Mémoire, effacement et transgression

Page 1

mémoire, effacement et transgression

construire un territoire transfrontalier à strasbourg-kehl louise checa 2016-2017 mémoire de fin d’études

1



Ă€ ma grand-mère strasbourgeoise



composition du jury PRÉSIDENT DE JURY CHRISTOPHE DE GRUELLE

Président de la communauté d’agglomération de Blois Enseignant de politique territoriale à l’ENP

DIRECTEUR DE MÉMOIRE GRÉGORY MORISSEAU

Ingénieur Paysagiste de l’ENP Blois (2006) Docteur en géographie, spécialité aménagement, urbanisme et dynamique des espaces (2013) Chef de projet à l’Atelier de l’Île Enseignant de géographie à l’ENP

PROFESSEUR ENCADRANT CHRISTOPHE LE TOQUIN Photographe indépendant Enseignant de photographie à l’ENP

TROIS PERSONNALITÉS EXTÉRIEURES À L’ÉCOLE COMPOSENT ÉGALEMENT CE JURY Une personne représentant la maîtrise d’ouvrage Une personne reconnue pour ses compétences professionnelles Un ancien élève de l’école


index

00

MISE EN RÉCIT

01

introduction p18 p20 p22 p24

02

03

territoire transfrontalier

ville-port

réflexions

p30 la démultiplication de la frontière p32 identité(S) le socle

p42 le rift rhénan p44 RHENUS, RHEIN, RHIN p48 LA FORÊT ALLUVIALE RHÉNANE p52 p56 p58 p60 p62 6

dynamiques

le rhin-frontière FRANCHISSEMENTS ET USAGES coopérer éloge de la différence enseignements

DÉMARCHE STRASBOURG-KEHL L’épaisseur Concept d’analyse

réflexions

p66 UNE ville portuaire ? ville

p74 développement de la ville p78 zoom : le quartier du port du rhin

port

p80 le port autonome de p84 p88 p90 p94

strasbourg patrimoine industriel l’île aux épis transformée le port de nos jours enseignements


04

la coopérative réflexions

p98 le mouvement coopératiF la coop alsace

p106 la coop alsace : les origines p112 DIALOGUE p115 ENSEIGNEMENTS

06

vers le projet p128 MÉMOIRE p130 EFFACEMENT p132 TRANSGRESSION p134 CONCEPT DE PROJET p136 ÉMERGENCE D’UN SITE p138 RÉFÉRENCES

05

ouverture p118 ANALYSE PROSPECTIVE p122 SCÉNARIOS

07

conclusion p143 conclusion p144 bibliographie p147 remerciements

7



AVANT-PROPOS Photgraphie prise en 2012 de l’usine de nylon Solvay à Chalampé (Haut-Rhin, 68)

LA FRONTIÈRE QU’ON NE FRANCHIt PAS Là d’où je viens, en Alsace, il est facile de se repérer : une chaine de montagnes à l’Ouest, une autre à l’Est et la plaine entre les deux. Enfant, lors de mes longs trajets en voiture entre le Sud et le Nord de la région, je comprenais et ressentais l’unité de ce territoire, mais jamais il ne m’est venu à l’esprit de me rapprocher de la frontière et de la franchir. Pourtant, en grandissant, les voyages m’ont amenée à franchir la frontière de plus en plus souvent et d’y prendre goût. Et, en tant qu’alsacienne je me suis questionnée sur mon non-franchissement du Rhin. Un travail de photographie m’a conduit à découvrir le Rhin industriel caché, dont on ne m’avait jamais parlé et que je n’avais jamais vu. Un univers à part, surtout la nuit, où l’on perd tous ses repères. Peut-être que cela ajoute un mystère à cette frontière que l’on ne franchit pas, ce glacis entre les deux pays qui représentait comme un «no man’s land» dans mon esprit.

UN QUESTIONNEMENT C’est ainsi que pour ce travail de fin d’études je me suis tournée vers mes origines. J’ai choisi de me confronter à mes questionnements les plus lointains: la frontière, sa signification, son rôle aujourd’hui et son potentiel attractif et symbolique. Choisir le Rhin c’est choisir une frontière naturelle qui n’a plus rien de naturel et qui n’impacte notre quotidien qu’indirectement. Cependant la frontière qui m’intéresse est celle inscrite dans le quotidien, celle qui a une influence sur nos usages et donc celle qui est potentiellement la plus remise en question de nos jours. Strasbourg touche Kehl et les deux villes développent ensemble des projets transfrontaliers malgré le Rhin qui les sépare. La frontière est inscrite dans le quotidien de leurs habitants. De plus, en tant que capitale européenne son développement est symbolique et révélateur du monde que l’on veut pour demain.


10


00

MISE EN RÉCIT Les pages qui suivent sont une mise en volume et en récit de ma traversée de la frontière franco-allemande de Strasbourg vers Kehl. J’ai choisi de décomposer les séquences que j’ai pu ressentir sous la forme d’un POP-UP, qui m’a permis de retrouver l’épaisseur de chaque ambiance et de tenter de manière sensible de comparer les éléments qui m’ont marquée.

11


Après m’être perdue entre les H.L.M. du quartier de l’Esplanade, je revois le grand espace de jeux au pied de l’immeuble où habitait ma grand-mère. Je retrouve alors le chemin le long d’un canal où nous allions nous promener. J’aperçois le parc de la citadelle avec ses grands contre-forts, j’y contemple une nature exubérante le long des pièces d’eau. Enfin je me dirige vers cette grande arche qui n’évoque rien à ma mémoire et qui me dirige vers l’est. 12


Je traverse le bassin Vauban pour arriver sur une vaste friche qui laisse le regard s’échapper vers l’horizon, c’est l’emplacement de l’ancienne usine à charbon Starlette. À la suite de cette friche, les industries portuaires se succèdent. Mes sens sont mis à l’épreuve, j’entends, je vois et je sens les entreprises fonctionner.

13


Je traverse de larges rues, des voies ferrées qui semblent ne pas servir, je ne sais pas où marcher. Les camions se succèdent. J’aperçois alors les bassins du Commerce et de l’Industrie avec la Capitainerie qui semble veiller sur eux. La malterie se dessine au travers de la fumée qui s’en dégage et je discerne l’ampleur de sa taille. Finalement je me rends à la Coop Alsace qui semble abandonnée tant ses façades sont usées. 14


Mon chemin se poursuit vers le quartier du port du Rhin, quartier ouvrier récemment rénové. La clinique Rhéna s’achève et de nombreux logements à l’architecture futuriste se construisent génériquement. La route menant au pont de l’Europe est bondée de voitures.

15


Je traverse enfin la frontière. Une multitude de ponts franchissent le Rhin. J’emprunte la passerelle Mimram, le brouillard dense du matin me donne l’impression vertigineuse de voler au-dessus du fleuve dans des nuages. J’arrive côté allemand où un grand axe laisse partir les voitures, je me dirige vers les habitations où tout est beaucoup plus calme.

16


Je poursuis ma route à travers Kehl où je croise de multiples casinos. La place principale est très fréquentée. En sortant de la ville un maillage de parcelles agricoles me font face jusqu’à ne constituer qu’un seul et même paysage.

