J’avais terminé mon livre précédent, Veilleur, où en est la nuit ? (Loubatières, 2017), dans les circonstances dramatiques de l’attentat contre Charlie Hebdo (7.01.15), décryptant notamment à cette occasion la position partagée entre fermeté et complaisance qu’avait la domination visà-vis du processus irrésistible de l’implantation de l’islam en Europe, « zone spirituelle » devenue comme la nouvelle ligne de front du combat, non tant entre deux « civilisations », qu’entre l’illustration d’un sens (la foi islamique) et l’excipation de valeurs (celles de l’Europe « laïque » et « démocratique ») ; et combat qui avait au moins ce mérite de faire venir ces dernières comme obsolètes et impuissantes face à un prosélytisme qui tirait son efficacité du fait qu’il n’était pas, lui, par elles concerné ; ce que n’a pas manqué de prouver la suite des événements. Car que viton alors ? Un gouvernement « socialiste » qui, après avoir adopté dans un premier temps, pour des raisons de « communication », des mesures d’extrême fermeté : n’alla-t-on pas jusqu’à condamner à de lourdes peines de prison des gens qui avaient seulement eu l’intention de partir « faire le djihad », revint, par la voix de son Premier ministre parlant tout à trac d’« apartheid », presqu’immédiatement à cette bonne vieille « politique de l’excuse » qui, depuis au moins trois décennies, fait le fond de l’idéologie néo-progressiste sur ces questions ; et politique exposée jusqu’à la caricature par la grotesque Virginie Despentes dans sa réaction « à chaud » aux événements : Et j’ai été aussi les gars qui entrent avec leurs armes. Ceux qui venaient de s’acheter une kalachnikov au marché noir et avaient décidé, à leur façon, la seule qui soit accessible, de mourir debout plutôt que de vivre à genoux. J’ai aimé aussi cela qui ont fait lever leurs victimes en demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. J’ai aimé aussi leur désespoir. Leur façon de dire – vous ne voulez pas de moi, vous ne voulez pas me voir, vous pensez que je vais vivre ma vie accroupi dans un ghetto en supportant votre hostilité sans venir gêner votre semaine de shopping soldes ou votre partie de golf – je vais faire irruption dans vos putains de réalités que je hais parce que non seulement elles m’excluent mais en plus elles me mettent 5
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en taule et condamnent tous les miens au déshonneur d’une précarité de plomb (…) Les Inrockuptibles n° 998 du 14 au 20 janvier 2015 Cependant, cet écartèlement entre fermeté et complaisance auquel furent en proie durant quelques semaines le ban et l’arrière-ban des idéologues néo-progressistes eut au moins le mérite de nous faire assister au spectacle assez croquignolet de gens qui, comme le nota à cette occasion l’éditorialiste J. Julliard (Marianne n° 928), « quelques semaines encore (auparavant) discut(aient) gravement… de l’opportunité d’habiller les petits garçons en rose et les petites filles en bleu ; d’offrir des tenues d’infirmière aux premiers et de shérif aux secondes ; ou de privilégier les chiffres, les lettres ou les couleurs dans l’évaluation des élèves (…) … et qui, tout à coup, n’eurent plus aux lèvres que les mots d’« autorité », de « discipline » et autre « respect du maître » – toutes notions qu’ils avaient sciemment cherché à saper depuis des décennies : exemple de l’ineffable ministre de l’Éducation Belkacem qui, comme je le notais moi-même dans ce Veilleur, sans doute partie au moment de sa nomination pour être quelque chose comme la Simone de Beauvoir de la rue de Grenelle, se retrouva en chemin affublée du costume de… Jules Ferry ; d’où la conclusion du même Julliard à sa diatribe ironique :
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jours plus tard, un sondage paraissait établissant que la vague d’attentats, si elle avait permis au président en place de revenir à un étiage à peu près raisonnable d’(im)popularité, avait essentiellement profité à la leader frontiste Le Pen – dont tous les commentateurs politiques (prenant comme d’habitude leurs désirs pour la réalité) avaient pourtant estimé « mauvaise » sa « gestion des événements » – qui, sans faire aucune déclaration particulièrement fracassante : en se contentant de réaffirmer ce que son parti préconisait depuis trente ans, avait gagné en ces quelques courtes semaines rien de moins que cinq points dans les intentions de vote pour l’élection de 2017 ; et cela pour ainsi dire sans lever le petit doigt : tant le « réel brut » apporte aujourd’hui d’eau à son moulin électoraliste… et tant aussi ce même « réel » fait venir comme proprement abyssal l’écart – pointé plus haut sur la seule question d’une « école » au sein de laquelle a brutalement succédé aux polémiques relatives à « l’enseignement ou non de la théorie du genre » cet unanimisme en faveur du rétablissement de l’« autorité et de la discipline » – entre l’analyse néo-progressiste de la « situation » en cours et la vérité pratique – rien de moins que les prémices d’une guerre civile – de celle-ci.
Car tel était en effet, à cet instant, la bonne question : combien de temps ces parfaits fantoches parviendraient-ils à faire accroire à une population apeurée qu’ils avaient ainsi sincèrement retourné leur veste sociétalo-pédagogiste ; et que désormais, ayant apostasié toute « théorie du genre » et autre « ABCD de l’égalité », ils allaient enfin s’atteler à l’autre tâche – assurément moins exaltante mais d’évidence plus urgente – de rétablir l’« autorité » et la « discipline » au sein de l’« école de la République » ? Or la réponse à cette question ne se fit pas attendre longtemps puisque, quelques
À présent ces mêmes commentateurs médiatiques et autres « politologues » cherchent à se rassurer en observant que, si la leader frontiste arrive largement en tête du premier tour de cette élection de 2017, elle est dans tous les cas de figure (si l’on en croit du moins toujours le même sondage) battue au second ; si bien que désormais le seul problème qu’ont à résoudre les partis « traditionnels » de gouvernement (PS et UMP) est celui, non tant de remporter cette « présidentielle », que de parvenir à ce que leurs candidats respectifs y soient présents au deuxième tour : étrange « mondial » politico-stratégique où la victoire se joue, non « en finale », mais en… « demi-finale » (ce qui a notamment permis d’affirmer à un de ces commentateurs – et par la contraposée du raisonnement précédent – que le parti qui ne parviendrait pas à hisser son candidat en cette « finale » – à ce second tour –, non seulement perdrait l’élection (d’évidence), mais en plus « serait mort » : au sens où plus jamais il ne se retrouverait en position de la (re)gagner dans un avenir plus ou moins proche ; et ce serait la fin du bipartisme tel qu’on l’a connu depuis le début de la Ve République) ! Mais où l’on voit que ce raisonnement peu ou prou rassurant pour nos stratèges de plateaux médiatiques repose tout entier sur le présupposé qu’une Marine Le Pen ne peut en aucun cas battre à un second tour de
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Aujourd’hui, on n’ose plus. La tragédie nous a délivrés de la sottise. Pour combien de temps ?
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l’élection le candidat (dit) « républicain » – important peu ici le fait qu’il vienne de la « droite » ou de la « gauche » : le candidat « UMPS » dirait probablement la même Le Pen – ; et présupposé qui en effet, à l’aune du climat de ce début d’année 2015 (celle-là même où j’écris ces lignes), apparaît assez vraisemblable ; mais « prévision » qui, si les événements devaient se précipiter : si par exemple, dans l’intervalle 2015-2017, d’autres attentas islamistes survenaient, risquerait d’apparaître beaucoup moins certaine : étant clair que, si à chaque attentat la leader frontiste gagne « cinq points », il n’est pas besoin d’être agrégé de mathématiques pour calculer le nombre d’attentats qui lui permettront d’accéder à « la magistrature suprême » (en vérité : quatre). On dira que les choses sont sans doute plus complexes que cela, et que l’« arithmétique » n’est pas la science qui régit la « politique » – mais la politologie non plus apparemment : puisque ses illustrateurs ne cessent depuis trente ans de se tromper – ; il n’empêche que cette simple et très pratique observation – que cet élémentaire calcul arithmétique – fait venir le destin des partis traditionnels (« républicains ») comme entièrement suspendu à la capacité de leurs services de police et autres « forces de maintien de l’ordre » à déjouer ou non de futurs attentats ; ce pourquoi, et très logiquement, le premier soin du présent gouvernement « socialiste », piétinant allègrement en cela son idéologie jusque-là peu ou prou « anti-sécuritaire » – dont une Taubira est comme la ministérielle incarnation : « Taubira, c’est la gauche », disait il n’y a pas si longtemps un magazine culturalo-progressiste –, a été, sitôt connue la tuerie de Charlie Hebdo, d’augmenter le budget de ces « services » et « forces de l’ordre » : le fait que ce soit un gouvernement « de gauche » – et non par exemple celui « de droite » qui l’avait précédé (et qui, pour des raisons d’économie budgétaire, avait en réalité, et nonobstant les rodomontades de son président ayant affiché son intention de « passer les banlieues au karcher », fait tout le contraire) – qui ait pris cette décision en disant long sur l’état de panique qui, suite à ce carnage (et à ceux qui ont suivi), s’est emparé de tout le microcosme politico-médiatique ; celui-ci ne redoutant pas tant la menace terroriste ainsi avérée sur le pays que celle d’une réaction en mode « populisto »-pro-lepéniste de la population soudain confrontée brutalement et spectaculairement à ce terrorisme même (qui en vérité, en le mode plus soft de la « délinquance ordinaire », règne depuis longtemps déjà sur un pays où le citoyen lambda a statistiquement plus de « chances » de tomber sous les coups du « voyou » que du « terroriste » – qui sont d’ailleurs souvent les mêmes). L’ensemble du microcosme politico-médiatique droite et gauche
confondues : cf. la standing ovation réservée par l’Assemblée nationale au Premier ministre, s’est empressée de féliciter le tandem Hollande-Valls de ses prises de paroles et autres « réactions de fermeté » aux attentats, comme si, en une telle heure et aussi grave, ils pouvaient vraiment procéder autrement qu’ils ne l’ont fait et, par exemple, ne pas prendre les mesures de sécurité qui, à cet instant, s’imposaient : imagine-t-on vraiment l’exécutif, suite aux tueries de Charlie ou de l’Hyper Cacher, continuant de minimiser – comme il le faisait d’ailleurs encore quelques semaines auparavant pour d’autres « attentats » qui, parce que plus véniels et moins spectaculaires, avaient été ramenés au rang de simples « faits divers » – de tels événements en, par exemple, excipant de l’argument quantitativement exact qu’après tout, durant ces trois journées tragiques, il y avait sans doute eu autant de morts dus aux accidents de la circulation, et que par conséquent, ramenées à de telles froides et objectives considérations, les attentats et leurs victimes cette fois-ci par balles ne devaient pas nous émouvoir outre mesure ? Et pourtant, le minimum syndical-régalien accompli en cette circonstance par nos dirigeants fut jugé si extraordinaire que tous – microcosme politico-médiatique et population pour une fois au moins fédérés dans l’élément d’une même trouille – s’empressèrent de leur tresser de sécuritaires lauriers ; si bien que la « cote » de ces mêmes dirigeants, depuis des mois au plus bas dans les sondages d’(im)popularité, fit en quelques jours, et nonobstant le fait têtu que pendant ceux-ci la courbe du chômage, indifférente elle à cette sanglante actualité, n’avait cessé de grimper, un bond de vingt points ! À présent, tous vont chantant les mérites de cette « union nationale » et de son « esprit du onze janvier » : comme si, par la grâce de quelques rafales de kalachnikov, le pays s’était spirituellement ressaisi et, accessoirement, la gauche de gouvernement convertie aux vertus du « tout-sécuritaire » ; mais qui peut croire cela ? Et qui peut croire que des gens pratiquant depuis trente ans – par bêtise angéliste ou machiavélisme électoral – une politique qui consiste à nier les périls seraient tout à coup aptes à nous en préserver : car ici, ce n’est pas tant le nombre de soldats et de policiers déployés sur le territoire national qui compte que les principes qui président à une saisie enfin lucide – c’est-à-dire sans complaisance idéologique de quelque sorte – du réel ; et « principes » qu’il est évident qu’aucun néoprogressiste – aussi ferme soit-il en ses intentions désormais affichées de (par exemple) « défendre la laïcité » – ne saurait illustrer : puisque c’est l’absence même de tels « principes » qui l’a constitué en tant que néo-
