Taylor Languedoc I (Toulouse, Albi)

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Voyages pittoresques et romantiques du baron Taylor dans l’ancienne France

Languedoc

(tome I)

Toulouse, Albi

Loubatières

Lithographies choisies et commentées par Louis Peyrusse


LE LANGUEDOC DE TAYLOR Le Languedoc des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France paraît dans les premières années de la monarchie de Juillet, entre 1833 et 1839. L’entreprise, qui a démarré avec l’Ancienne Normandie (1820-1825) a déjà exploré la Franche-Comté (1825) et l’Auvergne (1825-1832). Elle donne avec le Languedoc un chef-d’œuvre de poids : quatre volumes de texte aux pages enluminées et 760 lithographies. Leur publication coïncide avec l’invention du patrimoine et la mise en place des institutions chargées de la mémoire nationale. Après que les érudits eurent créé la chose, il fallait relayer le discours savant auprès des pouvoirs locaux et de la société. Il y avait urgence car régnait un vandalisme ravageur. La Révolution française, en nationalisant les biens du clergé, de la couronne, des émigrés, avait procédé à un gigantesque transfert de propriété. La nation se trouvait à la tête d’un ensemble d’une profuse richesse. Mais nombre de bâtiments religieux avaient été par la suite vendus à des indifférents : une abbaye était d’abord un domaine foncier ; église et couvent pouvaient devenir granges ou carrières de pierres. La « bande noire » qui dépeçait les monuments est dénoncée par Victor Hugo dans une ode (1824)

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Cloître de Fontfroide (Adrien Dauzat)


et dans une Lettre aux démolisseurs. La monarchie de Juillet entendait réconcilier les Français avec leur passé et assumer toute l’histoire du pays : le château et l’église ne pouvaient demeurer les théâtres des guerres civiles. Le seul moyen de les faire échapper aux luttes politiques était de les inscrire dans l’art et dans l’histoire. Ainsi se créa la notion de patrimoine à sauvegarder et de monument historique. À côté de mesures administratives, il fallait connaître et populariser. Dans ce combat, l’image devait jouer un rôle essentiel et on doit tout à Taylor. Justin Isidore Taylor (1789-1879), fils d’un Irlandais émigré et d’une Flamande, est un personnage caméléon : il est tour à tour militaire, peintre et voyageur (en Écosse, en Espagne, en Orient…). Dramaturge, il collabore au diorama (un théâtre pictural), au Panorama-Dramatique où il crée des mélodrames, et devient en 1825 commissaire royal du Théâtre-Français. Il révolutionne la très endormie maison de Molière et y fait entrer le drame romantique : Dumas, Hugo, Vigny. Anobli par Charles X, il fut chargé de missions délicates : en 1830, il obtient et fait transporter l’obélisque de Louksor, aujourd’hui place de la Concorde ; en voyageant en Espagne où les couvents étaient sécularisés, il achète des tableaux pour créer le musée espagnol de Louis-Philippe. Il fut aussi le fondateur d’efficaces associations d’entraide pour les artistes. Les Voyages pittoresques s’inscrivent à la conjonction de plusieurs passions : le voyage, la peinture, le théâtre, l’écriture. Ruines de l’abbaye de Saint-Martin-du-Canigou (Lancelot-Léonore de Turpin de Crissé) On y ajoutera la capacité à organiser et à gérer. Ses biographes assurent qu’il a toujours rêvé d’une grande publication illustrée pour faire connaître les monuments de la France. Afin d’assurer la réussite de l’entreprise, il s’associe avec Charles Nodier, bibliothécaire de l’Arsenal, dans le salon duquel naît le mouvement romantique, et avec Alphonse de Cailleux, alors secrétaire général des musées royaux, futur directeur des Beaux-Arts. Les deux premiers volumes, superbes et coûteux, présentent les principaux monuments normands du Moyen Âge et de la Renaissance, avec des dessins de détails. La lithographie, reproduction parfaite d’un dessin et procédé industriel, offre plus de facilité, de rapidité et d’économie que la gravure, burin ou eau-forte. Bien des entreprises ont précédé celle de Taylor. Aucune n’a sa qualité et son ambition. Car les Voyages s’inscrivent dans une croisade pour la sauvegarde des monuments, le dernier chant avant le tombeau. Pour autant, Nodier

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HÔTEL D’ASSEZAT [TOULOUSE] Auteur : Blouet Graveur : Massé, Emmanuel-Auguste (1818-1881) Lithographie de : Thierry Frères Planche : 19 Format : 380 × 290 mm Date : s. d.

