Paul Valéry et les peintres

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PAUL VALÉRY ET LES PEINTRES

39 €

PAUL VALÉRY ET LES PEINTRES COURBET, MANET, DEGAS, MONET, RENOIR, MATISSE, PICASSO...

ISBN 978-2-86266-788-1

www.loubatieres.fr

COURBET, MANET, DEGAS, MONET, RENOIR, MATISSE, PICASSO...

MUSÉE PAUL VALÉRY SÈTE

éditions Loubatières



PAUL VALÉRY ET LES PEINTRES

COURBET, MANET, DEGAS, MONET, RENOIR, MATISSE, PICASSO...

25 SEPT 2020 • 10 JANV 2021

MUSÉE PAUL VALÉRY SÈTE

éditions Loubatières



En couverture : BERT HE MO RI S OT (BOURGES, 1841 – PARIS, 1895) Sur le lac (détail), 1884 Huile sur toile, 65 x 54 cm Collection particulière

Conception graphique : Brandie, Montpellier © éditions Loubatières © Musée Paul Valéry, Sète ISBN : 978-2-86266-788-1



REMERCIEMENTS Nous exprimons notre profonde reconnaissance à tous les prêteurs qui, dans ce contexte si particulier de pandémie mondiale que nous traversons, ont accepté de maintenir leur accompagnement pour permettre la réalisation de cette exposition. Que soient particulièrement et vivement remerciés : La famille de Paul Valéry pour son soutien et sa générosité Monsieur David Nahmad pour la qualité exceptionnelle des prêts qu’il a accepté de consentir, ainsi que Monsieur Helly Nahmad pour sa précieuse collaboration Les musées et les collections publiques qui ont maintenu leur soutien malgré le changement de calendrier imposé par les circonstances Musée de Grenoble Guy Tosatto, directeur Musée Fabre, Montpellier Méditerranée Métropole Michel Hilaire, directeur Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris Isabelle Diu, directrice Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris Bernard Blisthène, directeur Musée d’Orsay, Paris Laurence des Cars, présidente Sylvie Patry, directrice de la conservation et des collections, conservateur général du patrimoine Isolde Pludermacher, conservatrice en chef Musée de Pont-Aven Sophie Kervran, directrice Musée des Beaux-Arts, Reims Catherine Delot, directrice Musée des Beaux-Arts, Rouen Sylvain Amic, directeur Musée départemental Stéphane Mallarmé, Vulaines-sur-Seine Hervé Boesch, directeur Notre gratitude la plus sincère s’adresse également aux collectionneurs privés qui nous ont apporté généreusement leur concours et ont préféré conserver l’anonymat.


COMMISSARIAT GÉNÉRAL Maïthé Vallès-Bled Conservateur en chef du patrimoine Directrice du Musée Paul Valéry

COLLABORATION SCIENTIFIQUE Stéphane Tarroux Conservateur du patrimoine, Musée Paul Valéry

RÉGIE DE L’EXPOSITION Clémence Ricard Vilar

RÉGIE DES COLLECTIONS Céline Attanasio

ADMINISTRATION DE LA CONSERVATION Marie-Hélène Monclus

ADMINISTRATION Carole Denis

SERVICE DES PUBLICS, SERVICE ÉDUCATIF Caroll Charrault

RELATIONS PUBLIQUES / ÉVÉNEMENTIEL Jean-Pierre Louvel

COORDINATION DES MANIFESTATIONS AUTRES QUE LES EXPOSITIONS Sébastien Charles

COLLABORATION TECHNIQUE Alain Bueno, Radhia Chaouch, Stéphane Donès, Marine Gibert, Marie Gilbert, Joseph Gomez, Quentin Heyraud, Claude Isoird, Gérard Lauriol, Jean-Louis Liguori, Cyril Martire, Nathalie Nocca, Michel Pérez, Christophe Piccolotto, Stéphane Salièges, Cathy Soum, Nathalie Vicens

