Ils ont dit NON à l'abandon des harkis

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Désobéir pour sauver Ils ont dit NON à l’abandon des Fatima BESNACI-LANCOU I Houria DELOURME-BENTAYEB préface de Jacques Frémeaux postface de Benoît Falaize éditions Loubatières HARKIS

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Cet ouvrage a été publié avec le soutien de la Région Occitanie Pyrénées Méditerranée et de la Fédération nationale André Maginot ISBN : 978-2-86266-809-3

© Éditions Loubatières, 2022 Sarl Navidals 1, rue Désiré-Barbe F-31340www.loubatieres.frVillemur-sur-Tarn

ils ont dit non à l’abandon des harkis

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ILS ONT DIT NON À L’ABANDON DES HARKIS DÉSOBÉIR POUR SAUVER

Fatima Besnaci-Lancou Houria Delourme-Bentayeb

Préface de Jacques Frémeaux Postface de Benoît Falaize

ils ont dit non à l’abandon des harkis

Éditions LOUBATIÈRES

ils ont dit non à l’abandon des harkis On ne voit bien qu’avec le cœur… » Antoine de Saint-Exupéry

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PRÉFACE

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ils ont dit non à l’abandon des harkis

Le massacre de dizaines de milliers de harkis en Algérie faute de protection de l’armée française, les conditions indignes de l’ins tallation de la plupart d’entre eux en France et, peut-être avant tout, la réticence à leur reconnaître la qualité de Français, tous ces tristes épisodes sont désormais de mieux en mieux connus, grâce aux travaux d’une poignée de chercheurs, grâce aussi à une série de reconnaissances officielles, depuis la journée nationale d’hommage aux harkis instituée par le président de la République Jacques Chirac le 25 février 2001, jusqu’à la déclaration solennelle du président Emmanuel Macron le 20 septembre 2021.

On verra que ces hommes et ces femmes, chacun étant présenté dans son contexte professionnel et familial, appartenaient à tous les milieux : chrétiens, juifs et incroyants ; militaires et civils ; person nalités de haut rang et simples citoyens ; gens du Nord et du Midi. Certains avaient cru jusqu’au bout dans l’Algérie française, d’autres avaient très vite envisagé l’indépendance comme seule issue possible. Les uns purent contribuer au sauvetage de centaines de

Ces hommages mérités ne doivent pas faire oublier que, aux temps où parler et agir en faveur des harkis n’était pas précisément le moyen de gagner les faveurs de l’opinion ni celle des pouvoirs en place, c’est-à-dire dans les mois qui suivirent l’indépendance de l’Al gérie, un petit nombre d’hommes et de femmes ont choisi de venir à leur secours, en les aidant à échapper à une mort ignominieuse en Algérie, puis à s’installer, au moins sommairement, en France, sans attendre d’autre approbation que celle de leur conscience. Ce livre, qui rend hommage à quelques-uns d’entre eux, voudrait contribuer à conserver le souvenir de tous. Les témoignages ont été réunis par deux femmes dont l’action pour défendre la mémoire de leurs parents et la place de leurs familles dans la société française illustre éloquemment la devise de la République.

Jacques Frémeaux professeur émérite à Sorbonne-Université, membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer

ils ont dit non à l’abandon des harkis personnes, d’autres de quelques individus. On peut dire que, pardelà ces divergences, ils étaient sensibles au malheur, au respect de la parole donnée, et aussi à la fraternité humaine. Le livre les montre en proie aux difficultés venues de la hiérarchie militaire et civile française, paralysée par le respect des consignes de non-intervention émanant du sommet au nom du respect de l’indépendance algérienne, mais allant rarement jusqu’à intervenir pour interdire les initiatives en faveur des harkis.

L’ensemble des témoignages a été recueilli, comme on l’a dit, par deux femmes, elles-mêmes témoins et militantes engagées dans leur travail autant que dans la recherche historique. Elles ont su faire s’exprimer leurs interlocuteurs, alors que certains s’étaient tus jusque-là, et nous transmettre leurs paroles. Elles nous les donnent à voir, dignes et modestes dans leurs propos, mais également précis, avec des narrations qu’on lit comme autant de courtes nouvelles, prenantes, émouvantes ; très émouvantes. Les lecteurs ne peuvent qu’être touchés par les drames relatés, sensibles évidemment à l’aspect humain mais bientôt aussi révoltés. Réflexe salutaire que provoquent les récits transcrits ici. Car l’ouvrage, dont les rédactrices se cachent derrière les témoins interrogés mais sont bien présentes par leur volonté de dire et leur façon de le faire (offrir un texte sans fioritures inutiles et qui reste « collé » à la réalité), a une por tée universelle : historique, politique, philosophique même ; face à l’injustice, il faut résister, ne pas se soumettre ni se résigner mais oser dire non, et se battre.

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On voit ainsi que les efforts d’une poignée d’hommes, avec quelques femmes, finirent par entraîner l’adhésion de hautes per sonnalités hostiles au départ, mais sensibles à leurs arguments, comme le ministre des Armées, Pierre Messmer. En revanche, il n’a pas suscité une véritable politique d’intégration, qui aurait pu, non seulement éviter bien des souffrances et des ressentiments, mais aussi faciliter l’enracinement des générations suivantes.

Est-il trop tard aujourd’hui ?

1. Conflit armé qui s’est déroulé du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962. L’expression « guerre d’Algérie » a été officiellement adoptée en France le 18 octobre 1999.

INTRODUCTION

2. Au moment des premiers contacts secrets noués entre délégation française et responsables du FLN, le 20 janvier 1961, François Gazier, secrétaire général du Conseil d’État remet à Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, une étude qu’il venait d’achever, portant notamment sur le sort des harkis et de leurs familles si l’Algérie accédait à son indépendance. La conclusion de cette étude est implacable au regard des harkis : leur installation définitive en France n’est « ni à prévoir, ni à souhaiter, encore moins à encourager ». Réf. citée par Chantal Morelle, « Les pouvoirs publics français et le rapatriement des harkis en 1961-1962 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2004/3 (no 83), p. 109-119.

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Cet ouvrage est consacré à un groupe de femmes et d’hommes qui, à la fin de la guerre d’Algérie 1 en 1962, ont mis leur énergie et leurs ressources à sauver des milliers de familles de harkis menacées de mort alors que les autorités publiques étaient sur le point de les abandonner 2.Militairesle plus souvent, mais pas seulement, ces hommes et femmes, auxquels nous attribuons le vocable de « sauveteurs », étaient déterminés à secourir leurs anciens compagnons d’armes. Leur tâche était parfois périlleuse mais souvent complexe. En effet, certains ont dû exfiltrer les harkis et leurs familles de leurs villages, puis les accueillir dans des casernes afin de les soustraire aux persécutions des nouveaux maîtres de l’Algérie. Malgré les contrôles du FLN (Front de libération nationale), ils ont ensuite organisé le convoyage jusqu’au port d’Alger, puis le transfert vers la France. À Marseille, d’autres femmes et hommes ont été mobilisés pour être présents à l’arrivée et accueillir les harkis et leurs familles avant de les acheminer vers différentes destinations, plus ou moins improvisées. Pour finir, les « sauveteurs » ont dû s’assurer de l’hébergement des harkis et leurs familles qui, malheureusement, se révélera vite précaire.Face au drame qui se jouait sous leurs yeux, ces soldats ont parfois impliqué leur propre famille, relations amicales ou profes-

Nos militaires, déterminés à sauver autant de familles que pos sible, ont dû ainsi trouver des camions, des bateaux, des trains, pour le transport d’un endroit à un autre et improviser des lieux d’accueil, sans oublier toute une logistique alimentaire, vestimentaire et médicale. Cette logistique était nécessaire d’abord en Algé rie en attendant l’embarquement, attente qui pouvait durer plu sieurs semaines, mais aussi à l’arrivée des harkis en France.

Cet ouvrage est dédié à ces hommes et femmes qui ont dit purement et simplement « non à l’abandon ».

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ils ont dit non à l’abandon des harkis sionnelles, pour déployer une impressionnante chaîne humaine en quelques semaines, voire en quelques jours, et déjouer les obstacles afin de réaliser ce sauvetage en urgence. Ainsi, beaucoup étaient sur le terrain, de part et d’autre de la Méditerranée, prêts à accueil lir, entourer et accompagner ces familles, pendant que d’autres, en parallèle, multipliaient les démarches et les appels auprès des plus hautes autorités civiles et militaires, non seulement pour faire infléchir les décisions officielles, mais aussi pour obtenir des solutions concrètes et immédiates.

Parmi les 950 000 militaires (hors gendarmerie) que comptait l’armée française à la fin de la guerre, un certain nombre d’entre eux s’est indigné du sort réservé aux harkis. Pourtant, peu nombreux auront été les officiers qui ont dépassé le stade de l’indignation jusqu’à s’opposer aux directives de leur hiérarchie et se mobiliser concrètement pour secourir ceux qui avaient été leurs compagnons d’armes.Encore aujourd’hui, des soldats ayant côtoyé des harkis pendant la guerre continuent de leur témoigner de la sympathie, notam ment lors de la cérémonie d’hommage aux harkis chaque 25 sep tembre depuis 2001. Mais face à une situation aussi tragique, gestes d’indignation ou de sympathie sont-ils suffisants ?

Au fil des témoignages et des présentations proposés, notre parti pris a été d’explorer la part d’humanité de ces personnes qui, pour certaines, sont allées jusqu’à faire preuve de désobéissance civile en mettant parfois leur vie en danger afin de sauver d’autres humains. Par leurs actes non violents et en opposition aux ordres prescrits

premier cas, le 12 mai 1962, Pierre Messmer, au départ, a menacé de sanctionner les officiers qui avaient pris l’initiative d’évacuer des harkis depuis l’Algérie vers la France. Or, le 25 juillet 1962, ce même ministre des Armées a profité d’un Conseil des ministres pour interpeller lui-même le général de Gaulle sur la question des harkis, l’incitant à prendre une position de principe en accord avec les demandes des officiers de l’armée.

Pour revenir à nos sauveteurs, au-delà de leur singularité (origine sociale, idéologie, carrière professionnelle, vocation…), bien des traits communs les relient : leur blessure liée à l’abandon d’hommes qu’ils avaient sous leur commandement ; leur détermination à les sauver ; leur indignation, pour certains, d’avoir été soupçonnés d’instrumentaliser les harkis arrivés en France au service de l’OAS

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Dans le second, le 24 août 1962, Michel de Brébisson a interdit aux militaires toutes « opérations de recherche » des familles de harkis dans leurs villages et ordonné de « cesser de donner asile à des Algériens sauf dans des cas très exceptionnels », ceux de personnalités politiques francophiles. Pourtant, en octobre 1962, ce sont des officiers obéissant aux ordres du général Brébisson qui ont aménagé une partie du camp militaire de Zéralda, près d’Alger, en centre d’accueil pour tous les harkis qui s’y présentaient, la plupart du temps avec leur famille, afin d’échapper aux menaces du FLN. Ces officiers allaient également leur procurer les autorisations nécessaires pour quitter l’Algérie et se réfugier en France. Il semble donc évident que le général de Brébisson qui, deux mois aupara vant, avait interdit de secourir les harkis, avait fini par tolérer les initiatives des généraux de Massignac et Le Masson et accepter le transfert de plusieurs centaines de personnes chaque semaine.

ils ont dit non à l’abandon des harkis par les hautes autorités civiles ou militaires, ils ont non seulement soustrait aux exactions des centaines de milliers de personnes, mais ils ont également contribué à influencer, voire à modifier, les déci sions des autorités de 1962. Sur ce dernier point, à notre avis, les infléchissements les plus significatifs concernent l’attitude de Pierre Messmer (ministre des Armées) et celle du général Michel de Brébisson à la tête du commandement supérieur des armées françaises en Algérie.Dansle

ils ont dit non à l’abandon des harkis (Organisation armée secrète) ; leurs regrets de ne pas avoir pu en faire davantage et notamment leur éviter les camps en France.

– la première, dédiée aux dix sauveteurs encore en vie, se pré sente sous la forme d’une brève biographie suivie du témoignage direct. La rencontre de ces personnes revient à l’heureux hasard des circonstances telles que les milieux associatifs, conférences, cérémonies officielles, salons littéraires ou autres ;

Ces soldats, profondément marqués par la violence de la guerre, expriment également leur stupéfaction de découvrir, lors de leur ser vice en Algérie, les misérables et indignes camps de regroupement et leur sentiment d’une population tiraillée, « priée » de choisir son camp, sans parler de la sous-administration du territoire (absence d’écoles, de structures de soins, de points d’eau potable, etc.). Mais, en dépit de cette désolation, certains ont su garder au fond des yeux des images d’une Algérie ensoleillée, de ses paysages époustouflants de beauté et de ses fleurs exotiques aux parfums inoubliables.

Chacun de ces sauveteurs porte en lui une histoire singulière liée à ce gigantesque sauvetage qui a permis de soustraire aux per sécutions morales et physiques, voire à la mort, près de 43 000 personnes, dont plus de la moitié d’entre elles étaient des enfants.

Cet ouvrage est structuré en deux parties :

Cet ouvrage recueille le témoignage direct de neuf hommes et d’une femme et retrace les actions de onze autres, aujourd’hui dis parus.Àl’heure de cette publication, les dix témoins ont entre 81 et 92 ans. Malgré leur âge, leurs souvenirs sont intacts. Et c’est d’une voix souvent envahie par l’émotion qu’ils nous les confient. Même si le drame évoqué remonte à plusieurs décennies, leurs propos reflètent leur incompréhension toujours vive face à l’abandon des harkis.

– la seconde rappelle comment, par leurs actions et initiatives, des femmes et des hommes, disparus à ce jour, ont sauvé ou par ticipé au sauvetage des familles de harkis parfois dès la signature des accords d’Évian. Pour ces derniers sauveteurs, nos sources proviennent de publications et de témoignages fournis par leurs proches.

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Les harkis de la demi-brigade de fusiliers marins ont été les tout premiers que leurs officiers ont transférés en France avec leurs 3. François Meyer, Benoît de Sagazan, Pour l’honneur… Avec les harkis, de 1958 à nos jours, CLD, 2005.

SAUVETAGES ACCOMPLIS AVANT L’INDÉPENDANCE DE L’ALGÉRIE

François Meyer est sans aucun doute le plus connu auprès de ceux qui s’intéressent de près à l’abandon et au sauvetage des har kis. Dans son présent témoignage, il revendique sa décision et son action avec une indéfectible détermination : « Il fallait que je trouve une solution pour faire embarquer mes 300 harkis vers la France. J’ai donc désobéi en connaissance de cause. Je savais très bien ce que je risquais. » L’un des premiers hommes à dire non à l’abandon des harkis et à l’interdiction de les rapatrier, il a opposé un « Je ne partirai pas sans mes hommes ». En 2005, il leur dédie tout un ouvrage 3.Connu

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pour ses prises de position contre la torture pendant la guerre, Alain Maillard de la Morandais a été d’une grande effi cacité dans l’accueil des familles fraîchement arrivées en France. Alors qu’il finissait sa formation de prêtre à Rome, c’est justement François Meyer, qu’il avait connu précédemment en Algérie, qui l’a fait revenir en France pour lui confier une mission précise : média tiser la cause des harkis et trouver des financements afin d’aider ces derniers à s’établir. Celui qui allait devenir progressivement le prêtre le plus médiatique de France a appris à être un véritable communicant. Sur une période de six longs mois, il s’est voué sans relâche à cette mission.

ils ont dit non à l’abandon des harkis familles. Partis le 11 juin 1962 de Mers el-Kébir  4, dans le Trieux, un bateau de la marine nationale, ils ont atteint Marseille le 13 juin, accompagnés par Dominique Roze, le seul de ces officiers encore vivant aujourd’hui. Ce dernier nous confie qu’au lendemain des accords d’Évian, près d’un millier de personnes avaient été rassemblées et protégées à Mers el-Kébir, de mars à juin 1962. Il se souvient avec émotion qu’à leur arrivée à Marseille, il y avait un passager de plus : un bébé était né pendant la traversée. Dans ce même bateau, s’étaient également embarquées des familles de har kis sauvées par François Meyer.

