Aurillac, pays de Salers et de Mauriac

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AURILLAC PAYS DE SALERS ET DE MAURIAC Regards sur un patrimoine textes de Pierre Bonnaud Vincent Flauraud Pierre Moulier Jean-Claude Roc

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ÉGLISES

DE L’OUEST CANTALIEN

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omme tous les coins et recoins de France, les régions d’Aurillac et de Salers recèlent un patrimoine bâti exceptionnel, ici peut-être rendu spécialement spectaculaire par la conjonction d’une campagne profonde – très profonde à l’occasion – et d’un arrière-plan de montagnes qui impose ses normes particulières. Sans doute faut-il distinguer la Châtaigneraie et la Xaintrie, plus douces, surtout aux alentours de Maurs et de Laroquebrou, des secteurs proprement montagnards, autour de Salers et dans les hautes vallées de la Jordanne et de la Cère, mais l’altitude moyenne est élevée presque partout, et le climat pèse toujours sur l’esprit des constructions. Les maisons de pierre et de lave sont robustes par nécessité, et de même les églises, qui ne s’élèvent qu’assez rarement, préférant l’enracinement protecteur au risque de la bise. Ainsi, même si l’unité architecturale ne saurait être totale, ces contraintes sont généralement traduites dans la forme des toits et l’épaisseur des murs. La pierre locale a été systématiquement choisie, et les bâtisses semblent faire corps avec le paysage, qu’il s’agisse du granit et du schiste de Châtaigneraie, des basaltes du plateau de Salers ou des tufs et brèches des hautes vallées. La Haute-Auvergne n’a certes pas été à l’abri des influences ; elle a assimilé les grands styles pour ses églises : roman, gothique, assez peu le classique, puis massivement le néogothique et le néoroman du revival médiéval au XIXe siècle, mais des caractéristiques communes se dégagent parfois de ces constructions, témoignant de leur intégration au pays,

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Page de gauche : L’église de Saint-Cirgues-de-Jordanne avec son clocher à peigne, assis sur l’arc triomphal, à la jonction du chœur et de la nef.

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de leur acclimatation nécessaire, comme si rien ne pouvait survivre dans le Cantal qui ne soit dûment assimilé, adapté, coulé dans le moule, capable en un mot de se faire pleinement cantalien. Il en va ainsi des styles comme des hommes, en cette Haute-Auvergne parfois bien rude.

Brève introduction à l’histoire de l’ouest cantalien Le département du Cantal est formé pour l’essentiel de l’ancienne HauteAuvergne, partie méridionale et montagneuse de la province d’Auvergne. Si l’on en croit la toponymie, les « frontières » actuelles du Cantal, au sud, entre l’Aveyron et la Lozère, sont stables depuis l’époque gallo-romaine. Les toponymes formés sur le mot celte equoranda, ou sur le latin fines, et d’autres qui ont le même sens de « limite », y sont en effet nombreux, marquant la séparation du territoire des Arvernes de ceux des Gabales et des Rutènes. Il s’agit là d’une preuve étonnante de pérennité des frontières à travers le temps. Partie intégrante de l’Auvergne, la Haute-Auvergne fut officiellement distinguée de la Basse (qui forma le Puy-de-Dôme) dans les années 1250, quand on créa un bailliage des « Montagnes d’Auvergne » en vue de faciliter l’administration de ce vaste territoire. Cette distinction administrative fut ensuite confirmée au plan religieux par la création en 1317 du diocèse de Saint-Flour, mais le découpage du nouveau diocèse ne coïncida pas tout à fait avec les limites civiles : le Mauriacois, au nord-ouest, fut conservé à Clermont. La situation religieuse resta ainsi découplée jusqu’à la création du département, où le Mauriacois fut donné au diocèse de Saint-Flour et les limites religieuses et administratives enfin confondues. Aussi loin que nous remontons, l’unité de la Haute-Auvergne puis du Cantal est historiquement établie, en dépit d’une cassure géographique importante entre l’est (Saint-Flour) et l’ouest (Mauriac, Salers et Aurillac). Des différences manifestes, notamment au plan architectural, et la difficulté extrême des relations en hiver, d’ailleurs toujours prégnantes, ont pu entraîner quelques rivalités qu’il ne faut pas se hâter de juger seulement folkloriques, notamment entre Saint-Flour et Aurillac. En 1793, peu après qu’on ait fixé les limites des départements, les Sanflorains

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Aux environs du Puy Mary. 71


La sobre église romane de Saint-Vincent-de-Salers.