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progressiste ; c’est-à-dire en tant qu’individu qui, face au déploiement d’un sens quel qu’il soit : foi religieuse ou croyance à un « progrès » dans l’histoire, n’a à opposer que des « valeurs »… dont il n’excipe d’ailleurs (comme ce fut le cas lors de cette fameuse « marche républicaine » du onze janvier) que sous le coup de l’émotion et de la peur ; et, le reste du temps, oublie : qui, avant les attentats islamistes, se souciait de la « laïcité » et de la « république » ? Et la triste vérité n’est-elle pas que tous les gouvernements depuis trente ans n’ont rien fait d’autre – par paresse intellectuelle ou lâcheté idéologique : recul systématique devant le double effet du terrorisme du « politiquement correct » et des exigences « communautaristes » – que de s’asseoir sur ces « valeurs » mêmes qu’ils ressortent aujourd’hui sous la pression des événements, mais auxquelles, en réalité, ils ne croient plus depuis beau temps ; et qu’est-ce qu’une « valeur » qu’on n’illustre plus sinon une chose morte ? Une refondation dans l’ordre du spirituel – car seule susceptible de rendre un sens à « la vie sous le ciel » des « patriotes européens » – est d’évidence à l’ordre du jour ; mais la certitude qui accompagne cette « évidence », c’est qu’aucun des membres de la présente caste politico-médiatico-intellectuelle – y compris d’ailleurs ceux du FN qui se flattent d’être « anti-système » – n’est capable de la mener à bien ; et il y a même tout à parier que si un homme – le « prince-serpent » que, dans Le Pays silencieux, j’appelais de mes vœux – se mettait en devoir de s’atteler à cette tâche historique, tous se ligueraient instantanément contre lui : « Il est vrai que nous ne tenons notre mandat que de nous-mêmes, mais il est contresigné par la haine générale que nous ont vouée nos ennemis » (Marx à Engels). Mais la vérité ici sans doute, c’est que ce qui manque à cette Europe en proie aux affres du « doute identitaire » – et doute probablement plus dangereux que la (supposée) menace que fait peser sur elle le prosélytisme musulman –, ce n’est pas tant un « prince » – car lorsque ce mouvement de refondation en mode spirituel aura été initié, il s’en présentera bien un qui conviendra (et le prophète Samuel, une fois qu’il eut décidé de donner un nouveau roi à son peuple, n’eut pas à aller le chercher bien loin : le premier berger trouvé sur le chemin fit l’affaire) qu’un nouveau saint Bernard ou un nouveau saint François. Une Martine Aubry l’autre jour, prouvant par là qu’on peut être « de gauche », « socialiste » et avoir cependant de temps à autre des accès de lucidité, notait, pour réaffirmer je suppose son hostilité à une loi qui prévoit l’ouverture des magasins le dimanche, que le « sens de la vie ne consiste sûrement pas à aller se promener le dimanche, en famille, dans les supermarchés » : voilà le genre de réflexions qu’on aimerait
entendre plus souvent dans la bouche de nos politiques – devenus pour la plupart les ventriloques de l’économie –, et même si, très probablement, la pauvre Martine, étant ce qu’elle est : une néo-progressiste endurcie, serait bien en peine de nous expliquer ce qu’elle entend au juste par cette expression de « sens de la vie » ; et même peut-être de proposer à ses ouailles une solution de remplacement à cette promenade dominicale au supermarché – aller à la messe ? Où l’on retrouve cette idée, développée notamment dans le À nos amis du Comité invisible (cf. la longue lecture que j’ai faite de cet ouvrage dans mon Veilleur), que si le « politique » ne se donne pas des buts qui transcendent la stricte dimension de ce politique même – des buts « éthiques » dit ce Comité –, alors il ne peut que tomber sous la coupe de l’« économique », processus de subjugation qu’illustre précisément très bien cette loi Macron à laquelle prétend s’opposer Martine Aubry, quoique sans en avoir les moyens spirituels : car si l’on n’a aucun « sens de la vie » à proposer aux individus – seulement donc des « valeurs » –, au nom de quoi devrait-on priver ceux-ci du bonheur – « facile et immédiat » (préciserait ce même Comité) – de se promener en famille, le dimanche, dans les rayons des supermarchés ? Mais où l’on voit aussi par là que ce mot de « valeurs », qui n’est pas pour rien depuis des décennies en constante inflation dans le discours des politiques – en vérité : dans celui de la domination –, n’est rien d’autre que l’écran idéologique dont se sert l’« économique » – i. e. : la domination – pour pousser toujours plus loin ses pions et imposer sa logique « très particulière »… que tout le monde aujourd’hui juge peu ou prou « inhumaine », mais à laquelle personne, très étrangement, ne semble être en mesure de s’opposer efficacement ; et cela parce que seule la donne d’un sens nouveau – cette « refondation dans l’ordre du spirituel » que j’ai dite plus haut – permettrait d’y parvenir : ceci expliquant aussi pourquoi l’activisme islamiste, malgré la barbarie particulièrement révoltante de ses méthodes, séduit tant d’âmes jeunes/égarées dans le labyrinthe « kossilien » de nos « temps de détresse ». Le lecteur s’étonnera peut-être que, à mesure que mon livre s’écrivait, la dimension du (plus strictement) « politique » y ait pris petit à petit tant de place : ce qui n’était pas le cas par exemple lorsque, il y a une vingtaine d’années, je commençai d’écrire le premier tome de cette Profondeur ; mais c’est qu’aussi, dans l’intervalle, maintes vérités qui jusqu’alors n’avaient fait que cheminer souterrainement à travers l’épaisseur époquale ont commencé de venir au jour ; et vérités qu’aucun écran idéologique – dont celui (donc)
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de l’excipation de ces fameuses « valeurs » – n’est plus en mesure de nous masquer : la politique de l’autruche pratiquée ad nauseam depuis trois décennies par l’ensemble de la caste politico-médiatico-intellectuelle n’est tout simplement plus tenable, et, si cette caste veut continuer de se maintenir aux affaires, il va lui falloir rapidement inventer d’autres sophismes et mensonges : ce qu’a d’ailleurs commencé de faire le présent gouvernement « socialiste » affichant tout à coup cette posture de fermeté qui, il y a seulement quelques semaines, l’eût fait encore taxer par les idéologues néoprogressistes de « populiste » et de « sécuritaire » (qu’il apparaît loin soudain le temps où l’on célébrait le bonheur de vivre au sein d’une « société multiculturelle »/multiethnique ; et où, en cette société, les seules polémiques qui déclenchaient les passions gravitaient autour de thèmes aussi graves que le « mariage gay » ou les « ABCD de l’égalité » : les rafales de mitraillette des frères Kouachi auront au moins eu ce mérite de replacer ces « questions sociétales » dans une plus juste perspective). Bien plus que la rédaction de l’infortuné Charlie, c’est une génération entière du mensonge néo-progressiste – à laquelle appartenaient d’ailleurs ces malheureux (et finalement encore très « politiquement corrects ») journalistes – qu’ont « flinguée » les tueurs musulmans : faisant passer en quelques minutes l’opinion publique d’un pays entier de la lâche illusion de l’idylle multi-culturelle à la perspective de la guerre civile intercommunautariste (cf. récemment l’inquiétante déclaration du maire de Sarcelles – pourtant, je crois, « de gauche » – disant qu’il y avait désormais sur le territoire de sa « banlieue » trois communautés – juive, musulmane et « chrétienne d’Orient » – prêtes à en découdre en se jetant l’une sur l’autre). Cette « guerre civile » – dont j’examinais dès 2013, dans L’Ancien des jours : via la lecture des romans de politique-fiction Le Bloc de Jérôme Leroy (2011) et À chacun selon sa haine de Maurice Zytnicki (2012), la possibilité – n’a peut-être pas encore éclaté ; mais d’évidence aujourd’hui chacun, qu’il soit « de gauche » ou « de droite » : (néo-)progressiste ou (néo-)réactionnaire, y pense très fortement ; et ne serait-ce que parce que, si aucune « Saint-Barthélémy » en mode non tant « religieux » que « communautariste » ne s’est encore déclenchée, son climat est déjà là : apertement manifesté par le déploiement de rien de moins que dixmille (!) hommes de troupe sur le territoire national ; et déploiement dont on veut nous faire croire qu’il a pour but de « lutter contre le terrorisme » – comme si les armées de « Daesh » ou d’Acmi » étaient à nos portes ! – ; alors que de toute évidence il n’est là que pour empêcher le déchaînement de cette « guerre civile » même – ou plus exactement : pour empêcher le
passage de celle-ci du stade soft que nous connaissons depuis maintenant plusieurs années à un autre plus hard et cette fois-ci « à force armée » (et il est à ce titre à noter – ce que personne, à ma connaissance, n’a fait ou osé faire – que les matchs de l’équipe de football d’Algérie – jouant pourtant en ce moment même (02.2015) la « CAN » – n’ont donné lieu (contrairement à ce qui s’était passé lors du « Mondial » de 2014 au Brésil) à aucun débordement de type communautariste-algéro-footballistique sur le territoire « français » : prouvant par là que ces débordements relevaient bien plus de la provocation de type précisément communautariste – de cette guerre civile soft que je dis – que d’un quelconque enthousiasme « sportif » – ; car sinon, comment expliquer que, pour une fois, nous n’ayons pas assisté à l’habituel spectacle de ces foules ethniques-hurlantes investissant, drapeaux étrangers en tête, les centres-villes en détruisant, si possible, tout le « mobilier urbain » sur leur passage : étant évident ici que c’est la seule présence de la troupe sur le terrain – rien d’autre que la force militaire – qui a refroidi un tel type d’« ardeurs » dont le sport n’était jamais que le pratique et touttrouvé alibi)… Toujours dans la perspective de telles considérations désobligeantes – sinon pour la vérité officielle (qui en a vu d’autres), du moins pour les idéologues prébendés du « politiquement correct » forcés, en de telles circonstances, d’« avaler leur chapeau » –, il est également à noter que ce déploiement de forces de « maintien de l’ordre » n’a suscité pratiquement aucune protestation de la part de ces mêmes idéologues – d’ordinaire plus prompts à réagir lorsque se profilent l’ombre d’une matraque de CRS ou la forme d’un casque de gardes mobiles – ; tout se passant comme si chacun de ces idéologues, et aussi ferme soit-il en ses positions « anti-sécuritaires », se félicitait secrètement que ce qui n’est rien d’autre que des « opérations militaires menées sur le territoire national » (dixit le ministre de la Défense Le Drian) soit ainsi déclenché : tant la peur chez eux l’emporte désormais sur la passion idéologique ; et tant le fait que le gouvernement qui mène ces opérations soit estampillé « de gauche » – estampille que, il y a encore quelques semaines, ils lui déniaient peu ou prou – leur apparaît, en de si inquiétantes circonstances, comme une véritable providence : car leur évitant d’avoir, ces opérations, à les dénoncer (puisque c’est « la gauche », qu’on ne saurait soupçonner de « dérive sécuritaire », qui les mène).
