José Cabrero Arnal

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PHILIPPE GUILLEN

JOSÉ CABRERO ARNAL LOUBATIÈRES

De la République espagnole aux pages de la vie du créateur de


Table des matières

Avant-propos

« bristol » d’Arnal avec adresse de son domicile en France, à Saint-Maur. Coll. Pilar Bailina.

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La biographie d’un crayon rouge Castilsabas, pauvre terre natale Des traits et des couleurs, un rêve d’enfant La « belle République » d’un jeune grand de la BD espagnole La guerre, le sang, les larmes… mais la BD ? Un long fleuve de misères… La Retirada !

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De l’exil « L’indésirable » Arnal dans les camps français En passant par la Lorraine… Le déporté 6299 Que faire de ces déportés « apatrides » ? Le « retour »

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L’homme et l’artiste Un caractère « Mon oncle » (el tio Pepe !) José, le républicain Le Syndicat des dessinateurs professionnels De Plim à C. Arnal, le créateur Espoirs

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Chronologie Lexique Remerciements

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« Toutes les choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. » André Gide « Pour tourner la page, il faut d’abord l’avoir lue (Para pasar pagina, primero hay que leerla). » Titre du manifeste d’Amnesty International adressé en 2009 à José Luis Rodriguez Zapatero, président du Gouvernement espagnol.


PHILIPPE GUILLEN

JOSÉ CABRERO ARNAL

LOUBATIÈRES



L’HOMME ET L’ARTISTE

De Plim à C. Arnal, le créateur Très tôt, à Barcelone, l’enfant est le lecteur assidu de toute revue de Tébeo (BD) qui traîne. Et comme il le raconte plus tard à ses amis, il « attendai(t) le prochain numéro avec impatience à la porte de la librairie avant même qu’elle ouvre ». Bien vite, le petit lecteur passionné se met à manier le crayon puis la plume, et le voici qui se transforme en autodidacte du dessin. Il se forme donc très tôt en observant tout ce qui l’entoure et en s’exerçant sans cesse. Ainsi, en imaginant, en animant, en faisant vivre ses petits personnages, « trompe-t-il son ennui ». Et comme il doit s’ennuyer cet enfant qui dessine en tous lieux et tout le temps ! « Je me suis mis à dessiner partout, sur mes livres et mes cahiers d’école, avec des bouts de charbon sur les murs blancs ou avec de la craie sur les trottoirs. Toute surface lisse était bonne pour le dessin » écrit-il dans Une vie de Pif,

Page de gauche. rare exemple de l’œuvre de jeunesse de Plim, puisqu’il s’agit d’un texte illustré. Le narrateur conte les aventures d’un britannique, un certain Léopold Carabin, chasseur et explorateur (encore une fois) récemment rentré à Londres après un voyage autour du Monde. Les méthodes de chasse très particulières de ce personnage y sont expliquées et le lecteur apprend comment capturer un lion, ou comment s’emparer d’un squale féroce… en lui tendant une assiette de pâtisseries. Tout serait bon dans le requin, nous dit-on : sa viande est semblable à celle du sanglier et sa graisse est toute aussi bonne qu’un beurre au lait de vache. Coll. Daniel Cabrero.

Détail : Pif n’est pas que pêcheur… il chasse aussi ! Album Mes mémoires, 1957. coll. philippe guillen.

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Petite tête sur bout de papier « récupéré » (origine : service de la mairie de Barcelone). Coll. Daniel Cabrero.

Barcelone, années 1930. Crayonné d’un projet d’une « série horripilante » intitulée « Les ravisseurs d’enfants » avec, en 2e case, un avis de recherche présentant le visage d’un des malfaiteurs, Pelonegro (Poilnoir). Qui le capture touchera une récompense faramineuse, 35 000 os de poules. ColL. DANIEL Cabrero.

