Le Train Jaune, une ligne de vie

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LE TRAIN JAUNE une ligne de vie photographies de Noël Hautemanière textes d’Alexia Rossel

Loubatières Parc naturel régional des Pyrénées catalanes


Ce livre vous est offert par le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes.

Le Train Jaune une ligne de vie est un projet initié par le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes et réalisé par Noël Hautemanière, photographe Alexia Rossel, ethnologue Paul Mignon, directeur du PNR Axel Martiche, chargé de mission au PNR l’équipe du PNR et les Nouvelles Éditions Loubatières

ISBN 978-2-86266-596-2 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2009 10 bis, boulevard de l’Europe – BP 27 31122 Portet-sur-Garonne Cedex www.loubatieres.fr Parc naturel régional des Pyrénées catalanes 1, rue Dagobert 66210 Mont-Louis www.parc-pyrenees-catalanes.fr


Le Train Jaune une ligne de vie


La ligne de Cerdagne croise la route nationale 116 au-dessus de Fontpédrouse.

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2. Une autre solution existait, l’électricité conduite par caténaires, utilisée depuis 1898 par le tramway PierretteCauterets-Luz, 25 km de voie métrique exploitée par la Compagnie des chemins de fer électriques de Pierrefitte-Cauterets-Luz. Les deux lignes étaient connues de la Cie du Midi comme le prouve le rapport du Conseil d’administration du 27 avril


En moins d’un siècle, le chemin de fer tisse sa toile d’araignée à toute allure, parti d’Angleterre en 1825 pour arriver à Perpignan en 1854. Ce progrès, chaque canton français le veut à sa porte. En 1878, le plan Freycinet tente d’y répondre, projetant de desservir les régions isolées afin d’assurer développement économique, égalité républicaine et union nationale. En 1880, le tronçon Prades-Olette à voie normale et à vapeur est déclaré d’utilité publique.

Le chemin des cimes

Las, seuls cinq kilomètres de rail sont posés entre Prades et Villefranche-deConflent. Et encore faut-il attendre 1895 ! Un an plus tard, la Compagnie du Midi jette l’éponge à hauteur de Joncet, quelque 6 km plus haut. Les années filent faute de pouvoir concilier l’inconciliable, défis techniques coûteux et rentabilité d’une ligne desservant moins de 20 000 habitants. Voie normale ou voie métrique ? Traction à vapeur ou électrique ? Délicat dilemme d’autant que les trains électriques sont des raretés et la première ligne commerciale, dans le métro de Londres, n’a que quelques années (1890). En 1901, le chemin de fer Fayet-Chamonix trace la voie : voie métrique en simple adhérence, pentes atteignant 90 mm/m et troisième rail alimenté par une électricité hydraulique. S’il y avait une solution, elle devait se trouver là 2. Entre 1901 et 1902, tous les obstacles tombent. Jules Lax, directeur du contrôle des Chemins de fer du Midi, et Emmanuel Brousse, conseiller du canton de Saillagouse depuis 1898, unissent leurs efforts. Le premier, ingénieur de formation, coordonne les études de coût

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Emmanuel Brousse (1866-1926) Ce Perpignanais a été journaliste et gérant de L’Indépendant. Auteur du livre La Cerdagne française, il est devenu conseiller d’arrondissement (1895), conseiller général du canton de Saillagouse (1898-1926), député de la circonscription de Prades (1906-1924) et sous-secrétaire d’État aux Finances (1920-1921). Il a vivement soutenu le projet de la ligne de Cerdagne, supputant, bien avant sa construction, son rôle dans le développement touristique de la région. Ses proches et amis ont fait élever un monument à sa mémoire près de Mont-Louis à la croisée des routes du Capcir et de la Cerdagne.

et de faisabilité. Le second, partisan de la voie métrique à traction électrique, convainc le Département. L’État, financeur d’une partie des installations, tranche. La ligne Villefranche/Bourg Madame, déclarée d’utilité publique et d’intérêt général, sera étroite, pour en réduire le coût et faciliter le tracé (rampes plus élevées et courbes plus étroites). La traction sera électrique, car cette solution, plus chère que la vapeur, est jugée plus sûre, permettant, de plus, l’électrification de la région. Le 5 décembre 1902, une nouvelle convention est signée entre la Cie du Midi et l’État, ratifiée par une loi votée le 4 mars 1903. Les travaux peuvent commencer, une annonce fêtée par le pavoisement des mairies du Conflent et de Cerdagne.