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Daniel Abolivier, ancien chef de SAS (section administrative spécialisée) en Kabylie, a procuré de fausses pièces d’identité aux hommes qu’il avait eus sous ses ordres et a payé leur voyage sans retour pour la France. Après la guerre, cet ancien officier de l’armée de l’air a mis définitivement un terme à sa carrière en signe de protestation contre l’abandon des harkis. Ainsi, se détournant de sa carrière militaire qui l’aurait sans doute hissé au grade de général, il s’est résigné à partir enseigner le français dans plusieurs pays étrangers dont le Canada.

Le parcours d’Alain Jaspard apparaît comme le plus atypique au regard de l’ensemble des témoins. Communiste dans ses jeunes années, il est parti sans conviction en Algérie quelques mois avant la fin de la guerre. Il retiendra du pays ses lumières d’été et ses douces senteurs, mais il reste marqué par le douloureux sort d’un jeune harki dont il a tenté de sauver la vie.

Au début de l’année 1962, Yannick Lallemand est aumônier. Son frère Jacques, militaire en Algérie, a fait embarquer, à ses frais, une vingtaine de familles de harkis de Ténès où il était en poste. Arrivées en France, c’est Yannick qui les a réceptionnées à Marseille et les a accompagnées dans la Vienne, le fief de la famille. La presse locale et nationale a alors soupçonné les frères Lallemand d’avoir

4. Les accords d’Évian signés le 18 mars 1962 autorisent la France à conserver cette base durant 15 ans, mais la France se retire en 1968.

Jacques Vogelweith se définit modestement comme celui qui a seulement « obéi aux ordres de ceux qui ont désobéi  5 ». En fait, il était bien plus impliqué que cela. Au camp militaire de Zéralda ouvert en octobre 1962, ce soldat ne s’est pas ménagé pour procurer autant que possible confort moral et matériel aux harkis et à leurs familles venus se mettre à l’abri pour échapper aux persé cutions. Une fois même, il n’a pas pu refuser de sortir du camp sans autorisation pour accompagner un harki qui avait demandé à retourner à Blida afin de récupérer sa famille.

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SAUVETAGES ACCOMPLIS DANS L’ALGÉRIE INDÉPENDANTE

Marc Bénureau est un homme spontané qui n’écoute que son cœur. Son esprit d’initiative a permis de sauver plus d’un homme. En effet, alors que d’autres officiers se désintéressaient du sort des harkis à la merci des adversaires d’hier, il a illégalement signé un ordre de transfert à leurs noms et payé lui-même le voyage pour les faire partir en France.

Lorsqu’on écoute le récit de Vincent Zaragoza, descendant d’Espagnols de la Retirada, une question nous vient : ces actes lui ont-ils été dictés par son courage ou bien par son inconscience des risques encourus ? Avec humilité, Vincent répond ; « J’avais 20 ans ! » D’avril à août 1963, Vincent Zaragoza a participé à une dizaine d’opérations de récupération de « colis ». Pour sauver des familles de harkis, il a pris des risques inconsidérés : soit d’être tué par les forces de l’ordre algériennes, soit d’être fusillé en France pour acte de désobéissance à l’armée.

5. Formulation utilisée par Jacques Vogelweith, le 26 mai 2018 à l’occasion du colloque « De Zéralda à Rivesaltes », à Paris.

ils ont dit non à l’abandon des harkis fait venir des harkis pour les utiliser dans l’OAS. Aujourd’hui, Yannick Lallemand récuse avec indignation ces soupçons.

L’infatigable Yvan Durand a, d’une part, effectué de nombreux allers-retours entre l’Algérie et la France afin de faire partir des familles de harkis de la région de Palestro et, d’autre part, il a orga nisé leur installation en France avec l’indéfectible soutien d’Hélène, son épouse.

Nicolas d’Andoque, ami d’Yvan Durand, s’est distingué par ses prises de position pour défier les autorités françaises lorsque des familles de harkis arrivées à Marseille étaient menacées d’être ren voyées en Algérie.

François Reverchon a été le président de l’Association des anciens des Affaires algériennes (AAAA) créée dès le mois de mai 1962. C’est la première association d’aide aux harkis à avoir vu le

ils ont dit non à l’abandon des harkis

Les onze témoins de la seconde partie ont participé au sauvetage des harkis, à des étapes et à des degrés divers, en Algérie dès l’annonce des accords d’Évian et, pour certains, jusque très récemment en France. La longueur inégale de chacune de ces présentations s’explique essentiellement par le volume varié d’informations et de documents dont nous avons disposé.

SAUVETEURS DÉCÉDÉS À CE JOUR

Dans cette formidable chaîne humaine, se trouve aussi, une femme remarquable, Madeleine Le Pezron. Depuis l’indépen dance et jusqu’en 2008, elle a voué sa vie à toutes les catégories de rapatriés d’Algérie. Les familles de harkis de Normandie la connaissent comme le loup blanc. Au sein de la Croix-Rouge, elle a œuvré à différents niveaux : procurer des aides matérielles et morales ; repérer les abus de la part des employeurs et intervenir ; regrouper des familles éparpillées entre la France et l’Algérie ; accompagner les démarches administratives pour dénoncer des agents du FLN qui continuaient de persécuter les harkis jusqu’en Normandie.

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Xavier Camillerapp, polytechnicien aux multiples talents, a pris le relais de Georges Jasseron en qualité de président de l’asso ciation d’Aide aux musulmans français repliés d’Algérie (AMFRA) et, jusqu’à son décès, il poursuivra l’œuvre d’aide et de soutien aux harkis et à leurs descendants.

Paul Schoen, un des spécialistes des Affaires musulmanes, s’est lié aux officiers SAS dès 1963. Il a ensuite été nommé secrétaire général du Comité national pour les musulmans français (CNMF) afin de se consacrer à la défense les droits des harkis. Son action la plus emblématique au sein de ce comité a été d’avoir fait rechercher par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) des harkis internés et emprisonnés dans l’Algérie indépendante.

André Wormser s’est distingué par son humanisme et son cou rage en cachant, dans les combles de la banque familiale, des har kis arrivés en France par le réseau de l’Association des anciens des Affaires algériennes (AAAA) et considérés dès lors comme des clandestins. Au décès d’Alexandre Parodi, il a repris la présidence du Comité national pour les musulmans français (CNMF).

Georges Jasseron, l’inoubliable complice de Madeleine Le Pezron, présentée dans la première partie, s’est dévoué pour les familles de harkis dans le cadre de la Croix-Rouge de Normandie. En créant ensuite l’association d’Aide aux musulmans français repliés d’Algérie (AMFRA), il continuera de se battre pour leurs droits. Il leur a d’ailleurs dédié l’un des premiers ouvrages de témoi gnages à défendre leur cause.

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Alexandre Parodi, ancien vice-président du Conseil d’État, a co-créé le Comité national pour les musulmans français (CNMF), en septembre 1962, avec le concours des pouvoirs publics et des associations telles que la CIMADE et le Secours catholique.

ils ont dit non à l’abandon des harkis jour avant l’indépendance de l’Algérie. Jusqu’à son décès en 2021, cet homme a œuvré sans relâche en faveur des anciens supplétifs.

Jean-Marie Robert, sous-préfet d’Akbou en 1956 puis sous-pré fet de Sarlat en 1962, est connu pour son rapport éloquent où il dénonçait non seulement les conditions déplorables des « villages » de regroupement en Algérie, mais aussi la torture pratiquée lors des interrogatoires. Opposé à l’abandon des harkis, il a également œuvré depuis l’Algérie puis depuis la Dordogne pour le sauvetage de nombreuses familles.

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ils ont dit non à l’abandon des harkis

Maurice Faivre était en poste en Allemagne au moment de l’indépendance de l’Algérie. Il n’a donc pas participé au rapatrie ment des harkis. C’est en France qu’il va ressembler les harkis qu’il avait sous son commandement pendant la guerre, ainsi que leurs familles. Il va se dévouer pour les loger à Dreux, leur trouver du travail et aider leurs enfants dans leur réussite scolaire.

Camille Roux, lieutenant SAS de Novi (ex-département d’Or léansville), natif de Beyrouth, s’est appliqué à venir en aide à des familles de harkis originaires de la région de Cherchell que l’on avait reléguées dans le camp de Rivesaltes. Il a mis à leur disposition une grande demeure que lui-même a achetée à cet effet. Il s’est également démené pour leur trouver un emploi.

La liste des sauveteurs réunis dans cet ouvrage, encore en vie ou décédés, n’est évidemment pas exhaustive. Bien d’autres femmes et hommes ont agi pour sauver des harkis et leurs familles et ont participé à leur installation en France. Si certains semblent oubliés, beaucoup demeurent présents dans la mémoire de ceux qu’ils ont sauvés ou aidés.

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ils ont dit non à l’abandon des harkis première partie

Personnes encore en vie dont le témoignage a été recueilli

À gauche, le très jeune François Meyer, scout à Versailles. © Collection privée de François Meyer.

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FRANÇOIS MEYER

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François Meyer est né en 1933 à Saint Raphaël. Son père, ingénieur et officier dans l’armée de l’air à la base d’aéronau tique navale de Fréjus-Saint-Raphaël, a même connu Antoine de Saint-Exupéry.Françoisest enfant quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Il se rappelle encore l’occupation allemande, la défaite de 1940, et surtout l’assassinat de son oncle paternel qui avait rejoint la résis tance avec d’autres membres de la famille. Pourtant, à dix ans, au moment de la Libération de Paris en août 1944, un événement le bouleverse. Le défilé des chars de la 2e division blindée créée par le maréchal Leclerc fait naître en lui sa vocation pour la défense de son pays. Dès lors, sa trajectoire dans l’armée est toute tracée. Il terminera sa carrière avec le titre de général. François Meyer se plaît également à citer ses deux tantes engagées dans la guerre dont l’une y a même rencontré son mari, un tirailleur algérien, qu’elle suivra en Indochine puis en Algérie.

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FRANÇOISprésentationMEYER

En 1943, François et ses parents retournent en région pari sienne où réside la famille élargie. Très entouré, François Meyer va grandir à Versailles et mener une vie familiale riche et pleine d’affection.Aprèsle bac, sans surprise, il opte pour Saint-Cyr. Son classement lui permet de choisir ses armes. Influencé par la personnalité de ses instructeurs, François Meyer s’engage en 1957 dans la cavalerie, mais il doit encore passer un an à l’école d’officiers de Saumur. Il saisit l’opportunité d’aller passer un mois en Algérie pour découvrir le pays et pour mieux se préparer à sa future mission. Il est d’abord littéralement fasciné par les paysages d’Oranie et la population qu’il aborde avec un respect naturel. Les cours obligatoires d’initiation à l’arabe oral et écrit durant la formation

ils ont dit non à l’abandon des harkis

Le plus connu des sauveteurs

De retour en France, il reprend son entraînement au métier d’officier dans la cavalerie pour pouvoir ensuite choisir son régi ment. En novembre 1958, tout juste sorti de Saint-Cyr avec le grade de lieutenant, François Meyer retourne en Algérie pour encadrer un commando de harkis. Il rejoint le 23e régiment monté de spahis d’Oranie, dans le Nord-Ouest algérien. Il peut ainsi arpenter ces contrées à cheval et aller au contact de la population dans les bleds les plus reculés. Consterné par la réalité de la vie des gens, il développe alors une réflexion différente de la vision manichéenne qui circule communément.

En novembre 1959, il accepte volontiers de conduire, avec l’aide de harkis et de moghaznis (supplétifs enrôlés dans l’armée), des tribus oranaises pour la transhumance des troupeaux (chaâba) vers les terres sahariennes après avoir franchi des montagnes (monts des Ksours). Cette unité montée a pour but d’assurer la protection des tribus, environ 3 000 personnes, menacées par les indépendantistes. Durant cette expédition, son régiment traverse d’épouvantables crues emportant nombre de nomades avec leurs bêtes. Néanmoins, l’expérience de cette transhumance, qui dure plusieurs mois avant le retour à la base de Géryville au printemps, reste pour le lieutenant Meyer pleine d’enseignements.

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ils ont dit non à l’abandon des harkis à Saint-Cyr, même rudimentaires, constitueront un bagage précieux pour communiquer avec les autochtones. C’est aussi lors de cette courte expérience, dans un régiment de cuirassiers, qu’il découvre la réalité du terrain. Il est immédiatement saisi par la sous-administration générale : les habitants ne bénéficient ni de soins, ni d’instruction, et leur citoyenneté de droit commun est niée. Il soupçonne déjà l’écart entre ce qu’il a entendu et ce qui se passe réellement dans le pays.

Vivre au rythme des autochtones et communiquer avec eux en arabe, c’est pour François Meyer la meilleure façon de les connaître et d’établir de vrais contacts basés sur la confiance. C’est pourquoi, confie-t-il, lorsqu’il est affecté au bureau des renseignements de Géryville, il n’a jamais besoin de recourir à des moyens inhumains pour obtenir des informations. C’est à cette

6. François Meyer, Benoît de Sagazan, Pour l’honneur… avec les harkis, de 1958 à nos jours, éditions CLD, 2005.

Cet ouvrage était en phase de publication lorsque nous avons appris le décès de François Meyer, survenu le 10 juin 2022 à l’hôpital des Armées Percy, Clamart (92). Les honneurs de la République lui ont été rendus aux Invalides par Sébastien Lecornu, ministre des Armées.

Après les accords d’Évian, François Meyer, refuse d’abandonner les harkis ayant servi la France. Et pour lui, désobéir aux ordres devient une question d’honneur et de responsabilité morale. Il lui tiendra à cœur de témoigner sur ce drame dans un livre publié en 2005 6. À travers cet ouvrage, tel un manifeste, c’est l’un des rares officiers à parler de ses harkis comme des « frères d’armes ». Il y développe les raisons de sa désobéissance et revient sur les motivations de l’engagement, trop souvent simplistes, qu’on attribue auxJusqu’àharkis.

ce jour, le général Meyer continue de dire et d’écrire l’importance de lever le voile sur cet aspect de la guerre d’Algérie afin de rétablir la vérité sur le drame les supplétifs au lendemain du 18 mars 1962.

À 87 ans, le général Meyer, élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur, déclare à la presse au sujet de la guerre d’Al gérie : « Je crois avoir connu une guerre dont la réalité échappe encore à de nombreux Français, une guerre civile d’une violence extrême entre Algériens au moment de la décolonisation. »

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ils ont dit non à l’abandon des harkis époque qu’il fait la connaissance d’Alain Maillard de La Morandais. Partageant le refus de la torture dans les interrogatoires, une solide complicité naît entre les deux hommes. Le moment venu, François Meyer sollicitera précisément cet ami pour l’opération de sauvetage des harkis engagée au printemps 1962.

Parcours militaire en Algérie pendant la guerre « De 1958 à 1962, j’ai été affecté comme lieutenant au 23e régi ment des spahis en Oranie, dans le Nord-Ouest algérien. J’ai suc cessivement commandé deux harkas [unités supplétives dans lesquelles servaient les « harkis »] en tant que chef de commando du secteur opérationnel à Géryville, puis à Bou Alam, toujours dans le Sud-Oranais, dans une unité où le recours à des Algériens autoch tones est incontournable. Je n’oublierai jamais que, par deux fois, ce sont des harkis qui m’ont sauvé la vie.

