ARCHITECTURE ET URBANISME
TOULOUSE 45-75 la ville mise à jour
CAUE 31 LOUBATIÈRES
DIRECTION D’OUVRAGE JEAN-LOUP MARFAING, architecte, historien, CAUE 31 AUTEURS BERNARD CATLLAR, architecte NELLY DESSEAUX, historienne de l’Art CHRISTINE DESMOULINS, journaliste JEAN-HENRI FABRE, architecte, maître-assistant HCA, ancien élève de l’atelier Gilet-Valle-de Noyers et de l’Atelier C
JEAN-LOUP MARFAING JACQUES MUNVEZ, architecte RÉMI PAPILLAULT, architecte, enseignant à l’ENSA de Toulouse GÉRARD RINGON, sociologue, maître-assistant SHS
ISBN 978-2-86266-600-6 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2009 10 bis, boulevard de l’Europe – BP 27 31122 Portet-sur-Garonne Cedex www.loubatieres.fr
Cet ouvrage n’aurait vu le jour sans la contribution de nombreux témoins. Nous remercions tous ceux qui nous apporté leur concours, les architectes ayant exercé durant cette période, ainsi que leurs familles, les ingénieurs des bureaux d’étude et les maîtres d’ouvrage. Les Archives municipales de Toulouse, les Archives départementales de la Haute-Garonne rassemblent les principaux fonds de plans et notes (dossiers d’instruction administrative des autorisation de bâtir) qui sont à l’origine des recherches documentaires pour la réalisation de l’ouvrage. Nous remercions M. Jean Le Pottier, conservateur en chef des Archives de la Haute-Garonne et M. François Bordes, conservateur en chef des Archives municipales de Toulouse pour leur accueil, et plus particulièrement, Mme Catherine Bernard et M. Pierre Gastou dont la disponibilité et l’assistance ont été constantes durant les heures passées aux Archives municipales de Toulouse. L’architecture se révèle à l’épreuve du regard. Celui de Jean Dieuzaide sur l’évolution de Toulouse pendant plus de cinquante ans a été d’une acuité inégalable. Nous remercions tout particulièrement Mme Jacqueline Dieuzaide pour son accueil cordial, sa patience et sa « vision » du fonds photographique qui a souvent guidé notre choix.
ARCHITECTURE ET URBANISME
TOULOUSE 45-75 la ville mise à jour
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Premier ouvrage exclusivement consacré à l’histoire de l’urbanisme et de l’architecture de Toulouse entre 1945 et 1975, Toulouse 1945-1975, réalisé par le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement de la HauteGaronne, est l’ouvrage de référence sur la période des trente glorieuses qui met en relief l’intérêt exceptionnel de l’évolution de la ville au cours de vingt années d’une histoire urbaine encore récente présentant un attrait évident : celui d’un face à face avec des réalités sociales, économiques et culturelles encore vives. C’est la période de l’immédiate après guerre, des grandes ambitions collectives partagées, avec la refondation vigoureuse d’un socialisme municipal qui construira un cadre de vie moderne autour de grands équipements structurants. C’est la période du grand dessein de la métropole régionale, celui de l’urbanisme innovant du Mirail, de l’essor des pôles aéronautiques, scientifiques et technologiques… C’est aussi la période où la remise en cause du modèle consumériste et la crise économique vont altérer l’image d’une modernité progressiste. Toulouse 1945-1975 nous rappelle qu’aujourd’hui, la ville a plus que jamais besoin d’une architecture audacieuse et innovante, capable de faire évoluer l’ensemble de nos quartiers, pour contribuer avec tous les acteurs de la politique urbaine à construire des espaces et des lieux de vie cohérents avec des pratiques sociales différentes.
PRÉFACE
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Pierre IZARD Président du Conseil Général de la Haute-Garonne
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LE TEMPS DES TRENTE GLORIEUSES
Le microscope électronique du CNRS, quartier de Rangueil vers 1958, la conjugaison des temps. Séjour moderne, croquis de Fernand Majorel, 1954.