L’hôtel d’Assézat, le plus vaste et le mieux conservé des hôtels de la Renaissance, est présenté ici sous un aspect idéal, contredit en partie par les planches 19 ter et quater. C’est un palais, alors attribué au Primatice. Les façades et la tour d’escalier sont articulées en travées régulières par des colonnes doubles superposant les trois ordres d’architecture, d’où la noblesse conférée à un bâtiment privé. Construit par un riche marchand, Pierre Assézat, qui devait sa fortune au pastel, l’hôtel connut deux campagnes de travaux : les deux

ailes sur cour reliées par la tour d’escalier, puis la loggia (à gauche), l’entrée et une coursière. Le relevé de Blouet donne aux colonnes engagées (en très forte saillie) l’apparence de colonnes en délit. Il restitue les fenêtres agrandies au XVIIIe siècle et leur redonne meneau et traverse, copiés sur un modèle de la tour. La suppression des menuiseries au dernier niveau – organisé en serliennes – a l’apparence d’un espace ouvert. L’élégance des visiteurs jure quelque peu avec le tas de pierres qui suppose un chantier.

COUR DE L’HÔTEL D’ASSEZAT [TOULOUSE] Auteur : Chapuy, Nicolas (1790-1858) Lithographie de : Lemercier, Benard et Cie Planche : 19 quart. Format : 327 × 257 mm Date : s. d.

Le dessinateur s’est placé au milieu de la cour et regarde vers la rue de l’Écharpe : loggia, entrée et coursière sur le mur mitoyen. Plus de palais. Les arcades de la loggia sont murées et repercées de fenêtres, une lucarne a été jugée inutile. Une pauvre loge de concierge est ménagée sous l’entrée. La coursière, pour des raisons évidentes de confort, a été cloisonnée. Un brin de misérabilisme : deux tuyaux de poêle s’échappent de ces aménagements dégradants. Ils vont de pair avec les corbeilles d’osier et les futailles sorties des caves : entrepôt ? demeure privée ? Celle-ci a perdu tout caractère noble.

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PONT DE TOULOUSE Auteur : Villeneuve, Louis Jules Frédéric (1796-1842) Lithographie de : Thierry Frères Planche : 119 bis Format : 475 × 216 mm Date : s. d.

La vue est prise rive gauche depuis la prairie des Filtres, ce qui permet de dessiner la silhouette de la ville et ses monuments : de droite à gauche, la tour d’Assézat, le monastère et l’église de la Daurade, les Jacobins, le dôme de Saint-Pierre des Chartreux. À l’entrée du pont rive gauche, les pavillons latéraux d’un arc de triomphe glorifiant Louis XIII étranglaient la rue. Ils furent démolis en 1867 pour faciliter la circulation.


Le pont, en brique et pierre, connut un très long chantier. Il a requis les talents de nombre d’architectes et d’ingénieurs. Citons Bachelier père et fils, Pierre Souffron, le jeune Mansart et Jacques Lemercier. Ce dernier lui donna en 1614 son allure définitive : des arcs en anse de panier lancés sur des piles anciennes protégées par des becs, des « ouïes » circulaires pour permettre le passage des eaux en crue, le dessin du tablier

qui atténue le traditionnel dos-d’âne : une courte montée rive droite, une longue descente vers le faubourg Saint-Cyprien. Il imposa aussi l’abandon de maisons : le tablier n’était pas assez large. Villeneuve s’est peu préoccupé des quais du XVIIIe siècle. Dans ce portrait de ville, où le pont joue le rôle de belvédère, la vie est là : passants, voiture et barques amarrées : la Garonne était navigable.


