L' Hopital Varsovie

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L’HÔPITAL VARSOVIE

EXIL, MÉDECINE ET RÉSISTANCE (1944-1950) ÀLVAR MARTÍNEZ VIDAL (COORDINATEUR)

inclus

LOUBATIÈRES


DVD : Spain in Exile, Educational Documentary Films (New York), Remerciements à l’Unitarian Universalist Service Committee et à l’Andover-Harvard Theological Library (Cambridge, MA) © Les auteurs © Édition originale en catalan : Editorial Afers, Catarroja (Espagne), novembre 2010 Illustration de couverture : Opération au bloc opératoire de l’Hôpital Varsovie (ca. 1946), photographie de l’Andover-Harvard Theological Library (Cambridge, MA) Photographies intérieures : remerciements à Serge Torrubia, Casa Bonifaci-Museu de Llimiana, Jeanne Saint-Saëns Gaillot, Biblioteca Nacional (Madrid), Androver-Harvard Theological Library (Cambridge, MA), Sonia Boissières, Zaika Viñuales Avec la collaboration du Mémorial démocratique de Catalogne et du Musée d’histoire de la médecine de Catalogne

Cet ouvrage a été publié grâce au soutien du Conseil régional de Midi-Pyrénées et de la Mairie de Toulouse

© Nouvelles Éditions Loubatières, 2011 10 bis, boulevard de l’Europe, BP 50014 31122 Portet-sur-Garonne Cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr ISBN 978-2-86266-633-4


L’HÔPITAL VARSOVIE EXIL, MÉDECINE ET RÉSISTANCE (1944-1950) ÀLVAR MARTÍNEZ VIDAL ANTONI V. ADAM DONAT MIQUEL BRUGUERA SEBASTIAAN FABER JORDI GUIXÉ I COROMINES EMPAR PONS BARRACHINA ALFONS ZARZOSO traduction de

JANINE GARIPUY

LOUBATIÈRES


Table des matières Prologue ........................................................................................................ 5 Miquel Bruguera

Un hôpital moderne dans le Sud de la France. L’Hospital Varsovia – Walter B. Cannon Memorial (1944-1950) ... 9 Àlvar Martínez Vidal, Alfons Zarzoso Orellana

« Le crime atroce » d’être antifasciste. L’aide des États-Unis d'Amérique aux républicains espagnols ....... 39 Sebastiaan Faber

Solidarité humaine et résistance politique sous contrôle policier. L’Hospital Varsovia dans le cadre de la guerre froide (1944-1950) 57 Jordi Guixé i Coromines

Anales del Hospital Varsovia : une histoire à livre ouvert .................. 81 Empar Pons Barrachina

Spain in Exile : l’Hospital Varsovia mis en scène ................................ 91 Àlvar Martínez Vidal, Antoni V. Adam Donat

Épilogue ...................................................................................................... 99 Bibliographie ........................................................................................... 101


PROLOGUE Il y a peu de temps encore, si l’on m’avait questionné au sujet de l’Hospital Varsovia, je n’aurais su qu’en dire. J’en ignorais tout. L’existence d’un hôpital, à Toulouse, créé par les républicains espagnols exilés dans le Sud de la France m’aurait semblé inouïe : un hôpital habilité à soigner les maquisards qui, franchissant la frontière, tentaient de renverser le régime du général Franco et revenaient blessés lors des accrochages avec la Guardia Civil. Le nom d’Hospital Varsovia m’aurait évoqué quelque institution de soins polonaise, mais non pas le nom d’un petit hôpital installé dans un « château » de la rue Varsovie – version française de l’occitan « versa vin » – de la ville occitane. Une homonymie certes bien curieuse. Pourtant ce centre si singulier ouvrit ses portes en tant qu’hôpital de soins en l’an 1944 et, peu après, devint hôpital civil pour soigner la nombreuse communauté d’exilés espagnols décimée par des années de guerre et de souffrances, concentrée dans les départements du Midi de la France. Années de famine, de travaux forcés et de déracinement familial, qui vont se traduire par des tuberculoses, des avitaminoses, des maladies vénériennes, etc. En 1945, Varsovie accueillit les survivants espagnols des camps de concentration nazis, comme on peut le voir dans le film Spain in Exile – témoignage très probant – qui accompagne ce livre. Peu de temps après, vers la fin de 1945, l’hôpital disposait du premier antibiotique, la pénicilline. Grâce à l’aide humanitaire américaine dispensée par l’Unitarian Service Committee, il est rapidement devenu un centre de soins d’exception, tant du point de vue des soins, ambulatoires et hospitaliers, que de la formation continue – cours, colloques cliniques, etc. – ainsi que de la recherche clinique et 5