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L’architecture et l’urbanisme restent les seules traces concrètes d’une politique de la ville. La lecture d’une histoire urbaine encore récente, comme une forme d’archéologie anticipative est sans doute hasardeuse, mais elle nous invite à prendre la mesure de ce qui nous rapproche et de ce qui nous sépare de ce passé immédiat. À la Libération, la politique de la ville relève désormais d’un partage entre une gestion municipale et une forte intervention de l’État, instaurée par le régime de Vichy. Il faudra attendre la loi de décentralisation de Gaston Defferre, en 1982, pour remettre en cause cet excès de centralisme. La modélisation de l’architecture et de l’urbanisme conduite par une technocratie en plein essor, reproduisant les mêmes formes et les mêmes schémas de Dunkerque à Tamanrasset, annonçait l’avenir d’une ville générique, produit d’une culture hors sol de l’urbain. Effectivement, il est quasi-impossible devant la photo d’une barre de logements collectifs, ou celle d’un échangeur de rocade, de savoir si elles ont été prises à Marseille, Lille, Toulouse ou Dunkerque. Mais là n’est pas l’essentiel. L’ubiquité de ces paysages urbains essaimés sur tout le territoire national n’abolit pas leur prise au sol. La résistance qu’oppose la réalité locale à la rationalité technocratique, des faiseurs de ville « ces professionnels qui ne font pas de politique » c’est précisément la dimension politique de l’action municipale. Trente glorieuses et cages à lapins, contradiction de deux images qui prétendent résumer trois décennies. Doiton accepter l’inédit d’une fracture entre la démographie, l’économie, les mentalités, les valeurs d’une société et son architecture ? Dénouer l’énigme de ce paradoxe, c’est admettre que notre regard est un regard sous influence,
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largement orienté par un renversement idéologique radical, qui creuse l’écart entre les données objectives de la démographie ou de l’économie d’une époque, sans prise émotionnelle ni altérations temporelles, et son architecture, bien plus intensément soumise à l’érosion de nos affects culturels qu’à celle du temps. LE TEMPS DES TRENTE GLORIEUSES En deux mots, Jean Fourastié résumait l’intermède d’un miracle économique. L’ascension d’une vie française prenant peu à peu les couleurs radieuses d’un paradis consumériste. La nostalgie d’un acteur longtemps impliqué dans la planification, et désabusé par ses échecs après la crise pétrolière de 1973, ne doit pas masquer les réalités d’un temps équivoque où l’ivresse de l’accomplissement individuel se dénaturait dans l’univers dépersonnalisé de la statistique. Perspectives vivement contestées dès le milieu des années 1960, un modèle de société qui perd lentement ses riantes couleurs progressistes dans l’enfer gris des effets de masse, de la grande échelle, dont les sédiments urbains gardent aujourd’hui la mémoire concrète de béton. UNE VIE MODERNE
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Moment de rupture et de recréation, le temps de la Libération inaugure la large adhésion de la société française à une modernité qui transcendera durablement les clivages sociaux et politiques. L’exaltation de la Résistance et la négation de la collaboration stimulent une volonté collective d’aggiornamento qui s’oppose à toute forme d‘immobilité, d’esprit de retour et, entre autres, de réitération architecturale. Tout compromis intellectuel, esthétique, avec le passé insultait l’avenir en 1945. La mise à jour de la ville ne pouvait se fonder que sur l’avènement collectif d’un être moderne, puisant à toutes les sources pionnières d’avantguerre. Seule cette modernité consensuelle, trop large pour ne pas être confuse, protéiforme, et peut-être finalement ambiguë, allait permettre à ceux qui tenaient le jeu en main de rebattre les cartes pour engager la partie à venir.
Foire de Toulouse, la vitrine annuelle d’un avenir radieux mis en scène par le maquettiste, décorateur Fernand Majorel. Stand régie des Tabacs, 1955 / Houillères d’Aquitaine, 1954.
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Longtemps, les Français ont donc été obstinément modernes, jusque dans les détails de leur existence, Formica dans les cuisines, skaï dans les séjours, rayonne et Tergal sur la peau, plats en Pyrex, verre Duralex, jouets en plastique pour les enfants. Ils seront partants pour toutes les courses au progrès, quels que soient la distance à parcourir et les horizons fuyants des lignes d’arrivée, pick-up Teppaz et premier téléviseur Radiola, première gazinière, premier lave-linge Hoover, premier frigo Kelvinator, premier aspirateur Tornado, premier robot Moulinex, inventaire sans fin des Arts ménagers, première auto… première maison moderne ! Locataire d’un appartement dans un immeuble collectif ou propriétaire d’un pavillon, ils partagent le même modèle d’habitat. L’actualisation permanente des théories, des modèles, des formes de l’urbanisme et de l’architecture s’opérera sans faille dans un nouveau paysage de la ville irrigué par le flux automobile. La prévalence d’un esprit collectif sur les aspirations individuelles, partagée entre les pôles opposés du patriotisme gaullien et du communisme, masquera un temps l’écho profond du modèle de la puissance dominante, l’American way of life. Mais, vers le milieu des années 1960, individualisme et consumérisme finiront par émerger, réduisant les incan-
LE TEMPS DES TRENTE GLORIEUSES Foire de Toulouse, stands de Fernand Majorel, SIBIR 1952 et SIMCA 1954. Arts ménagers puis l’automobile, les deux grandes perspectives ouvertes à l’horizon du progrès social des familles françaises. La station d’essence, icône de la modernité et source de redistribution fiscale. Station Caltex, 1961, architecte AAA.