CONSTRUIRE L’IMPOSSIBLE (1903-1910) Des défis, des prouesses, rien qui ne stimule davantage les ingénieurs de la Belle Époque. Tout est possible, même le tronçon du vertige entre Villefranche-de-Conflent et Mont-Louis. En trois ans, tout sera fini ! Telle est la prévision en 1903, un enthousiasme initial vite douché. Il ne faudra pas moins de huit ans pour construire cette première section au dénivelé de 1 084 m et à la pente de 60 mm/m quasi-constante à partir d’Olette car un

Boite d’essieu datant de la Compagnie du Midi (1908).

impératif s’impose, ne pas dépasser les 70 mm/m, synonyme de crémaillère. De plus, le massif pyrénéen n’a que 40 millions d’années, une ébauche qui se hausse de quelques centimètres par siècle et qui s’érode dans le même temps. Aller tracer une ligne dans un tel chantier géologique ! Sur les plans, on multiplie ponts, tunnels et murs de soutènement et, quand le terrain est trop instable, d’un trait de plume, on franchit la vallée de la Têt. Ce seront le viaduc Séjourné et le pont Gisclard, chefs d’œuvre ferroviaires à plus de 60 m au-dessus de la Têt. Sans oublier les infrastructures hydroélectriques à réaliser dont le barrage des Bouillouses à 2 000 m d’altitude. La construction de la ligne est confiée à sept grandes entreprises : la Cie du Midi, Brossier, Moreau & Duran, Lambert et Escoffier Frères, Chevalier et Arnodin. Derrière ces noms, il y a des ouvriers dont il reste peu, des photos jaunies, de minces articles dans les journaux et quelques témoignages.

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Pourtant, ils ont construit un Transpyrénéen, au sens géographique du terme,


franchissant le col de la Perche à 1 581 m d’altitude. Une épopée ferroviaire, réunissant de 500 à 1 500 ouvriers selon les chantiers et les saisons, Français, Espagnols et Italiens, simples manœuvres, terrassiers, concasseurs,

Attelage semi-automatique Leduc-Lambert, organe accrocheur au premier plan, organe accroché en arrière-plan.

charpentiers, mineurs et tailleurs de pierre. Et des enfants aussi, les « mousses » ceints de la traditionnelle faixa, large ceinture des Catalans. Une animation inconnue règne dans la vallée : cafés bondés les jours de relâche, banquets célébrant l’avancée des travaux et baraquements de fortune près des chantiers. En ce début de XXe siècle, la fronde sociale secoue tout l’Hexagone avec des mouvements ouvriers réprimés par l’envoi de la troupe. Sur la ligne aussi, des grèves éclatent, le plus souvent pour obtenir de meilleurs salaires, généralement sans grande avancée. C’est que le travail est dur, des tonnes de granite à extraire et tailler, des monceaux d’acier à charrier et assembler,

La Compagnie des chemins de fer du Midi et du canal latéral à la Garonne (1852-1937) La Cie du Midi a été créée en 1852 par les frères Émile et Isaac Pereire. Elle a exploité le réseau ferroviaire et les canaux d’un vaste territoire allant du Rhône méridional à Bordeaux. Grâce aux ressources en « houille blanche » des Pyrénées, elle a joué un rôle pionnier dans le développement de l’énergie hydroélectrique, technique qu’elle

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Portion entre Mont-Louis/ la Cabanasse et Villefranchede-Conflent. Des violettes poussent le long

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Villefranche-de-Conflent. Atelier de maintenance du Train Jaune. Galdric règle la timonerie sous la caisse.