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épidémiologique. Il y avait aussi place pour la médecine sociale et ses campagnes contre la tuberculose, le cancer, les maladies vénériennes, la mortalité infantile, etc. Tout cela peut se vérifier à la lecture des pages des Anales del Hospital Varsovia, revue unique en son genre qui, comme le suggèrent les auteurs du livre, a pu s’inspirer des Annals de l’Hospital de la Santa Creu i Sant Pau. Cet hôpital restera, jusqu’à fin 1950, entre les mains des Espagnols ; il y restera jusqu’à ce que le gouvernement français, avec l’opération Boléro-Paprika, décide l’illégalité des partis communistes étrangers et expulse leurs militants vers les pays de l’Est ou du Maghreb. La direction de l’hôpital, avec en tête deux médecins catalans, Francesc Bosch et Josep Bonifaci, tous deux exilés communistes, avait attiré les soupçons des autorités et ces soupçons décidèrent du sort du personnel – médecins et pharmaciens, principalement – qui fut arrêté et chassé du territoire français. Grâce à l’intervention immédiate et déterminée du Pr Joseph Ducuing, professeur de chirurgie à l’université de Toulouse, l’hôpital fut sauvé de la disparition pure et simple, voulue par le ministère. Directeur du centre régional anti-cancéreux (CRAC) de Toulouse, Ducuing jouissait d’un grand prestige en France et à l’étranger. Núria Pi-Sunyer, réfugiée à Toulouse, l’ayant connu adolescent ou presque, le décrit comme un « aristocrate communiste » dans ses délicieux mémoires (L’exili manllevat, 2006). Rappelons que Ducuing s’était rendu à Barcelone à plusieurs reprises et qu’en 1930, il avait publié – en catalan – une des monographies médicales qu’éditait le Dr Jaume Aiguader, intitulée Phlébites, thrombose et embolies pulmonaires postopératoires. En 1970, quelques années après sa mort, l’hôpital rendra hommage à son bienfaiteur et prendra le nom d’hôpital Joseph Ducuing, nom qu’il conserve à ce jour. En Amérique du Nord, du Centre ou du Sud, il existe des hôpitaux dont les noms évoquent les pays d’origine. Ainsi, au hasard des rues de Buenos Aires, le visiteur découvre l’Hospital Italiano, l’Hospital 6


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Franco-Británico ou l’Hospital Alemán, chacun d’eux érigés et soutenus, d’un point de vue moral et financier, par les communautés respectives d’émigrants européens établies en Argentine, tout au long du xxe siècle. En Amérique, comme on dit, l’existence de ce type d’hôpitaux est fréquente mais pas en Europe. De ce point de vue, l’Hospital Varsovia apparaît comme un îlot ectopique, un hôpital situé en France avec des malades espagnols, du personnel espagnol, et dirigé par des médecins espagnols. Ce livre, coordonné par Àlvar Martínez Vidal avec le soutien du Muséum d’histoire de la médecine et du Mémorial démocratique de Catalogne est une contribution importante pour une meilleure connaissance de l’exil espagnol lors la guerre civile. Il participe au projet « Médecins en exil » que dirige Alfons Zarzoso depuis le Muséum, projet consacré à la recherche sur l’exil des médecins catalans, dans le Sud de la France et en Amérique, initié en 2006 et qui continue à porter ses fruits. L’Hospital Varsovia fut un des nombreux exemples de l’attitude solidaire et constructive de ces médecins qui vécurent condamnés à l’exil. Des médecins qui surent exercer leurs savoirs et leurs expériences pour aider leurs compatriotes dans des moments de malheurs et de désespoir. Faire connaître l’histoire de cet hôpital, pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli, a demandé l’effort et l’enthousiasme d’un groupe de chercheurs qui ont approfondi le sujet en le resituant dans le contexte de la guerre froide et ses tensions et jeux politiques de part et d’autre de l’Atlantique. Aujourd’hui, on peut me questionner sur l’Hospital Varsovia. Lecture faite du livre, je suis en mesure de répondre sur ce qu’il fut et ce qu’il représenta. Cette lecture m’a permis de revivre, avec émotion, l’œuvre admirable et généreuse de ceux qui l’ont créé et fait vivre. Miquel Bruguera Président de la Fondation Musée d’Histoire de la Médecine de Catalogne



