique et le son fournissent pléthore de cas éloquents quant à la porosité croissante entre le jeu vidéo et les autres champs culturels. Commençons par le plus noble des instruments : la voix. De très célèbres acteurs ont prêté leur voix à des personnages de jeu : Liam Neeson, Jean Reno, Samuel Lee Jackson et Christopher Walken se sont tous les quatre prêtés à l’exercice. !
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En France, où le doublage est par essence bien rodé, il n’est pas rare d’entendre la voix officielle de Russel Crow (Marc Alfos) ou Ewan Mac Gregor (Bruno Choel) donner vie à nos héros virtuels. Certains compositeurs possèdent également la double casquette : Michael Giacchino, à l’origine du thème du cultissime jeu de tir Medal of Honor a également travaillé sur la bande originale de la série Lost, des Indestructibles de Pixar ou encore du dernier Star Trek. Citons Jesper Kyd, le père de l’excellente bande originale d’Assassin’s Creed, qui enchaîne les allers-retours entre le monde de la bobine et celui du gaming, ou encore Clint Mansell, qui signe la bande du dernier Mass Effect et à qui l’on doit la musique… de Requiem for a Dream, et de Drive... rien que cela. Le constat est encore plus marquant lorsque la bande-son du jeu reprend des titres extérieurs, célèbres ou peu connus, actuels ou d’un autre âge. L’univers du jeu-vidéo a évidemment son lot de « placements produits » à la sauce musicale, à l’instar de Linkin Park qui s’offre une place au chaud dans Call of Duty Black Ops. Mais il peut être un vecteur de renommée pour des petits groupes peu connus. Dans le jeu d’infiltration Splinter Cell : Chaos Theory, la présence de radios musicales fictives dans l’environnement du jeu permettait de couvrir vos sanglants assassinats en profitant d’un bon vieux solo de guitare. Fait amusant, on devait les quelques titres diffusés en boucle sur les ondes virtuelles à un seul groupe relativement peu connu : les australiens de Kesshin. Au final, une excellente opération pour les deux parties: le développeur n’eut pas à payer les droits exorbitants que peuvent exiger les groupes les plus célèbres, et Kesshin enregistra une vente record de ses albums dès la sortie du jeu en 2005.
On ne peut non plus passer sous silence la foule de jeux qui utilisent nos bonnes vieilles chansons d’antan. Par exemple, dans le blockbuster Bioshock, premier du nom, des jukebox sont à disposition du joueur qui peut alors réécouter à sa guise des grands classiques de la musique, notamment des reprises de Django Reinhardt ou des valses de Tchaïkovski. Bien loin de l’image que l’on peut prêter d’ordinaire aux jeux de tir et d’aventure.
Une question de génération ? Cette porosité ambiante ne sert pas forcément le jeu vidéo : on en viendrait presque à se demander s’il n’est pas un simple patchwork de genres, une sorte d’alchimie complexe entre le cinéma, la musique et tant d’autres, qui le priverait d’une existence propre. Pour affiner la question, il faut se pencher sur ce qui fait la spécificité du jeu : l’interaction. C’est la possibilité au joueur d’agir qui donne sa force au jeu, avec tous les avantages et les risques que cela comporte. L’interaction offre un nouveau souffle, un nouveau prisme à l’image et au son, elle décuple les possibles. Jeu engagé, jeu éducatif, jeu d’immersion : les usages sont multiples, les possibilités infinies et les déviances tout à fait possibles. Quelques penseurs ont cherché à explorer cet univers peu courtisé, comme le chercheur et game-designer Gonzalo Frasca.
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Frasca précise sur son blog Ludology que le jeu introduit un nouveau paradigme dans nos relations avec le monde, celui de la simulation2 nous y reviendrons dans un prochain article. Et c’est précisément cela qui cristallise les angoisses, prenons-en pour preuve la récente tuerie d’Istres du 25 avril, dont l’auteur a été décrit dans les médias comme un asocial jouant beaucoup aux jeux vidéo de « guerre ». Si le jeu vidéo peut avoir une influence sur des individus marginaux et fragilisés, la notion d’interaction est souvent prisonnière de raccourcis en tous genres et d’amalgames grossiers. Ce sont ce genre d’œillères qui laisse l’univers vidéo-ludique sur le bord de la route. Mettre au grand jour les créations des développeurs aurait pourtant un effet d’entraînement conséquent, et aurait pour mérite de faire monter le niveau du débat. Soyons clairs : vous aurez toujours sur le marché du jeu vidéo des jeux sans grand intérêt, où l’unique but sera de dézinguer à tout berzingue des hordes de zombies, servi par une bandeson pop-rock aux airs de déjà-vu. Mais comme au cinéma, il en faut pour tous les goûts. Au même titre que l’on peut avoir envie de se vautrer devant un film de Michael Bay, il est des fois où l’on préfèrerait siroter un thé en regardant le dernier Woody Allen, bien au chaud dans un pantalon de velours beige. Pour le jeu vidéo, c’est la même chose. Le faire comprendre à tout un chacun, c’est une autre histoire
“The Worldwide Market Forecasts for the Video Game and Interactive Entertainment Industry » by Forecast Global Simulation versus Narrative: Introduction to Ludology,Gonzalo Frasca, 2003
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Palerme, Sicile Septembre 2013
© Lou & Artémis – Maurane Pauli
Vous avez dit “musique classique” ? par Romain !
Lagarde
Un grand nombre de mélodies tirées des grandes œuvres classiques sont reprises dans de nombreux domaines. Au cinéma, dans la publicité, dans les airs populaires. La musique électronique prévaut sur la scène musicale, notamment chez les 18-25 ans au détriment d’une certaine musique considérée comme dépassée ou bourgeoise. Mais nous allons voir que ces mélodies n’ont pas disparu, loin de là.
La jeune génération écoute de la musique, passe l’été dans les festivals, meurt en soirée les tympans éclatés par du dubstep. Nous sommes mélomanes ! Notre pote hipster, le casque négligemment posé sur sa tête barbue, « joue » ce soir. Mais dites moi, y auraient-ils des cordes, des clés, des archets sur une table de mixage ? Le terme « jouer », emprunté au vocabulaire orchestral par les pros du son électronique, dénote un peu. Notre pote « mixe » ce soir. Much better ! La musique électro serait la petite sœur de la musique dite « classique »1 de par sa complexité, son mix d’instruments divers et sa structure. Pour les jeunes sortant du conservatoire, ayant subi des heures interminables de solfège, cette filiation est impensable. À la complexité de la musique électro, ils répondent balivernes. Au mix des instruments, ils jurent « même pas vrai » ! Comparer Beethoven et C2C leur paraît inconcevable. Mais les amateurs de musique électro répliquent de la même façon. Ils pensent le « classique » ennuyeux et dépassé. Pour les moins bourgeois d’entre eux. Seulement, ils sont loin de se douter que les airs chiants de Mozart, Chopin et Tchaïkovski sont repris par tout ce qui les entoure. Publicités, films, musiques populaires. Ce sont les compositeurs qui font la gueule ! Pourquoi se sont-ils embêtés à composer deux heures de symphonies et quatre mouvements, une heure trente de concerto et trois mouvements, où ils développent leur thème musical sur une portée à quarante lignes, pour qu’on retienne dix minutes de leur œuvre ?