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des centaines d’ouvrages d’art à faire sortir de terre. Les hommes payent de leur sang l’avancée des rails : fractures, mains et pieds broyés, éclats de pierre dans les yeux, blessures graves dues aux tirs de mine ou aux chutes de rocher. Certains, mortels, sont relatés en quelques lignes dans L’Indépendant : J. Picard pris sous l’effondrement du tunnel du mas Rondole ; M. Peix, manœuvre de 24 ans, et Antonio Castillo, ouvrier de 30 ans, tous deux ayant chuté du pont Séjourné 3. C’est à ce prix que les travaux avancent et, en 1909, des indices montrent qu’ils tirent à leur fin. Le troisième rail est mis sous tension le 2 septem-

Jules Lax (1842-1925) Ingénieur de formation, cet inspecteur général des Ponts et Chaussées a été nommé directeur du contrôle de la Compagnie des chemins de fer du Midi. Concepteur des projets ferroviaires, il a terminé sa carrière avec la ligne de Cerdagne et le projet du Transpyrénéen Toulouse-Ripoll. Un monument, connu sous le nom de Porte de Cerdagne, lui est dédié près du col Rigat à quelques mètres de la ligne.

bre. Le 9, les automotrices, à la livrée déjà jaune surlignée de rouge 4, sont vues en gare de Mont-Louis/la Cabanasse. Des conducteurs du métro parisien forment les futurs wattmans 5 de la ligne et deux inspections officielles ont même lieu avec la venue, le 24 septembre, d’Alexandre Millerand, ministre des Travaux Publics et futur président de la République.

LA CATASTROPHE DU PAILLAT L’inauguration de la ligne de Cerdagne est fixée au 25 novembre 1909, le temps de finir les travaux et de mener les essais de charge et de stabilité sur le pont Gisclard. Le dimanche 31 octobre, les tests s’achèvent avec succès dès la mi-journée. Une première rame est déjà repartie vers Mont-Louis. Un fin crachin suinte sur les rails. Les hommes rentrent dans les deux automotrices restantes pour rejoindre Fontpédrouse. Un geste de l’ingénieur Lhériault est pris pour un signal de départ et les cales sont ôtées. Sur une pente de 60 mm/m, le train, trop lourdement chargé, s’emballe sur des rails humides. Les freins manquent de pression et les roues s’enrayent, aussi Lhé-

Ultime point kilométrique de la ligne de Cerdagne, 607 m avant la gare de Latour-de-Carol/Enveitg.

riault ne peut-il freiner. Le brouillard engloutit le convoi de l’épouvante. L’ingénieur Leynekugel s’en évade, en étant quitte pour quelques lésions. À la sortie du pont de Rafinse, les deux automotrices déraillent et se disloquent au lieu-dit Paillat après un kilomètre de course folle. Le décompte est macabre, dix blessés graves et six morts : Borrallo, Clerc et Toulet, conducteurs ; Hubert, chef de section aux Chemins de fer de l’État ; Bezault, chef monteur de l’entreprise Arnodin et le commandant Gisclard, concepteur du pont qui,

3. L’Indépendant, 11 et 12 janvier 1906, 18 avril et 20 mai 1908. 4. Il s’agit des couleurs habituelles des autorails à cette époque (Crapet, 1985). 5. Nom donné alors aux conducteurs

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Gare de Font Romeu/Odeillo/Via. L’horloge Garnier, qui fut le fournisseur officiel des chemins de fer français. Celle-ci date de la construction de la gare et donne toujours l’heure.

