Lou & Artémis - Numéro #2

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N U M É R O #2

OCTOBRE 2013

Lou Artémis !

magazine androgyne

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MODE


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CUL

toisons

p a r o le s

rir

c jouer i l c é d

silhouettes

humour

SON

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aventure !

BEAU

Sueurs

se

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chambre noire

échos

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PUTE baiser(s) Jouer ab

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I manger O F E S I A MAUV

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balles & boules

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amour

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vagues

JEUNEUSSE

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Amuse-bouche

DUNE

JOUISSANCE

humeurs

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tét C h Œ u r on s

nerd

s r u e t c e j pro

Fourru re

Couture

pets & paillettes

NECTAR !

SPOTS

TEXTILE

Art

encre

!

Horreur

Esqu Pilules TOILE(S) Plumes isses androgyne

GRAND ÉCRAN


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We love Fashion ! Chanel, Saint Laurent, Dior, Vuitton, McQueen, Rykiel, Prada… nous avons l’embarras du choix. Tous les jours, nous bavons sur les magazines de mode, les films et autres vitrines du style. Nous jalousons les acteurs branchés et les it-girls stylées. Ils sont bien aimables mais nous, jeunes gens, ne pouvons espérer une seule de ces pièces. Alors on chine, jour et nuit. Nous dénichons le petit magasin trop cool et « pas cher ». Nous partons en croisade pour trouver la fripe de nos rêves. Pour que ces merveilleux vêtements exposés sur du papier glacé prennent réalité sur nos corps. Malgré tout, nous créons la mode. Pas au sens de Lagerfeld ou de Marc Jacobs, mais nous inventons une vision, une tenue, un style. Point de candeur, nous savons que le prêt-à-porter est issu de la haute-couture, et que du croquis à la rue, la route est longue et tortueuse. Il est évident que les courants nous transpercent et nous guident – le phénomène hipster en est le parfait exemple – mais nous ne sommes pas enfermés dans les carcans imposés par l’intelligentsia du style. Notre compte en banque ne le permet pas.

Il n’y a pas de mode si elle ne descend pas dans la rue. COCO CHANEL !

Édito Certains créateurs, en concert avec les magazines de mode, lancent arbitrairement les tendances. Ils ne laissent pas de place pour notre imaginaire. Les stars sont vêtues comme leurs jeunes cousines qui défilent sur les podiums. Dieu merci, nos portefeuilles troués permettent à notre génération de réfléchir un peu, de faire un mix singulier et personnel d’apparat. En retour, la rue inspire les couturiers qui créent in situ une vision. La mode permet à chacun d’exister en société en fonction de sa personnalité et de sa sensibilité. Elle est la vitrine de la communauté. Une compréhension des enjeux qui gravitent autour de ce monde confiné est primordiale, si nous voulons saisir la complexité de notre époque. La mode n’est pas extérieure à la culture, elle l’habite et l’habille. Androgyne mais genrée, la mode est un lieu de rencontres et d’affrontements. Nos représentations s’y mêlent, s’y réfléchissent. S’émanciper par la mode, ou la subir ? Les hommes s’apprêtent-ils à porter la jupe ? Qui sait ! Les femmes vont-elles enfiler smoking et cravate ? Elles le font déjà, avec grâce. Alors arpentons les avenues, l’œil grand ouvert, l’esprit alerte, les sens aux aguets. Imprégnions-nous. Inspirons-nous. Le style nous appartient.

Lou & Artémis

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SOMMAIRE!

MALCHANCES Sans cesse tombant mais jamais écrasé

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Les mésaventures poisseuses de héros ordinaires. Frano Selak.

VERSUS Dumbledore vs. Gandalf

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Le fight de l’absurde. Préparez vos zygomatiques !

HUMEUR Les dépendances électroniques

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HUMEUR Présumé innocent, déjà coupable ?

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POURQUOI ? Le piercing

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PORTRAIT Patrick Sébastien

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10! 22!

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Le portrait du célébrissime présentateur. Le beauf le plus aimé de France.

GRAND ECRAN Talentueux Mr. Ripley

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Le film d’Anthony Minghella, vu sous le prisme de la tenue. Astonishing !

ÉTYMOLOGIE L’origine des mots

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Deux spécialistes réputés proposent une fine analyse de deux expressions. « Se faire appeler Arthur » & « Avoir vu le loup »

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PORTFOLIO! Oliver Fritze!

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DOSSIER!

Lou & Artémis!

MODE

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Du croquis à la rue, de la rue au croquis Et si on se foutait de la mode ?

24!

28!

Hermès, l'histoire d'un succès inattendu

69 VIDEOGAMES Quand la publicité s’empare du jeu vidéo. ..............................................................................................................................................................................................................................................

Un secteur en voie d’expansion, une mine d’or pour les investisseurs. Comment la pub s’exporte de plus en plus vers les consoles.

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Exercice de style

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34!

Chanel à l’Elysée, Prada à Matignon

Après les séries, ce sont les recettes toutes droit venues des US qui se propagent en Europe. Malbouffe ou nouvelle tendance chic, comment vivre l’invasion des bagels, cupcakes et autres hamburgers ?

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59!

PAR LES TEMPS QUI COURENT Food in the city.

TRONCHES DE VIE G.G Allin : le Jésus fou!

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Plus barré que Marylin Manson, plus adulé que Jésus, retour sur une sacré tronche des années 90.

Talentueux Mr. Ripley!

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CHRONIQUE PuniFion

UCHRONIE La vie des autres

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L’Histoire telle qu’elle aurait pu être. Bienvenue dans le « non-temps »

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ŒIL AU LOIN Sol glissant et Volga gelée

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Une culture. Un œil vif et neuf. La Russie.

Instantanés

Instantanés

Lou et Artémis et leurs instants photographiques. À découvrir au tournant d’une page. Lacanau Chicago Barcelone

Boston Paris

Instantanés

© Lou & Artémis – Maurane Pauli

Paris, France Juillet 2013

Lacanau, France Août 2011

© Lou & Artémis – Fanny Anseaume

© Lou & Artémis – Maurane Pauli

Barcelone, Espagne Septembre 2013

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OURS

Roman Fruitier & Romain Lagarde

Fanny Anseaume & Maurane Pauli

Roman Fruitier

Ophélie Auzolle, Alizée Cogez, Pierre Colomina, Quentin Geevers, Martin Gallard, David Clough, Lucas Lebrun, François Moreau, Bastien Resse, Maxime Saulue

Georges Delcros, Francis Fruitier, Jean-Pierre Petit

La rédaction décline toute responsabilité quant aux opinions formulées dans les articles, celles-ci n’engagent que leurs auteurs. Toutes les marques citées dans le magazine appartiennent à leurs propriétaires respectifs. Tous droits de reproduction réservés pour tout pays. Aucun élément de cette revue ne peut être reproduit ni transmis d’aucune manière que ce soit, ni par quelque moyen que ce soit, y compris mécanique et électronique, sans l’autorisation écrite de l’auteur. Vous pouvez sans aucune autorisation inclure un lien vers le magazine et le site web sur votre propre site.

Oliver Fritze, Marie Fruitier, Quentin Geevers, Jeanne-Marie Leleux, Fred Margueron, Alexis Susani

Oliver Fritze

N U M É R O #2

OCTOBRE 2013

Lou Artémis !

Fanny Anseaume & Maurane Pauli

Sophie Didier, Guillaume Dovale, Béatrice Méline, Manon Raupp, Maud Stzern magazine androgyne

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MODE


Instantanés

Boston, États-Unis Avril 2012

© Lou & Artémis – Maurane Pauli


a ! e c ! c h ! l! n! a M s! !

par Lucas

Lebrun

Sans cesse tombant mais jamais écrasé, voici la terrible aventure de Frano Selak.

Pour cette deuxième tranche de vie, nous n'irons pas par quatre chemins, puisque nous traiterons ici de Frano Selak qui est, ni plus ni moins, l'homme le plus malchanceux du monde en ayant évité sept fois l'Inévitable. Parce que le net regorge d'articles - étrangement similaires - sur cet homme, et qu'un papier employant de vrai-faux termes philosophiques dissimule parfaitement bien le peu de sources dont je dispose, j'ai décidé d'articuler notre destinée malheureuse du mois autour des trois qualificatifs de la chance – selon Wikipédia : la chance constitutionnelle, circonstancielle et cultivée1. La chance constitutionnelle, ou pourquoi vaut-il mieux ne pas être, que d'être Croate ? Oui, Frano Selak a eu de la chance de ne pas naître femme. Et non, Frano Selak n'en a pas eu beaucoup en voyant le jour, en 1929, au Royaume de Yougoslavie. Il a vécu, de près ou de loin, la monarchie absolue, un régime policier un tantinet violent, l'invasion de l'Allemagne nazie et la constitution d'une Croatie fasciste. Le malheur aurait pu s’arrêter ici, mais notre jeune Frano fut obligé de vivre dans une « République socialiste » suite à la libération de la Croatie par les partisans de Tito. Aussi décide-t-il de fuir à sa manière ce monde de privations, de grisaille, de purges et d'auto-déterminations économiques, en devenant professeur de musique.

La chance circonstancielle, ou comment vivre dans un état socialiste favorise-t-il la malchance ? Il n'est pas surprenant de constater que tout régime communiste porte en son sein les germes de la malchance, ne serait ce qu'en favorisant la construction d'infrastructures impressionnantes mais défaillantes, en adoptant des standards de sécurité inexistants et, enfin, en proposant aux honnêtes gens des produits de piètre qualité. On s'en doute, les transports sont au cœur du problème, et Frano Selak va en faire l’amère expérience. Ne vous inquiétez cependant pas, notre homme, face aux événements tragiques, est à peu de chose près aussi invincible que Tintin chez les Soviets. Tout d'abord le train. En 1963, Monsieur Selak emprunte la ligne de chemin de fer SarajevoDubrovnik, sympathique station balnéaire au demeurant. Il était pourtant loin d'imaginer que son voyage se terminerait dans une rivière glacée où tous les wagons se précipitent suite à un déraillement. C'est donc à 34 ans qu'il échappe une première fois à la mort, alors que 17 autres personnes ce jour là n'ont pas eu cette chance. Pour ne pas commettre deux fois la même erreur, il décide de prendre l'avion l'année suivante pour se rendre à Rijeka. C'est une grande première pour lui, et quelle première ! Alors qu'il regarde paisiblement le paysage à travers le hublot, il est éjecté brutalement dans le vide par une porte

1. Ces termes ne seront pas approfondis en détail, dans un évident souci de clarté. Pour plus d'informations, l'auteur conseille l’excellent livre de BERGAMOTTE H., BRODY M., Qu'est ce que la chance, phénoménologie de l'aléa positif, Paris, Flammarion, 1977.

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Retrouvez ici des mésaventures incroyables, des infortunes à faire glacer le sang, de la déveine à n’en plus pouvoir, bref, de la scoumoune bien poisseuse. Attention, histoires vraies !

latérale s'étant brusquement ouverte. Il évite une fin atroce en amortissant sa chute dans une meule de foin - voir Tintin et le sceptre d'Ottokar. L'engin s'écrasera, coûtant la vie à 19 passagers. Les véhicules à roues propulsés par un moteur ne sont pas en reste non plus. Les omnibus d'une part, avec lesquels il tombe de nouveau dans une rivière (1970) et se fait renverser dans les rues de Zagreb (1995), et les automobiles d'autre part. Souvenonsnous, l'essence et la flamme ne font pas bon ménage. En 1970 – décidément ! - Frano Selak s'extirpe de sa voiture en feu avant que le réservoir de cette dernière n'explose, et, en 1973, il esquive de peu la déflagration d'une pompe alors qu'il allait faire le plein de carburant. Il termine cette effroyable série en 1996 avec un virage manqué sur une route de montagne sinueuse. Tout aurait pu s'achever dans une « Pa!ta-fa"ol »2 façon Frano Selak mais ce fut sans compter sur ses talents d'acrobate. Il parvient en effet à sauter de son véhicule en vol et de se rattraper, in extremis, aux branches d'un arbre, perché à 90 mètres du sol - voir Indiana Jones et la dernière Croisade. La chance cultivée, ou les Fabuleuses Aventures d'un professeur de musique qui devint riche Après avoir subi la malchance, en naissant dans cette partie du globe puis en se trouvant face à de

trop nombreuses circonstances sortant de l'ordinaire, voilà que Monsieur Selak va volontairement provoquer la chance. Dans un premier temps notre homme limite ses voyages, puis, dans un second temps, son pays quitte « l'empire du Mal » en s'ouvrant aux bienfaits du capitalisme et de la démocratie, donc au bonheur ! En 2003, à l'aube de son cinquième mariage, Monsieur Selak décide de jouer à la loterie nationale pour la première fois de sa vie. Par un heureux hasard, il gagne et perçoit la somme vertigineuse de 740 000 euros. Quelles conclusions en tirer si ce n'est que notre homme a eu une vie amoureuse tumultueuse ? Il se considère comme un homme malchanceux et admet que le bonheur ne se résume pas à l'argent mais au fait de vivre aux cotés de sa tendre Katarina dans une modeste demeure au cœur de la Croatie. Il a reversé sa fortune à sa famille et à quelques amis, ainsi qu'à l'église de son village. Il a simplement gardé de quoi se payer une - énième? - opération à la hanche. À noter qu'un sanctuaire dédié à la Vierge Marie est en cours d'édification dans son jardin. Concluons cette formidable leçon de vie en laissant la parole à Monsieur Selak lui-même : « Je n'ai jamais pensé que j'étais chanceux d'avoir échappé à la mort dans tous ces accidents. Je considérais plutôt que j'étais malchanceux de m'y être trouvé au premier rang »

2. Plat croate typique, à base de pâtes et de haricots, dont l'astuce consiste à terminer la cuisson des pâtes dans la sauce.

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DUMBLEDORE Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore est un personnage multiculturel. À la fois breton, allemand, italien et anglais, ses prénoms signifient tour à tour « rayon de soleil », « loup » et « chapeau blanc ». Polyglotte, Dumbledore aurait été un diplomate efficace. Bilingue dans la langue des êtres de l’eau, il est tout autant capable de papoter avec des sirènes qu’avec des géants. Doté d’un vrai sens de la conversation, sa curiosité naturelle le rend très sociable. Cette ouverture sur le monde lui permet ainsi de repérer les tendances, de s’intéresser aux choses culturelles et aux nouvelles technologies. Ah ! Les bienfaits de la civilisation. L’époque où l’on se déplaçait à dos de canasson est bien révolue. Les sorciers modernes savent transplaner dès 15 ans, et c'est ainsi que Dumbledore peut se trouver en deux endroits dans la même minute. Utile, en cas d'attaque, et ce ne sont pas les hommes du Gondor et leurs feux de paille qui nous contrediraient. Dans la même logique, la baguette magique de Dumbledore, c’est du high tech par rapport aux bâtons tordus old school, qui prouvent au passage un léger complexe du « gros joujou ». Avantage non négligeable, la baguette de Sureau est la plus puissante au monde, et avec les trois Reliques de la Mort, Albus s’est offert l’immortalité. Question musique, Dumbledore est de la vraie génération. Mordu de moldus, Albus est passionné par le groupe rock des années 70 : les ZZ TOP. Ceci explique cela ! Son petit plus par rapport à ses idoles : l’élastique dans la barbe pour un look plus élancé. Vous l’aurez compris, Dumbledore est avant tout un maniaque du style, hipster avant l'heure, quoique cela ne l’empêche pas de profiter de la vie. En effet, Dumbledore a souvent été aperçu du côté de Pré-au-Lard. Tonton Albus serait un client fidèle du bar La Tête de Sanglier, haut lieu de débauche où il ne refuserait jamais une bonne partie de fléchettes magiques et quelques litres de bièraubeurre. Et qui lui jetterais la première pierre, Pierre, pour le blâmer ?

papi m !

Albus Dumbledore est l’excellence même que l’on se doit de respecter. N’en déplaise aux autodidactes frustrés à la magie douteuse, Dumbledore c’est d’abord une carrière administrative de premier choix. Un parcours sans faute, pour finir à la direction d’une école digne de l’ENA. Et qui dit carrière prestigieuse dit illustres études. En fouillant un peu les registres des associations d’étudiants, vous trouverez quelques-uns de ses nombreux exploits : prix-concours du plus bel EXPELLIARMUS 1865, vainqueur du PBEDEM (Plus Belle Robe d’Etudiant en École de Magie) en 1868 devant Karkarrof, et le Prix des Jeunes Sorciers 1869 pour son article sur l’utilité de la Mandragore les lendemains de gueule de bois. Dumbledore est par la suite Commandeur du Grand Ordre de Merlin, Docteur ès Sorcellerie, Enchanteur en Chef, et Manitou Suprême de la Confédération internationale des Mages et Sorciers. Et pourtant, en 1990, il refuse le poste de Ministre de la Magie. Pensez-vous, c’est tout de même bien plus drôle d’être le maitre incontesté du château de Poudlard, et de bizuter sans fin tous les petits sorciers anglais roux. Qui n’a jamais rêvé d’instaurer des règlements abracadabrants, de lancer diverses compétitions où les sportifs peuvent éventuellement s’entretuer par mégarde, et finalement de redistribuer les points à la fin de l’année selon son jugement impartial ? Malheureusement, cet homme noble dont nous venons de faire l’apologie est à présent l’objet d’un culte posthume. En se sacrifiant pour la cause de tous, Dumbledore non seulement meurt sous les feux des projecteurs, mais laisse ensuite de bon cœur la vedette à Harry Potter. Il s’offre un aller-simple pour la vie après la mort, qu’il laisse deviner comme passionnante et intrigante.