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Plagia ou hommage ? De nombreux artistes populaires ont pioché leur mélodie dans le répertoire classique. Serge Gainsbourg aimait Chopin. Et ses Études lui ont paru assez convenables pour les transposer électroniquement dans ses chansons. La mélodie de Lemon Incest, dans laquelle Charlotte s’égosille sur un divan, est la copie parfaite de l’Etude n°3 « Tristesse », que Chopin a composée en 1832. Seulement, savait-elle que le compositeur polonais l’accompagnait dans la chanson ? On pourrait entrer dans des évaluations sociologiques et dire que cette transposition a permis aux classes populaires d’entendre une musique réservée aux habitués de l’Avenue Montaigne. Mais les fans de Gainsbourg étaient loin de se douter que c’était du Chopin. Et l’engouement en aurait été moindre s’ils l’avaient su. L’exemple de Lemon Incest est transposable à mille autres chansons populaires. Et je ne pourrai dire s’il s’agit d’un hommage rendu aux compositeurs ou d’un « vol » de mélodie. La musique en image Cinéma et musique sont indissociables depuis toujours. Outre les compositeurs de musique de film, le cinéma reprend les œuvres classiques pour illustrer les scènes. Et certains airs, déjà
1. À ne pas confondre avec la musique de l’époque classique, située entre la musique baroque et et la musique romantique, et dont le compositeur de prou fut Jean-Sébastien Bach. La musique « classique » dans le langage courant s’oppose à la musique populaire et peut être synonyme de la musique « précieuse »
! connus par les mélomanes, deviennent mythiques pour le reste de la population, de par le film qu’ils représentent. « La Chevauchée des Walkyries » de Wagner est devenue emblématique des scènes de guerre grâce au film Apocalypse Now de l’illustre F.F. Coppola. Malgré la méconnaissance historique de ces mélodies tirées d’œuvres classiques, elles font partie de l’imaginaire collectif et les cinéastes, en bons représentants de leur époque, les utilisent dans leurs productions. Les compositeurs de musique de film ont repris également la structure classique en utilisant l’orchestre comme support et en composant de littérales symphonies avec un thème et un développement. Le couple hollywoodien Hermann/Hitchcock en est le parfait exemple. En analysant les musiques des films de Hitchcock, on retrouve les méandres de l’orchestre symphonique. Un cuivre pour symboliser le suspense. Un violoncelle pour prédire un amour sombre. Une flûte pour parsemer le film d’espoir. Le caractère dommageable de cette histoire repose sur le désintérêt des gens pour les œuvres complètes des compositeurs alors qu’ils en apprécient une partie dans un film ou une publicité. Très peu de spectateurs prennent le temps d’établir le lien entre la mélodie et son compositeur réel. Sortir Les jeunes ne vont plus aux concerts. Alors évidemment, ils accourent dans tous les festivals pour être « transportés » par Die Antwoord. Mais ils ne se déplacent pas pour voir le philharmonique de Berlin. Pourtant, les prix n’ont jamais été aussi bas pour les étudiants dans n’importe quelle salle ou théâtre et le vieux carcan des concerts classiques « smoking-champagne » n’existe plus. On peut arriver à la Salle Pleyel en t-shirt et payer sa place moins de 10 euros pour 2h30 de concert. Seulement, les salles pullulent de mamies bourgeoises et de mélomanes déchus. La France ne devrait pas laisser ce phénomène empirer. D’autant plus qu’elle connaît une production orchestrale intense et
une éminente aura sur la scène internationale. Peut-être faudrait-il expliquer que les sensations éprouvées lors d’un concert d’électro peuvent être ressenties à l’écoute de l’orchestre de Radio France interprétant la symphonie « Du Nouveau Monde » de Dvorak. Par ailleurs, les orchestres sont de plus en plus nombreux à reprendre des musiques de film dans leur programme annuel. Alors le paradoxe entre passion des jeunes pour le cinéma et les bandes originales et désintérêt pour les concerts classiques fait partie des incongruités de notre temps. Ce qui est sûr, c’est que le cliché afférant André Rieu à la musique classique doit cesser. Les jeunes chefs d’orchestre s’efforcent de « démocratiser » l’accès aux œuvres. En dépoussiérant les tenues des musiciens et l’allure du chef. En rendant plus attractifs les lieux de concert. Mais rien à faire, le nombre de 18-25 ans qui se déplacent pour du classique reste faible. Arrêtez de nous prendre pour des incultes « De toute manière, les jeunes s’en foutent de la musique classique ». Voici la réaction inévitable d’un programmateur de concerts classiques. Certes, peu d’entre nous vont aux concerts et nous n’écoutons guère cette musique. Mais il faut rechercher les causes de cette indifférence et ne pas jeter l’entière faute sur nos épaules d’éphèbes. Nous sommes fanatiques de bandes originales. Nous écoutons des heures durant de la musique électronique qui est la petite sœur moderne du classique – les influences et la structure l’ont montré. Mesdames les organisatrices de festivals, je vous remercie de caler entre C2C et Kavinsky, l’orchestre du Capitole pour un programme autour de West Side Story et la folle musique de Leonard Bernstein. Nous en entendons toute la journée sans le savoir. Si les jeunes ne vont pas vers la musique classique, elle viendra à eux. Non pas que c’est la seule musique qui vaille. Mais parce qu’elle est oubliée par la nouvelle génération, alors qu’il n’y a jamais eu davantage d’intérêt pour la musique qu’à notre époque. Des efforts ont été entrepris mais il faut mettre les bouchés doubles mesdames messieurs les adultes. Le classique n’est pas votre pré carré
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Richard Wagner – La chevauchée des Walkyries Apocalypse Now de F. F. Coppola
1. Ce célébrissime air sera à jamais associé au vol
d'hélicoptères dans l’encore plus célèbre film de Coppola. Cette mélodie triomphante est tirée de l’acte III de l’opéra Die Walkure composé par Wagner dans les années 1860.
Mais Coppola n’a pas été le premier à s’emparer des notes de Wagner. La Chevauchée fut également utilisée dans les Die Deutsche Wochenschau, films de propagande nazie, de trente minutes environ, diffusés toutes les semaines sous la dictature hitlérienne.
Ludwig Van Beethoven – 9ème Symphonie – Final : Ode à la joie. Hymne européen officiel de notre chère Union a été 2. L’air composé par Beethoven dans les années 1820. « La dernière des symphonies », pour reprendre
les mots de Wagner, est composée comme toutes les symphonies de quatre mouvements. Sublimes.
Johannes Brahms - Cinquième Danse Hongroise Le Dictateur de Charles Chaplin.
3. Brahms et sa passion pour la musique tzigane !
Dans la plupart de ses œuvres, on reconnaît la particularité des rythmes et des sonorités de cette musique de l’Est. Mais c’est dans ses vingt et une Danses Hongroises, composées entre 1860 et 1880, que l’on mesure l’engouement que
procure la musique hongroise. La cinquième, sans aucun doute la plus connue, entraîne Charlie Chaplin dans son entreprise d’élagage de poils !
Sergueï Rachmaninov – Second mouvement du Concerto pour piano n°2 All by myself d’Eric Carmen, notamment dans Le journal de Bridget Jones
4. On ne compte plus les artistes qui ont repris cette
chanson. Peut-être pour éteindre la race humaine par explosion de tympans. Mais le thème de cette musique, beuglé par Céline Dion, a été composé par Rachmaninov au tout début du XXème siècle. Comme tout concerto, il est
composé de trois mouvements. Le thème en question est tiré du mouvement lent, le second, qui sous les doigts du pianiste rompt entièrement avec les versions présentées un siècle plus tard. Les deux autres, plus rapides, nous entraînent dans les sonorités graves du piano et de l’orchestre.
Wolfang Amadeus Mozart - Concerto pour piano n°23 Publicité Air France – « L’envol »
5. C’est sur le second mouvement concerto pour
piano de Mozart, composé en 1786, que les danseurs imitent l’envol d’un avion. Ce thème est l’un des plus connus de l’œuvre incommensurable
de Mozart. Par ailleurs, il est rare dans un concerto que le second mouvement soit plus connu que les deux autres.!
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Vous avez dit “musique classique” ? !!
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Sergueï Prokoviev – Pierre et le loup Publicité Coca-Cola conte musical, composé en 1936 crée un 1. Ce lien entre les instruments de l’orchestre et les
traversière. Et le quatuor à cordes de l’orchestre représente le petit Pierre. A visée pédagogique, cette œuvre convient parfaitement à la gentille bouteille de Coca-Cola qui chemine à travers les herbes.
animaux mis en scène dans l’histoire. Ainsi, le hautbois devient le canard,! la clarinette se transforme en chat, l’oiseau vole avec la flûte
Piotr Tchaïkovski – L’ouverture 1812 Clip de campagne du Front National!"!Européennes de 1999
2. WTF ! Tchaïkovski et Le Pen font-ils bon ménage ? Composée pour commémorer la victoire russe face à Napoléon, cette œuvre de 1880 a des airs de patriotisme et de guerre. Pour! présenter ses
propositions nationalistes pour l’Europe, le Front National aurait peut-être du se cultiver un peu. Clip à regarder pour son imagination débordante et ses graphismes de fou ! Lol.
Felix Mendelssohn - Concerto pour violon en mi mineur Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré.
