Le Saint-Pourçain, patrimoine du vin

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« Patrimoine du vin »

LE SAINT-POURÇAIN textes d’Antoine

Paillet et Pierre Citerne

LOUBATIÈRES



Le vignoble de Saint-Pourçain Les contours du vignoble Le Saint-Pourçinois, avec son paysage de champs ouverts partagés entre la vigne et la polyculture, se singularise aujourd’hui par rapport aux terroirs voisins. Ceux-ci sont formés d’une part de bocages incomplets ou dégradés, dominés par l’élevage bovin, d’autre part de l’openfield de polyculture limagnais où la vigne a parfois totalement disparu. Le contraste est immédiat lorsqu’on aborde le vignoble bourbonnais par l’Ouest, en quittant le bocage des plateaux cristallins à hauteur de Meillard, de Verneuil ou de Bransat. Si l’on vient du Sud-Est ou de l’Est, le Saint-Pourçinois tranche aussi avec le Rollat qui jouxte le bassin de Vichy : le Rollat a connu depuis le XIXe siècle l’évolution herbagère commune aux Varennes limagnaises, et son ancienne activité viticole, par exemple bien développée jadis dans la commune de Broût-Vernet, n’est plus qu’un souvenir. Au Sud, le bassin d’Ébreuil est aujourd’hui uniquement voué à la polyculture. Il semble que seule, la limite nord du vignoble de Saint-Pourçain ne soit pas actuellement bien tranchée. Des communes comme Besson ou Chemilly, qui constituent la pointe septentrionale de l’aire de production saint-pourçinoise telle qu’elle a été délimitée en 1951, se fondent dans les paysages du val d’Allier et étendent l’aire viticole jusqu’aux abords de Moulins. De sorte que sur une carte comme dans le paysage, le vignoble saint-pourçinois apparaît aujourd’hui comme une entité assez bien circonscrite. Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’à la crise phylloxérique, qui ravage tous les vignobles à la fin du XIXe siècle, la région de Saint-Pourçain ne se distingue pas tant de l’ensemble géographique auquel elle appartient naturellement, celui de la Limagne des Buttes. Le géographe Max Derruau * note qu’elle « offre une topographie plus auvergnate » que la Forterre voisine, qui prolonge le pays des buttes en face du vignoble, sur la rive droite de l’Allier. Dans le Saint-Pourçinois, « les buttes calcaires de 50 à 500 hectares de superficie, avec leurs versants assez

à la mémoire de René Villatte

Les communes du vignoble de Saint-Pourçain dans l’aire délimitée en 1951.

* Nous ferons fréquemment référence à l’ouvrage fondamental de Max Derruau, La grande Limagne auvergnate et bourbonnaise, étude géographique, Clermont-Ferrand, lib. Delaunay, 1949. Sa « carte d’orientation » précise les « limites de la Grande Limagne » qui inclut une grande partie de l’aire vigneronne méridionale du Saint-Pourçinois. /7


LE SAINT-POURÇAIN

La géologie du Saint-Pourçinois. Extrait de la Carte géologique, minéralurgique et topographique de l’Allier, dressée par M. Boulanger, publiée sous les auspices du Conseil général, Moulins, Desrosiers, 1844. On distingue parfaitement les buttes calcaires (en vert) qui constituent le prolongement de la Limagne des buttes des deux côtés de l’Allier : à l’Ouest dans le vignoble, à l’Est dans la « Forterre ».

doux pour permettre la culture, assez étendus pour représenter une part importante des territoires communaux, sont bien individualisées. Entre les buttes, les dépressions de terre brune rappellent aussi celles de la Limagne volcanique » 1. Géologiquement, la partie à substrat calcaire du vignoble n’est que le prolongement septentrional de la grande Limagne. Même affleurements de calcaire à phrygane (dont les bancs donnaient lieu, comme dans le reste de la Limagne, à une industrie de fours à chaux), mêmes couches marneuses intermédiaires. Bien que la vigne déborde les terrains calcaires et occupe des terrains granitiques, c’est la forte teneur en calcaire des sols qui explique l’extension originelle du vignoble, puis son maintien au-delà de la crise phylloxérique *. Par ailleurs, même si les vins de Saint-Pourçain ont une identité et une réputation dont on trouve les preuves dès le Moyen Âge, la viticulture était bien loin de se limiter à leur seule aire de production actuelle. Aussi ne peut-on parler de l’ancien vignoble saintpourçinois sans évoquer, tantôt la grande Limagne auvergnate et bourbonnaise à laquelle il appartient, tantôt la viticulture plus ou moins diffuse qui s’observait, jusqu’au XIXe siècle, dans une grande partie du val d’Allier et dans tout le sud du Bourbonnais. Si l’on jette un coup d’œil aux anciennes productions agricoles de la région de Saint-Pourçain, on s’aperçoit – pour autant que les textes nous renseignent précisément – que celle-ci n’a jamais dû

Affleurements calcaires sur les coteaux viticoles de Saulcet, face au château de Montfan.

