La Rochelle et l'Aunis, regards sur un patrimoine

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LA ROCHELLE ET L’AUNIS Regards sur un patrimoine

Thomas Brosset Charles Daney

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Le marché central de La Rochelle. En arrière-plan, une maison à colombages du XVe siècle.


le commerce des produits de la mer demeure une des activités majeures du marché. Les matinées s’animent autour de ce rendez-vous obligé sur les étals qui regorgent de daurades, de mulets, de bars de ligne, de bouquets, de langoustines ou d’huîtres affinées en claires. On joue des coudes dans ce lieu de vie unique qui semble n’avoir rien sacrifié de ses habitudes depuis un siècle. Sur les traces de Simenon En remontant, panier à bout de bras, les arcades de la belle rue du Minage avec sa fontaine du Pilori et son jeu d’ombres et de lumières, on plonge dans l’atmosphère mystérieuse des Fantômes du Chapelier de Georges Simenon. L’écrivain belge, qui résida plusieurs années avant-guerre à Marsilly et Nieul-sur-Mer, trouva l’inspiration à La Rochelle, dans ses grandes familles bourgeoises et protestantes, ses pêcheurs, ses petites gens, et dans le contraste social qui caractérisait la ville dans les années 1930. Souvent, il s’installait au Café de la Paix, place de Verdun, pour écouter, écrire ; une brasserie qui existe depuis la fin du XVIIIe siècle, aujourd’hui classée monument historique. Georges Simenon y venait à cheval et accrochait sa monture à un anneau qui est longtemps resté scellé à la façade de l’établissement. Certains de ses romans (Le Testament Donnadieu, Le Voyageur de la Toussaint) nous guident dans l’ancien quartier des armateurs rochelais : les rues Admyrault, de l’Escale, SaintLéonard, Réaumur. De grands hôtels particuliers rappellent l’époque où La Rochelle s’est enrichie avec le commerce triangulaire. La plupart de ces demeures austères datent du XVIIIe siècle quand les bateaux rochelais partaient vers les côtes africaines prendre livraison de leur cargaison d’hommes et de femmes arrachés à leur terre et à leur famille pour être amenés en esclavage dans les Caraïbes. Les bateaux revenaient chargés d’épices ou de sucre. Dans ce quartier, quelques demeures parlent. Elles racontent d’étranges histoires.

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Le marché aux poissons, aujourd’hui scène nationale La Coursive. Son architecture est remarquable, alliant un style contemporain et un caractère ancien hérité du couvent initial, orné d’une magnifique coquille saint-jacques à l’entrée. En 1791, le bâtiment sera aménagé en manufacture des tabacs. En 1803, une partie sera louée à la chambre du commerce, qui y abritera l’entrepôt réel des douanes. Il cohabitera avec le marché aux poissons dont la halle est ouverte le 2 août 1847. En 1950, les travaux d’aménagement transforment l’ancien marché en salle des sports.

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Un Anglais de la Barbade vend sa maîtresse. Illustration extraite de Guillaume-Thomas Raynal, Histoire des deux Indes, 1770. Cet ouvrage constitue une source importante pour l'histoire du colonialisme et du grand négoce international.

Page de droite. Le port de La Rochelle vu de la Petite Rive, 1767.