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tations sociales du projet politique à la trivialité de ses mobiles économiques. La crise du modèle, d’abord idéologique et culturelle – sublimée dans l’épisode de Mai 1968 – puis économique avec le choc pétrolier, devait inéluctablement englober le champ de l’urbanisme et de l’architecture. Dès 1962, la loi Malraux, inaugurant la politique de sauvegarde des centres anciens, traduit une nette inflexion de l’idéal urbain. Les contradictions s’exacerbent alors entre le fondement collectif et statistique du modèle socio-économique de la planification et les motivations individualistes du consumérisme. L’essor de la maison individuelle, le rejet des grands ensembles, stigmatisés par le slogan de Mai 1968 « le capitalisme ne loge pas les travailleurs, il les stocke », marquent les premières étapes d’un retour à la fiction de la ville ancienne. Ce revirement, une fois encore largement consensuel, sera conforté par la crise pétrolière de 1973 qui fragilise l’économie française. L’avenir désormais échappait à une planification dont les orientations deviendront de plus en plus aléatoires, sinon oraculaires. Réduite à ses incertitudes, la modernité cédera peu à peu tout le terrain de l’urbanisme et de l’architecture sous la pression des certitudes du passé. L’invention du Patrimoine signera la mise à mort de l’architecture moderne. Solennellement intronisé par le président Giscard d’Estaing, le Patrimoine sera un puissant psychotrope idéologique, jouant sur tous les registres affectifs. Qui résisterait au tropisme du Patrimoine ? L’évocation des artifices, des équivoques et des dérives du conservatisme patrimonial dont la perversité va jusqu’à la réification monumentale d’objets épars d’architecture moderne, la médiocre alternative Post Moderne qui y puisa ses fondements, sont ici hors de propos. Pourtant, il fallait évoquer ce renversement de perspective qui a non seulement orienté la réflexion urbaine, l’inflexion des modèles architecturaux, mais surtout stimulé, dès les années 1970, l’adhésion massive de la société française aux artifices néorégionalistes de la maison individuelle. Car, mise à part l’attention légitime à un patrimoine authentique, ce retour au Passé antérieur à la Modernité des années 1950 et 1960, son immanence, son inflation, ses valeurs superlatives nous ont insensible-
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La vie moderne de cuisinière, mise en scène par Fernand Majorel en 1954. L’irruption de l’architecture moderne, la confrontation avec la ville ancienne. Immeuble réalisé par le promoteur Déromédi, allées Charles de Fitte, architecte Robert Valle, 1958.
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ment conduit de l’invention à l’inaltérabilité du Patrimoine. Tout objet architectural nouveau est soumis à la fatalité du vieillissement mais l’obsolescence est sans prise sur le Patrimoine. Le télescopage temporel d’une modernité moins moderne que le passé provoque un tel trouble confusionnel qu’il faut pour revoir la ville des Trente Glorieuses laisser de coté nos préjugés, faire, une fois encore, du passé table rase, pas du passé d’avant, mais de ce passé d’après, post moderne, celui qui voile le regard, embrume l’esprit. LOGER LE GRAND NOMBRE
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Un produit intérieur brut multiplié par trois en trente ans, une élévation sans précédent du niveau de vie des Français, c’est le bilan spectaculaire de trente ans de croissance économique. Un parc résidentiel qui augmente de 65 % (13 millions de logements en 1946, 21 millions de logements en 1975), c’est l’héritage urbain et architectural de cette époque. Sous ses diverses formes, barres, tours des grands ensembles, semis pavillonnaires, supermarchés, centres commerciaux, écoles, collèges, lycées, campus universitaires, MJC, stades, piscines, hôpitaux… La politique du logement est au cœur du projet planifié d’une ville moderne, qui se juxtapose et se superpose à la ville ancienne. Au terme d’une longue période de reconstitution de l’appareil de production industrielle, la pénurie de logements fortement dénoncée par l’abbé Pierre lors de « l’insurrection de la bonté » durant l’hiver 19531954 devient un enjeu économique et social prioritaire pour l’État. Sur les huit millions de logements neufs bâtis entre 1953 et 1975, 80 % le sont avec une aide publique plus ou moins importante. L’État va prendre une part de plus en plus directe dans la production du logement et imposer sa vision aux collectivités locales et aux organismes de HLM. Après les premières années d’expérimentations, le Plan Courant (Pierre Courant, ministre de la Construction), fixant un objectif de construction annuelle de 240 000 logements en 1953, marque le début d’une longue et intense période de construction dont les grandes orientations resteront sensiblement identiques jusqu’à la fin des années 1960.
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ISBN 978-2-86266-600-6
40 €
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