« En janvier 1960, j’ai moi-même créé le commando Griffon pour mener des actions ciblées contre l’ALN (Armée de libération

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FRANÇOIS MEYER

« Je peux dire qu’on était très loin de la réalité ! J’ai vu comment la population civile était prise en étau entre deux adversaires qui s’affrontaient. Elle prenait des coups des deux côtés : l’armée française et la rébellion algérienne. La nuit, elle devait répondre aux exigences des rebelles qui avaient besoin de se cacher et de se ravi tailler, et, le jour, l’armée française venait la soupçonner de céder aux rebelles et bien entendu, il y avait des conséquences. Il faut dire que l’armée française était trop éloignée du quotidien de la population. N’ayant pas une connaissance précise du terrain et ne sachant pas organiser des opérations militaires ciblées et efficaces, elle lan çait des opérations au hasard. Pour obtenir des informations, des soldats français se croyaient obligés de pratiquer la torture dans les interrogatoires et, pour autant, ils n’obtenaient pas les résultats escomptés. Au contraire, il y a même eu des exécutions de civils par le FLN, car l’armée française était incapable d’assurer la protection de ses

J’ai fait la promesse à mes harkis que je ne les abandonnerai pas…

ils ont dit non à l’abandon des harkis

« C’estinformateurs.àcemoment-là que j’ai fait la connaissance d’Alain Maillard de la Morandais. Il a été envoyé dans ma section pour être puni d’avoir ouvertement dénoncé la torture.

Motivations de l’engagement des harkis

« Il ne faut pas oublier que c’était souvent des gens qui avaient été menacés par les agents du FLN, des gens qui avaient refusé de traiter avec eux ou qui avaient vu leurs proches égorgés, des gens qui étaient révoltés par les violences aveugles des rebelles. Dans le Géryvillois, par exemple, une famille connue a rejoint le camp des forces de l’ordre en réaction à l’assassinat en 1958 d’un proche parent, Hadj Kacimi Mohamed. C’était un mahlem (savant) de la mosquée de Géryville, partisan pourtant de l’indépendance, mais sans la violence. À l’époque où j’ai connu l’Algérie, à cause des exécutions de notables, d’hommes d’influence ou d’anciens combattants, les recrutements qu’on faisait pour les harkas étaient très

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« Contrairement à ce qu’on a pu dire, selon moi, les harkis ne se sont pas engagés aux côtés de la France pour la gamelle. Pour la plupart, ils ont choisi la France par tradition familiale, par respect pour le père, pour le choix de leur père qui avait choisi la France avant eux en tant que tirailleur ou autre. Leur sentiment d’attachement à la France était vraiment fort. Attention ! Ce qui ne signifie pas qu’ils désiraient une Algérie française. Tous, même les harkis, rêvaient d’une Algérie qui leur ressemble, une Algérie algérienne mais en bonne entente avec la France. Et d’ailleurs, c’était cette logique qui a favorisé le vote pour de Gaulle. Une Algérie française, c’était impossible. La population algérienne était plus forte que nos rêves ! Nos rêves de puissance commerciale n’étaient pas comparables à la force et aux valeurs chez ces gens.

ils ont dit non à l’abandon des harkis nationale) . Pour ne pas agir dans le vide, il fallait absolument que mon commando ait tous les renseignements sur les positions des différentes katibas. Il fallait avoir des informations précises sur les groupes qui enlevaient ou assassinaient la population. »

« Issus de l’Algérie rurale, les harkis étaient presque tous anal phabètes, mais, comme tous les combattants des djebels, ils s’infor maient en écoutant la radio. C’est pour cette raison qu’à ce moment crucial une radio avait autant d’importance qu’une arme. Car c’est par la radio qu’ils ont entendu les paroles du général de Gaulle, au fil de ses discours ou de ses conférences de presse. Et ils ont bien retenu : « Venez à la France. Elle ne vous trahira pas ! »

7. Ralliés de 1960 : cf. repères chronologiques « plan Challe ».

ils ont dit non à l’abandon des harkis fiables. Et parmi les harkis, il y avait aussi des « ralliés », c’est-à-dire d’anciens djounouds, et même des responsables politiques du FLN de la région de Bou Alam qui avaient rejoint le poste des spahis pendant l’été de 1960. J’en ai bien connu. Eux-mêmes ont aussi tôt recruté des combattants dans les tribus. Ensuite une arme leur était confiée lors d’une cérémonie présidée par le sous-préfet de Géryville. Pour moi, ce qui les a décidés à abandonner la révolution, c’est quand ils ont entendu de Gaulle qui promettait la libre autodétermination et la « paix des braves ». Ensuite les choses se sont accélérées surtout après les défaites des katibas de l’ALN dans le Sud où il commençait à y avoir des purges internes et des exécutions sommaires que le FLN en difficulté s’est mis à pratiquer sans discernement. À ce moment-là, beaucoup voulaient faire reculer le FLN pour rendre possible cette Algérie nouvelle dont de Gaulle semblait montrer le chemin.

« Comme ils connaissaient bien le terrain et les habitudes des rebelles, ils marchaient souvent en tête. Alors non ! les harkis n’ont pas joué le double jeu, comme l’ont parfois écrit ceux qui les méprisaient. Ils étaient même particulièrement opérationnels et fidèles, et ils avaient peu à peu pris conscience de leur rôle. À partir de 1957, le taux mensuel des désertions de supplétifs n’excédera jamais un ou deux pour mille, ce qui est insignifiant dans une guerre civile. S’ils avaient été engagés par force, ils auraient pu déserter en maintes occasions. À Bou Alam, au sein de la dernière harka que j’ai commandée et qui avait été constituée dès 1956, on ne déplorera pas une seule désertion de harkis avant le 6 mars 1962. Justement, ce jour-là, le capitaine chef de la SAS de Bou Alam venait de retirer à ses moghaznis leurs munitions sur ordre de son supérieur hiérarchique, le sous-préfet. Aussitôt, les moghaznis se sont précipités au village pour montrer aux harkis leurs cartouchières vides. Ils criaient : « la France nous abandonne, nous serons massacrés et les lieutenants ne pourront rien pour nous ! ». Alors, le soir même plusieurs harkis, dont des ralliés gradés de 1960  7, ont déserté en emportant toutes les armes de leur poste de garde et les cinq uniques cartouches qui leur restaient. Dans le message qu’ils m’ont

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Réaction des harkis à l’annonce des accords d’Évian « Dès 1961, tout le monde savait que des représentants du gouvernement français rencontraient le FLN et que, à terme, des concessions allaient être faites. Au moment des négociations, moi, je pressentais déjà l’indépendance. J’ai su très vite que l’avenir des harkis était compromis. Mais les supplétifs pensaient que l’armée resterait assez longtemps pour ramener la vie normale. Ils s’imagi naient qu’au pire, même s’il était trop tard pour eux de revenir en arrière, ils auraient au moins le choix de suivre l’armée et rester sous sa protection.« D’ailleurs dans les unités du Géryvillois, il y avait de vraies inquiétudes chez les combattants musulmans. C’est pour cette rai son que le colonel à la tête du 23e spahis et le commandant du secteur opérationnel ont envoyé plusieurs messages dès le début 1961 8 pour signaler que les harkis étaient inquiets pour leur avenir et qu’ils avaient besoin de signes forts pour se rassurer. Ils atten daient que l’armée française leur certifie qu’elle était en mesure de faire face à ses engagements.

8. Note de service N° 35/EMI/P.H. du 5 janvier 1961 (extraits) : « Les FSNA [Français de souche nord-africaine] engagés dans la lutte armée contre la rébellion […] s’interrogent avec anxiété sur leur avenir […] Seule une action vigoureuse conduite par les cadres à tous les échelons fera disparaître de leur esprit l’idée que les événements actuels vont aboutir à de sanglantes représailles […] II faut être animé de la certitude que l’Armée restera en mesure de faire face à ses engagements, au-delà du référendum de l’autodétermination, quel qu’en soit le résultat. (En cas de sécession, le partage assurerait à l’Armée la possibilité de faire face à ses engagements). L’Armée assurera par sa présence le retour à la vie normale de ceux qui combattent à ses côtés et de leurs familles. Ceux-ci auront la possibilité de rester Français, et la France leur fera la place à laquelle leurs activités au service du pays leur donne plein droit. Sur ce point d’ailleurs, la politique gouvernementale n’a jamais changé […] Le Général Commandant en Chef […] Signé : CREPIN. »

ils ont dit non à l’abandon des harkis laissé, ils disaient : « Nous avons vu que vous déménagez en abandonnant vos amis… votre politique nous a trompés… salutations respectueuses. » Pour finir, à l’exception d’un sous-officier qui a réussi à s’enfuir grâce des complicités et à nous rejoindre, les autres ont été sauvagement exécutés par l’ALN. Cette harka sera dissoute le 16 mars par le colonel qui commandait le secteur opérationnel au motif de cette désertion, et ce, malgré une conduite exemplaire lors de l’accrochage du 13 mars 1962. »

« Le 19 mars, à l’annonce du cessez-le-feu, et surtout en prenant connaissance des accords d’Évian, c’est la stupéfaction. Dans son allocution, le général de Gaulle n’a rien dit sur la présence de l’ar mée ni sur l’instauration d’une période suffisamment longue pour permettre le retour à la normale. En revanche, la veille, les harkis ont bien entendu à la radio Benyoucef Benkhedda  9 annoncer « la grande victoire du peuple algérien ». Ils ont aussi entendu que l’ALN resterait en place avec toutes ses armes en plus du matériel laissé par l’armée française alors que les soldats français seraient cantonnés dans les casernes avant d’être progressivement évacués vers la France. Bien sûr, les accords prévoyaient que « nul ne serait inquiété en raison de son passé pendant la guerre » mais personne n’y croyait et encore moins les harkis. En plus, les prisonniers indépendantistes allaient être relâchés dans les vingt jours. Abandonné aussi le discours sur l’autodétermination qui prévoyait au départ une consultation quatre ans après le retour effectif de la paix ! Défi nitivement, cela signifiait que l’armée française allait partir bien plus tôt que prévu et laisser les harkis à leur sort. Dans ce pays musulman où la parole donnée est très importante, ces accords ont provoqué plus que de l’amertume. Cette annonce du cessez-le-feu, c’était vraiment un choc. Pour les harkis, c’était amer, un déshon neur d’avoir tant fait confiance à la France et de se voir ainsi traités. Ils ne pouvaient pas accepter que cette France puisse les abandonner après tant de promesses.

Les mesures proposées aux harkis au lendemain du cessez-le-feu

9. Benyoucef Benkhedda, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) du 9 août 1961 au 27 septembre 1962.

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ils ont dit non à l’abandon des harkis

« Dès le 19 mars à Saint-Denis-du-Sig, en Oranie, les premiers harkis sont assassinés, seize hommes et une femme, et ce massacre déclenchera une émeute. Voilà. »

« Concernant la note du 26 mars du commandement en Algérie qui confirmait le communiqué du ministre du 8 mars, on connais sait les mesures qui étaient offertes aux supplétifs. Et elles étaient loin d’être aussi généreuses qu’on avait bien voulu le faire croire.

ceux qui choisissaient le contrat de réflexion pendant six mois non renouvelables en qualité de personnel civil non armé, c’était tout simplement repousser de six mois la plongée dans l’Algérie du FLN victorieux. Il ne faut pas oublier que la willaya 5, comme les autres, avait déjà averti : « Tous ceux qui, après le 1er avril, porteront l’uniforme des colonialistes ou logeront près des postes militaires signeront leur arrêt de mort. » Dans mon entou rage, il n’y a pas eu de supplétifs qui aient fait ce choix une fois désarmés.« Laplus grande majorité a opté pour le troisième choix : le licenciement avec prime sans deviner que du jour au lendemain cette solution les livrait à l’appareil du FLN qui, dès le cessez-lefeu, avait placé la population sous son emprise. D’ailleurs comme la France avait perdu tout prestige et ne représentait plus rien, les gens se sont tournés vers les nouveaux maîtres et allaient adhérer à leurs consignes et à leurs ordres. Il devenait alors compliqué aux anciens harkis d’échapper à la surveillance de leurs voisins et de se tenir informés de l’évolution des mesures éventuelles concernant le rapatriement sans attirer la suspicion. À Bou Alam où je me trou vais, les supplétifs sont effectivement partis, pour la moitié sans prendre ce qu’ils appelaient avec dédain « l’argent de la France ».

« La possibilité de s’engager dans l’armée française n’était valable que s’ils étaient reconnus aptes. Dans ce cas, c’était suivre son régiment dans les garnisons et laisser la famille au pays. C’était donc laisser femme et enfants aux exactions probables du FLN. Alors, combien pouvaient réellement répondre aux exigences requises sachant que beaucoup de mes hommes étaient déjà chargés de famille ? Dans mon unité et sur mes recommandations, les jeunes harkis célibataires s’étaient déjà engagés entre janvier et février 1962, au sein du 23e régiment de spahis. Un dépassement du taux général des FSN  10 dans les armées avait malgré tout été autorisé dès

« Les harkis avaient trois choix : l’engagement dans les armées, un contrat de réflexion de six mois avec retour dans la vie civile sans arme ou le transfert en France.

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« Pour1961.

10. FSNA : Français de souche nord-africaine.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

« Les unités militaires qui se repliaient n’avaient pas le droit, non plus, de prendre l’initiative d’emmener avec elles les supplétifs et leurs familles.

« En résumé, leurs alternatives étaient réduites, soit accepter la prime et retourner officiellement dans leur douar ou dans leur bourgade, et se noyer dans la masse en tentant de se faire oublier, ce qui était peu probable ; soit, pour ceux qui étaient encore en service, se hâter de déserter en emportant des armes et rejoindre les indépendantistes. On a vu que c’était aussi prendre le risque majeur de se faire cueillir et tuer sans tarder.

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« Le plus souvent, ils devaient se décider dans les dix jours, avant le 1er avril, et chaque jour d’indécision était lourd de consé quences pour eux. Ils ne savaient toujours pas si l’armée resterait ou non pour garantir leur sécurité, ni s’ils pourraient réellement partir en France. On commençait à parler de plan de rapatriement mais personne ne connaissait précisément la nature et les exigences du « dossier à établir ». Donc, la plupart du temps, ils étaient livrés à eux-mêmes pour faire leur choix, isolés, sans les conseils de leurs cadres qui, hier, les avaient entraînés dans les combats mais qui étaient généralement déjà partis.

De toute façon, s’ils la prenaient, cette prime allait être aussitôt confisquée par le FLN.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

« Ensuite, le gouvernement commençait à parler de transfert en France. Cela ne concernait que ceux qui pouvaient prouver une réelle menace en restant dans le pays et constituer un dossier dans ce sens. En réalité au moment de la démobilisation, aucun supplétif ne pourra opter pour ce choix car aucune organisation pratique ne correspondait à cette disposition : regroupement, prise en charge matérielle, protection des familles ou modalités de transport. Rien n’était prévu. Ils pouvaient seulement se faire inscrire sur une liste, quand c’était possible, puis retourner attendre, sans arme, dans un village désormais sous le contrôle du FLN. Ce n’était donc qu’une promesse de plus sans concrète préparation.

« Voilà comment les harkis ont, en général, fait confiance aux accords d’Évian et sont « rentrés chez eux » comme on le dit par fois aujourd’hui pour justifier leur abandon. En réalité, avaient-ils d’autres choix, s’ils voulaient rester vivants et sauver leurs familles ?

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« Donc, dès le mois de mai 1962, j’ai pris la décision de rester, contre l’interdiction ministérielle et malgré l’ordre formel qui m’a été donné de quitter l’Algérie. À partir de là, il fallait que je trouve une solution pour faire embarquer mes 300 personnes, harkis et leurs familles, vers la France.