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Comme la maison dite du docteur Venette, rue Pernelle. Ornée de sculptures représentant des médecins célèbres depuis l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge. Elle est censée avoir appartenu à Nicolas Venette, médecin du XVIIe siècle qui fit scandale en écrivant un « tableau de l’amour conjugal » qui se vendit sous le manteau pendant plusieurs siècles et est encore considéré comme le tout premier ouvrage de sexologie. Mais la maison en question n’a jamais appartenu au docteur Venette. Qu’importe. À quelques dizaines de mètres de là, la grande façade de l’hôpital Aufrédy raconte elle aussi une fort belle histoire rochelaise. Une histoire qui remonte au XIIe siècle. Pernelle et Alexandre Aufrédy, couple fortuné d’armateurs, envoient leurs bateaux découvrir les richesses des côtes africaines. Tous leurs bateaux. Mais les années passent et les navires ne reviennent pas. Pernelle et Alexandre ont mis tout leur argent dans l’opération. Petit à petit, ils vendent tous leurs biens et se retrouvent à la rue, mendiant au milieu des miséreux dont ils partagent les détresses. Et puis un beau jour de 1203, alors que les navires avaient quitté le port de La Rochelle depuis plus de sept ans, des voiles sont annoncées à l’horizon. Les bateaux Aufrédy sont de retour, les cales chargées de richesses. Pernelle et Alexandre retrouvent leur fortune. Mais au lieu d’en profiter, ils font construire un hôpital pour les pauvres de la ville, les mendiants, les nécessiteux devenus leurs amis. Tout n’est pas écrit dans la pierre rochelaise, mais une foule d’histoires, de belles histoires romantiques ou rocambolesques à souhait, se racontent à partir d’un lieu, d’un site. Si l’on quitte le quartier des armateurs par l’ouest, par la porte des Deux-Moulins, on emprunte la belle allée du Mail qui longe la mer et la plage de la Concurrence et nous transporte au XIXe siècle quand les bains de mer, les capelines et les chapeaux haut de forme formaient l’unique paysage de ce qui n’était alors qu’une sortie de ville. À l’emplacement du casino actuel se trouvaient les bains Marie-Thérèse, d’après le nom de Marie-Thérèse Charlotte de France, duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette qui venait souvent se ressourcer aux eaux thermales de La Rochelle. Mais était-elle

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Page de gauche. Quais de La Rochelle, 1908.

Voiliers Ă quai, La Rochelle, 21 septembre 1903.



vraiment celle qu’on croyait ? Ou plutôt celle qui lui aurait été substituée après l’exécution de ses parents pour la protéger des révolutionnaires. La légende de la comtesse des ténèbres, véritable fille de Louis XVI, vivant cachée des regards quelque part en Allemagne dans l’attente d’un retour de la royauté cependant qu’une autre se faisait passer pour elle dans la vie publique, fait partie de ces histoires liées à un quartier rochelais. La légende de la Repentie Si l’on pousse encore plus à l’ouest, il faut s’arrêter au petit cimetière de Saint-Maurice pour découvrir une bien mystérieuse tombe. Sur la stèle est inscrit « Norma Tessum Onda, 1854-1875 ». La tombe ressemble à celle d’Alfred de Musset au Père-Lachaise à Paris et l’inscription n’est autre que l’anagramme, à une lettre près, de Roman, Musset, Sand. Morte de la tuberculose à 21 ans, la jeune femme enterrée là s’appelait en fait Joséphine-Marie Ménard. Mais il fut longtemps acquis qu’il s’agissait en fait du fruit des amours entre Alfred de Musset et de George Sand. Et ce d’autant qu’à son domicile rochelais de la rue du Bois-de-l’Épine furent retrouvés plusieurs livres d’Alfred de Musset dédicacés « À ma fille chérie ». L’histoire était trop belle pour être vraie. Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle qu’un historien méticuleux révéla le subterfuge. La tutrice de Joséphine-Marie, une certaine Françoise Coras, vraisemblablement mythomane, mais qui avait beaucoup fréquenté les milieux littéraires parisiens, avait tout inventé, la tombe, l’anagramme, les dédicaces. Un joli mensonge dont la trace reste inscrite sur la pierre tombale. Nous voilà à l’extrême ouest de La Rochelle. Au pied du pont en arc de cercle qui relie désormais la ville et la falaise de la Repentie à l’île de Ré.

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Sur le port, les tours, les grues du môle d'escale du port autonome de La Pallice. Page de gauche. Le pont courbe de l'île de Ré. Culminant à 42 mètres au-dessus de la mer, et long de 2 926,5 mètres, il est le deuxième plus long pont de France après celui de Saint-Nazaire.