17


01

introduction

18


démarche D’un chemin de pensée à un processus d’analyse du territoire. Grâce à cette traversée, j’ai découvert entre Strasbourg et Kehl une frontière complexe. Bien loin d’une unique ligne, elle se compose d’une multitude de franchissements, de canaux, d’ambiances qui m’ont réellement donné à voir un territoire-frontière : je n’ai pas vu les « Deux-Rives » mais bien une multitude de rives. Finalement j’ai eu la surprise de ne pas ressentir le Rhin comme l’élément faisant frontière mais plutôt toutes les composantes de l’Île aux épis séparant Strasbourg et Kehl, et en particulier le complexe industrialo-portuaire. Inscrite dans le bassin rhénan, la particularité de la frontière franco-allemande est d’être naturelle, matérialisée par le Rhin, fleuve international canalisé et industrialisé. Elle a été, dans son histoire, le lieu d’affrontement de plusieurs idéologies en étant le centre de nombreux changements, ce qui a largement influencé un développement caractéristique (une ville à 180°). Cette frontière est donc double, à la fois physique et symbolique. De nos jours, la frontière de Strasbourg-Kehl est un exemple représentatif de la nouvelle politique de coopération transfrontalière initiée par l’Union Européenne. En effet Strasbourg accueille le Parlement Européen, a inauguré en 2004 le très symbolique Jardin des Deux-Rives et sa passerelle Mimram, la ville de Kehl est intégrée aux réflexions d’aménagement, et plus récemment, la Z.A.C. des Deux-Rives a été créée sur une partie du territoire du Port Autonome de Strasbourg, avec le projet de prolonger le tram Strasbourgeois jusqu’à Kehl courant 2017 et de construire de nouveaux logements. Cette frontière qui a toujours été attractive par son potentiel économique, mais délaissée car dangereuse (guerres, crues du Rhin, risques technologiques et industriels du Port Autonome de Strasbourg, flux migratoires contrôlés ...), présente aujourd’hui de réelles opportunités foncières. Ces lieux autrefois aménagés comme des espaces périphériques (zone portuaire, entrepôts, friches industrielles, …) peuvent aujourd’hui être des éléments de continuité et de centralité dont le renouvellement nécessite une vision transfrontalière globale. Pour considérer l’emprise de ce territoire-frontière sans ses limites établies, j’ai décidé de considérer que la frontière-ligne n’a plus de sens entre les pays de l’espace Schengen et en particulier ici à Strasbourg. Ce postulat induit un effacement des frontières, une politique déjà mise en œuvre de nos jours mais sans réalité paysagère. Effacer la frontière ne signifie pas pour moi créer une «non-frontière» mais bien valoriser un territoire en lui donnant son épaisseur, en transgressant donc la frontière. Dans ce cadre, d’une« frontière-ligne » à une « frontière-lieu », comment l’aménagement paysager peut-il être un outil pour transgresser la frontière ? Quelles nouvelles formes urbaines et modes de gouvernance cela initierait afin d’affirmer les identités transfrontalières ? Afin de répondre à ces questions, il nous faut d’abord montrer que la notion de frontière «épaisse» s’applique tant à l’Europe qu’à la frontière entre Strasbourg et Kehl et qu’elle a une zone d’influence, une complexité qu’il convient de décomposer pour mieux la comprendre. Nous verrons ensuite que la transgression permet de mettre en abyme la question de l’identité afin de composer un territoire de projets transfrontaliers. 19


Forêt de la Robertsau Auenheim

A4

Quartier Européen Port aux pétroles

A3 5

Parc de l’Orangerie

Grande île

Gare

Les Grands Moulins Port de Kehl

Cathédrale Terminal conteneur Nord

Caserne

Parc de la Citadelle

E52

Presqu’île Malraux

E52

Coop Alsace

Gare

Tour de Kehl Neumühl

2

E5

Quartier Port du Rhin

Marktplatz Jardin des Deux-Rives

Stade de la Meinau

Port Sud

Forêt du Neuhof Île du Rohrschollen

0

Carte de la frontière au niveau de Strasbourg et de Kehl 20

0,5

Eau

Bois

Zone résidentielle

Bâti

Forêt

Parc

Zone industrialo-portuaire

Terrain de sport

1

1,5

2 km

Axes de communication Voie piétonne Voie ferrée


allemagne grand est

strasbourg

Baden-Württemberg alsace

FRANCE

kehl

port du rhin

kehl centre

Ortenaukreis

STRASBOURG-KEHL Une frontière inscrite dans le développement d’une métropole européenne

STRASBOURG

280 114 habitants

78, 27 km2 3 529hab/km2

eurométropole

489 767 habitants

315,93 km2 1 421 hab/km2

43%

25%

de la population du Bas-Rhin

de la population Alsacienne

KEHL

35 032 habitants 75, 06 km2 467 hab/km2

j d’après Ville et Eurométropole de Strasbourg, recensement de la population 2013.

La frontière franco-allemande à Strasbourg-Kehl comprend la communauté d’agglomération de Strasbourg, l’Eurométropole, située dans un site de plaine, en bordure du Rhin, et traversée par l’Ill et la ville de Kehl qui lui est attenante directement à l’Est. La Ville et l’Eurométropole de Strasbourg sont deux institutions distinctes. L’Eurométropole de Strasbourg réunit aujourd’hui 33 communes. Elle est l’évolution de la Communauté Urbaine de Strasbourg créée en 1967 (C.U.S.). Le développement de la ville a été plutôt de type monocentrique, sans grande contrainte de relief mais avec des conditions hydrographiques parfois limitantes. Dès les années 1960, l’agglomération a connu une phase d’étalement urbain relativement important. La frontière allemande a longtemps constitué un frein à l’expansion urbaine en direction de l’est. Aujourd’hui, Kehl, ville allemande la plus proche de la frontière, entretient des interrelations fortes avec la capitale alsacienne et accueille toujours plus de travailleurs et de résidents français.

Traversée par plusieurs affluents, Strasbourg est constituée de plusieurs îles dont l’ellipse insulaire du centre historique, l’île Sainte-Hélène, l’île aux Épis et l’île du Rohrschollen. La densité importante de l’hydrographie cumulée à l’affleurement de la nappe phréatique contribue à rendre le secteur très sensible aux inondations. Encore aujourd’hui, la ville bénéficie d’une situation géographique privilégiée qui en fait un important carrefour européen, à l’intersection de quelques-uns des principaux axes de communication du continent : un axe est-ouest qui la relie d’une part à Paris via Reims et Nancy/ Metz (autoroute A4/RN4) et d’autre part à Munich via Stuttgart (E52). La ville est également placée sur un axe nord-sud qui la relie d’une part au sud de la France via Lyon (autoroute A6, autoroute A7) et d’autre part à Francfort-sur-le-Main via Karlsruhe (E35). De ce fait, l’agglomération est très performante en terme de mobilité avec en outre 60 kilomètres de lignes de tram et 320 kilomètres de lignes de bus. 21


Carte sensible de la traversÊe de la frontière. 22


L’ÉPAISSEUR La frontière comme une succession de couches qui déterminent l’emprise d’un territoire.

UN TERRITOIRE, UNE ÎLE

nombreuses friches.