* « Pourquoi cette qualité », interroge Max Derruau ; « Elle vient d’abord du sol, à forte teneur en calcaire » (Ibid., p. 222). L’auteur indique que « la teneur en calcaire de certains sols du vignoble de Saint-Pourçain dépasse 56 % » (p. 47). 8/


LE PATRIMOINE DU VIN

Détail d’un calcaire à phryganes. La larve de phrygane, entourée de son étui protecteur, est un des matériaux fossiles caractéristiques des calcaires sédimentaires tertiaires du pourtour de l’ancien lac de Limagne.

connaître de spécialisation viticole. C’est un point commun avec le reste de la Limgne des Buttes, où la viticulture a pu occuper une grande place mais n’a quasiment jamais revêtu le caractère d’une monoculture. Une première preuve s’en trouve dans l’absence d’une notion de vignoble saint-pourçinois jusqu’à la création de l’aire de production



Saint-Pourçain, un nom, un goût à l’épreuve du temps Le goût d’un vin procède à première vue d’un patrimoine triple : terroir, vigne et main de l’homme. Si le terroir demeure identique d’une génération à l’autre – encore que –, les deux autres paramètres, la nature des cépages utilisés et surtout le savoir-faire des vignerons, font que ce goût fluctue. À cela se surimposent bien entendu les attentes des buveurs, des prescripteurs et des commanditaires : la mode, les modes… Saint-Louis, Philippe le Bel, les papes d’Avignon servaient le vin de Saint-Pourçain à leur table, au quotidien mais aussi lors des grandes occasions protocolaires. Le fait que des coûts de transports élevés, nécessaires à l’acheminement de ce vin éloigné de Paris comme d’Avignon, soient régulièrement engagés, témoigne à lui seul de la considération dont ce cru jouissait. Quel gouvernant, quel hiérarque songerait aujourd’hui à servir du saint-pourçain à ses hôtes ? Vin symbole, vin statut, vin politique, mais aussi certainement vin apprécié pour ses caractères organoleptiques ; quelle parabole le goût de ce vin a-t-il pu décrire en sept siècles ? Le chemin semble si long pour le saint-pourçain, des fastes royaux et pontificaux aux brasseries parisiennes, où l’on vante aujourd’hui « la truculence bistrotière de ce petit vin de soif », image d’un vin populaire et bon bougre que les vignerons saint-pourcinois encouragent eux-mêmes au travers du folklore de La Ficelle, cuvée primeur, bouteille sérigraphiée devenue emblématique, dont la tonalité humoristique semble vouée à perpétuer indéfiniment l’esprit de l’Almanach Vermot. L’aura de faveur des puissants dont le vin de Saint-Pourçain s’est paré repose sur des réalités archivistiques, comptables, qui ne nous renseignent pas beaucoup sur sa nature gustative passée. L’ordonnance royale de 1360 établissant la taxation des vins consommés à Paris place le saint-pourçain au premier rang, avec les vins

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LE SAINT-POURÇAIN

par le gamay, qui se montre ici poivré, herbacé, vif, ils se rapprochent des gamays de Touraine ou de Sologne, voire de ceux du Forez, davantage que des vins du Beaujolais. D’autres possèdent un caractère davantage marqué par le pinot noir, proche de certains passetougrains bourguignons, parfois un peu terreux, comme les bourgognes du Couchois, où ceux d’Irancy dans l’Yonne. À ce jour ce sont des vins de fruit, immédiats, que l’on fait beaucoup communiquer sur leur gouleyance. Il est vrai que les élevages plus ambitieux que nous avons goûtés ne collaient absolument pas au potentiel et à la personnalité des vins. Il faut donc fuir, comme dans de nombreuses régions en France, la mention « élevé en fûts de chêne », où attendre que les fûts vieillissent et perdent leur pouvoir d’aromatisation, retrouvant leur place de vaisseau vinaire destiné à une oxygénation ménagée du vin… En tout cas, il ne se dégage pas des vins rouges de Saint-Pourçain de personnalité homogène, comme les blancs peuvent en manifester. Domaine de Bellevue « Grande Réserve » 2012

Une robe tendre, un fruit net, juvénile, très typé par le gamay avec ses notes de pivoine, de purée de fraise et de poivre vert.