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et les rares amis à qui il a parlé de son enfance ajoutent encore, comme Pilar Bailina « … et chez lui [aussi], et avec les papiers d’emballage des courses… ». Au début, le jeune dessinateur se choisit un pseudonyme, Plim, et, lorsqu’il s’amuse à parodier quelques scènes de la vie familiale, et même son père Emeterio, c’est sur un bout de nappe qu’il le fait. Plus tard, devenu jeune homme et s’intéressant à d’autres sujets, José ne se défait pas de cette habitude : on le voit


même promener sa plume sur du papier à en-tête de la Generalitat – « dont on ne sait où il le récupérait », dit son neveu Daniel. S’il aime par-dessus tout la BD, c’est-à-dire raconter des histoires en utilisant plusieurs cases ou vignettes, et que celle-ci devient très vite son activité essentielle, il apprécie aussi l’art difficile de la caricature et prend énormément

de plaisir à forcer les traits caractéristiques de voisins, de personnes rencontrées ou de personnages connus, jusqu’à ce qu’ils en deviennent comiques ou ridicules. Après la guerre pourtant, et jusqu’à aujourd’hui sans doute, son public français ignore totalement son immense talent de caricaturiste ; il est vrai que lui-même a choisi de ne plus le pratiquer que pour ses amis, comme pour tirer un trait sur son passé.

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Au crayon et signé de Jésus Cabrero (le frère aîné) la maison natale à Castilsabas, province de Huesca, Aragon. Depuis, elle a été rasée. Coll. Daniel Cabrero.

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En France, José Cabrero Arnal est seulement connu pour ses récits en images, ses histoires pour enfants. Très nombreux d’ailleurs sont ceux qui, dans ce cadre-là, ignorant l’autre aspect de son activité professionnelle antérieure, ont

absolument essayé d’en faire le disciple de tel ou tel auteur comique et « animalier » de BD. On sent bien que certains dessinateurs qui ont précédé José et certains de leurs personnages qui l’ont davantage marqué que d’autres, ont sans doute inspiré le jeune homme qui l’admettait d’ailleurs volontiers. Oui, il a bien reçu des influences lui aussi, mais il explique qu’il a rapidement tenté de s’en détacher. Le lecteur attentif peut noter combien, dès les débuts de sa carrière espagnole, il s’efforce de ne pas faire du Walt Disney bis comme tant d’autres l’ont fait, mais cherche plutôt à développer son propre style, dans le trait, dans le scénario, dans le sujet. À Louis Cance qui l’interroge des années après sur ses « modèles », il explique clairement quel était alors son souhait de jeune dessinateur professionnel : allier « un style américain [et] l’humour latin ». Et dans le même entretien, s’il avoue s’être d’abord exercé à l’imitation, on sent que son désir

L’HOMME ET L’ARTISTE

José et Denise à Monaco, années 1950. Coll. Daniel Cabrero.

Page de gauche. Barcelone, Œuvre de jeunesse. Un essai signé PLIM (pseudonyme d’un jeune artiste non publié encore) : 2 cases à l’encre sur une page (pÁgina) qui en compte 6, les 4 restantes étant crayonnées. La première vignette est accompagnée d’un court dialogue au crayon et en espagnol : « le gardien : – Écoute ! Un ami désire te voir. Le détenu : – Dis-lui que je ne suis pas là ! » ColL. DANIEL Cabrero.

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fut toujours de se différencier de ses grands prédécesseurs : « Tout dessinateur, à ses débuts, est influencé par un autre et ce n’est que peu à peu que sa propre personnalité prend le dessus. Pour ma part, encore enfant, j’ai été émerveillé par les bandes de Felix le chat de Pat Sullivan et son influence marquait fortement mes premiers dessins… » (p. 17

Barcelone. À l’encre et au crayon, un essai de BD publicitaire jamais achevé pour cause de Guerre (témoignage de Daniel Cabrero). Il y est question de vanter la solidité des chaussettes d’une grande marque textile catalane, qui traversent les siècles comme peuvent le faire aussi les bandelettes d’une momie. Soucieux de réalisme, à en croire la précision des coiffes, Arnal a dû consulter quelque documentation sur l’antiquité égyptienne.

du fanzine Hop, n° 2 spécial bébêtes, 1974). José ne mentionne que cette référence et omet de citer quelques autres de ces grands maîtres de la BD de l’époque qui l’ont fortement marqué. Car on lui sait d’autres personnages bien aimés, et tous ses proches se souviennent avec quelle gourmandise il reproduisait, par exemple, les courbes de cette jolie héroïne de papier nommée Betty Boop. À en croire ses quelques intimes, cette passion précoce pour le corps féminin, son dessin et son modelé, lui est restée. Il suffit pour s’en convaincre d’observer la justesse et la finesse de son trait lorsque le jeune fêtard de Barcelone croque une danseuse créole du Barrio Chino, ou bien lorsqu’il représente en 1940, et alors qu’il est dans l’hiver lorrain, son amie et marraine Joséphine Baker.