UN HÔPITAL MODERNE DANS LE SUD DE LA FRANCE POUR LES RÉFUGIÉS ESPAGNOLS : L’HOSPITAL VARSOVIA/ WALTER B. CANNON MEMORIAL (1944-1950) Àlvar Martínez Vidal (Universitat Autònoma de Barcelona) 1 Alfons Zarzoso Orellana (Museu d'Historia de la Medicina de Catalunya) 2

L’hôpital Varsovie fut créé à Toulouse dans des circonstances exceptionnelles. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’optimisme suscité par la libération de la France, occupée par le IIIe Reich, alimente, parmi les exilés espagnols, l’envie de continuer la lutte contre le fascisme et d’abattre la dictature de Franco pour rétablir la République. Impulsée par le Parti communiste espagnol, l’opération nommée Reconquista (octobre 1944) prétendait abattre, par les armes, le régime franquiste en combinant l’invasion militaire du territoire espagnol à travers les Pyrénées avec un soulèvement attendu de la population civile contre la dictature. De par sa configuration géographique, le Val d’Aran fut choisi pour mener l’attaque principale tandis que, au-delà de la frontière, éclateraient des passes d’armes afin de dérouter l’ennemi. L’opération Reconquista fut sévèrement réprimée par l’action conjointe de l’Armée et de la Guardia Civil qui stoppèrent net l’in9


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vasion et furent à l’origine de centaines de pertes humaines dans les rangs des guérilleros espagnols. Afin de prêter assistance aux maquisards blessés au cours des incursions pyrénéennes, plusieurs hôpitaux de guerre furent dressés à l’arrière (Ax-les-Thermes, Auzat, Saint-Girons, Foix, etc.) et un service de vingt-cinq médecins et infirmières, issus de la Résistance fut organisé 3. Dans les faubourgs de Toulouse, on transforma en hôpital, un « château » désaffecté qui, malgré le manque de ressources, avait l’avantage d’être limitrophe du quartier populaire de Saint-Cyprien, où se trouvaient alors concentrés les réfugiés espagnols. Le modeste hôpital doit son nom à la rue du même nom, rue Varsovie, version française de l’expression occitane « Versa vin 4 ». À la mi-octobre 1944, sont hospitalisés les premiers guérilleros, la plupart pour blessures de balle, ce qui apparaît dans le livre d’admission des malades ; néanmoins, quelques-uns y sont admis pour maladies – telles que rhumatismes, bronchites chroniques, néphrites ou tuberculose – sans relation apparente avec les événements militaires de l’opération Reconquista 5. À ce moment-là, Toulouse était le centre d’une nombreuse communauté d’exilés – regroupée, mais aussi divisée par familles politiques – qui rêvaient de destituer le régime de Franco, et qui vivaient, au jour le jour, avec l’espoir d’un prochain retour dans une Espagne démocratique. Cette communauté, depuis 1939, avait souffert l’amère expérience des fameux camps « d’hébergement » et la cruelle politique du rapatriement forcé, aggravée de la dispersion obligatoire sur le territoire français. Communauté qui, depuis 1940, avait subi les dures conditions imposées par le gouvernement de Vichy et, pire encore, les déportations, triangle bleu épinglé au revers, vers les camps de concentration du IIIe Reich. On ne trouvera donc pas surprenant que, durant l’occupation nazie, cette communauté ait participé d’une manière si active, si généreuse et si efficace à la Résistance française 6. L’opération Reconquista fut cependant un échec, tant du point de vue des stratégies militaires que des stratégies politiques. Malgré 10


