Voyages pittoresques et romantiques (vol. 3) Pyrénées

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Voyages pittoresques et romantiques du baron Taylor dans l’ancienne France

Languedoc

(tome III)

Pyrénées

Loubatières

Lithographies choisies et commentées par Jean-Christophe Sanchez


ARREAU Auteur : Bichebois, Louis-Philippe (1801-1850) Lithographe : Benard (1801 ?-1850 ?) Lithographe : Frey Planche : 197 Format : 341 × 254 mm Année : s. d.

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Nous voici à Arreau, « petite ville située au pied des montagnes de la région moyenne, écrit Palassou, et au confluent des torrents [les Nestes] qui coulent dans les vallées d’Aure et du Louron. » Arreau a été jusqu’à la Révolution la capitale du Pays des QuatreVallées qui comprenait la vallée d’Aure, où nous sommes, celles de la Barousse et de la Basse-Neste, ainsi que le Magnoac. Au premier plan, la Neste du Louron se divise en plusieurs bras formant une petite île qu’un pont, formé d’un tronc, permet de franchir. Sur l’un de ces bras, deux femmes s’affairent à laver du linge. Sur l’autre bras, où l’on voit aménagée en amont une retenue d’eau, se trouve un moulin. Est-ce un foulon ? Arreau a en effet été depuis le XVIe siècle un important centre drapier. Cet artisanat est à l’origine du développement d’une bourgeoisie locale aisée qui a fait construire les belles demeures de la ville. Parmi celles-ci, le château de Ségure, dont on voit une tour au toit pointu, et qui est dans le prolongement du pont à deux arches. Sur l’autre rive, des maisons au toit pentu d’ardoises, agrémentées d’encorbellements, s’alignent le long de la Neste et, sur l’autre façade, donnent sur la Grand-Rue du bourg. Sur la gauche, l’église Saint-Exupère, que La Boulinière attribue aux Templiers, rappelle le souvenir d’un évêque de Toulouse, né à Arreau à la fin du IVe siècle et initiateur de la construction de la basilique primitive de Saint-Sernin à Toulouse. L’église a été construite du Xe au XIIIe siècle, dans un style roman dont témoigne le porche. Le clocher octogonal et la nef, renforcée d’arcatures, sont postérieurs et de style gothique. Plus loin se dresse le clocher de l’église Notre-Dame, paroissiale de la ville que domine le mont Gaillard.



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VUE GÉNÉRALE DE LA VALLÉE D’ARAU [ARREAU] Auteur : Villeneuve, Louis Jules Frédéric (17961842) Lithographe : Thierry Frères Planche : 197 bis Format : 367 × 253 mm Année : 1834

Sur cette vue, nous nous trouvons sur la rive gauche de la Neste d’Aure qui en amont est rejointe par celle du Louron de la vue précédente. Si La Boulinière précise qu’en ce début du XIXe siècle Arreau « s’embellit d’une manière remarquable […] grâce aux progrès de l’industrie, par les soins de l’administration municipale et le goût des principaux habitants », il semblerait que ce quartier ait été oublié. Des maisons modestes s’alignent sur les rives de la Neste et le long d’un chemin de terre, qu’une charrette bloque, provoquant un petit attroupement qu’évitent une bergère et ses quelques brebis. Sur la rive droite, dans l’axe du pont, le château des Nestes avait une fonction militaire (il était sur l’enceinte et à l’entrée du bourg) et hospitalière en tant que commanderie. Sa position à la confluence des Nestes, dans une zone humide, lui a aussi donné le nom de château Camou (terre d’eau en gascon bigourdan). On aperçoit aussi sa tour carrée centrale, aujourd’hui surmontée d’un clocheton en bois. Nous sommes au pied du chemin qui descend du col d’Aspin. C’est cette vue que Ramond décrit en arrivant sur Arreau : « l’enceinte et les bornes de la vallée se présentent, sous une forme respectable : elles arrêtent la vue de toutes parts. En face, l’œil en détaille les rochers, les bois, les ravins, les pâturages. À droite, et vers l’origine de la vallée, tout cela se confond dans l’aspect : général des montagnes ; les sommets s’élèvent, les uns par-dessus les autres, et dans un lointain reculé, les pics qui la séparent de l’Espagne, se détachent de l’azur du ciel, sous les figures les plus bizarres, les plus hérissées, les plus hardies. »

