L’ANTIFRANQUISME EN FRANCE 1944-1975… sous la direction de
VIOLETTE MARCOS avec
DANIÈLE CHENAL JUANITO MARCOS ANNIE RIEU MIAS
LOUBATIÈRES
Chez le même éditeur José Cabrero Arnal, de la République espagnole aux pages de Vaillant, la vie du créateur de Pif le chien, Philippe Guillen, 2011. Itinéraire d’un anarchiste, Alphonse Tricheux (1880-1957), Violette Marcos et Juanito Marcos, 2011. L’hôpital Varsovie – exil, médecine et résistance (1944-1950), Collectif (coord. Àlvar Martínez Vidal), 2011. Exil, témoignages sur la guerre d’Espagne, les camps et la résistance au franquisme, Progreso Marin, 2010. Les Camps de Rivesaltes, une histoire de l’enfermement, Violette Marcos et Juanito Marcos, 2009. Exilés espagnols, La mémoire à vif, Progreso Marin, 2008. Dolores, une vie pour la liberté, Progreso Marin, 2002.
ISBN 978-2-86266-686-X © Nouvelles Éditions Loubatières, 2013 10 bis, boulevard de l’Europe – BP 50014 31122 Portet-sur-Garonne Cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr
DANIÈLE CHENAL, JUANITO MARCOS, ANNIE RIEU MIAS sous la direction de VIOLETTE MARCOS
L’ANTIFRANQUISME EN FRANCE 1944-1975… Le rôle prépondérant du Sud-Ouest
LOUBATIÈRES
Nos remerciements à : Solon Amoros, Placida Aranda, Jean-Claude Darien, Josemaría Fuentes, Élisée Georgev, José Jornet, Placer Marin Thibon, Françoise Petit, Édouard Pivotsky, Martine Roigt, Ignasi Ros, Miguel Sanz, Renacer Soler, Michelle Taurines. Et aux personnes qui ont bien voulu nous accorder un entretien : Michel Batlle, Patrice Castel, José Castro, Alain Continente, Marisol Costa, Gilbert Delpy, Claude Domergue, Alain F., Rodolf Fauria Gort, Enrique Fraga, Jacques Giron, Berthe Gorriz Sans, Joan Jordà, Jeanne Lalet, Rose Lavigne Guillemeau, Georges Llivina, Robert March, Henri Melich Gutiérrez, Alain Pecastaing, Gérard Puntonet, Claire Pradal, Éric Ramond, Máximo Rodriguez, Floreal Samitier.
Violette Marcos est docteur en histoire. Sa thèse de doctorat a porté sur le Parti communiste et l’antifranquisme. Juanito Marcos s’est spécialisé dans la recherche documentaire en histoire sociale. Tous deux ont publié Itinéraire d’un anarchiste, Alphone Tricheux (1880-1957) en 2011 et Les Camps de Rivesaltes en 2009 et participé à 1936, Luttes sociales dans le Midi de la France. Annie Rieu Mias est sociologue. Ses thèmes de recherches ont porté sur l’exil républicain espagnol et sur les réseaux de renseignements transfrontaliers pendant la Seconde Guerre mondiale. Après des études d’histoire, Danièle Chenal a travaillé dans la fabrication du livre et l’édition.
AVANT-PROPOS L’antifranquisme a-t-il sombré sous les sables des camps de l’exil ? Question provocatrice certes, néanmoins pertinente au vu de la kyrielle d’ouvrages parus en France sur l’arrivée, la présence, aujourd’hui le souvenir, des immigrés politiques espagnols contraints au départ en 1939. Un déracinement de plus de trente-cinq ans, parfois toute une vie, justifierait à lui seul autant de publications. Un tel arrachement a donné naissance à une véritable culture d’exil permettant à des milliers d’individus, à des familles entières, de survivre. Dans les moments festifs, les réfugiés ont pu tresser des liens, les conserver, maintenir des traditions et forger une mémoire, tout en restant attachés à l’intérieur, au pays du départ, celui de la souffrance et de l’espoir du retour. En toutes circonstances, la politique restait présente. La culture d’exil, forgée à travers les pièces de théâtre, les poèmes, les chants qui retentissaient lors des journées récréatives, n’avait de cesse de scander leur souffrance. Exil culturel, exil antifranquiste, deux versants de la même histoire à travers laquelle nul ne pouvait oublier les raisons de sa présence en France. Cette construction a uni étroitement exil et antifranquisme, et elle était si profonde, si solide, qu’elle paraissait naturelle, allant de soi. Tous les exilés seraient antifranquistes et tous les antifranquistes, en France, seraient exilés espagnols. Était-ce si évident ? Voilà qui méritait réflexion car si on a beaucoup écrit sur l’exil peu d’ouvrages se sont penchés sur l’antifranquisme en France. Bien sûr, on ne peut ignorer la masse des ouvrages politiques – souvent polémiques – rédigés par des leaders mais aussi des militants moins connus concernant leur lutte contre le régime franquiste. Et la foultitude de journaux, de tracts, d’affiches, édités et diffusés en France pendant la même période, est là pour rappeler les convictions, les opinions, les cris de haine lancés contre le régime de Franco. Mais peu d’ouvrages de synthèse tentent de comprendre qui étaient ces antifranquistes, espagnols ou français, et quels étaient les choix politiques, les stratégies de ces partis, groupes, syndicats, individus, militants qui pendant plus 5
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de trente ans ont mené ce combat. Pallier cette absence a été l’un de nos premiers objectifs. Encore fallait-il choisir et préciser le cadre de l’étude. Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la mort de Franco, en 1975, la plupart des villes de France, grandes ou petites, ont été traversées par des cortèges de manifestants au sein desquels le nom du Caudillo était conspué et hué. Toutes ont un jour ou l’autre, accueilli des concerts, des expositions, des colloques et des conférences analysant et dénonçant le franquisme. Dans le foisonnement de ces événements, le Sud de la France a occupé une place particulière. L’antifranquisme y a trouvé une terre d’accueil. Cette région, véritable asile pour de très nombreux exilés politiques de la guerre civile, est aussi devenue le refuge des émigrés économiques des années 1960 à la recherche de travail. Au cœur de cette région, Toulouse a tenu une place de choix. « Capitale de l’exil », la ville est restée pendant plus de trente-cinq ans un lieu politique central avec le siège du Parti socialiste espagnol (PSOE), et des deux principaux syndicats espagnols, l’Union générale du travail (UGT) et la Confédération nationale du travail (CNT). C’est là que tous les leaders espagnols, parmi lesquels Federica Montseny, Dolores Ibárruri, Rodolfo Llopis, ont présidé, dans les plus grandes salles de la ville, des meetings nombreux, parfois houleux et souvent chaleureux. Là se sont tenus les congrès, les assemblées plénières mais aussi les réunions clandestines où les antifranquistes traçaient les lignes de force de leurs stratégies. C’est enfin dans cette région que se sont noués des liens confraternels entre tous ceux, Espagnols ou Français, qui dès l’origine se sont reconnus dans cette lutte. Car les exilés n’ont jamais été seuls dans leur rejet du régime franquiste et ils n’eurent pas le monopole de ce combat. Dès la guerre civile, le soulèvement contre le coup d’État militaire avait trouvé un écho favorable dans la gauche et l’extrême gauche française. Après la sortie des camps d’internement et la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Espagnols exilés qui reprirent leur lutte ne furent pas isolés, loin de là. Les militants et sympathisants français, alliés « naturels » des Espagnols exilés, furent partie prenante de cette lutte et contribuèrent à donner plus d’écho, plus d’ampleur, aux mouvements de protestation. Ils constituèrent un socle de solidarité pour tous ceux qui s’élevaient contre la terreur que semait le franquisme. Ils furent de toutes les campagnes de soutien. Cette solidarité, ce soutien, ne baignèrent ni dans la quiétude 6
Avant-propos
ni dans la sérénité. Conflits, dissensions et fortes oppositions marquèrent toute la période et ces différends furent d’autant plus importants qu’au cours des années la lutte prit différents aspects. Si les manifestations furent les activités les plus spectaculaires, d’autres, plus discrètes, tentèrent d’infléchir le cours des choses en introduisant à l’intérieur, armes, journaux, propagande. La diversité des actions est à l’échelle des moyens dont disposaient les groupes, partis, individus qui, à un moment ou à un autre, ont pu se proclamer d’une opposition au régime franquiste. Montrer l’enracinement de cette lutte sur le territoire français, tel a été notre deuxième objectif. Diversité des actions, diversité des types d’investissement, le champ couvert par le mot antifranquisme explique sa fonction fédérative. Si ce terme n’apparaît dans aucun dictionnaire classique et n’ouvre aucune entrée dans les registres des archives, sa polysémie est riche, donnant lieu à de multiples interprétations. Concept à géométrie variable, il ouvre la porte à autant d’ambiguïtés que celui d’antifascisme. Le préfixe « anti » est au centre d’alliances qui ont pu se faire et se défaire rapidement. Préfixe fédérateur, agglutinant, derrière lequel selon les circonstances vont se retrouver tel ou tel groupe, tel ou tel parti, il présentait l’avantage de désigner l’ennemi – Franco et le régime franquiste – et de rassembler sous cette bannière une diversité d’opposants. En France, jusqu’au pacte germano-soviétique du 23 août 1939, le PCF avait su fédérer, sous le slogan de « l’antifascisme » une très grande partie de la gauche française. Après guerre, il reprend la même stratégie avec l’antifranquisme. Il se présente comme le pôle central des regroupements contre le régime et certains de ses partisans n’hésitent pas à en faire le moteur, le cœur de cette opposition. À travers les « batailles » menées, il a su d’une part rassembler des compagnons de route, des sympathisants, et d’autre part tenir à l’écart tous ceux, opposants au régime de Franco, qui ne se reconnaissaient ni dans cet antifranquisme ni dans le stalinisme. Au cours des années, cette omniprésence s’estompe et l’antifranquisme tend à rassembler sur le même territoire, parfois de façon conflictuelle, gauche, extrême gauche et ultra-gauche. Le concept polysémique conduit progressivement à cerner des antifranquismes. Cette pluralité permettra de tenir compte des campagnes de soutien à Cristino García, communiste espagnol et résistant en France, et de celles en faveur des militants du FRAP et de l’ETA, assassinés par le même régime à près de trente ans 7
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d’intervalle. Montrer cette diversité et sa conflictualité, voilà notre troisième objectif. Pourquoi ces campagnes de soutien ont-elles eu un tel écho ? Grâce à quels consensus ou dissensus se sont-elles construites ? Analyser les groupes politiques dans de telles circonstances, c’est tenter de cerner ceux qui les entourent. Car les actions antifranquistes, petites ou grandes, individuelles ou collectives, n’ont eu un tel écho que parce que, enracinées dans un territoire, elles ont su rassembler militants, sympathisants ou révoltés d’un instant. Pour tenter d’approcher cette diversité, consulter les archives, les journaux nationaux et régionaux était une nécessité ¹. Ce n’était pas suffisant ; il fallait recueillir les souvenirs et les témoignages de ceux, anonymes ou non, qui ont participé en France, et notamment à Toulouse et dans la région Midi-Pyrénées, au combat contre le régime de Franco. C’est à cette tâche que nous nous sommes attelés, espérant défricher de nouveaux territoires. Nous avons essayé d’ancrer l’antifranquisme dans les luttes menées en France contre toutes les dictatures.