Coll. Daniel Cabrero.

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Un dessin de jeunesse, Espagne, années 1930. Esquissé au crayon et à peine visible, le bestiaire d’Arnal. Une autruche, une girafe, un lion et, au centre, un explorateur blanc qui, imperturbable, joue avec un yoyo. Coll. Daniel Cabrero.

Parallèlement à ses activités professionnelles visibles ou officielles, on sait maintenant qu’il s’est toujours beaucoup amusé à réaliser de-ci de-là et clandestinement – car Denise veillait ! – quelques dessins coquins pour ses amis. Rappelons-nous aussi Mauthausen et n’oublions pas que c’est à ce genre de production qu’il doit sans doute, et pour une bonne part, sa survie ¹¹9 et qui peut dire si, sans ce talent-là, Pif, Placid et Muzo et même Roudoudou auraient vécu ? Les enfants, ses premiers lecteurs, y auraient beaucoup perdu. 119. C. Arnal n’est pas le seul artiste espagnol contraint par les SS des camps à faire des dessins pornographiques. Artistas y cientificos espanoles en Mauthausen, Edicion de la Amical, Barcelona, 2007, p. 13. Rosa Toran cite par exemple le cas du jeune Ramon Mila Ferrerons, Barcelonais né en 1921, matricule 3975.

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Peut-être faut-il imaginer que ce côté « secret » de notre dessinateur préféré est l’un des héritages de son enfance ? Peut-être est-ce là un tout petit moyen et très personnel de transgresser une des règles et traditions morales qu’on a voulu lui inculquer en cette vieille Espagne cléricale et monarchiste dans laquelle il a grandi. L’ex-enfant de chœur croquant « l’indécente » Betty Boop, précède donc le jeune

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homme apprenti mécanicien qui n’hésite pas cette fois à braver ouvertement le père qui voudrait bien que son fils exerce un « vrai métier ». Cette passion du dessin poussée finalement jusqu’au bout, son obstination au point d’oser affronter enfin l’hostilité du milieu familial, d’aller jusqu’au conflit, alors que certains ont dit ensuite de lui qu’il préférait l’évitement, a sans doute contribué à forger son caractère. Un caractère qui a peut-être contribué à le sauver plus tard, à un moment clé de sa vie, dans l’enfer des camps.

Esquisse préparatoire de Top et Topilita, sa fiancée, qui prennent la pose. Années 1930. Étude de postures au crayon. L’artiste qui nous donne sa méthode et qui dessine nos deux sympathiques toutous n’ignore plus rien de ce que signifient volumes et cucurbitacées.

Le jeune garçon débutant avait bien raison d’être confiant en ses capacités : les enfants de Barcelone ou de Valence

Coll. Daniel Cabrero.

Page de gauche. Portrait de jeune femme. Œuvre de jeunesse. Coll. Daniel Cabrero.

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Tonton césar, tante agathe et Doudou enthousiastes et qui semblent voleter au-dessus du sol et de leur ombre… sauf Madame, peut-être, dont le pied touche terre. Illustration en page 26 du « Pif à la chasse aux lions », Hors-série des « Aventures de Pif le chien ». Septembre 1955.

adoptèrent rapidement ses personnages et suivirent avec grand plaisir leurs aventures. Ce fut aussi le cas des spécialistes, des gens du milieu qui bien vite le repèrent, et pas seulement ses compatriotes espagnols. Très tôt et à l’étranger, ses dessins ont du succès : ainsi connaît-on C. Arnal dans le Portugal voisin. Là-bas en effet, les planches de Pocholo sont très régulièrement traduites et reproduites en une de la revue O Mosquito, et cela dès les premiers mois de sa naissance en janvier 1936. C’est ainsi que le jeune Lisboète, comme l’enfant barcelonais, peut lire dès la première page du n° 5 de son illustré hebdomadaire du 11 février 1936, Tesouro escondido, c’est-à-dire l’aventure de Pocholo n° 155 intitulée « El tesoro escondido » ou bien encore, en une de son n° 8, découvrira-t-il « O Reis dos animals » et en une du n° 12, « Cao Top » qui n’est autre que la version portugaise de « Topilita tiene un capricho » ¹²0. Et comme un bonheur ne suffit pas, à Lisbonne et pour 5 escudos, il peut aussi

Coll. Philippe Guillen

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120. Une de O Mosquito n° 5 : Une de Pocholo n° 155 ; Une de O Mosquito n° 8 du 3 mars 1936 : celle de Pocholo n° 144 « Rey de los animales » ; celle de O.M. n° 12 du 31 mars 1936 : celle de Pocholo n° 177… idem pour les n° 9, 10, 13, 14 (Una maquina colossal), 15, 16, 17 (Top trovador)… de O Mosquito. Seules les couleurs changent, la palette de l’imprimeur portugais étant plus réduite.


