De l'eau à la lumière, un siècle d’énergie hydroélectrique en France

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DE L’EAU À LA LUMIÈRE UN SIÈCLE D’ÉNERGIE HYDROÉLECTRIQUE EN FRANCE PIERRE CRAUSSE FRANÇOIS VIEILLEFOSSE

LOUBATIÈRES


Cet ouvrage a été publié avec le concours de la Région Midi-Pyrénées Photogravure Vincent Risacher vincentrisacher@mac.com Achevé d’imprimer GN Impressions en octobre 2011 sur les presses de SEPEC à Péronnas (Ain)

Dépôt légal quatrième trimestre 2011 Imprimé en France ISBN 978-2-86266-649-5 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2011 10 bis, boulevard de l’Europe – BP 50014 31122 Portet-sur-Garonne cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr


PIERRE CRAUSSE & FRANÇOIS VIEILLEFOSSE

DE L’EAU À LA LUMIÈRE UN SIÈCLE D’ÉNERGIE HYDROÉLECTRIQUE EN FRANCE

LOUBATIÈRES


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DE L’EAU À LA LUMIÈRE

Maîtriser la force de l’eau Durant des millénaires, l’humanité a fait preuve d’imagination et d’audace pour exploiter la force de l’eau, qui s’est révélée être un des facteurs essentiels du développement des civilisations antiques. C’est ainsi que naquit « l’hydraulique », dont les précurseurs vivaient dans le « croissant fertile », la vallée de l’Indus et le Nord de la Chine, il y a plusieurs milliers d’années. Durant la période allant de –4 000 à –500 avant J.-C., l’eau des rivières et des fleuves servit principalement pour l’irrigation en vue du développement des surfaces cultivées afin d’alimenter la population croissante dans ces régions. Puis l’eau a été captée et distribuée par gravité, en creusant des canaux et en ajoutant des barrages pour le stockage. En Mésopotamie et en Égypte, les techniques d’irrigation se firent à grande échelle, après des études consciencieuses des écoulements d’eau effectuées par des scientifiques, ces derniers calculant les déversoirs, les pentes, les débits.


Les régions de l’Indus et du fleuve Jaune, en Chine, connurent un développement similaire de l’irrigation. Avec la croissance de la population, des villes apparurent et il devint nécessaire de cultiver des surfaces toujours plus grandes, situées toujours plus en altitude. Vers le IIIe siècle avant notre ère, le système gravitaire d’irrigation devint insuffisant pour satisfaire les besoins en eau de ces civilisations. C’est à cette période qu’apparut la noria. Cette machine emblématique d’une nouvelle irrigation était une grande roue à ailettes, mue par le courant d’eau d’une rivière ou d’un fleuve. Munie de godets sur le côté, la noria permettait de récupérer de l’eau à chaque passage des godets sous le niveau du cours d’eau et d’alimenter ainsi les canaux d’irrigation. Le principe est simple, mais les contraintes du terrain

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Une noria.

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et des régimes des cours d’eau demandent ingéniosité et obstination pour créer des machines fiables et pérennes. Grâce à elle, l’eau pouvait être « remontée » en grande quantité pour arroser des terres plus hautes que le cours d’eau et aussi faire tourner d’autres norias. Le commerce et les échanges étant importants durant l’Antiquité, la noria se diffusa rapidement et massivement. Ce fut à l’époque une invention capitale ; elle est d’ailleurs toujours utilisée dans certains pays. Entre-temps, au IVe siècle avant J.-C., le grec Alexandre le Grand conquit le Proche et le Moyen-Orient et donna à la civilisation hellénique un rayonnement remarquable. La Grèce fournit des scientifiques exceptionnels dans tous les domaines et en particulier dans l’hydraulique. Parmi eux, Archimède (–287 : –212) qui mit au point une machine géniale pour l’irrigation : la vis d’Archimède. S’il fut géomètre et mathématicien, Archimède peut être considéré comme le premier « hydraulicien ». N’oublions pas son principe : « Tout corps plongé dans un fluide au repos, entièrement mouillé


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Utilisation de la noria dans la campagne égyptienne en 1908.

par celui-ci ou traversant sa surface libre, subit une force verticale, dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé ; cette force est appelée poussée d’Archimède. » Autre hydraulicien grec de génie, à la même époque : Ctésibios. Il fut le concepteur de la pompe à deux pistons, toujours utilisée pour l’irrigation. On lui doit aussi le perfectionnement d’une horloge hydraulique, la « clepsydre ». Comme nous l’avons vu, les premières machines hydrauliques furent inventées pour les besoins de l’irrigation. On put dès lors cultiver des céréales en plus grande quantité, mais celles-ci avaient besoin d’être moulues. À l’origine, le broyage des grains était réalisé à la main, avec un pilon, mais là encore il fallut innover pour pouvoir moudre en plus grande quantité et avec un effort moindre. La noria fut utilisée pour faire tourner une meule ; le principe du moulin était ainsi mis en évidence.