Par ce premier travail de traversée j’ai défini la frontière comme une épaisseur, ainsi elle est devenue un territoire. Cela m’a permis de déterminer son emprise qui, d’ouest en est, va de l’ancienne citadelle Vauban jusqu’au canal «Kinzig» séparant la ville de Kehl de sa plaine agricole, et du sud au nord le long du Rhin, entre la forêt du Neuhof et le port aux pétroles. «L’île aux épis de rétention et de stabilisation» aussi appelée «Sporen Insel» se situe au centre du territoire d’analyse. Cette île cristallise de nombreuses dynamiques : sa moitié nord est caractérisée par deux longs bassins autour desquels s’articule un vaste complexe industrialo-portuaire et les voies de chemin de fer correspondantes ; on y trouve notamment des activités de stockage, une malterie, une aciérie, une cimenterie ; un portique permet le trafic de péniches porte-conteneurs de quatre étages. La moitié Sud est divisée en deux parties : sa partie Ouest est occupée par des industries ; sa partie Est est occupée par de l’habitat (essentiellement social) et par le récent Jardin des deux rives, prolongé par une zone naturelle protégée et de

En son centre se trouve un vaste terrain nommé Desaix, occupé par l’armée jusqu’en 2002 notamment pour des exercices de tir. Ce site fait aujourd’hui l’objet d’un projet d’urbanisme initié par l’extension de la ligne D du tram vers Kehl. Enfin, l’île était traversée du nord au sud par un ancien bras du Rhin (le Petit Rhin) qui fut comblé au cours des deux premiers tiers du XXe siècle, notamment par des déchets ménagers, ce qui en fait aujourd’hui une vaste zone polluée, compliquant notamment la reconversion future de cette île. De par les activités qui s’y concentrent, les flux qui en découlent (voies ferrées, voiries), une riche histoire se synthétise sur ce territoire restreint de 4 kilomètres par 1 kilomètre, soit environ 4km2, lui donnant une complexité mirifique.

23


CONCEPT D’ANALYSE Face à un territoire complexe, quelle méthode établir pour une analyse efficiente ?

DÉCOMPOSER LA COMPLEXITÉ Le territoire dont j’ai défini l’emprise s’est avéré être dans un premier temps très déstabilisant de par sa complexité. En effet, lors de ma première visite il m’était difficile de me situer, de situer la frontière et de comprendre le fonctionnement de ce territoire modelé au gré des réseaux et des industries. J’ai réalisé que ce n’était pas la frontière qui était difficile à traverser mais bien l’île aux épis. Alors, pour pouvoir intégrer ce territoire et pouvoir m’y projeter, j’ai dû décomposer méthodiquement toutes les couches de la traversée de la frontière et d’en comprendre les dynamiques. J’ai donc choisi d’analyser ce site comme un territoire cohérent, regroupant trois grandes thématiques. À grande échelle, le «territoire transfrontalier», à une échelle moyenne, la «ville-port» et enfin à une 24

échelle plus précise la «coopérative». Ces trois trames constituent mon «leitmotiv» d’analyse, c’est-à-dire selon moi les plus importants à observer et à décomposer, de par leur puissance symbolique et leur potentiel paysager. Ceux-ci s’entrecroisent, sont interdépendants. Pourtant, même si leur lien est établi, à aucun moment je n’ai l’ai ressenti dans l’espace. Un décalage qui, à mon sens brouille l’acte de franchir la frontière. Cela lui donne au mieux peu de signification, et en réalité un sentiment de répulsion participant de ce fait à un délaissement.


territoire transfrontalier

concept

Il représente les espaces sous influence binationale de l’épaisseur de la frontière. Il cristallise les composantes du paysage transfrontalier. C’est le socle commun à tous les habitants qui implique sa formation, son évolution et les dynamiques qui l’animent.

J’ai choisi, grâce à un diagramme de Venn ou «diagramme logique» de définir ces trois thèmes comme des ensembles élémentaires équivalents que je vais d’abord décrire séparément, ce qui constituera la première partie d’analyse du territoire. Par la suite, je vais effectuer un premier croisement de ces ensembles et montrer quelles relations ils peuvent avoir ensemble afin de recomposer des enjeux de territoire. Enfin, l’intersection de tous les cercles (voir schéma suivant) permettra de confronter tous les éléments de diagnostique et d’enjeux pour tendre vers un projet de territoire.

ville-port Une ville nouvelle qui s’immisce vers l’est et qui retrouve le contact avec l’industrie portuaire et le Rhin. Aujourd’hui les deux entités complexes se font face et se nuisent l’une l’autre. Pourtant la ville est en voie de retrouver son statut de ville portuaire, un futur cadre de vie, un nouveau pôle urbain.

la coopérative L’ancienne Coopérative Alsace, riche d’histoire sociale, dont l’esprit et la position centrale influencent le lieu. Un patrimoine historique majeur dont l’idéologie coopérative et la mémoire dépassent le vestige architectural et peuvent influencer le processus de renouvellement du territoire. 25


o rt

LA C O OpĂŠr

P e-

ve

T e r ri

er

i at

to

i

ali nt

Vi

26

o

ransfr t re

ll


02

TERRITOIRE TRANSFRONTALIER

27


28


Dans cette première partie, après avoir défini les notions de frontière, transgression et identité, nous allons tenter de montrer la richesse et l’attractivité du territoire transfrontalier, ainsi que sa place précieuse dans le processus d’intégration européenne. Dans cette perspective nous verrons d’abord la formation et la description des composantes paysagères qui définissent l’unité territoriale transfrontalière du Bassin Rhénan. Nous aborderons ensuite les dynamiques historiques et politiques qui ont participé à une division identitaire et à des différences d’usages. Enfin nous considérerons les intentions de la nouvelle coopération transfrontalière et des projets mis en œuvre.

29


ISLANDE finlande

NORVège SUède estonie

russie

lettonie

LÉGENDE

DANEMARK

LITUANIE

Union europénne IRLANDE

Retrait en cours de l’Union Européenne

ROYAUME UNI

Espace Schengen (sauf Açores et Canaries) Futurs pays de l’espace Schengen

FRANCE

rép. tchèque slovaquie

ukraine

autriche hongrie roumanie serbie

PORTUGUAL

italie

Espace européen de l’enseignement supérieur (Erasmus) Pays non-membres de Union Européenne Frontières fermées ou renforcement des contrôles

30

suisse

biélorussie pologne

croatie

Zone Euro

Les frontières de l’Europe BiG dans l’article de Catherine Calvet.

paysbas belg. allemagne

bulgarie

géorigie azerbaïdjan

ESPAGNE GRèce

turquie

malte

Il existait dans l’espace soviétique des «zones interdites», des «zones frontières» dans lesquelles les droits et les devoirs n’étaient pas les mêmes qu’à l’intérieur du territoire. Aujourd’hui, dans l’Union Européenne, des zones comparables apparaissent. Les pratiques de surveillance, d’information sur les circulations s’étendent bien au delà de la ligne frontière (surveillance

des zones de départ de l’autre côté de la Méditerranée, ...). L’UE délègue certaines fonctions de la frontière à d’autres États extra-européens (exemple : Turquie d’Erdogan). Ainsi dans un empire (qui par définition est en expansion), les frontières se démultiplient (linguistiques, religieuses, ethniques, ...). Ce processus est aussi une réalité dans l’Union Européenne.


la DÉMULTIPLICATION DE LA FRONTIÈRE Une frontière européenne dynamique synonyme d’attraction et de constitution identitaire.

la frontière

(1) Larousse

(4) B. Reitel, 2004

(5) S. Dullin, 2014

(6) J.-M. HURIOT, 1998, «La ville ou la proximité organisée», Éditions Anthropos, 237p.