3. Le
Moyen-Age dans l’époque contemporaine. On aurait pu imaginer pour la musique du film, un air baroque ou un ménestrel jouant du luth. Mais, Jean-Marie Poiré a choisi un des plus grands concertos romantiques pour violon pour
son Jacquouille et son Godefroy. Tous les virtuoses ont joué ce concerto composé en 1838 dont les trois mouvements représentent la virtuosité et la beauté du violon. À écouter dans son intégralité !!
Vittorio Monti – Csárdás Alejandro de Lady Gaga. lady ! Pourquoi avoir choisi cette mélodie, 4. Lady, très connue par les violonistes, pour introduire Alejandro ? Parce qu’elle savait que tout le monde s’en souviendrait. Mais sait-elle en revanche, que cette œuvre composée en 1904 par Vittorio Monti, reprend les airs traditionnels
hongrois de la csárdás, danse de couple qu’on retrouve dans toutes les régions hongroises. L’introduction lente reprise par la reine de la pop, est suivie d’une partie endiablée qui terrorise tous les jeunes violonistes !!
Frédéric Chopin - L’étude no 3 « Tristesse » Lemon Incest de Serge et Charlotte Gainsbourg.
5. Serge aimait Chopin ! Que cela soit dans Lemon
Incest ou dans Jane B, les thèmes correspondant
aux œuvres de Chopin sont conservés à l’identique et se baladent sur la voix de Charlotte et de Jane !!
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Recettes Pâtes au beurre INGRÉDIENTS (pour 6 personnes) : !
1 Kg de pâtes fraîches. Privilégier la qualité de la pâte et la forme. Nous vous conseillons les coquillettes Panzani qui, même si elles ne sont pas très fraîches, ne déçoivent jamais.
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500 g de beurre. Là encore, tout réside dans la qualité du gras. Notre préférence se porte sur le beurre demi-sel Paysan Breton. Mais vous pouvez varier les plaisirs en diversifiant la marque du beurre. La quantité est indicative. Faites en fonction de votre poids.
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Eau du robinet ou minérale
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Basilic frais
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Pour la sauce au beurre : 100 g de beurre doux
PRÉPARATION 1)
Faire bouillir une quantité non négligeable d’eau dans une grande casserole. Selon l’endroit où vous résidez, optez pour de l’eau minérale (Cristalline conseillée) ou du robinet si votre ville est propre. (Entre 10min et 1h selon la qualité de vos plaques de cuisson)
2)
Sortir les coquillettes pendant que l’eau bout pour que les conservateurs du paquet s’évaporent.
3)
Verser un ou deux cuillérées d’huile d’olive dans l’eau.
4)
Saler et poivrer
5)
Une fois l’eau bouillante, verser le kilogramme de pâtes dans l’eau et attendre.
6)
Pendant la cuisson des pâtes, réaliser la sauce au beurre. Pour ce faire, deux options. Mettre le beurre prévu au micro-onde pendant 40 secondes ou au bain-marie pendant 1min30. Laisser reposer.
7)
Pour vérifier la bonne cuisson des pâtes, la rédac vous donne une petite astuce. Kidnappez-en une, jetez la au mur. Si elle reste coller, le tour est joué.
8)
Egoutter les pâtes à l’aide d’une passoire et les reverser dans la casserole avec le beurre demi-sel. Touiller.
9)
Saler et poivrer
10) Préparer vos assiettes en plaçant d’abord les pâtes, le basilic frais ensuite. 11) Juste avant de servir, verser délicatement une cuillérée de sauce au beurre sur chaque assiette. Servir chaud.
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Lettre Ă Yves Saint-Laurent
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Reviens-nous Cher Yves, Depuis que tu es parti, c’est le bordel à la Maison. Le jeune Hedi part en vrille et Pierre
cautionne. Après avoir supprimé ton prénom de la signature de la marque et ajouté « Paris » en suffixe comme si nous ne connaissions pas ta ville muse, c’est maintenant au choix des égéries qu’ils s’attaquent. Tu peux, tout comme nous, regretter amèrement Benjamin Millepied. C’est à l’affreux(se ?) Marilyn Manson et à la junkie Courtney Love qu’ils ont eu la charmante idée de
confier le prestigieux poste. Cette décision arrivant juste après celle de déménager tes bureaux et l’atelier de Paris à Los Angeles. L’américanisation va trop loin. On veut bien croire que tu aies toujours aimé provoquer mais c’est avec classe et élégance,
terme qui te déplaît nous savons, que tu orchestrais les bouleversements féminins de la mode. Deneuve portait magnifiquement ton très osé smoking noir. Ta saharienne fit sensation sur la
parisienne libérée. Mais quel est le message que Hedi Slimane cherche à faire passer en immortalisant l’antéchrist du rock gothique et la veuve droguée de Kurt Cobain? Dépoussiérer la marque ? Sans doute. Mettre à l’honneur le Rock dans un ancrage musical avec le Saint Laurent
Music Project ? Évidemment. Faire un pied de nez à l’ensemble de la bourgeoisie parisienne adepte de la marque ? Oui, mais pourquoi ? Certainement pour imposer son style. « Directeur de la création pour la couture », il est dans son rôle et dans son droit les plus légitimes. Il est en effet l’un des plus talentueux créateurs de notre temps. Jeune visionnaire et lanceur de tendance, la maison Dior et Kate Moss se souviennent encore du slim Slimane. En t’inspirant de ton époque, de son art, de sa rue, tu créais la femme et l’homme de demain. Tu laissais une grande liberté à la personnalité, au caractère. Ton principe roi était de mettre en avant le confort, afin de permettre l’élégance. C’est ce qui fut ta beauté et ta force.
La récupération de Marilyn Manson et de Courtney Love prend, à notre égard, un
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Lettre à Yves Saint-Laurent
... tout autre chemin. Comme tu l’as admirablement montré, le noir est universel. Mais la femme et l’homme d’aujourd’hui ont-ils envie de se voir représenter par des rockeurs de l’Amérique des années 90 ? Car c’est de cela qu’il s’agit, l’égérie comme incarnation de la marque. Je doute que
la capitale, toute bobo et rockisée qu’elle puisse l’être depuis quelques années, se reconnaisse dans cette campagne Saint Laurent Paris... Tu as créé la robe de mariage de Bianca Jagger, la planète mode et musicale te saluait unanimement et tes modèles étaient le très juste mix entre force de caractère et chic pur. On nous dit que le mythe de la parisienne, symbole de luxe et de style, n’existe plus. Je doute que cela t’ait
arrêté lorsque tu dirigeais la Maison, ta foi dans la Ville Lumière et son esprit étant plus vivace que celle de ton successeur amoureux du nouveau continent et prêt à délaisser l’héritage de toute une population. Ton héritage.
Paris fut ta famille et le théâtre de ton art. C’est avec perplexité que nous observons de loin Hedi Slimane « dépoussiérer » la maison Yves Saint Laurent et avec angoisse que nous attendons qu’il la renomme Hedi Slimane Los Angeles. Car quel est le but de tous ses revirements si ce n’est d’imposer sa patte et d’ancrer Saint Laurent aux Etats-Unis.
Fort heureusement, le nom de la Maison Yves Saint Laurent ainsi que le logo YSL de Cassandre perdurent. Mais pour combien de temps ? Cher Yves, tout comme Slimane tu as fait une escale à la Maison Dior. Tout comme lui tu as révolutionné les codes de la mode féminine, sublimant le noir et libérant la femme.
Nous attendons avec espoir la maturation du jeune loup voulant faire ses preuves en Amérique et son retour à l’essentiel que tu as su mettre en lumière : Paris et mesdemoiselles ses icônes.
Maurane Pauli et Romain Lagarde
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Instantanés
Philadelphie, États-Unis Avril 2012
© Lou & Artémis – Maurane Pauli
ENTER THE ZEF SIDE The Answer – Die Antwoord. Cela fait maintenant environ trois ans que ce groupe d’Afrikaners fait danser et propage sa techno de mauvais !! goût des US jusqu’en Europe. Pourtant Yolandi-Vi$$er et son mec Ninja ne répondent finalement à aucun code ou en tout cas aux codes mainstream. par Maud
Stzern
ENTER THE ZEF SIDE!