L’ère des moulins à eau

Cependant, les roues des moulins avaient depuis toujours une faible productivité. La moitié de la force de l’eau était perdue dans les frottements et les écoulements parasites.

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La turbine hydraulique : une invention française ?

Une roue de moulin.

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Si l’on présume l’existence de moulins à eau en Chine dès le IVe siècle avant J.-C., la première trace écrite date du Ier siècle avant J.-C. en Turquie, faite par le géographe grec Strabon. C’était une roue hydraulique verticale qui entraînait une meule pour moudre le grain. La première description technique détaillée d’un moulin fut faite par l’architecte romain Vitruve. C’était encore une roue verticale entraînée par-dessous, reliée à un axe horizontal muni en bout d’une roue dentée. Cette dernière entraînait à son tour un axe denté vertical relié à la meule mobile. Pour alimenter ces nouveaux moulins, toutes les méthodes d’adduction d’eau (canaux, barrages) étaient largement maîtrisées depuis des siècles pour l’irrigation. La civilisation romaine, qui domina l’Occident, permit la diffusion de la technique hydraulique dans tous les territoires conquis par les légions impériales. Et comme les Romains développèrent l’alimentation en eau pour leurs nouvelles villes, avec notamment des aqueducs grandioses, les moulins trouvèrent leur place au cœur de ce nouveau système hydraulique. Outre le broyage des grains, les moulins à eau furent utilisés au fil des siècles suivants à de multiples fonctions. Ils servirent à couper du bois, au travail des métaux, à la filature. On les installa en grand nombre même sur les plus petits cours d’eau. Toute nouvelle implantation de population était accompagnée de la construction d’un moulin à eau. Des bateaux-moulins – les moulins à nefs – furent aussi inventés pour profiter du courant des fleuves. Plus tard, le Moyen Âge fut une période d’explosion démographique, induisant un développement important des moulins. À la fin du XVIIIe siècle, veille de la révolution industrielle, le nombre de moulins en France se comptait par dizaines de milliers.



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Moulin fortifié de Bagas en Gironde.

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Certains scientifiques s’intéressèrent alors de près à ces machines hydrauliques, car la révolution industrielle débutante en Europe nécessitait de meilleurs rendements afin de mieux répondre à la forte croissance de la production industrielle. Parmi ces scientifiques, le Suisse Daniel Bernouilli (17001782) réalisa de nombreux travaux et recherches, jetant la base de l’hydrodynamique, science traitant des fluides en mouvement. En 1754, Leonhard Paul Euler (1707-1783), autre mathématicien suisse, réfléchit à l’amélioration de l’écoulement de l’eau dans les roues hydrauliques pour en augmenter le rendement. L’idée d’Euler fut de « distribuer » l’eau tout autour de la roue horizontale, autrement dit répartir le flux d’eau sur l’ensemble des aubes de la roue d’un moulin. Il y adapta aussi le principe du tourniquet à eau, le même que celui de nos jardins. La roue imaginée par Euler était constituée d’une couronne d’admission d’eau en partie haute et d’un ensemble de tuyaux coudés en bout, assemblés en forme de cône. La roue tournait dans le sens opposé à celui de l’écoulement de l’eau, particularité du tourniquet. La solution était là, mais les travaux d’Euler restèrent au stade de dessins et de maquettes. Plusieurs décennies passèrent. La révolution industrielle trouva dans la machine à vapeur, perfectionnée par James Watt (1736-1919), son outil de production d’énergie à grande échelle. Les moulins à eau continuèrent à moudre, à scier ou à forger avec leur faible rendement. Ils eurent du mal à lutter contre les machines à vapeur qui pouvaient être installées n’importe où, sans la contrainte de l’indispensable présence d’un cours d’eau souvent capricieux. En 1820, le français Claude Burdin reprit les travaux d’Euler. Burdin était enseignant à la toute nouvelle École des Mines de Saint-Étienne et pensa lui aussi à l’application industrielle d’une roue hydraulique à haut rendement. Il récupéra l’idée du distributeur mais, contrairement à Euler, il le plaça à l’intérieur de la roue. Cette dernière, toujours horizontale, était une couronne constituée de tuyaux à section rectangulaire. Ces tuyaux étaient placés en quinconce pour éviter que les jets d’eau en sortie ne se rencontrent, réduisant ainsi les perturbations d’écoulement. Claude Burdin installa, en grandeur nature, plusieurs roues de sa conception, dans le département du Puy-deDôme, aux moulins d’Ardres et de Pont-Gibaud. En 1824,