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SAINT-SALVI [SALVY] Auteur : Dauzats, Adrien (1804-1868) Lithographie de : Engelmann, Godefroy (1788-1839) Planche : 34 Format : 383 × 260 mm Date : 1833

La collégiale Saint-Salvi, église de la ville face à la cathédrale, église de l’évêque, est au cœur d’un bourg circulaire qui n’a pas retenu l’attention. D’un édifice composite on a choisi un détail : la tour nord avant le percement de la rue Mariès sous le Second Empire. La tour peut passer pour un résumé de la construction de Saint-Salvi qui manquait de dégagements pour offrir de belles images. Le chevet eût mérité une planche. Une base romane en pierre décorée de bandes lombardes supporte un étage gothique du XIIIe siècle très orné : une série d’arcs brisés retombent sur des colonnettes

longues et fines ; un remplage tréflé souligne chaque arc. Au-dessus règne la brique : une salle haute du XIVe siècle qui s’ouvre par des fenêtres sans décor et loge les cloches. À droite monte une tourelle de guet, la gachole. Le terme vient de la division administrative en gaches (ces quartiers surveillés par une tour de guet). La guérite, point le plus haut de la ville, permettait surtout de veiller au risque d’incendie. Ce moignon pittoresque donne une idée médiocre d’un ensemble très riche.


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PORTE EXTÉRIEURE DE L’ÉGLISE DE SAINTE-CÉCILE D’ALBY [ALBI] CÔTÉ DU SUD Auteur : Dauzats, Adrien (1804-1868) Lithographie de : Engelmann, Godefroy (1788-1839) Planche : 37 Format : 451 × 296 mm Date : 1833

La porte qui porte le nom de l’évêque Dominique de Florence, son constructeur, a été édifiée autour de 1400. C’est une porte fortifiée s’appuyant à gauche sur le bâtiment de la trésorerie (alors transformé en prison) et le flanc sud de Sainte-Cécile. On voit bien l’aspect de forteresse de cette dernière : bases talutées, contreforts cylindriques qui impressionnaient beaucoup les visiteurs habitués aux arcs-boutants du nord. La vue paraît plutôt exacte, incluant en hauteur un clocheton sans flèche à l’ouest.

La surprise vient du fait qu’il s’agit de la seule porte de la cathédrale : on avait voulu édifier une forteresse. Quelques éléments décoratifs viennent atténuer le caractère militaire de la porte : un tympan ajouré par des remplages curvilinéaires, gâble et crochets au-dessus des voussures ornées. La statuaire des niches a totalement disparu ; le sculpteur d’ornement Nelli a regarni ces niches au XIXe siècle. Mendiants et miséreux à la manière de Callot attendent les âmes charitables au pied de l’escalier.


Voyages pittoresques et romantiques du baron Taylor dans l’ancienne France

Languedoc

(tome I)

Toulouse, Albi Lithographies choisies et commentées par Louis Peyrusse

Entre 1820 et 1878, le baron Isidore Taylor, assisté de Charles Nodier et Alphonse de Cailleux, réalise les vingt volumes des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Les lithographies réunies dans chaque volume représentent aussi bien des monuments civils, militaires et religieux que des paysages ou des scènes de la vie quotidienne de la France de l’époque. Ce travail monumental est un témoignage précieux de la situation du patrimoine bâti en France dans la première moitié du XIXe siècle, en partie disparu. Il a également ouvert la voie d’un changement de perspective dans le regard porté sur ces édifices, les sortant du cadre purement fonctionnel pour les intégrer dans le champ de la conscience collective nationale. De cet inventaire patrimonial et paysager, aucune édition jusqu’ici n’avait présenté la totalité des lithographies rassemblées par aires géographiques continues. Chaque volume de cette nouvelle édition raisonnée des Voyages pittoresques présente une sélection des vues les plus remarquables accompagnées d’une notice développée, et reproduit l’ensemble des lithographies relatives aux départements étudiés.

ISBN 978-2-86266-660-X

Vue extérieure de Saint Saturnin, dessin de Nicolas Chapuy, planche 12, 408 x 306 mm, 1833.

25 €

9 782862 666600

www.loubatieres.fr

Le présent volume réunit les lithographies consacrées aux villes de Toulouse et d’Albi, ainsi qu’une présentation de l’œuvre de Taylor, des moyens mis en œuvre pour la réaliser et de son importance pour la connaissance du patrimoine languedocien.


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