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Patrimoine culturel matériel et immatériel
Le patrimoine bâti est en fait, le lien historique entre notre époque et celles passées. Il peut s’agir de sites archéologiques comme de bâtiments groupés ou isolés en milieu rural ou urbain. Ce patrimoine est un lien entre passé et futur qui met divers enjeux en avant ; ces enjeux tournent autour du domaine social avec la mise en avant des modes de vie passés et présents, mais possède également des enjeux culturels du point de vue esthétique et contextuel. Ces enjeux sociaux et culturels renvoient donc naturellement vers l’enjeu économique lié à une utilisation intelligente du patrimoine par son attrait et sa mise en valeur. Le patrimoine est donc une expression des valeurs d’une société, d’une époque, de croyances, de cultures autour du savoir-faire architectural et des traditions qui ne cessent d’évoluer dans le temps.
Les cours dispensés tout au long de la licence sur la thématique de l’histoire architecturale (Sophie Paviol : « Histoire et critique de l’architecture » S6SH – Cultures contemporaines / Claire Rosset : « Penser, représenter la ville – De la grand ville à la ville contemporaine » S5SH / Patrick Thépot : « Histoire et critique de l’architecture : Antique, Moderne, Baroque » S2SH1 / Catherine Maumi « Histoire et critique de l’architecture – La ville » S2SH2 / Anne Coste « Histoire et critique de l’architecture – Introduction » S1SH ) auront su nourrir mon intérêt personnel pour l’histoire de l’architecture et la nécessité de garder les traces de l’histoire de nos villes et de nos civilisations. Dans chacun de ses cours, différentes époques ont étés analysées, décrites, dans le but de les comprendre et de les identifier. J’ai compris au travers des années, au travers des cours dispensés que garder des morceaux de notre histoire était un moyen de marquer sa présence, ses connaissances technologiques et de se repérer dans le temps et dans l’espace. Notre lien à l’histoire est très important pour notre construction actuelle est future. Sans elle, l’Homme perd ses repères et sans son histoire l’Homme ne peut se souvenir. Il serait donc dramatique de perdre notre lien au patrimoine matériel et immatériel puisqu’il est le ciment de chaque civilisation.
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« Les lieux dont on se souvient, et les lieux qu’on anticipe, s’enchevêtrent dans le laps de temps du présent. Mémoire et anticipation constituent en effet la perspective réelle de l’espace et lui donnent une profondeur » - Aldo Von Eyck11
Dans mon interprétation, cette citation peut très bien parler de la relation entre le temps et les espaces formés par les bâtiments reconvertis. Elle met en avant le lien étroit qui existe entre le lieu, la mémoire et le nouvel usage.
En effet, pour pouvoir réaliser une réhabilitation ou travailler la reconversion, comme nous l’avons vu précédemment, on se repose sur la forme, la structure, les matériaux utilisés et
leur mise en œuvre afin de comprendre et de situer le bâti dans son temps dans l’optique d’en tirer le meilleur parti possible. Derrière la réhabilitation et la reconversion se trouve avant tout un moyen de conserver le patrimoine dit matériel et immatériel. Ce patrimoine est celui qui permet de définir les objectifs d’une rénovation à venir par exemple.
Lorsque je parle de patrimoine matériel, ici j’évoque avant tout le lieu dans lequel le bâti ancien prend place. Ce qui veut donc dire qu’avant d’entreprendre toute modification ou action sur le patrimoine reconnu nous prenons conscience de ce qui l’entoure à différentes échelles (échelle du bâti et échelle urbaine). Ces échelles sont d’une part celle du bâti, où on analyse sa typologie, les savoirs faire mis en œuvre, son style et son rôle historique. Et d’une autre part, nous avons l’échelle urbaine qui s’intéresse au contexte direct avec son paysage environnant et l’analyse des typologies de bâtiments présents sur le site. L’échelle urbaine s’attache également à l’observation de la méthode de répartition des parcelles dans le tissu urbain proche, mais aussi aux recherches historiques sur le lieu dans lequel le bâti s’inscrit. Toutes ces analyses permettent donc de mesurer l’importance et de définir la place du bâti à l’échelle urbaine et dans son environnement direct. Ces analyses font donc glisser le patrimoine matériel (ici défini comme forme physique du bâti) vers le patrimoine immatériel (mémoire du lieu) en donnant ce qu’Aldo Rossi appelle le Locus. Il s’agit d’« un fait particulier, déterminé par l’espace et par le temps (…) par sa forme, par le fait qu’il est le lieu d’évènements anciens et récents, par sa mémoire »12
Dans le cadre du cours de Sophie Paviol : « Histoire et critique de l’architecture » S6SH – Cultures contemporaines, nous avons évoqué le travail d’Aldo Rossi, qui m’a beaucoup marqué par son intérêt pour la géographie des villes, leur histoire (fortifications notamment) pour comprendre leur évolution et ainsi les intégrer à ses projets. Son travail sur la mémoire partagée m’a particulièrement touché. J’ai également pu constater à quel point son sens de l’analyse de la forme et la culture architecturale a su nourrir ces projets et leur donner tout leur sens et c’est en ça que je suis admirative de son travail.
« On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel »13 Afin de comprendre ce qu’est le patrimoine dans son ensemble, nous devons également saisir ce que représente sa dimension immatérielle : c’est-à-dire l’histoire du lieu. On parle alors du contexte culturel, traditionnel, historique de manière générale et de manière plus
12 Aldo Rossi, L’architecture de la ville, Babelio, 129, consulté le 10 avril 2019, https://www.babelio.com/ livres/Rossi-Larchitecture-de-la-ville/375152.