L’ANTIFRANQUISME À L’ORDRE DU JOUR août-septembre 1944 En septembre 1944, l’horizon des Espagnols réfugiés en France à l’issue de la Retirada semble s’éclaircir : entrevoir la fin de la guerre et la victoire des Alliés ne relève plus de l’utopie. De là à penser que les Alliés vainqueurs, après avoir abattu les deux dictatures fascistes, italienne et allemande, auront le désir et la volonté de chasser Franco du pouvoir, il semble n’y avoir qu’un pas. Se posent alors les questions du quand et du comment ? Entre-temps, le gouvernement républicain en exil s’organise, se structure et s’apprête à être reconnu sur la scène internationale. Le retour en Espagne semble inéluctable. Cette vision des choses cependant, ne dit pas tout des différents points de vue qui traversent le milieu des exilés espagnols. Certes, à l’attentisme de certains répond la volonté des autres d’agir vite mais, entre les deux positions, combien de nuances, combien d’interrogations et de réflexions politiques divergentes. À cette date, c’est l’action volontariste du parti communiste espagnol (PCE) qui paraît la plus spectaculaire, la plus éclatante. Forts de l’expérience acquise dans les maquis, les guérilleros, toujours armés, organisés dans l’UNE (Union nationale espagnole), front créé en novembre 1942 ² par les communistes, décident de franchir le pas. Dans la foulée de la libération du territoire français, ils se tournent résolument vers les Pyrénées et entreprennent la Reconquista de España. Le Val d’Aran va leur sembler un point de départ adéquat pour réaliser ce projet ambitieux. Si cet épisode militaire peut surprendre aujourd’hui par sa rapidité et surtout par l’évidence – partagée par certains à l’époque et par tous a posteriori – de son issue désastreuse, le contexte de cette période ne permet-il pas de mieux mettre en perspective cette tentative de poursuivre la guerre d’Espagne ? Avec toutes les ambiguïtés qu’elle portait en elle. 9
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Tous les espoirs sont permis En cet été 1944, les derniers combats de la Libération s’inscrivent dans une géopolitique extrêmement complexe. Si sur l’ensemble de l’Europe les troupes alliées avancent vite, elles se heurtent sporadiquement à des réactions allemandes d’envergure. À l’est, l’armée soviétique inflige aux troupes nazies d’énormes défaites les contraignant à une déroute progressive. En juillet, elle atteint la Vistule et son avancée vers l’Allemagne paraît inexorable. À l’ouest, les Américains et les Anglais ont ouvert un second front en débarquant en Normandie le 6 juin 1944, puis en Provence deux mois plus tard. Là aussi la progression est spectaculaire. La libération de Paris, en août, traduit un moment fort de cette avancée. Cette vision des événements pourrait cependant s’avérer triomphaliste car, sur le front de l’ouest, les Alliés anglo-américains ne progressent pas vite, sont même bloqués sur le Rhin et les Vosges et, s’ils avancent en Alsace, ils n’entreront à Strasbourg que le 23 novembre. Pendant ce temps, sur le territoire français, les Allemands tiennent toujours les bases sous-marines de Lorient, Saint-Nazaire et de La pointe de Grave. Certes, au cours de l’été, le sud du pays a été libéré et assez vite les Allemands ont été contraints d’abandonner de nombreuses villes. En quelques jours, les troupes nazies ont été mises en déroute et contraintes à la fuite. Agen, Albi, Foix, Toulouse, Perpignan sont libérés le 19 août, Tarbes le 20, Pau le 24, Bordeaux, enfin, le 28 août. Pour les Alliés, deux territoires frontaliers restent cependant fragiles et instables, d’une part, la zone pyrénéenne où une tension pourrait à tout moment mettre le feu aux poudres entre l’Espagne et la France et, d’autre part, l’Alsace où ils progressent difficilement. La première région constitue un réel souci pour les Anglo-Américains qui n’envisagent pas un autre conflit, une nouvelle source de difficultés. Quant à la seconde, elle incarne les résistances et les limites du second front tant réclamé par les Soviétiques. Face à ces obstacles à la progression des troupes, l’URSS conforte de fait les Anglo-Américains dans leur attentisme prudent vis-à-vis de l’Espagne et les incite à renforcer le front ouest en augmentant le nombre de soldats dans les Vosges pour mettre fin à la résistance allemande. Staline va même faire appel à tous ses alliés et, via le PCF, demander aux guérilleros des maquis du sud de la France de se déplacer vers l’Alsace 10
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pour venir épauler le mouvement offensif. Première dissension de poids, car André Marty, membre du bureau politique du PCF, qui est chargé de la transaction, essuie un refus net et définitif de la part des communistes espagnols. Au niveau géopolitique, sous des apparences de clarté, la situation est, elle aussi, fort complexe. Si le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) est reconnu du bout des lèvres par les Alliés, le statut de De Gaulle en tant que chef de gouvernement reste très fragile. La course à la légitimité qu’il a entreprise tout au long de la guerre prend désormais plus de vigueur. Il s’agit pour lui de faire accepter par les Alliés, les Américains surtout, l’existence d’un gouvernement représentatif, efficace et capable de s’imposer, notamment face aux forces résistantes. L’enjeu de cette reconnaissance est fondamental car cela conditionne, pour de Gaulle, à la fois son propre statut, son autorité et l’indépendance de la France. Dans ce panorama géostratégique, la place de l’Espagne est d’autant plus ambiguë que cette question n’a jamais été abordée de front par les Alliés. Mais la profession de foi antinazie proclamée dans la Charte de l’Atlantique ne pouvait que laisser présager la disparition prochaine du franquisme. Cependant sur le terrain, les manœuvres mises en place par les uns et les autres, brouillent cette solution apparemment évidente. Alliés et GPRF semblent avoir une attitude convergente. Résolument tournés vers Berlin, les Anglo-Américains souhaitent une sécurisation totale de la frontière pyrénéenne et envisagent de dresser, si nécessaire, une barrière infranchissable. Ils vont plus loin, nouent des relations commerciales avec l’Espagne puisqu’en mai 1944 un accord hispano-anglo-américain lui permet d’être approvisionnée ³ en carburant. À la même date les Renseignements généraux (RG) de Bayonne signalent la présence en Espagne, à proximité du littoral et dans le voisinage de la frontière franco-espagnole, d’agents de renseignements américains « qui s’immiscent assez fréquemment dans les affaires de contrebande et de passage de la frontière 4 ». Sans nul doute les services secrets américains cherchent à surveiller les zones de tensions et à se renseigner sur les passages transfrontaliers. Le Gouvernement provisoire va dans le même sens. Voulant prouver ses capacités d’action et d’autonomie, il envisage de faire appel à un régiment d’Indigènes afin de sécuriser la zone. Et pour montrer sa bonne foi, il songe déjà à reconnaître le gouvernement de Franco, 11
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décision qui sera rendue officielle le 16 novembre 1944. Entre-temps, le 27 août, un délégué du GPRF, Jacques Truelle 5, est installé à l’ambassade de France à Madrid 6. En cette fin d’été, la carte géopolitique est d’autant plus complexe que, s’il est évident que nulle troupe ne tentera de mettre fin au régime de Franco, officiellement rien n’est dit. Une ambiguïté qui explique le désarroi de certains et la volonté, pour d’autres, d’agir vite.