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BERGERIES DE TRAMESAIGUES [TRAMEZAÏGUES], GAVE DE RIOUMAJOU Auteur : Mialhe, Pierre-Toussaint-Frédéric (1810-1881) Lithographe : Engelmann, Godefroy (1788-1839) Planche : 223 bis Format : 361 × 275 mm Année : 1833

Voici à nouveau un lieu appelé Tramezaïgues ! Mais ces bergeries sont dans la vallée du Rioumajou, qui n’est pas au pays des Gaves mais dans celui des Nestes. Ici se trouve la confluence de la Neste d’Aure et du Rioumajou (le grand ruisseau). C’est aussi un carrefour que voyageurs, colporteurs et contrebandiers fréquentent toujours. La Boulinière précise que la vallée du Rioumajou est alors « la plus fréquentée de toutes celles que présentent les Hautes-Pyrénées » et qu’une route carrossable est alors envisagée pour établir la « communication la plus directe de Paris à Madrid, [qui] unirait le canal du Midi a celui que les Espagnols ont commencé le long de l’Èbre ». À Tramezaïgues convergent ou passent des routes

qui franchissent les Pyrénées par les ports qui sont principalement ceux de Bielsa, du Moudang, et d’Ourdissetou ; ce dernier étant au terme de la vallée du Rioumajou, et un axe de passage vers les vallées du Gave de Gavarnie et du Bastan par le massif du Néouvielle. Un château, qui remonte au moins au XIe siècle, contrôle le passage. Les bergeries représentées ici ne sont pas au village de Tramezaïgues, et si elles sont bien dans la vallée du Rioumajou, ce sont peut-être celles de Frédancon, situées en contrebas de l’hospice, dans un bassin, écrit La Boulinière, « couvert de pâturages et de granges. » Ou bien sont-elles les granges du Moudang dans une vallée parallèle ? Cependant, le site ressemble fort au plateau du verrou glaciaire de Tramezaïgues. Il est cependant certain que l’on retrouve là un cadre et une organisation qui rappellent le hameau pastoral au pied du Pic du Midi, ainsi que les bergers d’Héas. Des brebis paissent sur les prairies et un corral est prêt pour les regrouper la nuit. Les bergeries forment un espace enclos, composé d’un corps d’habitation et des couverts pour les animaux.


CARRIÈRE DE SARRANCOLIN À PEYRÈDE [BEYRÈDE-JUMET] Auteur : Sabatier, Léon (?-1887) Lithographe : Benard (1801 ?-1850 ?) Planche : 239 Format : 301 × 247 mm Année : 1835

Palassou écrit que « le marbre, connu sous le nom de Sarrancolin, est d’un rouge sang, ordinairement mêlé de gris et de jaune ; on y remarque aussi des parties spathiques et transparentes ». Cette carrière nous fait remonter le temps de l’histoire géologique des Pyrénées. Nous sommes il y environ 50 millions d’années et nous rejoignons avec Hippolyte Taine une époque où « ce pays était une mer [où] se formèrent les calcaires anciens, les schistes

de transition et plusieurs des terrains secondaires. […] Cette croûte se fendit, et une longue vague de granit fondu s’éleva, formant la haute chaîne […]. Ce que ce mur de feu fit en se dressant dans cette mer bouleversée, l’imagination de l’homme ne le concevra jamais. » N’en déplaise à Taine, depuis Palassou les géologues ont étudié cela et expliqué entre autres la formation des marbres des Pyrénées et ceux dits de Sarrancolin qui sont extraits sur trois communes : Sarrancolin, Ilhet et Beyrède, site représenté depuis l’intérieur sur cette lithographie. L’exploitation de ces marbres se développe très fortement à partir de la Renaissance et les différentes variétés sont utilisées pour décorer notamment le château de Versailles. Le Bulletin de la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale précise qu’à Beyrède, deux variétés sont extraites qu’hélas la lithographie ne permet pas d’apprécier : « le marbre d’Antin, autrement dit Sarrancolin […] est une belle brèche, d’un calcaire compact, rosé ou couleur de chair, flambée de rouge plus ou moins vifs, avec des veines blanches, grises, bleues et vertes » et « le marbre corallique […] qui est généralement d’un fond gris jaspé de blanc, avec des fragments roses, rouges et jaunâtre, dans les lesquels on distingue des coraux et des coquilles ». C’est aussi à Beyrède que les blocs de marbre dits de Campan, extraits des carrières d’Espiadet à Payolle, arrivent, après avoir franchi le col de Beyrède (1 489 m), pour être transportés sur la Neste. Mais en ce début du XIXe siècle, nous ne voyons que des blocs épars dans une carrière que les eaux semblent envahir, et J.-P. Picquet regrette que « le luxe les néglige aujourd’hui » et espère que « la mode l’y ramènera peut-être »…