A.C. P.C.

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GANDALF !

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agicien

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Un mage, une barbe, une pipe. Gandalf l’Istari, « le Sage » en haut-elfique, membre de l’Ordre des magiciens est sans aucun doute le meilleur dans son domaine. C’est le magicien cool par excellence. Le papi aux yeux rieurs dont le plaisir coupable reste des feux d’artifices à te couper le souffle mais qui est aussi un guerrier badass, maniant épée et bâton comme personne, décapitant des orques à la pelle sur les champs de bataille. Qui n’a jamais rêvé d’un grand-père qui tienne autant la forme qu’une Totally Spies et doté d’une barbe blanche bien plus longue que celle du respecté père Noël ? Gandalf est un magicien posé, réfléchi. Il prend son temps, mais c’est pour mieux te faire accoucher de tes propres idées - en vrai philosophe antique qu’il est. Et quand il se fouille les méninges, avec classe, il fume. La pipe of course. De sa bouche s’échappent alors bateaux et ronds de fumée dans un ballet enchanté. Gandalf le Gris c’est le guide parfait, celui qui comprend la complainte de la montagne sous la tempête mais également le langage des papillons dans la tourmente. Gandalf le Blanc lui, renaît de ses cendres après avoir atteint le nirvana - sans même prendre de drogue ! - et chevauche en sifflotant le plus racé des pursang. Bref, les humains le craignent et la Nature elle même le protège. Des aigles géants aux

grands Ents gardiens de la forêt, tous se mettent à son service. Gandalf aux deux personnalités, à l’évolution incroyable, vit pour détruire le mal et protéger les vivants. Défier un monstre constitué de lave en fusion et qui fait 100 fois sa taille ? Sans problème ! Quand le risque de survie est plus faible que celui de tomber enceinte sous pilule (1%), Gandalf fonce ! On vous épargne d’ailleurs - ou pas ! la punchline la plus reprise de tous les temps : « VOUS NE PASSEREZ PAS ! ». Voilà, tout est dit. Les baguettes magiques ? Has been et ridicules. Le magicien le plus connu de la Terre du Milieu se bat avec un bâton sculpté, plus dur que la pierre et stylisé par les Elfes, capable de briser telles des allumettes les frêles baguettes de sorciers. Personne ne désarme Gandalf. Son instrument de pouvoir suprême : sa voix rauque et grave, profonde. Il est autant capable d’user de ses cordes vocales pour terrasser un Nazgûl, gagner une joute verbale contre son boss qui a perdu la boule ou calmer une bande de nains un brin perchés. Personne ne moufte quand Gandalf parle. Surtout ne le prenez pas « pour un magicien de pacotille ! ». Pour autant il sait faire preuve de parcimonie. Grâce à son sens poussé de la mise en scène, le magicien de la Terre du Milieu est craint des plus puissants et aimé par les plus simples – il ne faut pas se voiler la face à propos de ces stupides hobbits joufflus. À l’instar de Ian McKellen, l’acteur qui l’a incarné au cinéma, il fallait un sombre et controversé Magneto pour faire un puissant et bienveillant Gandalf. Et oui : I’m Gandalf and Magneto, Get over it.

R.F. M.P.

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HUMEURS !

Les dépendances électroniques

Apocalypse 19:3 - Puis ils reprirent : « Alléluia ! Oui, sa fumée s'élève pour des siècles des siècles ! » !

Avec le succès commercial des machines à vapeur version miniature, les e-cigarettes, la consommation de tabac à travers le monde est en train de subir une petite révolution. Problème de société récurrent, politique, et polémique, le tabac va-t-il enfin devenir tabou ?! Un récent rapport de la banque Citigroup prophétise la fin définitive du marché du tabac pour 2050. Selon une projection à très long terme, les grands fabricants n’en auraient plus que pour deux décennies de profits, en diminution ferme jusqu’à 2020. Les producteurs espèrent cependant que l’augmentation constante des prix protègera encore pour quelques années le secteur. Selon un article de Slate.fr, qui reprend les publications de Citigroup et du Telegraph : « Le pourcentage de fumeurs décline actuellement dans les pays développés, et les baisses sont plus ou moins continuelles sur la plupart des marchés. » Alors, la fin du monde de la cigarette traditionnelle est-elle pour demain ? Si les lois anti-tabac ne deviennent pas totalement inutiles, elles seront renforcées pour accompagner le mouvement. La cigarette pourrait alors être interdite, purement et simplement, et devenir une véritable drogue vendue sous le manteau, bannie de la société. Pour aller plus loin, on peut se demander : la e-cigarette est-elle un présage de ce qui nous attend dans le futur ? Si même nos petites addictions s’électronisent, comment pouvons-nous imaginer l’humanoïde de demain ? Le robot vapoteur remplacera-t-il le fumeur invétéré au bas des immeubles pendant la pause clope ?

D’un autre point de vue, si la dépendance à la cigarette est éradiquée, qu’en est-il de l’addiction à sa cousine électronique ? Le fait que cette bonne copine soi-disant « inoffensive » soit faite de composants chimiques et de plastique n’empêche le comportement addictif. Tout comme le tabac, les e-cigarettes renferment de la nicotine. Tout comme le geste du fumeur, l’acte de « vapoter » devient un comportement compulsif chez les fumeurs nouvelle génération. La dépendance, selon le professeur de philosophie Julien Saiman, est un « comportement pathologique dans la mesure où elle échappe à la volonté du sujet quand celui-ci veut s'en abstenir [...] ». Transformer notre paquet de blondes en petites fioles de propylène ne rend pas moins le fait de fumer absurde, et physiologiquement inutile. Cependant, fumer reste un acte chargé de sens, transposé à l’écran et dans les grandes œuvres. La e-cigarette présente une alternative séduisante pour ceux qui considèrent le geste et ses routines, comme une part de leur identité. Le phénomène addictif n’explique pas entièrement le nombre d’addicts. En retard sur les États-Unis, où ils sont déjà plus de 2 millions, les Français sont à présent plus de 500.000 « vapoteurs ». Tremblez devant le tsunami de volutes de vapeur, repentez-vous pécheurs, et profitez bien de votre dernier paquet de menthol avant sa disparition Alizée Cogez

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HUMEURS !

Présumé innocent, déjà coupable ?

« Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ».

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Telle est la résonnance de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 consacrant la présomption d’innocence. La présomption d’innocence, à l’instar de l’ensemble de la justice française, est mise à mal. Sans parler de critique, puisque personne n’est venu se présenter en chevalier pourfendeur d’un droit fondamental à un jugement équitable par une autorité compétente, le phénomène mérite éclairage.! Affaire Tapie, affaire Bettencourt, affaire Karachi… Les affaires politiques présentées sur l’autel de la justice et sacralisées par les médias ne sont pas à prendre à la légère. Elles ont déjà défait des gouvernements. La prise en main médiatique, se révélant être juteuse car vendeuse, donne lieu à des positionnements tous azimuts qui, exposés au grand public, font et défont le principe de la présomption d’innocence. Quand on veut défendre l’accusé, on la brandit comme le bouclier d’Héraclès, et quand on l’attaque, on s’abstient bien volontiers d’en faire grand cas. Mais comment expliquer, sereinement, la verve avec laquelle certaines personnalités publiques n’hésitent pas à outrepasser les limites du droit constitutionnel en faisant fi de ce principe ? Car rappelons-le, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dans laquelle figure la présomption d’innocence, fait partie intégrante de notre « bloc de constitutionnalité ». Ce principe n’a en fait plus de valeur que pour la justice. C’est la triste conséquence de la médiatisation à bon train d’une certaine partie de la vie juridique. Les médias, en dressant les plateaux télés tels des tribunaux de substitution, ont vidé de sa substance le principe de la présomption d’innocence. Le citoyen est fait juge d’une affaire dont il ne connait ni les tenants, ni les aboutissants. Or cette ignorance ne lui confère pas la capacité qu’a le magistrat informé de se placer non pas d’un côté ou de l’autre, mais de celui de la Loi.

La présomption d’innocence souffre des passions qu’entraine la médiatisation des affaires. La justice telle qu’elle a été conçue dans notre système politique libéral se fonde sur la Raison. Le principe de la présomption d’innocence en est une illustration majeure en ce qu’il protège l’accusé jusqu’à ce qu’un procès raisonné ait eu lieu. En clair, il existe pour nous prévenir : ne succombons pas au sensationnalisme. Or, la voici la faille qui érode les piliers de la présomption d’innocence : nous avons succombé au sensationnalisme. L’hypermédiatisation nous jette dans le ressenti, le désir, l’envie. C’est pourquoi, sorti des cabinets sombres des magistrats et des Cours de justice, exposé au grand jour par les médias, la présomption d’innocence n’a plus le rôle protecteur pour lequel elle avait été mise en place. L’opinion publique, comme un immense jury populaire, se prononce, sans avoir accès aux éléments d’enquête, sur la culpabilité ou l’innocence du défendeur. Ce principe apporte toujours une protection juridique à l’accusé. Mais dans l’opinion, le mal est fait. Une mise en accusation a trop souvent pour consonance la culpabilité. Alors, est-il toujours sensé de parler de présomption d’innocence une fois conscience prise que celle-ci n’a plus l’effet escompté ? Ne serait-ce qu’un leurre de magistrat ? Ou bien la preuve cuisante de l’altération de notre système judiciaire, ciment du contrat social ? Voilà une problématique sur laquelle devrait se pencher nos gouvernants. Mais jusque-là, silence, on coule… François Moreau

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Pourquoi ?

le piercing

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Il y a de telles incompréhensions dans ce monde. Tellement d’instants où l’on se demande pudiquement, en hurlant à qui veut l’entendre, « Mais pourquoi ? ». Essayons de nous interroger, chaque mois, sur ces énigmes du temps présent, ces incohérences de la vie, ces petits bouts de ferraille qui nous font sonner aux portails des aéroports. !

Le piercing est sans doute l’accessoire de style, tout du moins d’apparence, le plus ancien. Pourtant, il eut un regain de modernisme et de mode ces dernières années, avec son cousin le tatouage. Qu’il soit sur le visage, sur les parties intimes ou dans une multitude d’autres cavités qu’offre notre corps, le piercing s’immisce dans les courants stylistiques, et donc dans la société. Il n’est plus l’apanage d’un groupe social, d’une minorité, d’un genre. Il est porté par les deux sexes dans tous les milieux et se faufile dans nos rues.

le piercing est une structure intégrée à la société. Il projette la singularité de la personne sur autrui. Comme le tatouage, c’est l’idée de faire souffrir pour ne pas dire saigner - son corps, pour mieux le découvrir et l’accepter. Ainsi, la petite boucle d’oreille en perle représenterait la petite fille sage. Le piercing au nombril arborant une chainette brillante en faux argent serait l’accessoire de la parfaite « cagole » marseillaise. Celui à l’arcade pour le surfer branleur. Anneau au nez pour le punk. Au sein pour la SM. Et en avant les clichés.

Un peu d’histoire. L’origine de la perforation corporelle remonte à des millénaires, dans des tribus principalement en Afrique. Notre objet, en bois ou en fer passe par les Empires grec et romain, par l’Amérique, l’Inde et bon nombre d’autres contrées. Il est destiné dans chacune de ces sociétés à représenter la culture relative au groupe. Il est la concrétisation, par l’image, de cette culture. On retrouve cette particularité pour toutes les modifications corporelles et particulièrement le tatouage. Claude Lévi-Strauss écrivait à propos du tatouage maori qu’il est « destiné à graver, non seulement un dessin dans la chair, mais aussi dans l’esprit toutes les traditions et la philosophie de la race ». Et le piercing dans les sociétés primitives comme modernes en est la preuve. Successivement la pancarte corporelle des mouvements hippie, gay, punk, gothique et j’en passe,

Comme dirait un certain Norman : « FAUX » ! Le piercing est devenu un accessoire de style, une mode à part entière. Tout le monde en veut un. Peu importe l’endroit. Les particularités physiques sont mises de côté par le tatouage et le piercing. Ressemblons-nous par l’encre et le fer ! Rihanna a un tatouage. J’en veux un. P!nk a un piercing. Il m’en faut un. Et l’effet mode est enclenché. Cependant, la particularité du piercing, qu’il soit soft en petites boucles d’oreille ou plus hard en clous, est qu’il résiste au temps et aux modes, en les traversant. Cet accessoire de plus de 4.000 ans a attiré l’attention de la recherche et continuera de la faire. Serait-ce parce que les gens souffrent ? Serait-ce parce qu’ils veulent singulariser leur culture ? Ce qui est certain, c’est que l’homme ne se contentera jamais de ce qu’il est. Et c’est tant mieux !

Romain Lagarde

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Le beauf assumé Celui qui s’asseyait sur le toit de la tribune principale pour regarder les matchs de son équipe, le CA Brive-Corrèze, est une des personnalités françaises les plus folles, et dans tous les cas, les plus surprenantes. Modeste, rieur, « beauf de service et tellement fier de l’être », Patrick Sébastien n’en finit pas d’étonner que ce soit à la télévision, à l’écrit ou en chansons.

par Romain Lagarde Nul besoin de dire que tous les supporters du club de Brive-la-Gaillarde ne sont pas des beaufs, des bœufs et autres bovins sans esprit, soi-disant à l’image de leur ancien président, Patrick. Tout sport engendre un phénomène de foule qui rend la singularité pas très fine, fort heureusement. On ne se déplace pas au stade pour assister à une conférence sur l’apport de Bourdieu dans la sociologie moderne ! Avant toute chose, il faut définir ce que l’on entend par beauf. Ce sera le fil rouge pour présenter ce pitre des temps modernes. Voici la définition qu’en donne Wikipédia : « Le beauf - mot d’argot français employé dans le langage courant - est un stéréotype de personne vulgaire, inculte et bornée ». Je précise que le terme « beauf » est souvent employé par les citadins, jeunes ou moins jeunes, pour décrire une absence de culture savante, de bon goût, de finesse somme toute, de la part des personnes extérieures à l’intelligentsia. Comme s’ils représentaient à eux seuls la culture, le good taste, l’intelligence et plus encore le cool. Seulement, Patrick Sébastien par ses écrits - chansons ou livres – et son enthousiasme se permet de rappeler à ces jeunes loups qu’être beauf, ça peut être drôle et hyper cool.

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JE M’EN TAPE ET JE T’EMMERDE Être beauf, Patrick s’en fout. Et il est loin d’en être un entièrement. Il en a entendu des critiques, des rires, des moqueries. Mais il est certain d’une chose, c’est qu’il rend heureuse une bonne partie de la population. Ils le lui rendent bien en achetant ses disques et bouquins. Alors bien sûr que ce n’est pas de la grande littérature. Lui-même le sait, et l’affirme dans les premières pages de Comme un poisson dans l’herbe : « Je sais que dans la bibliothèque des ordinaires (je veux dire le porte-livre des W-C, ou le tiroir de la table de nuit IKEA), il prendra sa place ». Il veut parler aux vrais gens, dire ce qu’il pense, présenter ce qu’il a vu et connu, parler des personnes qu’il a rencontrées. Évidemment on peut se demander ce qu’on en a à faire, lui qui n’a aucune légitimité pour écrire. C’est justement cela qui fait son succès. Sa normalité, sa « beaufitude ». Et puis ce n’est pas mal écrit. On apprend plein de choses. Bien davantage que dans certains livres qui se veulent sociétales et culturels, dans lesquels on ne peut trouver que l’énorme nombril de leurs auteurs. Certains passages nous font rire. Certains autres nous transportent dans l’univers du spectacle


PORTRAIT PATRICK

SÉBASTIEN

et celui des prostituées. Certes, les codes littéraires ne sont pas respectés. Mais à quoi bon, quand il y a de la matière. Et puis ces pseudo finesses qui ne font bander que leur auteur, ennuieraient ses lecteurs. Et de toute manière, il sait que « les chantres de la littérature ne le reconnaîtront pas ». C’est le même principe de beauf assumé qui prévaut au sein de son Cabaret, désormais Les années bonheur. Je ne vais pas vous le cacher, je ne regarde pas son émission régulièrement, mais le bonheur naïf qui transpire du petit écran est jouissif. Les numéros sont de qualité. Patrick est assis avec ses invités, souvent des artistes commerciaux déchus, des anciens pitres,

de nouveaux ménestrels. Et tous sont enchantés d’être à la table. On n’apprend pas grandchose mais ça fait du bien. Comme regarder un De Funès après une série de films indés. C’est pour cela que les gens allument leur télévision. Pour sortir de leur quotidien, rire et chanter pendant trois heures. Certains définissent l’émission comme abrutissante. Pour ma part, je trouve cela moins insignifiant qu’une interview de Finkielkraut chez Ruquier ou qu’un débat entre Elisabeth Lévy et Clémentine Autain. Au moins, on n’éteint pas la télévision avec l’envie de dégommer la moitié de la planète. C’est l’inverse, on veut l’embrasser. Et s’embrasser en faisant la fiesta, voilà la marque de fabrique de Patrick.

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1953!

MAIS DANSEZ BORDEL !

Le bébé Patrick nait dans la jolie et agréable contrée de Corrèze, à Brive-la-Gaillarde.

