L’Éternité et après

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Cet Éternité et après, douzième tome de L’Europe et la Profondeur, apparaît comme un ouvrage de transition faisant passer le « grand récit » de P. Le Coz d’une écriture encore structurée en chapitres – comme c’est le cas dans la première partie (« Le repos pendant la fuite en Égypte ») – à une autre qui, elle, ne se développe plus qu’en la forme de « Variations » (au sens musical) brassant tous les thèmes précédemment abordés dans le cours de cette Profondeur (« Cahiers de L’Europe et la Profondeur »). Ce pour quoi le lecteur qui prendra le risque de s’aventurer en ces « landes sauvages »-scripturaires ne devra plus tant y rechercher l’exposé d’une « pensée », fût-elle « la plus profonde », que la confrontation avec l’a-byssalité que recèle en essence l’« exercice de toute pensée ». Par quoi, ce qui était à l’origine l’emprunt par ce même lecteur d’un chemin censé le conduire vers une « vérité » (peu important laquelle) se transforme insensiblement en l’apprentissage d’un vertige (pensif-scripturaire)… où il s’agit, pour le lecteur comme pour l’auteur, en se déshabituant progressivement de tout, non plus tant, justement, de « penser » que de sonder. Ce pour quoi aussi la méditation cardinale de cet ouvrage – l’examen des rapports qu’entretiennent le « temps » et l’« éternité » – se diversifie en d’autres, selon, moins métaphysiques… voire tout ce qu’il y a de plus actuel et concret : effectuant pratiquement par là le projet qui était à l’œuvre dès le début de l’écriture de cette Profondeur – rien de moins que la rédaction d’un « livre total », c’est-à-dire d’un ouvrage où aucune des dimensions ordinaires de la « pensée » (philosophie, théologie, économie politique, critique littéraire ou picturale, etc.) ne serait a priori exclue – ; à ce seul bémol que les illustrations de ces diverses catégories se voient retournées en le sens de la poursuite, par un scripteur « à peine identifié sous le nom de (qui on sait) », de, cette fois-ci, une toujours unique « ligne de fuite » : celle indiquée dès le premier chapitre du premier livre de ce « grand récit »… et dont ce même « scripteur », à douze tomes d’intervalle, n’a dans le fond jamais dévié.

PIERRE LE COZ

L’Éternité et après

L’Éternité et après

PIERRE LE COZ

ISBN 978-2-86266-787-4

Le Tintoret (1518-1594), La Fuite en Égypte (1587). © Cameraphoto / akg-images

29 €

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www.loubatieres.fr

Pierre Le Coz est né en 1954. Ses premiers textes ont paru en 1993 dans la revue N.R.F. Il a publié depuis de nombreux livres : poésies, romans, récits de voyage et essais. Il a fait paraître aux Éditions Loubatières une vaste Somme, L’Europe et la Profondeur, dont le présent ouvrage est la « continuation par d’autres moyens ».

LOUBATIÈRES

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Maquette : Éditions Loubatières Photogravure et impression : GN Impressions ISBN : 978-2-86266-787-4 © Éditions Loubatières, 2020 Sarl Navidals 1, rue Désiré-Barbe F-31340 Villemur-sur-Tarn www.loubatieres.fr


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Pierre Le Coz

L’ÉTERNITÉ ET APRÈS (Douzième tome de L’Europe et la Profondeur)

Loubatières


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À Josette Reynaud


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Première partie

Le repos pendant la fuite en Égypte


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J’avais achevé mon précédent ouvrage, Le Secret de la domination (Loubatières, 2018), par la rédaction d’un vaste roman « époqual-autobiographique » dont le « sujet » n’était rien de moins que la mutation du cours d’un devenir étant insensiblement, dans cette époque, passé de l’écoulement d’un « temps-pour-rien » à celui d’un « temps (toujours)-en-vuede » ; et mutation dont seul en effet le « genre » romanesque pouvait pratiquement rendre compte : en mettant désormais en scène, non plus des concepts et des idées, mais des personnages et des « situations » ; et cela afin que, pour reprendre les mots de Lautréamont, il soit « communiqué » à ma thèse – seulement exposée jusque-là en la forme d’un essai : celui de cette Profondeur – « une puissance moins abstraite »… et donc, par cela même, plus susceptible d’ouvrir les yeux du lecteur sur ce qui, en ce « siècle nôtre », est véritablement à l’œuvre. Ce pourquoi aussi j’avais pu qualifier ce roman d’« époqual » : non qu’il rende compte en quelque façon des événements soi-disamment « importants » survenus sur le cours (essentiellement futile) de l’actualité de cette période – à peine ceux du Onze Septembre sont-ils mentionnés (et d’ailleurs plus pour des raisons de datage chronologique que pour autre chose) – ; mais parce que j’avais essayé d’y montrer comment cette insidieuse (et cependant immense) mutation du cours du devenir opérait sur la vie quotidienne des gens, des « personnages » ; et d’une manière sans doute, quoique sournoise, bien plus profonde que si ceux-ci avaient été pris en la tourmente de quelque « grand évènement » historique – comme cela se passait jadis : quand il y avait encore de tels « grands événements » (c’est-à-dire : quand il y avait encore de l’« histoire ») – tels que guerre, révolution et autres cataclysmes historiaux aisément identifiables. Et par le même raisonnement j’avais également montré que si cette « époque nôtre » souffrait d’un déficit de « grand récit » et autre œuvre littéraire-artistique de quelque envergure (« depuis 1954 » – date de naissance de l’auteur de ces lignes – d’après Debord), cela ne tenait pas tant au fait qu’un tel « grand évènement » eût manqué à notre temps… qu’à celui que, bien qu’étant effectivement survenu (en cette forme insidieuse-immense), personne n’avait été en mesure de l’identifier et, par suite : comme Saint-Simon avec le règne de Louis XIV, ou Chateaubriand avec la Révolution et l’Empire, ou Stendhal avec l’épopée 7


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napoléonienne, ou Flaubert avec la Révolution de 1848, ou Rimbaud avec la Commune, ou Proust avec l’Affaire Dreyfus, ou Céline avec la guerre 14-18, ou Claude Simon avec la débâcle de 1940, etc., en tirer le « grand œuvre » qui naît toujours de la survenue de tels traumatismes historiaux – et « grand œuvre » qui n’est lui-même rien d’autre que la tentative de la langue pour intégrer/imprimer à son cours de tels « traumatismes » : ce pour quoi tous les auteurs que je viens de citer sont d’abord et avant tout des inventeurs de langue – ; et déficit de grand récit, on le comprend à présent, non tant dû à un manque de « talent » ou de « génie » de la part des auteurs de ce temps… que de leur incapacité à « identifier » clairement cet « évènement » même – ce que l’un des narrateurs du Bloc de Jérôme Leroy (roman analysé dans mon Ancien des jours) exprime en ces termes : Tu aurais pu faire un grand roman si tu avais identifié [c.m.q.s.] l’instant précis où l’on change de monde, si tu avais trouvé la date, l’évènement ou les événements qui ont permis, aidé ou marqué le passage. Peut-être qu’il n’existe pas, ce moment, ou peut-être qu’il y en a trop, qu’ils sont arrivés dans un brouillard diffus sur plusieurs années (…) Tout ce que tu peux faire, c’est en observant certaines attitudes, en entendant certaines conversations, dire si elles appartiennent encore au monde d’avant, comme des survivances émouvantes, ou si on est déjà de l’autre côté. Mais où l’on comprend également pourquoi mon « grand roman » époqual-autobiographique ne vient qu’après (tout de même) onze tomes de l’« essai » de cette Profondeur : parce qu’il aura fallu à son auteur rien de moins que cette immense recherche et cavalcade sur le papier pour parvenir à une telle « identif(ication) » – et non tant d’ailleurs de cet « instant précis où l’on change de monde » que de la nature très subtile d’un tel « change(ment) » intervenu dans le cours même du devenir – ; et « identif(ication) » après quoi le roman, ayant enfin trouvé sa légitimation : son vrai « sujet », a pu s’écrire rapidement et comme facilement : alors que (comme je l’explique dans ce même Secret), et malgré de multiples tentatives (moi qui, en général, n’ai pas pour habitude de laisser en plan mes travaux manuscrits et autres chantiers littéraires), je n’y étais jamais parvenu auparavant. Cette Profondeur aura donc constitué, pour finir, comme les « prolégomènes » à la rédaction du roman intitulé « Soldat et jeune fille souriant » (troisième partie de ce Secret de la domination) ; et ouvrage qui, normalement, aurait dû la clore ; ce pourquoi je donne au livre que 8


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LE REPOS PENDANT LA FUITE EN ÉGYPTE

je commence présentement – et qui devrait (si je parviens à son terme) constituer le douzième tome de cette Profondeur – le titre de « L’Éternité et après » : parce qu’en effet l’écriture de ce roman aurait dû (normalement) constituer, en le mode d’un accomplissement, la « fin » de cette « éternité » – celle de la rédaction de la Profondeur – ; sauf que comme on le sait, et par définition, l’« éternité » n’a pas de « fin » – et pareillement de l’écriture. Il me faut donc, et peut-être malgré que j’en aie, poursuivre ; et poursuite qui, bien que « pour-suivant », doit désormais toujours avoir à l’esprit que, sur son cours : celui de l’écriture de cette Profondeur, « quelque chose » s’est accomplie, a été consommée ; et « quelque chose » qui, du fait de sa survenue, en cette forme romanesco-littéraire, à présent actée, exige que cette écriture, pour (se) poursuivre, change à nouveau de mode – je veux dire : ne soit pas une simple « pour-suite » de la Profondeur mais bien son très conscient « pour-suivre » ; mais « (pour-)suivre » de quoi au juste ; et que peut-on en effet continuer d’écrire une fois que l’« éternité », en le mode d’un tel accomplissement de ce que sa « durée » avait recherché/pour-suivait, est achevée (la réponse à cette question ne pouvant donc être… que la rédaction même de cette Éternité : à commencer bien sûr par celle de son après) ? On se rappelle de la (profonde) boutade de Kafka : « L’éternité c’est très long, surtout vers la fin » ; mais où l’on voit par cette sentence que ce qui, en cette « éternité », fait question : intrigue et fascine, c’est bien ce qui, en elle : en sa « long(ueur) », tout en « tendant-vers » (au sens des suites mathématiques) sa fin, ne « finit » en réalité jamais : si bien que, alors que cette « fin » est d’une certaine façon toujours-déjà survenue : dans mon livre en la forme terminale-littéraire de la rédaction de ce « grand roman » époqual-autobiographique, elle se « poursuit » cependant, et cela en le mode d’une fin qui n’en finit pas de finir – les mathématiciens disent : d’« approcher infiniment de sa limite »… sans pouvoir jamais l’atteindre – ; et alors que pourtant cette « limite » est bienconnue, établie à l’avance : quoique mettant toujours entre elle et ses « pour-suivants » l’epsilon d’un intervalle à la fois in-fîme… et cependant in-fini. Si bien aussi que, en le mouvement d’un tel « tendre-vers », ce qui toujours se dérobe à nous, ce n’est pas tant cette « fin » ou cette « limite » que l’élément en lequel cette même « fin » (toujours-déjà survenue) pourrait avoir loisir d’(en-fin) « finir » – et élément qui, dès lors, ne pourrait être que son « après » : étant clair que, tant que cet « après » n’a pas com9