« Avant le 1er avril, en ma présence, de nombreux moghaznis de Bou Alam ont demandé à partir pour la France. Mais le comman dement local leur a signifié de rester dans leurs douars et d’attendre. Et le 17 avril, plusieurs d’entre eux ont été enlevés et assassinés et le maire de Bou Alam n’a pas échappé à ce triste sort. »

« Avec le démantèlement des SAS, j’ai compris ce qui allait se passer. Alors j’ai fait la promesse à mes harkis que je ne les abandonnerai pas. Attention, je précise, je n’ai jamais promis à mes soldats que la France resterait en Algérie. J’ai seulement écouté comme eux les allocutions du général de Gaulle et le discours des autorités civiles et militaires. Ils nous rappelaient suffisamment les objectifs politiques de nos combats. J’ai simplement promis à mes harkis que je resterai avec eux jusqu’au «dénouement» ! C’est pour cette raison que j’ai prolongé mon séjour. Le sous-lieutenant d’Agescy, mon adjoint, m’a suivi.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

« Dès février 1962, quand la dissolution des harkas a été annon cée, c’était comme un coup de tonnerre. Parce que, avec cette déci sion, il y avait le désarmement des combattants musulmans et leur démobilisation. Les spahis de mon commando, militaires engagés, ont refusé la rupture des contrats des supplétifs. C’est donc grâce à l’aide des spahis que j’ai pu assurer ensuite la protection des familles des anciens supplétifs.

« Alors, quand le gouvernement français a donné l’ordre de désarmer les harkis, je me suis engagé, avec des militaires de mon commando, à assurer la protection des harkis jusqu’au moment de leur départ pour la France. Et en attendant, nous les avons aidés dans les formalités administratives. Il fallait produire des témoignages qui montraient que ces anciens soldats étaient réellement menacés dans leur vie. C’était à cette condition que leur demande de transfert avait une chance d’être prise en compte.

Désarmement des harkis en 1962

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« La plupart des anciens supplétifs ont dû rejoindre douars et bourgades. Alors évidemment, sous la surveillance du FLN, ils ne pouvaient plus s’informer librement. Certaines familles restées en attente près du quartier militaire de Géryville étaient aussi soumises à d’importantes pressions par le FLN qui avait envahi la vie locale dans les villages. Profitant de son tout nouveau pouvoir, le FLN utilisait des membres des familles pour que les harkis renoncent à leur projet de départ en France. Il arrivait même qu’il fasse enlever des enfants pour atteindre plus facilement son objectif. Ensuite des groupes armés sont arrivés et les exécutions sommaires, parfois collectives, ont commencé. Les exécutions individuelles concernaient plus particulièrement les anciens djounoud ralliés en 1960. C’est ainsi que moi-même, le 17 avril à Aïn Korima, le 23 avril dans le djebel Alouat et le 26 avril à Sidi Slimane, j’ai découvert dans trois charniers les corps du maire de Bou Alam et de 22 anciens sup plétifs (harkis et moghaznis) massacrés par l’ALN. Ces massacres feront l’objet de deux rapports de gendarmerie.

« Sur place, mon commando dissous a été transformé en unité régulière du 23e régiment de spahis. Nous avons donné un congé de réflexion facultatif de huit jours à nos anciens supplétifs, ensuite, moi, j’ai rejoint le poste d’Aïn-el-Orak à quelque trente kilomètres de Géryville, en attendant un départ pour la France. Comme nous avions conservé notre armement, nous avons pu assurer la protection des familles qui sont venues nous le demander.

Incertitude des rapatriements

ils ont dit non à l’abandon des harkis

« La note du 11 avril nous permettait de protéger un camp de regroupement – si les supplétifs menacés parvenaient à gagner les postes militaires avec femme et enfants. Certes ils n’ont toujours pas l’assurance de pouvoir partir pour la France, mais ils peuvent être recueillis et pris en charge par les armées. C’est là que commence, pour tous ces anciens militaires ou supplétifs et leurs familles, une

« J’ai donc désobéi en connaissance de cause. Je savais très bien ce que je risquais. Je ne pouvais pas attendre sans rien faire. Et j’ai organisé illégalement, avec la complicité des différents services compétents, dont la marine à Mers el-Kébir, le transfert de tous mes harkis vers la métropole. »

« Au final, au regard des conditions requises pour partir et des pressions locales, on ne s’étonnera pas du faible nombre de candi dats au départ pour la France. Les supplétifs étaient plutôt désabusés et ne croiront à un véritable transfert en France que lorsqu’ils assisteront au départ effectif des premiers convois, c’est-à-dire au mois de juin 1962. Ils ont donc dû attendre plus de deux mois dans l’angoisse et l’incertitude. »

« Compte tenu des délais nécessaires pour organiser l’accueil, c’est seulement les 12 et 13 juin qu’embarqueront les premiers convois de supplétifs rapatriés. J’ai moi-même participé à l’organi sation d’un premier convoi de 200 personnes, familles comprises. Ce convoi est arrivé à Marseille puis transféré au camp du Larzac le 16 juin, soit trois mois après le cessez-le-feu et le désarmement des « Leunités.deuxième et dernier convoi, nous l’avons escorté, le sous-lieutenant d’Agescy et moi-même jusqu’en France. Lors de notre passage à Saint Denis-du-Sig, il nous faudra forcer un barrage de l’ALN, et l’escorte blindée détachée par le 23e spahis sera bien utile. Au dernier moment, une dizaine de spahis célibataires, profondément ébranlés par les débordements frénétiques et les défilés de l’ALN le jour de l’indépendance, se détourneront d’une France vaincue, et choisiront de rester en Algérie. Notre second convoi partira le 9 juillet pour Marseille avec une centaine de harkis (jeunes soldats engagés). D’abord dirigé, en train, vers Port-Vendres, il sera ensuite transféré vers le camp de Sissonne, dans l’Aisne, le 16 juillet 1962.« Au

ils ont dit non à l’abandon des harkis attente interminable, avec l’incertitude de pouvoir partir en France. Cette attente va durer deux longs mois.

Organisation des rapatriements

« Dès le mois d’août de 1962, avec Alain Maillard de La Morandais, nous sommes allés au camp du Larzac. Dans la région, il y

total, les anciens harkis, moghaznis et spahis que nous avons ramenés les 12, 13 juin et 9 juillet étaient un peu plus de trois cents personnes. Dès le mois d’octobre 1962, des familles commencent à quitter les camps d’accueil, et les derniers partiront, je crois, au début de 1963.

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Témoignage recueilli par téléphone, le 15 décembre 2020 par Fatima Besnaci-Lancou et complété par un entretien chez le témoin, à Versailles, le 1er juillet 2021. Certains passages ont été précisés grâce à l’ouvrage de François Meyer et de Benoît de Sagazan, Pour l’honneur… avec les harkis : de 1958 à nos jours, éditions CLD, 2005.

« Qui peut encore refuser de voir la responsabilité du gouvernement de la France dans le drame des harkis en 1962 ?

« Ce qu’ont vécu en 1962 les anciens supplétifs et les anciens engagés, tous des soldats de la France, ne doit pas être éternelle ment caché. C’est pourquoi, la France doit s’imposer de réhabiliter la vérité sans équivoque. C’est son devoir. Les historiens et les chercheurs ont ici un travail important à mener. »

ils ont dit non à l’abandon des harkis avait des emplois possibles pour les anciens supplétifs. Mais les propositions ne tenaient pas compte du fait que ces personnes étaient le plus souvent accompagnées de leur famille. Or, dans la situation dramatique qui était la leur, aucune famille ne voulait se séparer. Il nous a fallu avancer, sans compétences particulières nous concernant, ni concours financier significatif de l’État, pour trouver de vraies solutions de travail et de logement. Chacun de nous devait par ailleurs poursuivre ses activités professionnelles. Mais grâce au concours de maires efficaces et au dévouement de quelques amis, dont bien sûr Alain Maillard de la Morandais, ces semi-nomades de l’Atlas saharien ont pu être installés dans des hameaux de Lozère et ont aussitôt été embauchés soit à la construction du barrage EDF de Villefort, soit sur divers chantiers locaux, et, par la suite, aux mines d’Alès ou en usine chez Michelin ou Perrier… etc. Les familles ont trouvé de la sorte ce palier d’intégration qui leur était sans doute nécessaire, avant de se disperser progressivement dans plusieurs villes de France. Qui a dit qu’ils étaient inadaptables ?

seconde partie

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Actes et initiatives de femmes et d’hommes, disparus à ce jour, qui ont sauvé ou participé au sauvetage des familles de harkis

ils ont dit non à l’abandon des harkis

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ils ont dit non à l’abandon des harkis

Son histoire avec l’Algérie a débuté en 1956, lorsqu’il a été appelé pour son service militaire. À tout juste 25 ans, nommé lieutenant, il a rejoint le 16e régiment de dragons, dans le Constantinois, au nord de l’Aurès en Algérie. Puis il retournera en Algérie, pour prendre le commandement de l’une des plus vastes SAS jusqu’en 1962.

25. André Wormser, Pour l’honneur des harkis, 1 an de combats, 45 années de lutte, éditions Sillages, 2009, p. 57.

121 ils ont dit non à l’abandon des harkis

NICOLAS D’ANDOQUE

Nicolas d’Andoque de Siérège est né le 21 février 1931 à Paris 7e. Fils de colonel, il a grandi au Maroc puis il a entrepris des études de droit. Il était également le petit-fils de Gustave Fayet, peintre, collectionneur d’art et conservateur du musée de Béziers. Ce même grand-père s’était porté acquéreur, en 1908, auprès de la ville de Narbonne, de l’ancienne abbaye de Fontfroide, un monument abandonné en 1901 par les moines cisterciens. À sa retraite, en 1991, Nicolas d’Andoque s’y installera pour continuer à préserver et valoriser ce patrimoine.

Selon son ami André Wormser 25, « Nicolas était antimilitariste, sans doute parce que son père était colonel, mais il vécut toutefois intensément ces quatre longues années de guerre. […], il s’était

ils ont dit non à l’abandon des harkis engagé dans les SAS, à la suite de son service militaire, parce qu’il était peu satisfait de la situation en Algérie en 1959 26. »

À l’approche de la fin de la guerre, Nicolas d’Andoque était déterminé à sauver le plus grand nombre de supplétifs employés dans ses unités. Il a donc décidé de mettre fin à son contrat d’officier SAS, jugeant qu’en restant en Algérie, il agirait plus efficacement s’il était en civil. En laissant le commandement de la SAS de Aïn Chedjra à François Reverchon, qui est resté le chef d’antenne jusqu’à la fin, il savait aussi qu’il serait précisément renseigné sur la situation. Il a alors rouvert la Cegedur, une usine de transformation d’aluminium et de fabrication de casseroles, désertée auparavant par le personnel français évacué. C’est de cette base stratégique, qu’il a pu organiser et assurer le rapatriement de ses hommes. Il n’a quitté l’Algérie qu’en 1964, à la naissance de sa fille aînée et surtout à la fin de la mission qu’il s’était fixée.

Celui qui a étudié les humanités en autodidacte découvrira plus tard avec stupeur et tristesse que, surtout dans les villes, l’armée française avait souvent usé de la torture dans les interrogatoires. Lui se félicite de n’y avoir pratiqué que du « renseignement non violent ».SiNicolas d’Andoque est resté discret sur son expérience de lieutenant, sa mémoire semblait toujours vive, bien des années après sa période algérienne, au regard de la publication, en 1977, de Guerre et paix en Algérie. L’épopée silencieuse des SAS. 1955-1962. Dans cet ouvrage, il apporte un témoignage édifiant, ciblant le drame des supplétifs après les accords d’Évian 27. Il y explique comment avec la complicité d’autres officiers SAS, il a co-fondé l’Association des anciens des Affaires algériennes dont l’objectif primor dial était de sauver les harkis qui ont servi la France à leurs côtés.

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De retour en France en 1964, il a ensuite mené une longue carrière au sein de Péchiney puis à la direction générale du groupe jusqu’en 1991.

26. Ibid. 27. Nicolas d’Andoque, 1955-1962. Guerre et paix en Algérie. L’épopée silencieuse des SAS, Société de Production Littéraire, 1977, (édition épuisée) ; cf. chap. 9, « L’abandon et le sauvetage », extrait signalé par Daniel Abolivier dans le dernier bulletin de l’association les S.A.S en mai 2015 dont ce dernier était président.

Ainsi, durant les 28 mois de service militaire, Nicolas d’Andoque a eu le temps d’observer les conditions de vie des gens dans cette contrée rurale. Il a découvert avec consternation la misère et la détresse d’un peuple qui manquait de tout. Il a aussi constaté une administration quasi inexistante. Après ce premier contact qui l’a profondément marqué, Nicolas d’Andoque admet que la France était responsable de l’injustice qui régnait en Algérie mais, selon lui, la rébellion et la terreur étaient pires. Et quand le 16 septembre 1959, le général de Gaulle a prononcé son discours où il proposait aux Algériens trois options : l’intégration, l’association ou l’indé pendance, pour Nicolas d’Andoque, c’était une révélation. Il s’est accroché à l’idée selon laquelle, les années suivantes allaient être déterminantes. C’est pourquoi, alors qu’il avait terminé son service militaire, Nicolas d’Andoque s’est persuadé que la France avait encore une chance de poursuivre sa mission, non pas sur le terrain de la guerre, mais sur les plans politique et économique. Pour lui, c’était précisément les SAS qui allaient pouvoir remédier à la « scandaleuse sous-administration du pays  29 ». À ce moment-là, poussé par son idéalisme de jeune homme de 28 ans, il a repris l’uniforme et regagné l’Algérie en qualité de chef de SAS pour trois ans. Ancrée dans la région d’Aïn Chedjra près de Tebessa, un ter ritoire vaste de 45 km de long sur 15 km de large, la SAS menait des programmes destinés, d’une part, à la création de « petits villages 30 » pour ne pas laisser les populations isolées et, d’autre part,

29. Nicolas d’Andoque, op. cit., p. 34.

Retour au mois de juin 1956. C’était trois mois après que Guy Mollet 28 a confié les pleins pouvoirs à l’armée. Nicolas d’Andoque avait vingt-cinq ans. Nouvellement diplômé de l’école de cavalerie de Saumur, il s’apprêtait à choisir, pour son service militaire, le 16e régiment de dragons, ce même régiment chargé de combattre les troupes de l’ALN à la frontière algéro-tunisienne.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

28. 12 mars 1956 : vote des pouvoirs spéciaux par l’Assemblée nationale au gouvernement de Guy Mollet.

30. Ces petits villages étaient, en réalité, compris parmi les 2 000 camps de regroupement créés à partir de 1955 sous la houlette des généraux Parlange et Vanuxem. Dans leur esprit, il s’agissait de les soustraire à l’influence du FLN et de créer des zones interdites où les militaires pouvaient tirer sans sommation.

