Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes
les légumes et les fruits
Loubatières Parc naturel régional des Pyrénées catalanes
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Le chou de Cerdagne (ou col d’hivern) Indissociable du mode de vie fondé sur l’autoconsommation, qui eut longtemps cours dans les Pyrénées catalanes, le chou présentait des avantages considérables. Par sa grande capacité de résistance au froid, il constituait une réserve de nourriture appréciable pendant l’hiver, remplissant avec la même générosité la marmite familiale, l’auge du cochon et la mangeoire du lapin. Sa robustesse et sa période de culture (planté début août, il est récolté de février à mai) assuraient une nourriture saine nécessitant peu de travail. Parfaitement adapté aux conditions climatiques des zones de montagne, ce chou d’hiver monte en fleur, dit-on, s’il est cultivé en dessous de Fontpédrouse. Son aspect, en revanche, n’a jamais soulevé l’enthousiasme, ce qui explique sans doute qu’il disparaisse peu à peu des jardins au profit du chou de Milan. Il demeure toutefois l’ingrédient principal du trinxat, mélange de chou et de pommes de terre agrémenté d’une roste (poitrine de porc), que les ouvriers consommaient traditionnellement au cours de la pause de 9 heures.
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Roger Tubau et son f ils Denis agriculteurs à Angoustrine Quelles vertus culinaires reconnaissezvous au navet cerdan ? Denis Tubau : Ce navet-là a un goût très prononcé qui relève bien les soupes et les blanquettes. Il est aussi très bon en vinaigrette, avec des pommes de terre à l’eau. Ma mère les cuisine encore comme autrefois, à l’estouffade, avec des pieds de porc. C’est une culture traditionnelle, chez vous ? D. T.: J’ai toujours vu des navets pousser par ici. Aujourd’hui on en sème sur 2 000 m2, ce qui représente 200 à 500 kg. Tout dépend des années : je me souviens surtout de 2006, qui a été une récolte exceptionnelle.
avant qu’ils ne rebroutent, c’est-à-dire avant les nouvelles feuilles. Comment le conserver durant l’hiver ? R. T.: Il suffit de bien le nettoyer, d’enlever les racines et de couper la tête des feuilles à ras. Autrefois, on le mettait dans une toupine avec une assiette remplie d’eau pour ne pas qu’il se dessèche. On laisse le tout dans le noir, parce qu’avec le jour, le navet travaille.
Comment sème-t-on le navet ? Roger Tubau : Personnellement, j’arrache une dizaine de plants dans le champ au début du printemps, quand les navets sont bien gros, et je les replante au jardin. Une fois les plants en fleur, je récupère l’équivalent d’un bocal de graines, qui me serviront de semence l’année d’après. Je sème ensuite à la volée, à la mi-juillet, sur le chaume du blé ou du seigle. À la lune vieille… la lune pleine… Celle qui est blanche dans le calendrier. Quel genre de soins demande-t-il ensuite ? R. T.: Le navet n’a pas besoin d’arrosage : il vient en sec. Dans le champ, il aime l’humidité et n’a besoin que de pluie et de chaleur. L’important, c’est que le terrain où il pousse ne soit pas fumé. Sinon, il attrape le ver. Existe-t-il une période de récolte idéale ? R. T.: On cueille à la demande à partir de la fin septembre, mais les meilleurs navets, les moins forts, sont ceux qui ont passé l’hiver dehors et qu’on récolte au printemps