Le gouvernement républicain espagnol reconnu Dans l’exil, le gouvernement républicain a connu bien des vicissitudes car les divisions politiques nées pendant la guerre civile se sont maintenues et même accrues. Les effets de la défaite, l’exil dans les camps d’internement, la dispersion des cadres militants à Moscou, Londres et au Mexique ont accentué la déconstruction politique des structures du Frente popular. Tous les pouvoirs d’État ont éclaté. Manuel Azaña, dernier président de la République, a démissionné de la présidence en février 1939, suivi de peu par Diego Martínez Barrio qui refusa de continuer d’assumer la présidence des Cortés 7. Restait le gouvernement Negrín, très contesté et finalement dissous par le Bureau des Cortés en juillet de la même année. Les deux gouvernements autonomes, le catalan et le basque, réfugiés après bien des péripéties à Londres, victimes des mêmes circonstances politiques, ont connu un sort équivalent. Emblématique de ces difficultés, l’existence de deux formations distinctes d’aide aux réfugiés, l’une, le Servicio de Evacuación de Refugiados Españoles (SERE), impulsée par l’éphémère gouvernement Negrín, procommuniste et l’autre, la Junta de Auxilio a los Republicanos Españoles (JARE), créée par Indalecio Prieto et dominée par les autres formations politiques 8. Ces dissensions, ces différends, expliquent, en partie, l’attitude partagée face à la guerre en Europe car, à l’heure où un seul pays, l’Angleterre, affronte l’Allemagne et l’Italie, tous les partis politiques de l’exil restent en dehors du conflit. L’opinion exprimée par García Oliver 9 dans ses Mémoires en est d’autant plus singulière. Arrivé au Mexique au début de l’année 1941, il rencontre Martínez Barrio qui lui demande : « Selon vous, que faudrait-il faire? », il répond: « Nous devrions profiter de la conjoncture internationale de la guerre pour intervenir, en mêlant notre cause à celle 12
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que soutiennent les démocraties, en déclarant la guerre à l’Allemagne et à l’Italie pour les agressions qu’ils ont fait subir à la République espagnole en envoyant de l’armement et des unités militaires en soutien aux insurgés; pour les agressions contre Almería, Guernica, Madrid et Barcelone effectuées par l’aviation de ces pays. Il est évident que nous devrions reconstruire une légalité et créer un gouvernement représentatif de toutes les forces qui luttèrent en Espagne en défense de la République. « – Mais vous vous imaginez que l’Angleterre, qui se retrouve seule, irait se chercher des complications internationales en nous acceptant comme alliés ? « – Aujourd’hui elle est seule, c’est sûr. Mais elle ne le sera bientôt plus. C’est inévitable qu’il y ait une entrée en guerre de l’Union soviétique et aussi des États-Unis. Cela, ce sont deux hypothèses indémontrables […]. Pour nous, l’essentiel est de se doter de l’indispensable : une légalité, des institutions et un gouvernement. Et adopter une posture nette de ce qui est national par rapport à l’international. Un fait d’aujourd’hui, comme la déclaration de guerre à l’Allemagne et à l’Italie, déterminerait un droit demain, quand, une fois l’Allemagne et l’Italie vaincues, les belligérants se réuniraient pour trouver une solution à leurs problèmes mondiaux. À ce moment-là, l’Espagne républicaine serait présente. Autrement, elle sera absente ¹0. » Opinion prémonitoire mais qui resta en grande partie isolée ; si elle avait été adoptée, le sort de la République eût, peutêtre, été modifié… Pour l’heure, début 1941, face aux difficultés propres aux structures politiques de l’exil, on comprend mieux pourquoi des groupements partidaires font appel à l’unité, voulant donner une image rassurante, respectable et représentative d’un futur gouvernement espagnol lorsque sonnera l’heure du retour en Espagne. Telles sont l’UDE (Union démocratique espagnole) et l’ARE (Action républicaine espagnole), toutes deux constituées de républicains et de cadres proches des socialistes ¹¹. En fait, il s’agit de petits groupes rivaux, concurrents, au sein desquels les stratégies personnelles l’emportent, leurs divisions internes éclatant rapidement au grand jour. Ces rivalités entre les différentes formations de l’exil ne survivent pas à la naissance de l’Union nationale espagnole (UNE), fondée en novembre 1942 lors de la réunion dite « de Grenoble » – qui se tint en fait à Toulouse à l’initiative du PCE – qui marque clairement l’entrée du parti dans le conflit mondial. 13
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À l’approche de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les antagonismes deviennent d’autant plus vifs que la course à la reconnaissance par les Alliés de la légitimité républicaine augmente les tensions. Pour mieux asseoir sa représentativité politique, l’UNE crée en 1943 la Junte suprême d’union nationale (JSUN) au sein de laquelle elle tente de regrouper une partie des forces antifranquistes, des communistes à la droite monarchiste. Face à cette structure, le Parti socialiste espagnol (PSOE) et les partis républicains (Izquierda Republicana et Unión Republicana) fondent la Junte espagnole de libération (JEL). À ce moment-là, cette dernière, présidée par Martínez Barrio, semble la plus à même de jouer un rôle international. C’est sans compter avec le PCE reconnu par ses engagements dans la guerre mais fragilisé car, d’une part, ses dirigeants sont loin de France – ils se trouvent alors à Moscou – et, d’autre part, ses positions sont mal acceptées et suscitent toujours un scepticisme, voire une claire opposition, au sein des exilés. Il doit donc aller très vite pour faire reconnaître la JSUN par les Alliés. La renaissance, en août 1943, du gouvernement républicain en exil ne change pas la donne sur l’essentiel. Certes, après de longs mois de négociations, le premier gouvernement de l’exil a pu être constitué ; présidé par José Giral, il couvre une large palette politique, excluant toutefois communistes ou procommunistes. Pour compléter la structure, les Cortés élisent le 17 août 1943, à Mexico, Diego Martínez Barrio président de la République. Si ce gouvernement est bien accueilli au Mexique, il a cependant beaucoup de mal à se faire reconnaître sur la scène internationale. La rivalité entre les deux formations censées suppléer à la fragilité gouvernementale devient déterminante et prend de l’ampleur. Pour accroître son assise politique, la JEL crée un Comité de France qui, le 23 octobre 1944 à Toulouse, englobe les deux puissantes centrales syndicales espagnoles, la Confédération nationale du travail (CNT) et l’Union générale du travail (UGT). Ce large front continue d’exclure totalement les communistes et la droite monarchiste espagnole. Afin de clarifier les différentes positions et mieux asseoir sa prépondérance, la JEL donne naissance, le 9 septembre 1944, à l’Alliance démocratique espagnole (ADE) qui s’inscrit dans la continuité de la République de 1931. Une course de vitesse s’engage alors entre la JSUN et l’ADE. L’une comme l’autre cherchent une reconnaissance officielle internationale, chacune se voulant la seule représentative de la lutte contre le régime de Franco. 14