Entre leur site internet bling-bling et très phallique, leur musique stridente ponctuée du flow incompréhensible de leur MC à mulet, leurs homemade tattoos et leurs clips aux mises en scène barrées – samouraï, nymphomanie incestueuse, omelette aux cafards et encore et toujours des phallus, des pénis, des queues partout … vraiment partout – on peut s’étonner de leur succès. Un succès relatif, certes. Mais ils se produisent dans le monde entier, des salles intimistes new-yorkaises au festival français Garorock en juin 2013. Mais qui sont-ils ? Quelle est vraiment l’histoire de ces rednecks sudafricains et quelles sont leurs influences ? Car ils ne sont en fait que la partie émergée d’un mouvement plus souterrain : le Zef, dont on peut dire qu’ils sont la figure de proue.
Die Mothafucka Antwoord « La Réponse » c’est un groupe de Sudafricains d’origine allemande – Ninja, Yo-Landi Vi$$er et DJ Hi-Tek – qui ont en commun leur amour du son hip-hop et leur goût pour le non-conformisme. Si cela ne fait pas plus de trois ans que l’on parle de Die Antwoord ; cela fait en réalité plus de 15 ans que son chanteur, Ninja, fait partie intégrante de la scène rap afrikaaneer. C’est en 2008 qu’il crée Die Antwoord avec Yo-landi (avec laquelle il forme le couple le plus cool du monde – un redneck tatoué et une nymphette sensuelle et aliénée, what else ?). Puis en 2009-2010 c’est le succès inattendu de « Enter The Ninja » et du clip présentation de leur concept « Zef Side » dans lequel on peut apercevoir un magnifique caleçon Pink Floyd des handicapés gangsta. Et alors que pour nous « Enter the Ninja » n’est qu’un clip déjanté de plus pour Die Antwoord mettant en scène une personne atteinte de progéria – une maladie génétique extrêmement rare dont les porteurs semblent être atteints d’un vieillissement accéléré - c’est en fait un vrai rassemblement des artistes sud-africains les plus éminents de notre génération. Oui car c’est Leon Bortha aka DJ Solarize que l’on voit dans ce clip. Ce nom ne vous dit rien ? Ci-contre, un petit aperçu de son travail en tant qu’artiste, mêlant culture hip-hop et ésotérisme. Bien sûr Die Antwoord ne fait pas l’unanimité, le contraire serait décevant. De nombreuses personnes leur ont d’ailleurs demandé des comptes quand il a été découvert qu’en fait Ninja et ses compagnons n’étaient pas issus d’un quartier de ploucs afrikaaners, que tout cela n’était, en fait qu’un
vulgaire jeu de rôles. Qu’est ce que ça peut bien nous foutre ? Cela n’enlève rien à leur génie, au contraire. Car même si leurs paroles ne sont pas transcendantes et leur musique « élitiste », ils piochent dans tous les domaines culturels : clips, court-métrage d’Harmony Korine – à qui l’on doit Spring Breakers - photo, travail graphique, musique et finalement théâtre car peu importe leur « vraie » identité, ce qui compte c’est qu’ils vivent littéralement leur rôle, leur double jeu. Enfin il est temps d’utiliser la notoriété de Die Antwoord pour mettre en lumière un mouvement musical encore peu connu. Car la musique de Ninja et les autres, outre le hip-hop, respire le Zef. C'est-à-dire un style de musique qui mélange modernité, trash et désuétude. Bref encore une fois la reprise d’une multitude de codes pour former quelque chose d’unique et intemporel.
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ENTER THE ZEF SIDE!
South Africa’s next level L’Afrique du Sud se distingue chaque année dans le classement des pays les plus dangereux du monde et est également connu pour son histoire marquée par l’Apartheid, Nelson Mandela, Charlize Theron et la Coupe du Monde de Football 2010 - Big Up à Raymond Domenech !… Enfin, pour résumer, un beau pays qui mériterait d’être mieux connu. Et berceau du Zef, courant musical et artistique le plus novateur et excitant depuis bien longtemps. Le Zef, c’est ce mouvement contre-culturel qui décrit le mélange entre le beau et le beauf, le moderne et le ringard, le pointu et le plouc. Ce qui fait la force de ce mouvement, c’est le même élément qui fait la force de Die Antwoord : la reprise de codes poussée à l’extrême. Mais le Zef va au-delà de la simple promotion du « ridicool » puissance mille.
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C’est la pauvreté que le Zef encense, met sur un piédestal. Ou plutôt les signes extérieurs de pauvreté et ce afin de dénoncer les inégalités, en mettant les individus face à la misère des ghettos du Cap et d’ailleurs. C’est pour cela et non pour suivre une quelconque mode que les chanteurs Zef portent avec fierté collier bling-bling en plastique, tatouages faits maisons plus moches les uns que les autres (personnellement je ne trouve pas ça moche du tout), et autres débardeurs fluo en résille. Les représentants du Zef n’oublient donc pas leurs origines, dans un pays qui compte parmi les plus violents et pauvres du monde. Et ils le montrent en reprenant les codes des banlieues peu aisées des grandes villes sud-africaines. Zef veut dire « commun » en Afrikaans, et pourrait correspondre au terme anglais « chav » (ok une petite piqure de rappel, exemple de chav : ci-dessus, Kelly de la série anglaise Misfits).
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À une exception prêt, c’est une fierté d’être Zef, c’est cool de porter des bijoux plus tocs tu meurs, c’est le kiffe de ne pas oublier d’avoir du style, son propre style alors qu’on a pas un rond. Le Zef c’est donc plus qu’un style de musique, mélange entre anglais et afrikaans, hip-hop moderne et sons électroniques dépassés, c’est une philosophie de vie, une manière de voir la pauvreté non pas comme une tare mais comme une force. C’est cette manière de pensée qui lie les artistes Zef entre eux. Die Antwoord, Jack Parow et Die Heuwels pour ne citer qu'eux, ne sont pas simplement des groupes se revendiquant du même style musical, ce sont des artistes qui ont créé un collectif national, international et multi-culturel, à l’image de leur pays : l’Afrique du Sud.
Le Zef c’est un mouvement qui sort de l’ordinaire et qui, s’il est totalement repris par la mouvance hipster, reconnu par elle, n’est ni dans le mainstream ni dans la hype. En fait, les groupes comme Die Antwoord peuvent toucher tout le monde selon si l’on décide de les prendre au premier, second ou cinquantième degré. Outre le Zef, il est intéressant de voir qu’il reste toute une vague d’artistes qui détournent les codes de multiples mouvances au point de pouvoir parler à tout le monde et à personne en même temps. Quasiment hors sujet et pourtant, des artistes comme Death Grips, bien que dans un style complètement différent, font à l’instar de Die Antwoord, passer le même message : I FINK UR FREEKY AND I LIKE U A LOT
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Se sustenter / effectuer un coït. Déjeuner / copuler. Manger / faire l’amour. Bouffer / baiser. Damer / niquer...
Dans mon esprit d’épicurienne, de (très) bonne vivante et de bouffeuse de vie (et pas queue que...) le lien entre nourriture et sexe est d’une évidence rare. Mes plaisirs terrestres se rejoignent dans l’immense champ du sensuel. J’ai faim comme j’ai envie de cul. C’est maintenant, tout de suite. Il faut que ce soit charnu et charnel. Intense et efficace. Ça n’attend pas et ça ne supporte pas la demi-mesure. Je me tape avec autant d’enthousiasme un première ligne de rugby qu’un saucisson/beurre. Mes faiblesses avancent côte à côte dans l’armée du mal, sous la bannière des vices. (Pardonnez-moi Seigneur car j’ai péché. Plusieurs fois. Genre vraiment beaucoup de fois). Condamnées par la morale chrétienne, la luxure et la gourmandise font originellement appel au corps et seulement au corps. J’entends par là qu’en dehors de toutes les conneries d’intellectualisation qui leur courent autour (de type amour ou cupcakes), la bouffe et le cul sont des actes primaires.