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En ce sens, un gouvernement « de gauche », lorsqu’on passe du stade de la guerre civile soft – celle que nous connaissons depuis des années en
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le mode de l’explosion de la délinquance – à celui de la guerre civile hard – celle où nous sommes entrés depuis les attentats de janvier 2015 –, apparaît paradoxalement plus apte à résoudre la crise qu’un gouvernement « de droite » ; et cela parce que, se retournant en sa faveur, sa réputation de « laxisme » et d’« angélisme » (supposés) devient soudain l’alibi au nom duquel il va pouvoir prendre, pour assurer la « sécurité de la population » – en vérité : pour empêcher le déclenchement effectif de la guerre civile – , les mesures les plus extrêmes ; et mesures que même un gouvernement de droite – toujours a priori soupçonné de « tentations sécuritaires » – n’oserait peut-être pas décider. Si donc, suite aux attentats et aux réactions de fermeté qu’ils ont générées de la part de ce gouvernement, la « cote » de ses dirigeants est si spectaculairement remontée dans les sondages, ce n’est peut-être pas tant dû au fait que ces mesures de fermeté ont été approuvées par la majorité de la population qu’à celui qu’elles ont été prises par des autorités censées en général faire tout le contraire : ce qui d’une certaine façon a dédouané cette population de la culpabilité d’applaudir à la mise en œuvre de telles mesures – qu’en d’autres temps on eût pu juger de type « policier » et « sécuritaire » – ; mais qui, puisqu’elles ont été décidées par un gouvernement « de gauche » : « laxiste » et « angéliste », ne le sont plus, ce tour de passe idéologico-policier ayant été accompli en une seule formule par le Premier ministre Valls lorsque, à la tribune de l’Assemblée, celui-ci a déclaré que les circonstances nécessitaient « des mesures exceptionnelles mais pas de mesures d’exception » : admirable nuance, qui n’est peut-être qu’un sophisme, mais qui a en tout cas instantanément et comme magiquement rassuré, tant la représentation nationale que le pays tout entier… qui s’est installé dans ce climat de guerre civile avec au moins la garantie qu’on ne basculerait pas dans une sorte d’État policier peu ou prou fachisant : puisque c’était « la gauche » elle-même qui le lui certifiait (cette même gauche s’étant même offert le luxe de créer de toutes pièces une fausse polémique autour du vote ou non d’un Patriot act « à la française » – que personne ne lui réclamait – pour mieux prendre la posture d’autorités qui, bien que confrontées à de lourdes responsabilités policières, écartent vertueusement toute « tentation sécuritaire » : ce même type de montage grotesque avait, on s’en souvient, déjà été utilisé par un autre gouvernement de gauche au cours des années 1980 lorsque, le pays étant alors confronté à une autre vague d’attentats, certains courtisans mitterrandiens s’étaient gravement interrogés sur la question – en l’occurrence parfaitement hors de propos (le territoire national n’étant, pas plus qu’aujourd’hui, menacé de quelque
invasion étrangère) – de savoir si « le Président ne devait pas utiliser l’article 16 de la Constitution » – à quoi l’intéressé, quoique probablement à l’origine de la manœuvre, avait bien sûr fait répondre (par d’autres courtisans) que non : tant les puissants aiment à se flatter de ne pas jouer du pouvoir que, pourtant, ils détiennent théoriquement). Il est probable qu’aujourd’hui les Français, après avoir voué depuis deux ans et demi aux gémonies le président « socialiste » qu’ils avaient élu en 2012 : plutôt d’ailleurs par défaut que par adhésion (car, en cette élection, il s’agissait surtout de faire « dégager » l’autre), jugent in petto que tout compte fait, et en un tel climat de guerre civile brutalement passé de soft à hard, ils ont plutôt bien voté – ce pourquoi le malheureux Hollande connaît en ce moment (mais durerat-il ?) un regain inespéré de popularité – : car leur apparaissant dans la lumière des évidences idéologiques que, pour les protéger dans l’épreuve nouvelle en laquelle l’attentat contre Charlie les a fait entrer, un dirigeant « de gauche » vaudra toujours mieux qu’un autre « de droite » ; et cela pour la raison (qui n’est qu’en apparence paradoxale) qu’un tel dirigeant, pour prendre certaines mesures de facture peu ou prou sécuritaire-spectaculaire – dont ces dix mille hommes de troupe déployés sur le terrain : comme si la France de ce début 2015 était le Mali de 2013 ! –, n’a pas à s’embarrasser des considérations idéologiques dont devrait probablement tenir compte un président « de droite » (imaginons le concert de protestations qu’aurait déclenché la même mesure prise par un Sarkozy voire a fortiori par une Le Pen ; c’est en quelque sorte le « bon côté » de l’appartenance auto-proclamée (par la gauche) au « parti du Bien » : on n’a à se justifier de rien… et l’on peut même, dans certains cas, passer par-dessus le devoir d’avoir, ce « Bien », à l’illustrer). Mais bien évidemment, ce « regain de popularité » – littéralement inespéré dans le cas de Hollande, plus prévisible dans celui de Valls (qui cultive depuis longtemps sa stature d’homme à la fois d’ordre et « de gauche » : d’où sa constance référence à la figure d’un Clémenceau) – est tout entier conditionné aux résultats, non pas cette fois-ci économiques (la baisse du chômage, le retour de la croissance, etc.), mais bien sécuritaires et « policiers » : étant clair que si, dans l’intervalle des deux années qui nous séparent de l’élection de 2017, aucun nouvel attentat n’a lieu, alors ces deux leaders conservent une chance d’être élus (ou réélus) ; tandis que, dans le cas contraire, la population, constatant que l’avantage idéologique que procure aux présents dirigeants leur appartenance à « la gauche », ne suffit pas à la protéger efficacement, sera alors tentée de se tourner vers d’autres figures qui, pour être moins
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« politiquement correctes », lui apparaîtront comme les seules susceptibles de le faire véritablement.
Le fait qu’une Marine Le Pen ait été la seule à ne pas vouloir couper au consensus d’« union nationale » habilement imposé/proposé par le présent gouvernement « socialiste » – non tant d’ailleurs en ne participant pas à la grande « marche républicaine » du onze janvier à Paris qu’en étant la seule de tous les politiques à faire, en le domaine du sécuritaire, une sorte de surenchère à laquelle ne s’est pas risquée la droite « classique » : cf. sa proposition de « désarmement des banlieues » (ce qui revient peu ou prou – il faut tout de même en être bien conscient – à exiger de l’État français qu’il réédite en Ile-de-France la même opération que les paras de Massu avaient accomplie en 1956 à Alger : rien de moins !) – dit bien qu’un pari politique est là tenté par la leader frontiste qui, sachant pertinemment que, si les mesures de sécurité prises par l’actuel gouvernement s’avèrent efficaces – i. e. : si, dans les deux années qui viennent, il n’y a pas d’autres attentats –, elle n’a aucune chance de l’emporter en 2017, se positionne d’ores et déjà pour le cas où ces mesures ne le seraient pas ; et qu’alors, surfant sur la vague de terreur provoquée par de nouveaux attentats, elle apparaîtrait, en le domaine d’un sécuritaire cette fois-ci « à n’importe quel prix » : plutôt le déclenchement d’une nouvelle « bataille d’Alger » à Paris que la mort, comme un « recours », certes répugnant, mais du moins rassurant (car c’est bien dans le fond l’unique exigence qu’adresse aujourd’hui la population à ses dirigeants – même plus la baisse du chômage, même plus le retour de la croissance ou la « fin de la précarité » – : seulement qu’ils la délivrent de la peur – tout aussi bien « identitaire » d’ailleurs que physique – ; ce dont attesta en mode dénégateur l’inepte slogan du Not afraid des manifestations du onze janvier : bien sûr que tout leur néo-progressiste-bêlant troupeau avait « peur » !). Cette même population préférerait sans doute être « protégée » par un gouvernement de type « classique » – issu du PS ou de l’UMP – plutôt que par un autre d’inspiration lepéniste ; mais il ne faut pas se voiler la face : si le premier échouait en une telle tâche de « rassurement » de l’opinion, celle-ci n’hésiterait pas, quitte à se boucher le nez au moment du vote, à se donner au second – tant le sentiment de la peur, dans les moments où celle-ci devient extrême : bascule justement en une « terreur », l’emportera toujours sur les convictions idéologiques
les plus enracinées – ; par quoi l’on voit que si, à court terme, les attentats de janvier 2015 ont plutôt bénéficié au gouvernement « socialiste » en place ; à long terme, et s’ils devaient se reproduire, ils constituent le meilleur argument électoral du FN et, probablement, son seul moyen d’accéder au pouvoir : toute réalité que la domination n’ignore pas, et que même, très certainement, elle a commencé d’envisager lucidement… en suscitant au sein même du parti frontiste deux « courants » au moins opposés sur la question de l’attitude à adopter vis-à-vis de l’islam de/en France. Car ce qui, en ces attentats, a littéralement terrorisé la population, ce n’est pas tant le nombre de leurs victimes – somme toute relativement « faible » comparé à celui du onze septembre – que le fait qu’ils aient cette fois-ci été commis, non par des « terroristes » venus de l’étranger, mais par des ressortissants « français », faisant venir par là cette réalité qu’il existe désormais en ce pays une partie non négligeable de la population réunie sous le nom de « communauté musulmane » qui les hait et veut leur mort : cf. notamment les récentes déclarations de l’« autre » Coulibaly (celui de Nice) disant haïr en vrac « les Français, les policiers et les juifs ». Ce qui signifie aussi que désormais tout Français non-musulman est, aux yeux de ces terroristes « de l’intérieur », une cible potentielle qu’il est légitime d’abattre : certaines déclarations de Daesh – qui ont justifié l’exécution du « randonneur » Gourdel – allant également dans ce sens ; et bien évidemment lorsque règne un tel climat de haine dans une population, c’est qu’il y a déjà la guerre civile : pas besoin de massacres supplémentaires et autres démonstrations d’hostilité. Et c’est bien d’abord pour masquer cette réalité-là que tant de forces de « maintien de l’ordre » ont été déployées : non tant pour protéger telle ou telle communauté, ou édifice, ou ministère, etc. que pour empêcher la guerre civile de passer de « puissance » à « acte » et, en une telle effectuation, de devenir cette « guerre de tous contre tous » caractéristique de ce type de moments historiques. Mais bien sûr aucune démonstration de police, aussi spectaculaire soit-elle, ne saurait aller contre une vérité d’essence – en l’occurrence ici : une situation de guerre civile – ; ce pourquoi aussi la fameuse question du « vivre ensemble », dont nous rebattent en ce moment les oreilles tous les idéologues médiatiques, ne peut sonner que comme une parfaite dénégation : car que peut bien encore signifier une telle expression lorsque, pour seulement empêcher les gens de ne pas se jeter les uns sur les autres, il faut mettre la troupe dans les rues (et en effet on n’a jamais autant parlé de « vivre ensemble » et autre « lien social » que depuis que ceux-ci sont morts) ? La « menace terroriste » a bon
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dos, constituant finalement l’idéal écran permettant de masquer une vérité autrement plus inquiétante que les seuls risques d’attentats : celle d’une guerre inter-communautariste en cours, et guerre qui, en réalité, est souterrainement à l’œuvre depuis longtemps : car, au bémol du degré de violence illustrée, quelle différence y a-t-il entre un « combattant islamiste » exécutant des journalistes pour « venger le Prophète » et un « voyou de banlieue » agressant une personne âgée pour lui voler son sac à main (et cela d’autant plus que le premier a souvent commencé par accomplir ce que fait le second) ? Et n’est-ce pas tout compte fait la même « terreur » qui, dans les deux cas, est illustrée ? À se demander même si la réaction policière consécutive aux attentats de janvier 2015 ne provient pas du fait que, pour la première fois, on s’en est pris aux membres du microcosme politico-médiatique – auquel nolens volens appartenait encore la rédaction de Charlie – : car tant que ce « terrorisme »-là ne s’attaquait qu’aux anonymes et « sans-grade » – en le mode de la délinquance (dite) « ordinaire » –, finalement personne n’en avait cure ; et tous ces « petits attentats », auxquels il faut adjoindre les millions d’« actes d’incivilité » qui se commettent chaque jour dans l’indifférence générale dans ce pays, passaient à la rubrique des « faits-divers » : les médias officiels, en tout cas, n’en parlaient pas ; ou alors seulement comme des sortes de « dommages collatéraux » inhérents au fonctionnement « normal » de toute société « moderne » – i. e. : néo-libérale et multiculturaliste – digne de ce nom (de la même manière, par exemple, que les accidents de la circulation sont les « dommages collatéraux » de l’invention – a priori bonne et utile – de l’automobile). Les attentats de janvier 2015 auront donc au moins eu ce mérite de faire voler en éclats cette lâche illusion propagée par des médias aux ordres (et peut-être cette fois-ci, comme je viens de l’avancer, parce que c’est la première fois qu’à certains de ses membres on s’en est pris) : en faisant rétrospectivement venir ce climat de délinquance généralisée – si prégnant que les autorités, depuis des années, n’osent même plus en publier les « chiffres » –, non plus comme ce « dommage collatéral » d’essence sociale-époquale, mais bien comme l’élément d’une guerre civile qui, jusqu’au sept janvier 2015, ne disait pas son nom. Certes, les autorités et leurs médias continuent de nier cette réalité pratique ; mais désormais, pour le faire, ils sont obligés, chaque fois qu’a lieu un de ces petits « faitsdivers » de la délinquance ordinaire, d’immédiatement préciser que celuici n’est pas à « motivation terroriste » : manière d’avouer, en mode dénégateur,