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mencé, il ne saurait y avoir de « fin » pour cela qui, en cette « fin », cherche… à finir (et n’y parvient pas… parce que, pour cela, il faudrait que ce cela qui, en cette « fin », ne veut pas « finir », accepte d’accomplir le pas qui, en le mode du saut, le fasse instantanément « pas(ser) » d’un avant – qui constitue toute la durée, tout le « très-long » de l’éternité – à un après sans manières de celle-ci). Où l’on comprend par là que le mot important du titre du présent ouvrage n’est pas tant celui, toujours peu ou prou galvaudé, de cette « éternité » que celui de cet (de son) « après » ; et « après » qu’il me faut donc, en la forme de l’accomplissement d’un tel « saut », tenter de gagner… par la rédaction (elle aussi « sans manières ») de ce livre même qui, bien qu’ayant désormais sa « fin » derrière lui, se doit de, cette « fin », continuer in-finiment de la « pour-suivre » ; ce que l’on peut encore exprimer en disant que, si cette Profondeur est désormais terminée, elle n’est pas, elle ne sera jamais finie : puisque pour cela il faudrait qu’elle parvienne à gagner cet « après » de l’« éternité » (qui bien sûr, par définition, n’existe pas : « L’éternité c’est très long »… tant qu’on n’a pas trouvé le moyen de déboucher en son « après »)… qu’elle a depuis son début parcourue et décrite. Or l’étrange justement (ou peut-être, sans doute : le très logique et nécessaire), c’est que les temps que nous vivons, et notamment ce printemps 2016 où j’écris ces lignes/entame ce nouveau tome de la Profondeur, semblent illustrer eux aussi la même « situation » : celle d’un monde qui, bien qu’ayant lui aussi désormais (comme mon « éternité ») sa « fin » derrière lui, ne parvient pourtant pas à gagner l’« après » de cette « fin » (de cette « éternité ») – et « après » qui, comme on l’a vu, est seul susceptible de permettre à cette « fin » de (enfin !) « finir » –, si bien que l’impression que me font les événements de ce même printemps – manifs de « casseurs », blocages, menaces de nouveaux attentats et autre mouvement de ces « Nuit debout », etc. – est celle, peu ou prou lassante, d’un suprême rabâchage – dont le « rabâcheur en chef » serait par exemple l’ennuyeux Lordon (qui s’imagine que, parce qu’il pimente son Marx d’un soupçon de Spinoza – qui n’en peut mais ! –, il va bouleverser les sphères)… voire le pathétique Nancy de ce récent Que faire ? (où, assez paradoxalement, son auteur examine plein de questions en se gardant bien – peut-être échaudé par le précédent de 68 : tous ces « penseurs » qui ont attendu une révolution qui, pour finir, n’est jamais survenue – de répondre à celle qui, pourtant, fait le titre de son pâle opuscule) – ; et « rabâchage » qui, dans le fond, n’exprime rien d’autre que le fait que ces gens, bien qu’ayant en effet le sentiment (lucide) qu’un monde 10


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est en train de « fin(ir) », sont tout à fait incapables de faire advenir concrètement cette « fin » : c’est-à-dire de passer-à l’après de celle-ci qui, bien que (donc) advenue, continue, en le toujours même mode vu plus haut d’une « fin qui n’en finit pas de finir », de durer in-finiment (en risquant, je le crains, de le faire encore « très long(temps)) » ; et cela sans doute parce que tous ces gens, bien qu’armés des « meilleures intentions du monde » : quoique celui-ci soit encore et toujours (bien qu’officiellement mort) celui « d’avant » du personnage de Leroy, sont parfaitement impuissants à imaginer quel « après » pourrait succéder à une telle « fin »… qui, par conséquent : faute d’un tel « après », ne peut que continuer de durer (in-finiment). Et en effet, que peuvent faire d’autre des gens qui, bien qu’ayant tout à fait conscience de la fin de leur « monde », sont cependant incapables, du fait sans doute que leurs catégories de pensée appartiennent encore à ce monde même (pourtant mort), d’en imaginer un autre : l’« après » de son « éternité » : ne savent que rabâcher les toujours mêmes vieilles recettes et autres (fausses) solutions… que ce monde même, en s’effondrant, a rendues obsolètes ? (Et c’est pour quoi par exemple, pour revenir une dernière fois à l’affligeant Que faire ? du triste Nancy : sorte de Hessel (!) de la philosophie, le contenu de cet opuscule tient tout entier en cette unique phrase qu’un monde finit et qu’un autre commence… et que (donc) nous sommes dans une période de « transition » : la belle affaire… et la belle platitude – qu’aurait aussi bien pu (et probablement de manière plus claire et moins prétentieuse que notre philosophe de haute-volée) affirmer n’importe quel participant à l’émission C dans l’air !). De l’agitation de ce même « printemps 2016 », d’autres commentateurs ont pu dire qu’elle ressemblait à celle qui avait précédé puis accompagné l’autre printemps de 1968 – à ce considérable bémol toutefois (que ces commentateurs ont omis de préciser) que ce printemps-ci s’était tout de même accompagné d’une grève générale de près de dix millions (!) de travailleurs : la plus grande de toute l’histoire du mouvement ouvrier, non seulement national, mais aussi international (et c’est bien cela qui, plus que l’agitation « estudiantine », avait réellement inquiété les autorités de l’époque : ce pourquoi également, aujourd’hui, lorsqu’on revient sur l’histoire du « Mai français », on se garde bien de le rappeler : préférant n’en conserver que son folklore « soixantuitard » et donc « estudiantin » (avec toutes les revendications et autres slogans débiles qui allaient avec)) – ; mais par quoi l’on voit aussi que le parallèle entre les deux « Mai » n’est 11


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pas si judicieux que cela (en vérité : parfaitement inepte) : puisque, tandis que le premier avait réellement fait souffler un vent de panique sur les autorités en place (ces ministres et autres députés qui se faisaient faire par leur propre administration – ou ce qu’il en restait – de « vrais-faux » passeports pour fuir à l’étranger !), il ne semble pas que le second, cinquante ans plus tard, inquiète beaucoup les mêmes ; et cela sans doute parce que ces gentils « Nuit debout », non seulement ne représentent pas grand-chose ni grand monde mais, de plus, ne font que rabâcher des idées et des propositions qui il y a cinquante ans, parce qu’en ce temps-là elles étaient au moins nouvelles, avaient tout de même plus de lustre et de capacité d’inquiètement : ce pourquoi, à ces mêmes « Nuit debout », les médias témoignent dans le fond tant de complaisance ; et complaisance qui dit bien que nos sympathiques indignados à la française ne constituent aucun danger réel pour la présente domination qui, pour l’instant, laisse faire… en attendant de les expulser de leurs places sitôt que l’Euro de foot aura commencé (et qu’on aura besoin de ces places pour les transformer en « fan-zones » : après « Nuit debout », « Fan (ou Foot) debout » ?) : comme cela s’est d’ailleurs vu, avec d’autres Indignados, en 2015 à Barcelone lors de la victoire en coupe d’Europe du club local (par ailleurs, comme le faisait remarquer récemment un journaliste de droite, que feront tous ces boy-scouts du gauchisme et de l’alter-mondialisme si, par exemple, en 2017, ils ont à choisir entre une Le Pen et un Hollande ? il est probable qu’ils voteront tous, quoique peut-être en se bouchant le nez, pour le candidat contre le gouvernement duquel, en ce moment, ils se disent « en révolte » : tant le réflexe pavlovien-« antifasciste » sera toujours plus fort, chez ces aimables gogos, que leur amour prétendu de toute « radicalité »). « Mai 68 », disait le même narrateur de ce Bloc, était encore une « révolution du monde d’avant » – mais du moins ayant encore eu lieu en ce monde même : « d’avant » – ; tandis que ce « Mai 2016 », pâle remake, « rabâchage » de cette « révolution d’avant », a lieu lui dans le « monde d’après » : ceci expliquant sans doute le côté kitsch et comme anachronique d’une « agitation qui s’agite »… contre des choses déjà mortes, contre un monde qui a rédhibitoirement « passé ». Le grand fantasme de ces « Nuit debout » est de s’imaginer que, en occupant quelques places de Paris ou de province, ils « (re)font (de) l’histoire » ; mais c’est sans voir que, pour cela, il faudrait d’abord qu’il y ait encore, en ce « monde d’après » : posthistorique et sans devenir « pour rien », quelque chose comme de « l’histoire » – ou plus exactement : quelque chose comme un élément où cette « histoire » ait 12


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loisir de, à nouveau, se déployer – ; mais « élément » qui, de toute évidence, fait défaut à notre temps : si bien que, en celui-ci, on a beau s’agiter et se révolter, toute cette agitation et cette révolte, parce que toujours, dans le fond, dirigées contre quelque chose qui, déjà : toujours, n’est plus là, sont condamnées à demeurer (historialement) vaines et stériles (et même si, par exemple, ce projet de « loi El-Khomri » était, pour finir, retiré : les « Nuit debout » eux-mêmes ne cachant d’ailleurs pas qu’il n’est à leurs yeux qu’un prétexte à de plus vastes opérations historiques). Et d’une certaine façon on peut même ajouter ceci que cette agitation est non seulement vaine mais de plus peut-être, en se révoltant contre quelque chose qui est mort, qui a pris fin, contre-productive : en ceci qu’elle rend une sorte de vie a un cadavre qui, normalement, ne devrait plus bouger – prolonge son coma depuis longtemps pourtant « dépassé » – ; et par là alimente encore le processus vu plus haut de cette « fin qui n’en finit pas de finir » : alors que d’évidence, en ce genre de situation, la seule chose à faire est de prendre acte de cette « fin » en passant tout de suite et sans manières à l’« après » de celle-ci et de son interminable « éternité » (ou « agonie » : en, pour continuer de filer ma métaphore médicale, « débranchant le malade »). Par quoi l’on voit qu’une telle agitation, ne dérangeant finalement que les « riverains » des places occupées… et les automobilistes menacés par la « pénurie de carburant » – plus généralement : les fameux « usagers (toujours) pris en otages » par le mouvement (quoique s’en déclarant « solidaires » : l’impression d’avoir vu cela déjà dix-mille fois !) –, ne menace finalement pas grand chose mais, par contre : en le mode de ce rabâchage vu plus haut, prolonge ce qui, normalement, devrait être depuis longtemps mort, « dé-passé » et « fini » – non sans que bien sûr, en cette agitation, certaines organisations ne voient le moyen inespéré d’accroître à bon compte leur visibilité médiatico-spectaculaire : dont cette grotesque UNEF (habituel sous-marin pourtant du PS) qui a le front de se poser en syndicat représentatif de l’ensemble de la « jeunesse » – cette « jeunesse » qui elle, pendant ce temps, s’apprête à voter en masse, en 2017, pour la candidate FN : par cela même assurément plus « représentative » de celleci que les permanents et autres bureaucrates du syndicat étudiant (reçus pourtant en grande pompe, et comme s’ils « représentaient » quoique ce soit, à Matignon ou à l’Élysée) –… voire de cette étonnante CGT qui, légitimement inquiète de ses pauvres résultats dans les « élections de branches », n’a rien trouvé de mieux, pour redorer son image ébréchée de défenseuse de la cause ouvrière, que de jouer cette fois-ci la carte de la 13


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radicalité et du jusqu’auboutisme (puisque celle du réformisme et de la négociation paritaire, en ces mêmes élections, n’avait apparemment pas marché). Si donc je me suis résolu à « pour-suivre » l’écriture de cette Profondeur – qui normalement a trouvé sa « fin » avec la rédaction de mon « grand roman » époqual-autobiographique –, ce ne sera sûrement pas dans le but, à l’exemple des pathétiques activistes de ces « Nuit debout », d’alimenter en quelque façon le processus peu ou prou mortifère de cette « fin » d’un monde qui, bien que « fini », n’en « finit pas de finir » : plutôt pour transporter sans « transition » (ô Nancy !) mon lecteur en l’après de cette « fin » ; et « après » qui seul est susceptible de signifier à cette « fin » et à son « éternité » qu’elle a justement… pris fin : étant clair que, tant qu’on n’a pas « sauté » en un tel « après », une telle « fin », bien qu’ayant officiellement « pris fin », peut durer encore très longtemps – et toujours pour la même raison que « l’éternité c’est très long, surtout vers la fin » : c.m.q.s. – ; et « très long(temps) » qui, quoique théoriquement achevé, peut durer encore, et selon, in-finiment ou in-définiment : tant la force de l’habitude, en la forme d’une sorte d’inertie historiale, peut très bien faire que nombre de gens – dont ces « Nuit debout », en leur mode activiste-suranné, sont un exemple parmi d’autres – continuent pendant « très long(temps) » à habiter un monde qui pourtant est depuis « long(temps) » mort et « fini » ; et cela on l’a vu, non tant parce qu’ils n’ont pas appris la nouvelle de cette « mort » et de cette « fin » : ils sont au contraire les premiers à, cette nouvelle, l’annoncer et la proclamer, que parce qu’ils ne savent pas en quoi au juste a consisté cette « fin »… et ce qui, en celle-ci, a véritablement fini : si bien que, quoiqu’ayant abstraitement très conscience que cette « fin » a eu lieu, ils continuent pratiquement de faire (de vivre, d’agir : voire de « s’indigner » et de se « révolter ») comme si cette « fin » n’avait jamais « pris fin » (car, pour que quelque chose finisse, il faut non seulement qu’elle cesse mais aussi que ce « processus de cessation » même prenne lui aussi « fin » : car sinon il peut encore durer « très long(temps) »). Car ces gens, pareils en cela à l’impayable Nancy, se trouvent déjà bien bons de se dire qu’ils vivent dans une période de transition (plus ou moins sans doute, dans leur esprit, « progressive ») ; alors qu’en ces sortes de processus il n’y a jamais, justement, quelque chose de l’ordre d’une telle transition : soit cela arrive, soit cela n’arrive pas ; mais de toute façon, si cela arrive, cela prend toujours la forme d’une rupture, selon, « joyeuse » (Debord) ou 14


