4 à 4 – 4 expositions – 4 artistes

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VALÉRYPAULMUSÉE Sète ALAIN CAMPOS AROLDO GOVERNATORI NISSRINE ZHANGSEFFAR HONGMEI éditions Loubatières

ISBN: 978-2-86266-808-6

© Musée Paul Valéry, Sète © Éditions Loubatières, 2022 Sarl Navidals 1, rue F-31340Désiré-BarbeVillemur-sur-Tarn www.loubatieres.fr

Guernica Huella (détail), 2017 PRÉLÈVEMENTS D’EMPREINTES, GUERNICA, PEINTURE ET PIGMENTS ACRYLIQUES SUR TOILE DE LIN,349 X777 CM « GUERNICA HUELLA» À L’OCCASION DU 80E ANNIVERSAIRE DU GUERNICA DE PICASSO

En couverture : (de haut en bas)

Blue Light (détail), 2021 ACRYLIQUE SUR TOILE,90 X120 CM

Performance Installation Human Condition (détail), 2018 MANNEQUINS EN RÉSINE RECOUVERTS DE TISSU ET RUBAN ADHÉSIF, DIFFÉRENTES TAILLES(TAILLE MAXIMUM:180 CM, TAILLE MINIMUM:120 CM)

La voce del profondo I [La Voix des profondeurs I] (détail), 2013-2014 TEMPERA SUR TOILE,92 X73 CM

Maquette et photogravure: Brandie, Montpellier

ALAIN CAMPOS AROLDO GOVERNATORI NISSRINE ZHANGSEFFAR HONG MUSÉEMEIPAUL VALÉRY Sète 12 FÉVRIER / 8 MAI 2022 éditions Loubatières

l’ensemble des prêteurs qui ont apporté généreusement leur concours à cette exposition. Nous tenons également à adresser desremerciements sincères à tous qui nous ont accordé leur précieuse collaboration, et en particulier àMaïthé Vallès-Bled, qui est à l’initiative de cette biennale.

AlainCampos

©

PHOTOGRAPHIQUESCRÉDITS

Ruggero Passeri

©

Emma Campos © Gilles Hutchinson AroldoGovernatori

Alfonso Napolitano © Enrico Bartozzi NissrineSeffar © Nissrine Seffar ZhangHongMei © Chen Wen Jin

©

NotreREMERCIEMENTSvivereconnaissances’adresse à

Régiedel’exposition

graphismeetcommunitymanagementCoordinationdesmanifestations,

Collaborationtechnique

Communication/Presse

Jean-Pierre Louvel

Clémence Ricard Vilar

Stéphane ConservateurTarrouxenchef du patrimoine Directeur du Musée Paul Valéry

événementieletpartenariatsResponsablerelationspubliques,

Commissariatgénéral

Administrationdelaconservation Marie-Hélène Monclus Administration Carole Denis

Servicedespublics,serviceéducatif Caroll PaulineCharraultAudouard

Catherine Dantan, Paris

Sébastien Charles

Régiedescollections

Céline Attanasio

COMMISSARIAT

Alain Bueno, Marine Gibert, Marie Gilbert, Joseph Gomez, QuentinHeyraud, Claude Isoird, Jean-Louis Liguori, Philippe Loison, Cyril Martire, Ludivine Michel, NathalieNocca, Hervé Ouaki, Michel Pérez, Christophe Piccolotto, Stéphane Salièges, Cathy Soum, Nathalie Vicens

François Commeinhes

Non seulement le travail des artistes doit être soutenu, mais il doit encore être montré. Les Ateliers portes ouvertes offrent au public la possibilité d’aller à leur rencontre et d’avoir sous les yeux un panorama des arts à l’échelle de notre ville. Dotée d’une riche programmation, la chapelle du Quartier haut est depuis plusieurs années un cadre privilégié, où sont mis en lumière les tout derniers développements de la création contemporaine. Depuis 2014, par la biennale «4 à 4», le Musée Paul Valéry contribue aussi à cet élan en direction des artistes de notre temps, qu’ils soient actifs dans notre ville ou bien invités à venir y présenter leur travail. Cette année, les Sétois Nissrine Seffar et Alain Campos sont associés à deux créateurs venus d’autres horizons, à Zhang Hong Mei, originaire de Chine, et au peintre italien Aroldo Governatori.

Maire de Sète

Pour beaucoup de visiteurs, «4 à 4» sera donc l’occasion de redécouvrir des artistes dont le travail a presque évolué sous nos yeux, à Sète, ou bien d’avoir la surprise de découvrir des recherches inédites. Je suis heureux que le musée ouvre ainsi de nouveaux horizons à ses visiteurs, comme il a pu également le faire l’été dernier en présentant une exposition sur l’art aborigène. Chacun trouvera, j’en suis certain, dans cette édition de «4 à 4» des raisons de prendre une nouvelle fois avec bonheur le chemin du musée.

Il existe plusieurs manières de se représenter la vie et le rôle des artistes. Certains les voient comme des créateurs, détachés des contingences et des préoccupations immédiates de leurs contemporains; d’autres au contraire sont convaincus de leur utilité sociale et mettent tout en œuvre pour leur assurer les meilleures conditions de travail possibles. Pendant la crise sanitaire, la Ville a ainsi marqué concrètement son soutien aux artistes installés à Sète en faisant notamment l’acquisition d’un ensemble d’œuvres récentes. Le fonds qui s’est constitué est exceptionnel, d’un caractère aussi inhabituel que la période de pandémie qui a mis à mal notre tissu social.

PARTIE III NISSRINE SEFFAR avant, quelque chose d’autre Sylvie Lagier

21Œuvres 42Biographieexposéesetexpositions

129Œuvres 138Biographieexposéesetexpositions

15 ALAIN

PARTIE IV ZHANG HONG MEI Millénaire, frontières ouvertes et plus encore... Luisa Cardenas

Stéphane Tarroux

PARTIE I CAMPOS pour peindre des visions Saulle

47 AROLDO

53Œuvres 82Biographieexposéesetexpositions

89D’un

93Œuvres 116Biographieexposéesetexpositions

125Nouveau

SOMMAIRE 11 INTRODUCTION

123

Philippe

PARTIE II GOVERNATORI visuel à la vision Tarroux

49Du

87

Stéphane

17Peindre

Directeur du Musée Paul Valéry

INTRODUCTION

Stéphane Tarroux

Chaque nouvelle édition de «4 à 4» est l’occasion d’une rencontre avec des artistes qui ont en partage d’être nos contemporains. Techniques de création, histoires personnelles et pays d’origine diffèrent entre Alain Campos, Aroldo Governatori, Nissrine Seffar et Zhang Hong Mei. Les trajectoires individuelles sont pourtant loin d’être parallèles. Par de multiples croisements se dessinent en effet les contours d’une expérience où les questions éternelles de la condition humaine s’actualisent d’une manière qui est propre à notre temps.