que tous désormais le sont potentiellement… et l’étaient donc depuis longtemps ; ce qui, je le note en passant, ouvre par la réciproque un véritable boulevard idéologique-justificatoire aux « petits délinquants » : car qu’estce qui va empêcher aujourd’hui n’importe quel braqueur d’épicerie (« casher » ou pas), s’il est pris, d’exciper devant le tribunal de l’argument que son geste n’était pas tant à motivation « crapuleuse » que militante et (donc) « terroriste-musulmane » ? À ce titre, il sera intéressant d’examiner dans quelques mois si ce déploiement policier motivé par la présente et très officielle « lutte contre le terrorisme » aura du même coup fait « baisser les chiffres de la délinquance » ordinaire – et il est très probable qu’au sein de l’appareil de l’« État profond » (qui lui, bien sûr, n’ignore rien de la vérité de la situation en cours) on se pose déjà la question – ; même s’il est à prévoir aussi que ces « chiffres » ne seront sans doute jamais communiqués : parce que constituant rien de moins que ce que Debord appelait le secret de la domination ; et « secret » qui réside tout entier en cette vérité (que je livre donc ici sans ménagement « idéologique » de quelque sorte) que délinquance et terrorisme sont une seule et même chose… que ne distingue sophistiquement que le « point de vue » – celui du « fait-divers » ou celui de la « lutte anti-terroriste » – par lequel on l’examine. Il va de soi qu’une telle « vérité », aucun État moderne ne saurait la reconnaître officiellement – car ce serait avouer que la guerre civile a depuis longtemps commencé (et que donc ce même État – dont la première fonction « régalienne » est traditionnellement d’assurer la « paix (civile) » à ses administrés – a échoué) – : ce pourquoi n’importe quel attentat dûment estampillé « terroriste » – bien spectaculaire et sanglant – constitue peu ou prou pour lui une providence, dans la mesure où celui-ci va lui donner l’occasion de prendre des mesures « sécuritaires » extrêmement fermes – qui auront peut-être (enfin) une influence sur les « chiffres de la délinquance » ordinaire – tout en faisant mine de ne lutter que contre le terrorisme « officiel » – celui qui tue, non pour des motifs crapuleux, mais pour des raisons idéologiques (ou « religieuses ») – ; et par là de continuer de préserver son secret le plus enfoui et le mieux défendu : que cette « délinquance » et ce « terrorisme » sont en réalité les effets ou « symptômes » – en mode soft pour l’une, hard pour l’autre – d’une même guerre civile ravageant depuis longtemps le « territoire national ». Il ne faut donc pas s’étonner non plus que, chaque fois qu’a lieu un de ces attentats, fleurissent spontanément sur le net et ses « réseaux » toutes sortes de « théories du complot », plus délirantes les unes que les autres – quoique dans le fond assez peu imaginatives puisqu’elles finissent
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toujours par en venir à la (sempiternelle) conclusion que l’attentat n’a pu être, sinon perpétré, du moins télécommandé que par la CIA ou le Mossad (« par les juifs » donc) : cf. l’admirable « signifiant » de cette carte d’identité retrouvée dans la voiture des frères Kouachi (et « trouvaille » hautement suspecte qui ne peut bien sûr que faire signe vers celle, toute aussi incroyable, du passeport lui aussi retrouvé intact du terroriste Atta dans les décombres du World Trade Center) – ; et « théories » qui, pour être le plus souvent parfaitement grotesques, n’en disent pas moins le sentiment partagé par une partie non négligeable de la population qu’en de tels événements un secret est à l’œuvre en le mode de la dissimulation d’une vérité – sauf que nos « complotistes », étant ce qu’ils sont : le plus souvent idiots et délirants, sont tout à fait incapables de comprendre en quoi au juste résident, et ce « secret », et cette « vérité » qu’il est chargé de cacher : si bien que, croyant dé-monter ou « dé-construire » une manipulation (en le mode finalement très narcissique du « À moi, on ne la fait pas »), ils la rendent au contraire, par alimentation de la confusion « philosophique », encore plus opérante et efficace. On relira à ce propos tout ce que, dans la Profondeur, j’ai pu écrire sur l’invention par la domination elle-même de ce concept de « complotisme » – qu’elle fait mine de combattre tout en lui communiquant discrètement certains éléments dont il va faire ensuite ses délices et ses délires – ; et aussi, plus récemment en mon Veilleur, comment ce même « complotisme » – en son mode tout à la fois ingénieux et cependant risible-grotesque – participe encore du processus de dissolution de la vérité à l’œuvre en nos « temps de détresse » : le symptôme « complotiste » développé aujourd’hui par les populations n’exprimant rien d’autre finalement, en le mouvement d’une sorte d’« hommage du délire à la vérité », que la nostalgie éprouvée par elles pour cette « vérité » même et, plus désolant encore, pour sa seule notion, « dissoute » donc. Et pourtant, pour revenir à l’exemple de ces attentats de janvier 2015, il n’est pas si difficile que cela d’en identifier la vérité que, tout à la fois, ils proclament et dissimulent – pas besoin donc d’en attribuer le déclenchement à quelque manigance de l’« État profond » dans le but de discréditer l’islam et de répandre l’« islamophobie » : la domination n’étant pas « islamophobe » – ; et « vérité » qui n’acquière son parfum « complotiste » de « secret » que parce que, en effet, la domination s’efforce de la dissimuler – mais non, comme le croient les « complotistes », par l’action d’hypothétiques « services secrets » ayant eux-mêmes perpétré les
attentats : plutôt par le traitement idéologique-médiatique qu’elle fait de cet événement-« attentat » censé avoir retenti comme un roulement de tonnerre dans le ciel jusque-là parfaitement bleu de l’idyllique « société multiculturelle » (et de sa « paix civile ») ; alors que cela faisait beau temps que les lourds nuages de l’orage d’une guerre civile à venir s’y amoncelaient : le « mensonge d’État » consistant ici à nier, non pas bien sûr l’éclatement de l’orage : les attentats, mais le fait que celui-ci était déjà là depuis longtemps en le mode de la prégnance insupportable – mais que tout le monde faisait mine de trouver (presque) normale – d’une délinquance ordinaire qui, dans le fond, n’attendait que le bruit des rafales de kalachnikov des tueurs musulmans pour avouer visiblement (ou sonorement) le « terrorisme » qu’elle était déjà essentiellement et depuis toujours. Le « mensonge d’État » ici aura donc consisté à faire accroire à la population qu’on a pu passer sans transition d’un état de « paix civile » – ne justifiant aucune mesure « sécuritaire » particulière – à un autre de « guerre contre le terrorisme » les autorisant toutes : alors que ces deux « états » sont bien sûr les mêmes, ne se différenciant que par la nuance toute sémantique entre activisme crapuleux (la « délinquance ») et activisme militant (le « terrorisme ») : ce que confirme pratiquement le fait que les illustrateurs du second ont aussi et d’abord été ceux du premier. Rien n’empêche de se réjouir du fait que, dans les présentes mesures gouvernementales, la fermeté l’emporte enfin sur le laxisme qui, durant des décennies, l’avait précédé – et laxisme qui d’ailleurs était bien plus l’effet d’une lâcheté intellectuelle que celui d’une volonté politique – ; mais dans le passage, et si soudain, de l’un à l’autre est encore niée la vérité sur le fond de laquelle se détachent ces deux attitudes, en apparence contradictoires mais en réalité complémentaires, de laxisme et de fermeté : étant clair que, tant qu’on n’aura pas lucidement posé que nous sommes depuis longtemps en situation de guerre civile (que délinquance et terrorisme sont une seule et même chose), aucune mesure gouvernementale, et aussi « sécuritaire » soit-elle, ne saura lutter efficacement contre le désolant état de « guerre à basse tension » en lequel se trouve actuellement notre « société » divisée et, en mode communautariste, parfaitement « clivée ». La lâche illusion qui a présidé à l’élection en 2012 du « socialiste » Hollande – cette idée qu’il suffisait de changer de dirigeants pour que, magiquement, le pays retrouve la « paix civile » (cf. certains slogans relevés dans mon Ancien des jours – « Pour une France apaisée » – à l’occasion de cette victoire électorale de la « gauche ») – aura donc fini par avouer le mensonge – typiquement néo-progressiste – qu’elle était depuis
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le début : le plus désolant étant ici qu’il ait fallu attendre les quatorze victimes des attentats de janvier 2015 pour qu’on commence à s’en apercevoir ; car où est-elle aujourd’hui la « France apaisée » ? À présent, les mêmes néo-progressistes qui, il y a trois ans, s’imaginaient qu’il suffisait de faire « dégager » un président trop « clivant » – comme si la « division » d’un « royaume » pouvait être l’effet de la malfaisance d’un seul dirigeant ! – pour que le pays retrouve instantanément la « paix », et au moins revenus de cette première illusion par la « leçon de réel brut » que viennent de leur administrer ces attentats, s’en vont défilant dans les rues en criant qu’« ils n’ont pas peur » : grotesque rodomontade qui dit bien, en mode dénégateur, qu’ils sont en réalité terrorisés – non tant d’ailleurs de façon physique qu’idéologique : ce qui arrive presque toujours lorsque l’illusion à laquelle on souscrivait pour se masquer une vérité par trop désolante s’effondre brutalement – ; et que donc les « terroristes », loin d’avoir buté contre cette fameuse « union de tous les républicains » (et son « esprit du onze janvier » devenu l’ultime et pathétique argument électoral de la gauche de gouvernement : cf. une récente élection partielle dans le Doubs), ont parfaitement réussi leur coup : car eux au moins ont cette supériorité stratégique sur leurs adversaires – « Français », « policiers » et autres « juifs » (dixit le même Coulibaly de Nice) – de savoir que ce pays n’est nullement « apaisé » et que sa société, bien au contraire, est en proie depuis longtemps à une guerre civile qu’ils se proposent de faire passer, par l’exécution de quelques cibles symboliques judicieusement choisies : des « blasphémateurs » dans le xie arrondissement de Paris, des clients juifs d’une épicerie kasher Porte de Vincennes, etc. (liste bien évidemment non-exhaustive), de son stade soft à un autre plus hard (de « basse » à « haute tension »).
la lapidation des femmes au Yémen, etc. – ont tout simplement été déprogrammés au motif que leur « projection (ou simple affichage dans le cas de cette Lapidée) pouv(ait) être vue comme une provocation pour la communauté musulmane » (dixit la DGSI !) ; ce qui a fait dire, dans le cas de cette même Lapidée, à « la comédienne Nathalie Pfeiffer qui préparait depuis des mois ce spectacle », et furieuse bien sûr de ce qui ne constitue rien d’autre à ses yeux qu’une pure censure : « Les gens dans la rue ont peur. Tout le monde clame haut et fort “Je suis Charlie”, mais quand il faut agir, il n’y a plus personne. »
Ce slogan du Not afraid de 2015, succédant donc à celui de 2012 de cette « France apaisée » : depuis on a vu, ne dit donc rien d’autre, en sa tonalité de parfaite et très lâche dénégation, que, d’une part, l’absolu désarroi des néo-progressistes – ceux qui, lors de la « marche républicaine » du onze janvier, allèrent jusqu’à « embrasser un flic » (!) – et, d’autre part, la victoire d’ores et déjà acquise en mode peu ou prou « culturaliste » des terroristes : ce dont atteste notamment le fait, révélé par le numéro 929 du 6 au 12 février 2015 (soit un mois tout juste après les attentats), que nombre de spectacles consacrés à la question de l’islam – les films Timbuktu et l’Apôtre normalement programmés pour sortir en ce début 2015, une exposition à Bruxelles consacrée à Charlie Hebdo, une pièce à Paris dénonçant
Par quoi l’on voit à quel point le Not afraid des néo-progressistes – rebaptisés pour l’occasion « républicains » – de ce onze janvier n’est qu’une répugnante mascarade – puisque seule finalement la rédaction (décimée) de Charlie, en publiant dix jours après le carnage dont elle avait été la victime une nouvelle « caricature du Prophète », a eu le courage de prendre au mot ce slogan – ; tandis que toutes les autres instances – étatiques, politiques, médiatiques, culturelles et intellectuelles, etc. – baissaient littéralement culotte, au lâche motif d’éviter toute manifestation pouvant être interprétée comme une « provocation (par) la communauté musulmane » – comme si ce n’était pas nous que cette « communauté » ne cessait, en le mode d’exigences communautaristes toujours plus exorbitantes, de « provoquer » ! –, devant la terreur islamique. En ce sens, on peut dire en effet qu’il y aura pour tous les néo-progressistes de ce pays un « avant » et un « après Charlie » – mais peut-être pas dans le « sens » qu’ont donné à ces expressions leurs débiles auteurs – : plutôt en celui-ci, et concernant uniquement la tonalité de la « trouille » néo-progressiste : d’idéologique passée physique, qu’« avant », ce dont avaient peur ces néo-progressistes, c’était de se faire taxer d’« islamophobes », tandis que maintenant, « après », ce qu’ils redoutent c’est simplement… de se faire abattre (et je ne sais ce qui pour eux – et par conséquent (malgré que nous en ayons) : pour nous – est le mieux). Une vérité en tout cas ressort de ce cloaque idéologico-époqual – celle qu’a justement proclamée en son mode dénégateur-néo-progressiste le Not afraid du onze janvier (cf. ce qu’en pense pour sa part l’interprète déçue et « ne décolér(ant) pas » de cette Lapidée) – : que c’est désormais la peur, l’« ignoble trouille », qui va (et probablement pour longtemps) gouverner nos vies et, en particulier, nos choix politiques – c’est-à-dire en vérité : « policiers » –, étant évident que si, en ce pays, on ne peut même plus monter une pièce
