Visions Hugo-Baudelaire

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visions

HUGO BAUDELAIRE

mixés par Denis Blanchard-Dignac avec la collaboration de

Jean-Louis Nakache

illustrations de

Marie Ciosi

loubatières MIXBOOK


ISBN 978-2-86266-523-8 © Nouvelles Éditions Loubatières, 2007 10 bis, boulevard de l’Europe – BP 27 31122 Portet-sur-Garonne cedex contact@loubatieres.fr www.loubatieres.fr


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HUGO BAUDELAIRE mixés par Denis Blanchard-Dignac avec la collaboration de

Jean-Louis Nakache

illustrations de

Marie Ciosi

loubatières



AVANT-PROPOS

Le métier d’éditeur réserve parfois des surprises. Quoi de plus déroutant que cette proposition: confronter Victor Hugo et Charles Baudelaire ? Joute poétique à distance et en l’absence des auteurs ? Innovation créatrice d’un nouveau genre? Mise en correspondance de textes – censément archiconnus – avec la mode du jour – le mode d’écriture du slam, par exemple ? Sans doute tout cela à la fois ; ce qui permet ce tour de force de rendre très « audibles » au XXIe siècle des textes du XIXe. En choisissant de publier ce premier « MixBook », nous avons bien conscience d’enfreindre certaines règles, mais nous le faisons avec la certitude de faire œuvre utile et de prendre date dans une nouvelle manière d’appréhender la poésie et, plus généralement, la littérature. M. F.

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INTRODUCTION

Un choc visionnaire. On mixe couramment les partitions sonores : la musique électronique facilite cette démarche, créant à partir d’éléments divers un ensemble harmonieux. Alors, pourquoi ne mixerait-on pas aussi la littérature, en particulier la poésie, en vers et en prose, dont l’alchimie rythmique est support d’expression ? Mais peut-on mixer Hugo et Baudelaire, deux immenses poètes, sans trahir leurs pensées, ni amoindrir le souffle privilégié que l’on sent vibrer en eux ? On ne peut le réaliser que si leurs VISIONS du monde se rejoignent, non qu’elles soient forcément similaires mais, qu’à minima, elles soient complémentaires, donc juxtaposables. 9


Telle se présente, dans un formidable choc de rencontre, en douze séquences thématiques, illustrées par leurs idéogrammes respectifs, cette construction novatrice orientée sur le paradoxe de notre destinée. Car la condition humaine est immuable à travers les siècles qui passent… Comme Hugo et Baudelaire, nous ne cessons de nous interroger sur l’Énigme de notre passage terrestre, toujours éphémère au regard de l’Éternité. Aujourd’hui plus qu’hier, nous nous angoissons des visibles détériorations de notre environnement. Nous nous révoltons, parfois avec violence, jeunes et vieux, hommes et femmes, devant tant et tant d’imprévisions. Devant tant d’injustices, aussi. D’autant mieux ressenties que la mondialisation ouverte à l’émergence de l’Ère industrielle, période où écrivaient Hugo et Baudelaire, devient la réalité de notre époque, sur fond de guerres et d’intolérance. Quel sera notre destin personnel et collectif face au péril majeur qui surgit à l’évidence et concerne la survie même de l’humanité ? Il n’est plus temps de gémir, ou de fuir cette réalité de quelle que manière que ce soit. Il est temps d’en appeler à la seule source d’espérance possible : celle du génie humain initial. 10


