« Patrimoine du vin »
LE BANDOL textes de Pascal
Pèrier et Pierre Citerne
photographies de José
Nicolas
LOUBATIÈRES
LE BANDOL
6/
Le vignoble de Bandol Située dans le Sud-Est de la France, entre Marseille et Toulon, l’Appellation d’Origine Contrôlée Bandol s’étend sur un amphithéâtre d’environ 1 500 ha repartis sur huit communes : Bandol, Saint-Cyr-sur-mer, La Cadière d’Azur, Le Castellet, Le Beausset, Evenos, Ollioules, Sanary. AOC par décret du 11 novembre 1941, le vignoble de Bandol bénéficie d’un climat méditerranéen particulièrement propice à la production de grands vins. Protégé des écarts de températures par la proximité de la Méditerranée, il reçoit 3 000 heures d’ensoleillement annuel et les brises d’est et sud-est lui apportent juste ce qu’il faut d’aération et de pluies : 650 mm par an, répartis entre automne et hiver. Quant au mistral, ce célèbre vent sec de secteur ouest à nord, soufflant par rafales pouvant dépasser facilement les 100 km/h, il dégage le ciel, rend l’air limpide et permet de maintenir, même après de fortes précipitations, un climat parfaitement sain. Les paysans provençaux parlent de lui comme du « manjo fango » (mange boue) car quelques heures de ses violentes rafales suffisent à sécher la terre après les pluies et rendre praticables les sols gorgés d’eau. Son effet asséchant joue un rôle essentiel dans la protection contre les maladies de la vigne dues à des champignons microscopiques tels que le botrytis et le mildiou, maladies cryptogamiques qui donnent à tous les vignerons du monde bien du souci. Autre élément indispensable à la production de grands vins, la géologie de ce terroir qui est tout à fait exceptionnelle. L’étude du rapport général de la commission d’enquête nommée en 1942 par le Comité National des Appellations d’Origine Contrôlées pour définir une délimitation stricte de l’aire de l’AOC Bandol, montre que les ingénieurs agronomes, J. Bordas et G. Kuhnholtz-Lordat, mirent en évidence une géologie d’une rare diversité. Cherchant les terrains les plus pauvres, arides et à faibles
/7
LE BANDOL
Gisement de rudistes. Maison du terroir et du patrimoine, La Cadière d’Azur.
Bouquet d’hyppurites (détail) calcaire à rudistes. Maison du terroir et du patrimoine, La Cadière d’Azur.
8/
rendements, propres à accueillir les cépages nobles, ils constatent que la quasi-totalité de l’aire de production tracée par les experts est située sur des terrains silico-calcaires du Néo Crétacé (Santonien, Coniacien, Valdonien). Une très petite partie du vignoble se trouve sur les versants des îlots triasiques du Canadeau et du Télégraphe, et sur des éboulis calcaires du Sanoisien (Oligocène) du Jurassique et du Lias (région de Sanary-Bandol-Saint-Cyr). Les éléments issus de la désagrégation des roches, qui ont un rôle essentiel pour les vins de Bandol, sont issus des grès calcarifères et des marnes sableuses, ils forment des sols squelettiques sous l’influence de leurs roches mères qui continuent à se désagréger partout où elles affleurent.
On peut distinguer deux grandes zones géologiques principales : Le bassin du Beausset, qui est une grande cuvette de 13 km de large et 35 km de long limité au nord par les massifs de Carpiagne et de la Sainte Baume, à l’est par le plateau de Siou-Blanc, puis au sud par le Mont Caumes, les reliefs du Croupatier et du Gros Cerveau. Il s’ouvre sur la mer à l’ouest, sur les baies de Saint-Cyr et La Ciotat. L’unité de Bandol, qui est un bassin sédimentaire formant un synclinal de 5 km de large et 12 km de long limité au nord par les collines de la Gache, les reliefs de Pibarnon-Fontanieu et le massif du Gros Cerveau, et s’ouvre à l’ouest sur la baie de Bandol.