Une frontière est un espace d’épaisseur variable, d’une ligne imaginaire à un espace particulier, séparant ou joignant deux territoires, en particulier deux États souverains. Celle-ci représente par conséquent la limite de l’exercice de la compétence territoriale et un territoire caractérisé par des phénomènes physiques ou humains différents, à découvrir ou à conquérir (1). Ainsi, la frontière a des incidences sur l’organisation de l’espace (effetsfrontière) et elle intègre une dimension politique (ce qui touche à la structuration d’une société), une dimension symbolique (elle est reconnue par un ensemble d’acteurs et sert de marqueur dans l’espace) et une dimension matérielle (qui est inscrite dans le paysage).» (4).

PHÉNOMÈNE DE DÉMULTIPLICATION À la fois lieu de cristallisation d’enjeux géopolitiques, lieu de friction et lieu de constitution identitaire, on peut ressentir un «effet-frontière» (5). Ainsi la frontière contient elle-même l’idée d’expansion, de dynamisme et donc d’épaisseur qui n’en fait plus une simple ligne mais une

«zone institutionnalisée» (5). On retrouve actuellement en Europe un phénomène de démultiplication des frontières entre l’U.E., l’Espace Schengen, la zone euro, les candidatures et les retraits. Une complexité nouvelle tant à l’échelle européenne qu’à l’échelle régionale et locale dont on peut faire une force.

la transgression L’espace urbain est le lieu propice où développer une frontière «ouverte», puisque la ville est elle-même «l’expression par excellence d’une proximité organisée, dans le but de maximiser les interactions» (6). Or nous sommes bien dans l’ère de la petite échelle, de la région, du local. Ainsi dépasser symboliquement la frontière c’est la transgresser par le paysage : c’est se l’approprier, y apporter une coopération, des projets et se questionner sur l’identité. La frontière, en tant que limite matérielle entre deux États, inscrite dans l’espace urbain, s’estompe. Une discontinuité spatiale la remplace sur laquelle l’aménagement du territoire peut matérialiser des éléments de continuité. Un nouveau front urbain peut ainsi s’ériger où s’inventeraient de nouvelles formes urbaines et de nouveaux modes de gouvernance. 31


POINT

LIGNE

ZONE

Lieux-frontière

Discontinuité

Gestion séparée

LA FRONTIÈRE HÉRITAGE

LA FRONTIÈRE «NIÉE»

Disparition des lieux-frontière

Continuité

Fusion

Patrimonialisation et nouvelles fonctions

Patrimonialisation et réseaux transfrontaliers

Temporalité de projet et entre-deux

LA FRONTIÈRE TRANSGRESSÉE

Stratégies de gestion de frontières ; les impacts dans l’espace. d’après B. Reitel, 2005 32

STRATÉGIES DE GESTION DE FRONTIÈRES


identités L’espace transfrontalier, laboratoire de l’intégration européenne ? Vers l’identité du partage.

(1) Petit Robert, 1993.

stratégie de gestion de la frontière En choisissant de traiter la frontière comme une possibilité de transgression et non simplement comme un vestige ou un élément à effacer, on vient à créer des réseaux transfrontaliers, à mutualiser et créer de nouvelles fonctions, à définir un territoire d’entre-deux. À cette échelle la coopération apporte un questionnement sur l’identité transfrontalière et européenne.

Identité, appartenance et intégration La notion d’identité (du latin idem : «le même») renvoie invariablement au caractère de ce qui est identique, c’est-àdire «semblable tout en étant distinct» (1). Ceci évoque le sentiment d’appartenance : ce sont les caractéristiques qui font qu’un individu ou un groupe se perçoivent comme une entité spécifique et qu’ils sont perçus comme tel par les autres. Identité et appartenance ont toujours été de grands sujets sociétaux à l’échelle nationale, cependant de nos jours l’Europe s’est emparée de la question de l’intégration. En effet, née de la volonté d’établir la

paix en Europe, l’identité européenne a entièrement remis en question la notion de frontière. Du statut de muraille de protection, délimitant un territoire et une communauté nationale partageant les mêmes valeurs, la frontière est devenue un espace que l’Union européenne à 28 tente de placer au cœur du processus d’intégration et de cohésion.

TERRITOIRE ET IDENTITÉ Pourtant, l’identité est souvent considérée comme un élément immuable d’un territoire, ensemble qui résisterait à toute tentative de changement, donc à toute forme de projet. Cependant l’identité territoriale est une construction permanente, elle n’est donc pas un état mais un processus. Le territoire auquel on s’identifie quant à lui est une construction labile dans le temps et l’espace, dans laquelle chacun des habitants est libre ou non de se reconnaître. L’un des fondements de l’identité, qui plus est si on la considère selon ses incidences sur les usages de l’espace, est l’image que l’on se fait de son environnement. Les réseaux qui se constituent dans cet espace permettent l’interconnaissance et sont les supports d’une identité territoriale partagée. 33


p 209 (3) p 227 (4) Y. Denéchère & M.-B. Vincent, 2010.

En ce sens il est intéressant de penser l’appropriation, c’est-à-dire d’appréhender les mécanismes d’auto-attribution d’un espace, de ses limites et de l’image que l’on s’en fait.

esquisse D’UNE IDENTITÉ COMMUNE Au début des années 1990,la Commission européenne est convaincue que l’identité européenne peut être soutenue par la coopération transfrontalière, car les régions transfrontalières constitueraient des laboratoires d’intégration européenne. À cet effet, elle introduit l’initiative d’Interreg qui arrive effectivement à rendre l’UE visible sur le terrain de la coopération : les nombreux projets transfrontaliers soutenus par le programme communautaire comportent tous le label européen que le citoyen transfrontalier remarque lorsqu’il se trouve usager des pistes cyclables franco-allemandes, d’aires de jeux transfrontalières ou de ponts piétons sur le Rhin. Le citoyen transfrontalier profite également pleinement des effets de l’intégration européenne économique à travers l’établissement du marché commun et de l’unification monétaire : se rendre dans le pays voisin devient une 34

habitude dans une Europe sans frontières. Malgré le succès de l’Interreg et du marché unique, l’identification de la population à l’Europe ne s’effectue pas comme prévu, car l’identité régionale historique peut parfois entrer en concurrence avec l’identité européenne. La construction d’une région transfrontalière repose donc, aussi, sur le rappel et sur la mise en valeur de la singularité interculturelle régionale (3).

l’entre-deux comme perspective La coopération transfrontalière à l’échelle locale est alors à envisager comme un palliatif au risque de fragmentation de l’espace centre-européen, que la géopolitique a déjà grandement creusé. Un risque que, semble-t-il, les coopérations de plus grande envergure ne sauraient à elles seules pallier, et auxquelles elles ne répondent qu’improprement : c’est bien au niveau local, aux contacts frontaliers, que se joue la stabilité européenne (4) ; d’où l’enjeu certain pour l’UE de multiplier les initiatives de coopérations régionales aux frontières de ses États membres. Ainsi, de par sa nature même, l’échelle eurorégionale se situe dans un entre-deux territorial, géopolitique


LE PAYSAGISTE Créé

! LE PAYSAGE

(5)T. Perrin, 2013.