Notre rapport au monde a été bouleversé en profondeur par l’expérience du confinement. Le numérique est non seulement devenu l’une des modalités de la rencontre avec l’autre, mais a aussi modifié notre rapport au temps et à l’espace. Issues de deux ensembles

10-114à4ARTISTES4ÀEXPOSITIONS4

Conservateur en chef du patrimoine

différents, l’un daté de 2019 et l’autre de 2021, les toiles d’Alain Campos montrent la figure humaine tantôt incrédule, tantôt angoissée, tantôt impavide. L’arrière-plan ne comporte que peu de détails et, dans les œuvres les plus récentes, le fond traité à la brosse est de facture abstraite, parfois bleuté comme peut l’être l’écran d’un ordinateur. Rares sont les artistes qui, avec les moyens de la peinture, cherchent et sont parvenus à rendre compte de l’expérience du «net». Outre la lumière bleue dont il réussit à faire un authentique motif pictural, Alain Campos met en œuvre d’autres équivalences plastiques: les méandres, alternance de bandes noires et blanches, reviennent sous différentes formes dans la série. Ils symbolisent le réseau qui relie, mais aussi enserre, étouffe ou vampirise les personnages. Bien que les toiles les plus récentes soient dominées par l’inquiétude,

Alain Campos conserve intacte sa capacité à sourire ou à tourner en dérision certains travers: déplacés au Jardin d’Éden, la pomme du logo Apple et le cordon USB enroulé à la manière du serpent autour de l’Arbre de la connaissance apparaissent comme un détournement burlesque où les séductions de la marque sont portées à la hauteur du mythe fondateur. Refusant d’être moralisateur, Alain Campos adopte néanmoins l’attitude du moraliste: ses figures, souvent répétées à l’identique d’œuvre en œuvre ou bien dédoublées, soulèvent ainsi une interrogation sur «Ego», le moi, que Selfie affiche en toutes lettres.

Aroldo Governatori nous invite à entendre la voix persistante du temps primitif où la Terre s’est formée. Réuni sous le titre La voce del profondo (La Voix des profondeurs), le premier ensemble se présente comme une série de variations sur un thème singulier dans l’histoire du paysage. Il prolonge en effet la riche tradition des vues de la région de Naples, dont le Vésuve en éruption a constitué l’un des sujets de prédilection. Bien représentée au XVIIIe siècle, cette variante de la veduta trouve en Pierre-Jacques Volaire un coloriste habile à tirer des effets spectaculaires de la virulence des teintes en même temps qu’un peintre sensible aux manifestations de la violence émanant de la nature. Mais, chez Aroldo Governatori, le choix de la composition évacue la dimension à proprement parler topographique du paysage: au lieu de s’élargir, le cadrage resserré offre un point de vue fragmentaire, devenu le théâtre privilégié des variations du coloris. Comme la teinte de la lave incandescente sous la croûte refroidie, la couleur rayonne depuis les profondeurs des couches peintes à la détrempe. Ou bien comme les peintres illusionnistes produisaient certains effets de trompe-l’œil, Aroldo Governatori imagine des réseaux de veines minérales proches du marbre. Utilisée comme une technique complémentaire, l’impression numérique produit des effets d’assemblage comparables au collage. Dans les deux cas, les formes engendrent des images mentales selon un processus proche de celui qu’André Breton rappelait au sujet de Vinci et de ses élèves. Il leur demandait en effet « de regarder longtemps un vieux mur décrépi », en les assurant qu’ils ne tarderaient pas

Il s’oppose en tout aux règles conventionnelles de l’imitation. L’empreinte conserve en effet la trace de son origine et possède un lien fort avec son modèle que Nissrine Seffar assimile à une énergie. Différentes strates, composées parfois de plâtre, de grillage et de peinture, se succèdent à la surface du support. Le sens

Loin de s’en tenir au lamento de la déploration, Nissrine Seffar cherche à réparer le lien que le passage de l’histoire a pu rompre.

Le travail de Zhang Hong Mei reste encore peu connu en France. Formée en Chine où elle a étudié le dessin décoratif pour les textiles avant de devenir elle-même enseignante dans sa discipline à l’université d’art et de design de Shandong, elle a développé une pratique personnelle où elle associe la découpe du tissu à la peinture acrylique. De manière générale, Zhang Hong Mei peut s’appuyer sur sa formation pour proposer une relecture de la tradition. Par son utilisation du tissu, elle revisite ainsi la pratique du papier découpé, qui remonte au IIIe siècle de notre ère, au temps de la dynastie Han, et a longtemps perduré comme une activité typiquement féminine. Réalisées principalement avec des textiles collés sur des supports peints, ses œuvres évoquent la Chine contemporaine sous la forme de paysages imaginaires qui font écho aux dessins à l’encre. Apparemment abstraits, leurs contours ont la capacité de suggérer le monde alentour. De même, l’installation Human Condition se réfère à la sculpture chinoise en terre cuite, en particulier à la frontalité de l’armée de Xi’an, sur laquelle Zhang Hong Mei a travaillé, pour faire des mannequins occultés sous un tissu rouge –hommes, femmes, enfants– les figures des peurs primaires présentes en chacun d’entre nous.

naît alors de leur superposition, mais aussi de la position dans l’espace et dans le rapport établi avec les autres œuvres, peinture, vidéo, installation, plâtre ou encore photographie.