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« tragique » (Aron) ; et rupture qui, si l’on en croit le même Debord parlant, lui, de la Renaissance, est essentiellement « rupture avec l’éternité », c’est-à-dire entrée directe et sans transition dans l’« après » de celle-ci. Par quoi l’on voit en tout cas (sous la plume d’un Nancy comme de tant d’autres) combien est inepte ce concept de « transition » (comme si, dans la mesure où nous sommes ces créatures en proie au temps, nous ne vivions pas toujours en une « période de transition » !) : l’urgence philosophique consistant bien plutôt ici (au lieu d’aller rabâchant de telles platitudes et autres (savantes) fadaises) à tenter de comprendre en quoi a consisté cette « rupture-avec »… l’« éternité » et, par suite, à essayer d’expliquer, non pas quand : puisque, pour la « rupture » qui nous concerne, il n’y a pas eu de « date » précise pour « marqu(er) le passage » (Leroy), mais bien comment cette « éternité » a pu prendre « fin » ; car sinon, et comme je l’ai déjà dit, nous risquons encore « long(temps) », et bien que nous en soyons officiellement sortis, de, en cette même « éternité », demeurer : pour n’avoir pas su pointer en quoi au juste a consisté sa « fin ». Cette notion de « transition », dont excipent tous ces philosophes (voire même seulement ces journalistes), exprime donc parfaitement, non tant la situation de cette époque, que celle de tous ces gens qui, bien que très conscients du fait que quelque chose, en leur monde, a pris fin, ne voient pas du tout de la « fin » de quoi il s’agit au juste : ce que déjà dans mon Auvergne, méditant sur l’inflation en notre temps des mots d’« authentique » et « authenticité », je formulais en écrivant que « nous savons que nous avons perdu quelque chose, mais ignorons quoi » – phrase qui, « réactualisée », donnerait à peu près ceci : « Nous savons que quelque chose, en notre monde, s’est “fini”, mais nous ignorons encore quoi et comment cela s’est fini » (et ignorance qui fait que, pour nous, rien n’est vraiment « fini » : si bien que, pour nous aussi, tout, et malgré que nous en ayons, se « pour-suit » comme « avant »). Ce concept de « transition » – que se flattent d’illustrer tant de nos contemporains (intellectuels, médiatiques, politiques et autres cultureux) – est donc encore en définitive le meilleur moyen de ne rien comprendre à ce qui arrive/est (déjà) arrivé en ce temps – et donc par là : de prolonger encore « long(temps) » la fin-n’en-finissant-pas de ce temps – ; et pour cette raison que celui qui pense vivre en une telle période de « transition » – idée qui, dans le fond, ne mange guère de pain : « n’apporte aucune pelure d’orange à l’ondée de lumière » (de la lucidité) – ne risquera pas de passer sans transition à l’« après » de cette « fin (de l’éternité) » que j’ai dit ; et « après » sans lequel cette « fin », rebaptisée donc (pour raisons 15


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de confort intellectuel… et (confort) tout court) « transition », risque de durer encore « très long(temps) » : en le mode on l’a vu de ces « fins » qui, sous le glorieux-progressiste nom de « transition », n’en finissent pas en vérité de finir. *** Il n’est pas difficile de pointer que le grand conflit époqual-actuel s’organise grosso modo entre « mondialistes » et anti-« mondialistes », ou encore libéraux et anti-libéraux, ou encore (pour reprendre les catégories d’un Christophe Guilluy) France des centres urbains « boboïsés » et « France périphérique », ou encore (pour reprendre cette fois-ci mes propres catégories) entre Empire et Royaume : c’est-à-dire entre une puissance qui, via l’unique préconisation de la « liberté du marché » : celle dont Marx disait qu’elle était surtout « la liberté du renard dans le poulailler », ne recherche rien d’autre que la spatialisation du temps – en le mode donc de ce devenir « (toujours) en-vue-de (quelque chose) » – et une « résistance » qui, elle, s’efforce d’agir dans le sens à peu près exactement contraire ; c’est-à-dire celui – en le mode par conséquent d’un devenir, lui, « pour-rien » – d’un combat (peu ou prou « spirituel ») pour la liberté de ce même temps (même si je le crains les présents activistes de ce printemps (2016) – parce qu’encore prisonniers des catégories « progressistes, trop progressistes » de « droite » et de « gauche » – ne sont probablement pas conscients du véritable enjeu du conflit où, pourtant, ils sont entrés : ce pourquoi, je le crains aussi, leur activisme sporadique-folklorique risque fort de tourner rapidement à l’eau de boudin de tant de « luttes parcellaires » qui ont précédé la leur présente… sans jamais enrayer quoique ce soit en la machine lancée à vive allure de cet « Empire » que je dis). Car tant que la nature réelle – celle de ses buts temporello-amalécites – de cet Empire n’aura pas été dévoilée – comme j’essaye de le faire ici : avec le (très relatif ) succès de réception que l’on sait –, aucune lutte (et aussi « radicale » soit-elle) ne saurait s’opposer efficacement au processus peu ou prou irrésistible de son déploiement inconditionné ; et déploiement qui, d’ores et déjà, touche à peu près tous les domaines de la vie humaine-quotidienne : en la forme de ce que j’ai décrit dans mes précédents ouvrages comme un « grand remplacement »… non tant « de peuple » – comme le croit le très-en-dessous-dela-vérité penseur Renaud Camus (et à sa suite à peu près tous les « nationaux-populistes » de cette infortunée époque) – que de monde (ce 16


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pourquoi j’ai pu qualifier plus haut ce même Empire d’« amalécite » : en tant que, dans mon analyse, « Amaleq » n’est rien d’autre que le nom (peu ou prou démoniaque) de cette « conception qui pose que le monde n’est rien d’autre que le produit de ma volonté et de mon travail » et conception qui, bien sûr, ne peut que s’opposer à celle d’inspiration biblique (et par conséquent : « royaumaire »), qui voit elle en ce même monde le fruit d’une Création divino-amoureuse). Et ce pourquoi également, presque depuis le début de la rédaction de cette Profondeur, j’ai préconisé comme seule forme d’opposition réellement efficace au déploiement (en apparence) irrésistible de cette puissance impérialo-amalécite celle d’un combat spirituel (au sens que, dans sa Saison, Rimbaud donne à cette expression) ; mais qualificatif de « spirituel » (comme s’empresse d’ailleurs de le préciser le même Rimbaud) qui ne signifie pas que ce « combat » ne dusse pas être « aussi brutal que la bataille d’hommes » – et probablement même beaucoup plus (« brutal ») : dans la mesure où, si ce « combat » doit avoir lieu, il ne pourra prendre que la forme terminale et « antéchristique » qu’ont prévue de longue date la tradition et les Écritures (et je sais bien que ce genre de considérations risque fort de faire immédiatement refermer, par mon lecteur rationaliste et « moderne », le présent ouvrage – mais enfin, ce « lecteur », je ne puis pas toujours en ménager les susceptibilités philosophiques et autres convictions (« rationalistes et modernes » donc) ; et cela d’autant plus que celles-ci ne sont elles-mêmes rien d’autre que le masque derrière lequel « Amaleq », sans y souscrire nullement lui-même : le « diable » n’est pas si bête !, a coutume de dissimuler ses agissements et autres « machinations »)… Mais pour revenir au présent « combat » en cours – et censé être dirigé contre une certaine loi-travail (dite aussi « El Khomri ») –, je vois bien qu’il y a en cette lutte, quoique menée par des activistes encore « progressistes, trop progressistes », quelque chose de cet ordre – je veux dire : quelque chose de l’ordre de ce « combat spirituel » et (donc) anti-amalécite ; et cela sans doute parce que ce à quoi s’opposent aussi bien ces « Nuit debout » que ces « gros bras » cégétistes (voire : ces « black blocs » amoureux de l’émeute) – pour lesquels, comme je l’ai dit au développement précédent, je n’éprouve pas de sympathie particulière (mais enfin il faut bien faire avec ce que l’on a) – n’est pas tant les « forces de l’ordre » (qui n’en peuvent mais… tout en s’en prenant « plein la gueule ») qu’une certaine « conception », justement, du sens de ce mot de travail ; et « conception » qui, du fait notamment de son souci de cette fameuse « flexibilité » : mais « flexibilité » de qui ou de quoi au juste ?, est 17


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d’évidence et encore d’inspiration amalécite : puisque, comme je l’ai déjà montré dans mon analyse d’un autre « printemps » – celui 2013 de la « Manif pour tous » : cf. les pages de L’Atelier du silence que j’ai consacrées à ce mouvement –, l’un des buts d’Amaleq est, pour procéder donc à ce « grand remplacement » de monde, de commencer par changer le sens des mots… en le mode justement d’une « flexibilisation » qui on le voit, avant de s’exercer sur les humains en général (et les « travailleurs » en particulier), est d’abord d’ordre sémantique (puisque portant, en ce printemps 2016, sur la notion de « travail » comme, au printemps 2013, sur celle de « famille »). On peut donc dire que, d’une certaine façon, l’« agitation » qui préside à ce printemps en cours : dans le moment où j’écris ces lignes, ne fait rien d’autre qu’avérer la prévision que je faisais au cours de l’autre « printemps » d’il y a maintenant trois ans ; et comme quoi désormais toutes les luttes sociales (2016 : contre la « loi El Khomri ») ou « sociétales » (2013 : contre la « loi Taubira ») à venir auraient pour objet le sens des mots – et par extension (que l’idéologue néo-progressiste vulgaire qualifierait sans doute d’« essentialiste » : j’ai déjà répondu, en ma Profondeur, à cette objection de type en réalité « sophistique ») : la vérité des choses (celle donc, ici, « travail » ou « famille »). On s’étonnera peut-être que je mette ici sur le même plan un combat mené par des gens d’évidence « de droite » (et même de celle « extrême ») et « réactionnaires » – celui donc de cette « Manif pour tous » de 2013 – et un autre illustré par des activistes qui sont à peu près tout le contraire : « de gauche » (et même de celle « extrême ») et progressistes ; et pourtant, si l’on se place dans la perspective anti-amalécite-impériale que je viens d’ébaucher, ces deux luttes contre deux lois – prétendant à chaque fois changer le sens d’un mot : celui de « travail » pour (au nom de la fameuse exigence de « flexibilité » de celui-ci : pour mieux répondre, comme on dit, « à la concurrence internationale ») celle El Khomri ; celui de « famille » (au nom de la non moins fameuse exigence de l’« égalité des droits » : pour mieux (cor)respondre, comme on dit aussi, à celle entre homos et hétéros) pour celle Taubira –… sont en réalité les mêmes : au sens où en effet, dans les deux cas, elles ne cherchent rien d’autre qu’à préserver la vérité de la chose-« travail » comme celle de la chose-« famille » ; et si, dans mon Atelier, j’ai suffisamment médité de la seconde pour n’y plus revenir, il me faut m’étendre à présent un peu plus longuement sur la première… et notamment sur sa notion de « flexibilité » – dont les promo18


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teurs de cette « loi-travail » ne cachent nullement que c’est là son explicite but : cette « flexibilité » même – ; et cela en montrant qu’une telle exigence (censée répondre donc – en conférant plus de « souplesse » à la production – à la « concurrence internationale ») est encore d’inspiration temporelloamalécite : au sens où cette flexibilisation du « travail » – et accessoirement : du « travailleur » – ne signifie en dernier recours rien d’autre que la flexibilisation du temps lui-même (tout cela entrant bien sûr dans le projet plus général de ce « grand remplacement » de monde ourdi par Amaleq… et auquel forcément – et peut-être : au premier chef – même le « temps » de ce « monde » ne saurait pour finir échapper). Bien sûr, ce combat au sujet du temps – ici donc : « de travail » – ne date pas d’hier : ayant toujours constitué, depuis au moins cent ans, la principale revendication des « organisations ouvrières » (tant politiques que syndicales) – et dans le sens évidemment de l’abaissement progressif de ce même « temps de travail » – ; mais où l’on voit qu’ici, par cette exigence à présent de « flexibilité du travail » et (accessoirement) de ses « travailleurs », c’est encore autre chose qui, à ce « temps » (celui de ce « travail » et de ces « travailleurs »), est demandé : rien de moins cette fois-ci que la flexibilité de son devenir qui devra, suivant les exigences du « marché » et de la production devant « répondre » à cellesci, se faire, selon, plus rapide ou, au contraire, plus lent – plus pressé ou plus paresseux – ; ce qui, traduit concrètement, signifie à peu près ceci que (comme cela se voit déjà, paraît-il, en Allemagne) le travailleur devra adapter, non plus son temps (de travail) : qui pourra aussi bien demeurer le même, que le rythme de ce travail… aux exigences de la production : devant par exemple, si cette production n’a pas besoin de lui, rester chez lui à ne rien faire durant un « certain temps », puis, si cette production soudain « le sonne », venir travailler beaucoup plus longuement et intensément (à une semaine où il n’aura, par exemple, travailler que quinze heures pouvant aussi bien succéder une autre où il lui en faudra faire cinquante-cinq : on imagine l’existence au « temps brisé » de cet infortuné « prolétaire » ! – ; et ceci bien sûr dans le meilleur des cas : celui où ce même prolétaire ne se fait pas (toujours pour des raisons de « flexibilité du travail » : de « réponse » aux exigences fluctuantes de la production) tout simplement « virer » de son emploi. Par quoi l’on voit que ce qui est ici, en dernier recours, recherché, ce n’est même pas la « flexibilisation du travail » que celle, en le mode d’une élasticité de son devenir : une semaine « relâchée », l’autre « (à flux) tendu(e) », du temps lui-même : par où se dévoile encore une fois ce projet amalécite d’un « grand remplacement » de monde – à 19