un hôpital moderne dans le sud de la france

tout, le petit hôpital de la rue Varsovie survécut. La présence de nombreux malades parmi les réfugiés rendit nécessaire et pertinente sa transformation, en 1945, en hôpital civil. Tout ceci fut rendu possible grâce à la reconnaissance officielle des réfugiés espagnols par le gouvernement français qui appliqua la Convention internationale de 1933, ce qui permit aux médecins étrangers de pouvoir soigner, exclusivement leurs compatriotes, au sein d’institutions de bienfaisance officiellement reconnues. Ce cadre légal – la loi Billoux – allait décider non seulement de la survie de l’hôpital Varsovie mais aussi de la renaissance et de la consolidation de la Croix-Rouge Républicaine Espagnole, fruit des infatigables gestions des médecins Josep Martí Feced (1890-1963) à Toulouse et de Rafael Villar Fiol (1886-1971) à Paris 7. En juin 1945, la première femme était hospitalisée dans une salle du « château », signe concret de la conversion de l’hôpital militaire en institution civile. L’ensemble du personnel – médecins, infirmières, infirmiers [« practicantes »], personnel administratif – qui travaillaient là, étaient d’origine espagnole, pour la plupart issus de Catalogne. Ainsi, dans une ambiance d’extrême pénurie, l’hôpital Varsovie commence à soigner la population civile exilée : des dizaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants qui, depuis la Retirada (février 1939) vivaient réfugiés dans le Sud de la France, sans compter les survivants des camps de concentration nazis et les fugitifs de l’Espagne franquiste qui traversaient clandestinement la frontière et venaient accroître la communauté d’exilés. Ainsi entre l’obsession du retour et la réalité de l’exil, l’hôpital s’adaptait tout en prenant de l’importance, afin de soigner les réfugiés 8. Il faut dire qu’à Toulouse, la situation médicale, à ce moment-là, était critique car le nouvel hôpital Purpan, inauguré en mars 1940, avec une capacité d’accueil d’un millier de lits, était réservé aux militaires, pour raisons de Défense nationale. Restaient La Grave et l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques pour un usage civil. En février 1946, 11


l’hôpital varsovie – Exil, médecine et résistance (1944-1950)

tandis que les malades militaires abandonnaient l’enceinte de l’hôpital Purpan, les premiers patients civils entraient, à commencer par les tuberculeux 9. Dans une Europe dévastée par la guerre, l’aide humanitaire des institutions ou des œuvres caritatives étrangères fut déterminante pour la survie et l’essor de l’hôpital Varsovie. Des pays européens (Écosse, Norvège, Pologne, Tchécoslovaquie, Suisse) mais surtout de l’Amérique du Nord et du Sud arrivaient en grand nombre, à Toulouse, nourriture, vêtements, médicaments, équipement médical. Beaucoup de ces institutions caritatives comptaient dans leur rang des réfugiés espagnols exilés en Amérique Latine. Entre 1945 et 1947, les aides à l’hôpital provenaient, pour la plupart, des donations recueillies par le Joint Anti-Fascist Committee (JAFRC) depuis les États-Unis et le Canada. Une fois en France, les dons étaient distribués aux réfugiés par une autre organisation humanitaire américaine présente en France dont le siège se trouvait à Boston : l’Unitarian Service Committee (USC) *. Entre 1946 et 1949, le nom de l’éminent physiologiste de Boston, Walter B. Cannon (1871-1945), infatigable défenseur de la cause républicaine et membre distingué des deux comités pré cités, va figurer aux côtés du nom de l’hôpital Varsovie, comme témoignage de la reconnaissance pour l’aide humanitaire apportée par le peuple américain aux exilés espagnols **. Au début de l’année 1948, lors de la bipolarisation politique entre capitalisme et communisme, dite « guerre froide », tout le comité de direction du JAFRC, présidé par le docteur Edward Barsky (1897-1975) fut arrêté aux États-Unis et conduit en prison sous * À propos de la relation entre l’USC et l’hôpital Varsovie, voir l’article de Sebastiaan Faber dans ce même livre. ** Wolfe, 2000, p. 354-375. The Wisdom of the Body (New York, 1932) fut un des livres les plus populaires de Cannon ; il fut traduit en castillan à Toulouse par J. M. Bellido et Golferichs, physiologiste catalan exilé. Voir Martínez Vidal et Sallent Del Colombo, 2010. 12