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Nissrine Seffar a une conscience très vive de la dimension tragique de l’histoire. Profondément marquée par le «Printemps arabe», elle travaille sur les lieux qui conservent la trace du passage du mal, comme Guernica, Oradour-sur-Glane et le camp de Rivesaltes, et de la désunion que sa présence installe. Quatre-vingts ans plus tard, avec Guernica Huella, Nissrine Seffar commémore le massacre causé par le bombardement allemand ainsi que l’œuvre de Picasso. Peindre Guernica en 1937, c’est élever l’actualité la plus brûlante –la barbarie d’un bombardement dévastateur–au niveau d’une représentation symbolique: torsion des corps, cri figé, dislocation des motifs, la figure porte un engagement politique en même temps qu’elle éternise l’expression de la douleur causée par le mal absolu. L’utilisation de la couleur –le noir et le blanc– s’explique par la volonté de rappeler le rôle de la presse et de la reproduction photographique dans la diffusion de la nouvelle autant qu’elle constitue une modalité dramatique donnée à la figuration. Pour rendre hommage à Picasso, Nissrine Seffar adopte les dimensions exactes de la toile ainsi que certains éléments visuels de la composition. Mais elle y ajoute des prises d’empreinte directement effectuées sur le sol qui a été marqué par le passage de l’histoire. Georges Didi-Huberman nomme ainsi «ressemblance par contact» le résultat obtenu.

Créer du lien entre les artistes invités à cette édition de «4 à 4», c’est, une fois constatées les différences stylistiques qui les opposent, souligner combien la création artistique résulte d’une interrogation incessante face au monde. Qu’elles soient travaillées par la mémoire et le mal, par la déshumanisation que pourrait induire le numérique, par la persistance des forces primitives dans l’être ou par la relecture de la tradition, les œuvres d’Alain Campos, Aroldo Governatori, Nissrine Seffar et Zhang Hong Mei composent un ensemble à la fois unique et composite, dont la réunion est un geste accompli en direction des visiteurs.

« à remarquer peu à peu des formes, des scènes qui se préciser[aient] de plus en plus ». De la même manière, dans la série des Cinabri le sulfure de cuivre ou cinabre, utilisé plus ou moins dilué, laisse paraître des fantasmagories proches des créatures d’Odilon Redon ou bien des êtres évanescents qui évoquent les portraits peints par Eugène Carrière. Lors de la rencontre avec le regard, la forme semble encore en train de se dégager de la matière même, situant toujours la peinture d’Aroldo Governatori à mi-chemin du visuel et du visionnaire.

PARTIE I ALAIN CAMPOS

16-174à4 ALAIN CAMPOS

Alain Campos donne forme à ce qui n’en a pas. Au départ, c’est une peinture en strates qui ne respecte pas toujours les recommandations des maîtres. Il y a d’abord un grand jus à l’acrylique coloré et puissant qui vient en all over. Puis, une fois sec, vient se coucher par dessus un glacis essentiel avec un peu d’huile de lin, souvent teinté au jaune de Naples. Une couche légère et chaude pour estomper quelque peu la nervosité de l’acrylique. Enfin, les figures apparaissent. Si besoin.

ALAIN CAMPOS

je deviens une grande ombre, une tâche, un trou dans la couleur et tout autour les motifs qui fusent, tourbillonnent, rugissent. Parfois je suis Marcelle, c’est selon.»

Peindre pour peindre des visions

C’est de ce «besoin» qu’il est particulièrement complexe de parler avec Alain Campos.

Philippe Saulle Directeur de l’école des beaux-arts de Sète

« Marcel-me-harcèle c’est comme ça qu’Alain Campos me surnomme. Je suis sa chose humaine, un clone, un déjà-fait, un être qui va, vient, disparaît ou surgit dans ses toiles. Je devrais dire, dans ses images sur toile ou encore –et plus simplement– dans sa peinture. Je suis au cœur de ses inquiétudes, de ses visions et je les traverse avec une certaine distance, un flegme qui m’étonne tant ces situations sont périlleuses, voire abyssalement redoutables. Je suis souvent nu, tout nu devant ou à côté de cauchemars ou de rêves ou de choses immenses. Je n’ai pas le vertige. Il m’arrive, notamment dans les peintures de 2021, d’être habillé de noir, portant haut une sorte de loden anthracite. Mon corps ainsi vêtu est silhouette. Une forme simple, comme mon profil facile ou ma face écarquillée. Habillé,

habité avec maladresse par ces virtualités oppressantes. Télétravail, jeux en ligne, localisation, connexions difficiles, selfie, images et sons lointains baignés de cette lumière bleue écran. Parfois même, Alain Campos écrit sur toile une image en code. Et son Marcel affronte ou subit ces situations. Il est dans un non-lieu, seul face au problème. Un peu comme dans de nombreux dessins de Topor, Le souffle ou Oiseaux de nuit et tant d’autres dessins, où, perplexe, l’humain – personnage se déforme au gré d’une angoisse ou d’un jeu de mots cruel.

pour dire avec sa propre voix. Nous avons tous et toutes besoin de dire nos sentiments, nos visions, nos cauchemars, nos préoccupations ou encore la fulgurance d’une situation, l’éclatante compréhension d’un échange, d’une information. Nous allons patauger parce que peu d’entre nous ruminent les mots comme Hugo, Rimbaud et d’autres…. En peinture c’est aussi assez rare.

Alain Campos n’a pas beaucoup de pères. Peut-être dans l’illustration pourrions-nous trouver quelques ancêtres. Quelques lourdes gravures sur bois du début du XXe siècle, ou chercher des inspirations diverses chez quelques expressionnistes aux images syncrétiques et brutales. Mais non… Alain Campos est baigné dans notre monde, dans notre époque la plus récente, celle de la torpeur d’un confinement

Nés en écoles des beaux-arts, les BanlieueBanlieue envoient valser les enseignements critiques et exclusifs qui bannissaient le dessin et la peinture imposant l’ascèse d’un non-art minimal et objectif. Eux ont choisi la poésie des images, la très honnie figuration, l’action à plusieurs mains dans les rues. Arrivé à Sète en 2006, Alain Campos s’est focalisé seul sur l’expression du monde qu’il traverse avec nous, à sa façon, comme une sorte de transe menée tambour battant d’où surgissent des visions avec lesquelles il élabore ses peintures, ses images. Marcel le harcèle.