LE PATRIMOINE DU VIN
Vue de la Cadière d’Azur depuis la plaine des Paluns, collection Le Moulin de la Roque.
De nombreux plissements, glissements et dislocations des couches géologiques confèrent à la région une structure extrêmement complexe qui en fait un des hauts lieux de la géologie mondiale. La Maison du Terroir et du Patrimoine de Sud Sainte Baume, installée sur les flancs du village de La Cadière d’Azur, présente une collection magnifique de roches et fossiles qui montrent parfaitement cette grande diversité géologique et raconte dans le détail l’histoire de la formation du sous-sol de ce terroir. Un sentier géologique a été inauguré à la Cadière d’Azur lors des journées du patrimoine 2012, des panneaux jalonnent le parcours et expliquent l’histoire de l’implantation et du développement des colonies de rudistes (mollusques fossiles de l’époque du crétacé) qui ont formé la barre calcaire de la Cadière et du Castellet. Ce calcaire à rudistes a fourni de nombreux blocs de pierre utilisés dans la construction
/9
Bandol, ou la solitude splendide d’un grand vin provençal
L’histoire du goût des vins de Bandol semble doublement difficile à tracer. Malgré son ancienneté, remontant à la colonisation grecque au Ve siècle avant J.-C., ce vignoble a connu de nombreuses périodes d’ombres, de nombreux hiatus. Il possède également la particularité d’avoir donné naissance à un cru comparable, en termes de tenue et de longévité, aux classiques bourguignons, rhodaniens et aquitains, mais assimilé, à cause de sa situation géographique, à l’ensemble de vins « méridionaux », qui furent longtemps voués à une production plus quantitative que qualitative et généralement mésestimés. Préjugés et éloignement ont donc fait que les vins de Bandol, comme quelques autres crus méditerranéens de valeur, ont été traités avec une certaine condescendance par les palais et les plumes parisiennes.
50 /
Remontons vingt-cinq siècles en arrière. La viticulture phocéenne s’étendait jusqu’à Bandol, l’archéologie l’atteste. Vignoble pionnier, premier vin issu du sol gaulois, tourné vers ce marché local et septentrional si lucratif, puis orienté dans ses échanges comme l’ensemble de la Narbonnaise vers l’Italie et le reste du bassin méditerranéen, le vignoble côtier a pendant un millénaire participé à cette grande aventure que fut le vin dans l’Antiquité gréco-latine. En mille ans le goût et la réputation de ces vins ont certainement beaucoup changé, varié, évolué. Le vin de Tauroentum, qui deviendra Bandol, avait-il le même goût fumé que celui de Marseille, raillé par Martial (Épigrammes, XIII, 123) ? C’est probable. Même si on peut penser qu’à l’instar des marchands du XVIIIe siècle, les bons connaisseurs du vignoble, locaux ou même romains, aient durant l’Antiquité fait une différence entre les différents crus revendiquant l’appellation de Massilitanum – le goût de la précision géographique étant une constante dans l’histoire de la passion œnophile.
LE GOÛT DU VIN
LE BANDOL
Ray-Jane étant les représentants les plus connus de cette mouvance. En extrayant les tannins de la rafle, cette méthode de vinification engendre des vins parfois durs dans leur jeunesse, sévères, mais capables de vieillir très longtemps, développant beaucoup de distinction aromatique et d’élégance. Domaine Ray-Jane Bandol rouge 2009
La famille Constant, propriétaire du domaine Ray-Jane au Castellet, revendique son appartenance à une lignée vigneronne installée dans la région de Bandol depuis le XIIIe siècle. Avec une telle antériorité, le classicisme stylistique des vins semble couler de source… La présentation visuelle de ce 2009 est assez tendre, l’expression pour l’heure renfrognée, sur la réduction, avec des notes de cuir et de thym. En bouche se déploie une matière très serrée, bien plus en nerf qu’en chair, tannique, austère, mais d’une réelle franchise; possédant à la fois allonge et profondeur, elle attend son heure. Château Pradeaux Bandol rouge 2007
76 /
Exploité par la même famille depuis 1752, Pradeaux constitue un point de repère capital dans le panorama des vins de Bandol. Souvent qualifiés d’intransigeants, les rouges du domaine bénéficient d’élevages en foudres prolongés (pendant quatre ans en moyenne), qui leur assurent une grande stabilité dans le temps. Riche, puissant, mais très sobre, pour ne pas dire austère, le millésime 2007 commence tout juste à laisser entrevoir de belles notes de garrigue, d’épices, de tabac. Les tannins, grenus et vifs, dominent
la sensation tactile en bouche. L’ensemble peut paraître un peu sec, mais le vin possède du fond et n’est pas, contrairement à de nombreux 2007 à Bandol, déséquilibré par l’alcool.