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« dénonçant la lapidation des femmes » (au Yémen ou ailleurs) sans prendre le risque qu’une telle dénonciation soit regardée comme une « provocation » à l’endroit de telle ou telle « communauté » implantée dans ce même pays – et elles sont où en ce moment les féministes et leurs glorieuses « femen » : apparemment sorties des écrans-radars de l’actualité médiatique (avec tout ce militantisme LGBT et autres « ABCD de l’égalité ») – ; alors c’est que la terreur islamique l’a déjà emporté, et que, peu ou prou, nous vivons désormais sous son règne. La lâcheté idéologique illustrée par le néo-progressisme – rien d’autre en vérité que le refus de prendre en considération la réalité d’une guerre civile en gestation depuis des années dans ce pays – nous aura donc conduits à l’autre lâcheté – de type elle très physique et purement « humaine, trop humaine » – de ce répugnant-dénégateur Not afraid… qu’on peut en effet s’offrir le luxe de crier sur les places publiques à destination de complaisantes caméras – parce qu’à cet instant on y est protégé par des milliers de policiers et hommes de troupe – ; mais slogan pour lequel, lorsqu’il s’agit de l’illustrer au quotidien, « il n’y a plus personne ». Et dans cette perspective, la simple vérité n’est-elle pas ici que la mésaventure survenue il y a quelques années au philosophe Redeker – devenu un paria en son propre pays pour avoir osé publier un article « contre » l’islam – ; et auteur que le ban et l’arrière-ban de l’intelligentsia néo-progressiste ne se donna même pas la peine de défendre (ou si mollement) : tétanisés qu’ils étaient par la seule idée qu’on puisse leur reprocher de soutenir un « islamophobe » ; que cette mésaventure, dis-je, est désormais arrivée à un pays tout entier – le nôtre – : puisqu’apparemment il est devenu impossible aujourd’hui, en France, de monter une pièce « dénonçant la lapidation des femmes »… sans prendre le risque – cette fois-ci physique – de « provoquer » quelque réaction de la « communauté musulmane » (mais laquelle au juste : une rafale de kalachnikov, le lancer d’une grenade voire un plus rustique coup de couteau dans le cœur du metteur en scène ou d’un de ses comédiens ?). Toutes considérations qui me ramènent à ce par quoi j’avais commencé ce développement : à la leader frontiste Le Pen et ses réelles chances, à présent, de gagner l’élection présidentielle de 2017 – tant la peur est désormais la tonalité dominante, et bien supérieure à celle qui régissait « avant » les anciennes passions idéologiques, de l’opinion publique : ce pourquoi il n’est plus du tout exclu que même des néo-progressistes, apostasiant sous l’effet de cette « terreur musulmane » leurs convictions de « bien-pensants »,
se mettent à voter en masse « pour Marine » ! On a longtemps reproché au Mouvement de celle-ci d’être le « parti de la peur » ; mais où l’on comprend par tout ce que je viens d’expliquer que ce reproche, légitime ou pas peu importe, tourne désormais en sa faveur : puisque cette peur est précisément ce qui fait aujourd’hui le fonds du « sentiment » populaire, et que, donc, tout parti surfant sur un tel sentiment, en le mode d’un « rassurement à tout prix » de l’opinion, ne peut que, à partir d’un moment, l’emporter. La candidate FN récemment battue lors d’une élection partielle dans le Doubs (février 2015), et se plaçant dans la perspective de l’élection de 2017, faisait l’autre jour sur une chaîne d’information permanente cette remarque assurément pleine de bon sens arithmétique que son parti avait deux ans… pour gagner 1 % : car c’était en effet cette étroite marge qui lui avait manqué pour être élue ; et à comparer la tonalité quasi-triomphaliste du discours de la vaincue (FN) et celle, toute de modestie, de gravité et d’effroi, de celui du vainqueur (PS), on en venait presque à se demander qui, au juste, l’avait emporté : tant la « défaite » de la première apparaissait aux yeux de nombre d’observateurs comme les prémices d’une victoire future et cette fois-ci au plan national. De ce « parti de la peur » qu’est le FN, on dit aussi souvent qu’il est le « parti de la haine » ; mais les gens qui disent cela ne se rendent pas compte que cette « haine » ne se dresse pas tant « contre l’étranger » – comme voudraient le faire croire ces commentateurs néo-progressistes : ces illustrateurs prébendés de l’idéologie dominante du « politiquement correct » – que contre eux-mêmes : eux les membres de la « caste » politico-médiatique qui, depuis trente ans, gèrent en ce pays les intérêts de la domination… avec les résultats que l’on sait, si bien que, chaque fois qu’un de ceux-ci vient éructer son « pex » idéologico-moral sur un plateau, on peut parier que cette « haine », au lieu de baisser, s’accroît et que, donc, sans même avoir à réagir au tombereau d’ordures sur elle déversé, « Marine monte » ; et qu’y a-t-il de plus profitable, si l’on y songe, au lepénisme que les interventions télévisuelles de ces « prêcheurs de la pensée unique » que sont par exemple un BHL ou un Edwy Plenel ? L’étrange étant d’ailleurs que cette haine ne provient pas tant du contenu de leurs discours ou de la forme de leur activisme – un BHL par exemple, lors de l’affaire Redeker, a courageusement pris partie pour le philosophe (et, plus récemment, été à l’origine d’initiatives en faveur des chrétiens d’Orient) ; quand à Plenel, on lui doit tout de même la levée du « lièvreCahuzac » – que de l’insupportable ton de « donneurs de leçons » et autres « pexs » – comme s’ils parlaient encore du sein des cellules maoïste ou
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trotskyste qu’ils fréquentèrent du temps de leur jeunesse – qu’ils prennent pour s’adresser à leurs interlocuteurs et autres « spectateurs » : communiquant à ceux-ci le vif désir de prendre au mot par la contraposée leurs réquisitoires de Fouquier-Tinville de l’idéologie du « politiquement correct » (car si, bien évidemment, être « électeur du Front National » fait immédiatement de vous un « xénophobe/beauf/abruti/salaud (au sens sartrien) », etc. – liste non exhaustive à laquelle il faut sans doute ajouter les autres péchés de l’Israël néo-progressiste que sont l’homophobie, le machisme, et, naturellement, l’islamophobie –, alors le vote lepéniste devient, par cette même contraposée à forme peu ou prou « perverse » – « si vous n’avez à me proposer que le choix terroriste entre appartenir à votre “parti du Bien” ou alors à celui “du Mal”, eh bien, rien que pour vous emmerder, j’opte pour le second » – extraordinairement séduisant. À présent, le « microcosme » politico-médiatico-intellectuel qui gère encore pour quelque temps (« deux ans » donc, selon la candidate FN du Doubs) la domination – et microcosme qui, bien sûr, « ne prév(oit) qu’avec transissement » l’arrivée du FN aux affaires : « On va vous avoir. Mais, quand ça va arriver, ça va vraiment vous faire mal ! » (Marion Maréchal-Le Pen, le 27-01-15, au médiatique Leclerc) – se pose gravement la question de savoir comment « s’opposer efficacement » au FN – il y a même eu des émissions sur ce sujet : « comment faire baisser le FN ? » ; mais émissions forcément vaines et grotesques puisque leurs initiateurs ne se rendaient même pas compte que le présupposé qu’illustrait le thème du débat – que « le FN c’est mal » – le discréditait par avance : imagine-t-on dans les années 60 du siècle dernier une émission de la (défunte) ORTF prenant pour objet de la discussion la question du « comment faire baisser le PC ? » – ; et là-dessus les avis demeurent partagés, se scindant généralement entre deux positions : celle de ceux qui préconisent qu’il faut continuer à le « diaboliser » – mais sans aller, comme c’est étrange !, jusqu’à demander sa dissolution (pour, par exemple, « non-conformité » républicaine) – et celle de ceux qui, constatant avec lucidité que trente années de diabolisation du parti lepéniste n’ont eu pour effet que de le renforcer, entendent désormais le traiter comme un « parti comme les autres » – excipant notamment de l’argument que ce mouvement politique doit une partie de son succès au fait qu’il s’est toujours présenté comme « anti-système » –, et tous de se chamailler autour de cette fourchette stratégico-politique que leur tend une formation « mariniste » qui, pendant qu’on discute ainsi niaisement de la méthode pour la « faire baisser », n’est plus, elle, qu’à « 1 % » des portes du pouvoir.
La plus grande « faute » qu’a commise le « microcosme » politico-médiatique vis-à-vis du parti lepéniste – et si l’on met de côté le fait que, pendant longtemps, ce microcosme a cherché, pour des raisons de basse politique, à l’instrumentaliser (et en cela la gauche de gouvernement – et notamment : le roué Mitterrand – porte une lourde responsabilité : j’en ai suffisamment parlé dans la Profondeur pour n’y plus revenir) –, c’est, comme le notait un jour Alain Finkielkraut, d’avoir « abandonné le réel au FN », c’est-àdire, chaque fois que ce réel « poussait de sa corne » – sur des questions telles que, par exemple, l’immigration, ou l’insécurité et donc aujourd’hui… l’islam –, de n’avoir excipé, pour calmer la peur engendrée dans la population par ces questions, que d’arguments moraux et peu ou prou terroristes – en gros : « Si l’immigration ou la délinquance vous inquiètent, c’est que vous êtes un fasciste » (ce qu’un Philippe Muray appelait la reductio ad lepenum) – ; alors que bien évidemment cette population aurait aimé qu’on lui serve des arguments plus pratiques et moins idéologiques – au bout du compte, et tout simplement : authentiquement politiques – ; et arguments qu’en désespoir de cause elle a fini par aller chercher dans le « camp d’en face » : celui (donc) « du Mal » lepéniste. Car ce que reprochent finalement à ce « microcosme » la population en général et les électeurs du FN en particulier, ce n’est pas tant d’avoir pendant trente ans « mal gouverné la France » – rien ne prouve qu’une Le Pen au pouvoir ferait mieux : je pense même, pour ma part, que ce sera encore plus catastrophique (mais je peux me tromper) – que, par systématique déni de réel (qui dans le fond l’arrangeait bien), de n’avoir jamais pris en compte leur souffrance et, notamment, leur peur « identitaire » : un peu comme ces propriétaires d’énormes chiens qui, lorsque ceux-ci se jettent sur vous, vous conseillent benoîtement (au lieu de chercher à retenir leur molosse) de « ne pas avoir peur » (et même dans certains cas, comble de raffinement, vous expliquent que si leur animal s’attaque ainsi à vous, c’est qu’« il sent que vous avez peur ») ; et l’idéologue néo-progressiste, si l’on y songe, ne procède pas autrement : « Si vous avez peur de l’immigration ou de l’insécurité, ce n’est pas parce que ceux-ci constituent des problèmes en soi, mais parce que vous êtes un « (xéno/homo/islamo, etc.)-phobique ». Si donc la leader frontiste, au grand dam du « microcosme » néo-progressiste littéralement pris de panique à l’idée qu’elle pourrait dès 2017 arriver au pouvoir, recueille aujourd’hui
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tant de suffrages, cela ne provient pas tant du fait que ses électeurs pensent qu’elle fera mieux que les autres politiques, que de celui qu’elle est, parmi tous ces politiques, la seule à prendre en considération leur peur – que celle-ci soit d’ordre fantasmatique ou pas étant une autre question – ; et cela en leur disant, contrairement à ce que leur serine en mode idéologicoterroriste depuis des décennies la pensée du « politiquement correct », qu’ils ont raison d’avoir peur ; ce que les récents événements, bien évidemment, viennent de confirmer au plus haut point. Mais cette peur, désormais libre de se dire : puisque même l’actuel gouvernement « socialiste » en reconnaît aujourd’hui – quoiqu’en ce mode « anti-terroriste » – la légitimité et pour ainsi dire le « bien-fondé », génère logiquement une haine dirigée, non tant contre les « populations halogènes » à l’origine de cette peur : comme aimeraient le faire accroire les idéologues néo-progressistes avec leur terrorisme intellectuel de l’« islamophobie », que contre tous ceux qui, pendant trente ans, ont fait honte à la population de sa peur, et, par extension – par pratique systématique durant ces trois mêmes décennies du déni de toute réalité pratique – ont fini par faire honte à la vérité elle-même (ce qui est, dit-on, le pire crime qu’on puisse commettre « contre l’esprit »). Or c’est bien ce crime-là – non tant le mensonge ou l’erreur que le « faire-honte à la vérité » – que la population entend aujourd’hui faire payer au microcosme politico-médiatique en général et à sa composante idéologico-« intellectuelle » en particulier : si bien que, lorsque les membres de celle-ci disent que le vote FN est un « vote de haine », ils ne croient pas si bien dire ; commettant seulement l’erreur de ne pas comprendre que cette « haine » est d’abord dirigée contre eux (et non contre les « musulmans »). Ce pourquoi, et fort significativement, la très claire menace proférée par Marion Maréchal-Le Pen lors d’une « sauterie » à l’Assemblée nationale (voir citation plus haut) l’a été à l’adresse, non d’un « politique », mais bien d’un « médiatique » : en l’occurrence, l’infortuné journaliste Leclerc (qui n’en pouvait mais) ; tant c’est cette « caste »-là qui, du fait de trente années de pratique systématique de ce « faire-honte à la vérité », se trouve aujourd’hui exposée en première ligne – les politiques ayant eux au moins l’excuse de leur statut de responsables « démocratiquement élus » – pour devoir faire face au tsunami de haine qui se lève dans la population contre les responsables d’un tel excès idéologique. En ce sens, ce fut l’erreur du Sarkozy de 2007 que de n’avoir pas profité de son élection et du courant de sympathie qui entoure généralement tout président fraîchement élu – les cent jours du fameux « état de grâce » – pour effectuer dès son entrée en fonction des
