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ÉMONDE

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INTRODUCTION

INTRODUCTION

GÉRARD TITUS‑CARMEL

Dans le silence retrouvé, donc, je vais m’atteler à deux grandes peintures qui m’attendent, immobiles et blanches sur le grand mur du fond. Je crois déjà savoir quel chemin je vais leur faire prendre pour les mener à cette paix que je leur destine – que je nous destine –, c’est-à-dire que j’évalue en moi exactement la distance et l’ardeur que je me sens prêt à mobiliser pour qu’elles prennent la suite du bûcheronnage de l’année dernière, ce long travail de mise en espaces des formes de troncs d’oliviers (avec l’écheveau des nerfs ramené à l’autorité d’un large trait d’acrylique), qui scandèrent en noir, rouge et terre d’ombre (belle couleur de sang séché) la grande paroi de onze mètres de long où ils s’alignèrent avant que je ne les recouvre entièrement de blanc, les renvoyant ainsi à leur existence de fantômes. Ils ne sont plus là que pour la mémoire de ceux qui les virent surgir et disparaître.

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J’ai aimé cette expérience menée à Volx où je me suis plu à dé-peindre ces écorchés sous la chute d’une neige immaculée, silencieuse, étouffante. J’ai aimé peindre ces bâtis d’arbres n’ambitionnant plus rien du ciel, mais seulement réduits à leur seul dessin, hachurant régulièrement l’espace comme des balustres, légèrement biais. J’ai aimé aussi l’idée de les abandonner à leur solitude, avant de revenir six mois plus tard les enfouir sous plusieurs couches de peinture. On aurait pu badigeonner le mur et les effacer en les recouvrant vivement et sans égards, comme on efface d’un coup de chiffon un dessin à la craie sur un tableau noir. Mais je voulais peindre lentement cette disparition, comme lui donner une durée. Je voulais que ma décision de passer au blanc mon alignement d’oliviers soit aussi un geste de peinture et que je puisse en suivre progressivement l’enfouissement. Je voulais être pleinement présent pour tenir à bout de bras, jusqu’à la fin, ce récit d’un corps promis à l’aventure de la chair et que cette nouvelle épaisseur, secrète, définitive, vienne l’envelopper comme un linge, c’est dire sans même la consolation d’être une dernière peau. C’est alors devenu pur plaisir que de déposer à gré mes paquets de neige sur chacun des nœuds, ici et puis là, voyant disparaître ces morceaux d’écorce, ces torsions et ces branches comme autant de fragments offerts vifs au seul souvenir d’avoir pour un peu scandé cet espace de bout du monde. Bientôt, il ne resta plus que quelques taches informes parsemant par endroits le grand mur, comme des fleurs lentes à mourir. Puis les derniers coups de brosse passés sur la plus rétive, tout fut blanc et muet, comme si rien n’avait été dit ou vu. Et le silence retomba.

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