un hôpital moderne dans le sud de la france

l’accusation d’activités anti américaines ; alors les vivres des ÉtatsUnis vinrent à manquer cruellement à l’hôpital Varsovie. Mois après mois, au fur et à mesure que les communistes s’imposaient à l’hôpital, l’USC retirait ses apports moraux et financiers et concentrait ses efforts vers d’autres activités comme, par exemple, la Maison des Enfants de Saint-Goin, centre de prévention antituberculeux, situé près de la ville de Pau, qui accueillait une soixantaine d’enfants espagnols dans le besoin. Au matin du 7 septembre 1950, la police française, dans le cadre de l’opération Boléro-Paprika 10, arrête, parmi d’autres réfugiés, les médecins qui travaillaient à l’hôpital, accusés d’être des agents secrets communistes au service du Kominform. Les détenus furent expulsés et regroupés en Corse, puis dispersés en différents pays, Algérie et Tchécoslovaquie principalement. Soutenue par Franco, cette opération impliquait l’illégalité du Parti communiste d’Espagne (PCE) sur tout le territoire français, ainsi que celle du Parti socialiste unifié de Catalogne (PSUC) et de quelque organisation communiste que ce soit. Ainsi, le régime franquiste se consolidait en pleine autarcie, avec la collaboration de la France, la complicité de l’Angleterre et le soutien politique des États-Unis, qui, pour motifs stratégiques, décidait d’ouvrir des bases militaires sur le territoire espagnol. De fait, l’exil perdait pour toujours son rôle d’acteur dans le contexte international. Cependant, l’hôpital tenait bon ; il fut, en fait, soutenu moralement et financièrement par le Parti communiste français. Le jour même de la rafle policière qui avait conduit à l’arrestation et à l’expulsion des médecins espagnols, le professeur Joseph Ducuing (18851963), alors membre du Parti communiste et figure de proue de la médecine française, accompagné de ses confrères Stéphane Barsony, René Biart, Jean-Louis Champagnac, Jean Garipuy et Jean Lapeyrère, prennent en charge la direction médicale de l’hôpital et font la visite de tous les malades hospitalisés, entre autres les récents opérés 11.

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l’hôpital varsovie – Exil, médecine et résistance (1944-1950)

L’hôpital Varsovie fut rebaptisé en 1971, du nom de Joseph Ducuing, en hommage au célèbre chirurgien toulousain qui apporta son appui dès la première heure et, bien sûr, lors de l’opération Boléro-Paprika. C’est, à l’heure actuelle, un « lieu de mémoire » de l’exil espagnol en France et un centre hospitalier de référence qui a su garder l’esprit des premiers temps avec son planning familial, l’accouchement sans douleur, les nouvelles pathologies (sida, addictions aux drogues…) toujours dans la même perspective de la médecine sociale et la prise en compte globale du patient et de son entourage. L’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols, entité gestionnaire du centre hospitalier, et dissoute par décret gouvernemental, le 11 octobre 1950, avec obligation de liquider ses biens à échéance d’un mois, décida de créer une nouvelle entité appelée « Société nouvelle hôpital Varsovie », ce qui empêcha la disparition pure et simple de l’hôpital ; ainsi, une première étape se fermait (1944-1950) dans la vie de Varsovie. Dès lors, l’entreprise de la communauté espagnole passa définitivement entre des mains françaises 12. La plupart des écrits jusqu’à ce jour s’intéresse aux origines particulières de l’hôpital ou bien aux implications politiques de ce centre dans le cadre de la guerre froide, et plus précisément à l’opération Boléro-Paprika, citée plus haut. Peut-être conviendrait-il aujourd’hui de le considérer aussi sous l’angle médical et comme espace scientifique, c’est-à-dire comme une institution qui réunissait les pré-requis et les finalités d’un hôpital moderne *. En effet, l’hôpital, dans sa première étape, était non seulement un centre qui délivrait les soins médicaux à la population réfugiée mais aussi un « hôpital moderne », en accord avec les normes internationales ; un hôpital qui, en dehors des soins, pratiquait des activités de formation du personnel, des projets de recherche scientifique et enfin, des campagnes sanitaires contre les maladies prévalentes 13. Et cela – assistance, formation, recherche et hygiène sociale – se faisait avec soin, rigueur et efficience. * Les premières approches de l’hôpital Varsovie en tant que centre des soins furent celles de Garipuy, 1987, et Villar-Basanta, 1997. 14


un hôpital moderne dans le sud de la france

L’existence d’une revue spécifique – Anales del Hospital Varsovia/Walter B. Cannon * – publiée neuf fois de 1948 à 1950, et d’une bibliothèque ouverte aux professionnels de santé comme aux malades hospitalisés, renforce l’idée d’une conception totalement moderne de cet hôpital.