coupes claires au sein de l’appareil médiatique – il vient peu ou prou de le reconnaître (quoiqu’un peu tard) dans un récent discours où il pointe l’absence de correspondance entre la « démocratie » et le personnel médiatique – (et erreur qu’il répliqua dans le domaine du plus strictement « politique » en se dotant d’un « gouvernement d’ouverture » (à gauche) : patente contradiction dans la mesure où, s’il avait gagné, c’était du fait de la tonalité « droitière » de sa campagne) : soit qu’il ait cru qu’il pouvait séduire par son allant et sa bonne volonté « néo-progressiste » ce personnel ; soit qu’il ait redouté qu’on ne lui reprochât de pratiquer dans le domaine médiatique une sorte de « chasse aux sorcières » – qu’attendaient pourtant ses électeurs – ; double illusion en laquelle d’évidence une Marine Le Pen, candidate « de la peur et de la haine », et si elle était à son tour élue à la magistrature suprême, ne risque pas de tomber ; car elle au moins (par la voix ici de sa nièce) a toujours-déjà annoncé la couleur : « On va vous avoir. Mais, quand ça va arriver, ça va vraiment vous faire mal ! » La caste médiatico-idéologique – parce qu’elle n’a toujours pas compris qu’elle est en réalité le véritable et, sinon « unique », du moins premier « objet (du) ressentiment » populaire (personne n’aime penser qu’il est haï) – veut croire que ce genre de déclarations de guerre – qui, paraît-il, se multiplient en off entre frontistes et journalistes – ne peut que nuire à la cause lepéniste : parce que faisant venir ses illustrateurs comme des « fascistes » opposés à « la liberté et objectivité de l’information » – auxquelles bien sûr ces médiatiques s’identifient spontanément : comme si, depuis trente ans, ils n’avaient pas fait autre chose que, ces « liberté » et « objectivité », les bafouer systématiquement (cf., analysé dans mon Atelier du Silence, l’exemple quasi-archétypal du traitement médiatique de la polémique autour du « mariage gay ») – ; alors qu’en vérité de telles menaces adressées au personnel médiatique lui-même en le mode, non plus de vagues et abstraites objections au « manque d’objectivité » des journalistes, mais bien de très explicites attaques ad hominem de certains de ceux-ci ne peuvent au contraire que séduire une population qui, loin de redouter quelque « chasse aux sorcières » au sein de l’institution médiatique, l’appelle à l’inverse de ses vœux ; et qui, connaissant la grande ignominie de ce milieu, ne désirerait voir « faire dégager à grands coups de pompe dans le train » certaines de ses inoxydables figures (je laisse ici, à mon lecteur, le soin de remplir les blancs) ? Sans doute y a-t-il dans cette haine générale pour la gens mediaticus une certaine injustice à l’œuvre ; et cela dans la mesure où, d’une part, tous les journalistes
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ne sont pas des « journaputes » (comme dit le bon peuple), et où, d’autre part, se mêle très certainement à cette haine une dose non négligeable de ressentiment contre-narcissique… en le mode d’une inavouable envie de la part de cette population de « spectateurs » que nous sommes tous pour la visibilité dont jouit le médiatique vulgaire, et en quelque domaine qu’il exerce sa « compétence » : ce pourquoi, paraît-il, le journaliste le plus universellement détesté n’est pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire, celui « d’opinion », mais celui… « sportif » (parce que tout le monde pense – à tort ou à raison, je ne sais – qu’il pourrait en cette discipline faire aussi bien que lui) ! Mais ces bémols exprimés, il n’en demeure pas moins que pèse désormais sur l’ensemble de la profession médiatique le soupçon que, si ses membres occupent leurs postes : jouissent de cette visibilité que tous leur envient, c’est parce que, de près ou de loin, ils ont collaboré à la générale entreprise idéologique de ce toujours même « faire-honte à la vérité » qui leur a valu, en même temps que leurs privilèges, la haine universelle des populations : ce pourquoi toute menace clairement exprimée à leur endroit – et contrairement à ce que, se flattant d’être « aimés », ils s’imaginent euxmêmes – ne peut être vue que d’un bon œil par celles-ci. Car, pour une Catherine Nay explosant littéralement l’autre jour sur le plateau de C dans l’air contre la « chape de politiquement correct » qui pèse sur la vie politique de ce pays et qui fait que, selon la même, « on ne peut plus rien dire » (on aurait aimé pourtant qu’elle développe…), combien d’autres, dans le même temps, ne cessent d’instruire ad nauseam toutes sortes de procès contre ceux qui ont l’innocence (ou la folie) de déroger un tant soit peu au pur terrorisme intellectuel qu’est devenu ce « politiquement correct » – c’està-dire : ont l’honnêteté de se mettre, sans œillères idéologiques, en quête de la vérité – ; et terrorisme qui, non content de régner sans partage sur le domaine du « politique », prétend aussi le faire sur tous les autres… dont celui justement, jusque-là épargné, du « sportif » : exemple récent du procès médiatique intenté à un entraîneur de football pour quelques considérations comparatives entre joueurs africains et « nordiques » – certes maladroites, mais où il fallait toute la mauvaise foi du monde pour y discerner une quelconque forme de « racisme » – ; et procès en lequel on vit jusqu’à des journalistes sportifs – qu’on avait donc, pour finir, bien raison de mépriser – se transformer, pour réclamer la « tête » de l’infortuné coach, en Fouquier-Tinville du « footballistiquement correct ». Et qui en effet, devant de tels répugnants comportements – répugnants parce que très probablement dictés, non tant par un « antiracisme » sincère, que par le souci, en lui don-
nant des gages idéologico-« sportifs », de se faire bien voir de la « pensée dominante » –, n’appellerait pas de ses vœux quelque purge bien nette et bien claire au sein d’un personnel médiatique susceptible de prêter le flanc à de telles ignominies et qui, en vérité, est de plus en plus recruté sur l’unique critère de sa capacité à s’y soumettre sans trop regimber ? Où l’on voit par là que la « guerre » qui se prépare au sein de l’élément médiatique n’opposera pas tant deux idéologies opposées – une « de gauche » et une « de droite » : ce pourquoi on a tort de dire (à droite) que les médias sont globalement « de gauche » – que les amis et les ennemis de la vérité (qui n’est ni « de droite » ni « de gauche » : qui est seulement « vraie »). La haine pour tous ces donneurs de leçons néo-progressistes et autres Fouquier-Tinville de l’idéologie du « politiquement correct » est devenue si grande dans la population que c’est à se demander si le meilleur moyen pour « faire baisser un peu le FN » dans les intentions de vote de cette même population ne serait pas, plutôt que de continuer d’offrir à ces idéologues tribunes sur tribunes dans les médias officiels – à tel point que certains d’entre eux sont devenus aujourd’hui à peu près inaudibles : exemple de l’actuel France Inter devenu, en un mode qui se croit drôle et plaisant (« insolent » comme ils disent) mais qui est en réalité extrêmement agressif et terroriste, une sorte de Pravda de la « pensée unique » –, de les mettre un peu sous l’éteignoir : de telle façon que la pensée qui se met honnêtement en quête de la vérité pratique de ce temps ne soit pas contrainte, pour seulement se mettre en mouvement, de passer par le préalable d’innombrables précautions oratoires destinées à désamorcer les (prévisibles) soupçons que ne manqueront pas de nourrir à l’endroit de ceux qui illustrent cet « amour de la vérité » – de ceux qui cherchent à épouser le mouvement de cet élan vers elle : ce qui ne signifie nullement bien sûr qu’ils l’atteindront à coup sûr (mais au moins ils auront essayé) – tous nos procureurs médiatiques et autres Vichinsky de plateaux télévisuels (si bien que, lorsqu’on a enfin fini de décliner toutes ces « précautions » – qui sont autant de gages donnés à l’idéologie dominante et à son terrorisme sournois –, bien souvent le « débat » est terminé, et cela sans qu’on ait jamais pu aborder ce qui en constituait pourtant le thème affiché : le « cœur de la question » sur laquelle, en effet, et encore une fois, on n’a « rien (pu) dire » – tant les « chiens de garde » du néo-progressisme, par grognements moraux et aboiements idéologiques, veillaient à ce que personne ne s’en approche trop). « Faire baisser le FN » – si tant est que cela soit ici mon souci principal – supposerait
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donc d’abord que, sur le chemin qui se met en quête de la vérité, soient tenus en laisse par la domination (qui en est le véritable maître) tous les pit-bulls du « politiquement correct » – dont par exemple ce sociologue (dont je n’ai pas retenu le nom) qui traita l’autre jour, sur un plateau de télévision, Alain Finkielkraut de « fasciste » : illustration parfaite de ce que j’ai appelé plus haut le processus de ce « faire-honte-à-la-vérité » (ce qui ne signifie nullement, bien sûr, que Finkielkraut détiendrait la « vérité » – mais au moins se met-il honnêtement en quête de celle-ci) – ; et cela de telle manière que ne soit plus donnée aux populations, chaque fois qu’elles assistent à de tels « débats » (quand elles s’y intéressent encore), la sensation que l’approche de cette « vérité » (sur quelque sujet que ce soit) est systématiquement défendue – en ce mode idéologico-terroriste illustré par ces mêmes « chiens de garde » : pour lesquels donc toute personne qui n’est pas de leur avis ne peut être qu’un « fasciste » – à tous ceux qui auraient l’innocence de se mettre honnêtement – sans préjugés et autres « précautions oratoires » de quelque sorte – en quête de cette vérité. Car ce qui fait en réalité le « fond » du « vote FN », ce n’est pas tant l’idée – peut être pas si partagée que cela par ses propres électeurs – que ce parti aurait une meilleure analyse de la situation du pays que les autres partis, que l’impression qui est donnée aux spectateurs de tels « débats » toujours idéologiquement « pipés » que si la seule approche de la vérité ne peut plus être désormais interdite que par de tels terroristes moyens – que si le seul désir de celleci ne peut être que le fait de « fascistes » –, alors c’est que, très probablement, cette « vérité » est elle-même d’essence « fasciste » et lepéniste : puisque les adversaires auto-proclamés de ce « fascisme » et de ce « lepénisme » n’ont plus d’autres moyens pour les combattre… que de « faire honte » à cette vérité même et à ceux qui la recherchent (étant clair par exemple que si Finkielkraut est un « fasciste » ou Willy Sagnol un « raciste », alors il n’y a plus trop à se gêner pour ne pas l’être soi-même : les pit-bulls du « politiquement correct » se rendent-ils seulement compte que, chaque fois qu’ils instruisent un tel procès à l’encontre de tel ou tel soi-disant « dérapage » – puisque c’est là leur habituel fonds de commerce médiatique (sinon qu’auraient-ils à dire ?) – bien loin de mettre en garde leurs auditeurs contre les « crimes » de « fascisme » ou de « racisme », ils les en dédouaneraient plutôt ?). On en est aujourd’hui là, si bien qu’il ne faut plus s’étonner que tant de gens – pas plus « fascistes » ou « racistes » que cela (ou alors nous le sommes tous !) – penchent désormais pour le vote lepéniste : puisque, par ce procédé idéologico-terroriste consistant à faire honte à la vérité elle-
même – en taxant a priori de « lepéniste » quiconque aurait la prétention de partir à sa recherche –, on a fini par très fortement suggérer à des millions de gens que, si tel était le cas : si se mettre seulement en quête de cette vérité ne pouvait relever que d’une « disposition crypto-lepéniste au monde », alors cette vérité ne pouvait elle-même, par la réciproque, que se trouver dans le camp lepéniste. Ce pourquoi sans doute, le meilleur moyen de « faire baisser le FN » est, assez paradoxalement je le reconnais, de commencer par réduire au silence certains de ces idéologues néo-progressistes – au moins les plus jusqu’aux-boutistes-débridés : ceux qui en sont encore par exemple à exciper de l’argument de la « vigilance anti-fasciste » (qui « eut marché » – lors d’un autre « défilé républicain » avec un autre président socialiste à sa tête, en 1991 – mais qui ne prend plus du tout) –… qui s’avèrent en vérité désormais, et malgré qu’ils en eussent, les meilleurs alliés objectifs de Marine : étant évident par exemple que, chaque fois qu’un BHL ou un Plenel prend la parole sur les ondes, celle-ci « monte » inévitablement et pour ainsi dire mécaniquement dans les intentions de vote (ce pourquoi, depuis les attentats, on les a si peu entendus ?).