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Roue d’Euler.

afin d’obtenir un prix technique, il écrivit un mémoire sur ces travaux, mais il n’obtint qu’une médaille au lieu du premier prix. Ce mémoire apporte la preuve qu’il est l’inventeur du mot turbine, qui désigne ce nouveau type de moteur hydraulique (du latin turbis – ce qui tourne en rond). À l’École des Mines, Claude Burdin eut un élève nommé Benoît Fourneyron. Quelques années plus tard, devant le succès des turbines Fourneyron, Burdin dira ceci : « Au moins, si je n’ai pas fait de bonnes machines, dira-t-on, j’aurais fait un bon machiniste, ce qui vaut mieux. » Bel hommage du maître à l’élève ! Benoît Fourneyron (1802-1867) a donc été élève à l’École des Mines de Saint-Étienne. Il s’intéressa aux roues hydrauliques, par le biais notamment des travaux de Claude Burdin. Après obtention de son diplôme à 17 ans, il collabora au projet de la première ligne de chemin de fer en France : Saint-Étienne – Andrézieux. Il participa ensuite à l’installation de forges dans le Jura qui utilisaient la force hydraulique. Fourneyron ne put que déplorer le faible rendement des roues hydrauliques utilisées dans ces forges. Il n’avait pas oublié ses cours d’hydraulique et travailla à créer la « turbine idéale » dès 1823. Il brigua aussi le premier prix de la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale, récompense absolue pour un ingénieur de l’époque. En 1827, Fourneyron installa dans une forge de Franche-Comté, où il travaillait, une turbine de conception innovante d’une puissance de 6 CV et avec l’excellent rendement de 83 %. Tout fonctionna à merveille mais le succès industriel se fit attendre, ainsi que la récompense du concours technique. Quelques années plus tard, en 1832, le jeune ingénieur trouva son premier client, François Caron, industriel possédant des hauts-fourneaux à Dampierre et à Fraisans au bord de la rivière Doubs dans le Jura. Une roue de 2,2 m de diamètre avec une puissance de 50 CV fut mise en route, et là encore avec succès. Le 3 juillet de la même année, Fourneyron déposa un brevet pour son modèle de turbine et de roue qu’il dénomma « roue à pression universelle et continue ». Il obtint enfin le premier prix de la Société d’Encouragement deux ans plus tard, en 1834. Ce fut le début d’une réussite internationale. La turbine Fourneyron est ainsi considérée comme l’ancêtre des turbines hydrauliques modernes. Elle utilisait le principe du tourniquet à eau, comme l’avait initié Euler. L’eau


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Turbine Fourneyron.

Turbine Jonval.

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y circulait de haut en bas, et du centre vers l’extérieur. Elle entraînait en rotation la roue, et était expulsée sous l’effet centrifuge. Cette turbine possédait un système réglable optimisant l’écoulement dans les aubes de la roue en fonction du débit disponible. Le rendement de plus de 80 % était excellent et l’application industrielle fut assurée. Cette turbine était construite en fer, matériau qui permit des adaptations et des


évolutions rapides, contrairement à la grande majorité des roues des moulins qui sortaient des ateliers de charpentiers. Fourneyron créa sa propre fabrique de turbines à ChambonFeugerolles près de Saint-Étienne, et fit installer à travers le monde plusieurs centaines de ces machines hydrauliques. En 1837, Fourneyron mit en place son modèle de turbine dans une filature, à Saint-Blaise, au sud de Fribourg en Allemagne. Des conduites d’eau de 500 m de long furent installées sur la montagne voisine pour créer deux chutes, de hauteur 108 et 114 m. Après quelques déboires sur ces conduites, ce fut encore une réussite et Fourneyron ouvrit la voie prometteuse de l’installation de chutes d’eau dans les montagnes.

Turbine Fontaine.

Turbine Girard de 10 m de diamètre, mise en service en 1868 à l’usine élévatoire de Villers-les-Rigault (Seine-et-Marne).