Le beauf est de retour dans ses chansons. Il est vrai qu’une analyse fine des paroles de Patrick Sébastien n’aboutit pas à un essai philosophique. Je vais me répéter mais une fois de plus, il n’est ni le seul, ni le pire. Look at America ! Je pense qu’il est détrôné par un bon nombre de jeunes chanteuses américaines, « Riri » en tête, qui écrivent de la merde et se prennent au sérieux de surcroît. Pour Patrick, il est évident que le sérieux est secondaire. Je pense que les sardines peuvent se pavaner sur la première marche du podium. Quand j’ai vu les fans de Kavinsky, Chinese Man, se trémousser en chantant les sardines en soirée, j’ai aperçu au fond de la pièce Patrick Sébastien les enculer profondément. Et il en a le droit. Se faire épier de haut quand

CAMPAGNE

1974!

CAPITALE

Il quitte la campagne pour la ville des saltimbanques, Paris.!

1980!

WTF

Il devient Patrick Sébastien, prénom de son fils aîné.!

1995-99!

PATRON

Président du club du CA Brive Corrèze Limousin.

Comme un poisson dans l’herbe, Paris, Editions XO, 324 pages, 19.90 !!

tu fais de la merde outrancière et grossière, ok. Mais quand tu apportes un peu de bonheur aux gens. Là, pas d’accord. Je ne peux dire si Patrick Sébastien est rancunier ou se soucie de ce que pensent les personnes qu’il a lancées. Vu son dernier livre, sans doute un peu. Mais ce qui est certain, c’est qu’un nombre impressionnant d’artistes lui doivent beaucoup (voir page ci-contre).

MERCI PATRICK Je suis tombé des nues quand j’ai réalisé le nombre pharaonique d’artistes que Patrick Sébastien avait lancés ou aidés. Et certains sont désormais des stars mondiales. Je pensais qu’il avait écrit son livre, Comme un poisson dans l’herbe, justement pour régler des comptes, dire qu’il était souvent oublié à la table. En tout cas mal jugé. Il y a un peu de ça dans le livre. On découvre que certaines personnes ne sont plus à l’aise dans le cœur de Patrick. Il a lancé bon nombre de stars qui ne l’appellent plus. Bon, il y a toujours eu des relations de ce genre. Là où l’intérêt réside, c’est sur sa capacité !

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UNE VIE! DE PATRICK BOUTOT-SÉ BASTIEN! 1998!

LA TÊTE À CLAQUE DANY BOON!

SERVICE PUBLIC

Le Plus Grand Cabaret du Monde sur France 2. !

1999!

TUBE

Le petit bonhomme se transforme en mousse.!

2006!

POP STAR

Les sardines se dandinent sur les podiums.!

CÉS N A L É T É T N O ILS PAR PATRICK

LE TARÉ ALBERT DUPONTEL!

L’OMNIPRÉSENT NICOLAS CANTELOUP!

LE POÈTE YVES JAMAIT!

trouver des talents et les faire connaître sans se mettre en avant pour autant. Et pas seulement dans le milieu du cirque. La liste est longue, et certains compositeurs français, qui présentent des paroles d’une magnifique finesse, ont été dénichés et suivis par Sébastien. Le paradoxe est étrange. Comment un homme qui écrit des paroles aussi banales peut soutenir de tels poètes ? C’est là toute l’ambivalence et la singularité de Sébastien. Ce qu’il veut, c’est faire

chanter et rire les gens. Il est doué pour les faire danser, d’autres sont meilleurs pour les faire penser. La complémentarité est la clé. Chaque personne a un talent, parfois infime, qui doit être approfondi et dévoilé. Que ce soit dans le rugby, dans la chanson, dans le cinéma, dans le spectacle, Patrick, avant tout ce qu’il peut faire pour lui, œuvre pour les autres, qu’ils soient artistes ou badauds. Et pour ça, on peut lui dire : Merci Patrick !

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PHOTOGRAPHIE : Marie Fruitier

La Piscine, Musée d’Art et d’Industrie, Roubaix!

e, La carde étend sa nappe fin La liseuse fait sa bobine, Le ruban en fil transformé tte S’enroule aussitôt sur sa cane , La chaîne s’ouvre à la navette Je reçois le tissu formé. Je lui donne par la teinture Je complète par les apprêts Et la nuance la plus pure, . Et le plus flatteur des aspects Henri Vassart vers 1847 !


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MODE Le cycle des semaines de la mode new-yorkaise, parisienne et milanaise s’est achevé il y a un peu moins d’un mois. Des sujets toujours plus calqués les uns sur les autres pullulent sur les tables de salon. Il ne faut pas confondre mode et tendance. La mode n’est-elle pourtant pas une essence bien plus intemporelle que celle d’un défilé de mi-saison ? L’une traverse les époques, l’autre ne résiste pas au temps. La mode comme approche sociologique ; l’apparence est une des clés de compréhension du groupe social. La mode se transmet de génération en génération, tel un héritage légué par le style passé. La mode comme un espace clos ; le luxe devrait descendre davantage dans la rue. La mode comme douceur et féminité ; capturée par l’appareil photographique d’Oliver Fritze...


Du croquis à la rue, de la rue au croquis Au mois d’août, entre les portants de produits soldés restants sont apparues les premières pièces de la collection Automne-Hiver 2013 en magasin, avant d’être complétée au mois de septembre. Comme chaque saison, vous découvrez les nouvelles tendances. Toutefois, ces nouvelles pièces que vous n’auriez pas imaginé porter il y a six mois de cela ont vécu un long périple avant de devenir l’objet de vos envies. Cette année le pastel, le carreau « Barbès » et plus généralement écossais, le total look gris souris, le mohair et les années ‘40 sont les nouveautés déclinées à l’envi. Déjà remarquées au cours des saisons précédentes, le bordeaux, les pièces en cuir, les imprimés animaliers, le lamé ou plus nouvellement arrivés mais désormais confirmés, le sweat imprimé et le pyjama, sont des tendances qui sont renouvelées. L’histoire de chacune d’entre elles a commencé il y a cinq ans, en 2008. Des sociologues, employés par des bureaux de style pour anticiper ce qui sera susceptible de plaire demain, sont partis flâner en quête de modes de vies transgressifs. La rue et les réseaux sociaux sont deux viviers où les sociologues étudient la jeunesse, ses dégaines alternatives et sa capacité à parfois outrepasser les tendances communément acquises. Il s’agit donc de louvoyer au sein de la « hype » pour dénicher des embryons de snobismes susceptibles d’engendrer des comportements plus suivis. Ces sources d’inspiration sont complétées par les expositions, les restaurants, le cinéma, les livres, ou encore l’actualité économique et géopolitique.

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ENQUÊTER POUR MIEUX CRÉER Dès le retour au QG, des économistes et autres ethnologues sont chargés de mettre de l’ordre dans le butin. Calculs de probabilité et études marketing permettent d’estimer l’évolution des comportements d’achat et les attitudes des consommateurs. Les conclusions de ces enquêtes à 360° permettent de séparer les inspirations viables des autres. Alors les équipes de créatifs mettent en forme ces propositions et les compilent dans un Saint Graal, les « cahiers de tendances », qui différencient quatre types de tendances. Les tendances flash sont les plus courtes et durent quelques semaines - la boucle d’oreille en plume, durant un mois d’été. Les tendances à court terme, quant à elles, ont une durée de vie de six à huit mois - l’imprimé Ikat. Les tendances à moyen terme, qui portent le sobriquet de « tendance d’écume » durent deux ou trois ans - le bombardier en mouton retourné. Enfin les tendances à long terme sont les tendances de profondeur, qui peuvent vivre cinq ans ou plus - le vestiaire bourgeois décliné au fil des saisons en preppy ou codes couleurs connotés, tels que le bleu marine et le bordeaux.


it-girls

Autrefois elles étaient Edie Sedgwick ou Twiggy, de jeunes femmes au je-ne-sais-quoi attractif, dont la couverture médiatique dépassait souvent les talents, bien que ceux-ci soient existants. À la fin des années 1990, les it-girls ont été décrites par l’auteur William Donaldson comme étant des jeunes femmes au sex appeal notoire qui passent leur temps à acheter des chaussures et participer à des fêtes. C’était l’époque de Paris Hilton, Nicole Ritchie et autres nanas très distinguées. Aujourd’hui, la classe it-girl peut-être scindée en deux catégories. En premier lieu il existe de dignes successeuses de

Ces cahiers récapitulent les tendances des saisons à venir - coupes, matière et gamme de couleurs, qui sont illustrées par des photos d’inspiration, des croquis, des textes ou encore des odeurs.

celles des années 90, Kim Kardashian et Nabilla Benattia, qui ont connu la « réussite » grâce à une émission de télé réalité. Mais on trouve à leurs côtés Alexa Chung, Cara Delevigne, Georgia May Jagger ou Dree Hemingway, de jolies nanas bien nées et un poil plus racées qui ont au moins l’esprit de faire passer leur oisiveté pour une multiplication des activités. Un peu mannequin, un peu dj, un peu actrices, un peu chanteuses, personne ne sait réellement ce qu’elles font mais un jour ou l’autre une marque se persuadera qu’elles sont les égéries parfaite des jeunes. À partir de là, elles seront encore mieux sapées qu’avant, donc forcément encore plus it-girls

fashion week de Londres, celle de Milan, et enfin la fashion week de Paris. Chacune d’entre elles promeut traditionnellement des styles différents : New York le sportswear, London l’avant-garde, Milano l’excentricité et Paris la Haute couture.

LES MAISONS ENTRENT DANS LA DANSE Bible sociétale éditée à environ cent exemplaires, ils sont vendus plusieurs milliers d’euros aux maisons de Haute couture dès 2011 et constituent une source d’inspiration majeure dans le processus de création des collections. Le créateur de chaque maison réinterprète les préconisations des bureaux de style pour constituer une collection qui lui soit propre, qui est présentée lors de la fashion week, ou Semaine des créateurs. Quatre villes accueillent la fashion week pendant quatre semaines consécutives, en respectant un ordre établi : New York ouvre le bal, puis vient la

À l’origine, la fashion week était un événement destinée aux acheteurs et aux professionnels de la mode, mais peu à peu, elle est devenue un événement glamour qui attire une bonne partie des têtes connues ou œuvrant en coulisses. Le front row ou premier rang, est partagé entre des célébrités triées sur le volet : rédactrices de modes talentueuses, mais aussi actrices, chanteuses et it-girls (voir l’encadré ci-dessus), qui attendent l’invitation avec impatience, puisqu’elle constitue une approbation de leur aura fashion par les grandes maisons de couture. Toutefois, ces it-girls nourrissent aussi le défilé puisque leur joli minois, qui déclenche

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À la rech les passions, attire la presse qui publie sur l’événement. Chaque défilé a alors un coût, et certains couturiers désargentés sont parfois obligés de rester en retrait. Ainsi, selon la salle qui est choisie, un défilé coûte entre 30.000!, rien que pour le staff, et jusqu’à 1 million d’euros.

Inspiration de rue, étude de la société et de l’actualité

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Chacune des quatre grandes villes organise deux séries de défilés dans l’année. Les collections Automne/Hiver dès février et les collections Printemps/Eté dès septembre. Les défilés ont lieu si longtemps en avance pour que les acheteurs puissent passer commande et les recevoir en magasin avant le début de la saison. Cela donne aussi le temps à la presse de publier des articles annonçant l’arrivée des pièces must have de la saison. Les collections prêt-à-porter de l’hiver 2013 ont été présentées à Paris lors d’une semaine de défilés à la fin du mois de février.

LA POULE ET L’ŒUF Six mois plus tard, dès le mois d’août 2013, on peut retrouver ces pièces dans les boutiques des différentes maisons qui ont défilé, mais aussi des pièces similaires ou des ersatz chez bon nombre d’enseignes de prêt-à-porter à prix modérés, ayant tout de même pris soin au préalable de respecter un certain nombre de différences, afin d’éviter tout démêlé judiciaire.

Les potentiels consommateurs seront donc abreuvés de louanges et de recommandations par la presse, qui communiquera dans un premier temps sur les défilés eux-mêmes et sur « les pièces à avoir impérativement dans son dressing à la rentrée », puis sur les « tenues de star », ingénument habillées par des créateurs ravis de vêtir de tels artistes de leurs créations - Nabilla Benattia habillée par Jean Paul Gaultier au mois d’avril - et enfin sur les pièces en boutique.

Dans l’intervalle, les marques auront souscrit des contrats avec des agences de relations presse, qui auront été chargées de faire apparaître la marque et ses produits dans tous les kiosques en faisant jouer leurs relations avec les journalistes.

C’est donc la rue qui inspire les tendanceurs, qui inspirent à leur tour les couturiers, qui inspirent la rue. La mode est à la fois la poule et l’œuf, un petit monde autarcique qui se nourrit lui-même de ce qu’ont engendré ses créations passées

Ophélie Auzolle

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erche du hype !

Analyse des comportements par les bureaux de style

Du berceau à la maturité, le cycle des tendances en 5 étapes Alizée Cogez

" Bouclage et vente des « cahiers de tendances » Arrivée en rayon pour le grand public

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Du Catwalk à Kate Moss, de la fashion week aux stars dans les magazines féminins

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Et si on se foutait de la mode ? En septembre, la fashion week de New-York battait son plein. Accompagné de son lot de « hot topics » mondains et de « sujets » brûlants tels que la couleur de la robe de Paris Hilton et la coiffure de Kate Upton. Choux gras des magazines peoples au prix aussi élevés que leur apport journalistique à la culture française. Oui, il faut haïr les magazines de mode. La mode représente probablement le niveau 0 du journalisme pour quelqu’un qui ne s’y intéresse pas.!

En tant que jeune français de sexe masculin et dans sa vingtaine, j’ai toujours considéré la Mode comme un domaine pour bobos désoeuvrés ou pour riches touristes désireux de se sentir un peu parisien quelque part. Ces défilés, ces stars, ces mannequins squelettiques évoquent le snobisme prétentieux de ceux qui peuvent se payer ce genre de fringues. Le fait est qu’on en demeure tous relativement éloigné en tant que jeune, trop fauché pour se le permettre. La grande majorité des jeunes et des moins jeunes n’ont jamais foutu les pieds à un défilé, ni parlé avec le moindre couturier. La mode pour la grande majorité des gens s’arrête à Celio, Les Trois Suisses et pour les moins chanceux la Halle aux Vêtements… L’immense majorité des créations stylistiques par les grands couturiers de ce monde échappent au commun des mortels. Des générations d’humoristes ont su faire passer pour des cons tous ces grands couturiers et leurs accents. De Desproges aux Inconnus, les « maîtres du chiffon pompeux » ressemblent tout juste à des tortionnaires pédants cocaïnomane et incompris.

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VANITÉ ET LUXE À LA FRANÇAISE C’est justement cet élitisme - attitude on ne peut plus française - qui fait de la mode un exercice si prisé par ces « autres », ces grands acheteurs du savoir-faire parisien, de la French touch : les nouveaux riches chinois, femmes qataries, les rappeurs américains… la liste est longue. Cette relique de l’histoire française, mieux, de l’histoire parisienne, attire encore. Fleuron de l’économie française, elle contribue à nous fournir les quelques centièmes de point nécessaire à nous rappeler que la France sortira de la récession. Fierté. Cocorico. Je doute qu’on puisse parler d’un « retour de la mode » mais il faut reconnaître que l’exceptionnalisme Français tire indéniablement son épingle du jeu. Vanity Fair lancé au mois de juin 2013 - dévoilant le magnifique décolleté d’une actrice peu connue pour le premier numéro : Scarlett Johanson - dirigé par le très « bankable » Michel Denisot est déjà été tiré à 85.000 exemplaires et accompagne les autres magazines - du même groupe américain CondéNast - comme Glamour, GQ ou encore Vogue


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La très jeune top-modèle Lindsey Wixson s’apprête à se ramasser salement sur le catwalk

qui totalisent 500.000 tirages à eux trois en 2012. Le faubourg Saint-Honoré ne désemplit pas et la fashion week de Paris séduit encore et toujours les médias, de Marie-Claire à Canal +. Voilà les armes de propagation massive sur le sol français.

J’IRAI CRACHER SUR LE CATWALK La France, terre de mode ? Certes. Les Français ? Il suffit de sortir dans la rue pour s’apercevoir que la mode est la même pour tous. Copie, imitation, la mode intègre, socialise et identifie. Ressembler à tout le monde c’est la sécurité d’être quelqu’un. Cela peut paraître contradictoire mais c’est probablement la raison pour

laquelle la mode est si difficile à cerner. Elle ne reflète que l’audace, la folie de ceux qui se refusent à faire comme les autres, à rentrer dans le moule. Rejeter la majorité, c’est conserver une sécurité par rapport à cet art. Finalement, la mode n’est pas faite pour tout le monde et ne le sera jamais. C’est ce qui fait son charme, celui-là même que les étrangers viennent chercher à Paris. Alors à vous et moi, bouseux incultes et obtus qui méprisons l’existence de la mode, continuons d’y voir une exaltation bourgeoise et stérile et allons feuilleter le dernier la Redoute. La fashion week de New York aura lieu sans nous et s’en accommodera très bien

Martin Gallard

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Hermès, histoire

d’un succès inattendu

En 2010, Yann Kerlau, avec les Dynasties du luxe, retraçait le paysage des grandes familles dont l’héritage perdure de génération en génération. Si certaines, comme Chanel, restent sous la domination totale des héritiers, d’autres sont devenues, par choix ou par nécessité, des sociétés capitalistiques dont la gestion et la politique marketing visent des objectifs précis sur les marchés internationaux. La maison Hermès, qui appartient encore symboliquement aux héritiers de la famille Hermès-Dumas, est un exemple de la mainmise des grands groupes financiers sur le secteur du luxe. Signes particuliers : si la maison francoallemande avait des vues européennes quand à son expansion, LVMH, qui petit à petit a racheté ses actions, impose désormais un style d’internationalisation fulgurant et agressif. Quitte à dénaturer l’identité de la marque.