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commencer par celui du temps de ce monde même – ; et projet contre lequel combattent, sans, je le crains, le savoir, tous les opposants à cette « loi-travail » : étant déjà par là, comme leurs prédécesseurs du printemps 2013 (alors que, sans doute, les activistes de celui 2016 voient plutôt ceuxci comme leurs adversaires politiques), entrés en la lice de ce « combat spirituel » que je dis : anti-impérial, anti-mondialiste et, surtout, anti-amalécite (ne leur restant finalement, pour rendre ce « combat » réellement efficace, qu’à accéder à la conscience de la nature « spirituelle » – royaumaire et (toujours) anti-amalécite – de celui-ci : même si, je le reconnais, ils ont, pour parvenir à une telle conscience, encore beaucoup de chemin – tant philosophique que théologique (pauvre Lordon ! pauvre Badiou ! pauvre Piketty ! pauvres, pauvres déchets d’un progressisme marxiste parvenu au dernier point de sa décomposition idéologique) – à parcourir !). Car la pensée que j’expose ici, et pour « délirante » qu’elle puisse apparaître à ces gens, a au moins cette supériorité sur la leur d’être nouvelle : n’étant justement le produit d’aucun rabâchage philosophique ou idéologique – seulement le fruit d’une observation à la fois passionnée et lucide de ce qui est en train d’arriver à/en ce monde ; et avènement qui, en son déroulé à la fois très rigoureux et parfaitement imprévisible, risque d’en stupéfier plus d’un : car qui peut savoir ce qui ressortira du chaudron des sorcières qu’est cette époque ? « Quelque chose » sans doute est déjà arrivé – et peut-être même il y a très longtemps – mais l’annonce de ce « quelque chose » est encore en voyage – comme le rayon de la mort ou de la naissance d’une étoile – : si bien que, en cet intervalle : qui n’est on le voit aucune sorte de période de « transition », tout le monde s’agite beaucoup, et dans tous les sens : vers la « droite » comme vers la « gauche » ; tout le monde cherche, doute, campe sur ses positions ou, au contraire, les apostasie brutalement, espère ou, selon, désespère ; mais toujours, dans le fond, sans savoir : car ce « savoir », ici, ne consiste pas tant en une révélation qu’en la prise de conscience de ce qui est déjà là – de ce qui, peut-être, a toujours-déjà été là – mais que nous ne voyons pas parce que, comme il est dit dans le Prologue johanique, nos yeux demeurent fermés à la « lumière » : La lumière a lui dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas reconnue. [c.m.q.s.] 20


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Phrase qui, me semble-t-il, résume parfaitement la « situation » de notre présente époque ; et notamment par ce petit préfixe « re » de ce « reconnue » qui dit bien que nous disposons déjà de tout ce qu’il nous faut savoir, mais qu’au fond, de ce « savoir » : de cette « lumière », nous ne savons encore que faire ; et peut-être parce que, pour nous approprier un tel savoir : pour vivre simplement à une telle « lumière », il ne nous manque qu’un mot : qui est sûrement, comme une perle au fond de son océan textuel, au sein de cette Profondeur – mais joyau que mon lecteur doit à présent dégager de sa gangue de vase époquale et autre limon accumulé par des âges abolis – ; si bien que, quoiqu’ayant reçu la « lumière », cette époque continue d’errer en ses « ténèbres » : parce que celles-ci, quoique sachant qu’elles recèlent désormais en elles cette « lumière » : quoique la « connaissant » toujours-déjà, ne parviennent pourtant pas à la « re-conn(aître) » ; et « situation qui peut aussi bien durer encore mille ans que s’abolir instantanément demain : ce pourquoi le mot de « transition » du pathétique Nancy est probablement le moins indiqué de tous pour, cette « situation », la décrire le plus objectivement (et ce pourquoi aussi je lui ai préféré ici celui d’« intervalle »… qui a au moins ce mérite de ne rien garantir du tout : alors que celui de cette « transition » – parce que sans doute encore trop entaché de « progressisme » – fait miroiter cette illusion d’une sorte de nécessité à l’œuvre en ce genre de processus… qui n’en a en vérité jamais). M’étant en tout cas bien clair qu’en ce type d’« affaires (historico-historiales) » il ne saurait y avoir quelque « transition » – où tout s’avancerait lentement-progressivement vers on ne sait quel à-venir (plus ou moins) « radieux » – qui tienne : puisque « tout », en celles-ci, se joue toujours à quitte ou double, la vraie question étant donc de savoir qui, en toute cette agitation, est réellement disposé à un tel « quitte ou double »… et qui ne l’est pas : à mon avis (pour cette seconde hypothèse) l’immense majorité, non seulement de la population de ce pays, mais aussi celle sans doute des activistes de ces « Nuit debout » (sans parler même a fortiori de ces « gros bras » stalino-cégétistes) qui probablement, si le processus qu’ils ont pourtant eux-mêmes mis en branle devait s’accélérer in-finiment, seraient les premiers à aller « se coucher » (ce pourquoi, dans le fond, cette notion de « transition » est si commode parce que permettant en réalité à tous ces progressistes plus ou moins « radicaux » de conjurer l’effroi qui les saisit secrètement à la perspective d’un tel « quitte ou double »… qu’il leur va bien falloir pourtant illustrer s’ils 21


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veulent, comme ils disent : ou prétendent ?, faire « bouger les lignes »). Ce pourquoi aussi sans doute, dans le même livre où est mentionné ce mot de « transition » : l’insignifiant Que faire ? du même Nancy, il n’est, somme toute assez paradoxalement, préconisé aucun « faire » de quelque sorte et un tant soit peu concret, et cela sans doute aussi parce que son cryptomarxiste/crypto-heideggerien – quoique dans les deux cas : toujours désenchanté – auteur sait bien qu’il ne dispose en ses arsenaux philosophicothéoriques d’aucun « modèle » ou « idéal de remplacement » (pour reprendre l’expression – citée en son temps par l’Encyclopédie des Nuisances – d’un cheminot de la « Paralysie de l’hiver 1995 » : en cela, bien que certes moins savant, plus lucide que le « philosophe » Nancy)… susceptible de donner envie à ses détenteurs de se risquer en un tel « quitte ou double » (historico-historial) ». Car à bien observer ces activistes, tous plus « anti-libéraux » les uns que les autres, on comprend vite que, si leurs critiques de ce (néo)libéralisme sont en tout point excellentes : n’y ai-je pas (peu ou prou) souscrit moi-même ?, de telles doléances ne sauraient opérer effectivement dans le réel brut et toujours « rugueux » : puisque, une fois passée la période de rédaction de leurs « cahiers (de doléances », donc), rien n’est en vérité et en-suite proposé : aucun, donc, « idéal de remplacement » (à moins bien sûr de couper à la proposition de recyclage – celle du « golem maoïste » (Baudinat) Badiou… déjà plus qu’à moitié gâteux : mais Nancy d’une certaine façon (quoique plus prudente et (philosophiquement) plus précautionneuse) l’est presqu’autant – de l’ancien « modèle » marxiste… que l’histoire (argument auquel aucun, justement, « marxiste » ne saurait rester sourd) a de toute évidence, en la forme d’un « rendu-obsolète » de ses thèses, définitivement/rédhibitoirement sanctionné). Ce pourquoi mon livre, quoique composé par quelqu’un de bien moins savant que tous ces philosophes (Lordon, Nancy) et autres « économistes atterrés » (Piketty et consorts), a au moins cette supériorité sur les leurs – « écrits de combat » du « chargé de recherche au CNRS » (tout un oxymore rien qu’en un tel intitulé) Lordon, ou « écrits politiques » de Nancy : dont l’éditeur nous annonce fièrement le rassemblement en un unique ouvrage (mais perspective qui, si ces « écrits » sont tous du calibre de ce grotesque Que faire ?, ne peut que faire bailler d’ennui à l’avance ceux qui veulent vraiment que les choses changent – que (donc) « les lignes bougent ») –… de proposer un « modèle de remplacement » et le « faire » – dont on peut penser ce qu’on veut mais qui a le mérite d’exister – qui va avec : celui donc de la construction rapide et sans transition de quelque 22


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« Europe pauvre et pieuse » dont j’ai exposé le projet de mise en place dans mes ouvrages précédents (cf. notamment, dans Le Secret de la domination, la partie intitulée « Situation de l’Europe »). Un tel « projet » ne peut bien sûr être que rejeté avec dégoût par tous les théoriciens du progressisme agonisant que je viens de citer – et probablement aussi par ceux, moins anti-libéraux, du néo-progressisme actuellement dominant – ; et cela sans doute parce que tous – progressistes et néo-progressistes : pour une fois au moins d’accord – y verront à l’œuvre une pensée « de droite » (sinon d’« extrême » droite) – alors que j’ai montré qu’une telle catégorie politique (la « droite » – et aussi bien d’ailleurs : la « gauche » – ne pouvait pas me concerner –, « réactionnaire » (sinon « archi »-réactionnaire) – alors que j’ai montré aussi que je suis plutôt un « résistant » (au sens de 1940) –, voire même de type « fasciste » – alors que mon projet est sans doute le seul moyen de sauver la démocratie (ou ce qu’il en reste) en cet infortuné continent – ; toutes critiques et autres « levées de bouclier » de la « bien-pensance » – tant progressiste que néoprogressiste – qui, on le voit, tombent instantanément à l’eau… pourvu qu’on veuille bien examiner sans préjugés – progressistes ou néo-progressistes – mes arguments et « raisons ». Par ailleurs, il est probable aussi que l’attaque la plus virulente contre ceux-ci viendra de, justement, cette « extrême »-droite national-populiste – qui discernera sans doute en mon projet européo-« souverainiste » une insupportable atteinte au sien seulement nationalo-« souverainiste » – ; à quoi il me faut répondre par ceci que, si j’avais pu adapter ce projet à la seule France (ou Allemagne, ou Espagne, ou Italie voire pourquoi pas ?… Bretagne (!), etc.), je l’aurais sans nul doute fait ; mais, dans les circonstances présentes : le cadre (uniquement) « national » étant de toute évidence trop étroit pour sa mise en place, il m’est apparu que seul l’espace européen – tant géographique et politique que géo-stratégique et civilisationnel – pouvait être en mesure de, ce « projet », le recevoir et l’illustrer. M’étant en tout cas clair que si nous avons quelque chance de museler (« réguler ») ce fameux « capitalisme financier » et son idéologie néo-libérale déchaînée, cela ne pourra se faire qu’à un niveau européo-continental : tous les autres, nationaux… voire a fortiori régionaux, ne faisant d’évidence pas le poids (c’est ainsi que les « souverainistes » bon teint – cf. Dupont-Aignan – et autres « frontistes » convaincus – cf. Florian Philippot – vont proclamant que l’Europe de Bruxelles n’est que le « cheval de Troie » du mondialisme – ce qui n’est pas faux –, 23