C’est donc l’alliance du matériel et de l’immatériel qui fait la force du patrimoine puisque ce sont ces éléments qui donnent une identité à l’espace occupé et qui définissent son devenir au fil du temps. Toutes les analyses autour des éléments matériels et immatériels permettent donc de pouvoir générer des projets en adéquation avec le lieu dans lequel ils s’inscrivent. Ainsi, les nouveaux projets mis en place se montrent respectueux de l’histoire, de la mémoire collective par leur intégration et leur compréhension parfaite de leur environnement.
Dans le cadre de mon projet du Semestre 5 dans le Studio Grenier, j’ai pris plaisir à concevoir mon projet en faisant le lien avec des ruines et des traces archéologiques présentes sur la parcelle que je désirais occuper. En effet, le tracé, la forme générale et mes choix de mises en œuvre du projet se reposaient sur ces ruines qui constituaient les remparts et la porte d’entrée de la ville d’origine. Dans le cadre de ce projet je me suis rendue compte de l’importance de l’histoire et des vestiges qu’elle nous laisse. Mon projet c’est donc fondé sur une base déjà construite et c’est nourri de son importance et de sa symbolique pour en faire une force dans le positionnement de mon bâti.
Et ce sont ces éléments qui permettent par la suite à l’architecte chargé du nouveau projet de créer du lien en conservant les qualités et intentions de la première édification, comme on peut le constater dans la reconversion de la centrale électrique de Giles Gilbert Scott par Herzog et De Meuron, qui est ensuite devenue le Tate modern Museum… Ou de se démarquer de l’ancien en prenant pour exemple Zeishallen, une ancienne usine de confection d’hélices de bateaux qui a été reconvertie dans un style proche de l’initial mais qui se démarque par la mise en œuvre moderne des matériaux dans le nouveau projet proposé par les architectes de Me Di Um.
© Photo issue du site de Me Di Um, http://medium-architekten.de/portfolio_page/zeisehallen/
Bâtiment fondé en 1868 par Theodore Zeise et utilisé pour confectionner des hélices de bateau, la Zeisehalle est composée de plusieurs unités. Ce bâtiment longtemps laissé à l’abandon, tombant en ruine a été reconverti par Me Di Um Architekten. Lorsqu’il a été question de se servir de ces ruines pour recomposer de nouveaux espaces, Me Di Um a décrit les espaces déjà présents comme des « espaces à la fois simples et grandioses, dont l’élégance brute exigeait une politique de reconversion audacieuse et décisive. Les diverses unités entouraient la grande cour d’usine (…) silhouette originale encourageait une approche graduelle, fondée sur une multiplicité d’utilisations. »14 Le nouveau projet ainsi crée se compose à présent d’un cinéma, d’un restaurant, de bureaux, de logements et de halles. Dans ce projet ce qui m’a le plus plu c’est l’ambiance qui se dégage de cette construction notamment parce que les briques d’origines et les poutres d’acier sciées ont été conservées et laissées apparentes. Ce qui m’a le plus intéressé dans ce projet c’est la salle du restaurant qui a su garder son histoire et son ambiance industrielle en conservant un des grands fours de fonderie encore présent sur place. J’ai aussi apprécié la délicatesse dans la conservation de l’usage initial du lieu (vocation maritime) par la création d’un bar en forme de proue de navire. Je me sens proche de cette approche architecturale car d’une part l’aspect industriel du site a été conservé et mis en avant mais aussi parce que la rupture entre l’ancien et le nouveau est évidente.
© Photo issue du site la boite verte, http://www.laboiteverte.fr/photo-mystere-n103/ © Photo issue du site : https://journals.openedition. org/teoros/82?lang=fr
Ancienne centrale électrique construite par Giles Gilbert Scott entre 1947 et 1955 et suite à son abandon en 1981 elle sera reconvertie par Herzog & De Meuron en 2000. Dans ce projet le but a été de préserver et de mettre en avant le passé industriel du bâti en supprimant les éléments superflus. La finalité est un projet sobre, avec de grands volumes lumineux et surplombés d’une super verrière. L’idée était de rendre ce lieu plus lumineux, de conserver ces espaces déjà magnifiques, de mettre en avant ses matérialités (briques, cuivre, structures acier) et d’offrir des vues sur des espaces emblématiques comme la salle des machines, le tout avec un travail minutieux et fin de reproduction des techniques de mises en œuvre ancienne pour donner l’impression que ce bâti à toujours été ainsi. Le plus dans cette reconversion tout à fait fascinante, c’est que dans sa conception les architectes sont parvenus à intégrer des techniques écologiques le rendant économe en énergie, réduisant ainsi de 40% sa consommation « Dans l’ensemble, on a l’impression que les espaces d’exposition ont toujours été là, comme les façades de briques, cheminée ou la salle des machines. Cette impression est, bien sûr, trompeuse. L’intérieur du bâtiment, tout a été réinventé et re-conçu, mais les nouveaux et les anciens éléments de construction sont interdépendants en harmonie avec l’autre de manière à être indiscernables. Le résultat est plus excitant que de la pure conservation de la structure donnée et plus complexe qu’un bâtiment entièrement neuf … »15 (Herzog & de Meuron)