SUUCÈS, TSARS & CALÈCHES Succès basé sur un produit aujourd’hui encore majoritaire dans les ventes contemporaines de la marque : la sellerie, si bien représentée par le logo orange mondialement connu. Indice révélateur de ce succès, la police utilisée par la marque en 1945 se nomme depuis « Hermès font ».

rue Basse-du-Rempart un atelier somme toute modeste de bourrelier et de sellerie. L’explosion du mode de transport en calèche et le savoir-faire équestre reconnu de l’ouvrier lui valent très vite la reconnaissance de la clientèle et des professionnels. Reconnaissance qui se soldera par la médaille de première classe obtenue lors de l’exposition universelle de 1867. Hermès devient connu, et, plus important, reconnu. Mais la marque est encore ultra spécialisée et concentrée sur une clientèle parisienne. Fort de ses récompenses, c’est finalement autant au Tsar Nicolas II qu’à la bourgeoisie anglaise qu’il répondra, créant ainsi un cercle de privilégiés triés sur le volet, passant d’ouvrier talentueux à créateur d’objets de désir pour une clientèle à la recherche de pièces de plus en plus sublimes.

LE SAVOIR-FAIRE HERMÈS L’histoire de la famille débute en Allemagne, les Hermès, protestants, ayant en effet fui la France après la révocation de l’Edit de Nantes. C’est le retour au pays d’un des descendants, Thierry Hermès, qui signe en 1837 le départ de la plus que célèbre dynastie luxueuse. Ce dernier fonde près de la Madeleine à Paris,

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C’est également un incroyable sens du challenge et de l’innovation qui permet aujourd’hui à la marque de relever autant de la maroquinerie que du bijoux ou de la parfumerie. Ce sens de la création, de l’expansion relèvera néanmoins toujours


UNE CHRONOLOGIE HERMÈS 1920 1837 CRÉATION D’HERMÈS

Développement de la marque en dehors de l’univers équestre

EMILE-MAURICE HERMÈS

1923 Réclame dans L’Illustration

THIERRY HERMÈS Fondateur, ami du Tsar

de la tradition familiale puisée de l’amour du cuir, des liens et rênes de chevaux. Et de cette attache qui aura unit le destin d’Hermès à la passion équestre et au moyen de transport. Les premières nouveautés du 24 Faubourg Saint Honoré seront donc des nécessaires de voyages, des gants en cuir et des accessoires pour la nouvelle venue du XXème siècle, la voiture. Le luxe sert le quotidien et suit les avancées technologiques de l’époque. La maroquinerie influencée par les petits fils du fondateur, Adolphe et Émile, deviendra un des produits phare de la maison. C’est également à Émile que l’on doit le Kelly ou encore la tenue cavalière. Hermès entre dans le monde très fermé de la haute couture et du vêtement de luxe : la marque côtoie Chanel et Dior dans les défilés et continue d’autre part ses innovations intemporelles. C’est ainsi à la famille Hermès que l’on doit la propagation du système de la fermeture éclair en France.

1929 Le Carré Hermès par Lola Pursac

LE CULTE DU CARRÉ 1929, année-clé dans l’histoire de la marque à la calèche. La styliste Lola Prusac, mandatée pour étendre la signature Hermès à la mode féminine quotidienne, crée le cultissime carré. Suivront sous l’influence des gendres d’Émile la branche parfumerie et le secteur de la soie ainsi que des souliers. Les cosmétiques, l’horlogerie et l’orfèvrerie feront suite avec une implication financière dans le capital des maisons partenaires. 2010 et LVMH signent l’arrêt brutal de l’héritage familial de la dynastie. C’est petit à petit que le grand groupe entre dans le capital de la famille Hermès-Dumas jusqu’à en devenir majoritaire à la surprise de tous. Si le statut de gérance en commandite protège les descendants de toute OPA (Offre Publique d’Achat), il ne fait aucun doute que malgré les déclarations contraires, LVMH marque un tournant stratégique dans l’histoire d’Hermès.

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1945

1980

Création du logo

JEAN-LOUIS DUMAS Gérant emblématique de la marque durant 30 ans

ROBERT DUMAS

1970 Hermès développe sa gamme de parfumerie

1935 Le Kelly

MAINMISE FINANCIÈRE ET REGARD TOURNÉ VERS L’ORIENT Seraient-ce les objectifs sous jacents concernant le destin d’Hermès ? Preuve en est avec Shang Xia. Petite sœur chinoise de la maison française, développée avec le capital de la marque pour une expansion en Asie. L’objectif vanté par la famille Hermès étant de créer un « Hermès chinois » tout en faisant « renaître l’artisanat chinois ». Depuis 2010, la marque aux allures zen, spécialisée dans l’art de vivre, les meubles en bambous et la porcelaine coquille d’œuf est également sous domination LVMH. Elle échappe aux héritiers Hermès. La question de la renaissance de l’art chinois pour les asiatiques a rapidement été élaguée pour mettre l’accent sur une expansion globale précipitée. La première boutique parisienne ouvrira ses portes en 2013 rue de Sèvres,

d’autres suivront dans les capitales de la mode ainsi que dans certains pays émergents. Hermès qui ne comptait qu’une seule boutique au Brésil il y a encore deux ans, prévoie d’en ouvrir une dizaine dans toute l’Amérique latine d’ici un an. L’expansion est exponentielle. L’enseigne familiale préfère désormais le marketing à la création. Hermès aux sandales ailées, va-t-il se brûler sous le soleil brûlant de la Bourse, plonger dans l’abîme des marchés financiers ? Juste retour de choses en ce mois de juin dernier : Axel Dumas, neveu de l’ancien dirigeant Jean-Louis Dumas reprendra la tête d’Hermès dès Janvier 2014. La hiérarchie sera de nouveau familiale puisqu’il compte travailler en tandem avec son cousin, Pierre-Alexis Dumas. La dynastie ne semble décidément pas encore prête à laisser tomber son incroyable héritage aux mains des groupes financiers

Maurane Pauli

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2011 Le graffeur Kongo rajeunit le mythique Carré Hermès

2012

PIERRE-ALEXIS et AXEL DUMAS

Le retour de la famille aux commandes

2013

Campagne ‘Le temps devant soi’

Le nouveau magasin rive-gauche

Collection Printemps 2013

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Exercice de style « Elle travaille au Printemps ». C’est ce que m’a répondu une copine lorsque je lui ai demandé des nouvelles de sa sœur. Connaissant son talent et ayant toujours admiré sa prestance je m’attendais plus à ce qu’elle m’apprenne que Jeanne-Marie était styliste chez Céline que vendeuse à Rouen. Je n’ai rien contre les vendeuses mais à la sortie d’une licence de stylisme à Paris, on pourrait penser que la voie était tracée pour une jolie minette de 24 ans au style sans appel et à l’éducation - et à la tête - bien faite.

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Après avoir rencontré Jeanne-Marie pour discuter de son parcours, de ses projets et de la profession de styliste, j’ai pu comprendre la complexité pour les étudiants de ce domaine particulier, à s’engager dans une voie professionnelle où il faut jongler entre les obscures tâches dans de clinquantes enseignes, la nécessité d’une indépendance financière et l’atteinte de leur rêve. Car comme elle le dit elle-même, « Au-delà du fait d'être une passion chez certains, c'est tout de même un métier qui véhicule du rêve ». Je vous épargne donc tous les clichés du type « les places sont chères sous les projecteurs », en essayant de comprendre à travers les paroles de cette jeune styliste, comment ça se passe, en vrai.

À DEUX PAS DE PARIS Je m’attendais à ce que Jeanne-Marie me décrive, véhémente et aigrie, ce monde de rat qu’est la mode. Pas tellement. Elle le concède, c’est financièrement souvent compliqué et elle eue préféré intégrer une grande maison de couture à la sortie de son école pour se faire les griffes, avant de sortir la sienne. Mais le quotidien est doux en Normandie, à Rouen, ville

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dont elle est originaire et qu’elle n’a jamais quittée, pour des raisons financières mais aussi parce que lors de ses prenantes études, « ça [lui] faisait du bien de [s]’éloigner de l’euphorie parisienne ». Elle ajoute : « Je pense sérieusement qu'être en Province, dans le milieu créatif, peut être bénéfique, dans le sens où on est un peu moins influencé et influençable. On regarde les choses de l'extérieur, on a du recul, même si on reste à l'affût de la moindre nouveauté ». Vivre à une heure de train de Paris lui permet donc d’avoir un appartement convenable avec son petit copain et de bosser quelques heures par semaine pour s’assurer un certes maigre, mais rassurant revenu mensuel, qui lui sert aussi à rembourser son prêt étudiant.

DE L’ÉTUDIANTE À LA STYLISTE LISAA est une école chère mais Jeanne-Marie était sûre de ce qu’elle voulait faire et ne regrette pas d’avoir pris ce risque. Sur un rythme soutenu, elle a suivi pendant deux ans une formation complète (cours de textile, modélisme, graphisme, communication,


anglais, etc.), encadrée par des profs à l’écoute et qui poussent à être innovants : « On est très impliqués, on fait tout, c'est donc pour ça que j'ai finalement développé cette indépendance, cette envie et ce besoin de faire mes propres collections ». Elle créé absolument tout de A à Z et à défaut de moyens, elle a des idées. Elle souhaite mettre en scène au plus vite, lors d’une présentation confidentielle ses pièces pour avoir un premier retour qui lui donnerait la température du public face à ses créations. Si les choses se passent bien elle pourra éventuellement répondre à des commandes puis monter un site pour déboucher, in fine, sur la création de sa propre marque - distribuée par d’autres - voire de sa propre boutique. En parallèle de ce projet, Jeanne-Marie recherche chaque jour sur des sites d’annonce les rares postes qui pourraient l’intéresser : « Je pense que je suis prête à faire des concessions, question boulot, il faut savoir accepter de faire des missions peu glorieuses pour pouvoir monter après. Mais tout dépend aussi de l'entreprise dans laquelle tu tombes. Certaines te considèrent à ta juste valeur, d'autres, surtout quand tu es stagiaire, par exemple, profitent du fait que tu sois là, et te font faire du collage et mettre des antivols. Mais malgré des expériences qui peuvent être dures moralement parlant, ça n'empêche qu'on peut tout de même

apprendre beaucoup. Je pense qu'il faut parfois passer outre les mauvais points et juste prendre les bons. Mais de là à te dire que ça se passe toujours comme ça, genre on te prend pour un larbin, non je ne pense pas. Les missions qui semblent, à première vue les moins cools peuvent également t'apprendre beaucoup et te font comprendre le job. » Rien de bien étonnant quand on connaît la situation des stagiaires dans la plupart des domaines professionnels.

ATTENDRE AVANT DE SE LANCER Jeanne-Marie n’a pas eu beaucoup d’occasion de rencontrer des anciens et ignore globalement ce qu’est devenue la majorité, même si les grands noms sont eux répétés et proclamés, pour garder les troupes motivées. Le seul souvenir qu’elle garde est celui d’un « ancien », « disant dans un article qu'il fallait attendre un peu avant de créer sa marque […]

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que ce n'était pas le moment. Ça devait sûrement plus tenir du conseil concernant le contexte économique mais malgré tout créer sa marque aujourd'hui n'est vraiment pas chose facile ». En témoignent les nouvelles qu’elle obtient des gens de sa promo, dispersés entre stages, voyages ou vie professionnelle à l’étranger et changement total de voie. Si Jeanne-Marie est entrée à LISAA avec l’idée de devenir styliste pour une marque, c’est grâce à la formation complète qu’elle a reçue qu’elle a décidé de créer entièrement sa propre ligne. C’est un travail laborieux et en attendant d’achever sa collection, elle va aller prendre du galon à l’Opéra de Rouen, comme costumière. C’est une expérience non négligeable d’un point de vue de la technique.

DE MULTIPLES VOIES À EXPLORER Elle enchaîne avec joie sur sa visite au salon Révélations, au Grand Palais, première biennale des métiers d’arts et de la création : « J'ai vu des professions de fous, qui pour le coup sont des métiers d'artisanat d'exception, des personnes qui ont un savoir-faire incroyable, qui travaillent pour le milieu de luxe, pour des artistes... Des céramistes, des confectionneurs de souliers, des joailliers, des brodeuses d'art et plein d'autres. Ce sont vraiment des métiers magnifiques, qui ont besoin de transmettre un héritage, un savoir-faire et qui ne demande qu'à apprendre à des jeunes. On parle souvent de la mode, du stylisme, mais il y a tellement d'autres métiers très importants, dont on parle peu et qui pourtant sont l'essence même du luxe et de la mode. »

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C’est amusant ce sentiment d’émerveillement et cette impression que Jeanne-Marie croit encore profondément dans les merveilles des métiers de la mode, du styliste au joaillier. Ces métiers d’art, qui véhiculent du rêve, comme elle le dit justement mais qui broient aussi bien des aspirations. Alors je crois que c’est avec patience et sérénité qu’elle va tenter de gagner des places et de s’en faire une, dans le soyeux milieu qu’est celui de la mode

PHOTOGRAPHIES STYLISTE ET CRÉATRICE Jeanne-Marie L ELEUX CRÉDITS PHOTOS Fre d M A R G U E R O N

Fanny Anseaume

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Chanel à l’Élysée Prada à Matignon Les politiques de la mode. La mode en politique. Fut un temps lointain où nos dirigeants ne se souciaient guère de leur tenue. Cravates violines cohabitaient avec chemise couleur sable. Mais ce temps est révolu.

VOGUE US ET VOGUE FRANCE ENTOURENT LE MAIRE DE NICE : ANNA WINTOUR, CHRISTIAN ESTROSI, CARINE ROITFELD

La mode a toujours été l’apanage des couturiers et de leurs muses. Ces sirènes inspirantes provenaient du cinéma, des scènes de théâtre, des festivals rock. Puis ce fut le tour des égéries masculines qui, tout en insufflant de la créativité aux précurseurs du textile, donnaient une certaine image de l’homme. Ce cercle fermé fonctionnait telle une société primitive, sans aucun contact avec l’extérieur. Un autre cercle, tout aussi clos, fonctionnait de la même manière avec ses codes, ses muses, homme ou femme, ses entrées. Et ce sentiment d’être incompris par les personnes extérieures. C’est le cercle politique. On pourrait paraphraser Bourdieu et

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parler de champ stylistique et de champ politique. Seulement, ces champs se sont enfin rencontrés. Ils ont mêlés leurs tentacules si puissantes. Alors, nous ne pouvons parler de vision commune, de compréhension mutuelle, mais petit à petit, une sensation que la mode fait de la politique et plus particulièrement que les politiques font la mode.

LES IT-POLITICS Tout comme les it-girls et it-boys arborant les dernières créations de Chanel, Dior et l’ensemble des belles maisons à bas prix, nos


gouvernants se sont mis à la mode. Alors, demandez-leur s’ils ont de l’intérêt pour ce qu’ils portent. Ils vous répondront qu’ils ont d’autres chats à fouetter. Mais il est simple de prouver qu’il importe fort à nos dirigeants d’être vêtus en circonstance et de porter les dernières tendances. Une analyse historique, pourtant intéressante, ne serait pas adaptée à cet article mais nous pouvons tout de même distinguer la dernière phase de l’évolution. Et il apparaît évident de lier l’intérêt grandissant des politiques à leur image à l’apparition de la communication politique. Et ces dix dernières années en sont l’illustration parfaite avec l’importance de l’incarnation imagée du candidat lors des élections présidentielles. On pense à la veste rouge ou blanche de Ségolène et les Ray Ban aviateurs bling-bling de Sarkozy en 2007. À l’allure sobre et impeccable de Barack Obama en 2008. Et tout cela allant crescendo vers une imbrication assumée de l’image, de la mode et de la politique. Charles de Gaulle ne se souciait guère de ses tenues. Certes, les circonstances l’obligeaient à porter certaines tenues liées à l’armée ou à la fonction, mais l’étalage médiatique ne portait pas sur les tenues mêmes. On peut poursuivre les exemples avec François Mitterrand et ses tenues parfaites, VGE et ses cravates. La tenue du gouvernant a toujours eu de l’importance, que cela soit en Europe ou outre-Atlantique - on pense aux costumes et accessoires délirants de F.D. Roosevelt - mais la « com’ » n’obligeait nullement ces décisions de style.