UNE EXPÉRIENCE PARTICULIÈRE

et institutionnel : une synapse comme régime de gouvernance, dont les relations culturelles obéissent à une logique « géoculturelle identitaire » (5). Modus operandi c’est bien aussi dans une « dialectique de l’entre » que l’action transfrontalière semble devoir s’inscrire pour trouver un point d’équilibre et d’articulation entre les modèles. Le développement des régions transfrontalières illustre, d’une part, le retour au territoire malgré le franchissement des frontières, d’autre part la dialectique entre différenciation et intégration.

expérience relationnelle avec le paysage Toutefois, est-ce que la mise en place d’une gouvernance commune du territoire transfrontalier revalorise, déforme ou renouvelle l’identité culturelle ? Comment la mise en œuvre d’un savoirfaire et d’une sensibilité de paysagiste peut-elle renforcer une identité locale transfrontalière et participer à l’émergence d’une identité européenne ? Le paysagiste semble être un acteur privilégié car il peut agir comme un arbitre de la perception : le paysagiste va en effet pouvoir créer une expérience particulière

UNE NOUVELLE IDENTITÉ

pour les usagers qui va relier le paysage et l’identité par une connexion émotionnelle et une expérience de relation avec un lieu. On vient alors créer une nouvelle perception pour permettre de semer la graine d’une nouvelle identité.

enjeux Ainsi par l’aménagement du territoire on peut favoriser les sentiments d’appropriation plutôt que de dépossession. Il peut en outre favoriser le retour du sens du local en suscitant de nouvelles appropriations par de nouveaux usages et en révélant une identité forte par le paysage. D’autre part, inscrire le projet dans l’histoire du territoire permet de mieux anticiper son devenir. Cela implique une bonne connaissance du territoire, du socle identitaire dans lequel nous vivons. Nous allons maintenant décrire et comprendre les composantes paysagères qui donnent une identité particulière au territoire du bassin rhénan.

35


Une maison à colombages à Neumühl (commune de Kehl), Allemagne. 36


Vue depuis le belvédère du jardin des Deux-Rives (côté Allemand) sur les habitations Kehloises. 37


L es infrastructures routières traversent le canal du Kinzgig. 38


Le canal du Kinzig (Allemagne) et les pylones électriques dont l’énergie provient de la centrale hydroélectique de Strasbourg. 39


Inauguration du nouveau pont sur le Rhin pour le tram, côté allemand la «Brückenfest». 40


La multiplication des franchissements sur le Rhin. 41


haguenau PLATEAU LORRAIN

saverne

MODER

Schéma géologique de la plaine du Rhin Supérieur d’après http:// www.encyclopedie. bseditions.fr

ZORN

strasbourg

vosges greseuses

BRUCHE

RHIN ILL SELESTAT RIBEAUVILLé

EI

Z

Hydrographie Principales agglomérations.

42

COLMar

vosges cristallins

KAISERSTUHL

et socle hercynien

FREIBURG

forêt noire

elle

W IESE

GUEBWILLER

mos

THUR MULHOUSE

THANN

DOLLER

Jura alsacien et Jura suisse (dépôt de l’ère secondaire. Failles et fractures.

plaine rhénane

LAUCH

Couverture sédimentaire des Vosges et de la Forêt Noire (dépôt du Trias). Socle ancien (massif hercyniens) des Vosges et de la Forêt Noire.

ZIG

e

h rt eu

Kaiserstuhl : roches volcaniques de l’ère tertiaire. Collines sousvosgiennes ou champs de fractures (dépôts du secondaire, du tertiaire et du quaternaire).

KIN

m

Plaine rhénane. Dépôts de l’Oligocène, du Pliocène et du Quaternaire.

BELFORT

Bâle SUNDGAU jura

SCHÉMA GÉOLOGIQUE DE LA PLAINE DU RHIN SUPÉRIEUR


le RIFT rhénan Des Vosges à la Forêt Noire, une unité territoriale transfrontalière.

morphologie Le fossé rhénan ou graben est une dépression d’orientation nord-nord-est/ sud-sud-ouest s’étalant de Bâle (Suisse) à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), sur plus de 300 km pour une largeur maximale de 40 km. Il appartient au système de grabens du rift ouest-européen, daté de l’Oligocène, et est délimité par la ForêtNoire et l’Odenwald à l’est, les Vosges et le Pfälzerwald à l’ouest, le massif du Jura au sud, et le Taunus au nord. Il est traversé dans le sens de la longueur par le Rhin (Rhin supérieur), du sud vers le nord. Le fossé du Rhin ne correspond pas uniquement à la plaine d’Alsace ; les massifs des Vosges à l’Ouest et de la Forêt Noire à l’Est font morphologiquement partie de cet ensemble. Ces massifs d’environ 1500 m d’altitude constituent les épaulements du fossé. De chaque côté, un champ de fractures s’intercale entre les massifs et le fossé. À l’Ouest, elles constituent les «collines sous-vosgiennes» formées de terrains sédimentaires d’âge secondaire, séparées

Coupe du bassin rhénan d’après Agence Ter, Plan Guide, Cahier 1.

vosges

des Vosges par la faille vosgienne et du fossé par la faille rhénane.

FORMATION

Au Cénozoïque (vers -53 Ma), deux phénomènes tectoniques majeurs dans la formation de la terre : l‘ouverture de l’océan Atlantique et la collision alpine vont provoquer des distensions et l’effondrement du fossé rhénan le long d’un jeu de failles, et par contrecoup le soulèvement des massifs Vosges et de la Forêt-Noire. Ces deux massifs étaient jusqu’alors unis. Le fossé rhénan va séparer ces deux massifs et être envahi par la mer, les sédiments vont le remplir et former la plaine d’Alsace. Le Rhin va y creuser son lit. Entre la faille vosgienne située le long des Vosges et la faille rhénane en bordure de la plaine d’Alsace, les mouvements tectoniques ont créé quatre grands champs de fractures qui portent les collines sous-vosgiennes, lieux de prédilection du vignoble alsacien. Au quaternaire, les glaciations finissent de modeler le relief actuel.

fossé rhénan

forêt noire

43


pays-bas utrecht rotterdam

ALLEMAGNE

lippe

BELGIQUE

düsseldorf ruht cologne bonn

sieg

coblence

lahn wiesbaden

main

LUX.

mannheim

strasbourg

karlsruhe

neckar

moselle bâle

FRANCE

constance

lac de constance

aar

SUISSE

Rhin inférieur Rhin moyen Rhin supérieur Haut-Rhin Rhin alpin Rhin et ses affluents 0

44

100

200km


RHENUS, RHEIN, RHIN Morphologie et description du fleuve celtique.

TYPOLOGIE DU FLEUVE (1) Petit Robert, 1993.

j Schéma des différents tronçons du Rhin à travers l’Europe.