L’encadrement des soins Durant l’étape espagnole, l’encadrement des soins à Varsovie était confié à un groupe de médecins – sept ou huit –, deux pharmaciens, un kinésithérapeute, deux « practicantes », et des infirmières. Probablement, leur diplôme n’était-il pas validé en France. Cependant, l’exercice professionnel leur était permis, provisoirement, grâce à la loi dite loi Billoux, qui autorisait l’exercice de leur profession au sein d’institutions de bienfaisance reconnues. Il est inattendu que l’ordre des médecins de Toulouse, entité qui avait, entre autres charges, celle de poursuivre les intrus de la profession, ait dénoncé le personnel de l’hôpital, arguant que Varsovie n’était pas une institution officiellement reconnue **. Quant aux médecins de l’hôpital, leur mobilité est importante, conséquence de dures conditions de travail – journée harassante et maigre salaire – et des tensions apparues au cours des tentatives incessantes des communistes pour s’emparer de la direction de l’hôpital. Il est à remarquer que, en six ans (1944-1950), on peut voir quatre médecins se succéder à la direction : José Miguel Momeñe González 14 (d’octobre 1944 à mars 1945), Josep Torrubia Zea 15 (de mars 1945 à septembre 1946), Vicente Parra Bordeta 16 (de septembre 1946 à février 1948), et Francesc Bosch Fajarnés 17 (de mars 1948 à septembre 1950), ce dernier secondé par Josep Bonifaci Mora 18, qui exerçait la fonction de chef de clinique. À souligner aussi que, en démissionnant * En janvier 1950, le nom de Walter B. Cannon va disparaître, sans explication, du titre de la revue (numéro 7). Concernant la relation entre Walter B. Cannon et l’hôpital Varsovie, voir dans ce même livre l’article de Sebastiaan Faber. ** Voir à ce propos l’article de Jordi Guixé dans ce même livre. Concernant l’exercice professionnel dans la France de l’après-guerre, voir Evleth, 2009. 15


L’HÔPITAL VARSOVIE EXIL, MÉDECINE ET RÉSISTANCE (1944-1950)

Le livre aborde un épisode surprenant et mal connu de l’aide humanitaire internationale aux réfugiés de la guerre civile espagnole au Sud de la France : la création d’un hôpital militaire à Toulouse par les guérilleros en vue de l’opération Reconquista de España (octobre 1944), un centre de soins situé à l’arrière du front : l’Hospital Varsovia. Avec la perspective de la victoire des Alliés et la Libération de la France, l’espoir du retour dans une Espagne démocratique semblait une réalité imminente. Malheureusement, l’opération Reconquista fut un échec et, en 1945, l’hôpital militaire se transforma en hôpital civil destiné à soigner l’ensemble des réfugiés espagnols. Les conditions de vie de cette population, après dix années de guerre, étaient précaires (malnutrition, maladies, invalidité, dispersion familiale, etc.). Dans ce contexte, l’aide humanitaire internationale, notamment des associations bénévoles nordaméricaines et des exilés de la diaspora espagnole, fut décisive pour venir en aide aux réfugiés en France. Le livre montre comment cet hôpital développa, au-delà des activités de soins proprement dites, une politique qui l’inscrivit dans une voie résolument moderne. Il fut un centre de formation du personnel soignant, de recherche clinique et de campagnes sanitaires. Cette modernité venait en droite ligne de l’héritage de la République espagnole, interrompu par la victoire des troupes franquistes. Les Anales del Hospital Varsovia en sont le témoignage. Le livre interroge les archives policières concernant l’opération Boléro-Paprika qui aboutit à l’arrestation des médecins espagnols de l’hôpital, en 1950, dans le contexte de la guerre froide. Il aborde aussi les vicissitudes des bénévoles nordaméricains, victimes du maccarthysme, pour leur participation à l’aide humanitaire envers les républicains espagnols. Cet hôpital, – Hospital Varsovia / Walter B. Cannon Memorial –, devenu en 1971 Hôpital Joseph-Ducuing, au-delà de sa mission soignante et sociale, représente une institution emblématique et un lieu de mémoire de l’exil espagnol en France.

ISBN 978-2-86266-633-4 Photographie de couverture : salle de chirurgie de l’Hôpital Varsovie. La chirurgienne, María Gómez (1914-1975), en train d’opérer. Toulouse, ca. 1946. Avec l’aimable autorisation de l’Andover Harvard Theological Library, Cambridge, MA.

22 €

www.loubatieres.fr

Le livre contient un DVD présentant le film Spain in Exile, sous-titré en catalan, espagnol et français, et une copie de la revue Anales del Hospital Varsovia, des années 1948 à 1950.


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