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Si pour survivre, nous avons besoin de manger et de nous reproduire, c’est le plaisir pris lors de ces « tâches » qui est condamné. On ne devrait donc manger que pour ne pas faillir et baiser uniquement pour perpétuer l’espèce. Logiquement, les sources de plaisir les plus accessibles, les plus instantanées et les plus évidentes sont celles liées à ces besoins. Ardente défenderesse et ardue militante d’un retour de l’Homme à ses racines, je trouve d’une noblesse rare de baiser avec pour seuls moteurs le besoin et l’envie physiques, autant que de se jeter sur un Maxi Best Of Delux (potatoes/Coca), en plein aprèm juste comme ça. On va pas se mentir, les pseudo « tendances sexo » qui donnent des conseils tout pétés pour être fashion jusqu’à la vulve (ou au prépuce, c’est selon) et qui fleurissent dans tous les magazines pseudo cools ou vraiment cools, sont quand même une énorme enculade. Mais j’aurais l’occasion d‘y revenir. Dieu merci (haha) je ne suis pas la seule bitch boulimique de notre pauvre espèce. Je vous passe les jeux de mots potaches (mais
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efficaces) qui connectent aliments et sexualité, ou encore l’étendu du vocabulaire qui lie les deux à grands coups de moules, saucisse, abricot, bouffer, avaler, et j’en passe. Enfin, le porn et sa culture ont maintes fois fait le lien entre ces deux types d’amuse-bouche : c’est regrettable mais je ne suis pas la créatrice du terme Foodporn, qui désigne à peu près tout ce qui est lié à la bouffe bandante. Pour être plus précise, et selon d’autres, la foodporn est la représentation obscène de la nourriture : ce que nous explique pédagogiquement l’encyclopédie du vice, j’ai nommé le Tagparfait, dans un article dédié. De ce terme descendent de nombreuses merveilles des Internets mondiaux parmi lesquelles des blogs dédiés aux scandales culinaires, qui me tirent un soupir de jouissance à chaque scroll ou encore de nombreux shows culinaires décalés dont Girls eat food, l’émission
produite par Vice qui me donne des envies de vendetta sur la bien-pensance culinaire. Mais puisque cette orgie de documents unissant mes deux passions ne me suffisait pas, j’ai mis au point avec mes colocs, au réveil après une vaillante biture, un jeu très simple et non moins follement satisfaisant qui consiste en l’association harmonieuse d’un plat et d’un acte sexuel. On peut par exemple dire, un dimanche vers 14h « Là, maintenant, un gros do mac et une grande levrette » ou encore avoir envie un vendredi après le travail « d’ une bonne binch et d’une petite pipe ». Jouissif. Oubliez le cul light et la bouffe dans du satin bordel. Je veux pouvoir suer au pieu les calories que j’aurais prises à table. A bon entendeur … Bambi
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par Maxime
Saulue
LES LISBON LIONS
De gauche Ă droite. Premier rang : Johnstone, Auld, Clark, McNeil, Chalmers, Wallace. Second rang : Lennox, Gemmel, Simpson, Craig, Murdoch.
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TROIS GROSSES BRUTES DU FOOTBALL
ROY KEANE
L’équipe réserve du FC Hradec Králové, sombre club tchèque de bas tableau en déplacement chez son voisin, et rival, le Dynamo !eské Bud"jovice ? La team « Monsieur Bricolage » de La Baule-Escoublac à l’occasion d’une rencontre face à l’Ikea de Saint-Nazaire, leader du championnat corpo ? Absolument pas, il s’agit de l’effectif de 1967 du Celtic Football Club de Glasgow, grand parmi les grands du football écossais, et accessoirement vainqueur de la Ligue des Champions cette année-là. Onze gueules impayables, un gardien de but tout droit sorti des bassins houillers du Firth of Clyde, une concentration qui laisse visiblement à désirer, des regards bovins combinés à des physiques de déménageurs : le cliché n’est pas particulièrement flatteur pour ceux que l’on surnomme les Bhoys, qui, en attendant, ont remporté en cette année 1967, le Graal number two de toute carrière dans le football, le number one étant la Coupe du Monde. Cette photographie respire l’amateurisme. Des joueurs et un bus sortis tout droit de l’usine. Le contraste avec les photos officielles habituelles est saisissant. Surtout quand on connaît les équipes mythiques qui ont fait l’histoire de la Ligue Dèch’ !
Le genre de joueur à affirmer qu'il a volontairement causé la grave blessure au genou de Alf-Inge Håland en 2003, causant ainsi la fin de sa carrière. "Take that, you cunt" comme le dira l'esthète irlandais qui tapera d'ailleurs dans ses derniers ballons sous les couleurs du Celtic.
En ces temps reculés, ce sont les latins qui ont la mainmise sur le football mondial. Ils ne laissent au reste du monde que peu de miettes. Les années 1966 et 1967 vont changer la donne. Tout d’abord, le World Championship ’66 organisé par la perfide Albion et remporté à domicile par la bande à Banks face au Kaiser Franz Beckenbauer.
Moins d’un an plus tard, se déroule à Lisbonne la finale de la Coupe des Clubs Champions Européens, ancienne dénomination de la Ligue des Champions. Les dernières éditions ont été remportées par le Real Madrid de Di Stefano, le Benfica Lisbonne d’Eusébio, l’AC Milan de Rivera et l’Inter Milan de Mazzola. Cette finale voit s’affronter les esthètes de l’Inter et les maçons du Celtic. Opposition de style donc, mais aussi de palmarès. Les nerazzuri sont au zénith de leur puissance et les Bhoys ne participent seulement qu’à leur première campagne européenne à ce niveau-là. Le catenaccio intériste développé par l’entraîneur Helenio Herrera permet au club de devenir une véritable machine de guerre destinée à remporter le trophée pour la troisième fois en quatre ans. Billy McNeill, le capitaine écossais, est préparé à déguster sévère.
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PAUL CASGOINE
Souffrant de TOC dès son enfance, accoutumé aux vols de petite frappe et titulaire de sa première cuite à l'âge de 14 ans, "Gazza" deviendra l'un des joueurs majeurs de la sélection des Three Lions dans les années 1990 avant de devenir gros, laid et alcoolique. Mais ne l'était-il pas déjà ?
Le début de match confirme cette tendance. L’Inter ouvre le score sur un pénalty transformé par l’inévitable Mazzola, successif à une faute commise dans sa propre surface par Craig. 1 - 0 au bout de sept petites minutes, l’Inter ferme le jeu, cadenasse sa surface et se transforme comme prévu en une forteresse imprenable. Game over pour Captain McNeill et ses potes ? C’est sans compter sur la persévérance des Bhoys qui se sortent les tripes pour arracher !" l’égalisation à la soixante-troisième minute grâce à une lourdasse de Gemmel des 20 mètres. La maîtrise semble avoir changé de camp et les Milanais sont dépassés par la fougue des Scottishs. Ce n’est qu’à cinq minutes de la fin du temps règlementaire que Chalmers dévie une frappe de Murdoch et libère tout un peuple. Les Verts et Blancs repartent de Lisbonne avec la coupe aux grandes oreilles dans les valises. La fierté d’une finale gagnée face au grand Inter Milan et le sentiment d’avoir réalisé quelque chose d’immense. Herrera, l’entraîneur intériste, déclarera même à la fin du match : « Nous avons perdu, mais ce fut une victoire pour le sport ». L’Europe du Nord revient alors en force sur la scène continentale, suivant les traces du Celtic. Toutes les éditions de la Ligue des Champions, de 1967 à 1984, à l’exception
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de celle de 1969, seront remportées par des clubs anglais, néerlandais ou allemands ! Les hommes de l’entraîneur Jock Stein, qui peuvent être considérés, au vu de cette photo, comme une équipe d’amateurs, ont donc décroché l’un des titres suprêmes du football professionnel et sont devenus les Lisbon Lions. L’ailier droit, Jimmy Johnstone, une crevette d’un mètre soixante-deux, a d’ailleurs terminé troisième de l’élection du Ballon d’Or cette année-là, devancé seulement par Bobby Charlton – la légende - et par le vainqueur, Florián Albert, une perle hongroise quasi-inconnue aujourd’hui. Étrange histoire que celle de ces onze lascars tous nés à moins de 80 km de Glasgow. C’est ce décalage entre l’allure non-professionnelle de ces touristes sur la photographie et le parcours légendaire qu’ils ont réalisé qu’il est intéressant de souligner. Aujourd’hui, on vénère des bêtes physiques courant le 100 mètres en presque dix secondes. On applaudit des mecs gentils dont les problèmes de croissance écrivent les « belles histoires du sport, une revanche sur la vie pour le petit Lionel ». Le ballon rond a pris une dimension irréversible qui est celle du football business. Les contraintes financières, contractuelles et sociales qui pèsent sur les pousse-cailloux étaient bien moins fortes il y a une cinquantaine d’années.