L’antifranquisme à l’ordre du jour
En septembre 1944, les deux organisations sont présentes en France et tiennent meetings à Toulouse, la ville qui commence à être appelée « la capitale de l’exil ». Chacune fustige et dénonce le régime franquiste, chacune critique l’attentisme des Alliés, mais les deux organisations choisissent des stratégies différentes. Si l’ADE s’en tient à une intense activité diplomatique, la JSUN par l’intermédiaire de l’UNE tente un coup de force.
Tentative de reconquête de l’Espagne : le Val d’Aran La décision de l’opération « Reconquête de l’Espagne » est un choix politique et stratégique interne au PCE, plus exactement à l’UNE. Il s’agissait de créer une tête de pont en Espagne et donner ainsi une assise territoriale à la JSUN. Comme l’indique José Antonio Alonso Alcade « Ce n’était pas l’objectif de reconquérir l’Espagne. Si on avait réussi à tenir le Val, on avait l’intention d’appeler le gouvernement républicain en exil pour qu’il vienne jusqu’au Val d’Aran et dise aux puissances internationales : “Nous sommes là, on vous a aidés bien que modestement à gagner la guerre contre le nazisme, aidez-nous maintenant.” Non pour conquérir l’Espagne avec nous, mais pour dire à Franco : “Ou tu t’en vas ou on te met dehors.” ¹² » Pour établir cette tête de pont et créer cet îlot républicain en Espagne, il s’agissait de combiner l’action menée par de petits groupes en territoire espagnol à une action d’envergure partant de France. Cette tactique supposait qu’au-delà des Pyrénées, à l’arrivée des troupes, la population se soulève. Pouvait-on penser l’hypothèse plausible, l’opération réalisable ? Le choix politique détermina l’action sur le terrain, la stratégie à adopter. Les guérilleros, un corps d’armée en partie composite Pendant la guerre, le PCF a intégré dans les FTP-MOI les résistants communistes espagnols de la zone nord. Dans la zone sud, la situation fut tout à fait différente. Dès 1942, l’UNE regroupe les militants communistes dans le XIVe corps de guérilleros. PCF et PCE sont donc indépendants l’un de l’autre. Cette autonomie militaire du PCE vis-à-vis de son homologue français s’accentue au cours de la guerre ; elle prend plus de relief lorsqu’approche la libération du territoire. En mai 1944, l’UNE transforme le XIVe corps de guérilleros en Agrupación de guerrilleros 15
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españoles (AGE) commandée par le général Luis Fernandez. Désormais ces guérilleros, sans aucune relation avec la MOI, sont représentés directement auprès des différentes instances des FFI. Symbolique mais néanmoins révélateur, ils arborent un brassard aux couleurs tricolores de la république espagnole, avec une croix de Lorraine sur laquelle est écrit « UNE-FFI ». L’AGE forme un bloc mais, si on y rencontre majoritairement des communistes espagnols, s’y côtoient aussi des socialistes, des républicains et des anarchistes qui sont tous là à titre individuel. Échaudés par l’attitude des communistes pendant la guerre d’Espagne, leurs organisations respectives se sont clairement opposées à toute alliance militaire avec le PCE. Mais tous les socialistes ou les libertaires n’ont pas suivi « la consigne », d’une part, parce que la période ne permit pas de donner à cette décision un large écho, d’autre part, parce que des militants voulurent affirmer des choix différents. Tel Henri Melich, réfugié en 1939, libertaire, âgé de 18 ans en 1944 et qui, après avoir combattu dans le maquis dans l’Aude, s’engage dans l’UNE, affirmant : « Pour nous, les communistes c’étaient des républicains ¹³. » Même engagement chez Antonio Téllez Solá qui écrit : « En raison des circonstances qui ne permettaient pas le choix, j’appartenais à l’UNE (dans mon groupe il y avait dix-sept autres anarchistes, tous à titre personnel, sans aucune représentation d’organisation. Mon groupe était la IXe brigade des FFI, département de l’Aveyron) ¹4. » Certains libertaires, membres de la CNT, vont plus loin et se rassemblent dans la Agrupación de cenetistas de la UNE (ACUN). Il s’agit de militants anarcho-syndicalistes, le plus souvent peu connus, engagés à l’origine dans la Résistance du côté britannique et qui, dès 1943, ont rejoint l’UNE dans les maquis. Le journal Solidaridad obrera, órgano de la agrupación de cenetistas de Unión nacional, porte-parole de cette minorité politique, explique l’origine du projet : « C’est ainsi que naquit la solidarité et la collaboration entre exilés, sans distinction de couleurs politiques ou sociales, collaboration que, dans nos conversations, on souhaita et s’efforça d’étendre jusqu’à voir l’Espagne libérée de l’opprobre et du crime auxquels elle était soumise […] et une fois atteint ce seul et unique objectif (qui ne forçait personne à renoncer à ses idées) chaque organisation, chaque parti, devait recouvrer son entière liberté d’action ¹5. » Miguel Pascual assure la direction du journal et apparaît comme un des leaders de l’ACUN. Son itinéraire est celui d’un résistant espagnol non communiste. Il a participé à l’Armée secrète puis au maquis de la 2e Région, celle qui couvre 16
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la Montagne Noire, Lacaune et Albi. Au moment du repli des guérilleros vers le sud de la France, il intègre l’ACUN. Comme d’autres combattants, sans partager l’idéologie du PCE, il considère que « l’union était nécessaire pour affronter (le régime de Franco) et aussi pour peser sur les Alliés. Hors de leur organisation d’origine, ils font partie de ces maquisards aguerris dans tous les combats menés en France qui n’envisagent pas de s’arrêter avant d’avoir mis fin à la dictature franquiste. Tous partagent l’opinion de Santiago Carrillo “Pour les Espagnols ce n’est qu’un début. Après la chute des dictatures italienne et allemande, il s’agit maintenant de mettre à bas le franquisme.” ¹6 » Miguel Pascual n’est pas le seul à faire ce choix puisque, selon lui, l’Agrupación aurait compté 6 000 personnes, adhérents et guérilleros ¹7. Les chiffres sont cependant controversés et si certains estiment à plusieurs milliers les membres et sympathisants de l’ACUN, d’autres parlent de quelque 200 personnes ¹8. La grande disparité est à la mesure de l’opprobre, du déni qui les toucha de la part de leur organisation d’origine et de l’oubli dans lequel on les cantonna. Car l’ACUN fut, dès son origine, au mieux dénigrée par la CNT officielle au pire ignorée. Exclus de la CNT au plénum du 8-13 octobre 1944, ses membres, appelés parfois confederales equivocados ¹9 furent traités tantôt de naïfs tantôt de séides du PCE ²0. Pire peut-être, ils furent ignorés et aujourd’hui encore les différents numéros de Solidaridad obrera, órgano de la agrupación de cenetistas de Unión nacional, sont considérés par certains comme des faux fabriqués par le parti communiste espagnol ²¹. Le contexte, les divergences politiques fortes et les prises de position de l’UNE avaient contribué à complexifier la situation. À ces débats idéologiques s’ajoutait le retour de certaines pratiques nées pendant la guerre d’Espagne. Dès 1943, les heurts entre communistes et autres composantes de l’exil, socialistes, membres du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), cénétistes, apparaissent à nouveau et les différends sont parfois loin de se régler autour d’une table. Ainsi face à certains maquisards qui refusent de suivre l’UNE dans son mouvement vers le sud et jugent l’action vers l’Espagne aventureuse, la réaction a pu être brutale. Plusieurs épisodes rappellent cette violence. En juillet 1944, à Castelnau-Durban, en Ariège, la famille de l’anarchiste Ricardo Roy qui refusait d’intégrer l’UNE est massacrée ²². À Bordeaux, cinq socialistes refusant d’adhérer à l’UNE sont assassinés. À Montfort-sur-Boulzanne, dans l’Aude, quatre militants socialistes et cénétistes subissent le même sort le 5 novembre 17