Ses toiles naissent donc abstraites sans dessin préparatoire et sans desseins non plus. Puis, le plus souvent, surgit la figure dans l’espace. Elle vient de successives pensées en loop à la suite d’observations assidues de nos travers, ceux des ados aussi. Ainsi l’artiste se connecte

Même si Alain Campos récuse un style, sa façon d’agir, de penser, de faire et de peindre est très directement identifiable et ce, sans doute depuis belle lurette. Un savoir-faire né au début des années 1980 lors de la formation du groupe Banlieue-Blanlieue, alors que débordent de toutes parts les premiers francs-tireurs des rues et des murs, MissTic, Speedy Graphito, les frères Ripoulin, les Musulmans fumants, etc., très actifs, tous et toutes, dans les rues de Paris et alentours.

Il n’est pas question de symbolisme ou quelque autre courant pictural en rupture. Il s’agit, comme toujours, à la fois d’images et de peinture. Les images comme prétexte à la peinture. La peinture est ici savante, réalisée avec faconde et légèreté, des tonalités propres au peintre, des traits nés d’une alchimie unique, une sorte de virtuosité de la touche propre là aussi au peintre. Mais ces images quelles sont-elles?

18-194à4 ALAIN CAMPOS

Pour ces peintures de 2021, Alain Campos travaille à ce bleu électrique qui domine dans de nombreuses toiles. Certaines, un peu plus anciennes, 2019, sont des références directes aux maîtres anciens, Rembrandt, Manet, Hokusai et d’autres, aux cieux en vapeurs dans les teintes chères à l’artiste, les bruns clairs, les ocres ou les rouges.

L’Épicier, 2019 ACRYLIQUE ET HUILE SUR TOILE, 150 X150 CM 20-214à4 ALAIN CAMPOS

Ctrl/esc (télétravail), 2021 ACRYLIQUE ET HUILE SUR TOILE, 180 X150 CM

Le Bourgeon, 2021 ACRYLIQUE ET HUILE SUR TOILE, 150 X120 CM 28-294à4 ALAIN CAMPOS

Blue Light, 2021 ACRYLIQUE SUR TOILE, 90 X120 CM

Les Mots brûlés, 2019 ACRYLIQUE ET HUILE SUR TOILE, 150 X150 CM 30-314à4 ALAIN CAMPOS

La Théorie du chaos, 2021 ACRYLIQUE SUR TOILE, 90 X120 CM

Adam, la pomme, 2021 ACRYLIQUE SUR TOILE, 120 X90 CM 32-334à4 ALAIN CAMPOS

AROLDO GOVERNATORI PARTIE II

Du visuel à la vision

Stéphane Tarroux Directeur du Musée Paul Valéry Conservateur en chef du patrimoine

étrangeté» propre aux modernes. Si la peinture d’Aroldo Governatori a pu parfois emprunter d’autres chemins, les trois séries ne sont pas sans relation avec une inspiration originelle quicherche à dépouiller le regard de ses certitudes.

Les toiles de la première série, «La voce del profondo», sont réunies par une unité de thème sans former pour autant un ensemble homogène. Deux techniques différentes sont en effet employées, la peinture «a tempera» et l’impression numérique. La fluidité et la clarté de la tempera se prêtent avec une étrange perfection à la désolation des paysages ravagés par le feu du volcan: plissements de terrain aux coloris bruns doucement dégradés, clarté et luminosité des teintes orangées, présence des rouges qui partout s’infusent, iridescence du vermillon dans les lisières. La série est

Depuis les années 1960, Aroldo Governatori n’a jamais quitté la peinture ni perdu la confiance qu’il a dû un jour placer en elle. Il n’a, au contraire, jamais eu de cesse d’en explorer toutes les possibilités, indifférent en apparence aux discours sur l’avenir d’une pratique jugée parfois désuète ou, au mieux, corrompue. Durant sa période romaine, alors que la ville est secouée par les soubresauts des «années de plomb», Aroldo Governatori travaille à des séries qui semblent ostensiblement dégagées de toute référence à l’actualité et de tout engagement. Déjà s’affirme une prédilection pour la couleur rouge, pour la relation entre la couleur et le plan, la profondeur et la frontalité, les reflets, l’espace et la lumière, les matières et le décor. Aroldo Governatori associe les prodiges d’illusion qui se rencontrent partout à Rome dans le baroque d’un Borromini avec une sorte d’«inquiétante

AROLDO GOVERNATORI

48-494à4 AROLDO GOVERNATORI

la résurgence d’un sujet auquel quelques toiles peintes en 1968 et 1969 – notamment une vue de Panarea, île de l’archipel des Éoliennes proche du Stromboli, ou encore des représentations de roches volcaniques –faisaient allusivement référence. Aroldo Governatori renoue également avec un type de veduta apparu à la fin du XVIIIe siècle chez le peintre Pierre-Jacques Volaire et que s’appropriera une dernière fois Turner. Comme ses devanciers, il invite à une rêverie sur la beauté inhumaine du phénomène, aussi violemment destructeur qu’il manifeste la capacité de la matière à créer. À l’inverse, l’impression numérique produit des formes plus indécises, sortes de nébuleuses minérales que traverseraient des constellations liquides et qui empruntent aussi bien au plasma stellaire qu’aux concrétions telluriques. S’il existe tant de diversité entre les œuvres de la série, c’est sans doute qu’entendre «la voix venue des profondeurs», c’est tout autant reconnaître la permanence de l’être que son éternel devenir, autrement dit sa capacité à revêtir des formes multiples.

En nommant «Cinabri» les œuvres de la seconde série, Aroldo Governatori souhaite rappeler que leur existence est indissociable des propriétés de la matière dont elles sont formées, autrement dit du cinabre. Emprunté à une langue orientale, le mot était employé par les Grecs pour désigner un pigment d’origine minérale, le sulfure de mercure, qui produit un rouge lumineux.