Écoutons les poètes, Hugo et Baudelaire : leurs bonds spirituels précèdent la connaissance à la manière d’un boomerang sans cesse relancé. Une génération les sépare : Hugo né en 1802 et Baudelaire en 1821, se sont observés, côtoyés, différenciés et finalement rejoints dans un dialogue d’exception. Victor Hugo a traversé le XIXe siècle, il est la référence du génie créatif. Cependant, s’il fut quasiment déifié de son vivant, reçut l’honneur insigne de voir conférer son nom à l’avenue où il résidait à Paris, on oublie sa jeunesse anxieuse, otage de parents qui se déchirent. On feint de ne pas se souvenir qu’un « contrat » de 25 000 francs-or, somme considérable à l’époque, fut délivré pour promouvoir son assassinat d’opposant mythique au Second Empire. Et ce fut l’Exil… D’abord en Belgique ; bientôt, on fut contraint de le déclarer indésirable ; puis vers les îles anglo-normandes, Jersey et enfin Guernesey, où l’Angleterre assura sa protection. Exil qui, de 1852 à 1870 perdura jusqu’à la chute de Napoléon III, qualifié de « petit » par Victor Hugo, fils d’un général de Napoléon – le Grand. 11


De Charles Baudelaire, on conserve le souvenir d’un poète maudit, censuré et coutumier des « mises au dépôt » et diverses exclusions d’une Société industrielle naissante, dont le maître mot était « Enrichissez-vous ! ». Programme de réjouissance dont Charles Baudelaire, révolté permanent et impécunieux, ne pouvait qu’être le premier parmi les exclus, tout comme Hugo fut le premier d’entre les exilés. Et de fait, l’auteur des Fleurs du mal, répandait autour de lui comme un tenace parfum de scandale, au point d’avoir longtemps vicié ce « souffle nouveau » que lui reconnut Victor Hugo en découvrant son œuvre. Est-ce à dire qu’une connivence s’établit entre les deux géants? Fascination réciproque, assurément. Adéquation, en aucun cas. D’autant qu’au retour d’un exil de triomphe, le père Hugo façonnait son image de patriarche respectable, monument historique encensé par la gloire. Au point de risquer d’affaiblir par la reconnaissance publique sa fibre créatrice. Le critique littéraire, acerbe et moderniste, que fut, aussi, Charles Baudelaire osa le suggérer. Comme il qualifia de peu crédible la saga convenue des Misérables, campée par un académicien, pair de France, qui n’avait 12


jamais connu la misère, y compris dans son exil doré de Guernesey, alimenté par des droits d’auteur confortables dont Baudelaire ne connut jamais l’équivalent monétaire. Injuste critique, Rancœur ? Ou, tout simplement: droit sacré du poète d’exprimer – jusque dans la violence – sa sensibilité. Les Barricades ? Parlons-en. Baudelaire pensait les connaître différemment qu’Hugo, lequel en 1851, avant son exil, exhortait le peuple à la révolte, derrière les barricades. Baudelaire, lui, avait gueulé parmi la foule en armes: « Fusillons le général Aupick ! » Ce beau-père honni, imperméable à la poésie, qui lui avait ravi sa mère : enfant il fut, en effet, orphelin de père. Tout comme Hugo vécut le départ du sien comme un abandon. Cela ne pouvait que les rapprocher. Il apparaît, à cet égard, une égale relation difficile de nos deux géants avec les femmes: une sorte de complexe œdipien, déchirure profonde où plonge l’affectivité de l’homme dans les blessures de l’enfant. Ainsi chez Baudelaire, qui naviguait dans ses amours le cœur en bandoulière, la femme apparaît le plus souvent dans ses poèmes comme P… exotique ou sorcière maléfique. 13


Chez Hugo, le respectable, elle est mère admirable, sultane évaporée ou fille tragiquement disparue, autant de femmes idéelles. En ce domaine affectif, ô combien sensible, il a fallu être patient pour retrouver, sans les trahir, les sentiments des deux poètes. Il est apparu, ainsi, nécessaire de mixer pêle-mêle vers et prose, puisque le Poète est multiple dans l’expression de sa douleur intime. Sa quête permanente est d’accéder à un monde absolu, où enfin :

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« Ses ailes de géant » peuvent se déployer. Seules l’intéressent les cimes de la pensée D’où le regard de l’âme contemple l’univers Élévation propre aux génies visionnaires.