Couverture de « Vaillant » n° 620, mars 1957. Préoccupation de l’après-guerre : se nourrir, et se bien nourrir ! Les longues années de rationnement ne sont pas loin, qu’elles soient dues à l’occupation ou, plus tard, à la période de restriction dite de « RamadierRamadan » (du nom du Ministre). Arnal aime le jambon… ses personnages aussi. Muzo a une façon très particulière de fumer la charcuterie devant un Placid qui s’impatiente, prêt à en découdre. Mais, armé de la plus longue des fourchettes, Pif est là : qui aura la meilleure part ? Coll. Philippe Guillen.


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se procurer l’album – un album ! – Guerra no paiz dos insectos (Guerre au pays des insectes), traduit dans sa langue et bien sûr édité par O Mosquito. En ces années 1930, C. Arnal est déjà artiste international !

couverture avec calendrier du journal « Vaillant », n° 580 du 24 juin 1956, numéro spécial vacances, 32 pages, détail. Comme souvent dans les vignettes panoramiques d’Arnal, le lecteur peut repérer plusieurs petites saynètes juxtaposées ou gags : Pif s’essayant à la pêche en flaque, Placid dubitatif avec une bien petite hache pour un bien gros tronc (le lecteur en déduira comme une ellipse : Muzo n’est pas prêt de débuter la cuisson), les deux neveux faisant une nouvelle bétise, et deux personnages secondaires mais récurrents : le professeur qui chasse la soucoupe et le gendarme rabat-joie (Ah, comme il serait doux d’interdire d’interdire !… pense Arnal, 12 ans avant mai 68).

José, artiste reconnu et respecté, qui adore toujours lire de la BD, comme l’enfant qu’il fut, éprouve aussi de l’admiration pour le travail de ses confrères. Cela lui est resté, même après avoir déposé crayons et pinceaux. Il le reconnaît encore en 1974, à un âge déjà bien avancé et à une période où cette passion tout autant que les gens qui y cèdent sont encore un tantinet méprisés. Lui-même raille d’ailleurs un peu l’attachement qu’il éprouve pour ce plaisir mais n’en répond pas moins clairement à qui l’interroge sur le sujet : « Bien sûr, je lis des BD ! Surtout les bandes comiques, qui, je l’avoue sans honte, me procurent la même joie que j’éprouvais étant enfant… » (Hop n° 2, p. 17).

Coll. Philippe Guillen.

Détail tiré des Aventures de Riquiqui (auteur : R. Moreu) et Roudoudou, le petit cabri (auteur : J. C. Arnal), « Pipolin », n° 49, octobre 1961. Coll. Philippe Guillen.

Page de droite. Réunis dans un même dessin, Pif, Placid, Muzo… et les fameuses oranges de Noël. Couverture de « Vaillant », n°551, 4 décembre 1955. Coll. Philippe Guillen.

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Riquiqui et Roudoudou, en p. 16 de « Pipolin – les gaies images », Détail. Mensuel n° 49, octobre 1961. Coll. Philippe Guillen.

De la même façon, José aime encore et beaucoup les dessins animés qu’il peut suivre à la télévision. Il en regardera toute sa vie. Cette passion-là il la partageait déjà à Barcelone avec son ami Artur Moreno et le faisait savoir à un journaliste de El Dia Grafico qui, en avril 1930, vient les interroger. Il apprécie, dit-il, cette production qui vient des États-Unis, mais ajoute : « J’ai la conviction que

Pif et hercule face à face. Coll. Philippe Guillen.

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Couverture de « Vaillant », n° 708 du 7 décembre 1958. Un gendarme qui n’en croit pas ses yeux. et se gratte le Pif. Coll. Philippe Guillen.