LE GOÛT DU VIN
À l’opposé de ce style très traditionnel, qui produit des vins parfois difficiles à apprécier dans leur jeunesse, certains domaines se sont engagés dans la voie de la « modernité », répondant à une évolution réelle ou supposée des goûts du consommateur. L’attention est portée sur la fraîcheur immédiate du fruit et la rondeur de la chair, avec des macérations plus courtes, des élevages moins longs en barriques souvent neuves. Bien que Bandol ait été le grand centre tonnelier que l’ont sait, l’élevage en barriques neuves « à la bordelaise » ou « à la bourguignonne », constitue un phénomène récent. Certains domaines le pratiquent avec succès, même si on peut penser que la personnalité du mourvèdre, du bandol, s’exprime mieux au travers d’élevages longs en foudres, grands contenants moins poreux que la barrique. La remarque peut d’ailleurs être étendue à la plupart des grands vins rouges méditerranéens – qu’ils soient à base de grenache (Châteauneuf ), de sangiovese (Chianti, Brunello di Montalcino) ou d’aglianico (Taurasi). Domaine de la Bégude Bandol rouge 2006
Ce vaste domaine est le plus en altitude de l’appellation, culminant à plus de 460 mètres au-dessus de la Méditerranée. Ses propriétaires, de culture bordelaise, proposent une vision personnelle des vins de Bandol. Ce rouge 2006 montre une robe encore jeune et dense. Le nez est assez sauvage, mentholé, poivré, compact, souligné par des notes d’épices et d’atelier de menuiserie. L’apport boisé semble mieux intégré en bouche qu’au nez ; la matière reste svelte, tendue, avec un fruit décidé qui se faufile en bouche, laissant une rémanence à nouveau très poivrée. Domaine Bunan – Moulin des Costes Bandol rouge « Charriage » 1998
Une cuvée ambitieuse, basée sur les plus vieux mourvèdres de cette propriété. Un vin très concentré, mais qui paraissait dominé par l’élevage dans sa jeunesse. Regoûté à l’âge de quinze ans, il s’exprime maintenant avec sérénité, ampleur, cohérence. La robe est encore très pleine, la saveur vivante, organique, évoquant le cacao, le cèdre, la viande fraîche, les abats, portée par des tannins assagis mais présents, sans sécheresse, ainsi que par une appréciable veine acide. Le fruit du mourvèdre est décidément capable de revenir de très loin.