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Henri Colomer (Dorres) « Qui n’a jamais goûté au navet de Cerdagne ne connaît pas le goût du navet. » « Autrefois, tout le monde faisait du navet cerdan. Pas dans les jardins bien sûr, parce qu’il n’y vient pas bien, mais dans les sols plus secs. Les champs de Belloc étaient parfaits pour ça, et les gens couraient y semer leurs graines. Il faut dire qu’ici, on en mangeait beaucoup. Nature, en vinaigrette, dans la soupe, mais surtout avec le canard aux navets qu’on cuisinait pour Noël et la Toussaint. Le navet au canard, c’est ce qu’on faisait de plus fameux et de plus renommé. D’ailleurs, ceux qui prétendent – et ils sont nombreux – que ça ne vaut rien, que le navet n’est bon qu’à donner aux cochons, ceuxlà n’ont jamais mangé de navet de Cerdagne. Ils confondent avec ces navets ronds cultivés spécialement pour les cochons. « On cueillait en septembre ou octobre, selon les besoins, ou alors en prévision d’un grand froid. De toute façon, les navets se conservent longtemps, pour peu qu’on s’y prenne bien. On commençait par les trier : les plus petits pour les cochons, les plus gros et les plus lisses pour la famille. On les plaçait ensuite dans des toupines, comme les carottes, avec une assiette d’eau placée au-dessus. Bien sûr, ils ramollissaient un peu avec le temps, mais au moins, on les pelait facilement. « Tout cela, c’était valable autrefois, quand il neigeait dès le mois de novembre et que les hivers étaient rudes. De nos jours on peut sans risque laisser les navets au potager. « Le chou d’hiver résistait encore mieux que le navet au grand froid. On le plantait dans le jardin. On faisait deux sillons de patate pour un sillon de chou, parce que sinon le chou étouffait les patates. D’ailleurs, ce sont les deux ingrédients du trinxat. »
En Cerdagne, il y a navet et navet Le navet de Cerdagne, long, grisâtre et savoureux, est souvent confondu avec le navet rond, fade et bicolore, que l’on destinait jadis à l’alimentation des vaches et des cochons, et plus rarement à l’amélioration des soupes. Autrefois cultivé dans les mêmes parties du territoire (Cerdagne, Capcir et une partie du Conflent), ce dernier a aujourd’hui disparu.
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1 kg de pommes de terre Un chou d’hiver sur lequel le gel est passé 1 rosta (poitrine de porc) par personne Sel et poivre
Trinxat à la manière d’Élise, grand-mère de Frédéric Bozom, Enveigt (Cerdagne)
Après avoir épluché et détaillé en morceaux les pommes de terre, ôter du chou de Cerdagne les yeux qui, seuls, entrent dans la préparation de ce plat avec quelques feuilles, laver et sécher l’ensemble. Sinon prenez des feuilles d'un chou ordinaire. Trancher le chou en julienne, le faire blanchir, puis l’égoutter. Dans une grande marmite, couvrir le chou d’eau, et porter le tout à ébullition. Ajouter les pommes de terre et cuire une vingtaine de minutes. Pendant ce temps, faire frire les rostes à feu vif dans une poêle. Une fois chou et pomme de terre bouillis, les écraser à la louche. Saler, poivrer, et apprêter la purée dans un plat à gratin en la recouvrant d’autant de rostes qu’il y a de convives. Servir chaud.
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Savoirs et saveurs des Pyrénées catalanes
les légumes et les fruits
S
i l’on venait un jour à reconnaître qu’il
y a de la noblesse dans la silhouette d’un
vieil abricotier, dans la forme biscornue d’un navet de Cerdagne ou dans une poignée de graines de haricot. Si l’on finissait par se convaincre de la nécessité de rendre à la mémoire orale la place prépondérante qu’elle occupait autrefois. Si l’on se résolvait à sceller l’union du potager et du maraîchage, du local et de l’exotique, des anciens et des modernes, des hippies et des retraités, de la pomme et de la spiruline, du sauvage et du domestique, des recettes et du hasard, des hommes et des machines, du gel et du soleil, du savoirfaire et de l’expérimentation, de la vanille et du safran… Alors il suffirait d’abriter les visages, les objets, les mots et les paysages sous la couverture d’un livre, pour révéler le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes sous un jour nouveau, et célébrer – en même temps que son terroir – le patrimoine immatériel que constituent l’énergie de ceux qui y vivent, et
ISBN 978-2-86266-598-6
29 €
www.loubatieres.fr
l’âme de ceux qui l’ont façonné.
Le Parc, ce sont 64 communes associées au Conseil Général et à la Région.