La toile laissée en réserve nuance les variations de densité et de concentration du coloris. Les formes qui se dégagent alors de l’interaction

On ne sait si Aroldo Governatori a connaissance de l’origine réputée indienne du pigment et des récits mythiques qui lui prêtent les vertus ambivalentes d’une drogue, à la fois remède pour les maladies ophtalmiques et poison issu du sang d’un dragon. Les «cinabri» donnent à voir en tout cas les figures invisibles qui secouent notre psychisme et qui trouvent souvent à s’incarner dans les archétypes véhiculés par le mythe. Peut-être inspiré par Carl Gustav Jung, le syncrétisme d’Aroldo Governatori, qui puise aussi bien dans la Gerusalemme liberata que dans l’hindouisme, reflète, à travers la diversité des formes disponibles, l’universalité des forces invisibles qui nous agitent et qui, dans la troisième série, prennent l’apparence du dieu égyptien Bès (Karma), de Bouddha (Gautama il sublime) ou encore du pélican nourrissant sa progéniture de son propre sang (Nel nido la beatitudine), symbole christique de la Rédemption.

Pour Aroldo Governatori, la peinture n’a pas à se figer dans la belle apparence d’un chef-d’œuvre, admirable pour ses qualités intrinsèques. Elle prend tout son sens si elle est en prise avec toutes les dimensions de notre expérience, le visible du réel, protéiforme parce qu’en perpétuel devenir, et l’invisible des archétypes de notre psychisme. Elle se libère alors de la stricte rationalité, «ce carcan d’indifférence» (André Breton), pour rendre à l’œil sa vision. Les œuvres d’Aroldo Governatori se situent à mi-chemin du visuel et du visionnaire, offrant des rencontres inattendues où s’ouvrent les territoires de l’imaginaire et de l’inconscient.

entre le fond et la couche picturale prennent une allure spectrale, comparable à bien des égards aux fantasmagories qui peuplent les «noirs» d’Odilon Redon. La couleur rouge fait se lever dans l’imaginaire des créatures sanguinaires empruntées au mythe, telle «Kâli, à la figure terrifiante» ou encore Méduse transparaissant dans Col lampo maligno di occhi divini ainsi que la figure d’Attila, dont la réputation de cruauté dépasse le cadre strict de l’histoire. À l’inverse, le traitement de l’Autoportrait à Pise surprend par la douceur qui émane des traits de l’artiste représenté dans sa jeunesse et évoque la manière d’Eugène Carrière, si sensible à l’évanescence du souvenir.

50-514à4 AROLDO GOVERNATORI

Les œuvres d’Aroldo Governatori agissent comme des révélateurs. Dans la troisième série, l’impression numérique accorde une grande latitude à l’invention, favorisant les collages et les juxtapositions, ensuite rehaussés de peinture. Une fois rapprochés par la vue, les éléments disparates fonctionnent comme des déclencheurs d’une vision chez le spectateur. L’œuvre Fata Morgana se réfère au mirage provoqué par la fée Morgane, qui, selon la tradition, tromperait les marins tentant la traversée du détroit de Messine. Le centre de la toile est occupé par un espace vivement coloré, qui se situe en retrait et d’où paraît émaner la lumière. Intense sur les pourtours de cette zone, elle tend à faiblir vers l’extérieur. Dans l’espace médian, un personnage féminin flotte, protégeant son regard de son avant-bras replié. Mais, recomposant l’hétéroclite, l’imagination croit retrouver dans l’ouverture en forme d’amande et la position des rayons d’une gloire rapportée la présence d’un œil. Aroldo Governatori a-t-il songé au poème Fata Morgana d’André Breton? Il met en tout cas en œuvre l’une des techniques pratiquées par les surréalistes, le collage, pour débarrasser l’œil de ses routines, stimuler l’imagination et donner naissance à un tableau mental où se matérialise l’inconscient.

La voce del profondo [La voix des profondeurs]

[La Voix des profondeurs I], 2013-2014

La voce del profondo I

52-534à4 AROLDO GOVERNATORI

TEMPERA SUR TOILE, 92 X73 CM

PREMIÈRE SÉRIE :

PREMIÈRE SÉRIE :

La voce del profondo II Voix des profondeurs II], 2013-2014

La voce del profondo [La voix des profondeurs]

TEMPERA SUR TOILE, 92 X73 CM

[La

La voce del profondo [La voix des profondeurs]

73 X92 CM 54-554à4 AROLDO GOVERNATORI

PREMIÈRE SÉRIE :

[La Voix des profondeurs III], 2013-2014

La voce del profondo III

TEMPERA SUR IMPRESSION NUMÉRIQUE SUR TOILE,

Dépose ton fardeau, 2015-2016

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 24 X30 CM

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 35 X27 CM

Attila, 2015-2016

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

Salut à toi, Kâli, à la figure terrifiante, 2015-2016

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 30 X24 CM 62-634à4

AROLDO GOVERNATORI

Tremblement de ciel, 2015-2016

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 33 X41 CM

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 41 X33 CM

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

S’attaquer aux ténèbres, 2015-2016

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 41 X33 CM

Sciamano[Chaman], 2015-2016

Éclair de la punition, 2015-2016

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 46 X33 CM

64-654à4 AROLDO GOVERNATORI

Fragments d’un miroir cassé, 2015-2016

SULFURE DE MERCURE SUR TOILE, 41 X33 CM

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

DEUXIÈME SÉRIE : Cinabri [Cinabres]

PARTIE III NISSRINE SEFFAR

2 Hannah Arendt, Qu’est-ce la politique?,quetrad. del’all.parS. Courtine-Denamy,Paris,LeSeuil,1995(coll.«L’ordrephilosophique»),p.33.

L’adéquationl’art

entre le mot et la chose est bien souvent illusoire. Ce que permettent le langage formel et les enjeux esthétiques, ce sont d’autres voies de représentation qui permettent de dire autrement la pudeur, l’interdit, le tabou et peut-être d’agir sur ce qui constitue le lien politique au sens où l’a décrit Hannah Arendt, « l’espace-qui-est-entre-les-hommes» 2

88-894à4 NISSRINE SEFFAR

NISSRINE SEFFAR

Pour tout artiste, le processus artistique est déjà en quelque sorte sa signature, autrement dit ce qui désigne le sens de son travail.

D’un quelqueavant,chose d’autre

Sylvie Lagnier Docteure en histoire de

1 Benjamin Walter, Paris, capitale du XIXème siècle – Le livre des Passages, Éditions du Cerf, 2006, p.479. (Œuvre inachevée, écrite les annéesdans 1930, publiée de façon posthume en 1982).