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Pourtant, malgré sa détermination à agir, à son niveau, en faveur d’une Algérie française plus progressiste, sa lucidité ne l’empêchait pas d’être critique sur la politique de construction de ces villages. Il comprenait le manque d’enthousiasme chez la population que l’armée a déracinée du sol de ses ancêtres et éloignée de son douar d’origine pour un modèle d’habitat inadapté aux habitudes locales. Il écrira : « Pour mieux nous convaincre que, s’il y avait un jour une Algérie nouvelle, ce ne serait sans doute pas celle à laquelle nous œuvrions 31. »Dès1961, tous les signes indiquaient au chef de SAS qu’il était déjà trop tard pour sauver l’Algérie française et, au moment du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, c’est le sort de ses supplétifs qui était en Dansjeu.son ouvrage, Nicolas d’Andoque se souviendra des ten sions ambiantes : « Le 15 mars, Jean-Pierre Sénat avait envoyé un rapport en trois exemplaires au préfet d’Orléansville dans lequel il écrivit : “Les civils font sentir aux supplétifs que la roue a tourné et que le moment de l’expiation approche, la plupart des “goumiers” manifestent le désir formel de quitter la région ”. Il suggé rait ensuite une installation en métropole et prévoyait les emplois. Aucune réaction à cette proposition concrète. Par contre, comme tous les chefs de SAS, il reçoit des notes de service qui vont “organiser l’abandon”. La note la plus étonnante est celle qui énumère

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ils ont dit non à l’abandon des harkis au développement économique afin d’améliorer le quotidien de la population par le forage manuel de puits, la construction d’habi tations, la mise en place d’écoles… Il fallait tout mettre en œuvre pour redonner confiance à la population. Mais, malgré toute la bonne volonté des officiers et la participation active des soldats et des nombreux supplétifs, les moyens financiers restaient très insuffisants. À l’instar de beaucoup d’autres officiers SAS, Nicolas d’Andoque a dû mobiliser ses relations personnelles pour arriver au bout du projet qu’il voulait exemplaire. Un ami médecin est venu par ses propres moyens pour conduire une campagne de vaccination auprès de deux mille enfants environ. Ses parents ont également été sollicités pour l’achat d’une jeep d’occasion.

31. Nicolas d’Andoque, op. cit., p. 114.

la note dans laquelle le colonel Buis s’est indigné contre « certaines initiatives prises en Algérie pour organiser l’émigration et l’installation en métropole de familles musulmanes désireuses de quitter le territoire algérien », et ignorant délibérément celle de Louis Joxe qui voulait sanctionner, en évitant toute publicité, les chefs de SAS qualifiés de « promoteurs et complices » de ces entreprises, Nicolas d’Andoque a entrepris de rapatrier vingt-cinq personnes venues de Tizi N’Tela, Bou Nouh et Pirette. Pour arriver à Alger, il aura fallu non seulement déjouer les contrôles du FLN et des CRS, mais aussi éviter l’OAS dont les tireurs surveillaient tous les musulmans. Quelques jours plus tard, sous la protection des parachutistes, ils embarqueront dans le Ville de Bordeaux mal-

ils ont dit non à l’abandon des harkis les aides administratives que l’on doit apporter aux Moghaznis et aux harkis licenciés […]. Les candidats à l’engagement doivent être célibataires, c’est la plus importante de cette note du 23 mars : l’écrasante majorité des supplétifs est mariée […]. En clair, on ne voulait pas de supplétifs, ni en France, ni dans l’armée française 32. »

Dans de telles circonstances Nicolas d’Andoque ne pouvait plus attendre : « Je rédigeai donc les statuts de l’Association des anciens des Affaires algériennes, dites « les SAS », dans ma ville de Hydra au-dessus de laquelle s’entrecroisaient les trajectoires des projectiles divers que s’expédiaient au hasard des fantaisies de leurs artilleurs, l’OAS et le FLN. » Le 14 mai 1962, le journal officiel annonçait la naissance de l’association dont François Reverchon a accepté la présidence, formant avec Jean Bottard et Jacques Lethiec le premier bureau.Dans ce même temps, les acteurs principaux unis par « les SAS », Jean-Pierre Sénat, Yvan Durand, Jean Bottard, François Reverchon et André Wormser se sont démenés et ont bataillé contre le silence de l’État français qui niait ouvertement le danger de mort auquel étaient exposés les supplétifs. Ainsi, contre vents et marées, Nicolas d’Andoque et ses compagnons des SAS ont agi tous azimuts, pour organiser les départs des groupes dont chacun avait la charge, avec pour seul objectif de sauver le maximum de supplétifs avec leurs familles.Malgré

32. Ibid., p. 160-162.

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En France, certains journaux ont reconnu l’action honorable de ces officiers de SAS en faveur de ceux qui, plus d’une fois, leur avaient sauvé la vie. Ces mêmes médias ont également accepté de relayer leur appel à toutes les solutions d’accueil, de logement et de travail pour ces familles. Cet appel a été entendu et de nombreuses propositions d’aide ont afflué. Pendant ce temps, Nicolas d’Andoque continuait de recevoir d’Algérie des alertes stipulant que, par centaines, des familles de supplétifs abandonnées dans des camps attendaient d’être évacuées.

34. Nicolas d’Andoque, op. cit., p. 169.

ils ont dit non à l’abandon des harkis gré les menaces émanant du ministère des Affaires algériennes qui interdisait tout transfert de supplétifs en dehors du « plan géné ral de rapatriement  33 ». Or, dit-il : « Nous sommes bien placés pour savoir que le plan général dont le colonel Buis fait état n’a pas d’existence effective. Promoteurs et complices de cette entreprise de sauvetage d’une parcelle de l’honneur national, de telles menaces, loin de nous arrêter, ne peuvent que nous inciter à contre-attaquer sans attendre. Je prends dans l’heure qui suit l’avion pour Paris, afin de riposter le plus rapidement possible puisque nos convois vont partir dans vingt-quatre heures et qu’ils risquent d’être refoulés 34. » C’est de la capitale que Nicolas d’Andoque a alerté la presse. Ainsi, le 22 mai, lorsque le Ville de Bordeaux a accosté à Marseille, les amis de Nicolas d’Andoque avaient organisé un comité d’accueil médiatique afin de rendre publique toute tentative d’expulsion. Ses pro tégés ont poursuivi leur route par le train jusqu’en gare de Redon, où la police, dépêchée par le sous-préfet, les a encerclés. Alertés de ce guet-apens, Nicolas d’Andoque et ses amis se sont précipités à l’Assemblée nationale pour dénoncer cet abus d’autorité. En réalité, c’était davantage la menace d’une publicité néfaste qui a détourné de justesse les intentions préfectorales de refouler les harkis.

Nicolas d’Andoque a dû encore effectuer plusieurs allers-retours entre Alger et Marseille afin de poursuivre les évacuations de cen taines de supplétifs décidés à fuir l’Algérie, dont les employés de l’entreprise Cegedur qu’il avait remise en marche.

33. Le 16 mai 1962, Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes annonce le renvoi en Algérie des « supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement » tout en demandant « d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure ».

ils ont dit non à l’abandon des harkis

Par ailleurs, des membres des SAS devaient lutter non seulement contre l’obstruction de leur hiérarchie qui interdisait même aux compagnies maritimes de transporter des supplétifs, mais éga lement contre les rumeurs dont « un étonnant éditorial de Serge Bromberger, qui soutenait que l’évacuation des supplétifs menacés de mort n’était qu’une couverture pour l’introduction en France de tueurs de l’OAS. L’insinuation était insoutenable, elle provoqua de notre part une réaction aussi rapide qu’énergique. André Wormser et Jacques Lethiec auront le lendemain même une explication directe avec Serge Bromberger à l’issue de laquelle, ils refuseront de serrer la main du journaliste, qui venait peut-être, dans son incroyable faiblesse à l’égard des pouvoirs, de signer la condamnation de dizaines de milliers d’amis musulmans  35.» Le Monde reprendra la même insinuation : « Le gouvernement s’ef force d’empêcher que l’installation de harkis ne soit exploitée à des finsPourtant,politiques 36. »c’est sans aucun doute cette vaste opération menée par les SAS qui va déclencher une véritable prise de conscience : l’État et le ministère des Armées ont décidé dans la foulée d’ouvrir en France des camps de transit et de reclassement dont le premier est au Larzac (13 juin 1962).

Ce dispositif était provisoire car les camps devaient être restitués à l’armée. C’est pourquoi, les familles de harkis allaient progressivement être orientées vers trois voies. La première s’adressait à ceux qui avaient trouvé du travail et un logement. Cette voie était illu soire, car le ministre chargé des rapatriés avait envoyé des instruc tions stipulant que des logements HLM devaient être réservés aux seuls pieds-noirs  37. La deuxième voie était celle du reclassement collectif dans l’un des 69 hameaux de forestage. C’est à cet effet que des hameaux de forestage ont été créés sur proposition des fondateurs de l’Association des anciens des Affaires algériennes (AAAA),

36. Le Monde du 24 mai 1962.

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37. Circulaire du 31 janvier 1964 de François Missoffe, ministre des Rapatriés, adressée aux préfets leur demandant de ne reloger les familles de harkis dans des HLM qu’après avoir relogé tous les « rapatriés » (européens).

35. Ibid., p. 163.

Sources :

Enfin, la troisième voie était réservée à ceux qui ne pouvaient être orientés vers aucune des deux premières. Ces personnes, dénommées « inclassables », que le ministre des Rapatriés a scandaleusement caractérisées de « déchets », seront dirigées vers les camps nommés improprement « centre d’accueil », soit à Bias, soit à Saint-Maurice-l’Ardoise.SiNicolasd’Andoques’est impliqué sans compter dans la gigan tesque opération en faveur des familles de harkis, d’abord dans la phase de leur sauvetage puis dans le processus de leur insertion en France, durant le reste de sa vie, il n’aura de cesse de prendre leur défense. Associé aux autres anciens officiers SAS, il a dénoncé haut et fort le « crime inexpiable » de ces hauts fonctionnaires, entre autres du général de Brébisson, commandant supérieur des Forces armées françaises en Algérie  38, qui se sont lâchement dissimulés derrière les accords d’Évian.

À 82 ans, déjà titulaire de la Légion d’honneur, il a reçu les insignes de commandeur dans l’Ordre national du Mérite durant l’étéNicolas2012. d’Andoque est décédé le 24 mars 2018 à Narbonne, à l’âge de 87 ans.

Nicolas d’Andoque, 1954-1962. Guerre et paix en Algérie. L’épopée silencieuse des SAS, SPL, 1977.

38. Nicolas d’Andoque, op.cit., p. 182

ils ont dit non à l’abandon des harkis mis en place sous la houlette d’Yvan Durand et gérés par le service des rapatriés de la préfecture à laquelle ils étaient rattachés.

André Wormser, Pour l’honneur des harkis, 1 an de combats, 45 années de lutte, éditions Sillages, 2009, p. 57.

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Familles de harkis vivant sous des tentes à Ongles (04), septembre 1962. © Archives municipales de Forcalquier 4Fi1772, collection Paul Magdeleine.

Yvan Durand est né le 2 octobre 1931 à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône). Au décès de son père, Yvan n’avait que huit ans. Après avoir décroché un diplôme universitaire en lettres, il s’est passionné pour l’ethnologie. Il est alors entré comme stagiaire au musée de l’Homme puis au musée archéologique de Madrid.

YVAN DURAND

Novembre 1954 a marqué le début de la guerre en Algérie. C’est justement à ce moment-là que le sursitaire Yvan Durand a com mencé son service militaire au 4e régiment de cuirassiers à Trêves. De sa formation d’officier à Saumur, il est sorti sous-lieutenant de réserve. Parachutiste volontaire, il a été affecté en novembre 1955 au 13e régiment de dragons aéroportés à Palestro, en Algérie. Il y a servi en qualité d’officier de renseignement jusqu’à la fin de ses obligations militaires, en juin 1957. Ce qui lui vaudra, quelques

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ils ont dit non à l’abandon des harkis

La circonscription en charge étant très vaste, Yvan Durand a créé deux autres SAS en deux ans : celle de Maala el-Isseri et celle d’Ouled Gacem. De nouveau, les populations regroupées ont été

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ils ont dit non à l’abandon des harkis mois après, une citation à l’ordre de la brigade dans les termes « Jeune officier de réserve animé d’un grand sens du devoir ». Il s’est toujours distingué par sa compétence exceptionnelle et par son inlassable activité dans sa fonction d’officier de renseignement qu’il a exercée en Grande Kabylie pendant plus d’un an. Le 1er octobre 1957, alors nommé lieutenant de réserve, il est rentré en France, mais son esprit est resté marqué par les conditions de vie déplorables des populations paysannes qu’il a rencontrées et côtoyées. Ce qui explique que son retour à la vie civile sera bref. En effet, dès mars 1959, tandis que la violence de la guerre continuait cruelle ment à déchirer et à appauvrir la population rurale en Algérie, Yvan Durand a décidé de reprendre du service pour trois ans. Il a alors intégré le service des Affaires algériennes et est retourné en Algérie.

Dans un premier temps, il a été affecté en qualité de chef de la SAS de Thiers, arrondissement de Palestro, avec un groupe de moghaznis sous ses ordres. Yvan Durand s’est pleinement investi dans sa fonction et a réussi à gagner la confiance d’une bonne partie de la population malgré de fortes tensions accentuées par son prédécesseur.Sesinitiatives ont été relativement bien accueillies, notamment avec la création d’une coopérative agricole destinée à rendre les habitants plus autonomes et leur permettre d’échapper à la pression des commerçants qui leur achetaient les produits à des prix tropAubas.départ, ignorant tout de l’agriculture, Yvan Durant s’est ren seigné auprès d’un organisme spécialisé pour cibler les plantations les plus adaptées au sol local. La population l’a suivi dans ce projet agricole inédit : la protection et la culture étaient assurées par des équipes d’hommes. En parallèle, étaient mis en place des ateliers où Hélène, son épouse, et des femmes autochtones pouvaient échan ger et mutualiser des savoir-faire. L’une apportant la pratique du tricot, de la couture, de la puériculture, et les autres des techniques et des spécialités locales à travers le tissage, la poterie, la cuisine.

Le 17 décembre 1960, le lieutenant de réserve a obtenu la croix de la Valeur militaire avec étoile d’argent pour saluer son engagement dans les SAS.

Après les accords d’Évian et l’ordre intimé aux militaires de par tir, Yvan Durand ne pouvait se résoudre à s’en aller en abandonnant ses hommes à la merci du FLN. Aussi, afin de pouvoir agir librement et de ne plus être soumis aux sanctions annoncées par Pierre Messmer et Louis Joxe 39, il a démissionné en avril 1962. En effet, le ministre des Armées et le ministre des Affaires algériennes venaient de menacer les officiers décidés, contre les directives, à rapatrier dans l’Hexagone les supplétifs placés sous leurs ordres. Dès lors, les mains libres, Yvan Durand a pu se consacrer au rapatriement des supplétifs, non seulement ceux qui servaient sous ses ordres, mais aussi de nombreux autres que leurs officiers avaient abandonnés.

ils ont dit non à l’abandon des harkis impliquées dans la construction de divers bâtiments et équipements en vue d’améliorer les conditions d’habitation.

Dans un premier temps, il s’est occupé de les rassembler avec leurs familles. C’est le début, selon sa propre expression, du pre mier grand « sauvetage des Français musulmans », lancé dès les accords d’Évian et poursuivi jusqu’en juin 1962. Mais son implication ne s’est pas arrêtée là. Elle s’est prolongée, bien au-delà de cette date. En France, il s’est investi sans compter dans l’installation

39. Devant l’insuffisance de ce plan restrictif, des officiers organisent le départ de harkis et de leurs familles y compris par des voies clandestines. La réaction du gouvernement est rapide : Le 12 mai 1962, Pierre Mesmer, ministre des Armées, les menace de sanctions. Le 16 mai, c’est Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, qui annonce le renvoi en Algérie des « supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement » tout en demandant « d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure ».

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Pour administrer ce territoire, Yvan Durand était épaulé par le RIMA (régiment d’infanterie de marine). Néanmoins, en qualité d’officier de l’armée, rattaché à la préfecture de son département, sa tâche s’avérait aussi variée que colossale. Dans ce pays largement sous-administré, tout était à construire : écoles, dispensaires, ouvertures de chemins, installations de points d’eau potable, etc. Il fallait aussi assurer la sécurité de la population souvent menacée par le FLN qui, de surcroît, lui interdisait de fréquenter les SAS, sous peine de mort.