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Mais alors, demandera-t-on peut-être (si tant est que mon lecteur s’intéresse à cette question), comment faire « baisser » la leader frontiste ? Ma réponse sera toujours la même : commencer par débroussailler de tout préjugé idéologique et autre a priori « politiquement correct » les chemins de la vérité ; et cela de telle façon que ceux qui s’y engagent n’aient pas, à chaque instant, pour continuer d’y progresser, à présenter leur certificat de conformité à la « pensée unique » : ce que j’ai aussi appelé plus haut les « précautions oratoires » dont il faut désormais exciper pour seulement avoir le droit d’« appeler un chat un chat » (ou un « terroriste islamiste » un « tueur musulman »). Et alors, si une telle liberté de ton est ainsi revendiquée et conquise, peutêtre s’apercevrait-on que la « vérité », si elle n’est sûrement pas d’essence « politiquement correcte », n’est pas non plus nécessairement d’essence « politiquement incorrecte » – lepéniste – : encore faut-il, pour que nous soyons en mesure de faire une telle « découverte », qu’on nous laisse libres d’aller à notre guise – sans « chien de garde » de l’idéologie néo-progressiste à chaque tournant – sur ses chemins. Or je vois bien que seul quelqu’un comme moi, c’est-à-dire quelqu’un qui écrit l’ouvrage que je compose en ce moment, est susceptible d’illustrer une telle liberté de circulation sur ces chemins mêmes… qui ne sont ceux de la « vérité » que parce que justement ils sont d’abord ceux « de la liberté » : à commencer par celle de se tromper,
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de s’égarer, de se perdre et de se retrouver – d’errer enfin – ; et cela de telle façon que, en la selva oscura époquale, « la voie droite étant perdue », rien ne soit plus garanti : tel étant sans doute le véritable défi qui est proposé par ce temps aux « amis de la vérité » ; et défi que je suis aussi le seul à pouvoir relever… pour la raison que, aucune instance médiatique, ou idéologique, ou intellectuelle n’attendant mon livre, je puis ici, sans trop redouter qu’on m’en fasse le reproche (ou la louange), ne pas tenir compte de la « chape de politiquement correct » dont se désolait la journaliste Nay, et, par cette omission de la police de la pensée à mon endroit, m’enfoncer toujours plus rapidement en direction du cœur de la question. Or quelle est cette question ? Non pas peut-être de savoir si « Marine Le Pen a des chances d’être élue en 2017 », mais de se demander si la vérité a encore aujourd’hui des « amis », c’est-à-dire des gens qui, parce que non phagocytés par le nuage de terrorisme idéologique qui plane en suspension au-dessus de cette époque, sont susceptibles de se mettre en marche vers elle. L’idéologie est ici cet écran mortifère que la domination, pour préserver ses intérêts, interpose entre nous et le monde – entre nous et le « réel brut » – ; et écran qui, pour continuer de dérober à nos yeux la vérité que dit de plus en plus apertement ce « réel », se doit de s’épaissir toujours plus à la manière d’un nuage de mensonge qui irait s’intensifiant à mesure que le soleil de la vérité qui est juste derrière se ferait toujours plus clair. Ce pourquoi aussi ce qui a frappé en les innombrables réactions qui ont accompagné la vague d’attentats de janvier 2015, c’est l’étonnant mélange d’extrême lucidité chez certains et de pur délire (notamment, on l’a vu, en mode « complotiste ») pour les autres auquel elle a donné lieu : ce genre d’événements agissant comme un prisme qui diffracterait le rayon du réel pour produire un spectre dont chacun ne prétend retenir que sa « couleur » ; c’est-à-dire que l’interprétation en laquelle il veut à toute force continuer de « percevoir » le monde: l’idéologie n’étant rien d’autre pour finir que cette « vision » non tant fausse – car il y avait en chacune de ces « réactions » (même en celle de Virginie Despentes !) des éléments de vérité – que parcellaire. Car la vérité, elle, est toujours blanche ; et si on ne la saisit pas en cette absence de couleur, alors on ne peut que la manquer en le mode de l’« idéologisation » de son rayon : ce pourquoi la véritable tâche de ses « amis » est, non pas de la décortiquer/analyser en aval de son « événement », mais à l’inverse de revenir en amont de l’instant de sa diffraction après laquelle, de toute façon, il est trop tard pour en dire quelque chose d’instructif et de signifiant (quelque chose de « vrai »). En ce sens, lorsqu’il sur-vient, l’« événement de la vérité » nous fait surtout
entrer dans un tel « trop-tard » – et c’est pourquoi aussi il nous sur-prend toujours : la « sur-prise » étant l’élément même en lequel nous faisons l’expérience de ce « trop-tard » – ; et sur-prise dont le sur-prenant ne vient pas tant du fait que « nous ne nous y attendions pas » – dans le cas de l’événement de ces attentats c’était même plutôt le contraire : cf. le dessin étonnamment prémonitoire paru dans le numéro de Charlie précédant la tuerie (et où l’on voit un terroriste préciser qu’« on a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses vœux ») – que de celui que, même advenu, l’événement de cette vérité continue d’une certaine façon de se faire attendre… en le mode justement de ce sentiment d’un « trop-tard » ayant si brutalement succédé à un « trop-tôt » : avant c’était toujours « trop-tôt » et maintenant c’est « trop-tard » (ce pourquoi le proverbe dit que « trop-tôt vaut mieux que trop-tard » ; mais en vérité, c’est toujours « trop-tard » qu’on apprend qu’il y a eu un « trop-tôt »).
Mais justement la tâche des « amis de la vérité » n’est-elle pas d’accepter de séjourner en un tel « trop-tôt » et « pas-encore » : non certes dans l’espoir (toujours illusoire) d’anticiper les événements – de faire, comme on dit, « le prophète » (mais justement les vrais prophètes – ceux bibliques (contrairement aux devins du paganisme) – ne faisaient pas « les prophètes » : s’efforçant plutôt d’appréhender – et non : de « pré-dire » – le mouvement d’une vérité en venue dans leur temps) – ; plutôt en le but de dire ce qui est déjà depuis longtemps à l’œuvre en notre temps – sa vérité – : si bien que, lorsque l’événement de cette vérité – qui peut prendre en somme bien des formes : un attentat (advenu) à Paris comme une guerre (à venir) en Ukraine, etc. – se déclenchera, nous n’en ferons pas l’épreuve en le mode d’un « trop-tôt » dont on n’a appris l’existence que « trop-tard ». Le « troptôt » dont je parle ici est bien sûr l’éventualité du déclenchement d’une guerre civile – dont les rafales de kalachnikov des frères Kouachi auraient alors été comme les premiers tirs – ; et éventualité dont l’idéologie dominante
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« Je viens trop tôt », fait dire Nietzsche à son Forcené, « mon temps… n’est pas encore venu. Cet événement énorme est encore en route – il n’est pas encore parvenu jusqu’aux oreilles des hommes. Il faut du temps à l’éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actes, même lorsqu’ils sont accomplis, pour être vus et entendus. Cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné, et pourtant ils l’ont accompli ! » (…)
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– que ce soit par bêtise « angéliste » ou souci gouvernemental de rassurer la population – s’efforce par tous les moyens – dont celui de ce terrorisme intellectuel : en le mode du fameux reductio ad lepenum exercé contre les « amis de la vérité » pour les réduire au silence – de masquer la perspective… pourtant, à mesure que les événements se précipitent (et les romans de politique-fiction envisageant une telle hypothèse – cf. encore récemment le Les Événements de Jean Rolin – se multiplient), de plus en plus probable. Mais où l’on voit aussi par là le double risque que prennent ceux qui, par amour de la vérité, ont fait le choix de résider en un tel « trop-tôt » (la double honte qu’ils encourent) : celui d’abord, tant que dure ce « trop-tôt » : tant qu’« il n’est pas trop tard », de se faire traiter, au pire, de « fascistes » alimentant la paranoïa générale – avec pour but, bien sûr, la victoire en 2017 « de Marine » –, au mieux de « Cassandre » – terme devenu depuis peu péjoratif… parce qu’on a oublié ce léger détail que les prédictions de ce personnage étaient toujours justes – ; celui ensuite, si les avertissements de ces « amis de la vérité » étaient malgré tout pris en considération – que leur « trop-tôt » ne débouchait pas sur un « trop-tard » (que la guerre civile était finalement évitée) –, d’encourir le reproche d’avoir inutilement inquiété la population (alors qu’en réalité ils l’ont « sauvée »). L’ami de la vérité ne s’autorise à « prophétiser » que dans l’unique but que ses prophéties ne s’accomplissent pas, épousant en cela le mouvement exactement inverse de la « prophétie s’auto-accomplissant »… que justement ses adversaires – les amis, eux, « du désastre » (R. Camus) – lui reprochent d’illustrer : « Si vous dites qu’il va y avoir une guerre civile, alors vous prenez le risque de la déclencher » ; sophisme particulièrement tordu dans la mesure où il ne signifie rien d’autre que le vrai responsable de tout « malheur » n’est pas celui qui, par son aveuglement, l’a provoqué, mais celui qui, par sa lucidité, l’a annoncé. L’ami de la vérité ne « prédit » rien, il se contente de « noter ce qui est » (Debord) ; mais ce seul élan vers le vrai suffit à déchaîner contre lui toutes les puissances coalisées de l’idéologie, c’est-à-dire celles qui, n’aimant pas la vérité, voient en ses « amis », et aussi timides et modestes soient-ils en leurs « notations », des adversaires putatifs qu’il faut à toute force « réduire » – et l’on sait bien à « quoi » ou à « qui » : « Il y a un problème de l’islam en France », ai-je entendu un matin de juin 2014 sur les ondes de la principale radio publique française. Ce n’était pas un propos marginal mais celui du grand témoin du jour, invité de la rédaction pour débiter sans contradicteur l’obsession qui lui tient lieu de 36
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pensée. Rien de moins qu’un « souci de civilisation » ce « problème de l’islam », ajouta-t-il, regrettant qu’« on l’abandonne au Front national ». Avec l’autorité morale que lui conférait son statut d’invité de référence, il invitait donc les partis de gouvernement, de gauche comme de droite, à épouser, sans précaution aucune, l’agenda du parti d’extrême droite. C’est par cette charge contre Alain Finkielkraut que s’ouvre l’ouvrage Pour les musulmans d’Edwy Plenel – paru quelques mois avant les attentats – ; et d’une certaine façon, en ces quelques lignes, tout est dit de la méthode systématiquement utilisée par les idéologues du « politiquement correct » – méthode qu’on eût jadis qualifiée de « stalinienne » – pour discréditer ceux qui ont l’innocence de ne pas être de leur avis : le refus de seulement prendre en considération le « problème » abordé (en l’occurrence ici celui « de l’islam » ; mais ce pourrait être probablement n’importe quel autre) en le mode d’un « circulez y’a rien à voir » ; le déni, sous la forme d’un diagnostic psychiatrique, de toute pertinence intellectuelle chez l’adversaire (« l’obsession qui lui tient lieu de pensée ») et enfin, bien sûr, la sempiternelle reductio ad lepenum (« à épouser (…) l’agenda du parti d’extrême droite »). Plenel ici est tellement aveuglé par sa passion idéologique qu’il ne se rend même pas compte que, rédigeant ces lignes haineuses, il illustre précisément ce que Finkielkraut reproche à des gens comme lui – « abandonner (le réel) au Front national » – ; même si, en l’occurrence, c’est bien plus que le « réel » que le directeur de Mediapart « abandonne au parti d’extrême-droite » – rien de moins que toute tentative d’approche de la vérité : étant clair que, si seulement poser qu’il y a « un problème de l’islam en France » – modeste assertion qu’ont, pour la confusion de tous les Plenel de ce pays, d’évidence avérée les attentats de janvier 2015 –, c’est être « lepéniste », alors c’est prendre le risque de laisser entendre que la vérité serait elle-même d’essence « lepéniste » : viendra-t-il un moment où seulement affirmer que « deux et deux font quatre » vous fera encourir le risque d’être taxé de « crypto-fasciste » (avec des gens comme Plenel aux manettes de l’information officielle, on n’en est plus si loin) ? *** Il ne faut donc pas s’étonner si avec de tels jobards néo-progressistes – version moderniste des anciennes « crapules staliniennes » (dont le même Plenel, en son sous-embranchement trotskyste, fut au temps de sa jeunesse 37
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« gauchiste ») – en poste, « Marine » ne cesse de « monter » ; à se demander même si ces gens ne désirent pas inconsciemment sa victoire : peut-être parce qu’elle leur permettrait, en le mode de, justement, la prophétie s’autoaccomplissant d’un « on vous l’avait bien dit », se draper dans la posture héroïco-pompière de la militance anti-fasciste (ce qui aurait le mérite de leur rappeler l’activisme débridé de leur folle jeunesse) : étant clair en tout cas que, plus ils useront dans les grandes largeurs du procédé de ce « fairehonte à la vérité » – à tout le moins : de ce « faire-honte » à une quelconque approche autre que la leur de celle-ci –, et plus, par contre-coup, ils libéreront la « parole lepéniste » relative à des « problèmes » qu’ils ne cherchent pas tant à résoudre que, par la méthode terroriste que l’on vient de voir à l’œuvre dans le livre de Plenel, à nier. Car comment l’innocent lecteur d’un tel ouvrage – le « témoin » malgré lui des procès staliniens qui y sont successivement instruits (après Finkielkraut, vient le tour de Sarkozy (chap. 4), puis celui de Valls (chap. 5), etc.) : tout se passant comme si ces gens, pour parvenir à écrire, se devaient d’endosser d’abord le costume du procureur ou du « commissaire du peuple » – peut-il réagir à sa lecture ? Probablement de deux façons – qui, on va le voir, confluent dans la même direction – : la première consistant à penser in petto que, si poser qu’il y a « un problème-de » (tout ce qu’on voudra) c’est être lepeniste, alors c’est qu’il doit l’être lui-même un peu ; la seconde plus subtile consistant à induire du terrorisme intellectuel illustré par Plenel cette idée que si le même n’a trouvé pour discréditer son adversaire que ce moyen : lui faire honte de sa thèse (au lieu de la combattre honnêtement), c’est qu’il y a de fortes chances pour que cette thèse soit vraie (et non le produit d’une « obsession qui lui tient de pensée »). Par quoi l’on voit que la thèse plenelienne – qu’il n’y a pas de « problème-de » – s’auto-détruit – mais non tant par défaut de vérité que par défaut d’honnêteté de la méthode utilisée pour détruire la thèse contraire ; et méthode qui, on le voit aussi parfaitement dans l’extrait de ce Pour les musulmans cité plus haut, ne consiste pas tant à détruire une vérité (en montrant qu’elle est « fausse ») qu’à discréditer son locuteur (« si tu dis cela, c’est que tu es fasciste ») : par quoi l’on comprend aussi, et plus profondément, qu’un tel procédé participe encore du processus de dissolution de la vérité à l’œuvre en notre « temps de détresse » ; et « détresse » qui consiste donc en ce fait, pointé par Debord en sa Correspondance, que « la vérité n’a plus d’amis ». On peut dire beaucoup de choses d’un Plenel en particulier et des idéologues néo-progressistes en général ; mais ce qui résume le mieux leur ignominie, c’est de se contenter