D’une trace, une empreinte. Les variations picturales – de grands formats, plus rarement des petits– de Nissrine Seffar recueillent les traces de l’histoire, souvent desconflits, dans des lieux dont elle explore les dimensions historiques, mentales et imaginaires. Le déplacement est au cœur de sa pratique, qu’il soit géographique, plastique ou conceptuel. Penser la limite, jouer des discontinuités spatiales, réécrire la topographie et transformer l’empreinte en indice plastique. Lors de ses déplacements, l’artiste pose sa toile et prélève des sols de pays méditerranéens, les stigmates que laissent les hommes : aspérités, protubérances, motifs aléatoires inscrits dans cette terre de bitume et de poussière sur lesquels et avec lesquels la peinture advient. Toutes les œuvres de l’artiste contiennent ce quelque chose d’autre, à la fois d’ailleurs et d’ici, d’avant et de maintenant.

Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autres termes: l’image est la dialectique à l’arrêt.1

Dans chacune de ses peintures, Nissrine intègre ou libère la forme –qu’elle soit d’essence géométrique ou informelle, que son état joue de l’épaisseur ou de la liquidité– sur le «fond préparé» à l’aide souvent de la ligne. Une biffure, une séparation, un contour, une séparabilité. Elle l’affranchit du sujet au profit d’une intériorité qui remémore autant qu’elle questionne. La couleur peut alors contaminer l’espace sans qu’il n’y ait comme une évidence, ni commencement, ni fin.

Oradour-sur-Glane. Le 10 juin 1944, la 2e division Waffen SS «Das Reich» pénètre dans le petit village situé près de Limoges. Les femmes et les enfants sont placés dans l’église et sont massacrés à l’aide d’explosifs; les hommes sont répartis dans différents lieux clos. Tous sont exécutés simultanément. 643 personnes périssent ce jour-là, dans un village réduit en cendres, victimes du nazisme. Nissrine a consacré plusieurs peintures à ce drame. Choisissant de grands formats, l’artiste fait ressurgir à la surface, la peur, les cris puis le silence matérialisés par des formes vibrantes et spectrales. L’image de la croix, symbole de l’ultime supplique des mères, émerge du fond sombre empli de la poussière des décombres. Ailleurs, l’usage du grillage trame la peinture, enferme et dématérialise le vivant, tandis que de grands parallélépipèdes jaunes invoquent le lieu par le plan, souvenir d’une élévation dans laquelle grandissaient des enfants.

L’empreinte n’est-elle qu’un simple prélèvement?

Le format lui-même, nous conduit à franchir le seuil et à pénétrer au cœur de sa matière ; la vie des formes nous entraîne d’une trace à l’autre; un voyage, initiatique peut-être, qui place le corps dans l’ordre des mondes et la conscience face à l’impossibilité de réparer le passé. Il y a pourtant un sentiment de plénitude, de bonheur même qui vibre dans la touche, comme pour appeler l’espoir au cœur de la destruction. Un autre point de vue, donc.

Tel un palimpseste, les apparitions plastiques se recouvrent sur la toile. Une trame, un motif en chevrons, une dentelle presque, tout ou partie recouverts de jus translucides. Déjà la couleur.

Une mémoire, pourtant. Guernica Huella4 est une œuvre picturale dont les dimensions reprennent précisément celles de l’œuvre de PICASSO. Guernica Huella a entièrement été réalisée à Guernica même, pour les prélèvements de sols bien sûr, mais aussi pour toute la recherche qui accompagne et qui constitue l’œuvre 5 L’œuvre de PICASSO est devenue le symbole des cruautés guerrières parson importance historique et symbolique, mais aussi en raison de sa rapide intégration à l’histoire de l’art par le biais du tableau peint par le peintre espagnol, devenu l’image même de l’événement et ce, malgré le vide laissé par l’absence d’images mécaniques. Guernica s’est alors imposée comme l’un des hauts lieux de la mémoire de la guerre. Guernica Huella ouvre une série picturale sur les lieux de bombardements. Cela a commencé en 1937 quand Guernica et les villes chinoises de Chongqing et Shanghaï furent écrasées par les bombes, puis, quand coup sur coup, deux bombes atomiques détruisirent Hiroshima et Nagasaki en 1945. Que reste-t-il de cette montée en puissance de la terreur ?

qui la conduisent à une réflexion de notre rapport au monde et à ses représentations. La plasticité qu’elle met en œuvre n’est pas une illustration –comment représenter l’irreprésentable, c’est-à-dire, la perte, la peur ou l’inconnaissable, autrement dit, la mort– mais sans doute amène-t-elle une nouvelle forme narrative. Les lieux, autrement dit, les référents indiciels, ne partagent qu’une relative proximité géographique. L’histoire à laquelle ils se réfèrent est issue de contextes distincts, parfois même d’époques distantes. Et pourtant, chacun des Prélèvements contribue à la conception de leur proximité. La narration se lit d’une œuvre, l’autre; l’ici où la tragédie se révèle.

Alors, un en-deçà et un au-delà de l’image. Le prélèvement est un transfert. Il conserve dans ce que dessine le fragment, l’identité d’un territoire et les raisons d’un choix propre à l’artiste. Il est aussi l’élément textuel premier du titre de chacune des peintures suivi de la mention du lieu 3. Les prélèvements restituent, au seuil du visible, des histoires, celles que nous préférons parfois oublier.

Si proche de l’objet et si loin du fait. Paradoxe temporel dans lequel le passé y travaille le présent. Survivance de l’absence.

Avec la matrice.

Nissrine Seffar enquête, recense et questionne levécu, l’exil, l’errance, les cicatrices. Elle rencontre plus que des lieux, des situations et des objets

D’unConstruction.territoire.

Il n’est pas d’histoire où n’affleurent dans sa narration d’autres histoires, un récit dans le récit, une «narration emboîtée» selon les termes de Roland Bourneuf 6 Parmi les œuvres de Nissrine, plusieurs sont composées à partir du retrait de documents de leur contexte (livres d’histoire, photographies, cartes postales anciennes, journaux, sacs de courses) devenant signifiants par leur mise en commun ou leur répétition, le sens naissant des interprétations qui en découlent.

Toujours ouvert.