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André Wormser, un des témoins présents dans l’ouvrage, a écrit  40 : « Le sens aigu de la justice d’Yvan lui avait fait âprement défendre l’idée d’un rapatriement en France : une vision des choses, au demeurant, que je partageais, tout comme Nicolas 41. »

ainsi qu’après avoir fait embarquer plus de 2 500 personnes, Yvan Durand a quitté l’Algérie, le dernier jour du mois de juin 1962, avec son épouse et sa fille de dix-huit mois. Uni et solidaire, le couple Durand a poursuivi son engagement de l’autre côté de la Méditerranée.

41. Nicolas d’Andoque, un des témoins de cet ouvrage.

42. André Wormser, op.cit.

Dès que Yvan Durand a appris que des familles étaient en détresse et risquaient leur vie dans des endroits isolés, notamment dans la montagne, il s’est débrouillé pour aller les récupérer et les rassembler sous protection militaire, le temps de trouver des véhi cules et de se procurer les autorisations nécessaires pour les faire partir.C’est

De 1962 à 1968, Yvan Durand a pris la fonction d’inspecteur du Service des Français musulmans auprès du ministère des Rapa triés et militait au sein de l’association des anciens des SAS dont il étaitArrivéesco-fondateur.enFrance, les familles de harkis n’étaient évidemment pas attendues et, dans de nombreux cas, elles ont attiré la méfiance de la population locale qui ignorait jusqu’à la signification même du terme « harki ». Il fallait donc rapidement improviser des lieux d’hébergement. C’est ainsi que les premières familles ont été instal

« En arrivant en France en 1962, dans un dénuement commun à bien des rapatriés, les Durand avaient été accueillis à Béziers par Nicolas et sa femme, dans une bastide au milieu des vignes que possédait la famille d’Andoque. Je les rejoignais dans le Sud dès que mon emploi du temps bien chargé me le permettait 42. »

ils ont dit non à l’abandon des harkis et l’insertion sociale des familles de harkis, et ce, jusqu’à sa mort accidentelle en 1986.

40. André Wormser, Pour l’honneur des harkis, 1 an de combats, 45 années de lutte, éditions Sillages, 2009.

ils ont dit non à l’abandon des harkis lées sous des tentes de l’armée, sur un terrain éloigné du village où l’eau potable n’arrivait que par camions-citernes. C’était le camp du Larzac. Yvan Durand leur a promis que les tentes seraient pro visoires.Opiniâtre et déterminé, il a multiplié les démarches auprès des ministères pour obtenir des crédits et les contacts auprès des municipalités pour les convaincre d’accueillir vingt-cinq familles de harkis. Après avoir essuyé plusieurs refus, Yvan Durand a réussi à convaincre André Laugier, maire d’Ongles (Alpes-de-Haute-Pro vence) et son conseil municipal.

À la fermeture de ce hameau de forestage, les constructions ont été transformées en centre de formation en faveur des enfants de harkis. Entre 1965 et 1971, plus d’un millier de jeunes de 14 à 16 ans, venus de toute la France, passeront par ce centre professionnalisant dont certains se souviendront de la discipline stricte.

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Le 6 septembre de cette même année, après quelques semaines au camp du Larzac, pas moins de 133 personnes arrivaient dans le petit village de 200 habitants. Dans un premier temps, des tentes militaires sont montées en attendant que soit construit un village forestier en préfabriqué avec la participation des harkis eux-mêmes. Mais un hasard météorologique va bousculer l’organisation prévue. Une sévère tempête de neige va inciter les habitants à ouvrir leur porte à ces nouveaux venus. Ce geste a certainement favorisé le rapprochement des deux populations.

L’implication d’Yvan Durand a également été déterminante dans la création de « hameaux de forestage », localisés principale ment dans le sud de la France. Ces espaces gérés par l’ONF (Office national des forêts) offraient immédiatement du travail aux anciens supplétifs vivant dans différents camps de transit. Ongles était ainsi le premier village de forestage mis en place sous l’impulsion d’Yvan Durand.Après avoir répondu aux besoins urgents d’hébergement et d’emploi, Yvan Durand souhaitait aller plus loin : renforcer les relations sociales et culturelles entre ces familles déracinées et les villageois avec la construction d’un foyer. Avec la même détermination, Yvan Durand a aidé ces familles à obtenir la nationalité française. Les dernières familles ont quitté Ongles fin 1964.

En 1976, au moment de lui accrocher l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur, Alexandre Parodi, membre de l’Institut et vice-président honoraire du Conseil d’État, lui a exprimé son admiration : « C’est au total une grande œuvre humaine qui a été ainsi accomplie par vous ; vous l’avez menée jusqu’au bout. »

Le 6 juillet 1986, Yvan Durand est tragiquement décédé à l’âge de 46 ans, renversé par une voiture alors qu’il se rendait chez un harki qui avait besoin de son aide.

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Principales sources :

Aujourd’hui, sa mémoire se perpétue dans le cadre du petit musée intitulé Maison d’Histoire et de Mémoire d’Ongles (MHeMO) où une place de choix lui est réservée – son uniforme de l’armée y est exposé et un témoignage audio de son épouse est proposé aux visiteurs. En son hommage, la salle polyvalente du village d’Ongles porte son nom. C’est dans ce lieu qu’une journée d’étude est organisée chaque année depuis 2008.

André Wormser, Pour l’honneur des harkis, 1 an de combats, 45 années de lutte, éditions Sillages, 2009.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

Ils arrivent demain – 1962-1971, Ongles, village d’accueil des familles d’anciens harkis, co-dirigé par Jean-Jacques Jordi et Abderhaman Moumen, édité par Mairie d’Ongles (archives départementales des Alpes-de-Hautes-Provence), 2008.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

En tant que spécialiste de l’enseignement de la guerre d’Algérie, pensez-vous que ce recueil de témoignages peut avoir sa place dans les dispositifs pédagogiques pour enseigner la guerre d’Algérie et sensibiliser les élèves à sa complexité ?

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À travers l’étude que j’ai pu mener sur l’évolution des manuels scolaires de 1983 à nos jours, j’ai repéré trois étapes d’évolution dans la manière de traiter la question franco-algérienne. D’abord, jusqu’à la fin des années 1980, c’est l’opposition de Gaulle/FLN qui s’exprimait dans le champ des mémoires, avec d’un côté un État dominateur, colonial et de l’autre des victimes. Puis, dans les années 2000, une nette évolution dans la transmission scolaire du conflit franco-algérien a permis de réintroduire ce que j’ai appelé dans de récents articles  79, une polyphonie mémorielle, c’est-à-dire l’option de restituer toutes les voix de l’histoire franco-algérienne. C’est à ce titre que nous avons pu assister dans les années 2000, à 79. Benoît Falaize, « L’école et la guerre d’Algérie : vers une polyphonie mémorielle », Mémoires en jeu, n° 15-16, hiver 2021/2022, p. 121-125.

Votre livre intervient dans le cadre du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie et, à mon sens, il offre une nouvelle porte d’entrée pour étudier la question mémorielle associée à la guerre d’Algérie.Même si la question franco-algérienne et les faits liés à la guerre sont largement connus aujourd’hui grâce à un intense renouvelle ment historiographique depuis le début des années 2000, le sujet reste encore sensible à plus d’un titre et donc porteur d’une charge mémorielle, commémorative et émotionnelle très forte.

Entretien avec Benoît Falaize, chercheur-correspondant au Centre d’histoire de Sciences Po Paris.

POSTFACE

80. François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis, 1954-1962, Perrin, 2013 ; Fatima Besnaci-Lancou, Abderahmen Moumen, Les harkis, Le Cavalier Bleu, Idées Recues, 2008.

La complexité du conflit franco-algérien s’explique par la multitude d’acteurs et de témoins qui développent des rapports opposés et souvent incompatibles. Or, on s’aperçoit qu’aucun d’eux ne constitue un groupe homogène et clairement défini, ni même homogène dans le temps. Si l’on considère le cas des harkis, par exemple, on sait que n’étant pas forcément pro-français, certains s’engagent dans l’armée française par nécessité économique, d’autres sont enrôlés 80. On sait aussi que des membres d’une même famille peuvent appartenir à des camps différents. Cette complexité est essentielle parce que dès lors qu’elle est offerte à un public scolaire, qui est d’ailleurs très demandeur de ces questions, les positions doc trinales, rigides, qu’ils pouvaient avoir au préalable dans des représentations trop rapides, se fissurent. Tout d’un coup, la polyphonie ouvre au questionnement. C’est donc en montrant la complexité de cette guerre que le rapport à l’histoire franco-algérienne pourra s’apaiser. L’histoire de cette guerre ne peut pas continuer d’être por tée uniquement par l’opposition de deux camps avec d’un côté les tortionnaires, les Français, et de l’autre, les Algériens, les victimes, ou inversement, les sanguinaires engagés dans le FLN et les autres innocents de la population civile. Si on reste sur cette opposition, on reste dans l’affrontement et donc dans la guerre.

Pour répondre à la question de la place des témoignages, que vous présentez très utilement, dans la transmission pédagogique, pour moi, elle est centrale, parce que si on veut introduire de la

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ils ont dit non à l’abandon des harkis la faveur de nombreux débats mémoriels et des nouveaux travaux d’historiennes et d’historiens, à l’apparition de groupes sociaux dont on ne parlait pas jusque-là dans l’école. Les harkis ont été les premiers et progressivement, entre 2005 et 2007, ont suivi les juifs d’Algérie, les appelés du contingent, les Algériens opprimés par le FLN (le massacre de Mélouza par exemple). Ces groupes, porteurs d’autant de mémoires différentes du conflit, ont été introduits dans les manuels scolaires avant de figurer dans les programmes officiels. Cette polyphonie mémorielle, que je porte avec force, est à mon avis la voie indispensable qui permet de proposer à nos élèves la traduction didactique d’une histoire complexe.

ils ont dit non à l’abandon des harkis complexité, nécessaire pour pacifier les mémoires, ou pour réfléchir avec distance et sans stéréotypes, on est obligé de rentrer dans l’his toire humaine des gens. D’ailleurs si l’on cherche ce qui relie tous les témoins de votre livre, on trouvera précisément leur humanité. Ces hommes se ressemblent dans ce qui transcende tous les clivages, qu’ils soient sociaux, politiques, économiques…

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Je me suis d’ailleurs interrogé sur la pertinence d’établir une sociologie rapide sur ces personnes. Et ce qui saute aux yeux, c’est leur diversité. Finalement, cette diversité est rassurante. Cette mul tiplicité des profils dans ce corpus permet ainsi de balayer d’emblée le raccourci selon lequel les harkis ont été sauvés par des militants de l’OAS dans le but de les utiliser pour leur cause. Au regard de toutes les situations décrites, il n’apparaît pas que les harkis ont forcément des liens avec l’OAS. Même le discours selon lequel les harkis seraient dans la catégorie pro-française est déconstruit. On mesure très bien l’impossible généralisation.

Pensez-vous que la voix de « ces soldats qui ont dit non à l’abandon des harkis » pourrait enrichir les mémoires déjà existantes et favoriser une vision apaisée de cette guerre ? Justement, il y a ce troisième temps que j’ai évoqué plus haut et que je n’ai pas encore développé, celui que votre livre ouvre. Ce temps qui n’est pas indépendant des autres questions mémorielles. On l’a vu apparaître avec Jacques Chirac de manière offi cielle quand il a commémoré les Justes de la Shoah. Il n’y avait pas d’un côté les salauds, les collaborateurs, les nazis, et les juifs de l’autre. Il y avait aussi des gens simples, les gens ordinaires, avec des profils très éclectiques qui, à un moment donné, ont dit « Non, on ne peut pas faire ça ». Ils sont ce qu’on appelle dans l’histoire de la Shoah, les Justes. C’est ce que montrent vos témoins. Tous ces gens d’horizons très divers se retrouvent dans la même implication per sonnelle. Ils peuvent être politiquement de droite, de gauche, des paysans, des chefs d’entreprise, des ouvriers, des hauts fonctionnaires, il y a même un descendant de la Retirada. Ils représentent une seule et même catégorie, que vous avez nommée des « sauveteurs » pour ne pas interférer avec les Justes de la Seconde Guerre

81. Jean-Marie Pelt, Héros d’humanité, Flammarion, Paris, 2013.

Dans le cadre des derniers programmes scolaires, quelle place cet ouvrage pourrait prendre dans l’enseignement de la colonisation, de la guerre d’Algérie et de ses mémoires ?

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ils ont dit non à l’abandon des harkis mondiale. À chaque époque sa singularité. D’ailleurs, on retrouve la même dynamique dans le travail de mémoire qui est en train de se faire sur les rescapés Tutsis du Rwanda. Le dernier livre le Jean Hatzfeld, Là où tout se tait, le montre bien avec des Hutus qui, sans réfléchir parfois, par pur geste d’humanité, ont sauvé des Tutsis du génocide au Rwanda. Tout récemment, dans une classe de lycée, j’ai entendu un rescapé Tutsi qui a dit : « Moi je n’aime pas le mot « Justes ». Ceux qui ont fait ça, ce ne sont pas des Hutus, parce que pour moi, Hutus veut dire oppresseurs. Mais parmi les Hutus, ceux qui ont sauvé, ce sont des hommes. » Le terme « hommes », ici, n’était pas pris dans le sens viril « j’ai eu le courage physique de… », il s’agissait bien d’hommes au sens de « héros d’humanité 81 », c’està-dire des gens qui incarnent la fraternité humaine, donc, au-delà des désaccords, au-delà des camps respectifs. Il s’agit seulement de sauver la vie à une personne.

Tout d’abord, il faut préciser qu’un collégien peut n’avoir jamais étudié la guerre d’Algérie sachant que la colonisation est inscrite en quatrième et qu’en troisième, la guerre d’Algérie est devenue un thème au choix avec la Seconde Guerre mondiale. Au lycée, la guerre d’Algérie et la colonisation sont traitées dans le tronc commun. Entre la première et la terminale, tous les élèves aborderont

Toutes ces situations montrent que chaque fois que la dualité oppresseurs/victimes est dépassée, s’ouvre le chemin de la complexification et donc de l’apaisement ou du moins, de la distance. Peut-il y avoir apaisement ? C’est une autre question… C’est ce qui me fait dire qu’avec l’introduction de ces nouvelles voix qui disent une mémoire singulière, on entre dans une troisième phase de transmission. Et votre livre offre toute cette palette de person nages qui viennent donner de la matière à faire des héros d’humanité à partir d’individus qui n’ont agi que par conscience humaine.

ils ont dit non à l’abandon des harkis un peu d’Algérie et de colonisation française en Algérie mais, dans le flot du programme, cela ne représente qu’un très petit volume d’heures. Le programme qui approfondit le plus la question des mémoires franco-algériennes et de la guerre d’Algérie, concerne la spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (HGGSP), ce qui représente environ 25 % des élèves. En HGGSP, la guerre d’Algérie est un sujet obligatoire au sein d’autres sujets mémoriels comme les questions juive, tutsie…

82. Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Trajectoires dissi dentes (1934-1965), Presses universitaires de Rennes, 2015.

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En lisant votre livre, plus encore que la diversité des témoins, on voit éclater toute la complexité de cette guerre franco-algérienne selon le moment où les soldats ont été appelés entre 1954 et 1962, les multiples territoires traversés et les expériences vécues. Dès l’instant où des soldats ou des officiers de l’armée française, tout en assumant l’autorité qui leur est confiée, expriment leur empathie avec la population Algérienne et l’estime réciproque, les clichés s’effon drent. En ce sens, ces témoignages constituent une mine de matière qui pourrait être utilisée dans des manuels scolaires et mise à disposition des enseignants. En dehors de la pluralité des mémoires, ces témoignages offrent des situations très concrètes. Sous forme de fiches, ou d’extraits de bandes sonores, accessibles en ligne, ces ressources pourraient être mises à disposition des enseignants qui y puiseraient matière au gré des besoins pédagogiques. Par exemple, pour casser l’idée reçue sur le clivage Juifs/Algériens, il suffit d’aller voir la fiche d’André Wormser, ce banquier d’origine juive, officier français sympathisant de la cause algérienne et qui sauve des harkis parce qu’il se rend compte que l’armée française va mal se comporter à leur égard. À ce sujet, il y a une thèse de Pierre-Jean le Foll-Luciani, sur les juifs algériens anticolonialistes  82. L’intérêt de ces témoignages, proposés à des jeunes, pour certains en quête identitaire et tentés par les raccourcis trop rapides, est de montrer que la situation est beaucoup plus compliquée qu’ils voudraient bien le croire. Ces témoignages ouvrent d’autres possibles.