COMMUNICATION / PRESSE Catherine Dantan, Paris



La culture nous relie au fil de l’Histoire. Un musée est une passerelle entre passé et présent. Nous le mesurons tous à l’heure où le Musée Paul Valéry célèbre le 50e anniversaire de son ouverture sous son nom actuel dans le bâtiment qu’il occupe aujourd’hui, au-dessus du Cimetière marin et de la Méditerranée. La période difficile que nous traversons et les inquiétudes qui nous agitent ne doivent pas nous faire délaisser nos ambitions pour la culture. C’est d’abord une question de fidélité à l’esprit qui a animé notre ville lors de la fondation du musée municipal en 1891. Nous ne pouvons pas oublier l’énergie qui a porté le peintre Toussaint Roussy, premier directeur du musée, et la détermination de deux édiles, Benjamin Peyret et Antoine Aussenac. Nous ne pouvons pas les oublier, car ces vertus se sont transmises à travers les générations jusqu’à nous, parce qu’elles étaient fortes et se situent à l’origine d’une vision toujours actuelle pour le développement de notre ville. Comment ne pas nommer, à l’occasion de ce 50e anniversaire, le grand directeur du musée que fut Gabriel Couderc, peintre lui aussi ? Artisan de la renaissance du musée après la guerre, dans une ville meurtrie, il s’est employé à susciter l’adhésion des élus et à entraîner les volontés de tous les partenaires en faveur de la construction d’un bâtiment neuf, conforme aux missions nouvelles définies pour les musées. C’est à Gabriel Couderc que nous devons l’installation des collections dans le beau vaisseau moderniste conçu par l’architecte Guy Guillaume qui devait ouvrir au public au mois de novembre 1970. C’est lui enfin qui a placé le projet sous l’égide de Paul Valéry, dont les écrits, immenses par leur portée, ouvrent tant de voies à la réflexion et fécondent tant d’œuvres nouvelles. Le Musée Paul Valéry est à son image. Passerelle entre passé et présent, il donne sens et cohésion à la vision que nos concitoyens se font du monde et s’enrichit de la créativité qu’il stimule. Passerelle entre les cultures, il est un lieu de dialogue avec toutes les rives de la Méditerranée, réunissant dans ses espaces la figure de Valéry à celle de Salah Stétié, dont je ne peux rappeler sans émotion la disparition toute récente. Passerelle entre les arts, il propose dans l’exposition « Paul Valéry et les peintres » un parcours conçu à partir du prisme des goûts du poète et du penseur que fut Valéry ainsi que des relations qu’il a pu entretenir avec les peintres de son temps. Voyager en peinture avec Valéry pour guide et admirer les œuvres de peintres majeurs comme Zurbarán, Manet, Matisse, Renoir, Picasso ou encore Degas, comment lancer plus belle invitation, alors que nous commençons à retrouver le chemin des lieux où vit la culture, pour célébrer les 50 ans du Musée Paul Valéry ? Je le fais avec une joie et un plaisir, qui, j’en suis sûr, seront partagés par tous.

François Commeinhes Maire de Sète Président de Sète Agglopôle Méditerranée



• Pa u l Va léry et les peintres • Julie, Jeannie, Paul Valéry, Ernest Rouart et Paule Gobillard devant son chevalet réunis au 40 rue de Villejust.

les lignes, disposant les idées dans un coin de la page, les présentant en diagonales, les resserrant en blocs compacts, ménageant des blancs. Sa pensée produisait un champ d’activités très vivant que sa main, partie prenante, mettait en forme, relayant les indications originelles multicolores. Le flux cerveau-main main-cerveau alimentait l’écriture sans rupture. La main de Valéry a toujours été sa plus fidèle complice, sa puissante confidente. Indépendante mais intimement reliée, elle a transcrit fidèlement les sombres questionnements comme les bonds imaginaires. Valéry reconnaissant lui a rendu hommage sur les murs du Trocadéro : Dans ces murs voués aux merveilles J’accueille et garde les ouvrages De la main prodigieuse de l’artiste Égale et rivale de sa pensée L’une n’est rien sans l’autre 9 Cet hommage serait-il celui d’un écrivain ou d’un peintre ?

1

Paul Valéry, Œuvres, Le Livre de poche, « La Pochothèque », 2016, t. 2, p. 1081.

2

Agathe Rouart-Valéry, Crayons, Actes Sud, 1999, p. 113.

3

Paul Valéry, Œuvres, t. 2, op. cit., p. 524.

4

Paul Valéry, « Le Cimetière marin », Œuvres, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1957, t. I, p. 148.

5

Paul Valéry, « Introduction à la méthode de Léonard de Vinci », Œuvres, Le Livre de poche, « La Pochothèque », 2016, t. I, p. 152.

6

Ibid., p. 148.

7

Paul Valéry, Cahiers 1928, Ψ, XII, 851, Cahiers, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1974, t. II, p. 952.

8

Cahiers 1897-1899, Tabulae meae Tentationum – Codex Quartus, I, 175, ibid., p. 923.

9

Paul Valéry, fronton du Trocadéro, Paris.