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ÉCOUTEZ ! 1


Peuples ! Écoutez le poète Écoutez le rêveur sacré Dans votre nuit sans lui complète Lui seul a le front éclairé ! Homme, il est doux comme une femme Dieu parle à voix basse à son âme.

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… Vers le ciel, où son œil voit un trône splendide, Le poète serein lève ses bras pieux, Et les vastes éclairs de son esprit lucide Lui dérobent l’aspect des peuples furieux

Les textes de Victor Hugo sont en italique et ceux de Charles Baudelaire en romain.

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ÉNIGME 2


D’où viens-tu ? Je ne sais. Où vas-tu ? Je l’ignore. L’homme ainsi parle à l’homme et l’onde au flot sonore. Tout va, tout vient, tout meurt, tout fuit. Parfois nous devenons pâles, hommes et femmes, Comme si nous sentions se fermer sur nos âmes La main de la géante nuit. — Qu’aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ? Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère. — Tes amis ? Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu. — Ta patrie ? J’ignore sous quelle latitude elle est située. — La beauté ? Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle. — L’or ? Je le hais comme vous haïssez Dieu. — Eh ! Qu’aimes-tu donc extraordinaire étranger ? J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !

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Les nuages, ces solitudes Où passent en mille altitudes Les groupes sonores du vent. Ce sont les sévères artistes Que l’aube attire à ses blancheurs, Les savants, les inventeurs tristes, Les puiseurs d’ombre, les chercheurs, Qui ramassant dans les ténèbres Les faits, les chiffres, les algèbres, Le nombre où tout est contenu, Le doute où nos calculs succombent Et tous les morceaux noirs qui tombent Du grand fronton de l’inconnu !

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C’est la mort qui console, hélas ! et qui fait vivre ; C’est le but de la vie, et c’est le seul espoir Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre, Et nous donne le cœur de marcher jusqu’au soir ; Avant d’être sur cette terre, Je sens que jadis j’ai plané, J’étais l’archange solitaire, Et mon malheur, c’est d’être né. S’il fallait décrire ma peine, Ce serait à n’en plus finir ; Je me disais, domptant ma haine : « Au moins, si je pouvais dormir ! » Je suis le proscrit qui se voile, Qui songe, et chante, loin du bruit, Avec la chouette et l’étoile, La sombre chanson de la nuit. Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici : Une atmosphère obscure enveloppe la ville, Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

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Et toi ? Qu’es-tu, passant ? Je suis celle à qui tu disais « Je t’aime ! » Et toi ? Je suis ton âme même. Oh cachez-moi, profondes nuits !

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HUGO BAUDELAIRE LE PREMIER MIXBOOK® Un choc visionnaire. On mixe couramment les partitions sonores : la musique électronique facilite cette démarche, créant à partir d’éléments divers un ensemble harmonieux. Alors, pourquoi ne mixerait-on pas aussi la littérature, en particulier la poésie, en vers et en prose, dont l’alchimie rythmique est support d’expression ? Mais peut-on mixer Hugo et Baudelaire, deux immenses poètes, sans trahir leurs pensées, ni amoindrir le souffle privilégié que l’on sent vibrer en eux ? On ne peut le réaliser que si leurs VISIONS du monde se rejoignent, non qu’elles soient forcément similaires mais, qu’à minima, elles soient complémentaires, donc juxtaposables. Telle se présente, dans un formidable choc de rencontre, cette construction novatrice orientée sur le paradoxe de notre destinée. Denis Blanchard-Dignac, qui a été directeur général du marketing de la Fnac, a publié « Louis Gaume, entrepreneur d’exception », coécrit avec Charles Daney (Loubatières), « Histoire du bassin d’Arcachon » (Princi Negre) et « Le Gardien » (La Bruyère).

ISBN 978-2-86266-523-8

12,50 €


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