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Les chantiers et la tour de la Lanterne, La Rochelle, 23 septembre 1907.

Page de droite. Sur le port, les tours, La Rochelle, septembre 1907.

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Presque la seule falaise de cette ville à fleur d’eau. Elle doit son nom à une très lointaine légende. Celle de Myria Grim-Hard, belle jeune femme rousse arrivée à pied depuis la Germanie à la fin du XIIe siècle. Épouse d’un chef teuton tué dans une guerre tribale, elle dut quitter sa terre natale accompagnée de tous les survivants de son village. Repoussés toujours plus à l’ouest par les populations locales qui ne voulaient pas entendre parler de ces migrants, ils finirent leur long voyage sur ces terres alors vierges qui allaient devenir Laleu, quartier ouest de La Rochelle. Femme de caractère, Myria Grim-Hard devint chef de ce village naissant. Ils cultivaient la terre et à l’occasion se faisaient naufrageurs, allumant des torches au haut de la falaise. C’est ainsi qu’un beau matin, Myria et sa troupe découvrirent une cogue éventrée sur les rochers au bas de la falaise. Parmi les victimes se trouvait le propre fils de Myria. Elle en conçut une telle douleur et un tel remords qu’elle se jeta du haut de la falaise qui depuis porte le nom de la Repentie. Laleu resta longtemps une commune à part entière. Jusqu’à ce que, les vignes disparaissant, l’urbanisme qui a horreur du vide récupère les espaces. Laleu fut absorbée par La Rochelle en 1880 cependant qu’on construisait, tout à côté, le port de commerce de La Pallice inauguré en 1890. C’est aujourd’hui le quartier industriel de La Rochelle. Grumiers arrivant d’Afrique, céréaliers et pétroliers géants y accostent quotidiennement tout au bout du môle d’escale qui pointe son doigt crochu vers l’île de Ré dans une atmosphère de roman noir. C’est ici que Bernard Giraudeau, l’acteur réalisateur et écrivain rochelais aujourd’hui disparu, prit le goût des voyages. Il embarqua sur la Jeanne d’Arc alors qu’il n’avait que 17 ans. C’est ici qu’Hergé fit partir Tournesol à bord

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Vue panoramique du vieux port de La Rochelle.




Ci-dessus. Les quais et les tours en 1908.

du Pachacamac pour l’Amérique du Sud dans les Sept boules de Cristal. Les grands ports ont toujours excité l’imagination des conteurs, des faiseurs d’histoires. L’errance rochelaise nous a poussés toujours plus à l’ouest comme s’il y avait nécessité à se rapprocher de l’océan pour mieux s’imprégner de l’esprit de cette ville de mer. Mais La Rochelle a cette particularité de s’enrouler sur son vieux port comme une coquille d’escargot. Sa côte n’est pas linéaire et la mer est partout. À l’ouest, au sud, parfois même à l’est tant le port fait de chicanes. Depuis ces incontournables tours qui arriment la cité, on peut également s’égarer vers le sud en longeant le chenal qui irrigue le port. Une passerelle, un pont levant, encore des bassins, des bateaux et bientôt une forêt de mâts. Nous voilà aux Minimes, l’un des plus grands ports de plaisance d’Europe. Le contraste avec La Pallice est saisissant. Ici ni bleus de travail, ni dockers musclés,

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Ci-dessus, à gauche. L’Oursin et l’Otarie, deux sous-marins de classe Naïade dans le port de La Pallice, La Rochelle, septembre 1909.

Page de gauche. Bateaux endormis dans le vieux port de La Rochelle.

Double-page suivante. Voiles de bateaux séchant, La Rochelle, 1908.

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Auteurs

Thomas Brosset est journaliste à La Rochelle. Passionné par les sujets de l’environnement et du patrimoine, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur La Rochelle et ses environs. Charles Daney, géographe et écrivain, est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Aquitaine et le littoral atlantique.