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M IC HE L JA R R E T Y

Hasard ou destin ? À l’été 1897, Malllarmé, que Valéry, comme on sait, fréquentait intimement depuis plusieurs années, avait confié à Marcel Schwob, qui séjournait près de sa petite maison de Valvins, sur les bords de Seine, qu’il verrait volontiers Valéry épouser la nièce d’un peintre : ce que l’intéressé n’apprit qu’après son mariage. Limpide pour Schwob, la formule était énigmatique, mais ne l’est plus pour nous : le peintre était Berthe Morisot, grande amie récemment défunte de Mallarmé qui, en 1896, avait préfacé le catalogue d’une exposition posthume. La nièce est donc Jeannie Gobillard, fille, ainsi que Paule, de Théodore et d’Yves Élisabeth Gobillard. Or Madame Gobillard est la sœur de Berthe Morisot ; devenue elle aussi orpheline, Jeannie avait eu pour tuteur Mallarmé, et Renoir faisait partie du conseil de famille.

• Pa u l Va léry et les peintres •

TA BLE AU DE FA M I L L E

Jeannie (qui était, pour sa part, dans le secret) avait hâte que Mallarmé lui présentât le jeune homme auquel il songeait, mais il mourut subitement le 9 septembre 1898. Touchée de la délicatesse que Valéry met à s’occuper des affaires éditoriales et financières de sa femme et de sa fille Geneviève, Julie médite un rapprochement et de vagues présentations ont lieu, dès le 22 décembre, chez Henri Rouart en présence de nombreux invités. Depuis plusieurs années, Valéry connaît Eugène Rouart, grand ami de Gide, frère d’Ernest que nous retrouverons bientôt, et il l’a introduit chez son père, Henri. Âgé d’une soixantaine d’années, ce brillant industriel sorti de Polytechnique a renoncé à la carrière militaire au moment de la guerre de Crimée et fait fortune grâce à ses inventions. Et puis surtout, il est également peintre — élève de Corot et Millet, il a exposé au Salon de 1868 à 1872 — et aussi grand collectionneur de tableaux, très lié à Degas, qu’il a autrefois connu sur les bancs du lycée Louis-le-Grand et qui a fait de lui un portrait où on le voit vêtu de noir et coiffé d’un chapeau haut-de-forme, devant son usine du boulevard Voltaire. Dans Degas Danse Dessin, Valéry évoquera chaleureusement les dîners chez Henri Rouart auquel il porte une vive admiration. À compter de cette soirée de décembre, une affectueuse coalition – Paule, Julie, Geneviève – se noue pour faire aboutir le projet de mariage, mais les hésitations et dérobades souvent étranges de l’intéressé font que la cérémonie n’a lieu qu’au mois de mai 1900 : le même jour, Ernest épouse Julie et Valéry Jeannie. Juste avant sa mort, Berthe Morisot avait fait construire un immeuble près de l’Étoile, 40, rue de Villejust, aujourd’hui rue Paul-Valéry, et souhaité qu’après son décès les trois cousines, Julie, Jeannie et Paule y vivent ensemble. Les grands amis de la famille Manet et de Berthe Morisot – outre Mallarmé, bien sûr, Monet, Degas, Renoir – continuent de venir visiter les jeunes filles, qui par ailleurs vivent librement, villégiaturent, et vont voir par exemple Pissaro à Rouen. La peinture reste une tradition familiale, pour Julie aussi bien que pour Paule, et Renoir leur prodigue volontiers ses conseils. Quant à Ernest, également peintre, il aura été le seul élève de Degas, maître rugueux.

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Paul Valéry et Jeannie vers 1900

Henri Rouart vers 1900.