Le Rhin, dont le nom est issu du celtique renos «rivière, fleuve», à l’origine «qui coule, flot», représente la colonne vertébrale de l’Europe rhénane, l’espace le plus dynamique d’Europe. Il s’écoule sur 1233 kilomètres dans un bassin versant de 198 000 km2. Le fleuve traverse la Suisse, l’Autriche, le Liechtenstein, l’Allemagne, les PaysBas, la France, la Belgique, le Luxembourg, et même une petite partie de l’Italie. Il s’agit du plus long fleuve se déversant dans la mer du Nord et de l’une des voies navigables les plus fréquentées du monde. Le Rhin prend sa source dans les Alpes suisses du canton des Grisons, dans la vallée du Rhin antérieur. Il termine sa course aux Pays-Bas, où il se jette dans la mer du Nord en mêlant partiellement ses eaux avec celles de la Meuse dans un grand delta. Son cours est subdivisé en 5 tronçons : le Rhin alpin, le Haut-Rhin, le Rhin supérieur, dans lequel se situe la ville de Strasbourg, le Rhin moyen et le Rhin inférieur. Le Rhin supérieur a un régime nival : la période des hautes eaux correspond à la fonte des neiges dans les Alpes c’est-àdire en mai/juin : c’est le Rhin des Cerises (Kirschenrhein). La période des basses eaux se situe en hiver.

VATER RHEIN Autrefois, le «Vater Rhein» divaguait à sa guise au sein de son lit majeur. Le Rhin sauvage qui se présentait sous la forme de tresses était riche de multiples bras créant îles, bancs, méandres et chenaux. Ceux-ci se déplaçaient au gré de ses crues et étiages. Le fleuve capricieux pouvait atteindre 3 à 20 kilomètres de large. On retrouvait alors un paysage humide, riche de nombreuses îles (plus de 2000 entre Bâle et Mannheim), peuplé de forêts et de marécages. Le fleuve attira alors les hommes par les ressources en eau et en terres fertiles qu’il procure. Cependant vivre à proximité du Rhin se révèla être un défi entre fièvres paludiques et les inondations dévastatrices. L’histoire du fleuve est donc celle de sa domestication.

UN FLEUVE À DOMPTER C’est au colonel du génie badois, Johann Gottfried Tulla, que revient la conception des travaux dits de correction du Rhin : enserrer les eaux du fleuve entre des rives fixes, dans un seul lit. Pour ce faire, il est nécessaire de court-circuiter les méandres, fermer les différents bras , relier les îles les unes aux autres pour constituer un lit unique de largeur régulière variant entre deux cents et deux cent cinquante mètres. 45


Rhin

1838 Le Rhin «divague» à partir de son lit principal dans divers lits mineurs et chenaux en fonction des crues, formant de nombreuses îles temporaires.

Rhin

1872 Le cours du fleuve est rectifié d’après les plans de Tulla : création d’un lit principal, surcreusé de 2 mètres. Rhin

1920 Le surcreusement du lit principal atteint 7 mètres, créant des hauts fonds en aval et faisant apparaître la barre d’Istein.

Grand Canal d’Alsace

Rhin

1928-1955 Création du «Grand Canal d’Alsace», parallèle au lit principal du fleuve, de Bâle à Breisach, rive gauche, drainant la majorité du débit du Rhin.

46


j Évolution du profil du Rhin entre 1855 et 1955 d’après Encyclopédie «L’aménagement du cours supérieur du Rhin» ©2007-2010 B&S Editions.

À l’aval de Strasbourg, les travaux sont exécutés à partir de 1818. Entre Strasbourg et Bâle, ils sont accomplis entre 1841 et 1876.. Le lit majeur du Rhin est désormais limité par deux digues destinées à contenir les grandes crues du fleuve. Ces travaux suppriment les nombreux méandres du fleuve et facilitent le mouvement des bancs de sable et de graviers. Ils raccourcissent la voie d’eau d’une trentaine de kilomètres tout en augmentant la pente et la vitesse du courant. Ces importantes transformations rendent très délicate la remontée du Rhin jusqu’à Strasbourg qui implique alors l’emploi de remorqueurs. L’équilibre du fleuve étant rompu, ce dernier devient rapidement impraticable. L’érosion effectue un tel travail qu’au niveau d’Istein, le fleuve s’enfonce et laisse apparaître une barre rocheuse empêchant toute navigation. Pour corriger les effets secondaires négatifs consécutifs aux travaux de Tulla, des «épis» (enrochements perpendiculaires au fleuve) sont construits progressivement en amont de Lauterbourg et le Grand canal d’Alsace est construit entre 1928 et 1978. Ce dernier, installé en doublement du Rhin sur 52 kilomètres, permettra alors d’ouvrir à nouveau la navigation dans le Rhin supérieur. Cet aménagement a été aussi

imaginé pour protéger les Pays-Bas des inondations, mais aussi pour permettre une navigation fluide de Rotterdam à Rheinfeld et l’installation de centrales hydroélectriques pour produire de l’électricité (il existe au total huit chutes entre Bâle et Strasbourg).

DES MÉANDRES AU CANAL Aujourd’hui l’emprise du Rhin ne représente plus que 200 à 250 mètres de large. De même, les crues sont désormais contenues au prix de travaux d’aménagement du Rhin et des rivières affluentes, et de remise en eau de polders en cas de nécessité. Ainsi tous les pays traversés par le Rhin sont interdépendants entre eux à travers une gestion fine du cours du Rhin. En définitive, tous ces ménagements ont rendu le Rhin plus sûr et propice aux échanges économiques, mais ont aussi fait perdre le caractère «vivant» du fleuve qui a inspiré tant d’écrivains (Hugo, Goethe, de Nerval, Gautier, Daudet, Lamartine, Apollinaire, Dumas, ...) et détruit une grande partie de la forêt alluviale rhénane (50% a été détruite entre 1960 et 1970) dont nous allons décrire la richesse et la nécessité, propulsant le mythique Rhin sauvage au statut de canal.

47


la forêt alluviale rhénane Une zone tampon rare pour la dynamique fluviale.

LES FORÊTS INONDABLES Anciennement façonnées par les divagations du Rhin, les forêts inondables jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement hydrologique et hydrochimique des plaines alluviales et sont les plus productives d’Europe. Depuis des décennies, enrochements, endiguements, canalisations, luttes contre les inondations, urbanisation, extractions de matériaux dans le lit du fleuves ont contribué à la dégradation et à la disparition de ces écosystèmes complexes.

TYPOLOGIE Luxuriantes, ces forêts sont caractérisées par une architecture très structurée, composée de nombreux étages de végétation et des galeries de lianes géantes pouvant atteindre plusieurs mètres de hauteur. Cette richesse biologique n’est possible que par la conjonction de plusieurs facteurs : étés chauds, humidité de l’air et du sol, bonne oxygénation des sols liée à un important battement au niveau de la nappe et apport régulier d’éléments minéraux par les inondations. Ces milieux s’organisent en différentes 48

communautés végétales, qui se succèdent dans le temps et dans l’espace en fonction de plusieurs paramètres, dont le plus important est la dynamique du cours d’eau. On retrouve deux types de forêts alluviales : • La forêt à bois tendre : elle est dominée par les saules, l’aulne gris et les peupliers. C’est une zone inondable lors des crues rhénanes, localisée dans les parties les plus basses appelées «Gründe». L’inondation nuisant au développement de certains buissons, la strate arbustive est peu dense. Les rares arbustes sont le cornouiller sanguin et la viorne lantane. Il s’agit d’un groupement pionnier qui a disparu en grande partie du fait de la canalisation du Rhin, celle-ci ayant mis fin à la dynamique fluviale. En l’absence de crues, le peuplement évolue vers la forêt à bois dur. • La forêt à bois dur : elle se développe sur les parties les plus élevées appelées «Köpfe». C’est une forêt d’une grande complexité structurale, à rajeunissement souvent plus lent, et d’une richesse floristique et faunistique élevée, avec 25 espèces d’arbres. Certaines espèces atteignent ici leur taille maximale (le bouleau, l’érable champêtre, l’aubépine


Carte générale de la France, 162, Strasbourg, établie sous la direction de César-François Cassini de Thury, édition entre 1768 et 1770. BnF Gallica

et le cornouiller peuvent avoir un port arborescent). On peut compter jusqu’à sept strates dans l’organisation structurale de la forêt à bois dur.