Cinq matches de suspension pour avoir agressé verbalement puis physiquement l'entraîneur adjoint des Tottenham Hotspurs lors d'un match avec son équipe du Milan AC. "Pour moi, un match de foot idéal, ça se joue un soir d'hiver, sous la pluie, dans le froid." : what else ?
« C’était mieux avant ? », s’interrogerait Francis. « Balivernes », lui répondrais-je. Le professionnalisme a changé, et chaque époque a ses caractéristiques propres. Alors que Mario Balotelli paye des amendes faramineuses pour trois clopes fumées en cachette, George Best déclarait dans les sixties qu’avoir arrêté l’alcool et les femmes ont été « les vingt minutes les plus dures de [sa] vie ». Le « cinquième Beatle » nord-irlandais fait partie de la caste des plus grands au même titre que le Pibe de Oro, Diego Maradona, coureur invétéré de jupons et camé jusqu’au trognon, le genre de mec à qui tu ne confierais pas tes gosses. On aime le vintage, l’old-school, les vraies valeurs du foot, mais n’oublions pas que Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, bien que parfaitement haïssables dans leurs costumes
LES LISBON LIONS
GENNARO GATTUSO
respectifs de gendre idéal Playmobil pour l’un et de mannequin gominé pour l’autre, font déjà partis du Panthéon du football mondial. Ceci est non négligeable, même lorsque l’on préfère des joueurs moches, gueulards et durs sur l’homme, tels que Roy Keane, Paul Gascoigne ou encore Gennaro Gattuso. Le bon vieil entrejeu à l’ancienne, un peu crade mais tellement classe. Cristiano Ronaldo ou Mario Balotelli transpirent le sexe et la muscu’, mais ça s’arrête là. À l’inverse, le Celtic Football Club est probablement l’un des clubs de football les moins sexy de la planète - à égalité avec l’AS Nancy - Lorraine. Mais son cruel déficit de sex-appeal est largement compensé par sa classe. Et comme le disait le philosophe, il s’agit surtout de ne pas faire « d’amalgame entre la coquetterie et la classe »
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ILLUSTRATION : Marie-Hanna Belaakalia / TEXTE : Roman Fruitier
Nous sommes à Berlin, en 2045. Un événement, a priori anodin, a changé le cours de l’Histoire, au tout début du 20ème siècle. Et si l’on croisait un personnage qui fait parti des meubles, dans notre monde, devenu tout autre, dont le parcours aurait complètement changé. Peut-être serait-il devenu un personnage clé de l’Histoire d’une autre façon, peut-être aurait-il permis à tous, de devenir « immortel ».
« Vieillir moins, vieillir mieux » clame l’affiche criarde de Sanofi-Bayer-Prizer. Le panneau publicitaire de la multinationale pharmaceutique est d’un goût douteux. Un jeune homme aux cheveux blanc conduit une décapotable de luxe. À ses côtés, une blonde, trop blonde, aux immondes lèvres de canard. Et bien sûr, le cliché mille fois vu. Les tourtereaux sirotent avidement une sorte de potion magique : la boisson dont la formule reste et restera secrète encore mille ans, le Wundermensch ! Visuellement c’est moche, mais le nom du produit, qu’est-ce que ça claque : « l’Homme Miracle ». Pas peu fier, je continue mon chemin direction Kreuzberg et mon döner favori. Je sais que juste à côté, Ulrich et son mari Hamid, m’attendent en début d’après-midi pour ma séance beauté. Une coupe bien nette, ras sur les côtés, petite mèche sur le devant, « vintage hipster » se moquent les jeunes. Ensuite, une épilation totale à la turque. Si vous passez dans le coin, allez au salon de ma part. À côté du meilleur kebab de la ville, vous ne pouvez pas le rater, la vitrine est ornée d’un drapeau aux couleurs de l’arc-en-ciel, le nom c’est « Salon de beauté Wittgenstein ». Tiens, une affiche pour le 39ème Berlin G&M Festival. Édition 2045 s’il-vous-plaît. Ah... ils jouent du Wagner. Si seulement on avait pu inventer le Wundermensch avant qu’il ne meure ! Des envolées... Ce n’est plus du lyrisme, cette musique c’est un tapis volant, comme si l’on s’élevait, haut dans le ciel, et que le monde vous appartenait. Wagner, c’est du pouvoir en batterie, une puissance qui semble infinie ! On écoute, on écoute
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et d’un coup, on ferme les yeux. La carte du monde se dessine sous vos yeux. Des armées haineuses se dressent face à vous, vous entourent. Maître ultime, on s’imagine capable de déplacer monts et rivières, de changer les frontières, de conquérir le monde, de disposer, d’un mouvement de sa main, de peuples
et
de
pays
entiers.
Et mince, emporté dans ma rêverie, j’ai failli bêtement me faire renverser. Richard Wagner est un homme mort et enterré, n’en parlons plus. On pourra toujours se contenter de l’énième show du plus-que-suranné Michael Jackson. Encore un qui doit chercher à payer ce qu’il doit au fisc nord-occidental ! Le design de l’affiche, épuré, me rappelle ce que je faisais, oh là, il y a un paquet d’années, alors que j’étudiais à Vienne. Un grand fond rouge, sur lequel on place une forme blanche, géométrique, n’importe laquelle. Et une écriture basique, noire. Simple, attractif, efficace et envoûtant. Mais c’est ce qui plaît aux masses. On était les premiers à apprendre tout ça aux Beaux-Arts en ce temps-là. Les dinosaures du marketing c’est nous. Et après la dernière guerre, la « Der des Ders » comme disaient les Français, on a profité des Soixante Glorieuses, de l’avènement de
la publicité, et on s’est rempli les poches, c’est vrai. Les masses, elles ne suivaient que ça, les grands hommes. Les discours des patrons diffusés à la radio, écoutés par plusieurs millions de personnes à la fois. Les surenchères de découvertes scientifiques, les menaces de guerre technologique. Je suis sûr que vous n’avez pas vécu ça, la Grande Guerre Froide. Et puis Allemagne et Autriche ont été réunifiées, puis après la Fédération Nord-Occidentale… Hé, mais je parle, je parle et, me laissant porter par ma logorrhée, j’ai failli oublier de m’arrêter vérifier à PunktPresse. Peut-être qu’il est enfin sorti, ce n’est pas la Une mais tout de même... Il ne me reste plus qu’à trouver le présentoir des magazines culturels. Il est là, en plein milieu, le Löwe und Diana de septembre. La mère aurait été si fière. Le sommaire. Où est-elle ? Ah c’est là. Chronique « Homme du mois » : page 88. Il y a un long article, ça a l’air élogieux. Et sur le côté, une
chronologie, bien visible. Je vous lis les dates importantes. 1907 : Admission aux Beaux-Arts de Vienne avec les félicitations du jury. Parallèlement il suit les cours de psychologie des foules de Herbert Stein. Sacré Herbert ! 1920 : Décoré de l’Ordre de la Colombe pour avoir participé aux événements dits « Trêves de Noël » lors de 14-18. Et le cœur du sujet, 1933 : Élabore le nom Wundermensch à la demande de son ami, l’industriel et scientifique Fritz Todt. Suite à la campagne marketing, la boisson rajeunissante fait fureur et l’Axe Européen des Six devient la première puissance économique mondiale.
!
Ah, ça, à l’époque j’étais un crack, un tueur. Mais surtout, en haut, en gros, il y a ma photo. De trois-quarts, élégant mais le visage sévère. C’est une vieille photo. À l ‘époque, la petite moustache était encore à la mode. Moi dans le journal, rendez-vous compte ! Homme du mois, c’est pas peu quand même, avec écrit, en lettres majuscules, mon nom : Adolf Hitler.
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Hong Kong, Hong Kong SAR Novembre 2011
© Lou & Artémis – Roman Fruitier
ŒIL AU LOIN. L’amour en Corée
par David
Asselino
Lou et Artémis aiment voyager. Ils abordent les cultures d’un œil vif et neuf. Pour découvrir un pays comme on rencontre un inconnu.