Double-page suivante. Dans les caves du Château de Pibarnon. / 77
Bibliographie : « Bandol, deux siècles d’histoire (1585-1790). La naissance et l’essor d’un village de la Provence maritime », Lucien Grillon. « Bandol au XIXe siècle et au début du XXe », Lucien Grillon « Bandol au XIXe siècle. Le vignoble, le port, la tonnellerie, le drame du phylloxéra, Lucien Grillon », Extrait du bulletin de la Société des amis du Vieux Toulon et de sa région, 1975. « Bandol, la deuxième vague, 18801983 », Raymond Culioli, Éditions Eden, Bandol. « Provence de la Vigne et des Vins », Christiane et René Lorgues, Éditions Serre. « Gens et Vins du Bandol, Jean Noël Marchandiau », Éditions Serre. « Histoire du commerce de Marseille », Librairie Plon. « Le Vin romain antique », Jean-Pierre Brun et André Tchernia, Éditions Glénat. « Inventaire des oratoires du Var », Louis Janvier, édité par les Amis des Oratoires,1982, Aix en Provence. « La Cadière d'Azur des origines au milieu du XIVe siècle », coécrit par un groupe de chercheurs sous la coordination de Jean Cachard. En vente à l'office de tourisme de la Cadière. « Le Castellet, mémoires d'un village perché », Bernard Dureuil, 2004, Éditions Jeanne Laffitte. « Saint Cyr sur mer, mon village en Provence avant la guerre », Auguste Amic, Éditions Gérard Blanc. « Si Bandol AOC m’était conté, Lucien Peyraud (Domaine Tempier) », Lionel Heinic, La Provence des réussites, série Terroir, Éditions Scriba. Crédit photographique : Château Pradeaux : p. 80 ; Château Sainte-Anne : p. 61, 73 ; José Nicolas : couverture, p. 1, 3, 4-5, 6, 10-11, 12, 39-40, 48-49, 51, 53, 54-55, 56, 60 (d), 63, 64-65, 69, 70, 74-75, 76, 77-78, 82-83, 91 ; Pascal Pèrier : p. 8, 9, 13, 15, 16, 19, 20, 22-23, 26, 29, 30-31, 34, 35, 37, 38, 44, 45, 46, 47, 58, 59, 60 (g), 66, 68. L’éditeur tient à remercier particulièrement Pascal Pèrier dont la disponibilité et la connaissance de l’histoire du vin de Bandol ont permis à ce livre de voir le jour. Merci aussi à tous ceux qui ont œuvré à son élaboration : Pierre Citerne, José Nicolas et les viticulteurs qui ont pris de leur temps pour nous aider dans cette tâche. Nous tenons à remercier également Les Vins de Bandol pour leur soutien.
Achevé d’imprimer GN Impressions en juillet 2013 sur les presses de SEPEC (France) Dépôt légal troisième trimestre 2013
Table des matières
Le vignoble de Bandol ............................................................ 7 (Pascal Pèrier) Éléments d’histoire .......................................................... 15 Les tonneliers de Bandol ................................................. 29 Les maladies de la vigne .................................................. 36 Un patrimoine dans les vignes ......................................... 47
Bandol, ou la solitude splendide d’un grand vin provençal .... 50 (Pierre Citerne) Le vin blanc à Bandol : un parent pauvre, mais digne ...... 59 Le rosé, un succès encombrant ? ...................................... 62 Le vin rouge de Bandol .................................................... 67 Les lieux du Bandol, carte et adresses .............................. 88
Crédit photographique .......................................................... 92
« Patrimoine du vin »
LE BANDOL textes de Pascal
Pèrier et Pierre Citerne
photographies de José
Nicolas
« Dégustés à maturité, les grands bandols offrent une étonnante complexité aromatique, tout en conservant beaucoup de vigueur et d’aplomb. Ce sont indiscutablement les plus grands vins de Provence et nous ajouterons parmi les plus grands de France. » Ainsi s’exprime Pierre Citerne dans ce livre; hommage du dégustateur au travail de ceux qui ont su hisser les vins de Bandol à un « si haut niveau de qualité et de typicité ». Les artisans de cette réussite sont les héritiers de vingt-cinq siècles de savoir-faire. C’est l’histoire de ce terroir et de ces métiers que nous raconte pour sa part Pascal Pèrier, l’histoire de ces vins de soleil, transportés dans des tonneaux fabriqués sur place, dont la renommée traversait déjà les océans. Patrimoine du vin est une collection élaborée par Pierre Citerne. Chaque titre se propose de présenter une appellation sous le double éclairage de l’histoire et du goût.
ISBN 978-2-86266-692-1
Photographie de couverture : La Cadière d’Azur. © José Nicolas
17,50 €
9 782862 666921
www.loubatieres.fr
Pascal Pèrier est responsable de l’Œnothèque de Bandol. Pierre Citerne est anthropologue, dégustateur, membre du comité de dégustation de la Revue du Vin de France.