CONTRIBUTION à la RÉTENTION DES CRUES Les forêts inondables jouent un rôle considérable dans la rétention des crues. Ces véritables zones tampon peuvent stocker des volumes d’eau importants et réduire les débits de crues permettant un abaissement de la ligne d’eau à l’aval. Les crues jouent plusieurs rôles positifs important : • Les eaux s’infiltrent et approvisionnent la nappe phréatique (qui n’est qu’à 60cm en Alsace).

• Elles sont à l’origine du développement des milieux naturels parmi les plus diversifiés et originaux d’Europe. • Les prairies et les forêts accompagnant le fleuve sont de très bons filtres, fixant les nitrates et les phosphates qui asphyxient les eaux et polluent la nappe phréatique (plus grande nappe d’Europe). • La masse d’eau stockée dans le milieu naturel durant l’onde de crue évite leur propagation dans les zones urbanisées. • Elles entretiennent les frayères et procurent une multitude d’habitats pour la faune. En garantissant ainsi leur bon fonctionnement et leur gestion, les risques liés à l’action des crues sur les populations humaines en aval seront fortement diminués.

49


Évapo-transpiration Prunus padus L. Cerisier à grappes ROSACEAE

Salix alba Saule blanc SALICACEAE

Fraxinus excelsior L. Frêne commun OLEACEAE

Viburnum opulus Viorne obier CAPRIFOLIACEAE

Populus nigra Peuplier noir SALICACEAE

Quercus robur L. Chêne pédonculé FAGACEAE

Ulmus minor Mill. Orme champêtre ULMACEAE

Ligustrum vulagre L. Troène OLEACEAE

Cornus sanguinea L. Cornouiller sanguin CORNACEAE

Populus alba L. Peuplier blanc SALICACEAE

Euonymus europaeus L. Fusain d’Europe CELASTRACEAE

Corylus avellana L. Noisetier BETULACEAE

Acer campestre L. Érable champêtre SAPINDACEAE

Crataegus monogyna Jacq. Aubépine monogyne ROSACEAE

Chaleur

ARBRES

LIANES

BUISSONS

Humidité

herbes

Dé GR Sa pres ÜN ula sio ie n l DE - P im eu on ple eu rai se e

MOUSSES

GI

ES

SE

N

Scilla bifolia L. Scille à deux feuilles ASPARAGACEAE

Convallaria majalis L. Muguet ASPARAGACEAE

Ficaria verna Huds. Ficaire RANUNCULACEAE

50

Paris quadrifolia L. Parisette à quatre feuilles MELANTHIACEAE

Polygonatum multiflorum L. Sceau de salomon ASPARAGACEAE

Arum maculatum L. Arum tacheté ARACEAE

Allium ursinum L. Ail des ours AMARYLLIDACEAE

KÖ L P Ch evée ên gr FE aie av - F eleu rên se aie

Anemone nemorosa L. Anémone des bois RANUNCULACEAE

Humulus lupulus L. Houblon CANNABACEAE

Clematis vitalba L. Clématite des haies RANUNCULACEAE


rôle épurateur et les crues Les forêts alluviales, grâce à leur pouvoir épurateur, peuvent retenir jusqu’à 95% de la charge azotée et 80% de la charge en phosphore des eaux de crues qui sont filtrées pour alimenter les nappes en eau propre. Cette épuration s’effectue de deux façons : de manière verticale lors de l’infiltration des eaux d’inondation et de manière latérale par infiltration des apports issus des zones agricoles et des eaux de rivière dans la berge ou dans le fond du lit en l’absence de débordement. La suppression des inondations entraine une modification de la végétation et des cycles biogéochimiques des éléments minéraux, ce qui implique : • la disparition des stades pionniers à saules et peupliers • un remplacement par des stades plus évolués (formation à bois dur) caractérisé par des espèces plus mésophiles (intolérantes aux inondations) comme le charme et le noisetier • une faible regénération de ces forêts • une diminution de la richesse et de la vitalité des lianes géantes (clématite, lierre grimpant, houblon) • une diminution de la productivité

• des modifications des cycles du phosphore et de l’azote.

restauration et recréation La restauration de ces écosystèmes se fonde sur trois principes : le principe de fonctionnalité hydrologique (la restauration de la dynamique fluviale du cours d’eau pulsée (fluctuant au gré des saisons), le principe de naturalité (libre développement des habitats soumis à une dynamique de renouvellement) et le principe de diversité biologique (variété des espèces peuplant la biosphère, dès les deux premiers principes appliqués). Cependant, différentes études menées sur la restauration des forêts alluviales montrent la difficulté de recréer ces écosystèmes dès lors que la suppression des inondations est trop ancienne. Cela met en évidence l’intérêt de la conservation de ces milieux qui représentent les derniers milieux naturels résiduels encore fonctionnels de ce territoire. Nous allons étudier à présent les dynamiques humaines qui ont façonné le paysage du Rhin Supérieur au fil du temps.

51


-1800

-1700

260

L’armée romaine est obligée d’abandonner le limes et se replie sur le Rhin

160 Le limes est plusieurs fois rompu suite aux pressions des Alamans

PÉRIODE CELTE -800

-700

PÉRIODE ROMAINE LIMES ROMAIN

La frontière se trouve plus à l’Est.

200

100

0

406

Invasion des Vandales

300

506 Clovis tient la rive gauche

400

1400

44 péages

600

1500

22 péages

1200

Strasbourg est annexée par la France

1600

700

Trafic rhénan soumis au domaine fiscal impérial

800

1697

1100

À partir du Xe siècle, on commence à distribuer aux seigneurs et à l’Église la perception sur le Rhin, taxes garantissant la sécurité des marchandises sur le fleuve

1000

900

1919

PÉRIODE HUMANISTE

Traité de Versailles, le Rhin redevient une frontière. La France développe le port de La perte par la France de Strasbourg qui devient prospère 1868 Fribourg et de Brisach fait du Signature de la Convention Rhin la véritable frontière du de Mannheim qui met fin royaume de France aux taxes de navigation 1792 1648 Le décret du Conseil Exécutif Traité de de la République proclame 1935 Westphalie, le que les cours des fleuves Les rives du Rhin se hérissent Rhin devient une sont propriété commune et de fortins frontière inaliénable de tous

1700

1800

1900

1957

52

775 Strasbourg dispose de privilèges douaniers qui prouvent que la ville est en relation aussi bien avec les Pays-Bas qu’avec l’Italie

MOYEN-ÂGE

1681 1644-1647

-300

Dynastie carolingienne 511 avec un caractère Les francs rhénan très occupent les affirmé deux rives Trafic rhénan plus ou moins e e éteint du V au VII siècle, reprend lentement soumis à des droits régaliens

L’insécurité des routes de terre fait que l’on utilise toujours le transport rhénan : le courant des marchandises s’établit entre l’Italie et les Pays-Bas. La navigation souffre des multiples péages qui se développent

1300

La France accède au Rhin : Turenne occupe la rive gauche

-200

ÂGE DU FER Arrivée progressive des Germains.