Différentes couvertures de « Pif Gadget » « période rouge ». Bien qu’Arnal ne signe plus aucun dessin dans ces pages, voici La cultissime couverture du numéro 60, d’avril 1970. Le journal présente pour la première fois un gadget vivant : la Poudre de vie. On parlera de Pifises pour désigner les œufs de minuscules crustacés vendus avec la revue, des œufs d’artémia. Ce numéro détient encore, avec un million d’exemplaires, le record des ventes pour une revue européenne de BD. Ce record ne sera égalé que par un autre numéro de Pif, le n° 137 de septembre 1971, celui des pois sauteurs du Mexique (les Pifitos). « Pif gadget » n° 61… et de quoi nourrir les Pifises. « Pif gadget » en Espagne : parmi les 37 numéros qui paraîtront de l’autre côté des Pyrénées entre 1978 et 1979, voici celui de la catapulta (reprise du n° 157 français, de février 1972). il présente une aventure de Pif, « la buena suerte » (la bonne chance), signé C. Arnal… une sorte de retour au pays !

si nous produisions en Espagne des dessins animés aussi, nous parviendrions à nous opposer à cette invasion américaine, car nous ne manquons pas d’humour, ni de bons dessinateurs dans notre pays ¹²¹. » Après guerre, Moreno parviendra à faire deux longs métrages : Garbancito de la Mancha en 1945, et Alegres vacaciones en 1948. Ce ne fut pas le cas d’Arnal qui le regrettera toujours ¹²².

Coll. Philippe Guillen.

« Les aventures de Pif le chien », n° 43, septembre 1961, p. 17, Détail. après une bastonnade policière, Placid est au repos… Bien sûr, il y a eu méprise : une « bavure » des forces de l’ordre. Coll. Philippe Guillen.

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121. « El cinema espanyol, de l’adveniment i la implantacio del cinema sonor (1929) a l’esclat de la Guerra Incivil (1936) » in Cinematograf, n° 3, 2001, article de Jordi Artigas i Candela, III Jornadas Cinematografiques, Editorial Societat Catalana de Comunicacio, p. 179-180. 122. La Historia del Tebeo Valenciano, Clasicos en Jauja, Pedro Porcel, 2002, p. 52.


Une des « Aventures de Pif le chien » n° 6, supplément du journal l’Humanité n° 2229 du 3 novembre 1951. Le gendarme, personnage récurrent. Coll. Philippe Guillen.



Dans un précédent chapitre, nous avons déjà découvert quels étaient les horaires et la « discipline de travail » du professionnel de l’après-guerre (selon Pilar Bailina mais aussi Une vie de Pif, p. 19). Sa vie de jeune barcelonais, nocturne, devait quant à elle difficilement se prêter de telles pratiques, régulières pour ne pas dire routinières. Mais hors des horaires probablement plus « chaotiques » de l’artiste débutant, il semble que son sens du travail bien fait soit resté une constante du personnage. Sa façon de trouver l’inspiration et le gag devait aussi déjà ressembler – organisation exceptée – à celle du « vieux » dessinateur confirmé, tel qu’il l’explique en 1957 à un rédacteur de Vaillant venu l’interroger. À la question : « Mais où vas-tu chercher tes gags et tes idées ? », voilà ce qu’il répond :

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Page de gauche. Image symbolique : la Rencontre ! En partance pour la Lune – et il faut décrocher la lune ! – Pif, bien installé dans le cockpit de sa soucoupe moderne, croise son vieux père Top, en équilibre instable sur une vieille fusée. L’un s’en va, se retire, quand l’autre arrive. À l’intérieur de ce n° 26 des « Aventures de PIF le chien » (d’avril 1960), les toutes premières pages des Aventures sidérales du chien Top (version en français de l’album barcelonais paru dans les années 1930). La Fin de ce récit lunaire paraîtra, un mois après, dans le n° 27 des « Aventures de Pif le chien » dont la couverture présente un Top toréador face à un bien curieux auroch. Coll. Philippe Guillen.

Caricature de Jaime Tomas, dessinateur de « Pocholo » et ami d’Arnal. (J. Tomas était présent lors du banquet de 1930, cf. p. 122.) coll. Daniel Cabrero.