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réclamaient encore que l’on crée deux entités, l’une avec Aurillac pour centre, qui aurait compris le Mauriacois et rogné sur le Lot et la Corrèze, l’autre avec Saint-Flour, comprenant Murat, Brioude (Haute-Loire) et Saint-Chély (Lozère). Mais depuis 1789 les palabres avaient été longues et agitées entre les deux cités rivales (la trop chétive Murat se proposa également, arguant de sa centralité). Finalement, le poids de l’unité historique l’emporta, et l’on décida d’attribuer le titre de chef-lieu du département aux deux villes alternativement. À Saint-Flour échut la gloire jusqu’en novembre 1791, puis Aurillac prit son tour… et ne le rendit pas. L’unité de la moitié ouest du département, comprenant les arrondissements de Mauriac et d’Aurillac, est donc plus réelle que celle du Cantal en général. C’est là le vrai « pays vert », beaucoup plus arrosé que le Sanflorain, et voué plus tôt et plus fortement à l’élevage. Plusieurs « pays » individualisés divisent cependant ce secteur. Au nord, le Salersois est une région montagneuse dont l’architecture rurale témoigne d’une forte empreinte paysanne, même si les maisons de maître et les nombreux châteaux rappellent aussi que l’élevage, dans ces hautes vallées, constitue depuis longtemps une abondante source de richesse. La Xaintrie cantalienne, aux limites mal définies (et au nom mystérieux), autour de Pleaux, présente un climat plus doux et une architecture identique à celle du Bas-Limousin limitrophe. Plus bas, jouxtant le Lot et l’Aveyron, ce que l’on nomme aujourd’hui la Châtaigneraie (ou « Castagnal ») arbore une architecture résolument plus méridionale. Correspondant à l’origine au canton de Maurs et à une petite partie de ceux de Saint-Mamet et de Montsalvy, la Châtaigneraie d’aujourd’hui est en réalité plurielle. Le bassin d’Aurillac présente des toits plats de tuiles rouges, comme Maurs, tandis que le canton de Montsalvy affiche des toits démesurés, à fortes pentes

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Le village de Saint-Jacques-des-Blats, au pied du Puy Griou, photochrome de 1895.


Le petit village de Saint-Paul-de-Salers, au fond de la vallĂŠe.


et couverts de lauzes de schiste. Il y a donc au moins deux Châtaigneraies, l’une qui commence à l’ouest d’Aurillac et qui se poursuit jusqu’à Maurs, l’autre plus montagnarde, suivant une ligne Aurillac-Monsalvy. Les communications routières entre les deux sont d’ailleurs souvent difficiles. Si enfin nous remontons par l’est, le long de la frontière aveyronnaise, nous découvrons la petite région du Carladez, vieille entité politique dont le premier vicomte connu apparaît en 918. Le Carladez comprend essentiellement le canton actuel de Vic-sur-Cère, côté Cantal, mais aussi celui de Mur-de-Barrez côté Aveyron, deux moitiés que la Révolution n’a pas voulu raccommoder lors de la création du département, mais qui ont tout en commun, langue et architecture. On y retrouve les grands toits de l’est de la Châtaigneraie, dans des villages plus nombreux, plus denses et somme toute plus riches, touchant vite aux montagnes et à leur eldorado herbeux. Entre les montagnes de Salers et le bassin de Maurs, déjà représentatif du SudOuest, la variété est donc au rendez-vous. L’unité doit se chercher dans l’histoire mais aussi dans le caractère paysan de toute la région, Aurillac excepté. Deux éléments du paysage bâti semblent ainsi devoir particulièrement attirer l’attention du voyageur : les églises de village et l’habitat rural, car l’âme du Cantal est bien dans cette ruralité extrême, dans cette campagne mêlée de montagnes qui est aussi le pays de la vache, au point d’ailleurs que les sculpteurs romans, au XIIe siècle, en multiplieront les représentations sous les corniches des églises, alors même qu’elle était moins présente qu’aujourd’hui. Un peu comme s’ils avaient affaire à quelque animal tutélaire et sacré. Pour comprendre le Cantal occidental, il faut donc quitter les nationales (ce qui est très vite fait) et s’enfoncer dans les vallées, gravir les cols, longer les crêtes. Les distances ne doivent plus se compter en kilomètres, mais en temps de parcours. Notre voyage dans le patrimoine bâti des régions d’Aurillac et de Salers voudrait montrer, au-delà de la beauté des formes et de la magie de la pierre omniprésente, cette unité qui se cache derrière la diversité, cette profonde harmonie préétablie qui fait que l’homme n’a pas construit n’importe quoi n’importe comment, parce qu’il ne se trouvait pas n’importe où.