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La bouche se montre légère, vive, non dénuée de charme dans un style agreste et acidulé, presque ginguet…

LE GOÛT DU VIN

Vignerons de Saint-Pourçain Saint-Pourçain rouge « Domaine de la Croix d’Or » 2011

La cave coopérative regroupe aujourd’hui soixante-dix apporteurs de raisins, elle produit et met sur le marché les deux tiers de la production de l’appellation. En rouge comme en blanc cette production est des plus honorables, des vins d’un bon équilibre, facile d’accès et dégageant souvent un réel charme. Ce rouge d’une in-

tensité satisfaisante délivre un fruit évoquant la confiture de cerise, terreux et kirsché, sans heurt, de grain assez fin, même s’il n’ambitionne d’aucune façon à la grandeur. Domaine Jallet Saint-Pourçain rouge « Les Ceps Centenaires » 2011

Une présentation assez sombre, un toucher un peu abrupt, serré, des arômes poivrés et un fruit intense, légèrement viandé, mais aussi une concentration intéressante, un caractère droit qui devrait permettre une évolution de quelques années, vers davantage de parfum et de délié.

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Crédit photographique : Archives départementales de l’Allier : 34, 36, 38 ; Camus, Renaud : couverture et p. 3 ; Créer (Éd.), BnF : p. 20 ; Domaine de Bellevue : p. 76, 77, 80 ; Domaine des Bérioles : p. 78 ; Domaine Jallet : p. 81, 82 ; Domaine Nebout : p. 78 ; Misserey, Xavie : p. 54 (h), 72 ; Musée de Moulins, fds PierreBassot : p. 10 ; Musée de la Vigne de Saint-Pourçain-sur-Sioule : p. 24, 30, 31, 40, 41, 42, 44, 45, 46 ; Paillet, Antoine : p. 1, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 19, 26, 27, 28, 29, 43, 48, 49, 50, 52, 53, 54 (b), 55, 57, 58, 59, 60 ; Syndicat des Viticulteurs du Saint-Pourçain (photographies De Jonghe) : 6, 68-69, 70, 87, 91 ; Touzain, Rémi : p. 72

L’éditeur tient à remercier tous ceux qui ont œuvré pour que ce livre voie le jour. Tout particulièrement Antoine Paillet, à qui revient l’idée de consacrer un livre au patrimoine des vins de Saint-Pourçain, Pierre Citerne qui a accepté d’assurer la direction de cette nouvelle collection dont ce livre est le premier titre, Mesdames Fabienne Canal et Sophie Rabaste, du Syndicat des Viticulteurs du Saint-Pourçain, pour leur aide précieuse, ainsi que les viticulteurs qui ont pris de leur temps pour nous aider à réaliser ce livre, sans oublier ceux qui nous ont aidé à rassembler l’iconographie. Nous tenons à remercier également la Ville de Saint-Pourçain-sur-Sioule et la Communauté de Communes du Pays Saint-Pourçinois pour leur soutien.

Achevé d’imprimer GN Impressions en juillet 2013 sur les presses de SEPEC (France) Dépôt légal troisième trimestre 2013


Table des matières Le vignoble de Saint-Pourçain ............................................... 7 (Antoine Paillet) Les contours du vignoble .................................................. 7 Éléments d’histoire ......................................................... 14 L’ancien paysage viticole : parcellaire, répartition de l’habitat ................................... 30 Les anciennes particularités viticoles du Saint-Pourçinois ......................................................... 39 Une architecture vigneronne ? maison et maisonnée ; l’ancienne société vigneronne ...... 47 Le vignoble de Saint-Pourçain à l’époque contemporaine .... 61 (Marthe Baudier) Saint-Pourçain, un nom, un goût à l’épreuve du temps ......... 71 (Pierre Citerne) Les vins blancs ................................................................ 74 Les vins rouges ................................................................ 79 Identité et avenir d’un goût ............................................. 82 Les lieux du Saint-Pourçain, carte et adresses ...................... 88 Crédit photographique ......................................................... 92


« Patrimoine du vin »

LE SAINT-POURÇAIN textes d’Antoine

Paillet et Pierre Citerne

Voici donc un vin qui connut autrefois un grand prestige, estimé à la cour des rois de France comme à celle des papes d’Avignon, et qui est en même temps une des plus jeunes AOC de France. Le goût du saint-pourçain aujourd’hui, sa singularité dans le paysage viticole, son patrimoine et son histoire, voilà les découvertes auxquelles vous convient les textes d’Antoine Paillet et de Pierre Citerne.

Patrimoine du vin est une collection dirigée par Pierre Citerne. Chaque titre se propose de présenter une appellation sous le double éclairage de l’histoire et du goût.

ISBN 978-2-86266-691-4

Photographie de couverture : Château de Montfand, Louchy-Montfand © Renaud Camus

17,50 €

9 782862 666914

www.loubatieres.fr

Antoine Paillet est responsable du Service du Patrimoine au Conseil général de l’Allier. Pierre Citerne est anthropologue, dégustateur, membre du comité de dégustation de la Revue du Vin de France.


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