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et « Europe » faisant venir ce continent comme une sorte de protectorat politico-économique de l’hyper-puissance américaine – ce qui est sans voir que, si nous quittions cette structure européo-bruxelloise – qui certes, pour accueillir mon « projet » devra être réformée de fond en comble –, la « petite » France, ou la « petite » Allemagne, ou la « petite » Italie – sans parler même de la « micro » Bretagne… ou Catalogne –, etc., le seraient, de tels « protectorats », bien plus encore : car qui peut croire que n’importe quelle « nation » européenne, et aussi « souveraine » de son destin soitelle, puisse mettre en œuvre une autre politique – par exemple et au hasard : anti-libérale – que celles qui se décident ordinairement à Washington ou à Pékin ?). Par quoi l’on voit que cette posture « souverainiste » est sans doute le meilleur moyen pour les « petites » nations européennes… de perdre encore un peu plus de leur (si précieuse… mais dans le fond parfaitement illusoire) « souveraineté » : ce pourquoi aussi, si je me suis lancé en la rédaction de cet immense Europe et la Profondeur – ouvrage où est comme rassemblée l’entièreté d’une histoire, d’une culture et d’une civilisation : celles donc « européennes » –, c’était d’abord pour aller dans le sens de la constitution d’une nation européenne – dont il m’est rapidement apparu, en la cavalcade sur le papier d’une telle rédaction, qu’elle ne pouvait être que d’essence judéo-chrétienne (ce qui certes n’était pas un scoop !), mais aussi, et cela est beaucoup plus décisif, de signature christo-historiale (cf. l’exposé de ce concept dans la toujours même première partie – où j’essaye notamment d’expliquer la considérable nuance qui existe entre « Europe » et « Occident » – de mon Secret de la domination) – ; et « nation inter-nationale » qui seule m’apparaît susceptible d’accueillir et d’illustrer le « projet » que, en ce même ouvrage, j’ai fait pour elle. Car dans le fond que voulons-nous tous, tant que nous sommes, « Européens »… sinon que, pour l’exprimer d’une manière un peu abrupte, le reste du monde – c’est-à-dire en vérité : l’Occident (ce qui peut sembler paradoxal… mais ne l’est pas si l’on a compris – comme je l’explique précisément en ce Secret – que cet « Occident » n’est rien d’autre qu’une guise apostasico-(anti)christique de l’être : née en Europe et dont cette Europe, via la colonisation planétaire, a contaminé cette planète même) – nous fiche enfin la paix et, en un tel « foutage de paix », nous donne loisir de venir « séjourner en un moment d’équilibre de notre destin » (Heidegger… qui appliquait lui, autour de 1938, ce projet à la seule Allemagne : dont on a vu, pour cette raison encore trop nationale-nationaliste les catastrophiques-apocalyptiques résultats !). Et erreur que bien sûr, parce que 24


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mon projet est lui de nature national-européenne/christo-historiale, je ne (re)commettrai pas : l’espace européo-civilisationnel que j’entends ici aménager – et qui a déjà commencé de se mettre en place par la seule écriture de cette Profondeur – devant être entièrement dévolu à cette « paix » et au « séjour » en ce « moment d’équilibre du destin » européen. *** Tout cependant, en ce livre et le projet qu’il expose/propose aux Européens, est loin d’être résolu : à commencer par le rapport très ambigu qu’entretiennent la figure christique (dans le moment de quitter le monde pour « revenir au Père ») et le « nihilisme » (très justement qualifié d’« européen » par Nietzsche : il y en a-t-il seulement d’autre ?) ; et « ambiguïté » qui, d’une certaine façon, laisse planer comme un doute (ou une « ombre ») sur tout ce que j’ai pu dire plus haut sur ce « combat spirituel » – illustré, on l’a vu, tout aussi bien par les manifestants du printemps 2013 que par les activistes de celui 2016 – ; et « combat » peu ou prou présenté par moi comme des tentatives visant à maintenir les choses (-« famille » pour 2013/« travail » pour 2016) en leur essence… alors que le Christ est justement Celui-là qui, par Son départ, a inauguré le processus de « fuite », ou de « dissolution », de ces mêmes « essences » – ce que j’appelle aussi plus haut le sens des mots (modifié/détourné par Amaleq) – ; et difficulté que, en son hymne Patmos, Hölderlin avait soulevée par ces vers (déjà par moi, tout au long de cette Profondeur, à d’innombrables reprises cités : preuve sans doute qu’il y a bien en effet, en le « problème » qu’ils pointent, une sorte d’indicible malaise – comme si, d’une certaine façon, le Christ se retrouvait en la délicate position d’« allié objectif » d’Amaleq) : Car les noms depuis le Christ sont pareils Au souffle du matin. Ils se font rêves. Ils tombent comme l’erreur Sur notre cœur et tuent, s’il n’est personne Pour scruter leur nature et les comprendre (…) Par ce devenir-« rêves » (ou « souffle ») des « noms depuis le Christ » (depuis Son départ) étant bien signifié sous la plume du « voyant » Hölderlin le processus que j’appelle moi, pour ma part, celui de dissolution (ou de « fuite ») des essences ; et processus qui n’est rien d’autre que ce qu’on 25


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a désormais, depuis Nietzsche, coutume d’appeler le « nihilisme (européen) » : ce pourquoi le même Nietzsche n’a pas tort lorsqu’il voit en le christianisme (« depuis le Christ ») rien de moins que l’origine de ce nihilisme – forcément « européen » puisque l’Europe est traditionnellementhistoriquement la zone géographico-spirituelle où ce même christianisme s’est, depuis au moins quinze siècles, implanté et a prospéré – ; mais cela sans comprendre que, en vérité, ce même processus a commencé bien avant le christianisme – bien avant la (première) Venue du Christ dans le monde – : probablement, dès l’Événement de la « chute » ; si bien que cette Venue – et le départ qui la suit : étant clair que, pour partir, il faut d’abord être venu (et voilà pourquoi sans doute le Christ ne pouvait être qu’un dieu incarné : car seul un corps, en tant qu’il fait sur lui l’épreuve de l’espace et du temps (ce qui n’était pas, par exemple, le cas des dieux « païens » non-incarnés), a ce loisir de venir puis de (re)partir) – n’inaugure pas tant ce processus de tout nihilisme qu’elle l’effectue en le mode d’un porter-au-visible-et-à-l’évident de ce qui, dans le fond, était en venue depuis le commencement du monde : ce processus même de dissolution/fuite de l’essence des « choses » de ce monde (et que le paganisme, via l’alliance contractée par celui-ci avec les démons : ce deal que, justement, la venue du Christ dénonce définitivement/rédhibitoirement, était chargé, sinon d’empêcher, du moins de tempérer). On dit souvent que la « religion du Crucifié » et son monothéisme d’inspiration judéo-mosaïque ont détruit les anciennes « religions païennes » et leur « polythéisme » – alors qu’en vérité, comme l’observe justement René Guenon, il n’y a pas de polythéisme qui ne puisse être ramené à un monothéisme (les dieux divers et variés du paganisme n’étant que des sortes d’avatars – comme par exemple, dans le christianisme, les figures de la Trinité, voire celles de la Vierge ou des saints – d’une unique divinité) – ; mais en réalité, dès avant la Venue du Christ, ce paganisme était déjà fort mal en point – moribond sinon tout à fait mort – : ayant évolué (ou plutôt : dégénéré) vers une sorte de folklore cultuel à la carte – que la pullulation des diverses « religions » au sein de l’Empire romain de l’époque illustre assez bien (ce pourquoi, à partir d’un moment, les autorités de ce même Empire – à juste titre inquiètes d’une telle divino-inflation – finirent par interdire l’« invention » de nouveaux dieux : non tant, on le comprend, par intolérance que parce qu’elles voyaient bien qu’une telle multiplication des cultes risquaient de discréditer, en le mode sans doute d’un « trop de dieux tue la divinité », le divin lui-même) –… où chacun avait loisir de choisir (comme n’importe 26


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quel client en ce « restaurant » divino-bigarré du panthéon paganobaroque : d’où mon expression de « à la carte ») sa religion, son culte et son dieu (et même souvent plusieurs à la fois). Par quoi l’on voit en tout cas qu’interpréter l’Événement de la « Révélation (chrétienne) » suivant la catégorie (plus ou moins vulgaire) d’un affrontement entre polythéisme (païen) et monothéisme (judéo-chrétien) ne permet pas de comprendre ce qui, en cette irruption du christianisme dans l’histoire : en cette Venue du Christ dans le monde, s’est vraiment joué – et qui n’a sans doute que peu de rapport avec la question (peu ou prou accessoire) du « nombre » des dieux et de leurs cultes afférents – ; mais rapport avec quoi alors : probablement avec ce que j’appelle ici le processus « nihiliste » de cette « dissolution des essences »… et que le sacré de type païen était chargé, en donnant assise à ces « essences » : en conférant un fondement (peu importe lequel) à la « vérité de la chose » : à sa présence de (plus ou moins) contrôler – de telle façon que ces « essences », leurs « choses » et leurs noms… ne se mettent pas, justement : où l’on retrouve l’intuition géniale du Patmos de Hölderlin, à « deven(ir) » simples « souffle(s) » et autres « rêves ». Or ce que la Venue du Christ dans le monde – ou plus exactement : Son départ de ce même « monde » – anéantit à tout jamais – par perforation précisément de ce plan du « sacré » : qui n’est rien d’autre, si l’on en croit Henri Meschonnic, que « l’identité entre les choses et leurs noms » (ce pourquoi sans doute ces « noms depuis le Christ » – depuis cette « perforation » par Lui opérée – se sont faits « souffle(s) » et « rêves » ; et à quoi d’autre en effet, une fois ce « plan » enfoncé : une fois l’illusion de ce « sacré » dénoncée, ces mêmes « noms » pouvaient-ils s’attendre ?) – c’est ce « contrôle » même… exercé par l’ancien paganisme – au prix tout de même de certains « petits arrangements » avec les démons… tels que sacrifices humains et autres pratiques cultuelles plus ou moins barbares-cruelles (cela écrit à destination de tous les écolo-contemporains thuriféraires de cette fameuse « Terre-Mère »… et autres spectateurs enthousiastes du récent-pernicieux néo-païen (film) Avatar) – ; et déchaînant par là en effet – telle une « peste » se répandant dans le monde – ce même processus, de signature donc « (européo-)nihiliste », de dissolution/fuite de l’essence des choses – en le mode du « devenir-rêves » de leurs « noms » : par ébranlement du soubassement pagano-ontologique qui garantissait leur « identité avec les choses » – ; ce pourquoi le même Hölderlin, dans une version plus tardive de ce Patmos, ne craint pas de comparer l’« ombre » du Christ – 27


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qui vient de quitter le monde : c’est le moment, pour les apôtres, du plus haut désarroi (celui de l’intervalle crucial qui sépare Ascension de Pentecôte : cf. à ce propos mon intervention du jour de l’Ascension 2016 dans une émission de Radio « Notre-Dame ») – à une peste (sur laquelle, moins d’un siècle après la rédaction de ce poème, Nietzsche, qui connaissait bien l’œuvre de Hölderlin, n’hésitera pas à apposer le nom de « nihilisme ») : (…) et comme une peste, l’ombre De celui qu’ils aimaient marchait à leur côté. Avant que la descente du Paraclet sur ces mêmes Apôtres, le jour de la Pentecôte, ne vienne arracher à leur angoisse et leur stupeur « ces hommes (qui sans aucun doute auraient préféré ne) point quitter le visage du seigneur » : Alors il fit sur eux descendre L’Esprit, et la demeure en vérité Fut ébranlée (…) (Et il y aurait sans doute « beaucoup à dire » sur cet « ébranl(ement) » de cette « demeure en vérité » – rien de moins peut-être, en la forme du « demeurant » du Andenken du même Hölderlin, que le soubassement ontologique où la « vérité de la chose », à tout le moins jusqu’au Christ (et donc jusqu’à l’« ébranl(ement) par Lui de ces mêmes soubassement/fondation), avait coutume de se ressourcer –… mais n’allons pas trop vite en besogne). Car ce qui d’abord, en ce mot terrible de « peste », est pointé par le poète, c’est bien évidemment ce que, moins d’un siècle plus tard, Nietzsche appellera le « nihilisme (européen) » – dont il rendra (donc) responsable, avec quelque raison…, le christianisme et sa « religion du Crucifié » – ; et ce que j’appelle ici, pour ma part, le processus de « dissolution/fuite des essences » ; et processus dont j’ai montré plus haut qu’il inspirait désormais – en le mode d’un affrontement entre les pro- et contraAmaleq – tous les combats (« spirituels » ou non) et autres luttes (sociales : 2016, ou sociétales : 2013) de ce temps. Mais ce qui est proprement décisif en l’intuition hölderlinienne, c’est que cette « peste » (celle donc du « nihilisme » : convenons d’en rester pour l’instant au seul mot de Nietzsche) est générée par « l’ombre » même du Christ ; c’est-à-dire par sa « présence absente » (ou son « absence (terriblement) présente » ?) qui « march(ant) 28