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Date ou crève. Cela ne fait pas si longtemps que j’ai rendu mon mémoire et déjà je me remets à écrire sur la Corée du Sud, ou du moins sur un aspect de sa société. Ce pays sorti des abysses de l’oubli et de l’indifférence grâce à ses productions culturelles du cinéma d’auteur à son armada de chanteurs de K-pop - intrigue désormais le grand public français, qui est de toute manière toujours à la masse. Ce sujet n’est pas nouveau, tout comme les tensions entre la Corée du Nord et la Corée du Sud qui, depuis la « fin » de la guerre en 1953, n’émeuvent plus vraiment les Sud-coréens qui continuent à travailler, consommer Kimchi et chirurgie, et... à aimer. Récemment à travers le prisme de la Télévision française, nous avons pu apprendre beaucoup sur ce pays et sur ses habitants. Premièrement, ils ne sont pas chinois. Deuxièmement, Kim n’est pas un prénom mais un nom de famille. Troisièmement, le Coréen est maintenant riche parce qu’il travaille beaucoup, beau parce qu’il se fait refaire et drôle parce qu’il est capable de manier le second degré tout en mimant une course d’équitation au son d’une musique club. Un angle échappe aux médias, bien qu’étant universel : celui de l’amour. N’ayant pas vraiment mené de recherches poussées sur ce sujet en particulier, je vais tout simplement utiliser mon expérience et celle des autres afin de donner ma vision de la société coréenne : dites-moi comment vous aimez et je vous dirai qui vous êtes...
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Regardez-nous, nous sommes les plus beaux du quartier Ces quatre mois de vie à Séoul n’ont pas contredit ce qui était ressorti de ces quatre années d’études de la société coréenne : l’amour n’est pas juste le thème le plus abordé dans les chansons ou les Dramas (feuilletons télévisés) mais celui de toute une société. De prime abord, la matérialisation de l’amour dans la société coréenne a tout d’un coup marketing : deux jours dédiés aux amoureux, la Saint Valentin et un mois plus tard le White Day - les garçons offrent des sucreries à leurs copines. Tous les biens de consommation sont « coupleisables » c'est-à-dire qu’un couple peut s’afficher dans les gestes et dans l'apparence (couple phones, couple shoes, couple bags, couple rings...), les parcs d’attractions sont envahis par les couples et les mots « date » et « Salang » (amour) sont sur toutes les bouches. L’amour est pris au sérieux et se revêt de son plus beau manteau romantico-kitsch pour sortir et se pavaner fièrement dans les rues, les coffees shops, les universités, avec un chien, un enfant, des cadeaux, des gâteaux, partout... Oui partout. Les jeunes Coréens ont soif de « couples », ont envie de le montrer, de l’exposer, d’être reconnus en tant que tels dans une société culturellement très pudique en ce qui concerne les relations amoureuses et les gestes d’affection. En bon français, j’ai essayé de garder un avis objectif sur la question, pensant que le sarcasme et la complainte coulant dans mes veines, je serais
ŒIL AU LOIN. protégé de ce que je pensais être une caricature de l’amour. J’étais encore jeune et naïf. Trois mois plus tard j’ai pris deux ans en âge « coréen » - qui compte les neuf mois de grossesse comme une année et qui comptabilise les années supplémentaires non pas le jour de l’anniversaire mais au mois de Janvier - et la sagesse qui accompagne le vieillissement. Je dois moi aussi être en couple. Nous pensons, donc je suis. La plupart de mes amis expatriés en sont venus à la même conclusion que la mienne et tous ont l’impression que celui qui ne peut justifier d’un copain ou d’une copine ne mérite pas de vivre. C’est ici une des premières caractéristiques de la société coréenne. La pression sociale est une force invisible d’une telle ampleur qu’elle contraint tout le monde, y compris nous autres expatriés, à agir d’une certaine manière qui peut parfois aller à l’encontre de ses propres habitudes et valeurs. Un célibataire à Séoul se voit rappeler sans cesse son célibat. Tel un complot géant, les différentes strates de la société sont complices. Il ne se passe pas un moment où l’on ne vous suggère que vivre à deux est quand même bien plus sympa que d’être cette race inférieure et instable qu’est le célibataire. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai pu commander une part de gâteau ou un chocolat dans un coffee shop et me voir attribuer deux fourchettes, deux cuillères, deux pailles. Une des premières questions qu’un jeune vous posera après vous avoir demandé votre âge n’est pas « qu’est-ce
que tu fais ? » mais « Yeoja Chingu Isseo ? » (« Est- ce que tu as une copine ? »). Et si vous avez le malheur de répondre par la négative, vous aurez droit à coup sûr à un « Pourquoi ? ». C’est vrai, pourquoi vouloir être seul et triste, pourquoi ne pas avoir de copine ? Dans mon cas la réponse est plutôt simple, j’aime les hommes. Mais considérant que l’homosexualité rime avec déviance lorsqu’elle n’est pas synonyme de péché - le pays étant à 50% chrétien, dont une partie de plus en plus importante d’évangélistes - je me garde bien de leur dire. Car en effet cette question peut survenir de n’importe où, n’importe quand. Vos collègues, vos voisins, vos amis et même vos professeurs vous harcèlent pour savoir si vous êtes en couple, pourquoi vous ne l’êtes pas, vous racontent leur vie à deux et veulent savoir quel genre de personnes vous recherchez, s’ils peuvent vous aider ou si vous pouvez les aider. Deux de mes professeurs m’ont déjà demandé en « plaisantant » de leur présenter des garçons... Lol, en effet. C’est vrai en même temps, pourquoi vouloir être seul ? Il fut un temps où moi aussi j’étais dans l’erreur. Je pensais être arrivé à un stade de ma vie où je pouvais dire « mieux vaut être seul que mal accompagné » et réellement le penser. J’avais le sentiment que mes projets, ma vie « professionnelle », ma vie sociale participaient à mon épanouissement personnel. Mais l’instabilité de ces trois derniers m’amène à me concentrer sur ma vie sentimentale,
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Bruxelles, Belgique Septembre 2011
© Lou & Artémis – Fanny Anseaume
ce qui au passage est plutôt ironique puisque dans ce pays, elle a autant d’avenir qu’un afro-américain né en Louisiane durant la ségrégation.
Dramas, les Coréens font rarement dans la demimesure : le service est impeccable, parfois un peu trop.
De ce que j’ai pu voir, quand ils aiment et plutôt Pourtant, comme pour des milliers de jeunes dans le cadre privé, les Coréens font preuve d’une adolescentes de 15 ans, cette vie sentimentale a passion que les Français n’ont pas. Courageux et fini par me convaincre et les Coréens y sont pour aventurier, le Coréen est toujours tenté par de beaucoup. Ceux que j’ai rencontrés dépassaient nouvelles expériences et travaille pour arriver à ses mon mètre quatrefins. C’est un peuple vingt-douze, étaient qui connait le sens beaux, biens coiffés, du sacrifice et qui biens sapés, bien fournit les efforts gaulés, n’ont pas peur nécessaires pour ce d’envoyer des textos qu’ils considèrent juste après avoir pris être la chose à faire. votre numéro. Toujours Quand le Français partant pour de se plaint et pratique nouvelles aventures, ils la so french technique peuvent parcourir la du passager clanville pour vous offrir destin, le Coréen une gaufre, tenir votre met les mains dans le Choi Si-won, chanteur coréen, membre de Super Junior, pose sac à main en public, cambouis : mettre de pour la publicité Caffe Latte. Viens prendre un café chez moi ! apprendre le français côté sa vie pour les rien que pour vous études ou le travail, plaire. Pour ma part, je n’avais jamais reçu autant faire du sport pour mincir, refaire faire son nez s’il n’est d’attention de la part d’hommes qui aiment les pas convenable, porter des oreilles de chats dans un femmes : ces Coréens me nourrissent lorsque j’ai faim, parc d’attraction pour faire plaisir à mademoiselle, me remplissent mes verres lorsque j’ai fini mon JaeKo abandonner sa carrière pour faire plaisir à monsieur (JAck daniels/Kola), et me massent le dos si j’ai mal et supporter sa mère au passage, suivre ce que dormi. Le plus surprenant pour nous Français, papa et maman ont prévu pour son avenir... précaires de l’amour, est quand un garçon qui vous drague n’hésite pas à vous appeler même s’il sait Même lorsqu’ils s’amusent c’est avec passion. À la fin que vous ne comprendrez certainement pas granddu précédent trimestre, je suis tombé un vendredi soir chose. sur un auditorium en plein air envahi par plus de 7000 étudiants habillés aux couleurs de Yonsei, mon A mon sens il y a l’American Way of life et université, et de KoDae, l’université historiquement ces innombrables bals de fin d’année où Bobby « rivale ». Pendant environ 3 heures, avec une accompagne Amber après avoir passé une année température extérieure avoisinant les trois degrés, à voguer entre la chorale du lycée, les chanteurs, danseurs et musiciens sur la scène, entrainements de Football et les casiers qui s’ouvrent étudiants dans les gradins, se sont amusés, ont dansé, et se claquent au rythmes des pulsions sexuelles chanté, à jeun. Tout ça dans le but de préparer les naissantes. Maintenant il y a aussi le Korean Way of chants de supporters des tournois de sports qui ont lieu life avec ces situations improbables, son overdose chaque année en automne. Les Coréens semblent rire, de biens de consommation et d’amours impossibles chanter, danser, boire, jouer plus que nous. Ils semblent qui finissent par le devenir. À l’image des héros de aimer plus fort aussi... Enfin, ils semblent. !