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1944 ²³. Enfin, en Haute-Garonne, à Toulouse, le secrétaire du comité du PSOE, Auxiliano Benito victime de la même hostilité, est abattu en pleine rue, en octobre 1944. Mais cette fois-ci, compte tenu de la personnalité de la victime, la presse, socialiste et libertaire, s’empare de l’affaire et dénonce le meurtre. Une manifestation de grande ampleur est organisée dans la ville au moment des obsèques du militant par les organisations non communistes. Mais les espoirs sont encore tournés vers l’avenir et très nombreux sont ceux qui pensent qu’un retour – qui ne saurait tarder – en Espagne mettra fin à ces conflits. Voilà pourquoi les leaders politiques et syndicaux appellent non à la vindicte mais à l’apaisement ²4. Un autre récit, dû à José Ariso, se déroule en Ariège. Il permet d’avoir une vision plus nette de ces événements : « Avec le compagnon Molina, ils [des militants de la CNT] avaient tenu tête à l’UNE qui voulait mettre la main sur leur organisation. Ils furent arrêtés par les communistes de l’UNE et liquidés entre Lavelanet et Varilhes. J’ai moi-même échappé à une tentative d’assassinat. Cela débuta à Mirepoix où j’habitais : un camion de l’UNE passa afin de “ramasser” tous les Espagnols qui y résidaient. Ce camion devait les conduire à Foix, au siège de l’UNE, pour les enrôler. […] Les compagnons de la CNT, nombreux en la circonstance, refusèrent de monter dans le camion. […] Dans la région, on n’entendit plus parler d’exactions communistes après que les compagnons de la CNT (entre autres El Abicinio) furent allés au quartier général de l’UNE, excédés qu’ils étaient du grand nombre de compagnons tombés sous les balles communistes ²5. » Si l’épisode s’achève par la négociation, il faudra aussi une lettre du Mouvement libertaire au PCE, en octobre 1944, pour que les choses soient clarifiées. Le texte indique : « Nous considérons que dans l’intérêt de tous les exilés et de ceux qui, vivant en Espagne, supportent douloureusement le joug franquiste, cet état de fait anormal [les exactions commises par le PCE citées plus haut dans le texte] doit cesser immédiatement pour le bien de la cause espagnole ²6. » À l’extérieur de l’UNE, qu’il y ait des opposants n’a rien de paradoxal, par contre des difficultés au sein de la direction de la mouvance communiste, voilà qui est plus original. Car la décision prise par l’UNE au cours de l’été 1944 de pénétrer en Espagne est loin d’être partagée. Staline et le PCF auraient bien voulu enrôler les maquisards communistes dans la marche vers l’est de la France, mais ils se sont heurtés au refus de l’UNE « obstinée » dans son désir d’entrer en Espagne. Le PCE 18
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ne veut pas perdre le capital de la lutte armée en France : ses troupes sont aguerries, armées et fortement motivées. Il bénéficie aussi du privilège d’avoir été le premier parti, parmi tous les opposants antifranquistes, à adopter dans l’unité et officiellement la stratégie antinazie. Mais entre les principaux cadres du parti qui se trouvent à Moscou ou au Mexique, la Pasionaria ou Santiago Carrillo, et les hommes qui se sont battus dans les maquis, les perspectives sont différentes. Les premiers s’inscrivent sur l’échiquier politique mondial, les autres, sont à un autre niveau, celui de ces maquisards qui se sont battus en France pour vaincre les nazis avant de mettre fin à la dictature franquiste. La décision est donc prise, sans l’accord de Moscou ni des instances dirigeantes du PCE, par les membres de l’UNE établis en France ou en Espagne. Officiellement c’est Jesús Monzón Repáraz, dirigeant le PCE en Espagne, qui arrête cette stratégie et lance l’expédition ²7. Les préparatifs Au début de l’été 1944, l’AGE qui compte quelque 10 000 hommes ²8 infléchit le mouvement de ses troupes vers le sud du pays pour organiser l’entrée en Espagne. Le but est double, prendre par surprise les Alliés et obliger les forces républicaines à reconnaître la force politique et la primauté du PCE. Tactiquement il s’agissait, comme l’indique le commandant Robert, « d’occuper cette région pendant les trois mois d’hiver ; car à l’époque le Val était totalement isolé du reste de l’Espagne à cause de la neige, il n’y avait pas de communications, un tunnel était encore en construction. Il fallait aussi occuper rapidement une grande ville espagnole ²9. » L’ambition militaire est d’envergure et d’autant plus téméraire qu’elle n’est entourée d’aucune discrétion. Les RG sont parfaitement au courant de ce qui se prépare et indiquent aux nouvelles autorités françaises : « Les républicains ont pour mission de créer une tête de pont en territoire espagnol, de la tenir à tout prix et, si c’est possible, de l’élargir progressivement. Une fois cette tête de pont bien établie, le gouvernement républicain espagnol, qui serait alors reconnu par la France, aurait l’intention de s’y transporter et il serait alors possible d’envisager une reconnaissance par les Nations unies ³0. » Président du Gouvernement provisoire, de Gaulle est informé de l’opération prévue et affirme clairement son opposition aux cadres dirigeants des guérilleros lors de sa venue à Toulouse en septembre 1944. En vain. 19