Pensez-vous qu’un tel sujet participerait à l’apprentissage de la citoyenneté en ce sens qu’il permet de déconstruire les stéréotypes ?

Encore une fois, on voit comment après la présentation du conflit en termes d’opposition, et la pluralité des mémoires remises à jour, ces témoignages forcent l’étonnement. On ne peut qu’être frappé par la présence d’esprit de ces jeunes, voire très jeunes, sol dats qui agissent sans se demander « Qu’est-ce que j’engage de ma carrière, de ma vie personnelle, de ma sécurité même ? Comment vais-je rendre public auprès de ma hiérarchie que je vais m’occuper de ces populations harkis alors que les ordres me l’interdisent ? » Pourtant, la seule chose qui surgit dans l’esprit de ces jeunes appelés à ce moment-là, c’est « Si je ne fais rien, ces gens vont être massa crés et je ne peux me résoudre à ça. » Ce livre met en évidence qu’il ne s’agit plus de la France contre le FLN. Il n’est plus question que d’humanité. Parmi vos témoins, je cite encore Vincent Zaragoza qui dit simplement : « J’étais inconscient, j’avais vingt ans. » Pourtant sans hésiter, sans réfléchir, il va exfiltrer plusieurs familles de harkis, quel que soit l’endroit, et il réitère le sauvetage à plusieurs reprises. C’est seulement cinquante ans après, qu’il a pu mesurer le danger.Pour répondre à votre question, donner à voir concrètement à quelle réalité concrète, ces valeurs renvoient permet à un jeune de mieux comprendre. Cependant, il ne s’agit pas de présenter des

Ce xxe siècle apparaît comme un siècle de chaos, de fracas, de violence dont plusieurs générations restent marquées. Avec la guerre d’Algérie et toute sa complexité intérieure, il n’est pas étonnant qu’en 1962, des gens agissent là où on ne les attendait pas. Parmi eux, certains de vos témoins s’inscrivent, dans leur socialisation, au regard des années trente et d’autres de la Seconde Guerre mon diale. Il devient alors presque impossible d’isoler la question de la sortie de guerre d’Algérie de tout ce qui s’est passé avant, de toute socialisation familiale, intellectuelle, politique antérieure. Il ressort que des personnes comme François Meyer, Paul Schoen, André Wormser ou Vincent Zaragoza ont agi au regard d’une maturation intellectuelle, morale, liée à leurs origines sociales, familiale, à leur parcours de vie.

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ils ont dit non à l’abandon des harkis exemples pour lui dicter une conduite. La transmission seule n’est pas suffisante. Encore faut-il lui donner les outils pour qu’il réflé chisse par lui-même, sachant qu’il est seul responsable de ses actes.

Les actions de certains ont des résonances avec ce qu’ils ont vécu, avec la manière dont ils ont été construits. Alain de la Morandais, par exemple, avait préalablement une éthique solide qui a influencé son positionnement contre la torture puis sa décision de sauver des gens au nom de la stricte humanité. C’est, au fond, ce que disent tous ces gens rassemblés dans ce livre : « Ce sont nos égaux », et, au-delà d’être des frères d’armes, ces harkis sont avant tout nos frères humains. Cette réflexion m’a fait penser au travail mené par Alain Chouraqui et son équipe pédagogique sur le site mémoriel du camp des Milles  83. Faire de l’histoire pour de l’histoire serait tout à fait stérile. On fait de l’histoire pour donner des clés de compréhension du passé et surtout permettre aux générations futures de répondre à la question : comment faire pour que cela ne se reproduise plus ? Mais c’est aussi pour réfléchir à l’engagement collectif et individuel, et aux seuils de l’insupportable. Leur dispositif pédagogique vise à renforcer la nécessaire vigilance et la responsabilité de chacun face à des toutes sortes de situations, toute situation de crise au fort potentiel d’explosion et de contamination identitaire et ce que cela implique de rejet, de xénophobie, d’exclusion, de violences. À un moment donné, il y a des responsabilités individuelles et, au-delà

83. http://www.campdesmilles.org/

J’irai même plus loin. Pédagogiquement la question « Qu’au rais-tu fait à cette époque ? » serait d’emblée biaisée. En réalité, c’est impossible d’y répondre. Le plus important, ici c’est de donner à voir des situations concrètes où des gens, en temps réel, n’ont pas le loisir de s’interroger ni de réfléchir. Ces histoires ouvrent vers des possibles autres que des clichés trop éloignés de l’immédiateté à laquelle ces hommes ont dû faire face. Certaines des personnes, qui ont pu être très engagées dans la Résistance, se sont parfois mal comportées pendant la guerre d’Algérie en ignorant l’aspiration d’un peuple à son indépendance, et inversement, d’autres qu’on n’aurait pas imaginés dans la posture de sauveteurs se sont finale ment avérés irréprochables.

ils ont dit non à l’abandon des harkis de ce qu’on est, au-delà de ses options politiques ou autres, il y a un choix qui doit être fait. Et là encore, inutile de poser la ques tion « Et toi, qu’est-ce que tu aurais fait ? » parce que personne ne peut y répondre réellement. Il vaut mieux donner à voir ce que des gens ont fait, montrer des situations concrètes, exactement comme celles que votre ouvrage met en évidence, c’est-à-dire des situations où telle personne se trouve tout d’un coup embarquée dans une action d’aide, d’assistance, de solidarité, de générosité, qui peut être soit totalement inattendue, soit conforme à ce que l’on sait de la famille, de ses options éthiques, idéologiques.

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Il revient à dire que donner à lire la complexité de l’histoire a du sens quand cela permet de montrer les choix possibles que les hommes ont à faire, particulièrement dans les situations de crises et de tensions. Ces exemples, ces sortes de modèles, d’incarnation des valeurs, servent à orienter et non à dicter et faire apprendre par cœur des valeurs de la République désincarnées. Ce sont les actes qui importent. Dans un travail didactique sur la citoyenneté, présenter des destins d’hommes et de femmes que rien ne prédestinait à devenir exceptionnels peut être porteur pour des enfants et des adolescents, car c’est une manière de leur dire que n’importe qui peut se démarquer, être capable de dire « Non, ça, je ne l’accepterai jamais. » Prenons l’exemple de Simone Veil, citée dans l’ouvrage pour avoir rendu hommage à André Wormser. Elle a défendu en 1954 des femmes algériennes incarcérées en France dans des conditions inacceptables. Malgré son appartenance à la droite française traditionnelle, la jeune avocate a plaidé contre l’inacceptable. Cet exemple montre qu’être du bon côté, ce n’est pas forcément choisir son camp. Être du bon côté, c’est même parfois, échapper à son camp, à ses appartenances si elles enserrent, c’est pouvoir dire à un moment donné « Non, ce qu’on fait là est inacceptable. » Cette approche relèverait de l’enseignement moral et civique au cycle 3 (du CM1 à la 6e) et au collège. D’ailleurs, le programme scolaire conçu en 2014-2015 avait été réfléchi dans ce sens. L’objectif était d’amener les élèves, non pas à s’approprier des idées toutes faites, mais à penser par eux-mêmes, à partir de leur expérience quotidienne, de ce qu’ils sont, pour faire valoir leur fond d’humanité.

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Depuis Jacques Chirac, les présidents successifs ont reconnu la tragédie des harkis jusqu’au récent « pardon » d’Emmanuel Macron : au-delà de réconforter les personnes concernées, en quoi ces gestes forts peuvent servir l’histoire et réduire les ten sions mémorielles liées à cette guerre ?

L’ouverture mémorielle officielle de reconnaissance par François Hollande en 2016 a favorisé la création d’un programme pédagogique entre l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et les instances d’Alger. Ces dispositifs mémoriels révèlent une prise de conscience de la question coloniale qui a débouché sur une réflexion didactique et a généré des outils pédagogiques, des interventions en classe, des formations d’en seignants sur ces questions. L’écriture des manuels scolaires doit désormais tenir compte des massacres du 17 octobre 1961, comme de la mort Maurice Audin en Algérie sous la torture de l’armée française. Ces déclarations font désormais partie de notre histoire collective nationale. La reconnaissance officielle publique, institu tionnelle est déterminante pour engager le travail d’apaisement de cette histoire. Nous avons vu qu’en 1962, pour certains témoins, le passé avait comme ressurgi. Au moment où ils ont agi pour sauver des harkis, il se rejouait des problématiques inscrites dans l’histoire de la France. Alors on comprend à quel point l’Algérie fait partie de l’histoire nationale de la France. C’est ce qui donne autant de poids au discours officiel comme « Votre histoire, c’est la nôtre ».

Ainsi, à travers le discours officiel, on voit la différence entre un régime démocratique, même s’il peine à reconnaître son histoire douloureuse, et un régime politique autoritaire qui fixe une doxa

Je ne suis pas spécialiste de ce qu’on appelle les enjeux de mémoires liés aux commémorations. Il n’en demeure pas moins que toute déclaration faite par le président de la République a pour effet immédiat de graver les mots dans le débat public et de les adresser à l’ensemble de la nation. Mettre des mots justes comme « reconnaissance », « abandon », pour dire les faits, permet de sortir officiellement du déni collectif. Le discours officiel se pose comme une incitation à ouvrir le débat, à renouveler la vision historique. Inversement, c’est aussi l’occasion de voir que tout le travail des historiens adossé aux archives n’a pas été vain.

Il ne reste plus qu’à espérer que le travail engagé avec les ins tances d’Alger et les contacts établis avec les chercheurs et les uni versitaires algériens évolueront dans le sens d’une reconnaissance officielle de la part des autorités algériennes, afin de désenclaver les contenus des manuels scolaires et les programmes scolaires d’un discours officiel unique basé sur l’amnésie et, pourquoi pas, parvenir, comme certains l’ont suggéré, à « une histoire franco-algé rienne partagée ».

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ils ont dit non à l’abandon des harkis nationale immuable. La démocratie permet de la reconnaître parce qu’il y a une société civile qui existe avec des chercheurs indépen dants, un tissu associatif libre, une autonomie de la pensée intellec tuelle, des enjeux de mémoire vécus au quotidien, ouverts au débat à la radio, discutés, débattus à la télévision, contrairement à une société où la mémoire et la parole sont cadenassées et où l’histoire est caricaturée, confisquée.

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REPÈRES CHRONOLOGIQUES1954

8 février : création officielle des harkas. En avril, Robert Lacoste, ministre résident en Algérie définit le rôle des Groupes d’autodéfense (GAD) et des harkas.

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10 janvier : massacre de civils arabo-berbères à Oued-Amizour, dans la vallée de la Soummam par des combattants d’Amirouche, chef de la willaya 3. À la suite du drame, des nombreux hommes s’engagent dans l’armée française.

1957

Janvier-septembre : au cours de l’année 1957, les effectifs de l’ar mée française envoyés en Algérie passent de 308 000 à 450 000. Toutes les catégories de supplétifs musulmans en service dans l’armée française voient également leurs effectifs augmenter : ils passent de 14 000 à plus de 27 000 (moghaznis : de 3 500 à 5 500) ; membres des GAD : de 3 500 à 5 500 ; GMPR : de 4 800 à 5 800 ; ce sont les harkis qui connaissent la plus forte croissance, de 2 200 à 10 400.

1956

12 mars : vote des pouvoirs spéciaux par l’Assemblée nationale au gouvernement de Guy Mollet qui, dès le 17 mars, donnait par décret les pleins pouvoirs à l’armée française en Algérie.

24 janvier : création officielle des Groupes mobiles de polices rurales (GMPR) qui deviendront Groupes mobiles de sécurité (GMS), en 1958.

28 mai : les habitants de Beni-Ilmane, près de Mélouza en Kabylie, sont massacrés par une compagnie de la willaya 3 de l’ALN. À la suite du drame, des nombreux hommes s’engagent dans l’armée française.

26 septembre : création officielle des sections administratives spéciali sées (SAS) employant des moghaznis.

1955

1er novembre : début de l’insurrection du FLN. Journée appelée aussi la « Toussaint rouge ».

6 février  : début du plan Challe, série de grandes opérations menées par l’armée française durant la guerre d’Algérie à travers le territoire : qua drillage du territoire algérien ; regroupement de populations ; augmenta tion du nombre de harkis. Ce dispositif a pour principal objectif de briser les unités de l’ALN. Ce plan prend fin le 6 avril.

13 mars : Michel Debré, premier ministre, annonce une loi selon laquelle les Français musulmans d’Algérie perdront automatiquement la citoyenneté française s’ils restent en Algérie, mais ils pourront la reprendre s’ils viennent vivre en France après la proclamation de l’indépendance algérienne. Ils devront formuler une demande de réintégration devant un tribunal français. Un mois plus tard, cette loi est votée, le 13 avril 1962.

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Janvier : un rapport commandé par le gouvernement français conclut que le rapatriement des auxiliaires de l’armée française n’est « Ni à pré voir ! Ni à souhaiter ! Encore moins à encourager… ! » si l’Algérie accédait à son indépendance.

1958

1962

18 mars : signature des accords d’Évian. Son article 2 stipule que « Nul ne pourra faire l’objet de mesures de police ou de justice ou d’une

4 juin : le général de Gaulle, au balcon du Gouvernement général à Alger, lance à la foule : « Je déclare, qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habi tants, il n’y a que des Français à part entière, des Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. » Ce jour-là, les Français d’Al gérie croient à sa résolution de conserver l’Algérie française.

Fin janvier : dissolution officielle des sections administratives spécialisées (SAS).

1959

1961

31 octobre et 7 novembre : deux décrets définissent le statut des har kis.

19 mars : le général Salan, commandant en chef des Forces françaises en Algérie, ordonne la création de camps militaires d’internés (CMI), réservés aux combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) pris les armes à la main (PAM). Le principal objectif de l’officier était de les enrôler dans des harkas.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

16 septembre : dans un discours, de Gaulle annonce le recours à l’autodétermination pour les Algériens par voie de référendum.

26 avril : le nouveau premier ministre Georges Pompidou assure à l’Assemblée nationale que « toutes les dispositions seront prises pour qu’il n’y ait pas de représailles après l’autodétermination en Algérie ».

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12 mai : Pierre Messmer, ministre des Armées, interdit toute initiative individuelle pour le rapatriement des harkis et menace de sanctionner les officiers qui iraient à l’encontre de sa décision.

11 avril : élaboration par Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, d’un plan de rapatriement restrictif en marge de la réalité du terrain. Un maximum de 5 000 harkis sont autorisés à quitter l’Algérie à condition qu’ils justifient qu’ils sont menacés.

16 mai : Louis Joxe, ministre d’État des Affaires algériennes ordonne à Christian Fouchet, haut-commissaire, de « faire rechercher » dans l’ar mée et dans l’administration « les promoteurs et les complices » des rapa triements prématurés ». Il annonce également le renvoi en Algérie des « supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapa triement » tout en demandant « d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure ».

ils ont dit non à l’abandon des harkis discrimination quelconque en raison d’actes commis à l’occasion des événements survenus en Algérie avant le scrutin d’autodétermination. » Et pourtant, à partir de ce 18 mars 1962, des harkis commencent à faire l’objet de persécutions.