LE CATWALK ÉLYSÉEN La mode transpire désormais chez toutes les personnalités politiques. Mis à part peut-être

UNE FLEUR À L’ÉLYSEE, MME LE MINISTRE DEFILE.

certains élus du Gers, de Creuse et de Biélorussie. Il suffit d’épier une entrée de Conseil des Ministres le mercredi matin, et nous voici au Festival de Cannes. Les Ministres femmes, montées sur des échasses et des patins de 15 cm, tentent désespérément de ne pas perdre l’équilibre sur les graviers de la cour élyséenne. Leur sac Le Tanneur à la main, leur blazer The Kooples pour les plus jeunes, Tara Jarmon pour les plus aguerries, à couleurs vives pour rehausser leur teint grisâtre de Ministres sérieuses. Il serait con de tomber devant la presse française qui attend, tels de vrais paparazzis, la sortie des stars. Mais les hommes ne sont pas en reste non plus. À l’époque - c’est à dire, dans la mode, il y a peu, il était épique de noter les costumes et les cravates de toutes les couleurs.

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AH... L’ÉLYSEE ! C’ETAIT LE BON TEMPS.

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DIS-MOI CE QUE TU VOTES, JE TE DIRAI CE QUE TU PORTES J’ai toujours considéré insignifiant et idiot le procédé qui consiste à établir un lien entre choix politique et option stylistique. On peut porter un costume The Kooples, rouler en Porsche et voter Philippe Poutou. C’est un choix de société et non un vote personnel. Mais ma candeur de jeunesse fut stoppée par la réalité. En fait, le style est en grande partie lié à ce que tu es. Donc à ce que tu penses. Et on le voit au plus haut sommet de l’Etat. Alors que Sarkozy préférait Prada sur mesure, Hollande opte pour du prêt-à-porter et des retouches. Quand Nicolas porte ses Ray-Ban, François porte on ne sait quoi. La nature de l’homme transpire dans les vêtements. L’outrance face à la simplicité. Le luxe contre la rue. Alors pas de conclusions puériles, je reste sur ma position que cela ne signifie rien. On ne les élit pas pour juger de leurs fringues. Enfin, c’est ce que je pensais avant d’éplucher les hebdomadaires français, s’enfonçant de plus en plus dans le néant journalistique. Paix à ton âme Sartre. La couleur politique rencontre la mode chez les femmes de Président également. Pour chaque voyage présidentiel, les premières dames exposent leurs tenues spécialement faites pour l’occasion. Et là encore, le choix est assumé. Valérie Trierweiler préférait les marques françaises et sobres comme Le Tanneur avant de dériver inévitablement vers les grandes maisons du luxe français. Non par choix dit-elle ! Il y a plus pénible comme obligation d’Etat que de porter du Dior. Et puis, pour chaque rencontre, les « chroniqueuses modes », qui perçoivent l’évolution du style comme moi le progrès en médecine, comparent les tenues.

Michelle versus Valérie. Que portent-elles ? Pourquoi ? En quelle matière ? À en croire que le but du sommet franco-américain est de juger les robes et costumes des deux couples. Il est juste, cependant, de dire que chaque femme de Président a son style et représente l’image de son compagnon. On gardera à l’esprit le sac Dior de Bernadette changeant de couleur à chaque sortie. On retiendra la simplicité des deux Michelle, Mitterrand et Obama, qui à différentes époques et divers continents, représentaient l’authenticité de leur époux. Et comment peut-on oublier dans un article mêlant mode et politique la passerelle physique entre ces deux mondes ? Carla. À elle seule, elle a pu combiner perfection de style et inexistence de fonction. Elle n’était qu’une vitrine parfaite qui incarnait la tenue et zappait tout le fond. Egérie des créateurs, elle devint muse de son mari. Elle essaya, envers et contre tout, de comprendre l’intérêt de sa position, mais n’opta jamais pour le mauvais goût. Et la mode macéra au sommet de l’Etat, au point d’intéresser les créateurs eux-mêmes.

QUAND LA MODE S’INTÉRESSE À LA POLITIQUE Ces deux champs, apparemment clos et fermés, se sont donc imbriqués pour donner lieu à des gouvernants bien sapés. Mais les créateurs se sont, eux aussi, emparés du fait politique en donnant une valeur idéologique à certaines pièces et à quelques défilés. Tout styliste a voulu, au cours du temps, exposer une vision de la femme et de l’homme à travers ses créations. On pense au costume féminin YSL, à la suppression du corset par Coco Chanel, à l’extravagance rock de Vivienne Westwood,

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MIKHAÏL GORBATCHEV POUR LOUIS VUITTON

au délirant chamboulement des codes par Alexander McQueen. Et j’en passe. Seulement, cette vision émergeait d’un mouvement créatif et ne se voulait pas davantage que cela. Mais voilà, avec le mélange savant de la mode et de la politique, les créateurs parlent société, politique et idéologie. On ne s’attardera guère sur la sortie médiatique de John Galliano. Pourtant, elle relève bien de ce phénomène. Les défilés Chanel au Grand Palais en sont une illustration parfaite. Lagerfeld mettant en scène le réchauffement climatique, puis la nature verte à protéger, et dernièrement une révolution cassante qui s’ouvre sur une nouvelle ère futuriste. La loi pour le

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mariage gay a suscité de la même manière des réactions dans le monde fashion. Pour ne citer que lui, Jean-Paul Gaultier a ouvertement soutenu la loi. Lui qui fit porter des jupes aux hommes, défiler de vieux tatoués et présenter de jeunes piercés. Et réciproquement, les politiques, principalement les femmes, se déplacent pour voir le show et pour se faire voir. Bernadette ne manquait pas un seul défilé Dior. Carla, en ancienne Kate Moss des podiums, ne dérogeait pas à la règle. Et Valérie entre dans le même sillon. Seulement, ses placements réservés aux défilés « in » s’étendent aux politiques de seconde zone. Et on ne s’étonne plus d’apercevoir, derrière le tant convoité premier


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QUE PERSONNE NE BOUGE L’imbrication des champs qui composent le monde social est une évidence sociologique. On la doit à Bourdieu. Chaque monde social fonctionne avec ses codes, ses langages, ses habitudes, mais il est inévitable que ceux-ci se recoupent à certains moments. La mode et la politique sont à priori deux mondes étrangers l’un à l’autre. Et pourtant, on a vu que l’incompréhension avait fait place à la rencontre. Ces deux mondes élitistes dialoguent et s’entremêlent. Seulement, est-il normal de juger une femme politique en fonction de sa veste ? Et dans le même temps qu’un créateur s’essaye au discours politique, alors qu’il vit dans un espace coupé du réel brassant des milliers d’euros.

rang, des Ministres, des épouses de Ministres, des Députés. Cette lubie d’apparaître et de paraître s’étend même au champ journalistique politique. Ainsi, les Pulvar, les Chazal, les Drucker nièce, mais aussi « le plus stylé des journalistes », Laurent Delahousse, vont au défilé. Et entre deux interviews, journalistes et représentants du peuple commentent la dernière collection Rykiel, ou la dernière tenue fulgurante de Marc Jacobs au défilé Vuitton. Ne soyons pas naïfs, le chômage et l’emploi, c’est beaucoup moins drôle.

Le poids de l’image va trop loin. Quand on voit que le seul message d’un déplacement du Président porte sur la couleur de sa cravate. Qu’une ministre est obligée de se justifier sur la couleur et la marque de ses pompes. Futilités ? Pas forcément. Le dirigeant politique représente la France et se doit de surveiller son image. Mais il est évident qu’un Président ne va pas se promener en haillons au Conseil européen. Alors jugeons les sur leurs actes et laissons de côté le costume The Kooples et la cravate Hermès. S’ils ont envie d’être vêtus convenablement, tant mieux, s’ils n’ont pas de goût, tant pis. Et peut-être que les créateurs cesseront de faire des discours généralistes et se concentreront à nouveau pour rêver la femme et l’homme de demain

Romain Lagarde

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Oliver Fritze


Portfolio ÉQUILIBRE EN SOIE Oliver Fritze La mode sans visage et sans fond unis. Voici le pari de ce jeune photographe allemand, mais très français. Avant de remporter le Prix Picto de la Jeune Photographie de Mode 2012, Oliver Fritze a voyagé en Europe. Né en Allemagne, son envie de photographie le pousse vers Berlin où son inspiration nait. Très vite, il décide de s’envoler pour l’Italie et sa publicité. Mais l’hexagone l’appelle ! De Montpellier, il monte à Paris et devient assistant plateau au Studio Rouchon puis assistant personnel de photographes de mode.

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oliverfritze.com

La technique dépassée et dressée, il se concentre sur la lumière et son sens, en devenant pour reprendre ses mots « un photographe de mode léger ». Léger ? La légèreté n’est pas dans la portée de son travail mais dans le détail. On coupe les visages pour laisser au spectateur une liberté. On installe le focus sur les accessoires, les vêtements, les détails. En effet, nul besoin de chercher dans ses clichés une silhouette droite et entière. Il n’y en a pas. Mais les accidents de tenue, de posture, qu’il arrive à rendre vivants, apportent à ses modèles un dynamisme rare dans la photographie de mode. Alors la « rêverie automatique » peut commencer.

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Instantanés

Paris, France Juillet 2013

© Lou & Artémis – Maurane Pauli



« I always thought it’d be better to be a fake somebody than a real nobody » Tom Ripley, Le Talentueux Mr. Ripley, Anthony Minghella, 1999


Sorti en 1999, le film Le Talentueux Mr. Ripley d’Anthony Minghella est une adaptation du roman de Patricia Highsmith The Talented Mr. Ripley, quarante ans après le Plein Soleil de René Clément. C’est l’histoire de Tom Ripley (Matt Damon), un jeune homme sans qualité mandaté par Herbert Greenleaf, un riche armateur New yorkais pour aller chercher et ramener au bercail son fils Dickie (Jude Law), occupé à dilapider la fortune paternelle à Mongibello, en Italie en compagnie de sa fiancée Marge Sherwood (Gwyneth Paltrow). Ripley devient l’ami de l’héritier frivole, accède à des cercles qu’il ne soupçonnait pas, tombe amoureux de lui, le tue et endosse son identité, s’engouffrant dans une spirale de mensonges et de meurtres. L’histoire elle-même repose sur un quiproquo vestimentaire. Pour un job de pianiste lors d’un cocktail avec la haute société new-yorkaise, Tom Ripley, dépourvu de costume de soirée, a emprunté un blazer. L’écusson qui orne celui-ci le relie à la promotion de 1956 de Princeton, celle de Dickie Greenleaf, et il ne dément pas lorsque Mr. Greenleaf le prend pour une ancienne connaissance de son fils. Et voici notre héros désargenté se faisant passer pour un WASP, un jeune homme brillant appartenant à la haute bourgeoisie new-yorkaise, qui ira en Italie chercher Dickie pour le raisonner.

VELOURS CÔTELÉ ET BUTTON DOWN Nous découvrons rapidement sa tenue habituelle, formelle mais passe-partout dans l’Amérique des années 50. Elle est composée d’une veste camel en corduroy, ou velours côtelé, trop grande pour lui, d’une chemise button down bleu clair ou blanche, sur laquelle le col, souple, est accroché à la chemise par deux petits boutons, d’un pantalon en laine large à revers et d’une cravate en tricot marron foncé. Il porte les cheveux courts avec la raie sur le côté, comme tout homme sérieux et respectable. Il est très loin des tenues des jeunes hommes de bonne famille, étudiant à l’Ivy league, en chino, polo et blazer, mais aussi très loin des jeunes subversifs de l’époque, inspirés par les looks de James Dean et Marlon Brando, en blouson de cuir et jeans, ou par les beatniks, en vêtements noirs, lunettes de soleil et béret.

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GRAND ÉCRAN! TALENTUEUX MR. RIPLEY!

Comme tout jeune homme transgressif à l’époque, Dickie est féru de jazz, et accessoirise ses tenues d’un pork pie hat, le petit chapeau à calotte plate et bords relevés qui est indissociable du mouvement.

PORK PIE HAT ET DOLCE VITA Dickie, quant à lui, a adopté les codes vestimentaires italiens, qui prônent une nonchalance, la sprezzatura, en adéquation avec la dolce vita. Il faut être très bien habillé sans avoir l’air d’avoir fait d’effort pour l’être. Pour cela, il faut parfaitement connaître les codes vestimentaires pour mieux les briser, et enfin avoir du style. Désassortir pochette et cravate, mixer luxe et vintage, ou pièces conservatrices et dégaine rock leurs permettent de sortir du lot. Il n’y a aucun interdit tant que le rendu est beau. Ainsi les tenues de Dickie sont composées de bermudas ou de pantalons courts en lin, de tennis ou de mocassins à mors, et de polos ou de chemises légères.

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D’un point de vue capillaire, il porte la banane qui sera popularisée par Elvis Presley. Elle consiste à rouler sa mèche pour lui donner du volume sur l’avant, une coiffure plébiscitée par les jeunes et dédaignée par les plus vieux.


À son contact, Tom s’encanaille. Il retrousse les manches de ses chemises et va même jusqu’à ne plus les boutonner jusqu’en haut.

L’ART DU DÉTAIL Toutefois, pour réellement maîtriser la sprezzatura, il faut savoir s’habiller en fonction de l’occasion et porter la tenue appropriée en l’agrémentant d’un détail cool. Ainsi lors d’un séjour à Rome, on le voit vêtu

Malgré la volonté de Tom de poursuivre cette idylle amicale, Dickie se lasse de sa compagnie, et commence à lui faire comprendre qu’il souhaite que

d’une tenue plus formelle : un blazer, une chemise à poignets mousquetaires, une cravate et un pantalon crème. Cependant, il porte toujours son pork pie qui le fait sortir du lot.

leurs chemins se séparent. Tom ne peut se résigner à retourner à sa condition antérieure. Il tue donc Dickie, prend sa place et jouit de sa fortune, tout en redevenant Tom Ripley lorsque la situation l’exige.

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Cette duplicité n’est possible pour Tom que grâce à sa connaissance des codes vestimentaires. Son physique passe-partout peut en effet lui permettre de ressembler à n’importe qui s’il adopte l’apparat convenant. Lorsqu’il est vêtu à l’italienne, ses facultés d’imitation vocale et des mimiques complètent le portrait, et son aptitude à la contrefaçon de signatures finit de convaincre les banques et l’administration qu’il est Dickie Greenleaf. En revanche lorsqu’il porte ses tenues passe-partout, il redevient le banal Mr Ripley Ophélie Auzolle Ceci dit, nous ne saurions que trop vous conseiller de regarder aussi son prédécesseur, Plein Soleil, pour toute une série de raisons évidentes.

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L’ORIGINE DES MOTS. !

par Lucas

Lebrun & Maurane Pauli!

Deux spécialistes réputés, philologues, linguistes, étymologistes, épistémologistes, pitres poètes, cruciverbistes professionnels, docteurs en langues diverses et variées, troubadours modernes des Lettres anciennes, proposent une fine analyse de deux expressions bien d’chez nous.

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L’ORIGINE SE FAIRE APPELER ARTHUR WWII/Allemands/proxénète

Curieuse voire insondable raison qui lie un prénom, somme toute commun à une expression pour le reste plutôt méconnue. Certaines signatures semblent évidentes. Rendons à César ce qui est au grand Jules. « Se faire appeler Arthur » n’a pour la peine aucune sorte de rapport avec l’homologue anglo-saxon de l’empereur romain. Inutile de creuser dans la mythologie ou de chercher - comme je l’ai fait la liste des Arthur célèbres. Rimbaud le poète hein ! - et Conan Doyle ne seront pas la clé de l’énigme patronymique. C’est au sens de l’humour des Français occupés sous la seconde Guerre Mondiale que l’on doit cette formule tombée dans l’oubli. L’Histoire nous dit que le couvre feu étant fixé à 20 heure le soir, tout contrevenant à cette règle était qualifié d’un rageur « Acht Uhr ! » des Allemands en poste. « Acht Uhr ! » signifiant comme chacun se devait de le savoir : « Huit heure ! » À imaginer au mieux avec un signe exaspéré vers une horloge invisible, au pire avec une détonation de grosse Bertha. L’imitation et l’accent sans faille des français ayant fait le reste, se faire réprimander à propos de l’heure tardive est donc devenu se faire appeler Arthur qui signifiera se faire gronder, plus généralement.

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MOTS CLÉS Une autre explication plus incomplète et de deux décennies plus vieille nous apprend qu’en argot, Arthur signifiait proxénète. Se faire qualifier ainsi dans les années 20 relevait non pas de la boutade mais de sérieux aléas juridiques en prévision. Plus incompréhensible encore : « Se faire appeler Jules » aurait à l’époque la même signification. Rendons à César… M.P. par Achille Leblond, te Table Ronde », Définition : « Se faire appeler Arthur » est une expression signifiant faiblesse ou encore la couardise.