TABLE DES MATIÈRES Avant-propos.............................................................................................................. 5 L’antifranquisme à l’ordre du jour (août-septembre1944)................ 9 Tous les espoirs sont permis .................................................................................. 10 Le gouvernement républicain espagnol reconnu ............................................ 12 Tentative de reconquête de l’Espagne : le Val d’Aran .................................... 15 Les guérilleros, un corps d’armée en partie composite ................................. 15 Les préparatifs ...................................................................................................... 19 L’entrée en Espagne ............................................................................................. 21 Le repli .................................................................................................................. 23 Fin d’un certain antifranquisme ..................................................................... 24 Hésitations du gouvernement français (octobre 1944-1950) ........ 27 Dernières cartouches du gouvernement républicain en exil........................ 27 Les enjeux de la JEL........................................................................................... 27 Quelle alternative au franquisme ? ................................................................. 28 Entre tolérance et realpolititk ............................................................................. 32 Le temps de la tolérance..................................................................................... 32 La realpolitik ....................................................................................................... 35 Une attitude politique différenciée ................................................................. 36 L’opération policière Boléro-Paprika ................................................................ 38 Stratégies antifranquistes des partis et syndicats espagnols en exil (début de la guerre froide)............................................................. 43 La guerre civile continue ...................................................................................... 44 Au centre du gouvernement en exil : républicains et nationalistes ............ 47 Priorité à l’organisation : les socialistes ............................................................ 48 Garder le parti en ordre de bataille ................................................................ 49 La stratégie antifranquiste ................................................................................ 52 Continuer la lutte armée : les communistes ..................................................... 54 Un parti traversé par des crises ........................................................................ 54 Les maquis............................................................................................................ 56 Protéger l’organisation : les libertaires .............................................................. 60 La réorganisation des structures ....................................................................... 60 Comment financer l’organisation ? ................................................................. 64 Les groupes d’action libertaires ........................................................................ 70 Les bases de repli en France .................................................................... 71 Les passeurs .................................................................................................. 72 Dénoncer le franquisme ................................................................................... 77 Actions contre les consulats espagnols ................................................................ 77 Des lieux bien ciblés ........................................................................................... 77 237
l’antifranquisme en france Tentatives de mainmise sur les consulats........................................................ 78 Les consulats, bases franquistes......................................................................... 82 Consulats et « consulés » .................................................................................... 84 Les auxiliaires des consulats .............................................................................. 85 Manifestations et meetings................................................................................... 87 Meetings contre la répression ............................................................................ 89 Congrès et autres assemblées ............................................................................. 91 Commémorations................................................................................................ 92 L’utilisation des médias......................................................................................... 94 La bataille de la presse ....................................................................................... 94 La bataille des ondes .......................................................................................... 96 Culture d’exil, culture antifranquiste .................................................... 99 L’importance de l’action culturelle .................................................................... 99 L’antifranquisme dans la culture d’exil.......................................................... 99 Les raisons de la profusion d’activités culturelles ....................................... 101 L’image et l’écrit ................................................................................................ 102 Le théâtre ........................................................................................................... 103 La musique, la danse ....................................................................................... 104 L’expression théâtrale des différents groupes politiques .............................. 105 Du côté des Catalans ....................................................................................... 105 Du côté des socialistes ...................................................................................... 106 Du côté des libertaires ..................................................................................... 108 Du côté des communistes ................................................................................ 109 Le rôle essentiel de la peinture .......................................................................... 109 Diversité des peintres de l’exil espagnol........................................................ 110 Les expositions et l’expression picturale ........................................................ 111 « Normalisation » de l’Espagne et nouvelles activités culturelles ............ 113 D’une culture d’exil à une culture espagnole .............................................. 114 Les peintres se fondent dans le paysage local ............................................... 116 Autres acteurs de l’antifranquisme.................................................................. 118 Des militantes de base à Mujeres Libres .................................................... 118 Les francs-maçons ............................................................................................. 121 La guerre est-elle finie ? (début des années 1960) ............................. 125 Fin de la tolérance envers les antifranquistes ............................................... 125 Des circonstances favorables à Franco .......................................................... 125 La guerre d’Algérie, une aubaine pour Franco ............................... 125 L’Espagne, base de repli de l’OAS ...................................................... 128 En échange à la neutralité de Franco, les antifranquistes poursuivis en France ........................................................................................ 130 Interdiction des moyens de propagande .......................................... 131 Mesures contre les militants ................................................................. 133 La guerre d’Espagne est-elle finie ?................................................................... 134 238