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LES ÉGLISES Nous n’allons pas présenter ici toutes les églises de l’ouest cantalien, mais insister seulement sur les éléments les plus caractéristiques et les plus en rapport avec l’identité rurale du territoire. On distingue trois grandes périodes. L’époque romane étonne par la fantaisie de ses sculptures ; l’époque gothique affiche une non moins étonnante sobriété de structure ; enfin le XIXe siècle est peut-être plus surprenant encore, quoiqu’assurément plus méconnu : la variété de ses créations et l’esprit régionaliste qu’il vit lentement émerger méritent réhabilitation.

Une floraison romane exceptionnelle Le « Bon Comte » Géraud d’Aurillac, fondateur de l’abbaye vers 895. Statue du XVII e siècle conservée dans l’abbatiale.

Notre visite doit commencer par l’abbatiale Saint-Géraud d’Aurillac, église énigmatique et en un sens peu représentative du corpus, en raison de ses vastes dimensions et de son caractère urbain, mais majestueuse et auréolée de son ancienneté. Une ancienneté aussi cachée que réelle, d’ailleurs, puisque toutes les époques se lisent dans son architecture : romane, gothique, moderne et contemporaine. Derrière ce patchwork de styles et d’époques se devine difficilement l’unité de l’église primitive, ou plutôt de la deuxième version de l’édifice, consacrée en 972, et qui a supporté toutes les restaurations, agrandissements et aménagements successifs. Il ne reste rien de l’église fondée par le Bon Comte Géraud vers 895. Sa Vita nous apprend qu’il fit venir des maçons et tailleurs de pierre en grand nombre pour construire l’église du monastère qu’il venait de fonder, et où il voulait exposer à la vénération les reliques dont il faisait ample moisson lors de ses nombreux et lointains voyages. Il subsiste en revanche le plan et un pan de mur de l’église de 972, reconstruite à la gloire du fondateur et placée sous son vocable. L’essentiel des parties anciennes relève cependant d’une troisième version, clairement romane, que vint consacrer en 1095 le pape urbain II venu prêcher la croisade en Auvergne. De cet édifice subsiste la plus grande part du transept et les arcs d’entrée des absidioles, où se trouvent d’ailleurs de belles peintures murales de la même époque, malheureusement invisibles au visiteur. Les chapiteaux encore en place, et une grande quantité d’autres, déposés ici et là,

Le clocher de l’abbatiale Saint-Géraud, construit à la fin du XIXe siècle. 7 6

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dans l’église même et ailleurs, témoignent du rayonnement d’un atelier de sculpture actif à Conques, Vailhourles et Nant en Aveyron, c’est-à-dire dans ce sud-ouest où s’échelonnait l’essentiel des dépendances de l’abbaye, tropisme qui survécut à la disparition de celle-ci et qui demeure à Aurillac. Ces chapiteaux sont presque exclusivement décoratifs, composés de rubans rainurés ou perlés, de palmettes aux feuilles creusées, de tiges entrelacées. Peu de personnages et d’animaux, mais une qualité de facture exceptionnelle qui signale la présence d’artisans chevronnés. Ceux-ci n’ont pas fait école dans le reste de la HauteAuvergne, à l’exception de Saint-Santin-Cantalès, dépendance de l’abbaye, où l’on compte plusieurs chapiteaux de style identique. D’autres se voient en diverses

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Deux éléments de sculpture aurillacoise. Un chapiteau (reconverti en bénitier) orné d’entrelacs et palmettes caractéristiques, ainsi qu’un étrange Samson, peut-être plus ancien.

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AURILLAC PAYS DE SALERS ET DE MAURIAC Regards sur un patrimoine

Statue de Gerbert

Vallée de la Jordanne

Aurillac, capitale du Pays Vert par Vincent Flauraud Paysages de l’ouest cantalien par Pierre Bonnaud Églises de l’ouest cantalien par Pierre Moulier Le village et l’habitat rural par Pierre Moulier

ISBN 978-2-86266-640-2

29 €

www.loubatieres.fr

L’épopée rustique de la race de Salers par Jean-Claude Roc


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