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au côté des Apôtres », témoins vivants et charnels du départ de « Celui qu’ils aimaient » : au moment de cette funeste, désolante et peu ou prou « dram(atique) » (Philippe Delaroche : mon hôte de/sur « Radio NotreDame ») Ascencion les plonge en le plus profond des désarrois ; comme si pour eux désormais, à cet instant, le monde était vide et le serait sans doute à jamais : puisque la dernière « chose » divine qu’il recelait – le corps (pour le coup et là au moins !) sacré du « Seigneur » – vient, ce monde, de le quitter, de le « déserter » ; et entraînant aussi par là, en le mouvement de ce « devenir-souffle-et-rêves » des « noms » des choses : Nietzsche aurait peut-être parlé d’un « devenir-vapeur » (cf. ce qu’il dit de « l’être, cette vapeur ») de ceux-ci, une sorte de « perte » par ce même monde de sa « substance » et autre « vérité » de toutes les choses dont, jusqu’au Christ, il avait abritées/conservées – en le mode de ce « demeurant » pagano-ontologique – la (plus ou moins) sûre et (plus ou moins) garantie présence. Et voilà donc notre monde – sa « terre, comme dit si justement Beda Alleman, éveillée par la venue du Rédempteur puis rendue nostalgique par son départ » – en proie au tourment de l’absence (si douloureusement « présente ») du Dieu qui l’a visitée et dans le fond, cette « terre » : en le mode d’un désenchantement radical, ne s’en remettant pas – et peut-être : ne s’en étant toujours pas remise (ce qui va constituer la chance d’Amaleq) – : dont témoigne en effet la « peste » de ce nihilisme et autres dissolution des essences/« devenir-rêves » des noms qui n’a, depuis cet Événement : ce « drame de l’Ascension », cessé de croître et de contaminer de son ontologico-dissolvant-mortifère « virus » toute « présence » des choses ici-bas – jusqu’au point où, ces « choses », nous les voyons aujourd’hui : c’est-àdire dans le moment même où Amaleq, en le processus de ce « grand remplacement » de monde, s’apprête à leur substituer les « objets » (dont l’essence au moins, si elle ne saurait nourrir en aucune façon la faim de présence-vraie des créatures humaines, est sûre et, en le mode de cette guise « calculatoire » de l’être : ce que les alter-mondialistes appellent dans leur jargon « progressiste, (encore) trop progressiste » la « marchandisation du monde », toujours garantie). Cette « peste nihiliste » – « ombre »-portée de la présence en-allée du Rédempteur – est donc, on le voit, en rapport étroit avec la figure de Celuici : ce pourquoi Nietzsche, au terme de son enquête généalogique, n’hésite pas à rendre responsable de son fléau le christianisme – un peu de la même façon que, dans son premier livre : dans la première enquête de l’« inspec29


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teur Nietzsche », il accusait Socrate d’être le véritable assassin de la tragédie (cf., dans le premier tome de ma Profondeur, l’analyse de ce premier fait d’armes de notre jeune « enquêteur ») – ; comme si, d’une certaine façon : en cette forme pour ainsi dire « judéo-ontologique », le Christ était le premier nihiliste de l’histoire (jusque-là préservée d’une telle « peste (nihiliste) » par le paganisme)… et, par suite, le principal ferment, sinon le nom même, du virus à l’origine de cette pandémie nihilisto-mortifère : à ce détail près (mais « détail » sur lequel notre « inspecteur » passe allègrement), que, lorsque le Christ arrive en ce monde, il y a beau temps que ce monde, malgré la vigilance médicalo-ontologique du paganisme : le « contrôle » par celui-ci du « plan du sacré » dont j’ai parlé plus haut, est en proie à ce fléau : si bien que le « dieu christique » n’est pas tant Celui qui inocule le virus de ce fléau au monde… que Celui qui, en constatant les ravages déjà très avancés sur le « patient » : presque déjà devenu cadavre, fait savoir à son entourage que Son intention n’est nullement de « sauver » – en le mode d’une sorte d’acharnement médicalo-ontologique – ce monde ancien et peu ou prou moribond, mais bien plutôt de le liquider (ou donc : d’en dissoudre les essences depuis longtemps déjà en voie de décomposition) pour en féconder un autre : lui nouveau et de facture cette fois-ci « royaumaire ». Ce pourquoi la fameuse sentence de « Mon royaume n’est pas de ce monde », et contrairement à toutes les interprétations (toujours dans le fond peu ou prou inspirées du nietzschéisme) de celle-ci, ne signifie nullement que ce « royaume » se situerait en quelque « arrière-monde » plus ou moins céleste et éthéré, mais, plus simplement, que, si ce royaume veut croître et prospérer : comme la petite graine de sénevé de la parabole… qui finit par donner un arbre immense, il doit en tout cas n’entretenir aucun rapport avec « ce monde » – ancien, malade et quasi-moribond : ses « essences », depuis la « chute », en état de décomposition toujours plus avancée – ; et, par conséquent, n’être en aucune façon « de ce monde » : par quoi l’on voit qu’il n’y a à l’œuvre en cette phrase célébrissime aucune condamnation d’un quelconque « ici-bas » opposé à un (hypothétique) « là-haut » (comme l’a cru Nietzsche lorsqu’il a voulu voir – avec tout de même une certaine dose de mauvaise foi : en balayant notamment d’un facile revers philosophique le dogme de l’Incarnation – en le christianisme un « platonisme pour le peuple »). Le « projet » (si l’on peut ainsi parler) du Christ venant en ce monde n’est donc nullement de « sauver » quoi que ce soit « de ce monde » ancien et moribond – d’une certaine façon : toujours-déjà condamné… et depuis même peut-être sa Création 30


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(puisque son Créateur, en le créant, savait qu’en lui la chute aurait lieu) –, mais bien, par son bref passage sur terre : venue et départ, d’en féconder un autre : lui nouveau, royaumaire et étranger autant qu’il est possible à l’ancien et obsolète… que Son départ, en la forme de ce processus de dissolution de ses essences (décomposées), allait liquider. Ce pourquoi, en effet, le christianisme peut passer pour un nihilisme – comme je l’ai dit dès la « quatrième de couv. » de l’Europe : « opère dans l’histoire à la manière d’un nihilisme » – ; mais nihilisme dont on voit que, d’une part, il est depuis longtemps à l’œuvre dans la place au moment où le Christ y arrive, et, d’autre part, que ce nihilisme, en sa version au moins ontologique : par liquidation des anciennes-caduques « essences », est nécessaire à la venue du monde nouveau – à l’Avènement du Royaume – ; et en effet, dans l’Apocalypse, n’est-il pas dit que, suite à celle-ci, il y aura « un ciel et une terre neufs » ? Ce à quoi nous invite l’Événement du départ du Christ – ce qu’une certaine philosophie appelle, quoique d’une façon encore trop abstraite et superficielle (cf. Heidegger), le « retrait du divin » ou l’« éclipse du sacré » – n’est donc rien d’autre que d’entrer en le processus d’une telle Création seconde… et qui sera cette fois-ci « nouvelle et éternelle » (comme l’« Alliance » qu’institue le même Christ le jour du Jeudi saint). Comme c’est dans cette même perspective – celle (donc) de la nécessité d’une certaine dose de « nihilisme » à appliquer à « ce monde » : pour qu’il en crève enfin, et cette fois-ci définitivement (pour qu’il ne nous embête plus avec ses « essences » moribondes et son « sacré » pagano-kitsch) – qu’il faut interpréter toute la scène du Noli me tangere (« Ne me retiens pas ») où le Christ signifie sans ménagement à son « amoureuse » Marie-Madeleine qu’Il n’a pas du tout l’intention de procéder avec elle à quelque remake de l’épisode (qui s’était tout de même bien mal fini) du Jardin d’Éden – alors que tout, d’une certaine façon, y prédispose en effet : un jardin autour d’un tombeau vide, un « jardinier » (le Christ, nouvel Adam) et sa « nouvelle Ève » (Marie-Madeleine qui, justement, a commencé par prendre le Ressuscité pour ce « jardinier » : méprise que Stéphane Zagdanski qualifie de profondément « hébraïque ») – ; et épisode qui constitue en effet ce que le titre d’un film (parfaitement nullissime : non seulement d’un point de vue théologique mais aussi – ce qui est plus grave pour un film (!) – de celui cinématographique) a appelé « la dernière tentation du Christ »… et probablement pour Lui la plus redoutable dans la mesure où elle fait insidieusement appel, non tant à Son courage (démontré à Gethsémani) qu’à Sa sainteté (démontrée « au désert » lors de l’épisode des Trois Ten31


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tations), qu’à cette fois-ci Son Amour pour l’humanité souffrante (et cherchant donc, au nom même de cet « amour » : incarné ici par l’« amoureuse » Marie de Magdala, à le « retenir »). Or c’est bien cet « amour » entre le Christ et Ses créatures qui, en définitive, fait ici question, « problème » : ce qu’a bien vu Hölderlin – qui se reprochait à lui-même d’en éprouver un « excessif » vis-à-vis de la personne christique (cf. son « Conciliateur en lequel… ») – lorsque, toujours dans son Patmos, il fait immédiatement précéder sa comparaison de « l’ombre (du Seigneur) » à une « peste » par ces vers : Mais qu’il faut éviter de choses ! L’excès d’amour Dans l’adoration est riche de périls et blesse Le plus souvent. Mais ces hommes ne voulaient point quitter Le visage du Seigneur Ni leur patrie. Cet amour, tel le feu dans le fer, leur était Chose innée, et comme une peste (…) (et comme illustrant par ceux-ci le proverbe qui pose que « trop aimer, c’est mal aimer »). Car en vérité, à cet instant : celui du Noli me tangere aussi bien que celui de cette Ascension, cet « excès d’amour dans l’adoration », celui des créatures (Madeleine, les Apôtres, etc.) pour leur Créateur, est bien le suprême « péril » qui menace le projet christique de cette Création seconde… à laquelle pourtant le départ du Dieu, comme je viens de le montrer, est absolument nécessaire… fût-ce (donc) au prix de l’introduction d’une certaine dose de nihilisme dans le monde (que ce même départ va rédhibitoirement « désenchanter » : mais à quoi ce monde, étant ce qu’il était : moribond et obsolète – avec son « sacré » de signature paganokitsch –, pouvait-il s’attendre d’autre ?). Par quoi l’on voit en tout cas que si cette « ombre (portée) » de l’absence présente du Christ aux côtés des Apôtres est éprouvée par eux comme une « peste », cela ne tient nullement au Dieu en-allé Lui-même… qu’à cet « excès d’amour » de Ses disciples qui, tout comme Madeleine au matin de Pâques, auraient bien aimé, eux aussi, retenir (« tangere ») le Christ quittant le monde : si bien qu’à la fin, ce n’est pas tant notre hostilité (ou notre indifférence) vis-à-vis de la figure divino-humaine du Rédempteur qui empêche Celui-ci d’accomplir la tâche pour laquelle Il est venu en « ce monde »… que notre amour même, en tant qu’il est justement toujours « excessif » et, par là, inopportun : en 32


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quelque sorte à contre-emploi dans la mise en place historico-historiale de ce « projet » même. Ce pourquoi aussi, dans cette même émission radiophonique du jour de l’Ascension 2016 : lorsque son « animateur » Philippe Delaroche tenait à toute force à me présenter comme quelqu’un qui éprouvait peu ou prou cette « fête » comme un « drame », je lui ai tout de suite répondu que, à tout le moins à mes yeux, il n’en était rien… parce qu’en vérité, si « drame » il y avait, c’est uniquement nous et notre « excessif amour » pour le Christ qui en faisions un (« drame »). Et en effet, lorsqu’on a bien compris que le projet christique pour ce monde n’est pas tant de le « sauver » que de le « liquider »… pour entrer en le processus de cette Création seconde (puisque la « première » a, de toute évidence, « failli »), un tel départ du Dieu ne peut être vécu par ceux qui en sont les « témoins » – il y a deux mille ans comme aujourd’hui – que comme un heureux évènement : évènement certes toujours un peu angoissant mais en même temps exaltant… dans la mesure où, tout en nous faisant orphelins de la divine présence (qui, jusque-là, nous avait accompagnés en nos premiers pas dans ce monde nouveau : le fameux brave new world de Shakespeare-Florio), nous rend en même temps parfaitement libres et adultes (le Christ étant en cela un peu pareil à ces parents qui, à partir d’un moment, jugent qu’il est temps que leurs enfants « quittent la maison » : sauf qu’ici, on le voit, ce sont les « parents » qui, de cette maison : de ce « monde », s’en vont… en laissant « les clefs du Royaume » à qui de droit et à qui l’on sait). Par quoi l’on voit aussi que ces épisodes, tant du Noli me tangere que de cette Ascension, sont semblables à une sorte d’opération de sevrage, non de lait mais de toute présence divine, opérée par le Christ Lui-même sur son « amoureuse » et autres disciples ; et « sevrage » que, dans le fond, une certaine partie de l’humanité (« européenne ») n’a jamais tout à fait accepté : ce pourquoi rien n’empêche de pointer en les agissements et « machinations » d’Amaleq une sorte de processus de régression : par ce fait qu’Amaleq, comme je l’ai montré dans mes précédents ouvrages, ne cherche finalement rien d’autre qu’à mettre la mains sur un substitut à cette présence divine en-allée ; « substitut » qui fut d’abord, lors de la période (dite) des « Grandes découvertes » du xvie : en vérité celle de la conquête par l’Europe orpheline-désenchantée de la planète entière, l’or que recherchaient avec tant de frénésie les Conquistadors espagnols – et « or » qu’appelaient justement les infortunés Indiens victimes de cette conquête l’« excrément du divin » : cf. notamment, dans mon Europe, le chapitre consacré à la colonisation du Mexique par Cortès ; avant que de devenir, 33