« Mes aventures vécues, je les traduis d’une façon comique. Mais il m’arrive de n’avoir aucune idée, alors je sors, et c’est rare si dans la rue, je ne découvre pas une scène humoristique… À 4 heures du matin, debout. Un bon café,

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une cigarette et hop, au boulot jusqu’à midi. Petite sieste et, re-hop, jusqu’à 7 heures… Mais attention : silence complet pendant que je fais les “crayons”. C’est là que naît l’idée, il faut de la concentration. Ensuite, passer les dessins à l’encre, c’est une routine, et ça va tout seul ! Je peux même écouter la radio, Yves Montand ou bien le jazz NouvelleOrléans ¹²³… »

4e de couverture de « Cutezatorii », journal des jeunes Pionniers de Roumanie. 13 janvier 1972. Coll. Philippe Guillen.

La Boxe, toujours ! en couverture des « Aventures de Pif le chien », mensuel n° 43 de septembre 1961. Quand le poing sort de l’écran, c’est du surréalisme. Et Pif n’en croit pas son œil gauche (l’autre étant fermé, et pour cause !). En 1957 déjà, la couverture du n° 612 de « Vaillant » (février) présentait une réalisation du même type : dans une salle obscure, Hercule, ce coup-ci spectateur, tirait sur Pif alors sur l’écran puisque acteur dans un film projeté. Le pistolet était à bouchon, bien sûr ! Coll. Philippe Guillen.

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Les historiens actuels de la BD espagnole, même s’ils parlent peu de lui, le considèrent tout de même comme « un des auteurs comiques d’influence majeure de la décennie 1930-1939 » ¹²4. Lui-même se reconnaît un mérite avec ses amis de l’époque, c’est-à-dire « une demi-douzaine de jeunes enthousiastes de la BD (Moreno, Mestres, Tomas, etc.), [à avoir été parmi] les premiers à implanter en Espagne le système “parlant” des personnages au moyen de bulles ¹²5… » 123. Interview d’Arnal, Vaillant n° 622, 14 avril 1957. 124. La Historia del Tebeo Valenciano-Clasicos en Jauja, Pedro Porcel, Generalitat Valenciana, Ediciones de Ponent, 2002, p. 53. 125. Hop, n° 2, spécial bébêtes, p. 17.



Les artistes se cachent souvent derrière leurs créations ; José Cabrero Arnal n’a pas échappé à la règle. Pourtant, le créateur de Pif le chien et de son ancêtre en Espagne Top el Perro, de Roudoudou, de Placid et Muzo et de bien d’autres encore, qui signait simplement « C. Arnal », eut une vie en dehors des cases et des bulles. Passionné dès son jeune âge par l’art du dessin, par la caricature aussi, il n’a de cesse de vivre de son crayon. Durant les années 1930, celles de la IIe République espagnole, il exerce à Barcelone la Catalane. Il participe à de nombreuses revues destinées à la jeunesse avant de s’engager dans le combat pour la défense de la République. Jusqu’à la Retirada. C’est le temps de l’exil en France, où la guerre, bientôt déclarée, l’emporte de nouveau vers l’inconnu, d’abord dans les commandos de travailleurs étrangers puis en déportation. À Mauthausen, où son talent de dessinateur et la solidarité des « rot Spanier » l’aideront à survivre. À la Libération, il s’installe en France et collabore à L’Humanité puis à Vaillant. L’élégance de son trait et la fraîcheur de caractère de ses personnages lui valent la reconnaissance du milieu des artistes de la bande dessinée et feront les délices de deux générations d’enfants, de l’après-guerre jusque dans les années 1970. Né il y a 50 ans à Toulouse, au sein d’une famille de républicains espagnols, Philippe Guillen a été un des jeunes lecteurs de Vaillant le journal de Pif puis de Pif-gadget. C’est à ces lectures qu’il doit son amour du dessin et de la caricature, mais aussi de l’Histoire qu’il enseigne aujourd’hui en lycée professionnel. Grand connaisseur et collectionneur de l’œuvre de C. Arnal, Philippe Guillen a interrogé les documents d’archives et rencontré ses proches. Ils lui ont raconté l’homme et prêté des documents inédits : les premières esquisses et caricatures, des lettres et papiers de famille, des photographies…

ISBN 978-2-86266-659-4

32 €

9 782862 666594

www.loubatieres.fr

Il nous offre ainsi une biographie inédite et passionnante de l’un des artistes les plus talentueux et féconds du 9e art.


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