Assez naturellement, les deux couples s’installent donc rue de Villejust, au troisième étage et au quatrième : ainsi se trouve composée une sorte de famille élargie, et d’ailleurs très unie, où l’on parle beaucoup peinture : à une époque où Valéry ne fait rien paraître et dispose de loisirs, son intérêt pour cet art est bien plus vif qu’il ne le sera après la guerre. En compagnie de son épouse, mais aussi de sa belle-sœur, Paule Gobillard, elle-même peintre, on l’a vu, et à qui il arrive d’exposer, il fréquente régulièrement le Salon d’automne et celui des indépendants. Il découvre Robert Delaunay, Van Dongen, probablement les fauves, exposés en 1905, puis, en 1907, une importante rétrospective de cinquante-six toiles de Cézanne ; on expose aussi des tableaux de Matisse, Dufy et Marquet, les Rochers rouges de Braque, des gravures sur bois de Kandinsky. Mais ce qui marque surtout ce salon, ce sont sans doute les six tableaux de Rouault et les cinq panneaux de L’Histoire de Psyché que Maurice Denis a peints pour l’hôtel particulier d’un riche Moscovite. Or Maurice Denis, justement, Valéry a dû le rencontrer assez tôt, mais de manière un peu mondaine, puisqu’il est très lié à Gabriel Thomas, financier prestigieux et cousin de Jeannie. Par la suite, les deux hommes se retrouveront avec plaisir – en particulier durant l’été 1913 à PerrosGuirec où le peintre possède la villa Silencio et a dû inviter Valéry à venir passer quelques jours auprès de lui. Les relations se maintiendront et, le 3 septembre 1921, Valéry et sa femme visiteront son atelier. On sait, hélas, peu de choses sur le jugement que Valéry porte sur ces peintres. Il a certes consacré un livre à Degas, qui d’ailleurs de loin en loin vient dîner rue de Villejust, mais, pour le reste, il n’a laissé que de très rares notes : ses goûts ainsi sont difficiles à préciser et il n’est pas toujours aisé d’établir les circonstances précises dans lesquelles il put rencontrer tel ou tel. Il est cependant probable que, grâce à Mallarmé – chez qui il a entrevu Whistler –, il ait croisé Redon, cité par Huysmans dans À rebours, et les deux hommes ont sans doute entretenu

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• Pa u l Va léry et les peintres • E D GAR DEGAS Henri Rouart devant son usine, c. 1875 Huile sur toile, 61,5 x 50,2 cm Carnegie Museum of Art, Pittsburgh

des relations que l’on sous-estime faute de documents : ils dînent ensemble le 8 mai 1902, en compagnie d’Abel Bonnard – futur confrère de Valéry à l’Académie et surtout futur collaborateur –, mais ne feront vraiment connaissance qu’à l’automne lorsque, pour les vacances, Jeannie — qui possède deux pastels du peintre – lui demande de la rejoindre à Saint-Georges-de-Didonne, près de Royan, tout près de la Villa Surprise que Redon a louée. Le 7 février 1909, Valéry et sa femme visiteront son atelier, et les rencontres seront régulières jusqu’à la mort du peintre en 1916. Quant à Renoir, tuteur de Jeannie comme on s’en souvient, il semble que les relations ne se soient pas resserrées, et d’ailleurs, pour d’obscures raisons, Valéry ne paraît guère l’avoir apprécié. En 1904, néanmoins, il fera le portrait de Jeannie.

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• Pa u l Va léry et les peintres •

Mariage de Paul Valéry avec Jeannie Gobillard ainsi que d’Ernest Rouart avec Julie Manet le 31 mai 1900.

D’autres peintres, à l’inverse oubliés, deviendront presque des familiers, et les visites de Georges d’Espagnat, très proche, semble-t-il, de Paule Gobillard, furent nombreuses rue de Villejust : Valéry semble se plaire en sa compagnie – mais on ignore tout de lui. À la fin de 1908, il fera son portrait que le modèle jugera très bon, « accusé et réussi, carré, frappant, mouvementé, intelligent 1 ». Leurs relations seront longtemps chaleureuses et, le 5 mars 1911, Valéry et sa femme assisteront à Fantasio dont d’Espagnat a peint les décors. Un autre ami, qui, quant à lui, bénéficie encore aujourd’hui d’une réputation un peu plus marquée, se trouve lié à Valéry vers la même époque : je veux parler du Catalan José-Maria Sert, décorateur de la cathédrale espagnole de Vic, qu’il rencontre en 1907. Il va épouser Misia Godebska que Valéry a bien connue,

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Les relations entre les deux hommes sont si cordiales que Valéry, à l’été 1932, se rend en Espagne, à San Telmo, où l’ancien couvent des dominicains dont Sert a décoré la chapelle vient d’être transformé en un musée qu’on inaugure. C’est l’occasion pour Valéry de faire la connaissance d’un autre peintre, Ignacio Zuloaga, qui est en train, cette année-là, de faire le portrait de son ami Manuel de Falla. Après avoir séjourné à la fin du siècle à Paris, où il a en particulier rencontré Degas et Gauguin, Zuloaga s’est rendu rapidement célèbre par de nombreux portraits : ceux de Barrès et d’Anna de Noailles, d’Ortega y Gasset ou d’Unamuno. Valéry le retrouve le dimanche 4 septembre : il l’a en effet invité à déjeuner chez lui à Zumaia, dans la province de Guipúzcoa, où, près de la mer, il a fait d’un ancien hôpital son atelier, mais aussi un musée privé, aujourd’hui public, qui accueille ses propres collections. Quant à Sert, Valéry, quelques mois plus tard, lui demandera de se charger des décors de son mélodrame, Sémiramis, qui sera créé à l’Opéra le 11 juin 1934. Mais, sans jamais se désister vraiment, le peintre montrera une si désinvolte incurie que Valéry, pour le remplacer, fera appel au Russe Alexandre Jakovleff qui s’est acquis une certaine réputation depuis son installation à Paris en 1920 : en 1924, il est par exemple choisi pour être le peintre de l’expédition automobile, la croisière noire, que Citroën organise à travers l’Afrique.