Les ruines des civilisations passées continuent de nous instruire et de nous fasciner. Qu’en est-il de celles que laissent notre monde? Nissrine photographie et dessine des baraquements dont il ne reste souvent que l’ossature de métal, un mur éventré et criblé que la lumière d’un soleil couchant magnifie pourtant en animant sa surface d’une picturalité sensible 8 Comme un décor. Les séries comme La vie d’un camp9 –des impressions rehaussées sur plâtre–recréent des paysages lumineux, derrière ou sur lesquels, tel un monde intérieur, la ruine affleure. Le plâtre, empreinte du moule en bois ponctué de points qu’a fabriqué l’artiste, unifierait l’espace de sa pellicule réparatrice si ce n’était la présence de ces petits cratères qui donnent à ces deux séries la dimension quasi sonore d’impacts. D’un paradoxe. Douceur et sensualité du toucher, luminosité blanche et chaleureuse, ce sont pourtant des drames que fige la noble matière.

9 La vie d’un camp Rivesaltes, 2019. Dix chacune.3 x 21dessinsrehausséesimpressionsetsurplâtre.x4,5cm 90-914à4

Une mémoire.

Le prélèvement est réalisé en des lieux dont le nom évoque non seulement des événements passés, mais atteste aussi du moment où Nissrine choisit le fragment de sol, autrement dit cette partie relative au tout, la forme d’un récit de voyage qu’elle ponctue de ses gestes et objets récoltés.

Nos histoires.

La ligne cadre un fragment, scinde l’espace, divise la surface. Puis, un geste ample dépose la matière pigmentaire, vive, acidulée, sombre et transparente. L’informe a lieu, s’épandant. Encore, un plan, noir, agit comme un repoussoir.

Toute mémoire a besoin non seulement du présent pour exister, mais aussi de l’émotion sans laquelle ce nouveau moment ne serait pas. Une relation avant/maintenant dont la dialectique permet, autant qu’elle la construit, une narration, et dans l’inter-relation des œuvres de Nissrine, une méta-narration dans laquelle la récurrence (photographies d’immeubles détruits, par exemple), le rythme (celui donné par le dessin, notamment), l’accident ou l’aléatoire (l’usage du plâtre) et les passages d’une pièce à l’autre, agissent comme autant de déclencheurs de la mémoire. Les interventions plastiques, qu’il s’agisse des gestes et des choix de l’artiste, figent ces traces, ces rebuts parfois, dans l’espace (au sol, au mur ou suspendu) un peu comme des points. Un autre déplacement, celui cette fois-ci du spectateur, vient les relier créant ainsi un ensemble ni clos, ni tourné vers le passé, nous orientant davantage sur la conception d’une image-devenir. Nous y reconnaissons le passé, quelque chose d’inachevé.

5 documentaire,Recherche entretiens,dessins,photographique,travailmoulages,etc.

le souvenir du désastre? Et d’écrire: «Comme un miroir, les ruines renvoient l’image de ceux qui les regardent: entre le souvenir de ce qui fut et l’espoir de ce qui sera, l’homme y contemple l’image familière du temps, son double». 7

NISSRINE SEFFAR

6 Roland Bourneuf, Real L’UniversQuellet,duroman,Paris,Pressesuniversitairesde France,1972,p.71.

8 Les du temps,impacts2019.Troisphotographiescontrecolléessurdibond2mm.100 x 68,4 cmchacune.

7 Makarius,Michel ReprésentationsRuines.dansl’artdelaRenaissanceànosjours,Flammarion,2004etChamps,2011.

La nature de ces objets est dès lors modifiée. Ils perdent leur fonction d’usage initial pour devenir l’illustration du souvenir. Ils gagnent un nouveau statut proche de l’archive: documenter, remémorer, représenter, interroger. Ces objets et documents, qu’ils soient transférés sur peau, plâtrés, combinés au dessin ou rehaussés, offrent ainsi la possibilité de créer une mémoire. L’événement vécu qu’ils évoquent est fini alors que la remémoration est infinie. Elle l’est d’autant plus qu’elle relève d’un processus à la fois plastique et relationnel et qu’elle n’a rien à voir ni avec la fixité, ni avec la vérité. Les photographies d’immeubles détruits, le concept de ruine qu’elles véhiculent, nous ramène à la vulnérabilité du monde.

3 Par Campexemple:Joffre,Rivesaltes,France.Guernica,Espagne.Figuig,Maroc.LocauxdelaPide(PoliceInternationaleetde Défensede L’État)pendantla dictaturede Salazar,RueAntonioMariaCardoso,Lisbonne,Portugal.Oradour-sur-Glane,France.

Figure du fragment, allégorie du temps, la ruine mêle savoir et imaginaire. En travaillant selon un principe de sédimentation (les photographies transférées sur une peau ou sur plâtre par exemple), elle nous conduit à regarder au-delà des choses, le visible n’étant que le support de l’invisible. Pouvons-nous survivre à nos ruines? Michel Makarius a posé cette autre question: comment perpétuer

4 Guernica Huella, 2017. de lin.mixtesGuernica,d’empreintesPrélèvementsàtechniquessurtoile777x349cm.

Réparation, 2015 DOCUMENTS HISTORIQUES, PLÂTRE, 40 X30 X1 CM 92-934à4 NISSRINE SEFFAR

Corps mort, 2016 MAROQUINERIE SUR BOUÉE, 190 X100 CM

DE CARROSSERIE SUR BOUTEILLES DE PROPANE, TAPIS DE PRIÈRE MUSULMANE, H.144 CM, Ø29 CM(CHAQUE BOUTEILLE) 94-954à4 NISSRINE SEFFAR

PEINTURE

Explosion d’une nation, 2016

Rivesaltes, 2017 TECHNIQUE MIXTE, IMPRESSIONS REHAUSSÉES ET DESSINS SUR PLÂTRE, 90 X21 X4,5 CM

96-974à4 NISSRINE SEFFAR

Guernica Huella, 2017 PRÉLÈVEMENTS D’EMPREINTES, GUERNICA, PEINTURE ET PIGMENTS ACRYLIQUES SUR TOILE DE LIN, 349 X777 CM « GUERNICA HUELLA» À L’OCCASION DU 80 E ANNIVERSAIRE DU GUERNICA DE PICASSO

98-994à4 NISSRINE SEFFAR

PARTIE IV ZHANG HONGMEI

Cela faisait longtemps que je n’avais rencontré une artiste d’une telle profondeur. Mais pour trouver une figure semblable, il m’a fallu parcourir de nombreux kilomètres avant de rencontrer

pour la première fois Zhang Hong Mei et j’ai tout de suite compris que j’étais en présence d’une artiste de grand talent à la personnalité capable de symboliser la créativité du XXIe siècle.

en d’autres termes, les œuvres de Hong Mei possèdent une voix claire qui symbolise la réalité de son pays: la compétitivité et la liberté, une Chine nouvelle qui équilibre avec soin socialisme et capitalisme, le socialisme dans toute sa différence et l’idée du capitalisme appliquée sans aucun filtre à sa société.