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Emploi : « Le Roi s'est fait appeler Arthur, il a préféré mettre les table que d'aller chercher le Saint Graal ». Cette phrase pour le moins curieuse aurait deux origines, pourtant bien différentes : La première trouve ses racines dans de biens terribles événements, entre les vrombissements des Panzers et les piquets des Junkers. L'armée allemande se ! lance dans un même élan dans la conquête de l'Europe. Les soldats qui la composent sont tous de grands gaillards - 1m95 au garrot - bien bâtis mais aux chevelures blondes malmenées face à toutes les incommodités que peuvent apporter une guerre éclair : exposition prolongée! aux intempéries, pénurie de « schampoon » et carence en vitamines végétales. Le colonel Arthur Von Briesen, pourtant plein de bonnes volontés pour aller s’étriper aux quatre coins du vieux continent, tenait plus à sa chevelure dorée qu'à son honneur,

et profitait de la pour se soustraire à comportement prit, tranchées, de Lenin la forme d'un sobriquet La deuxième explica certaine) correspond reluisante histoire d'un ge dénommé Léopo (« le couillon » en tait pas à se faire le prénom de son s'innocenter lors d'affai la police ou de dan Réaction d'autant pl frangin était victime carbonnade-5, mala extrêmement rare (dont découvert par le Do de ses travaux sur les en


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DES MOTS. AVOIR VU LE LOUP MOTS CLÉS

En réalité l'expression « avoir vu le loup » est le fruit d'un habile processus ayant associé deux autres locutions tournant autour de l'image du « loup », principalement au cours du XVIIe siècle. Parce qu'aujourd'hui abattre un loup est un acte d'une rare lâcheté - surtout à l'aide d'un calibre .300 Remington nancier de « La Ultra Magnum, il ne faut pas oublier taverne trappiste qu'un « chasseur de loup » était à ! l'époque un homme extrêmement la lâcheté, la courageux et expérimenté, en atteste ces modestes vers tirés de La Chasse pieds sous la aux loups (1899) : « Ne sais-tu donc plus que chez nous / Tihou hou ! / C’est au couteau qu’on « sert » les moindre occasion ses fonctions. Ce Loups ! » Ajoutons désormais que de casemates en la « danse du loup », qui devint plus grad à Al Alamein, tard « danser le branle du loup », déshonorant. désignait, non pas « faire l'hélicoptère », mais bel et bien faire l'amour. tion ! (et la moins ait à la peu proxénète belld dit La Clette argot), qui n'hésiappeler Arthur, frère jumeau, pour res graves avec gereux criminels. us lâche que son d'une déficience die métabolique le premier cas fût cteur Chicon lors zymes trappistes).

Par addition, et le temps aidant, « avoir vu le loup » signifie donc qu'une fille a découvert récemment les joies du sexe bestial, les instants fleuris entourant toute copulation sans saveur ou encore les malheurs d'un viol collectif. Soulignons de nouveau la coquine subtilité de notre expression : la demoiselle doit être à la fois fraichement vierge et chaudement aguerrie, à chacun d'en tirer

XVIème siècle/amour/fille ses conclusions sur de telles pratiques. Une expression voisine : « recevoir quelque passager dans sa barque ». Hors de France, la palme du mauvais goût revient à la Belgique, avec côté

par Maureen Vanwolf, professeure à Harvard, grande spécialiste de la Renaissance française et européenne. « Voir le loup » ou si l’on veut, « voir les parties sexuées de son partenaire » est une expression que l’on doit aux prédispositions à la poésie des jeunes filles du XVIe siècle. Matrones, génitrices ou gouvernantes, il n’est pas une seule représentante de la gente féminine qui n’ait mises en garde les jeunes pucelles contre la menace des jeunes (ou moins jeunes) étalons prêts à sortir du bois. Derrière un vocabulaire aussi sanglant que menaçant de l’acte d’amour, nulle surprise à assimiler le fait de voir son mari nu à l’expression « voir le loup ». Douce naïveté des jeunes vierges qui devint au fur et à mesure un mot de code dans le vocabulaire des courtisanes. Il n’est pas connu d’équivalent concernant le sexe féminin issu du champ lexical « animal féroce ».

Flandre « avoir sucé la canne en sucre » et côté Wallon « emprunter un pain sur la cuisson ». Alors que le prix du romantisme est partagé entre l'Argentine, la très pieuse « avoir vu le visage de Dieu », et les Pays-Bas, avec sa politiquement correcte « sa petite fleur a été cueillie ». L.L.

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Instantanés

Barcelone, Espagne Septembre 2013

© Lou & Artémis – Maurane Pauli


Quand la publicité s’empare du jeu-vidéo Nous avons tous passé des journées à zapper la pub pour pouvoir regarder nos émissions favorites à la télé. Nous nous sommes habitués à attendre une poignée de secondes avant de regarder notre vidéo sur Youtube. Nul doute : la publicité a fait son nid dans notre consommation médiatique, à tel point que nous n’y prêtons plus forcément attention. À l’heure où le jeu-vidéo s’installe définitivement dans les foyers, est-il condamné à subir le même sort que la petite lucarne ? !

par Bastien

Resse

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VIDEOGAMES! QUAND LA PUBLICITÉ... !

Barack Obama est une personnalité qui cumule bien des records. Il est bien sûr le premier afro-américain à accéder à la présidence des Etats-Unis en novembre 2008. Il est de loin la personnalité politique ayant le plus de partisans déclarés sur Internet au monde avec plus de 36 millions de fans rien que sur sa page Facebook, et près de 35 millions d’abonnés sur Twitter. Rien d’étonnant pour un homme qui a su jouer habilement des réseaux sociaux pour renforcer son image auprès de l’électorat américain.

Un phénomène étonnant qui évoque la mine d’or que représente ce nouveau média pour les publicitaires - le marché de l’IGA représentait 77 millions de dollars en 2006 - d’autant que la conception même du « gaming » favorise la diffusion d’un message : le joueur, en parcourant le jeu, va à la rencontre de la publicité, et non l’inverse, souvent sans le savoir, et surtout sans avoir l’impression de la subir, du moins pas toujours.

Mais Barack Obama possède également un autre record, beaucoup moins connu, et toujours

Prétendre que la publicité dans le jeu vidéo est un phénomène récent relèverait du mensonge éhonté. En réalité, l’IGA est vieux comme le jeu vidéo, bien que la réclame ait évolué au cours des décennies.

BURNOUT PARADISE!

lié à l’univers virtuel. Il est le premier homme politique à avoir investi dans de l’IGA, « l’Ingame Advertising » ou publicité vidéo-ludique. Barack Obama aurait versé lors de sa première campagne présidentielle quelques 44.465.78 $ à une compagnie spécialisée dans l’IGA, Massive Incorportated - une ancienne filiale de Microsoft afin d’apparaître dans plusieurs jeux vidéo, sur des panneaux d’affichage plus vrais que nature. Le candidat et ses conseillers auraient ciblé dix-huit jeux en ligne, notamment Scrabble, Tetris, ou Madden NFL 13 - un jeu de football américain.

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LES BASES DE « L’INGAME ADVERTISING »

En 1982, le populaire Pole Position, jeu de formule 1 disponible sur Arcade constitue l’un des pionniers de l’IGA. Le joueur, au volant de sa voiture de course pixélisée, voir apparaître le long de la route des panneaux publicitaires, comme dans la réalité, où l’on distingue des marques de l’époque, cette fois bien réelles. C’est la forme la plus basique de l’IGA, avec la méthode dite du « placement produit », que l’on retrouve au cinéma1. Cette méthode, que l’on peut qualifier également de « publicité statique » est la plus utilisée encore dans le milieu de hard-core gaming, c’est-à-dire au noyau dur des joueurs sur console et PC. Les exemples sont légions, et l’objectif n’est pas ici d’en faire l’inventaire. Puisque nous parlions dans un précédent 1

Voir notre article « Les logos nos nouveaux héros » dans le Numéro #1.


article 2 de la franchise Splinter Cell, dont le prochain opus est sorti à la fin du mois d’août, filons l’exemple, avec cette fois quelques illustrations concernant l’IGA. POLE POSITION!

notre bon vieux héros Sam Fisher s’autoriser un chewing-gum d’une marque très connue avant de descendre de son hélicoptère. Dans le jeu lui-même, c’est en descendant le long d’une tyrolienne que la caméra nous oriente naturellement vers un large panneau publicitaire – l’action se passe en milieu urbain – vantant les mérites d’une marque de déodorant tout aussi célèbre. De quoi rappeler les placements produits les plus effrontés du septième art - revoyez donc Skyfall de Sam Mendes, même si la pilule est peut-être plus facile à avaler, tant la chose est amenée à la fois furtivement et en douceur. Les publicitaires n’y vont pas forcément par quatre chemins, surtout quand le jeu lui-même devient un placement produit.

Dans l’un des opus les plus réussis de la saga, Chaos Theory, sorti en 2005, édité et développé par Ubisoft, le joueur progresse sur un parcours assez linéaire, alternant phase de jeux, briefings et cinématiques. Dans l’une d’elle,

Il faut remonter au début des années 90, qui voit apparaître ce que l’on appellera plus tard les « advergames » ou jeux publicitaires en français, et qui comme leurs noms l’indiquent sont des jeux vidéo entièrement consacrés à une marque. À l’époque, les marques ont toutes

SPLINTER CELL CHAOS THEORY, et sa marque de chewing-gum qui commence par AIR...! 2

« Le jeu vidéo peut-il devenir le dixième art » ? Lou & Artémis, Numéro #1.

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VIDEOGAMES! QUAND LA PUBLICITÉ... !

comme point commun de cibler de jeunes ados mâles, principal public concerné par la pratique du jeu-vidéo. C’est ainsi que de grandes marques, américaines pour la plupart (Mc Donald’s, Pepsi, etc.), s’offrent un jeu dédié, bien souvent gratuit, où le gameplay est entièrement voué au marketing. En somme, la forme que prend cette publicité virtuelle dépend surtout du support, c’est-à-dire du jeu en lui-même. Or, il a évolué tant par sa forme, par son modèle économique et par le public qu’il vise. Retour rapide sur les évolutions les plus significatives.

LA RÉVOLUTION DU FREE-TO-PLAY ET L’ÂGE D’OR DES DLC Les plus néophytes d’entre vous s’offusqueront de tant de mots barbares. Ce vocable renvoie pourtant à deux réalités bien concrètes. Ces dernières années, le jeu gratuit - free-toplay - a pris une place capitale dans l’univers du jeu-vidéo, à tel point que certains géants du secteur ont dû réviser leur modèle économique pour s’adapter aux exigences des joueurs et de leurs portefeuilles. Le célèbre World of Warcraft propose désormais une formule gratuite - jusqu’à un certain niveau, et deviendra, who knows ? entièrement gratuit d’ici quelques années. L’une des raisons est la « casualisation » - de l’anglais « casual », occasionnel - de la pratique du jeu, provoquée par l’arrivée de supports grand public comme la Wii, mais surtout des smartphones et autres tablettes. En d’autres termes, le public s’est élargi, même si les jeux et les pratiques ne sont pas les mêmes selon que l’on

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COURS, PEPSI-MAN, COURS !!

est une femme de 50 ans jouant à Candy Crush ou un geek pur et dur passant sa nuit sur Counter Strike. Le free-to-play, en ce qu’il est gratuit, ne peut compter sur des recettes provenant de l’achat du jeu et/ou d’un abonnement mensuel. Il est en cela victime d’une exigence croissante des joueurs, qui réclament un divertissement de qualité à moindres frais. Les éditeurs doivent donc trouver un moyen de rentabiliser leurs produits, et la publicité est une manne plus que bienvenue. Si vous avez des jeux gratuits sur votre smartphone, vous constaterez d’ailleurs que de petits intermèdes publicitaires se glissent souvent entre deux niveaux ou deux parties. L’autre tendance est la multiplication des contenus téléchargeables - en anglais « DLC » pour « DownLoadable Content » - qui s’explique par deux phénomènes. D’abord la fragmentation des contenus : on divise le jeu en plusieurs parties et en contenus additionnels pour pouvoir en tirer des bénéfices subséquents. Ensuite la monétarisation des jeux : on achète avec ses propres deniers des éléments qui pourront personnaliser le jeu avec ou sans impact réel sur le gameplay. La plupart des DLC sont proposés par les développeurs et les éditeurs eux-mêmes. Cependant, il existe des cas où de grandes marques


vont sponsoriser des contenus additionnels. Dans le dernier opus de Simcity - un jeu de simulation dans lequel le joueur doit bâtir une ville moderne – il est possible de télécharger un petit DLC gratuit sponsorisé par Nissan, permettant au joueur d’installer dans sa ville des stations de recharge pour voitures électriques Nissan Leaf. Avec pour but d’améliorer les conditions de vie de vos habitants sans aucune contrepartie si ce n’est la place que prend le bâtiment estampillé du logo de la marque. Vous ne manquerez pas alors de voir des dizaines de voitures Nissan toutes bleues parcourir vos rues et avenues. Ainsi, tout en offrant au joueur une solution facile, gratuite et teintée de vertus écologistes, l’entreprise gagne une présence publicitaire unique, étant la seule marque réelle ayant une présence virtuelle dans la ville démiurgique créée par le joueur. Dans un sens, c’est un peu comme si l’on pouvait planter des OGM dans Farmville, le célébrissime jeu Facebook, qui augmenteraient la productivité de vos champs sans aucune contrepartie, si ce n’est de voir un petit logo Monsanto sur vos sacs de maïs ! Même s’il ne s’agit là que d’une simple projection, l’exemple de Nissan montre en tout cas que la méthode du green washing - en d’autres termes se servir de l’écologie pour lisser son image passe aussi par le virtuel, surtout lorsqu’il s’agit de récréer un univers proche du réel.

AD-TRACKING, VERS UN NOUVEAU BIG BROTHER ? Jusqu’alors, les annonceurs se contentaient de cibler vaguement le profil sociologique des geeks, qu’un certain Jacques Brel aurait aimé qualifier « d’adipeux en sueur ». Ainsi va-t-on leurs proposer au gré des jeux divers et variés des déodorants, de la junk-food, des voitures, des sodas, bref, les bons clichés imputables au genre masculin. Mais la publicité va désormais plus loin, avec l’ad-tracking. Le concept ? Permettre aux NISSAN INCLUT DU MOBILIER URBAIN DE MARQUE DANS L’ENVIRONNEMENT VIRTUEL ET FICTIF DE SIMCITY.

annonceurs de cibler la personne derrière la manette ou le clavier, afin d’adapter le contenu de sa publicité en direct. Cela évoquera à certains les publicités ciblées de Facebook ou de Google : le principe est là. Encore faut-il que le joueur soit connecté à Internet. Aujourd’hui, il est très facile de repérer l’origine géographique d’un joueur grâce à son adresse IP.

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VIDEOGAMES! QUAND LA PUBLICITÉ... ! TIENS DONC ! COLIN M C RAE DIRT 2 !

En combinant avec le profil supposé du joueur - plus ou moins de 18 ans, fille ou garçon, etc. les annonceurs sont capables de projeter des publicités ciblées dans l’environnement du jeu. Pour reprendre l’exemple de Barack Obama et sa campagne de 2008, seuls certains joueurs américains pouvaient voir les bannières aux couleurs du candidat démocrates, et comme par un hasard, ils s’agissaient des joueurs provenant des états-clés de l’élection américaine : l’Ohio, le Nevada, le Colorado, l’Iowa, le New Hampshire et enfin la Virginie. Certaines publicités permettent même de mesurer l’angle par lequel le personnage du joueur aborde la publicité ou même le temps qu’il passe à la regarder : ces instruments de mesure permettent un reporting efficace pour optimiser au mieux la publicité virtuelle. Pour l’instant, la technologie ne permet pas de

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cibler individuellement un joueur, mais il est probable qu’avec la montée en puissance des Big Data, on puisse cibler de manière précise un panel de joueurs selon des critères démographiques, sociologiques et géographiques, avec une publicité mouvante et capable de s’adapter en temps réel.

QUAND LE POLITIQUE ENTRE DANS LA DANSE L’équilibre entre efficacité et retenue – afin de ne pas frustrer le joueur - est d’autant plus nécessaire que certains commanditaires n’aiment pas trop apparaître sous le feu des projecteurs. C’est notamment le cas des politiques au sens large, qu’ils soient « simples » candidats comme Barack Obama en 2008, ou des organes ministériels dépendant d’un gouvernement.


BORDERLANDS !

L’IGA ne se limite pas en effet au secteur marchand. Certains viennent y chercher des voix, d’autres du personnel. Et les Etats-Unis sont loin d’être les seuls. L’armée française, en mal de jeunes recrues prêtes à combattre sous les drapeaux, a trouvé une habile recette pour séduire ses futurs soldats : faire apparaître son slogan « Devenez vous-mêmes » sur des panneaux publicitaires en plein jeu - PES 10, Need For Speed ProStreet, NBA Live 10, NHL 10, Top Spin 3, Shawn White Snowboarding et Colin McRae Dirt 2. La référence à l’armée est discrète, implicite, presque subliminale, comme le veut le slogan. Et c’est ce qui fâche. D’autant que l’on mêle ici une réalité dangereuse – la vie de soldat – à la virtualité du jeu. Dans un article parus sur le site Ecrans.fr, le général Philippe Pontiès, responsable de la campagne, se défend de toute confusion déplacée : « Nous avons clairement spécifié que nous ne voulions pas annoncer dans des jeux de guerre. Il ne faut pas qu’il y ait confusion. Pour nous c’était un achat d’espace comme un autre, qui correspondait à la cible que nous voulions toucher […]. Mais nous avons clairement spécifié que nous ne voulions pas annoncer dans des jeux de guerre. Il ne faut pas qu’il y ait confusion et nous sommes très clair là-dessus : la guerre n’est pas un jeu ». Dénoncé par certains médias comme Rue 89, le procédé a été également parodié par Action Discrète, qui s’empara avec humour du sujet en envoyant de faux-jeunes joueurs dans les bureaux de recrutement de l’armée, attirés par le côte « ludique » de la vie militaire. Sous le regard médusé des recruteurs.