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sorti des décombres, s’écrie avant de mourir : « Ne vous occupez pas de moi, il y en a d’autres à sauver. Occupez-vous d’eux. » Emmanuel Brousse accourt depuis Canaveilles où il inaugurait une école. Constater l’inconcevable et déjà connaître les circonstances de la catastrophe pour mieux se défendre des opposants à la ligne. Ces Cassandre prédisaient d’inévitables accidents depuis longtemps, Victor Dalbiez en tête qui dénonce la « ligne de la mort ». Bataille verbale par discours et presse interposés, entre deux députés du département et futurs hommes d’État, entre L’Indépendant et La Montagne. La commission d’enquête ayant conclu à un défaut de freinage, un quatrième frein (électromagnétique) est ajouté. Depuis, les rumeurs n’ont cessé de courir sur les causes de la catastrophe, et une légende aussi, celle du commandant Gisclard disparu avec l’achèvement de son grand œuvre. SUR LES RAILS Le 18 juillet 1910, l’effervescence gagne Mont-Louis et la Cabanasse. Les enfants des écoles filent vers la gare et les officiels se pressent afin d’accueillir le convoi inaugural en provenance de Villefranche-de-Conflent : « La Cabanasse !… Des drapeaux ! Partout des drapeaux ! Le village est en liesse… […] Tout à coup, le tintement d’une cloche, le sifflement d’une sirène :“Le voilà ! Le voilà !”Et le train apparaît ; il s’avance majestueux. Et aussitôt une immense acclamation s’échappe de toutes les poitrines : “Vive M. Lax ! Vive M. Brousse !” » (L’Indépendant, le 25 juillet 1910) Dépôt de Villefranche-de-Conflent. Détail de fermeture de porte de la Z103 (classée monument historique), et détail de fermeture du wagon de secours.

Le succès est immédiat : 700 billets sont vendus pour les fêtes du 15 août 1910 et cent personnes restent sur le quai de Villefranche ! Le tronçon MontLouis/Bourg Madame, déjà commencé, est inauguré le 28 juin 1911. La section Bourg Madame/Latour-de-Carol, prévue dès 1912, reste dans les cartons à cause de la Grande Guerre jusqu’en 1922. Le 7 août 1927, le Train Jaune arrive à son terminus, la gare internationale de Latour-de-Carol/Enveitg où trois écartements de voies différents se côtoient 6. Deux ans plus tard, le Transpyrénéen Ax-les-Thermes/Latour-de-Carol rejoint la portion espagnole achevée depuis 1920. Dès lors, la ligne de Cerdagne est connectée

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6. Voie métrique du Train Jaune, voie normale de la SNCF (1,435 m)

aux réseaux français et espagnol et les hauts cantons désenclavés.


Intérieur de l’automotrice Z 103 qui a conservé la livrée des années 1960. Engin inscrit à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques

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Deux rames du Train Jaune en gare de Latour-de-Carol/


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LE T RA I N JAU N E

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une ligne de vie

ne ligne de vie : c’est ainsi qu’est considéré le Train Jaune sur le ter-

ritoire qui le porte et qu’il irrigue. Véritable emblème identitaire du

Parc naturel régional des Pyrénées catalanes, il le parcourt sur toute sa longueur pour mieux le faire découvrir en toutes saisons. Le Train Jaune, c’est aussi ce train qui semble appartenir aux reliques d’époques révolues, mais au-delà du folklore, il demeure avant tout le témoin d’une modernité visionnaire, que ce soit dans les ouvrages d’art qui le constituent ou dans son alimentation en énergie renouvelable, hydroélectricité produite par l’eau des Pyrénées. C’est lui qui a permis de relier au reste du monde le Conflent, la Cerdagne et le Capcir, l’essor touristique qui s’en est suivi, la possibilité pour des générations d’étudiants de rentrer chez eux en fin de semaine. À chaque fois qu’il a été menacé dans son existence, ceux qui le conduisent, l’entretiennent, accueillent les usagers et même ceux qui l’utilisent l’ont défendu âprement comme un joyau sang et or inaliénable. C’est l’histoire de cette épopée, qui fête son centenaire mais qui s’écrit encore au présent, qu’a voulu raconter le Parc naturel régional des Pyrénées catalanes qui a pour vocation première de faire vivre et fructifier le patrimoine de son territoire. Le Parc a pour cela fait appel aux talents d’un photographe de renom, Noël Hautemanière, et d’une ethnologue, Alexia Rossel, qui, avec la finesse et la sensibilité qu’ont leur connaît, ont su mettre en lumière et en mots les liens réciproques qui unissent le Train Jaune aux vallées et plateaux qu’il enlace et enchante. À la lecture de cet ouvrage, vous ne resterez pas insensible à l’émotion qui se dégage de cette ligne de vie.

ISBN 978-2-86266-596-2

29 €

Ce projet est cofinancé par la communauté européenne dans le cadre du programme Leader+.

Le Parc, ce sont 64 communes associées au Conseil Général et à la Région.


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