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ŒIL AU LOIN. Le Korean Way of Love Dans mon entourage, plusieurs personnes ont pu expérimenter le Korean Way of Love et ses vicissitudes. Ma colocataire, par exemple, étant plutôt jolie, grande, jeune compositrice et surtout française parlant le coréen - leur faible niveau d’anglais rendent les Coréens beaucoup plus timides quand ils sont avec des étrangers - a eu Si tu préfères, je peux servir le café en portant des lunettes.
l’occasion de dater plusieurs garçons. La plupart d’entre eux agissaient de la même manière. Extrêmement romantiques et attentionnés jusqu’à la dernière seconde, ils ont subitement décidé de mettre un terme à la relation du jour au lendemain pour les plus polis. La manière locale est tout simplement de ne plus répondre aux messages, sans donner d’explication. C’est plutôt celle à laquelle j’ai eu droit. J’imagine qu’il s’agit d’un trait culturel puisque dans cette partie du monde les gens préfèrent en théorie le silence au conflit, même si la raison de la rupture est exogène, dans le but d’éviter de perdre la face et de souffrir. Ce que les Dramas ne disent pas c’est que même avec mode d’emploi, dater un/une coréenne et rester en couple demande une très, très, très grande ouverture d’esprit des deux côtés - l’avis des familles pas franchement ouvertes sur la question mis de côté.
Comme partout le romantisme a donc ses limites. Ici, il s’arrête bien souvent à la sortie du motel. En effet beaucoup de Coréens restent vivre chez leurs parents jusqu’au mariage et l’alternative pour vivre sa jeunesse est de la vivre pour une nuit dans une chambre pas chère. Je ne cache pas que le principe du motel est quelque chose qui me perturbe encore. Moins confortable que son propre appartement, plus cher, et très connoté. Bien sûr, en France, proposer à quelqu’un un dernier verre « à la maison » veut dire ce que ça veut dire. Mais la proposition laisse place à une légère ambiguïté et surtout à la possibilité pour l’un des deux de se rétracter. Le motel quant à lui comporte aussi des avantages puisqu’il s’agit d’un terrain « neutre », propre, et très privé. Il est quand même plutôt difficile de proposer un « motel » juste après un café à 16h qu’en sortie de boite : « Et sinon tu veux prendre un thé à la maison ? J’en connais une pas très chère… » « Dick People, people with dicks » Certes il y a des choses qui ne changent pas avec la longitude, comme me l’a fait très sagement remarquer Sarah, mon amie anglaise : « Dick People, they are not men but people with dicks, and they can be found everywhere ». D’autres en revanche contrastent au point de remettre en question certaines valeurs que l’on pensait intouchables. C’est dans ces moments que je me rends compte que malgré tout, nous nous faisons volontiers prisonniers de notre culture et de nos visions du monde. Pas parce que nous ignorons que nous avons tort, mais plutôt parce que nous savons qu’au fond, nous n’avons pas vraiment raison, notamment en ce qui concerne l’amour. Mon appréciation de l’amour, et surtout de la !
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Vous aussi, envoyez-nous vos photos instantanées louetartemis@gmail.com
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Marseille, France Août 2013
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Paris, France Septembre 2011
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© Lou & Artémis – Romain Lagarde
© Lou & Artémis – Fanny Anseaume
Hong Kong, Hong Kong SAR Novembre 2011
Moscou, Russie Novembre 2011
© Lou & Artémis – Roman Fruitier
© Lou & Artémis – Maurane Pauli
ŒIL AU LOIN. manière de dater, reste profondément française, sinon personnelle ; mais au fil de mes voyages je vois à quel point je subis les autres. Vivre dans une société que nous aimons à décrire comme soumise me fait me rendre compte qu’en plus d’être soumis, nous, Occidentaux, sommes dans le déni de nos motivations. Ensemble tout devient possible Au final, qui sommes nous, sinon des êtres sociaux ? Nous parlons d’indépendance et de mérite alors que nous ne méritons ni totalement la première et que notre mérite dépend beaucoup de ce que d’autres, notamment la famille, ont fait avant nous. Vivre ici me fait me rendre compte que je n’ai pas à avoir honte de cette réalité mais que je peux l’accepter sans totalement l’embrasser. Si nous Viens pour le café, on subissons la pression étudiera l’astronomie. sociale c’est aussi peutêtre parce que nous voulons faire partie d’un groupe. En amour comme en amitié, retirer des bénéfices d’une relation demande aussi une part d’effort personnel. Être un passager clandestin ne me rendrait finalement que plus dépendant aux autres. Ici j’ai appris à me lancer, à encaisser les déconvenues, à me prendre « de gros râteaux » mais aussi, à recevoir les bonnes nouvelles, à partager avec l’autre, à être agréablement surpris de voir un garçon vous sortir de la précarité de l’amour et des sentiments. Une des précarités les plus frappantes en France n’estelle pas celle des relations sociales ? Prenons nous du plaisir à être en groupe et surtout sommes-nous prêts à faire le petit effort personnel pour que le groupe ait du sens ? Sommes-nous prêt à faire cet effort de ne plus être dépendant d’une coupe du monde de football ou des idées des autres sur le patriotisme pour aimer être français, et surtout aimer être ensemble, que ce soit à 60 millions, à deux ou avec sa conscience ?
Cette ferveur que j’ai ressentie ce soir de fin de trimestre avec ces coréens dans cet auditorium est au moins aussi frappante que la pression que je peux ressentir lorsque l’on veut me voir en couple. Cette ferveur-là, je ne l’ai ressentie que quelques fois en France, lors du Crit’ des IEPs (Institut d’Études Politiques), lors de mes retrouvailles avec mes amis après plusieurs mois d’absences ou encore sur la place du Capitole lorsque notre équipe nationale nous donne du rêve sur le terrain plutôt que des scandales dans les bus qui y conduisent. Pour cette ferveur là je suis prêt, moi aussi, à faire cet effort d’intégrer le groupe. Pour vivre la solidarité et la fraternité je suis aussi prêt à vraiment chercher le compromis afin que le groupe, le couple, et tout simplement ma vie, aient un sens. Après tout, le premier bénéficiaire reste moi-même, comme peut vous le faire remarquer le président de l’association des anciens élèves de votre école qui profite de la cérémonie de remise des diplômes pour vous harponner, vous le gros poisson et vos futures opportunités. Oui, il veut juste agrandir le réseau avec des « mecs qui ont des opportunités ». Il peut aussi m’aider à avoir les trois : un réseau, des opportunités et un mec. Alors considérant qu’il me reste encore des expériences à vivre ici, je pense pouvoir accepter ma condition d’homme soumis quelques temps, me sacrifier pour ce que je pense être la chose à faire, mettre les mains dans le cambouis et dater ce coréen gaulé comme un dieu, avec des yeux de chatons et des trucs intéressants à dire. Pour ne pas crever bien sûr. De toute manière j’ai déjà payé le prochain semestre et Puppy Eye (le Coréen gaulé comme un dieu avec des trucs à dire...) m’invite à diner quand il rentre de New York. C’est tout simplement mon instinct de survie.
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fin!