Cette polémique plutôt discrète touche pourtant du doigt un problème de fond. Tisser des parallèles entre réalité et virtualité peut s’avérer dangereux, presque contradictoire. De même, si l’on dépasse l’image sympathique du président Obama, on envisage mal des partis politiques ou des mouvements d’idées faire leur publicité dans des jeux grand public, d’autant que les gamers sont loin d’être a ussi cloisonnés que l’exige leur limite d’âge : en visant un public cible, on en touche parfois un autre, plus jeune, plus influençable ou à sensibilité différente tout du moins.

NOUVEAUX DANGERS POUR UN NOUVEL ELDORADO Les publicitaires commencent à s’éprendre du média innovant qu’est le jeu vidéo. Quoi de plus pratique qu’une interaction ludique pour faire mémoriser au joueur une marque ou un produit. Cet amour est réciproque et non sans ironie puisque le jeu vidéo reprend très souvent les codes de la publicité afin de donner un peu plus de réalisme à ses univers. Quel joueur ne s’est pas épris des parodies de réclames de Fallout ou de Bioshock, des noms de firmes truffés de jeux de mots douteux présents dans l’univers des Sims et de Simcity, ou encore des slogans bien trempés des fabricants d’armes de Borderlands ?

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VIDEOGAMES! QUAND LA PUBLICITÉ... !

LES GÉNIALES PUB STEAMPUNK ISSUES DE L’UNIVERS DE BIOSHOCK 2!

Le rapport entre les deux est quasi systématique dès que l’on veut mettre en avant l’identité d’un univers et son quotidien. Dès que l’on glisse des références concrètes à des marques bien réelles, les frontières entre virtualité et réalité s’embrouillent. On prend alors le risque de confondre ce qui relève de l’imagination et ce qui relève du réel. En parallèle de l’imaginaire se pose la question de l’art et de la création. Doit-elle se préserver de tout message, politique notamment, où n’estce qu’un espace privé comme un autre ? La liberté du joueur est circonscrite à ce qu’il lui est imposé de voir, de sentir ou de penser. En France, un collectif nommé les « déboulonneurs » luttent contre la pollution visuelle que représente la publicité dans l’espace public, qui par définition appartient à tout le monde et donc à personne. Ils se sont vus condamnés à multiples reprises pour des faits de barbouillages de panneaux publicitaires.

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Dans une tribune du Monde de Juin 2012 en soutien aux Déboulonneurs, signée par Guillaume Dumas, Mehdi Khamassi, Karim Ndiaye, Yves Jouffe, Luc Foubert et Camille Roth, chercheurs en sciences cognitives et sociales, il est évoqué la liberté de nonréception, définie comme le fait de « garantir à chaque citoyen le droit de choisir où et quand il souhaite accéder à de l'information publicitaire. » Un bon jeu n’est-il pas celui qui parvient à imaginer, créer, concevoir, en donnant une impression de réel sans jamais y arriver complètement, comme une tangente que l’on ne doit toucher de peur de briser le charme de l’illusion ? C’est ce que Maupassant semblait décrire en parlant de réalisme : « Faire vrai consiste donc à donner l’illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession »


FOOD IN THE CITY !!

Bagels, hamburgers, cupcakes et autres cookies dégorgeant de pépites détrônent peu à peu notre bon vieux pot au feu ou la ratatouille provençale. Comment l’Europe, terre de « bon goût » et de subtiles papilles se laisse-t-elle conquérir par l’empire de la malbouffe ? par Maurane

Pauli

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PAR LES TEMPS QUI COURENT!

FOOD IN THE CITY!

Voilà. Fut un temps où l’on avait « people of Wallmart », ce croustillant site répertoriant les plus obèses, défripés et repoussant customers de la fameuse chaîne de supermarchés américains. Le Super Size menu égayait lui aussi nos conversations alors que chacun garde en tête l’image de Morgan Spurlock, le réalisateur, rendant son litre de coca ainsi que les nombreux steaks ingérés. Enfin, il nous restait ce superbe sentiment de victoire, cet impertinent narcissisme bien français alors que, bien propres sur nous de l’autre côté de l’Atlantique, notre gastronomie « saine » et alléchante se propageait tout autour du monde.

Allez, vous reprendrez bien un petit cupcake Zahia pour le goûter !

Fut un temps… Car voilà que la France, et l’Europe tout entière, fait face à une nouvelle américanisation, à un nouvel assaut du soft power US, à une invasion gustative dont personne n’a pour une fois quelque chose à redire. Notre macaron national semble perdre de sa superbe face aux cupcakes version Magnolia Bakery. La salade césar envahit les cartes des hôtels. Et le bagel saumon fumé/ciboulette/fromage frais remplace définitivement le croque monsieur national dans

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les assiettes des étudiants. Alors, toujours prêts à parler malbouffe américaine ?

CHIC FAST FOOD Le hamburger c’est, merci Wikipédia, du pain, de la viande de bœuf, le triptyque végétal cornichon-laitue-oignon et enfin divers condiments, émulsifiants et conservateurs. Un peu banal, même Mac Donald a su améliorer la recette. De Vienne à Dublin, de Stockholm à Palerme le hamburger prend du galon. Il prend aussi sa place de favori dans nos assiettes. La Corée du Nord n’est pas en reste puisque Kim-Jong-II affirme avoir inventé ce met dans les années 2000. Adieu traditionnel Big Mac fast foodien, le restaurateur bobo propose désormais une formule hipster du hamburger. Version végétarienne mise en avant à la très tendance Cité de la Mode avant la Wanderlust party ou plutôt chic et snob à la truffe dans les hall d’hôtels du 17ème arrondissement, il est partout, reconnu, alléchant et signe de bonne santé. On ne compte plus les articles de magazines illustrés d’un mannequin élancé serrant entre ses ongles manucurés ce magnifique objet de désir gustatif. Même la partenaire de toujours du sandwich américain bénéficie du lifting cool, la frite ne se déguste plus froide, blanche et ultra salée mais bien dorée, dans des récipients rivalisant


!! TATA BIDULE ! Tata Bidule c’est un concept qui voit le jour en décembre 2012, au 14 rue Temponières en plein cœur de Toulouse, créé et tenu par trois jeunes femmes Agathe, Céline et Julie. Les trois amies rêvent d’ouvrir un salon de thé, passionnées de cuisine et de pâtisserie mais le filon est plus qu’exploité dans la ville rose. Le cupcake cartonne à Paris, il est encore inexistant ici. Lancement de Tata Bidule, avec en produit star le cupcake. Celui-ci est joli, ludique, séduisant et plaît étrangement aux hommes comme aux femmes. Loin de la pâtisserie toulousaine qui fonctionne à grosses parts de banofee, les trois créatrices opèrent une francisation du cupcake pour le rendre encore plus attractif : moins de gras, moins de sucre, mais plus de naturel aussi en enlevant

d’originalité pour lui donner une nouvelle jeunesse. Le Bonbon vous fait d’ailleurs une sélection des meilleurs « burgers » de Paris car oui, si le met se boboïse, nouveau nom il lui faut ! Remplaçons donc le « hamburger » introduit par les colons allemands sur les terres promises des États-Unis par le « burger » qui affole les chics papilles des Européens.

l’artificiel. Les français « ont un palais » comme elles l’expliquent et sont réceptif à cette transformation du gâteau américain. La street food plaît aux toulousains et très vite ce qui était un concept 100% sucré tente l’expérience bagels à la demande de la clientèle de fidèles. Et avec succès ! Le secret encore : la francisation, l’adaptation à l’environnement et aux tendances. Alors bagel oui, mais au magret régional plutôt ! La demande se fait de plus en plus insistante et avec le bouche à oreille, la boutique rue Temponières tourne à plein régime. Moins d’un an après l’ouverture, Tata Bidule est bel et bien un succès ayant entraîné la création d’autres ouvertures d’american street food dans les rues toulousaines. Tata Bidule, 14 rue Temponières, 31000 Toulouse. Tél : 05/81/60/14/32 " mail : tatabidule@hotmail.fr !

EMPIRE STATE OF MIND

la silhouette se retrouve par exemple dans la collection très underwear de Zahia. Alors adieu macaron Ladurée, Marie-Antoinette et élégante bouchée du petit biscuit fourré. Le muffin au glaçage fantaisiste prend pied en Europe, dans les capitales, et détrône la pâtisserie traditionnelle (voir l’encadré ci-dessus). La tendance est lancée. L’Amérique retrouve son influence et il n’a jamais été aussi cool d’apprécier crème, sucre et calories.

Et c’est à New York plus précisément qu’il convient de regarder de nouveau car la capitale du pays du fast food, de la graisse bon marché et de l’obésité dicte encore une fois les règles du jeu. Grand retour en force du cupcake onctueux aux couleurs pastel dont

Le bagel débarque lui aussi sur les tables françaises après avoir fait ses preuves dans les boulangeries et autres points de ventes à la sauvette américains. Consommez désormais votre bagel à la sauce béarnaise ou au magret, le sandwich caméléon s’adapte à tous les goûts

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PAR LES TEMPS QUI COURENT!

FOOD IN THE CITY!

même si l’on note une certaine tendance des restaurateurs à miser sur l’atout américain avec pastrami ou fromage à la crème. Car oui, l’attitude américaine attire. On le savait au niveau cinématographique, stylistique ou encore musical certes, mais concernant la gastronomie cela relève de l’inédit. New York c’est désormais le lieu saint de la gastronomie, le QG des tendances culinaires et le laboratoire de l’innovation en cuisine. En témoigne la fuite des chefs étoilés vers le nouveau monde. New York la ville en mouvement, la jungle aux multiples origines est l’endroit parfait pour accueillir l’héritage européen et lui redonner une aura internationale. Le buger allemand, le bagel autrichien, le cupcake anglais, le donut québécois et désormais le kebab retrouvent jeunesse et attraction après un passage par les Etats-Unis.

Un croissant mixé avec un donut, mixé avec un burger : toujours plus.

Laboratoire également puisque nombre de créations voient le jour à New York, testant leur succès dans la métropole avant de se propager tout autour du monde après avoir ainsi fait augmenté leur côte désir en restant une exclusivité new yorkaise. Exemple du Cronught, un ingénieux mix entre le croissant et le donut créé en Mai 2013 par Dominique Ansel, un français exilé à Manhattan qui a bien compris qu’il ne devait pas encore étendre la commercialisation hors du pays. Réaction immédiate des médias français : impatience, effervescence et agitation autour

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de la viennoiserie dont personne ici ne connaît encore le goût mais bon, Victoria Beckham ne semble pas pouvoir s’en passer. Smoothies, veggie drinks et régimes macrobiotiques type Gwyneth Paltrow, voilà la prochaine vague qui touche déjà certaines adresses très branchées d’Europe. L’Amérique de la bouffe a bel et bien débarqué, pour le meilleur et pour le pire. Car si le fast food cool et l’esprit sain new yorkais yoga-soja-théine peut donner un coup de pied dans la gastronomie française, Burger King prépare lui aussi son grand retour dans l’hexagone


par Maxime

Saulue

G.G. Allin, le JĂŠsus fou

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TROIS « MUSICIENS » QUI AIMENT AUSSI SE FAIRE MAL

Øystein Aarseth Surnommé « Euronymous », d’après le nom du démon antique Eurynome, Aarseth est surtout connu pour être le leader du groupe de black metal Mayhem. Outre ses prestations scéniques frôlant l’extrême, avec auto-mutilations en direct, il est l’auteur de l’un des actes les plus dérangeants du monde de la musique : après que Dead, le chanteur du groupe, se soit suicidé à l’aide d’un coup de fusil en pleine tête, Euronymous a pris le corps en photo – que l’on peut admirer sur la pochette de Dawn of the Black Hearts – puis l’a découpé en morceaux qui ont servi de pendentifs, envoyés à leur tour à ses amis proches. Sans oublier de lui dévorer une partie de son cerveau, bien entendu.

Les récits ont toujours traités de l’existence de leurs héros. Parfois sombres, parfois fous, parfois ordinaires, ces personnes constituent un vivier d’écriture permanent. Pour de grands auteurs ou de petites mains. Lets’s get in their life. N’en déplaise à tous les lecteurs catholiques de ce papier - et ils sont nombreux ! - il est possible de s’appeler Jesus Christ et d’avoir été l’un des personnages publics les plus dérangeants du demi-siècle dernier. Il s’agit du regretté G.G. Allin, chanteur américain de punk hardcore et grand timbré devant l’Eternel. Que l’on se rassure, le point commun entre the original Jésus et G.G. Allin ne réside que dans le nom. Né Jesus Christ Allin en 1956, il sera rebaptisé Kevin Michael Allin quelques années plus tard. Sacré départ pour le jeune G.G. – le surnom que lui a attribué son frère – et pas mal de pression sur les épaules avec un blaze pareil. Je vous laisse imaginer l’état mental du paternel pour attester des conditions dans lesquelles Allin a fait ses dents.

noms de The Texas Nazis, The Cedar Street Sluts, ou encore le délicieux The Scumfucs. Plutôt élégant, le bonhomme. À l’image de tous les ados n’ayant aucun talent musical mais voulant à tout prix fonder un groupe de musique pour « faire connaissance » avec les groupies, ilcommence sa carrière en tant que batteur, mais se dirige vers le poste de chanteur où il acquerra la notoriété qui est la sienne désormais. Les influences sont nombreuses pour G.G., mais il saura choisir ses maîtres. De ce fait, exit les Pistols et les Clash, le real deal se prénomme Iggy. Et c’est à l’image du Godfather of punk qu’Allin, en marge de l’aspect musical de ses concerts, va jouer la carte de la provocation. Et l’élève va dépasser le maître.

L’ESSENCE DU MAL TOUJOURS PLUS PUNK C’est après une scolarité mouvementée qu’il se laisse tenter par l’univers du punk. Nous sommes vers la fin des années 1970 et le punk est à son apogée. Notre héros enchaîne les projets musicaux plus ou moins éphémères aux doux

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S’il est d’usage de faire frémir les enfants pas sages avec les performances scéniques pseudo-satanico-grotesques de Marilyn Manson ou encore de Rammstein, on évite de raconter les aventures de G.G. Allin. Les premiers sont provocants, ce dernier est fou. Quand les


Varg Vikernes Le parrain du black metal norvégien. Plus connu sous le doux nom de Count Grishnackh, est le détenteur d’un palmarès impressionnant : cimetières saccagés, églises brûlées ainsi que plusieurs meurtres, dont celui de son rival musical Øystein Aarseth, cité précédemment, de plusieurs coups de couteau. Un fier service rendu à l’humanité par celui qui se considère paganiste, antichrétien et même néo-nazi. Mais attention, il refuse d’aller jusqu’à être perçu comme sataniste, il y a tout de même des limites.

premiers font appel à des effets pyrotechniques, du maquillage et, certes, une belle dose de violence – ne pas manquer l’excellente version live de Mein Teil des Allemands, celui-ci se passe de tout gadget inutile. Il est lui-même son !" propre outil de travail, et la sueur n’est pas la seule substance de son corps qu’il propose habituellement sur scène à la fin des concerts. Un concert de G.G. Allin mêle bagarre générale, musique, auto-mutilation, musique, provocations envers la foule débouchant sur des activités plutôt scabreuses sur scène, musique, bagarre générale, auto-mutilation, musique, défécation et bagarre générale finale. Comme le coquin est une personne généreuse, il effectue tout ça lui-même et en fait profiter tout le monde. Véritable bourreau de travail et inquiet de la bonne réception du public, on peut dire qu’il ressort de ses concerts complètement vidé. Vous l’aurez compris, la priorité est davantage donnée à l’aspect spectacle qu’à la qualité vocale

et instrumentale de ses morceaux, et vous pourrez d’ailleurs le constater sur les quelques vidéos de ses concerts que l’on peut trouver sur les Internets internationaux.

« DO YOU THINK I REALLY CARE ? » Si le caractère extrêmement déviant de G.G. Allin est dû à des troubles mentaux avérés, l’usage massif de drogues dures a contribué à enterrer le personnage au plus profond de sa violence et de sa vie marginale. Par ailleurs, ses quelques séjours en prison n’ont fait qu’enfoncer le clou. Mais de ça, Allin n’en a pas grand-chose à faire, bien au contraire. Comme un symbole, il terminera sa carrière, et sa vie du même coup, en apothéose. Il joue alors ce qui allait être son dernier concert à New-York, et après que le show ait commencé de manière habituelle, il est forcé d’y mettre fin et prend la lucide décision de quitter la salle pour déambuler dans NYC, nu, couvert de sang et d’excréments – les siens, a priori. Il se rend

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Lemmy Kilmister Véritable professionnel sur scène, frontman éternel des britanniques de Motörhead et considéré comme la rockstar la plus laide de la planète, le bonhomme est la personnification-même de l’aphorisme « Sex, drugs & rock’n’roll ». Un de ses bilans sanguins en atteste : si l’être humain moyen se faisait transfuser le sang du beau Lemmy, cela pourrait littéralement le tuer. À bientôt soixante-dix ans, il n’a pas l’air d’être rassasié, car comme il le dit si bien, « If you think you are too old to rock’n’roll, then you are ».