24 mai : Louis Joxe explique au Conseil des ministres que « les harkis veulent partir en masse. Il faut combattre une infiltration qui, sous pré texte de bienfaisance, aurait pour effet de nous faire accueillir des éléments indésirables ».

24 mai : création de l’Association des anciens des Affaires algériennes (AAAA) connue sous le nom de « association des SAS », en référence aux sections administratives spécialisées.

20 mars : décret précisant les conditions de démobilisation des harkis. Les solutions proposées misent davantage sur leur maintien en Algérie que sur leur accueil en métropole. Dans le premier cas, ils peuvent s’engager dans l’armée et quitter l’Algérie sous réserve de répondre aux conditions d’âge, de santé physique et de mobilité. Cela concerne une minorité de célibataires, car la plupart d’entre eux sont déjà mariés et doivent donc abandonner sur place leur famille. Dans le deuxième cas, ils peuvent obte nir un contrat de six mois pour servir dans l’armée en Algérie. Il s’agit de repousser de six mois la plongée des harkis dans l’Algérie indépendante. Dans le troisième cas, ils peuvent retourner à la vie civile avec prime de licenciement. Dans ces deux dernières options, ils sont supposés reprendre une vie ordinaire.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

4 août 1962 : le général de Brébisson, nouveau commandant supé rieur en Algérie, alerte le ministre des Armées en ces termes : « Épurations menées par les populations et l’ALN envers ex-supplétifs se poursuit avec violence accrue. De ce fait, 2 300 personnes ont demandé asile et ont été recueillies […] Situation pitoyable anciens compagnons d’armes menacés émeut à juste titre cadres et troupes […] Honneur vous demander instam ment autoriser embarquement vers métropole ex-supplétifs menacés, tant que pouvoir central algérien se révélera incapable de faire cesser violence à leur égard. » (Note n° 1920/CSFAFA/EMI/MOR).

15 juillet : une nouvelle directive du gouvernement français ordonne la suspension des transferts des harkis vers la France.

25 juillet : lors du Conseil des ministres, le chef de l’État déclare que les harkis ne sont pas des rapatriés mais des réfugiés, car ils « ne retournent pas dans la terre de leurs pères ! Dans leur cas, il ne saurait s’agir que de réfugiés », bien que les Français d’Algérie d’origine espagnole, ita lienne, etc., aient été considérés comme rapatriés.

28 juin : Louis Joxe déclare devant l’assemblée nationale : « Les offi ciers qui veulent ramener leurs hommes font preuve d’un condamnable instinct de propriétaire, exercé sur des personnes dont ils violent la liberté de choix afin de constituer en France des groupes subversifs. »

3 juillet : reconnaissance officielle de l’indépendance de l’Algérie par la France. Les persécutions de harkis et parfois de leurs familles s’aggravent. Des milliers de harkis perdent la vie en déminant de force des barrages aux frontières tunisiennes et marocaines. En violation des accords d’Évian, des dizaines de milliers sont arrêtés, emprisonnés dans des camps où ils subissent tortures et viols.

21 juillet : ordonnance précisant la loi n° 62-421 du 13 avril, stipulant que les personnes originaires d’Algérie « de statut civil de droit local » perdront la nationalité française si elles n’ont pas fait de « démarche récogni tive » avant le 1er janvier 1963, en France, alors que tout est mis en œuvre pour le maintien en Algérie des harkis et de leurs familles. Contraire à la Constitution, elle sera abrogée par la loi du 9 janvier 1973 (n° 73-42).

6 août : réponse du directeur de cabinet du ministre des Armées au général de Brébisson qui ordonne que : « En raison sujétions nées du

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1er juillet : référendum d’autodétermination en Algérie. L’indépendance est approuvée.

13 juin : ouverture au Larzac dans l’Aveyron du premier camp de transit pour les familles de harkis. Fin juin, il est suivi de celui de Bourg-Lastic dans le Puy de Dôme.

5 juillet : fête de l’indépendance en Algérie, soit cent trente-deux ans, jour pour jour, après la prise d’Alger par la France.

15 octobre : constitution du premier gouvernement algérien. Reprise des massacres d’anciens supplétifs, des centaines sont aussi de nouveau arrêtés et incarcérés.

ils ont dit non à l’abandon des harkis retour des unités d’Algérie et de l’accueil des réfugiés, les possibilités d’accueil de nos camps sont provisoirement épuisées […] Prendre les dispositions nécessaires pour assurer localement sécurité et hébergement des ex-supplétifs menacés. » (Note n° 04433/MA/CM/1920/CSFAFA/EMI/ MOR).

8 août : décret créant en France les camps de transit, les hameaux forestiers et les cités d’accueil.

19 septembre : le rapatriement des harkis est de nouveau autorisé par le Premier ministre Georges Pompidou. Dans les textes comme dans les faits, une distinction est faite entre les « Français de souche européenne » appelés « rapatriés » et les « Français de souche nord-africaine », relégués dans les camps.

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29 octobre : ouverture officielle du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise.

27 novembre : décret sur la procédure de reconnaissance de la nationalité française prévue à l’article 2 de l’ordonnance du 21 juillet. Les harkis doivent déclarer « vouloir se faire reconnaître la nationalité française ».

11 août : le général de Brébisson alerte à nouveau le ministre des Armées : « Du fait poursuite épuration violente, nombre de personnes recueillies en accroissement quotidien […] Cette situation devient de plus en plus préoccupante […] Honneur renouveler demande autorisation embarquer vers métropole ex-supplétifs menacés. » (Note n° 1858/CST/ FAFA/EMI/MOR).

24 août : revirement de la position du général Brébisson, commandant supérieur des armées françaises en Algérie, qui ordonne de « Cesser de donner asile à des Algériens [dans les casernes françaises] sauf dans des cas très exceptionnels, ceux de personnalités politiques francophiles […] Enfin, il y a lieu de ne procéder dans aucun cas à des opérations de recherche dans les douars de harkis ou de leurs familles. » (Note n° 1920/ CSFAFA/EMI/MOR).

23 septembre : ouverture officielle du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales).

Fin septembre : ouverture officielle du « camp de réfugiés » de Zéralda, en Algérie afin d’y accueillir tous les harkis dispersés qui viendraient cher cher la protection de l’armée. Ce camp militaire a été choisi probablement à cause de sa grande superficie et surtout de sa proximité géographie avec le port d’Alger. Ce camp est resté ouvert jusqu’au départ du dernier régiment, le 152e RI de Colmar, en mai 1964.

Mars-septembre 1963 : une mission du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) contrôle les conditions de détention des harkis emprisonnés dans l’Algérie indépendante. Environ 2 400 personnes sont visitées et répertoriées par ses délégués. Des sévices corporels sont consta tés par les médecins du CICR.

8 décembre : dans un courrier adressé au ministre des Armées, Georges Pompidou, Premier ministre, prescrit que : « Il conviendra de soumettre les allées et venues à une certaine surveillance, les sorties du camp [de Rivesaltes] ne doivent être autorisées que pour des motifs sérieux. »

1964

1975

6 août : le conseil des ministres décide de fermer les hameaux fores tiers et les camps de transit et prend des mesures pour l’indemnisation des biens perdus, le logement, la formation professionnelle et l’emploi.

Dernières libérations de harkis détenus par les autorités algériennes depuis 1962.

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2 janvier : création, avec l’appui du gouvernement français, du Comité national pour les musulmans français (CNMF), présidé par Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d’État.

31 janvier : circulaire du ministre des Rapatriés François Missoffe demandant aux préfets de ne reloger d’anciens harkis et leur famille dans des HLM qu’après avoir relogé tous « les rapatriés » européens.

1969

1er mars : les chiffres officiels font état d’environ 15 000 personnes dans les camps : Rivesaltes (8 000), Saint-Maurice-l’Ardoise (5 000), La Rye-Le Vigeant (1 000) et Bias (1 000).

1963

200

7 mai : révolte des jeunes du camp de Bias, suivie le 19 mai par celle de Saint-Maurice-l’Ardoise.

Début d’année : rapport de Jean-Marie Robert, sous-préfet Akbou relatant les exactions commises en Algérie à l’encontre des « supplétifs » de l’armée française.

18 octobre : loi d’initiative parlementaire qui vient officiellement remplacer l’expression « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord » par « guerre d’Algérie ».

25 septembre : le président Chirac et le gouvernement de Lionel Jospin créent la Journée d’hommage aux harkis. Le président de la Répu blique déclare que la France, en quittant l’Algérie en 1962, « n’a pas su sauver ses enfants ».

2004

2001

1999

2003

1994

Février-mars : début d’initiatives culturelles de descendantes de harkis : parution de Fille de harki, de Fatima Besnaci-Lancou, et de Mohand le harki, de Hadjila Kemoum.

23 février : loi qui reconnaît notamment les « souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance ».

2006

2005

4 mars : colloque « 1956-2006. 50 ans. Les harkis dans l’histoire de la colonisation et ses suites » à l’Assemblée nationale.

Janvier : manifestation à partir des Invalides à Paris, de femmes et de filles de harkis pour la reconnaissance de leur tragédie.

11 juin : promulgation de la loi no 94-488 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la « captivité » en Algérie. Les anciens prisonniers qui peuvent justifier de cet état pourront obtenir, sur demande, une carte de « victime de la captivité en Algérie ».

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24 Juin : constitution de l’association Harkis et droits de l’homme.

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8 septembre : le président algérien Bouteflika déclare à Oran : « Nous avons commis des erreurs à l’encontre des familles et des proches des har kis et n’avons pas fait preuve de sagesse. Nous avons suscité en eux un sentiment de haine et de rancœur, portant ainsi un préjudice au pays. »

16 octobre : inauguration du Mémorial du camp de Rivesaltes par Manuel Valls, Premier ministre. Une partie de l’exposition permanente concerne l’histoire des harkis.

20 septembre : à l’Élysée, Emmanuel Macron demande pardon aux harkis et s’engage à porter en leur faveur une loi de reconnaissance et de réparation. Cette loi est promulguée au journal officiel du 25 février 2022.

25 septembre : François Hollande, président de la République reconnaît « les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines de ceux transférés en France ».

2012

2008

2015

2020

Décembre : l’article 87 de la nouvelle Constitution algérienne écarte les harkis, ainsi que leurs enfants, de la possibilité de se présenter au suf frage suprême.

18 février : promulgation par le président Bouteflika de la loi sur les moudjahidine et les chouhada (martyrs), adoptée le 12 avril 1999 par l’Assemblée algérienne, aggravant les discriminations contre les harkis et leurs enfants qui ne peuvent occuper de poste dans les institutions de l’État.

ils ont dit non à l’abandon des harkis

12 janvier : loi algérienne interdisant aux harkis et à leurs descendants d’être membres fondateurs d’un parti politique.

2021

202

2016

2007

Octobre : inauguration de La Maison d’Histoire et de Mémoire d’Ongles (Mhémo) à Ongles dans les Alpes-de-Haute-Provence. Musée dédié à l’histoire des harkis ayant transité par Ongles en 1962.

Introduction Fatima Besnaci-Lancou, Houria Delourme-Bentayeb .. 7

Paul Shoen

François Meyer. Le plus connu des sauveteurs 18 L’abbé Alain Maillard de La Morandais. Le communicant ........................ 34 Daniel Abovilier Celui qui a démissionné de l’armée pour protester 44 Marc Bénureau. Le cœur sur la main 52 Alain Jaspard. Assoiffé d’amour et de liberté 60 Yannick Lallemand. « Le Padre » 68

191

........................................................................................ 135

André Wormser

Xavier Camillerapp

....................................................................................................... 203

Actes et initiatives de femmes et d’hommes, disparus à ce jour, qui ont sauvé ou participé au sauvetage des familles de harkis

............................................................

156

Maurice Faivre

............................................................................... 195

223

.................................................................

..........................................

André Parodi

.............................................................................................. 149

.................................................

Camille Roux

Georges Jasseron

première partie Personnes encore en vie dont le témoignage a été recueilli

Nicolas D’Andoque 121

.......................................................

Lexique

......................................................................................... 139

Repères chronologiques

...........................................................................

seconde partie

................................................................................................. 152

ils ont dit non à l’abandon des harkis

.................................................................................... 146

Postface Entretien avec Benoît Falaize 175

Repères bibliographiques

..................................................................................... 169

...................................................

Yvan Durand 129

162

185

François Reverchon

............................................................................................. 164

Préface de Jacques Frémeaux 5

Jean-Marie Robert

TABLE DES MATIÈRES

Annexes

..................................................

Dominique Roze. Second de l’enseigne de vaisseau 76 Jacques Vogelweith. Le Diable rouge 86 Vincent Zaragoza. L’enfant de la Retirada 100 Madeleine Le Pezron. Secrétaire de la Croix-Rouge de Rouen puis vice-présidente de l’Amfra, 1962-2008 108

www.loubatieres.fr9 7

Il est préfacé par Jacques Frémeaux, historien, spécialiste de l’histoire coloniale, et postfacé par Benoît Falaize, chercheurcorrespondant au Centre d’histoire de Sciences Po Paris.

Cet ouvrage recueille le témoignage direct de neuf hommes et d’une femme – ils ont entre 81 et 92 ans, mais leurs souvenirs sont intacts – et rappelle les actions de onze autres aujourd’hui disparus.

Photographie de couverture : Familles de harkis vivant sous des tentes à Ongles (04), septembre 1962. © Archives municipales de Forcalquier 4Fi1772, collection Paul Magdeleine.

En 1962, à la fin de la guerre d’Algérie, des femmes et des hommes ont mis toute leur énergie et leurs ressources à sauver des milliers de familles de harkis menacés de mort. Militaires le plus souvent mais pas seulement, ils ont parfois impliqué leur propre famille, leurs relations amicales ou professionnelles, pour déployer une impressionnante chaîne humaine afin d’assurer ce sauvetage en urgence. Beaucoup étaient sur le terrain, de part et d’autre de la Méditerranée, afin d’entourer et accompagner ces familles. Par leurs actes non violents et en opposition aux ordres des hautes autorités civiles ou militaires, ils ont non seulement sauvé des exactions près de 43 000 personnes, dont plus de la moitié étaient des enfants, mais ont aussi contribué à influencer, et parfois modifier, les décisions des autorités de 1962.

8 0 9 323 €

Auteure et co-auteure de documents et d’ouvrages pédagogiques chez Nathan sur la maî trise du français et au CNDP dans les domaines de l’histoire (enseignement de la guerre d’Algérie à l’école) et de l’éducation civique. 8 6 6

Houria DELOURME-BENTAYEB est née en Algérie en 1958. Arrivée en France en 1962, elle passe son enfance dans les camps de transit et son adolescence dans le Lot-etGaronne. Titulaire d’une maîtrise de lettres modernes de la Sorbonne-Paris, elle exerce comme professeure des écoles, directrice d’école puis conseillère pédagogique et forma trice en France (Eure-et-Loir, Paris et Aisne) et à l’étranger (USA, Égypte).

ISBN 978-2-86266-809-3

2 8 6 2

Fatima BESNACI-LANCOU est née en Algérie en 1954. Arrivée en France en 1962, elle a passé son enfance et son adolescence dans des camps de transit. Docteur en histoire contemporaine, spécialiste de la guerre d’Algérie, elle est membre du conseil scientifique du Mémorial du camp de Rivesaltes et membre du Prix Séligman contre le racisme. Auteure de plusieurs ouvrages de référence, dont Prisons et camps d’internement en Algérie – Les missions du CICR dans la guerre d’indépendance – 1955/1962, éditions du Croquant, 2018 ; Harkis au camp de Rivesaltes, la relégation des familles, septembre 1962-décembre 1964, éditions Loubatières/Mémorial du Camp de Rivesaltes, 2019 ; et co-direction du numéro spécial « Les harkis, 1962-2012, Les mythes et les faits », Les Temps Modernes, 2011.

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