Parallèlement aux travaux de Fourneyron, d’autres Français inventèrent leur propre turbine hydraulique. Citons Fontaine en 1840, et Jonval en 1841. Chacune de ces turbines présentait une innovation et leurs évolutions furent nombreuses. La turbine Jonval fut largement diffusée aux ÉtatsUnis, par l’entreprise alsacienne Kœchlin. Mais il faut également citer Borda, Sagebien, Poncelet, Cadiat, Callon, Bourgeois, André, Canson, qui ont œuvré à l’amélioration des roues hydrauliques et, pour certains, inventé leur propre turbine à eau. Alors qu’il avait travaillé comme d’autres à l’amélioration de la roue horizontale, le français Louis-Dominique Girard (1823-1871) perfectionna en 1854 la classique roue verticale des moulins. Il conçut un système de réglage du débit d’eau par l’intérieur de la roue. Ce type de turbine hydraulique a été largement installé dans les Alpes pendant plusieurs décennies, jusqu’à l’avènement de la roue Pelton au début du XXe siècle.

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L’apport du Nouveau Monde La révolution industrielle avait désormais gagné le Nouveau Monde. Les États-Unis développaient une énorme industrie, notamment de filatures dans la région de Boston. De nombreux ingénieurs s’occupèrent de l’installation et du développement de turbines hydrauliques pour ces entreprises textiles qui utilisaient des chutes d’eau. En 1838,


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Gravure du système Howd d'alimentation périphérique de l'eau (1838).

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un mécanicien américain Samuel B. Howd inventa une nouvelle turbine, dans laquelle l’admission de l’eau se faisait en périphérie et non par le centre, contrairement aux turbines Fourneyron. Mais le succès ne fut pas au rendez-vous pour S. B. Howd et, injustement, son idée devait être récupérée par un certain James Bicheno Francis dix ans plus tard. Dans les années 1840, les turbines Fourneyron ont été importées et même fabriquées aux États-Unis. C’est alors que l’américain Uriah Boyden (1804-1879) s’inspira de la turbine française pour créer sa propre turbine, munie d’un tube d’alimentation conique – et non plus cylindrique –, ainsi que d’un diffuseur après la roue, pour améliorer le rendement. En 1844, Boyden installa sa première turbine dans la ville industrielle de Lowell près de Boston, grand centre industriel de filatures de coton. Cette turbine avait une puissance de 75 CV et un rendement de 78 %. D’autres installations de ces turbines Boyden suivirent rapidement, avec des puissances de l’ordre de plusieurs centaines de chevaux et des rendements de plus de 80 %. Les Américains choisirent définitivement le fer et l’acier pour la construction des roues et des turbines. Ce fut un facteur de développement important, car les ingénieurs et les constructeurs pouvaient créer des pièces de formes plus complexes et variées, en utilisant la fonderie et la chaudronnerie. La longévité et la précision étaient aussi plus grandes avec l’emploi du métal. À la fin des années 1840, James Bicheno Francis (18151892), qui avait émigré aux États-Unis à 18 ans depuis l’Angleterre, était employé comme ingénieur à Lowell près de Boston. La compagnie pour laquelle il travaillait, gérait à la fois des filatures et la construction de canaux pour l’alimentation en eau des usines. Amené à installer des turbines, Francis reprit l’idée de Samuel B. Howd – admission périphérique de l’eau – et l’adapta sur une turbine Boyden. Après de nombreux tests, il déposa un brevet en 1848 : la turbine Francis était née. Elle est, aujourd’hui encore, la turbine la plus utilisée dans le monde. Contrairement aux ingénieurs français, qui calculaient et dessinaient sur le papier toutes leurs futures machines, les Américains pratiquèrent une méthode appelée « cut and try » (coupe et essaie), consistant à réaliser de nombreux essais grandeur nature de toutes sortes jusqu’à l’obtention de bons


résultats. Et cela marchait ! Les Américains devinrent leader dans la conception des turbines hydrauliques. De cette époque, les archives techniques regorgent de modèles de turbines en tout genre.

Le Grésivaudan, berceau des hautes chutes

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Roue Francis moderne.