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en mode cette fois-ci scientifico-philosophique : quoique toujours aussi violent et impérialiste, cette « guise techno-capitaliste de l’être » qu’illustrent et mettent toujours plus profondément en place – en le mode cette fois-ci d’un « grand remplacement de monde » ourdi par Amaleq et son inoxydable pré-supposé (faisant venir ce même monde comme le « produit de ma volonté et de mon travail ») – nos temps désormais « absolument modernes » (alors que ceux de Cortès et de ses Conquistadors n’étaient eux encore, sans doute, que « modernes ») ; et que ne ferait-on pas en effet pour retrouver, ne serait-ce qu’un instant : celui de l’intervalle entier de cette « modernité », la douceur du lait de la présence divine… dont nous a à tout jamais sevrés le départ du Christ ? *** Si donc Amaleq et sa (présente) « domination » – dont j’ai dévoilé en mon précédent ouvrage le « secret » d’essence ontologico-théologique – sont aujourd’hui les seuls véritables adversaires du Christ : en un mode de plus en plus ouvertement antéchristique, ce n’est nullement pour la (très vulgaire et très superficielle) raison qu’ils seraient « athées » – le diable, étant bien placé pour savoir que « Dieu existe », n’est pas si bête… qui laisse cet athéisme à ses « idiots utiles » et autres « prêcheurs » néo-progressistes – mais bien plutôt pour celle qu’ils s’opposent de toutes leurs forces – et qui sait ? peut-être encore par cet « excès d’amour » envers le Christ (qui aurait seulement « tourné », comme on dit du lait, à une sorte de contre-passion : « triste » et (donc) anté-christique) – au projet de cette Création seconde qu’inaugure le départ du « Dieu vivant-incarné » : quitte pour cela, on l’a vu, à tenter eux-aussi de construire un « autre monde » – quoiqu’en le processus, non pas d’une « création », mais seulement d’une « production » : puisque seul (un) Dieu peut créer (les démons ne pouvant eux, au mieux, qu’imiter, plagier, « détourner », etc.) – ; et « autre monde » où quelque chose de l’ancienne présence (des choses), « liquidée » on l’a vu par le Christ et son « nihilisme spécial », serait à tout le moins, en le mode de la garantie apportée par la « guise (amalécite) de l’être » : celle donc, a minima, de la calculabilité de tout « étant », conservée : étrange situation où, pour finir, les démons s’avèrent moins « nihilistes »… que Dieu Luimême ! Et certes, pour reprendre le slogan des alter-mondialistes : tous peu ou prou les « idiots utiles » d’Amaleq, « un autre monde est (toujours) possible » : l’ennui étant bien sûr que celui qu’Amaleq se propose de « pro34


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duire » – et qui n’est pas si différent que cela de celui dont rêvent ces mêmes alter-mondialistes : cf. notamment le titre, fâcheux mais éclairant, de l’ouvrage Produire le monde d’un de ceux-ci (Hervé Juvin, plume du fameux Nicolas Hulot, pour ne pas le(s) nommer) –, et justement parce qu’il ne sera que l’effet d’une « production » (et non le fruit d’une « création »), ne peut aboutir qu’à des désastres sans nom et autres catastrophes d’immense ampleur (qui ont déjà, d’ailleurs : tant en forme économique qu’écologique, commencé). Mais par quoi l’on voit aussi que ce projet amalécito-ante/anti-christique de production d’un « autre monde » – et qui pourra aussi bien, dans quelques années, épouser une forme « écologiste » : ce qui, je le crains, n’empêchera nullement la catastrophe prévue de survenir – s’inscrit encore dans le plan de l’autre projet – lui providentiello-christique – de cette Création seconde qui exige, pour sa réalisation, rien de moins que la liquidation entière et totale de la première (Création) – à quoi est précisément (quoique sans le savoir : puisqu’il s’imagine lui produire un « autre monde ») en train de s’employer cet infortuné-aveugle-illusionné Amaleq : probablement le nom le plus adéquat de cet « Antéchrist » – : si bien que, si au développement précédent nous avons pu soupçonner un instant le Christ d’être l’« allié objectif » d’Amaleq : du fait de Son « nihilisme spécial », on comprend qu’en réalité il n’en est rien… et que c’est bien plutôt Amaleq, en la forme connue de l’« arroseur arrosé » : ici donc du « manipulateur manipulé » (ou de l’« illusioniste (lui-même) illusionné »), qui se retrouve en la situation d’« idiot utile »… de la divine Providence. Ce pourquoi également, dans mes précédents ouvrages, j’ai pu comparer la lutte entre « le diable et le bon Dieu » à une sorte de partie d’échecs entre deux adversaires dont le premier (« Dieu ») aurait un coup d’avance sur le second (le « diable ») ; et « coup d’avance » qui consisterait en ce fait que Dieu, créant le monde, savait déjà que cette Création première était condamnée… et que donc, tout en faisant mine d’être à ce premier chantier, il en avait déjà en esprit un second auquel les manigances ontologico-amalécites de Son « adversaire » – et bien sûr : malgré que celuici en ait – participeraient ; ce pourquoi plus Amaleq semble, en ce monde, devoir l’emporter… et plus, en réalité, il fait, sans bien sûr s’en douter : tout en proie qu’il est à sa contre-passion anté/anti-christique, le jeu de son (divin) Adversaire ; et suivant en cela la formule qui pose que « c’est quand tout semblera perdu que tout sera sauvé » : quand Amaleq sera sur le point de mettre mat le roi blanc que, en une ultime volteface : en le dernier coup de la Providence – dévoilant enfin son plan mûrement réfléchi depuis le 35


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Commencement : cf. notamment le concept de la felix culpa du Père de l’Église –, que son roi noir – probablement l’Antéchrist lui-même et « en personne » – le sera tout à coup, pour la grande confusion et à la totale surprise du joueur des ténèbres, mis (« mat »). Car en réalité, la grande erreur théologico-stratégique d’Amaleq est de continuer de s’acharner sur un « monde » et sa « première création » que son Créateur lui concède d’autant plus volontiers qu’il est Lui, déjà, à l’œuvre sur un « autre monde » et sa « deuxième Création » : si bien que tous ses « coups » portent en vérité et toujours « à vide » : parce que donnés à un cadavre de monde qui, de toute façon, ne peut plus les ressentir – ses habitants étant déjà passés ailleurs : travaillant à l’édification, sur le chantier donc de cette Création seconde, du Royaume – ; et cadavre de monde qui ne doit plus servir qu’à la production d’un enfer : celui où iront tous ceux qui, jusqu’au dernier moment, auront cru à sa « réalité » et à ses illusions mortifères-idéologiques. On se demandera peut-être ce que viennent faire ces considérations théologiques à la suite de développements censés être consacrés au destin de l’Europe et aux « combats spirituels » qui l’animent/l’agitent aujourd’hui ; mais justement cette idée de « Création seconde » et autre édification d’un Royaume qui ne serait « pas de ce monde » doit toujours demeurer sur notre horizon de « luttes » en le mode de la perspective de l’édification d’un « espace européen » susceptible d’accueillir le chantier de cette « Création » et de ce Royaume… face à tous les « Empires » qui, bien que n’étant plus d’origine européenne, continuent d’être, on l’a vu, de signature occidentale… c’est-à-dire, on l’a vu aussi, de nature (christo-) apostasique ; et « espace » que, malgré toutes ses bonnes intentions affichées, cette funeste « Europe de Bruxelles » est bien sûr incapable d’édifier : puisque pour celle-ci ce même « espace » ne saurait être que d’essence (au mieux) politico-économique – jamais civilisationnelle et a fortiori jamais spirituelle – ; manque d’ambition réelle qui, en ce sens : anti-civilisationnel et a-spirituel, condamne à l’avance tout le projet qu’avaient rêvé, il y a déjà près de soixante ans : au Traité de Rome de 1956, les acteurs, encore trop politico-économistes, de cette « construction européenne ». Et si aujourd’hui, en Europe, les différents courants « souverainistes » – « de droite » (Le Pen) comme « de gauche » (Chevènement) – ont le vent en poupe, c’est bien parce qu’il leur est facile de montrer aux populations de ce continent que cet abandon (relatif ) de souveraineté par ses diverses « nations » ne leur a même pas rapporté le minimum syndical-économique 36


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que, en cette perspective uniquement politico-économiste, elles étaient en droit d’attendre : la prospérité (économique) – ce qu’exprimait déjà, il y a une trentaine d’années, le I want my money back d’une Margaret Tatcher : au moins là cohérente avec la conception anglaise et a minima qu’elle se faisait de cette « Union européenne » – ; et qu’est-ce donc en effet qu’une « nation (européenne) » qui, au premier coup de vent : à la première difficulté/crise économique, se défait et s’éparpille ?, apportant par là la preuve que, si « construction européenne » il doit y avoir, elle ne peut se faire sous l’égide de la seule dimension de l’économico-politique. Ce pourquoi aussi, dans mes livres précédents, je me suis toujours un peu étonné qu’en les soixante années d’une telle « construction » il ne soit jamais apparu en Europe quelque chose comme un grand Mouvement européo-transnational (celui que dans Le Secret de la domination j’appelle de mes vœux) qui prendrait pour objectif, non tant cette (illusoire) prospérité économique : que le règne de la présente « austérité » a rendue parfaitement caduque, que l’édification d’une authentique « nation européenne »… enfin délivrée de tout « occidentalisme » ; et si cela n’est pas arrivé, c’est sans doute parce que, dans le fond, personne aujourd’hui encore, en cette Europe aveugle à sa propre essence, ne sait au juste sur quoi fonder une telle « nation » – les plus avancés sur un tel chemin excipant vaguement de valeurs « humanistes »… voire même, pour certains, s’imaginant au comble de l’audace (!) : car la suspicieuse « police de la pensée » de l’idéologie néo-progressiste veille, de « racines chrétiennes » – : ce pourquoi (entre autres raisons plus « personnelles ») j’ai écrit cette Profondeur, c’est-à-dire un ouvrage qui, tout au bout de son « enquête » généalogico-théologico-civilisationnelle, donne enfin aux « patriotes européens » la clef de l’énigme de cette essence même – christo-européo-nationelle – et, par là, leur indique le moyen, par appropriation (enfin) effective de cette essence, de venir fonder, en ce « moment d’équilibre du destin » de notre « vieux continent », cette nation même. Et je vois bien (étant enthousiaste mais lucide) qu’un tel projet n’est pour l’heure qu’un rêve – et « rêve » qu’on peut même qualifier de « littéraire » : comme le fut par exemple des siècles durant, dans les écrits d’un Dante ou d’un Machiavel, celui de l’unité italienne : qui a pourtant fini par se réaliser – ; mais « rêve » qui, après tout, pourrait très bien (et même plus rapidement qu’on croit) devenir réalité : si notamment le grand Mouvement européo-transnational que j’appelle de mes vœux venait à voir le jour ; et formation politico-spirituelle qui trouverait alors dans mon livre, non seulement sa base théorico-civilisationnelle, mais aussi, très pra37


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tiquement, tous les éléments déjà formés de son « programme » ; et à quoi se décèlera immédiatement la vérité d’un tel « Mouvement » ? À ceci sans doute qu’il aura instantanément contre lui, réunies en une « sainte chasseà-courre » (Marx), toutes les « puissances » de la présente domination modernisto-amalécite, et puissances qui pourront aussi bien prendre la forme de cette (habituelle) idéologie libéralo-néoprogressiste – qui veut bien d’une « Union européenne »… tant que celle-ci, justement, ne se constitue jamais en « nation » – que celle (plus inattendue) de l’autre idéologie populisto-souverainiste – qui elle, par accrochement à la branche pourrie de son nationalisme, ne veut même pas de cette « Union » – : les deux faisant en ce moment mine de s’opposer… alors qu’en vérité elles sont au moins d’accord – quoique pour des raisons sans doute diamétralement opposées – sur ce point d’une viscérale hostilité à toute idée de « nation européenne » (et l’on sait bien en effet qu’un « parti » – et surtout bien sûr si celui-ci est d’essence peu ou prou « révolutionnaire » (mais peutêtre pas au sens de Marx !) – se reconnaît plus à ses ennemis – et surtout bien sûr aussi si ceux-ci viennent de tous les horizons du spectre politique : pro-libéraux comme anti-libéraux, néo-progressistes comme populistes, internationalistes comme nationalistes et universalistes comme souverainistes, etc. – qu’à ses « sympathisants »). Ce pourquoi aussi, dès le cinquième tome de cette Profondeur : Le Secret de la vie (Loubatières, 2012), je proposais à cette « nation européenne » – comme je le fais a fortiori pour la « formation » politico-spirituelle que j’appelle ici de mes vœux (et proposition qui, je le sais, n’a pas manqué de susciter quelques rires et autres haussements d’épaules : comme si pourtant, en ce genre d’affaires, les symboles n’étaient pas tout aussi importants que les idées) – de choisir pour étendard le même drapeau que cette « Union européenne » : son cercle d’étoiles d’or sur fond bleu céleste-profond,… agrémenté seulement d’une effigie en son centre de la Vierge-àl’enfant qui dirait suffisamment ce qui, en cette translation d’« Union » à « Nation », est clairement-hautement revendiqué-affiché… et cette foisci sans nulle précaution d’ordre tant néo-progressiste que « national-populiste » ; et ce pourquoi également, toujours dans le registre du symbolique et du « signifiant », j’ai élu pour illustration de couverture du présent ouvrage cet admirable « Repos pendant la fuite en Égypte » du Tintoret – contemplé jadis par moi à Venise : dans un moment où, certes, j’étais bien loin de me douter que j’écrirais un jour quelque chose comme cette Pro38