Depuis la Révolution culturelle et durant la période allant de 1966 à 1976, la Chine a fait l’expérience d’une contradiction sociale interne qui a produit une force nouvelle et très positive pour un grand changement social. D’un point de vue humain, les tensions entre passé et présent ou avec le monde moderne ont disparu et un enthousiasme populaire a remplacé ces tensions, en particulier en matière de culture et d’art. La Chine avait atteint un haut niveau de productivité avant

ZHANG HONGMEI

Zhang Hong Mei est une artiste d’une nature admirable dont le talent ne connaît pas de frontières dans le monde de l’art.

124-1254à4 ZHANG MEIHONG

Luisa Cardenas Directrice de 108 Éditions Traduction française de Viviane Ciampi

D’un point de vue historique, elle est le résultat d’une force constante, d’un développement de normes sociales. Elle est attachée à son travail et à l’héritage qu’il laissera dans le monde contemporain. Ses œuvres sont la représentation d’un idéal, d’une conscience et d’un caractère moral sans équivalent;

Nouveau Millénaire, frontières ouvertes et plus encore...

d’entreprendre sa transformation sur le plan social; la révolution de la technologie avait alors battu le capitalisme à son propre jeu.

La seconde «Révolution culturelle» qui se déroula cette fois dans l’hémisphère occidental présenta un homme nouveau et cette révolution eut une influence positive sur la pensée des jeunes après «mai 68» en particulier en France où la révolution changea complètement la vision du monde des générations futures. Elle le fit de façon indirecte et progressive et ses conséquences allaient ouvrir de nouveaux horizons en rapport avec les questions féminines où le thème «des femmes et de la révolution» devait finir par représenter l’une des grandes conquêtes de «mai 1968».

Au temps du culte de la «Révolution culturelle» et de la «Chine du Grand Mao», une majorité des intellectuels de l’époque avait accueilli favorablement la perspective d’une Nouvelle Chine qui demandait instamment aux jeunes de ce grand mouvement culturel de devenir enseignants, administrateurs et en général des personnes capables de gérer tout un pays.

Pendant les années 1980, la Chine, enfin ouverte à l’Occident, participe elle aussi au marché de l’économie et de la culture globales et

L’histoire de l’art oriental ainsi que l’esprit de Confucius rappellent comment les Chinois placèrent le peintre au même niveau que le poète qui donne l’inspiration et les religions orientales ont dévoilé que rien n’est plus important que la méditation comme exercice mental. Sans idéologie particulière, les œuvres de Zhang Hong Mei nous aident à méditer sur les éléments présents dans la nature comme l’eau, le ciel ou un rocher, et elle apparaît comme une artiste passionnée qui se procure les matériaux pour les pensées les plus profondes. L’artiste a le privilège, en tant que jeune créatrice, d’avoir devant elle un immense avenir et la capacité d’influencer la scène artistique chinoise contemporaine. Une influence significative, capable d’engendrer un vent frais de New Pop d’inspiration occidentale, mais aussi de la variété, du dynamisme et un plaisir esthétique particulier, caractéristique d’un style non conventionnel qui en fait l’artiste de ce «Nouveau Millénaire», sans frontières et bien plus encore...

la politique de la «Porte ouverte» fait recouvrer sa cohérence à la nation chinoise en présentant comme un défi d’accepter la coexistence des deux réalités: la métabolisation mentale opérée par les peuples entre socialisme et capitalisme commence à se produire en termes économiques et idéologiques. La «fièvre» économique, où quiconque peut devenir chef ou cheffe d’entreprise, se déchaîne. Les nouvelles stratégies des marchés et les réformes destinées à redynamiser l’économie et, avec elle, les personnes, sont en cours. Le nouveau millénaire et la Chine contemporaine, les politiques environnementales, le développement et la conservation, la participation dynamique au marché international sont tous des éléments qui représentaient la nouvelle force de la Chine en général, surtout au cours des vingt dernières années, en termes de capacité à jouer un rôle important sur la scène internationale.

«théoricienne de liberté», son langage visuel promeut et hisse l’ensemble de la tradition artisanale des tissus à la hauteur d’une nouvelle forme d’expression artistique. Sa création procède par «couper/coller», autant d’éléments indispensables dans le transfert intellectuel que l’artiste doit effectuer pour réexaminer l’essence artistique en soi –la plus pure–, à savoir l’émotion transcendantale. C’est sur ce moment crucial et critique que l’artiste s’interroge: comment, pourquoi et où les formes seront placées à l’intérieur de la scène. Comme partie naturelle de sa création, les œuvres de Zhang Hong Mei surgissent ainsi qu’un univers de couleurs et de formes; ses «paysages mentaux», intellectuels, proposent une interprétation de son monde visionnaire, où l’atmosphère méditative de ses œuvres (bidimensionnelles ou tridimensionnelles) caractérise la quête de sa proposition artistique tout autant que son attachement à l’histoire de l’art en tant que créateur sans frontières dans un monde soumis aux changements et aux variations constantes.

126-1274à4 ZHANG MEIHONG

Dans ce contexte socio-intellectuel et au moment le plus propice, apparaît une artiste de talent qui éclot à la vie comme une fleur de lotus. Ainsi Zhang Hong Mei entre dans le panorama artistique à un moment où l’évolution repousse ses frontières dans ce nouveau XXIe siècle; si son dialogue entre passé et présent la situe en tant que

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132-1334à4 ZHANG MEIHONG

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