TRONCHES DE VIE ensuite chez une amie pour se remplir les narines, mais c’est la dose de trop. L’histoire ne s’arrête pas là, car lors de ses funérailles, ses amis et autres personnes présentes décident de célébrer des obsèques dignes de lui. Le corps ne sera pas lavé et subira, entre autres, consommation d’alcool et de drogue ainsi qu’exhibition des parties génitales, photos à

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l’appui. Pourtant, rien ne dit qu’au moment d’aller rejoindre le vrai Jésus, G.G. aurait craché sur une telle conclusion pour son œuvre. L’opinion est scandalisée, et à cela, Jesus Christ Allin aurait ! probablement répété ce vers de No Rules : « Do you think I really care? ». En somme, l’histoire de sa vie. Et de sa mort


Instantanés

Lacanau, France Août 2011

© Lou & Artémis – Fanny Anseaume


N’oublie jamais qu’elle l’a mérité.

Je me rappelle très bien le jour où le concept de « sexe punitif » est entré dans ma vie. Comme une musique de Christophe Maé ou une photo d’Anne Gedes : le genre de choses qui est objectivement mal mais auquel je ne peux pas m’empêcher de penser. Dans un café de montagne, la peau brûlée par la tempête de neige que nous venions d’essuyer et la tête cramée par les litres d’alcool que nous tentions d’éponger, on tentait de survivre comme on pouvait avec mes copains ; et en silence nous buvions un mauvais café quand je me suis aperçue que nous regardions tous la serveuse. Et c’est stoïquement que l’un des nôtres a dit « Elle mérite d’être punie. Je lui mettrais bien un taquet ». D’un hochement de tête collectif nous avons approuvé avant de lancer une discussion des plus instructives sur la punition par le coït et bien plus encore. La serveuse elle, continuait à s’activer. Son haut en Licra moulait des seins ronds, pleins et excessivement

remontés alors que sa jupe serrait un boule de taille respectable. Ni fine, ni grosse mais vallonnée, elle avait ce genre de physique qui appelle au pêché de chair. Plus encore, c’était sa manière de se mouvoir qui donnait à penser que la seule chose que méritait cette zouze c’était d’être à quatre pattes, par terre et malgré elle, secouée tant bien que mal par les va-et-vient d’un mec dont elle ne connaitrait même pas la couleur des yeux. Sa moue boudeuse, son air de dédain et sa nonchalance lui donnait cet air antipathique qui rendait caduque toute tentative de pitié. La nana qui mérite de vivre une session de châtiment sexuel c’est celle qui pense pouvoir n’accorder, si ce n’est sa sympathie, au moins sa civilité, qu’aux personnes qui l’intéressent socialement ou matériellement et qui se permet de te négliger alors même que tu sais parfaitement que tu n’as rien à lui envier. Elle est celle qui te renvoie à ce que tu fuis. Celle qui joue les intouchables mais qui n’hésite pas à se faire dégommer par le premier barman faussement classe venu. !

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C’est la Jessica de « Gros poissons dans petite Mare » d’Orelsan. Mais c’est aussi la bourgeoise blonde, cheveux au carré et serre-tête en velours que tu as envie de rendre immorale, ou encore la pseudo hippie avec qui tu aimerais vraiment partager toutes tes richesses. Et en la dégommant, tu punis sa famille, ses semblables et son espèce. Tu les domines tous, du haut de ta bite quand elle te supplie d’arrêter. Ce n’est finalement que l’éternelle lutte des classes, à l’horizontale. Si au cœur de l’action ton égard pour elle est inexistant, tu y repenseras la larme à l’œil en te branlant encore et encore sur votre 5 à 7, épuisant jusqu’à la lie ce chaud et humide souvenir. Le concept de sexe punitif renvoie sans équivoque aux pires velléités humaines et autres immondes crimes. Il est animal, misogyne, à son

tour punissable mais le sexe punitif est jouissif parce qu’il est régressif. Comme un enfant qu’on aurait trop longtemps brimé, tu t’autorises enfin à être sexuellement incorrect. Voire malpoli. Voire carrément immonde. C’est du pain béni pour le porno et c’est un support masturbatoire exutoire de qualité s’il est déculpabilisé. C’est un peu comme quand tu mets du Christophe Maé ou que tu accroches une photo d’Ann Gedes : il faut être bien sûr que tout le monde dans la pièce est consentant. Quitte à demander plusieurs fois. Sincèrement vôtre, Bambi.

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ILLUSTRATION : Alexis Susani / TEXTE : Roman Fruitier

Il fait nuit sur la ville. Dans leurs appartements, aux sommets de leurs immenses tours de verre, certains humains tardent à rejoindre Morphée. Les carrés jaunes brillent dans l’océan nocturne. Derrière leurs écrans, des bienfaiteurs veillent sur nous, assurent la sécurité dans la cité. Ils sont les fidèles gardiens du monde. Cette nuit, la vie des autres est leur terrain de jeu. Lentement, le Defender poursuit son ascension. Fenêtre par fenêtre, il contourne la face nord de l’immeuble, le bruit de ses hélices couvert par la circulation, cent mètres plus bas. L’angle de la tour de verre dépassé, l’appareil agite ses caméras. Ses yeux numériques se posent partout. L’objectif se fixe. L’oiseau mécanique semble troublé. Il ne bouge plus, reste quelques secondes en position stationnaire. Ses rotors s’agitent de nouveau, il s’approche de la vitre, comme aimanté par la lumière. Il épie sans perdre une miette. Devant son écran, Archibald Law fait la moue. Il reste circonspect quelques instants, comme sur le qui-vive. Sa main se pose sur la manette devant lui. La caméra se met à fouiller, promène ses yeux numériques. Avec doigté, elle cherche ce qui vient d’échapper au regard d’Arch‘. Il passe en caméra thermique puis zoome. Son œil se fixe, la tension monte d’un cran. Sur ses lèvres se dessine alors un sourire : il a trouvé. Sur l’écran on distingue un corps rouge auréolé de jaune. La forme semble continuellement aspergée d’une pluie dorée. Là-bas, dans un appartement luxueux mais banal, à cent mètres du sol, une femme prend paisiblement sa douche. La caméra thermique teinte la scène de mystérieux. Le visage d’Arch’ est anxieux, tendu. Il attend. Le reste de l’écran reste bleu, froid. Arch’ attend. Il n’y a rien d’autre à faire. Soudainement, son visage s’éclaire, prend vie. Sortant de sa torpeur, Archie reprend en main le drone, réveille la caméra. Il suit le corps rouge, passe en mode « vision nocturne », accompagne la femme de la salle de bain au salon, du salon à la chambre. Arch’ sourit car Arch’ sait. Il sait que la salle de bain lui est interdite. Il sait que la chambre est synonyme de baie

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vitrée. La pièce s’illumine d’une lumière tamisée. La caméra diffuse alors les images d’une chambre sombrement décorée, au lit immense et omniprésent. La femme est postée devant son immense miroir. Elle observe ses jambes, vérifie leur douceur. Archie s’impatiente mais il sait que le moment va arriver. La femme se retourne, esquisse quelques pas, le regard fixé vers l’horizon. Elle observe fugacement la ville qui respire à ses pieds. Puis, comme contrariée, elle lui tourne le dos. Elle lève alors avec grâce ses bras vers le ciel. Elle ôte la serviette qui lui couvrait la tête, libérant ses cheveux. Ses mains passent derrière son dos et la dernière barrière tombe, la dévoilant totalement. Elle est nue, une jambe légèrement arquée. On connaissait déjà ses jambes fines et douces. On aperçoit désormais son sexe et ses lèvres. On apprend ses fesses sensuelles et rebondies, on fantasme sur la chute de ses reins et on meurt d’envie de parcourir son dos, d’embrasser sa nuque, de caresser sa longue chevelure... Le bruit de bottes prend Arch’ par surprise. Il déplace rapidement la caméra de côté. Quand son collègue Tiger Moth se place derrière lui, seul se présente sur l’écran la ville endormie. Pourtant, Tiger ne pipe pas un mot. Archie se retourne dans un grincement de chaise strident. Tiger regarde fixement la console à côté de l’écran. Détonnant parmi les câbles et les boutons gris, un petit modem rouge clignote. « Qu’est-ce que c’est que ce truc Archie ? ». La question reste en


suspens quelques secondes. Le gardien de la paix universelle retrouve finalement ses esprits. Sa langue se délie et il répond calmement à son supérieur. Il lui explique le temps des Predators, des combats interétatiques, et du bricolage technologique. Il lui apprend que son « truc » permet à ses drones de croiser les informations de la Sûreté Civile et du BigData. Il lui cache que le programme concocté par ses soins permet d’accéder à toutes les données référencés dans BigMother, que le petit disque amovible rouge lui a appris que la femme qu’il épiait était danseuse, célibataire, bisexuelle, qu’elle était atteinte d’idiopathic eccrine hidradenitis et qu’elle avait acheté trois nouvelles robes dans la journée. Il lui cache aussi qu’il était sur le point de voir sa

trentième femme nue cette semaine. Que les drones qu’il commande explorent la ville à la recherche de femmes, fouillent de leurs caméras les fenêtres pour les surprendre nue, faisant l’amour ou en train de se masturber. Que sa psychologue lui a diagnostiqué de nombreux troubles post-traumatiques après sa dixième mission en Irak, bien qu’il n’ait jamais quitté le Nevada. Il lui affirme que tout ce qu’il fait est pour le bien de la cité, et qu’il suit à la lettre le Nouveau Code Civil.

!

Son chef, soulé par sa logorrhée justificative, tourne les pieds en marmonnant. On parvient à distinguer à la fin de ses grognements, le slogan de la Sécurité Civile... « l’important, Archie, c’est que vous continuiez à Surveiller et Punir »

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Instantanés

Chicago, États-Unis Juin 2012

© Lou & Artémis – Maurane Pauli


ŒIL AU LOIN. Le froid en Russie

par Quentin

Geevers

Lou et Artémis aiment voyager. Ils abordent les cultures d’un œil vif et neuf. Pour découvrir un pays comme on rencontre un inconnu.

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Sol glissant et Volga gelée « !"#1, il neige ! » me disent les Russes, déprimés à l’idée que l’hiver commence déjà en cette fin octobre. À l’inverse, je suis le seul à m’en réjouir, multipliant les pauses clopes au travail dès qu’il neige, content de ne plus avoir à faire avec la pluie. Les semaines avancent et mon départ approche. J’ai cette impression de ne pas avoir assez profité de la Russie et de cette neige qui me plait tant. Enfin un jour de congé à Noël pour prendre le train et voir du pays. Je réserve mes billets mi-novembre, il fait alors 5°C à Moscou, rien de bien terrible, je suis confiant. Les jours passant, la température diminue, et quand -10°C devient un maximum dès début décembre, je me demande si c’est une bonne idée. -15°C dès la seconde semaine de décembre m’annoncent un voyage difficile. Arrive alors le fameux -20°C à partir duquel je me dis que je suis foutu. Je me prépare tout de même à partir, braver le froid le vendredi 21 décembre au soir, direction Kazan, la capitale de la République du Tatarstan. J’enfile un pantalon, puis un deuxième.

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J’enferme mes pieds dans trois paires de chaussures chaussettes avant de mettre de grosses supposées chaudes et imperméables, quelle naïveté ! Sous-pulls et pulls se superposent avant que j’enfile la pièce principale de mon attirail, le manteau en peau de mouton, 10 kg de cuir et de laine, acheté aux puces, une écharpe bien trop fine et une chapka en renard. Petite digression culturelle : les opposants à l’utilisation de fourrures sont une minorité en Russie, et en tant que minorité, ils ont intérêt à savoir se battre.

LA GARE Me voici donc parti de chez moi, avec un simple sac à dos pour prendre le train de nuit. J’arrive à la gare, il fait cette fois-ci -25°C. Douleur. Mon wagon est sans surprise le plus éloigné sur le quai, je marche donc sous la neige et un éclairage en peine, longeant le train. Je vois, les fameuses babouchka, ces femmes âgées employées de la compagnie ferroviaire, briser à l’aide d’une hachette, !


glace qui empêche les portes de s’ouvrir correctement. J’arrive enfin à mon wagon, je présente mon passeport. C’est un passeport français, des renforts sont nécessaires. Pendant ce temps-là, il neige sur ma chapka. La chef de cabine, une Russe, d’une cinquantaine d’année, dont l’uniforme strict moule les bourrelets, m’indique ma couchette, le chauffage est allumé, il fait 25°C dans la cabine. Je discute avec mes voisins qui m’offrent du thé et des gâteaux. La légende veut qu’on s’échange de la vodka entre voyageurs, mais manque de chance, je dois me contenter de thé noir. Un vieux couple me dit qu’ils voyagent par ce train jusqu’à Barnaul, en Sibérie, et que le train y arrivera dans trois jours. Nous avons quitté Moscou depuis moins d’une heure, je vais fumer une dernière cigarette avant de dormir. Je me rends entre les deux wagons, dans ce fumoir, il n’y a pas de chauffage. Les portes sont gelées de l’intérieur, dans une atmosphère qui rappelle de mauvais films catastrophe hollywoodiens. Malgré une forte odeur de pieds et une vingtaine de centimètres de jambe qui dépasse dans le vide, le roulis du train m’endort rapidement. Le lendemain matin, c’est en me gratouillant le dessous du pied que la chef de cabine me réveille. Nous arrivons à Kazan, il est 6h, dehors il fait nuit et -30°C. J’ai connu de meilleurs réveils.

LE FROID Ma première mission est de trouver un endroit où m’abriter, le temps de boire un café. Dans la gare, un des nombreux taxis clandestins m’aborde, il me fait comprendre qu’il connaît mieux la ville que moi, cet étranger bizarre emmitouflé ! La négociation commence, à l’abri de la neige. 700 roubles de la gare jusqu’au Kremlin, la citadelle perchée au bord du fleuve. J’en propose 250. Rapidement, on se met d’accord pour 400 roubles jusqu’à la première station de métro. Il m’emmène à sa vieille Lada, les vitres de la voiture sont couvertes de glace, je garde mon manteau, m’asseyant tant bien que mal. Le taxi, dans un élan de générosité suspect me conduit finalement jusqu’à destination, traversant la Volga gelée alors que le soleil commence à se lever. Il me réclame alors 500 roubles pour son détour, je donne 400 et sors. Il faut attendre 8h avant que les premiers commerces n’ouvrent. Je me balade, profitant du lever du soleil. J’ai froid. Mes deux pantalons s’avèrent totalement insuffisants, mes jambes commencent à brûler. Chacune de mes expirations envoie dans l’air une vapeur d’eau congelant immédiatement, mon écharpe est devenue solide, les cheveux qui dépassent de ma chapka sont blancs. L’incontournable goutte au nez a gelé à l’intérieur, il n’est désormais possible de respirer uniquement par la bouche. Un léger

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ŒIL AU LOIN. vent suffit à m’arracher une ou deux larmes, qui en se solidifiant me collent une partie des paupières.

KAZAN Peu importe, il faut continuer et dans la matinée, je vais jouer les touristes : la vue sur la Volga entièrement gelée à elle seule vaut le voyage. Un million d’habitants vit à Kazan sur les bords du célèbre fleuve, à l’ouest comme à l’est de l’Oural, les Russes ont tendance à se réunir dans de grandes villes, notamment pour éviter l’isolement lors des

grands froids. Sur le fleuve j’aperçois une tente jaune, un homme à côté y a fait un trou dans la glace pour pêcher. Chacun ses passions. Toujours dans l’enceinte du Kremlin, je visite la cathédrale puis, 20 mètres plus loin, la mosquée dont le bleu nuit détonne sur la neige. La plus grande mosquée de Russie est un centre religieux pour les 30 millions de musulmans du pays. Je termine par un petit musée, d’abord centré sur Tolstoï, seul héro notoire de la ville avec Marat Safin. Savoir quelle était sa garde-robe alors ne m’intéresse pas vraiment. Une deuxième partie est quant à elle consacrée au peuple

Tatar, descendant des hordes de huns. Je continue ensuite de me promener en ville, la température a quelque peu augmenté.

DÉPART Je prends le métro. Contrairement au moscovite, celui-ci est traduit. En anglais mais aussi en tatar. Il a été construit pour les 800 ans de Moscou, principalement pour les touristes. Je doute cependant qu’ils aient été nombreux, malgré la beauté de la ville. Une seule ligne dessert quelques points de la ville, mais aucune des deux gares. Merci. En continuant mon exploration de la ville, je constate que tout le monde n’a pas le même rapport au froid. Toutes les vingt minutes, cherchant désespérément un peu de chaleur, j’entre dans diverses boutiques. Le chauffage en Russie est centralisé, un des nombreux restes de l’Union Soviétique. Gazprom exerçant son influence sur le gouvernement, les intérieurs sont surchauffés, parfois jusqu’à 28°, à comparer d’ailleurs avec l’isolation déplorable des bâtiments. L’écologie repassera. Les commerçants me regardent d’un œil suspicieux, je n’achèterai rien, ils le savent, mais j’attends que mon manteau dégèle. Dans la rue, je vois un homme sortir de chez lui, une paire de tongs aux pieds, un short et un marcel du plus bel effet. Il traverse la rue, achète des cigarettes et remonte chez lui. Alors que la nuit tombe, je vois cette femme. Une jeune Russe, grande, blonde, en mini-jupe, sans collants et en talons aiguilles. J’observe ce cliché sur le boulevard, bravant l’épaisse couche de neige, ses talons lui servant de pics à glace. Hiver comme été, un samedi soir reste un samedi soir !

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LEV NIKOLAÏEVITCH TOLSTOÏ

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Lou Artémis !

N U M É R O # 2

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OCTOBRE 2013


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