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ÉGLISE DE SARRANCOLIN Auteur : Monthelier ou Monthellier, Alexandre-Jules (1804-1883) Lithographe : Benard (1801 ?-1850 ?) Planche : 240 Format : 328 × 286 mm Année : s. d.

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Nous voici en aval d’Arreau, à Sarrancolin, bourg éponyme de marbres des carrières alentours et situé au débouché des routes qui franchissent les cols de Beyrède et d’Estivère. La Boulinère précise que « la ville de Sarrancolin […] est comme resserrée entre deux collines, et c’est, dit-on, ce qu’indique l’étymologie de sa dénomination. C’est un chef-lieu de commune dépendant du canton d’Arreau ; c’est aussi un lieu d’étape […] très ancien et assez mal bâti. […] Elle était regardée comme la capitale d’Aure. » Le bourg était jusqu’à la Révolution une lieutenance royale, lieu de foires et de marchés, actif grâce à l’exploitation du marbre puis par le développement de la papeterie, rivalisant avec Arreau. Les personnages représentés semblent bien petits face aux édifices que nous voyons ! L’église de Saint-Ebons domine cette vue. À l’origine, l’église était celle d’un prieuré bénédictin (un acte donation d’Arnaud, comte d’Aure, date de 952), alors disparu, mais La Boulinière, qui la considère comme « le seul édifice qu’on y remarque », l’attribue, à tort, une nouvelle fois aux Templiers. Construite en forme de croix grecque (nef, abside et bras du transept sont de dimensions très proches), elle est de style roman comme en témoignent les ouvertures de la tour carrée du clocher, dôtée une flèche conique et flanquée de quatre clochetons. À droite apparaît une partie de la façade d’un édifice avec une entrée au porche roman et un étage agrémenté d’un encorbellement à colombage. Est-ce un des derniers vestiges de l’ancien prieuré bénédictin, ou alors l’auteur a-t-il ajouté une de ces maisons à encorbellement qui existent encore de nos jours, mais de l’autre côté du village ?


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Voyages pittoresques et romantiques du baron Taylor dans l’ancienne France

Languedoc

(tome III)

Pyrénées Lithographies choisies et commentées par Jean-Christophe Sanchez

Entre 1820 et 1878, le baron Isidore Taylor, assisté de Charles Nodier et Alphonse de Cailleux, réalise les vingt volumes des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Les lithographies réunies dans chaque volume représentent aussi bien des monuments civils, militaires et religieux que des paysages ou des scènes de la vie quotidienne de la France de l’époque. Ce travail monumental est un témoignage précieux de la situation du patrimoine bâti en France dans la première moitié du XIXe siècle. Il a également ouvert la voie d’un changement de perspective dans le regard porté sur ces édifices, les sortant du cadre purement fonctionnel pour les intégrer dans le champ de la conscience collective nationale. De cet inventaire patrimonial et paysager, aucune édition jusqu’ici n’avait présenté la totalité des lithographies rassemblées par aires géographiques continues. Chaque volume de cette nouvelle édition raisonnée des Voyages pittoresques présente une sélection des vues les plus remarquables accompagnées d’une notice développée, et reproduit l’ensemble des lithographies relatives aux départements étudiés.

ISBN 978-2-86266-669-3

L’abbaye Saint-Savin, dessin et lithographie de George Barnard, planche 192, 380 x 274 mm, s. d.

25 €

9 782862 666693

www.loubatieres.fr

Le présent volume réunit les lithographies consacrées aux départements de l’Ariège, de la Haute-Garonne hormis Toulouse et des Hautes-Pyrénées, avec notamment des vues d’Arreau, Foix, Lourdes, Luz-Saint-Sauveur, Mirepoix, Pamiers, Saint-Just de Valcabrère, Saint-Bertrand de Comminges, Saint-Savin, Sarrancolin, Barèges, Gavarnie, La Mongie, Oô ; des cascades du val de Jéret ; du Vignemale et du Tourmalet…


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