• Pa u l Va léry et les peintres •

à l’époque de Mallarmé, dans l’entourage de son premier mari, Thadée Nathanson, le directeur de la célèbre Revue blanche. Curieusement, c’est Valéry qui a souhaité se rendre chez Sert et les deux hommes se lient assez rapidement. Le peintre a beau reprocher à l’ancien écrivain de ne plus rien faire paraître, « Nous sommes dans la danse, il faut danser 2 », cette antienne lui a été trop souvent servie en ces temps où il n’écrit pas pour qu’il s’en offusque et ils vont se revoir durant de longues années.

De tous les artistes que Valéry, de manière plus ou moins proche, fréquente en ce tout début de siècle, c’est curieusement Monet que Valéry rencontre le dernier. Alors qu’il séjourne, à l’ouest de Paris, au château du Mesnil que possède Julie et où toute la famille se retrouve régulièrement, le 14 septembre 1908, en début d’après-midi, la somptueuse auto du peintre s’arrête devant la maison : il vient rendre une visite impromptue aux cousines qu’il allait voir de temps à autre à la toute fin du siècle en souvenir de Berthe Morisot. Très vite, on parle naturellement peinture et Monet fait part de ses réticences à délaisser ses nymphéas pour Venise où il devrait se rendre – et où il va néanmoins réaliser plusieurs tableaux à l’automne. Lorsque le peintre propose à Valéry de l’emmener à Giverny avec Paule, il accepte d’enthousiasme et ils restent à dîner. Valéry est naturellement enchanté. Cependant, ce sont surtout Jeannie et Paule qui le retrouveront de loin en loin et, curieusement, c’est après une dizaine d’années que, le 7 septembre 1925, Valéry retrouvera le vieux peintre à un an de sa mort. Comme, sur les instances de son ami Clemenceau il vient de se faire opérer de la cataracte de l’œil droit (refusant toute intervention sur l’œil gauche), il entretient son visiteur de la modification des couleurs qui s’est ensuivie, et lui montre ses dernières toiles. Valéry se borne à noter : « Étranges touffes de roses saisies sous un ciel bleu 3. » Que le lecteur pardonne la nature trop anecdotique de cette rapide évocation, mais l’historien ne dispose, je l’ai dit, quasiment d’aucun document où Valéry aurait pu exprimer jugements et préférences : il n’a pas dit un mot des avant-gardes, n’a pas consacré un seul texte ni hommage

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• Pa u l Va léry et les peintres •

MAU R I C E D E N I S Eros frappé par la beauté de Psyché, 1908 Huile sur toile, 394 x 269,5 cm Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg

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• Pa u l Va léry et les peintres • IG NAC I O Z U LOAGA La Comtesse Anna de Noailles, 1913 Huile sur toile, 152 x 195,5 cm Musée des Beaux-arts, Bilbao

posthume aux peintres vivants qu’il a connus – je pense à Redon, mort en 1916, ou encore à Monet. Les plus grands, il n’a pas vraiment cherché à les approcher davantage – à l’exception de Degas qu’il visita souvent – pour mieux connaître à la fois leur personne et les ressources de leur art ; quant aux autres, d’Espagnat ou Sert, qu’il fréquenta bien davantage, ils sont largement sortis de notre mémoire et, de toute façon, nous importeraient moins. C’est donc un milieu très hétéroclite que Valéry a fréquenté un peu au hasard, comme si, curieusement, il ne lui importait guère de chercher à mieux mesurer les différences entre les minores et les grands maîtres : mais que savons-nous de leurs entretiens ?

1

Livres de comptes de Mme Valéry, 9 juin 1907, BnF, non coté.

2

Op. cit., 31 décembre 1908.

3

Paul Valéry, Cahiers, Éd. du CNRS, 1957-1961, t. XI, p. 65.

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