Mais revenons en France vers 1860. Dans les Alpes, le Grésivaudan – la vallée de l’Isère entre Grenoble et Chambéry –, devint le cœur d’aménagements de chutes d’eau. Ce sont plus particulièrement des papetiers qui furent à l’origine des premières installations hydrauliques. Leurs fabriques avaient besoin d’énergie mécanique et d’eau pour faire fonctionner les défibreurs de bois. Les turbines hydrauliques possédaient désormais un bon rendement et Fourneyron avait ouvert la voie de l’utilisation d’un petit débit d’eau sous une haute chute. Charles Joya a été le premier à relever le défi dans cette région de France. En 1863, il mit en place une conduite à Saint-Martin-d’Uriage pour la cimenterie Vicat. Puis, en 1865, Amable Matussière (1828-1901) lança l’aménagement, dans la commune voisine de Domène, d’une chute d’eau de 30 m pour une papeterie. Cet ingénieur de l’École Centrale des Arts et Manufactures, originaire du Cantal, était installé depuis 1856 à Domène, sur les bords de l’Isère. D’un voyage d’affaires en Allemagne, il revint convaincu du bien-fondé de l’exploitation des chutes d’eau. Matussière incita un ancien camarade de l’École Centrale, Alfred Frédet (1829-1904), à venir travailler sur ces projets de papeteries et de hautes chutes. Ensemble, ils furent à l’origine de plusieurs installations de papeteries, avec turbines et conduites, notamment à Pontet, près de Pontcharra. Puis Alfred Frédet continua seul et fit équiper à Brignoud près de Domène, entre 1867 et 1872, une chute de 137 m, surmontant les nombreux problèmes techniques. Avec une puissance de 1 400 CV, cette chute hydraulique resta, jusqu’en 1878, la plus puissante des Alpes.


Papeterie Frédet à Domène (Isère).

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l’Ariège pour présenter un nouveau défibreur hydraulique. Matussière était intéressé par le produit, mais aussi par l’homme. Et, comme avec Frédet et Neyret, il invita Bergès à venir dans le Grésivaudan visiter les toutes nouvelles installations et y apporter des améliorations. C’est ainsi que Bergès découvrit le remarquable travail déjà réalisé par tous ces hommes du Grésivaudan. Refusant l’association que lui proposait Matussière, Bergès s’installa près de Grenoble et envisagea d’installer une papeterie couplée à une chute hydraulique de grande ampleur.

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D’autre part en 1864, Amable Matussière persuada également un jeune ingénieur stéphanois, Jean-Baptiste Neyret, de venir contribuer au développement de ces nouvelles installations hydrauliques. Neyret s’associa à Matussière et Frédet, puis créa sa papeterie à Rioupéroux dans la vallée de la Romanche. Ses descendants se tournèrent plutôt vers la construction de turbines, pour donner naissance à la société Neyrpic, mondialement connue dans ce domaine encore aujourd’hui. Lors d’une visite à l’Exposition universelle de Paris en 1867, Amable Matussière rencontra le papetier pyrénéen Aristide Bergès (1833-1904). Ce dernier était venu de


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L’eau qui devient électricité, ce n’est pas de la magie, mais une illustration de la capacité de l’homme à maîtriser la nature. Dénommée « houille blanche » à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’hydroélectricité fut un extraordinaire outil de développement industriel de vallées isolées. L’hydroélectricité connut son âge d’or après la Seconde Guerre mondiale, où elle devint « énergie nationale » et symbole de la renaissance économique du pays. Aujourd’hui, cette énergie renouvelable représente environ 12 % de la production française d’électricité. L’histoire de l’hydroélectricité méritait bien un livre pour relater le travail réalisé par tous ses pionniers : les premiers inventeurs de turbines hydrauliques, les papetiers qui ont installé les premières chutes d’eau, l’essor industriel qui s’en est suivi, les chantiers des barrages et des centrales hydroélectriques qui ont surgi sur tout le territoire en quelques décennies. Ce livre est dédié aux ouvriers, techniciens et ingénieurs qui ont œuvré à cette formidable aventure industrielle et humaine.

Pierre CRAUSSE a fait l’essentiel de sa carrière d’enseignant-chercheur à l’ENSEEIHT (École Nationale Supérieure d’Électronique, d’Électrotechnique, d’Informatique, d’Hydraulique et des Télécommunications de Toulouse) où il fut directeur du Département de formation hydraulique et mécanique des fluides. Il est l’auteur d’un ouvrage consacré à l’histoire de l’hydroélectricité dans les Pyrénées. François VIEILLEFOSSE travaille à la maintenance de centrales hydroélectriques pyrénéennes. Admirateur du travail réalisé par les pionniers de l'hydroélectricité, il s’est passionné pour l’histoire de ce patrimoine, notamment en contribuant au site Internet www.hydroweb.fr

ISBN 978-2-86266-649-5

35 € 9 782862 666495


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