table des matières Ossification des vieux appareils ..................................................................... 135 Le PCE, « sorte d’organisation pour émigrés » .............................. 135 Socialistes, libertaires, immobilisme des dirigeants ...................... 136 Franco la muerte !............................................................................................. 140 Les exécutions des années 1962-1963 .............................................. 140 En France, une solidarité diversifiée .................................................. 141 Un antifranquisme contrasté ...................................................................... 145 L’Espagne change .............................................................................................. 145 Exil politique et immigration économique ..................................... 146 Clivages de génération ........................................................................... 148 En France, un nouvel antifranquisme ......................................................... 151 Des méthodes renouvelées .................................................................... 151 Nouveaux acteurs : des itinéraires différents.................................... 152 Riposte au retour de la barbarie (fin des années 1960-début des années 1970…) .................................. 157 Nouvelle situation en Espagne.......................................................................... 158 Entre immobilisme du bunker et timides changements ........................... 158 Un syndicalisme transformé ........................................................................... 159 De nouveaux groupes politiques .................................................................... 161 Retour de la barbarie ...................................................................................... 163 Situation contrastée en France ......................................................................... 164 Déclin des formations antifranquistes traditionnelles .............................. 164 L’atonie des structures historiques espagnoles ................................ 164 Reconstitution de la gauche antifranquiste ..................................... 166 Renouveau de l’antifranquisme ..................................................................... 171 Une autre génération .............................................................................. 171 Reconstitution à gauche ........................................................................ 174 « Franco assassin, Giscard complice ! » .......................................................... 176 Une extrême gauche diversifiée ...................................................................... 176 Une forte rivalité...................................................................................... 178 Une activité débordante ........................................................................ 179 Groupes autonomes .......................................................................................... 184 Soutien aux militants de l’ex-MIL ..................................................... 184 Des actions éclatées................................................................................. 185 Après la fin… ...................................................................................................... 187 En guise d’épilogue ............................................................................................ 191 annexes .................................................................................................................... 197 Entretiens .............................................................................................................. 197 Chronologie ......................................................................................................... 207 Notes......................................................................................................................... 201 Sigles – centres d’archives – JOURNAUX ................................................... 230 Bibliographie ........................................................................................................ 232 239
sous la direction de VIOLETTE
MARCOS
L’ANTIFRANQUISME EN FRANCE 1944-1975…
ISBN 978-2-86266-686-X
19 €
9 782862 666860
www.loubatieres.fr
La Retirada ne marque pas la fin de la guerre d’Espagne. Dès leur arrivée en France, les opposants à la dictature de Franco reprennent la lutte pour mettre à bas ce régime. Ils ne vont cesser, trois décennies durant, de dénoncer le franquisme et ses exactions, de réclamer le départ de celui qui a pris le pouvoir par la force. Empruntant des voies diverses – selon leurs origines politiques et selon les moments et les circonstances –, militants et sympathisants participent à des manifestations de protestation ou à des actions plus directes de soutien aux antifranquistes restés en Espagne. Mais cette lutte n’est pas le monopole des seuls Espagnols. L’antifranquisme sert de creuset à tous les antifascistes, espagnols et français, qui s’insurgent contre le régime de Franco et dénoncent ses collusions avec les gouvernements français. Dans la quasi-totalité des villes de France, notamment dans le Sud, terre d’exil des Espagnols, on voit défiler ces cortèges cosmopolites, plus ou moins nombreux et animés selon les époques. Or l’histoire a peu retenu ces épisodes. On ne peut que s’étonner du relatif silence, voire du manque d’intérêt, qui entourent l’antifranquisme enfoui dans une mémoire silencieuse. À l’inverse, la culture de l’exil, associée pendant une période à l’antifranquisme, connaît aujourd’hui un réel engouement. Elle est relayée par les très nombreuses associations d’exilés, essentiellement constituées des enfants et petits-enfants des exilés. Dans le sud de la France, cette transmission est souvent assurée et reprise par certaines institutions locales. Pourquoi un tel débordement mémoriel face à ce déni qui touche l’antifranquisme ? Celui-ci porterait-il le poids d’un triple échec, échec de la guerre, échec de l’exil, échec de l’oubli ? Mais renvoyer tous ces militants à leur statut de vaincus, ce serait oublier le sens de leur exil et les significations politiques qu’ils ont données à leurs luttes. Ce serait oublier qu’avec d’autres ils ont construit un socle de convictions ancrées dans une longue tradition historique. C’est pour tenter d’en rendre compte que nous avons fait cet ouvrage.