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fondeur… et cette Éternité – : tant il m’apparaît aujourd’hui que ce « séjour en un moment d’équilibre du destin » (européen) ne peut que ressembler en effet à un tel « repos » – celui donc d’une « sainte » et fugitive « famille » cherchant à échapper par cette fuite aux tueurs et autres sbires amalécites d’un Hérode époqual… qui veut, comme celui d’il y a deux mille ans : quoiqu’en mode cette fois-ci idéologique, la peau de cet enfant-roi dont le « Royaume », en effet, menace gravement son « empire » idéologicooccidentalo-apostasique – ; et « repos » qui ne signifie nullement que ceux qui, en cette oasis historico-historiale, s’y astreignent vont chercher à fonder quelque « demeurant » (à forme peu ou prou hölderlino-heideggerienne) que ce soit : puisque justement, c’est à ce « demeurant » même – celui, on l’a vu, en mode ontologico-impérial d’Hérode-Amaleq – qu’en « fu(yant) » ainsi… ils cherchent à échapper. Par quoi l’on voit en tout cas qu’un tel « repos » n’est pas destiné à « durer » – comme l’avait prétendu par exemple un certain « Reich de mille ans » : écrasé au bout de douze ! – : seulement donc à se « reposer » pour reprendre des forces (tout à la fois physiques et spirituelles) pour, ensuite, repartir en l’incessantenécessaire illustration du mouvement de cette permanence voyageuse (Marc Cholodenko) qui est comme la signature du vrai et seul Royaume – ce que tant de poètes (qui eux ne cherchaient nullement à « fonder » quelque « demeurant » que ce soit) ont exprimé à leur façon au cours des âges et de leurs siècles nombreux-abolis : Car ce monde est le chemin Vers l’autre, où est la demeure Sans tourments ; Mais il faut avoir du sens Pour accomplir ce voyage Sans errer (…) Ou encore : Il est l’affection et le présent puisqu’il a fait la maison ouverte à l’hiver écumeux et à la rumeur de l’été, lui qui a purifié les boissons et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyants et le délice surhumain des stations [c.m.q.s.] (…) Et en effet, « en ce monde » et en cette « vie » où il ne saurait être fondé (y compris par les « poètes » : cf. le vers terminal du Andenken de Hölder39


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lin) quelque « demeurant » que ce soit, les « lieux » ne peuvent être que toujours « fuyants » et les « stations », pour nous qui ne sommes que des « humains », ressembler à de tels « repos pendant (une) fuite » ; le plus étrange étant sans doute ici que, plus on s’efforce de fonder un tel « demeurant » : comme le fait justement ce pathétique Amaleq, et plus, paradoxalement, on s’épuise : d’une part parce que « les bourreaux se fatigu(ent) toujours plus vite que les martyrs » (Péguy) ; mais surtout, d’autre part, parce que le « demeurant » que tente de mettre en place ce même Amaleq est encore une « fuite » ; mais « fuite » où l’humanité « babélisée » de ce temps au devenir infiniment accéléré n’a même plus loisir, sous la sauve-garde des anges, de prendre quelque « repos » – si bien qu’à la fin « cela (ce fantasme de la fondation d’un « demeurant ») nous… (…) déborde. Nous l’ordonnons. Cela s’écroule. Nous l’ordonnons de nouveau et nous écroulons nous-mêmes. Et qui ne voit en ces vers de Rilke l’exact résumé de la présente et lamentable situation de cette humanité – sa condition modernisto-amalécite – trimant, sans pouvoir un seul instant se « repos(er) », sur l’immensebabélien chantier de (cette seconde tentative de) fondation d’un « demeurant » (et qui, très probablement aussi, connaîtra le même sort que la première) ? Mais pour revenir à ce projet de constitution, non plus d’une Union mais bien d’une Nation européenne, on voit par tout ce que je viens d’exposer ici que le premier souci de la Formation politico-spirituelle qui essayera de la mettre en œuvre devra être celui, après des décennies de travail acharné au chantier de cette fondation par Amaleq d’un « demeurant », inverse d’un repos – aussi bien des hommes que de la terre (presqu’aussi épuisée qu’eux) ! – ; et préconisation de celui-ci qui apportera au moins la preuve que la politique nouvelle ainsi proposée aux populations n’est pas l’effet d’une énième promesse électorale destinée comme les autres à n’être jamais tenue (et « repos » qui par exemple, pour commencer, pourra prendre la forme d’une abolition de ce « devenir (toujours)en-vue-de » – cf. plus haut mon analyse de cette (funeste) exigence de flexibilisation du travail : en réalité de celle du temps lui-même – au profit d’un retour à l’autre « devenir-pour-rien » – le seul moyen d’abaisser réellement le temps de ce même travail – ; et« pour-rien » qui est en vérité la seule façon de trouver le « repos (pendant la fuite »… de ce même temps)). 40


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TABLE DES MATIÈRES

Première partie : Le repos pendant la fuite en Égypte Élucidation du titre du présent ouvrage : « pour-suite » et « pour-suivre » de l’écriture de la Profondeur (d’une « fin qui n’en finit pas de finir » : notes sur l’agitation de ce printemps 2016) Printemps 2016 et printemps 2013 : notes sur la « flexibilisation du travail » (Amaleq et le temps : « intervalle » et « transition ») Christ et Amaleq (I) : nihilisme et christianisme (« la dernière tentation du Christ ») Christ et Amaleq (II) : « alliés objectifs » et « idiots utiles » (considérations sur les possibilités de fondation d’une « nation européenne » : Le « Repos pendant la fuite en Égypte ») Paganisme et christianisme : « le Grand Pan est mort » (« l’esprit du paganisme » (I)) « L’esprit du paganisme » (II) : oral et écrit/« Grand Pan » et Christ (du seul audible et du « rendu-visible » du sens) L’Arcadie des confins : hommes, bêtes et dieux (origine du langage et croix du sens) Du « tragique » et du « dramatique » : retour à Macbeth (démonique et superstition) D’un « effondrement du sens » : notes sur Le Roi Lear (une « tragédie de l’aveuglement ») Une lecture comparée du Roi Lear de Shakespeare-Florio et de l’Œdipe roi de Sophocle : « drame de l’aveuglement » et « tragédie de l’apparence »

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« La tragédie du Roi Lear » et « La tragédie du Roi Œdipe » : des deux « systèmes de circulation du sens » (Shakespeare/Sophocle : chemin de Douvres et chemin de Colone) Notes sur le John Florio alias Shakespeare de Lamberto Tassinari (I) : d’une bombe « anti-stratfordienne » et de ses (possibles) dommages collatéraux (« langue de Shakespeare » et « idiome de Florio ») Notes sur le John Florio alias Shakespeare de Tassinari (II) : « boussole littéraire » contre intérêts institutionnelsuniversitaires (« experts », « spécialistes » et « amis de la vérité ») Notes sur La Tempête : le « testament littéraire » d’un exilé Shakespeare-Florio en tant que dramaturge et en tant que courtisan : du devoir de (toujours) plaire et (infatiguablement) flatter (silence shakespearien et silence rimbaldien (I)) Silence shakespearien et silence rimbaldien (II) : notes sur le poème « Vies » des Illuminations puis retour à La Tempête Littérature, mort et salut : l’écriture comme hubris et l’écriture comme prière (rêve, « rêve d’un rêve » et réalité : la « leçon de La Tempête ») La fin de l’écriture : « Éternité » de Rimbaud et Andenken de Hölderlin (I) (le « procès » d’Arthur Rimbaud) « Éternité » de Rimbaud et Andenken de Hölderlin (II) : les deux enfers (« dire » poétique et Éden) Patience et im-médiateté (I) : notes sur les « Fêtes de la patience » de Rimbaud Notes sur le poème « Âge d’or » : de la « libre » à l’« obscure infortune » (patience et bonheur (I)) Patience et bonheur (II) : Rimbaud et la Vierge Marie (« maintenant et à l’heure de notre mort ») Un amour d’Isabelle Rimbaud : « Vierge sage » et « Vierge folle » (sens et « Génie ») 768

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TABLE DES MATIÈRES

Jeu du sens et attention au présent : un livre en forme d’exorcisme Auto-production du monde et auto-construction de l’homme : le temps selon Amaleq (notes sur le film Terminator (I)) Notes sur le film Terminator (II) : de « l’obsolescence de l’homme » et de la liberté du temps Situation du veilleur : sens et écriture (les « adorables années » (I)) Les « adorables années » (II) : le nom de la lumière Temps et sexualité : « l’instant bien planté » de la jouissance féminine (notes sur Le Château des larmes) Deuxième partie : Cahiers de L’Europe et la Profondeur

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Cet Éternité et après, douzième tome de L’Europe et la Profondeur, apparaît comme un ouvrage de transition faisant passer le « grand récit » de P. Le Coz d’une écriture encore structurée en chapitres – comme c’est le cas dans la première partie (« Le repos pendant la fuite en Égypte ») – à une autre qui, elle, ne se développe plus qu’en la forme de « Variations » (au sens musical) brassant tous les thèmes précédemment abordés dans le cours de cette Profondeur (« Cahiers de L’Europe et la Profondeur »). Ce pour quoi le lecteur qui prendra le risque de s’aventurer en ces « landes sauvages »-scripturaires ne devra plus tant y rechercher l’exposé d’une « pensée », fût-elle « la plus profonde », que la confrontation avec l’a-byssalité que recèle en essence l’« exercice de toute pensée ». Par quoi, ce qui était à l’origine l’emprunt par ce même lecteur d’un chemin censé le conduire vers une « vérité » (peu important laquelle) se transforme insensiblement en l’apprentissage d’un vertige (pensif-scripturaire)… où il s’agit, pour le lecteur comme pour l’auteur, en se déshabituant progressivement de tout, non plus tant, justement, de « penser » que de sonder. Ce pour quoi aussi la méditation cardinale de cet ouvrage – l’examen des rapports qu’entretiennent le « temps » et l’« éternité » – se diversifie en d’autres, selon, moins métaphysiques… voire tout ce qu’il y a de plus actuel et concret : effectuant pratiquement par là le projet qui était à l’œuvre dès le début de l’écriture de cette Profondeur – rien de moins que la rédaction d’un « livre total », c’est-à-dire d’un ouvrage où aucune des dimensions ordinaires de la « pensée » (philosophie, théologie, économie politique, critique littéraire ou picturale, etc.) ne serait a priori exclue – ; à ce seul bémol que les illustrations de ces diverses catégories se voient retournées en le sens de la poursuite, par un scripteur « à peine identifié sous le nom de (qui on sait) », de, cette fois-ci, une toujours unique « ligne de fuite » : celle indiquée dès le premier chapitre du premier livre de ce « grand récit »… et dont ce même « scripteur », à douze tomes d’intervalle, n’a dans le fond jamais dévié.

PIERRE LE COZ

L’Éternité et après

L’Éternité et après

PIERRE LE COZ

ISBN 978-2-86266-787-4

Le Tintoret (1518-1594), La Fuite en Égypte (1587). © Cameraphoto / akg-images

29 €

L'Eternité et après-b.indd 1

www.loubatieres.fr

Pierre Le Coz est né en 1954. Ses premiers textes ont paru en 1993 dans la revue N.R.F. Il a publié depuis de nombreux livres : poésies, romans, récits de voyage et essais. Il a fait paraître aux Éditions Loubatières une vaste Somme, L’Europe et la Profondeur, dont le présent ouvrage est la « continuation par d’autres moyens ».

LOUBATIÈRES

LOUBATIÈRES

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