Crédit photographique

Alain Michot : 59d ; Aquarium de La Rochelle : 114, 115, 116, 117 ; Association Hermione-La Fayette : 122 ; Benoit Vinceneux : 127 ; Bibliothèque de Toulouse : 29 (TRU C 2251, TRU C 2255), 46 (TRU C 1561), 55d (TRU C 2240), 56 (TRU C 1549), 57h (TRU C 1552), 57b (TRU C 1555), 59g (TRU C 1546), 60g (TRU C 1550), 60d (TRU C 1545), 61 (TRU C 1542), 70 (TRU C 2238), 71 (TRU C 1540), 73 (TRU C 2261), 74 (TRU C 2259), 79g (TRU C 2281), 79d (TRU C 2241), 80 (TRU C 2644), 81 (TRU C 2253), 82 (TRU C 2269), 84h (TRU C 2260), 84bg (TRU C 1537), 84bd (TRU C 2258), 85 (TRU C 2249), 86 (TRU C 1557), 87 (TRU C 1539), 88 (TRU C 2243), 89 (TRU C 1551), 104 (TRU C 2248), 105 (TRU C 2247), 106-107 (TRU C 2272), 108 (TRU C 1548), 109 (TRU C 2239) ; Cyril Monnereau : 32, 33, 34-35, 100-101, 103 ; Collection particulière : 14-15, 22-23, 65, 67, 68, 94, 97h, 99, 102 ; Flore Brard : 45 ; Fotolia : 24, 26-27, 40, 44, 47, 48-49, 50, 72, 7677, 110-111, 113 ; Francis Giraudon : 6, 20-21, 78 ; Guy Boyer : 12 ; Hervé Devred : 1re de couverture ; Jacky & Francine Hairault : 95 ; Jacques Quanten : 120 ; Jean-Bernard Maugiron : 39d, 124-125 ; Juan Carlos Iborra : 62-63 ; Library of Congress : 58 ; Martine Anis-Aubin : 98 ; Médiathèque Michel-Crépeau – La Rochelle : 9 (1 Pl 3), 10-11 (1 Pl 644), 18-19 (1 Pl 860), 30 (2 Pl 174), 41 (2 Pl 12), 42 (3 Pl 488), 43 (1 Pl 815), 54 (3 Pl 63), 55g (3 Pl 202), 69 (0 Fi 22), 96-97 (2 Pl 416) ; Mercedes Vallve : 120-121 ; Michel Crapoulet : 13, 93 ; Michel Chanaud : 17 ; Myrabella (Wikimedia) : 118 ; Nataliya Remez : 9091 ; Philippe Mayer : 66 ; Raymond Monier : 64 ; René Denis : 75 ; Salvador Busquets : 36-37, 51 ; The Hebrew University of Jerusalem & The Jewish National & University Library : 53 ; Thierry Brégeon : 25, 28, 83, 92, 123 ; Thierry Fourrier : 8 ; Wayne Hopkins : 28, 39g, 52.


TABLE DES MATIÈRES Terre et mer, la diversité de l’Aunis

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La Rochelle : petites histoires d’une grande histoire Les hommes et leurs travaux

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LA ROCHELLE ET L’AUNIS Regards sur un patrimoine

Croisement de canaux à Aigrefeuille-d'Aunis.

Le port de La Rochelle, septembre 1907.

TERRE et mer, LA DIVERSITÉ DE L’AUNIS par Charles Daney

La Rochelle, petites histoires d’une grande histoire par Thomas Brosset

Les hommes et leurs travaux par Charles Daney

Thomas Brosset est journaliste à La Rochelle. Passionné par les sujets de l’environnement et du patrimoine, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur La Rochelle et ses environs.

ISBN 978-2-86266-643-3

29 €

9 782862 666433

www.loubatieres.fr

Charles Daney est géographe et écrivain. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’Aquitaine et le littoral atlantique.


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