d’observer qu’ils ne sont pas les amis de la vérité : car sinon ils n’oseraient pas, sur quelque sujet ou « problème » que ce soit, utiliser des méthodes qui embroussaillent en mode idéologique les chemins qui conduisent à cette vérité et, pour finir, interdisent à notre époque tout libre accès à celleci. Voici venu le temps des inquisiteurs ; c’est-à-dire celui des gens qui ne peuvent concevoir le « débat démocratique » autrement que sous la forme d’une longue et ininterrompue suite de procès dont ils sont à la fois les juges, les procureurs et les bourreaux chargés d’exécuter, en le mode de la condamnation au silence médiatique, les sentences : c’est ainsi que le même Plenel, décidément exemplaire en ce type de procédés, reprochait il y a quelque temps sur un plateau au journaliste Patrick Cohen d’avoir seulement « reçu » dans son émission le romancier Houellebecq dont le livre n’avait pas eu l’heur de lui plaire – tant pour ces gens le « débat d’idées » se résume à savoir qui va avoir droit de parler et qui devra être réduit au silence : rien d’autre. Le plus désolant est d’ailleurs ici que cette « logique du procès » qu’illustrent ad nauseam nos inquisiteurs finit par ruiner leurs propres positions – de la même façon finalement que l’Inquisition chrétienne discrédita pour longtemps la religion qu’elle était censée protéger – : étant clair que celles-ci, tant qu’elles n’auront pour défenseurs que de tels terroristes (intellectuels, quoique pas seulement…), ne risquent pas de convaincre grand monde, tant il est vrai que personne n’aime se ranger du côté des accusateurs publics et autres censeurs de l’idéologie dominante. Et par exemple, pour revenir à la thèse de Plenel que, contrairement à ce que dit Finkielkraut, il n’y aurait pas « de problème de l’islam en France » – thèse après tout défendable dans la mesure où ce « problème » (si « problème » il y a) n’est rien d’autre que le symptôme d’un autre autrement plus profond : celui du rapport qu’entretient l’Occident avec le spirituel, quel qu’il soit –, il est évident que si Plenel, au lieu de choisir pour la défendre le moyen du procès stalinien – celui qu’il fait en l’occurrence au locuteur de la thèse adverse : Alain Finkielkraut soupçonné par lui d’« épouser (…) le calendrier » du FN –, avait préféré opter pour celui non-terroriste, anti-idéologique, de l’honnête « débat d’idées » – i. e. : de l’honnête « recherche de la vérité » –, cette même thèse aurait eu tout à y gagner… alors que, son défenseur ayant privilégié la voie de la terreur (intellectuelle) sur celle de l’échange (également intellectuel), celle-ci a perdu toute chance de convaincre (au moins le lecteur du livre de Plenel) de sa « vérité » ; et cela sans doute parce que seul un « ami de la vérité » – ce que n’est pas hélas ! l’auteur de ce Pour les musulmans – est apte à défendre « la » vérité, quelle qu’elle soit.
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TABLE DES MATIÈRES
Sens et valeur : guerre civile soft et guerre civile hard (d’une refondation en l’ordre du spirituel) ..................................................... 5 Terrorisme et délinquance : « secret de la domination » et « théories du complot » ............................................................................ 16 Peur et haine : les raisons du vote lepéniste (« débroussailler les chemins de la vérité ») ................................................... 27 « La vérité n’a plus d’amis » : notes sur le Pour les musulmans d’Edwy Plenel .............................................................................................. 37 De l’« événement de la vérité » : une porte sur l’été (I) (du bon et du mauvais usage du temps selon Proust) ................................... 48 Une porte sur l’été (II) : temps, mort et lumière ..................................... 59 Douve/Cassandre/Perceval : « vrai lieu » et statut de la « présence » chez Yves Bonnefoy ......................................................... 71 Un retour à Corbénic (I) : comment guérir la « maladie de présence » occidentale ? ........................................................ 86 Un retour à Corbénic (II) : temps, mort, histoire et « finitude » .............. 98 Être et temps/Être et sang : « lance » de Perceval et « rose » de Silésius (une lecture « graalique » de Heidegger) .................................... 112 Une lecture « graalique » de la parole d’Anaximandre : « honte d’être » et « maladie de présence » (l’oubli du Graal (I)) ................. 124 L’oubli du Graal (II) : « Dieu est finitude » (la « foudre » et la « peste ») ........................................................................ 136 Notes sur le xve siècle européen et les Coplas de Jorge Manrique : éternité et finitude (ex-propriation et ap-propriation) ................................. 147 Vérité et poésie : ouverture et clôture de la présence (Gestell/Ereignis selon Heidegger (I)) ......................................................... 160 Gestell/Ereignis selon Heidegger (II) : une lecture eucharistique du roman du Graal (le moine et le chevalier) ............................................. 171 Vers une « explication » de l’Europe avec son Dieu : « combat spirituel » et « devenir-insensée » de l’humanité moderne ............ 182 Le nouveau « pays du mensonge déconcertant » : vérité et « parler follement » de celle-ci ....................................................... 193 « Méthode de la vérité » et falsification de tout : le « complotisme » comme allié objectif du mensonge dominant (complotisme et narcissisme) .................................................................... 204 734
« Légendes de la vérité » et « dérapages » médiatiques : vérité et morale (une critique de la notion de « valeur ») ............................ 213 Vérité et « cynisme » électoral : notes sur le « Discours du Bourget » de F. Hollande (le « dire » et le « faire ») ..................................................... 223 Un débat télévisé entre « économistes de gauche » : l’impossible autonomie du politique vis-à-vis de l’économique : notes sur « Le Rêveur définitif (I) ............................................................... 233 Notes sur « Le Rêveur définitif » (II) : l’« expérience de la vérité » (amour, vérité et verticalité) .............................. 243 Notes sur « Le Rêveur définitif » (III) : vérité, non-sens et Résurrection (« À quoi m’as-tu abandonné ? ») ........................................ 253 Notes sur Interstellar de Christopher Nolan (I) : amour, abandon et gravitation (une aventure de la vérité) .......................... 263 Notes sur Interstellar de Christopher Nolan (II) : l’humanité en tant qu’« espèce » et l’humanité en tant qu’essence ................ 272 Notes sur Interstellar de Christopher Nolan (III) : vérité, sacrifice et « singularité » .................................................................. 282 Notes sur Interstellar de Christopher Nolan (IV) : structure duplice de la vérité et « peur du temps » ...................................... 293 Notes sur Interstellar de Christopher Nolan (V) : cours du temps et circulation-entre ses dimensions ................................... 302 Vérité, événement et « rendre-témoignage-à » : le Christ en tant que « sauveur/sombreur du genre humain » (« sauver c’est sombrer ») ........................................................................... 311 Jeu de la vérité et fixation du sens : finitude humaine et infinitude divine (« témoigner c’est refléter ») ......................................... 322 Singularité, dérobement et vérité : « créer c’est différencier »/ « aimer c’est distinguer » (notes sur la « condition pas de bord » de Stephen Hawking) ................................................................................ 332 Création du monde et origine de l’Univers : « énoncé ancestral » de Meillassoux et « éclaircie de l’être » de Heidegger (notes sur le « principe anthropique ») ....................................................... 342 « Principe anthropique » et critère amoureux de la Création : « juger-bon » de Dieu et Mur de Planck ..................................................... 351 In-connu et in-connaissance : de l’origine de l’étonnement ................... 361 Du premier motif d’étonnement : l’homme comme la créature susceptible de s’écarter de son essence ........................................................ 371 735
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Que pouvait être le monde quand il n’était pas encore étonnant ? Choses qui « sont ce qu’elles sont » et choses « qui ne sont que ce qu’elles sont » (étonnement et ennui (I)) .......................................... 381 Étonnement et ennui (II) : une analyse comparée du « Voyage » de Baudelaire et du chœur d’Antigone de Sophocle ..................................... 391 Étonnement et ennui (III) : de l’exigence d’un « nouveau » comme signature de l’art « moderne » ........................................................ 401 De la nature peccamineuse du sentiment d’ennui : chute et ennui ........ 413 Notes sur L’Ennui de Moravia (I) : nostalgie d’Éden et conception « tautologique » du monde ........................................................................ 423 Notes sur L’Ennui de Moravia (II) : narcissisme et ennui… ................... 433 Notes sur L’Ennui de Moravia (III) : réalité et vulgarité ......................... 443 Notes sur L’Ennui de Moravia (IV) : amour et ennui ............................ 454 Notes sur L’Ennui de Moravia (V) : amour et narcissisme… ................. 465 Notes sur L’Ennui de Moravia (VI) : art et ennui .................................. 476 Notes sur L’Ennui de Moravia (VII) : art et narcissisme (I)… ................ 488 Art et narcissisme (II) : « idoles » et people ............................................. 498 Narcissisme et sainteté : retour au Curé de campagne de Bernanos ......... 507 Narcissisme et littérature : qu’est-ce qui fait écrire le « curé de campagne » ? ............................................................................ 519 Narcissisme et mort : « la vie (n’)est (pas) un songe » ............................ 529 Ennui et christianisme (I) : « réconciliation » et « grand style » (Nietzsche/Bernanos) ................................................................................. 539 Ennui et christianisme (II) : « joie », « jeunesse » et « espérance » selon Bernanos ........................................................................................... 548 Ennui et espérance : qu’est-ce au juste qu’« entrer dans l’espérance » (Notes sur les « conduites à risques ») ? ....................................................... 558 Splendeur et espérance : retour à la question de l’étonnement (une lecture du Livre de Job (I)) ................................................................. 567 Une lecture du Livre de Job (II) : Dieu, non tant comme détenteur de toute connaissance, que comme Maître de l’étonnement (question, réponse et silence) ..................................................................... 577 Étonnement et « capacité d’adaptation » : connaissance et vertige ......... 588 Une critique de l’argument théologique de la « cause première » : de l’origine véritable de la sexualité (retour au « sommeil d’Albertine ») ..... 597 Comment un être fini peut-il enclore de l’infini ? La « ruse de l’infini » ................................................................................. 608
Étonnement et « vie ordinaire » : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » .......................................................................... 618 Étonnement et modernité : de la « mortiférité » profonde de la « vie ordinaire » ................................................................. 627 De la futilité de l’actualité (I) : une « rentrée politique » 2015 ............... 636 De la futilité de l’actualité (II) : ennui et (in)sécurité (notes sur les attentats islamistes en cours) ................................................. 646 Terrorisme et Spectacle : de l’actuel et de l’in-actuel (temps et étonnement) .............................................................................. 656 Étonnement et émotion : notes sur la migration de peuples en cours (I) .............................................................................. 666 Notes sur la migration de peuples en cours (II) : gouvernement de l’émotion et terrorisme du compassionnel (« soumission » et « collaboration ») .......................................................... 676 Argument démographique et tentation « populiste » : de la « civilisation européenne » ................................................................ 686 Immigration musulmane et civilisation chrétienne : notes sur les « manifestations » du douze septembre 2015 (image et vérité)… .................................................................................... 696 Immigration et mondialisation : le vrai but de la présente domination (néo-progressistes et « populistes ») ........................................................... 706 Situation de l’auteur de cette Profondeur : « nécessité » et « légitimité » littéraires .......................................................................... 716
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Appendice : « Le Rêveur définitif » ........................................................ 725