-100

500

Développement de corporations batelières puissantes dans les villes du Rhin : celle de l’Ancre à Strasbourg naît en 1331

62 péages

-400

-58 av. J-C. Victoire de César contre Arioviste.

1331

XVe siècle La prospérité des villes rhénanes atteint son apogée et les régions rhénanes deviennent le centre de la civilisation occidentale (premières universités, invention de l’imprimerie, ...)

-500

751

451

Suite à l’invasion des Huns, toute 352 défense romaine Les Alamans cessa sur le Rhin 377 pénètrent en en Alsace Alsace

-600

Traité de Rome : le Marché Commun ôte au Rhin une grande partie de sa signification politique. La bataille est désormais économique : le trafic rhénan en est le premier bénéficiaire

2000

1993 La libre circulation des biens est assurée à l’intérieur de l’Union Européenne

2100


le rhin frontière D’un territoire partagé à une frontière internationale, histoire du Rhinfrontière.

fleuve-frontière ou axe de communication ?

(1) Victor Hugo, Le Rhin, lettres à un ami, Lettre XIV, 1845.

j d’après «Le Rhin dans l’Histoire» Base Numérique du Patrimoine d’Alsace, Le Rhin épine dorsale de l’Alsace, Emmanuel Claerr, 2010

«Il y a toute l’histoire de l’Europe considérée sous ses deux grands aspects, dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l’Allemagne. Le Rhin réunit tout. Le Rhin est rapide comme le Rhône, large comme la Loire, encaissé comme la Meuse, tortueux comme la Seine, limpide et vert comme la Somme, historique comme le Tibre, royal comme le Danube, mystérieux comme le Nil, pailleté d’or comme un fleuve d’Amérique, couvert de fables et de fantômes comme un fleuve d’Asie.» (1) L’origine du monde celtique s’est constituée au début du deuxième millénaire avant notre ère autour du Rhin, c’est pourquoi la toponymie et l’archéologie concordent pour faire du Rhin le fleuve celtique par excellence. À partir de l’âge du Fer, le Rhin attire et canalise les relations commerciales du Midi méditerranéen avec le monde celtique. Tantôt frontière, tantôt axe d’échanges, le Rhin cristallisera de nombreux enjeux géopolitiques au cours de l’histoire.

la première architecture des frontières en europe C’est en -58 av. J.-C. que le fleuve est pour la première fois l’enjeu d’une bataille : celle de César contre Arioviste. Le Rhin devient une frontière entre le monde civilisé (l’Empire Romain) et le monde resté barbare (les Germains). Toutefois il ne cesse pas pour autant de poursuivre sa fonction économique et culturelle. Les Romains vont alors construire leur «Limes», une ligne fortifiée courant parallèlement à la frontière, composée de terrassements, de murailles et de forts. Pourtant, le limes fût bien plus qu’une ligne, car d’une part cette fortification était discontinue, et d’autre part elle se composait aussi de camps, de champs cultivés servant à l’entretien des troupes chargées de sa défense, se poursuivait par un réseau d’avant- postes et d’installations défensives, et s’appuyait largement sur une zone tampon constituée par des États clients ou alliés. Loin d’une frontière linéaire et immuable, le Rhin n’était pas considéré comme la frontière-ligne d’aujourd’hui. En effet, dans une Europe qui n’a pas de nom (l’Occident, les Gaules, la Germanie), le haut Moyen Âge ne connaît pas clairement les frontières politiques d’État. 53


54

Ce ne sera qu’à partir de l’annexion de l’Alsace par la France de Louis XVI que le Rhin constituera définitivement une frontière étatique, dont les territoires attenant seront disputés au cours des guerres. Les différents États reçoivent à partir de la Renaissance un visage plus physique que symbolique avec les premières cartes à peu près exactes dessinées, et diffusées grâce aux progrès de l’imprimerie et de la lithographie. La cartographie apporte une représentation visuelle esthétique d’un lieu d’appartenance commune enfin unifié par l’autorité qui s’y exerce. Une identité territoriale est alors nécéssaire, et doit définir ses limites, par exemple linguistique lorsque François Ier impose à son royaume l’utilisation de la langue française comme langue administrative unique. C’est par le développement du nationalisme que les frontières seront intégrées et revendiquées par les peuples. La frontière, objet des nations, cause sacrée des patries, deviendra, entre la révolution française et les Guerres Mondiales, le théâtre d’une hécatombe particulièrement effrayante. C’est afin d’épargner à l’Europe une autre catastrophe que quelques pionniers réfléchissent à Europe sans frontières (le comte Coudenhove-Kalergi, Aristide Briand, Joseph Caillaux...).

XXIe siècle, quelles frontières pour l’europe ? Depuis plus de cinquante ans, l’Europe se construit au-dessus des anciennes frontières historiques. Ayant du mal à définir quelles sont ses nouvelles limites, la supra-nationalité européenne voit un retour en force des identités régionales, établies à partir de fondements historiques imprescriptibles, parfois de revendications agressives, d’autres fois fondées sur de simples règles administratives. Au-delà de l’effacement de ses frontières internes, l’Europe a aujourd’hui besoin de donner des repères identitaires et paysagers.


BELGIQUE LUX.

METZ

KARLSRUHE

NANCY STRASBOURG

ALLEMAGNE

FRANCE ÉPINAL FRIBOURG

MULHOUSE BELFORT

BÂLE

SUISSE LÉGENDE Frontières actuelles

CARTES DE L’ÉVOLUTION DE LA FRONTIÈRE FRANCO-ALLEMANDE 55


BELGIQUE LUX.

METZ

KARLSRUHE

NANCY STRASBOURG

ALLEMAGNE

FRANCE ÉPINAL FRIBOURG

-100 : l’époque de la Tène. Des tribus celtes se partagent le fossé rhénan

LÉGENDE

MULHOUSE BELFORT

BÂLE

Trevires Mediomatriques Leuques Sequanes Rauraques

LÉGENDE Frontières actuelles

56

SUISSE


BELGIQUE LUX.

METZ

KARLSRUHE

NANCY STRASBOURG

ALLEMAGNE

FRANCE ÉPINAL FRIBOURG

200 : le «Limes romain s’érige à l’est du Rhin MULHOUSE

LÉGENDE

BELFORT

BÂLE

Terrassement Muraille Forts

SUISSE LÉGENDE Frontières actuelles

57


BELGIQUE LUX.

METZ

KARLSRUHE

NANCY STRASBOURG

ALLEMAGNE

FRANCE ÉPINAL FRIBOURG

640-740 : le duché d’Alsace s’étend au delà du Rhin. MULHOUSE

LÉGENDE

BELFORT

BÂLE

Duché d’Alsace Limites

SUISSE LÉGENDE Frontières actuelles

58


BELGIQUE LUX.

METZ

KARLSRUHE

NANCY STRASBOURG

ALLEMAGNE

FRANCE ÉPINAL

IXe siècle : le Bassin Rhénan et divisé en deux région : celle influencée par le diocèse de Strasbourg et celle influencée par le diocèse de Bâle.

FRIBOURG

MULHOUSE BELFORT

BÂLE

LÉGENDE Limites Diocèse de Strasbourg Diocèse de Bâle

SUISSE

LÉGENDE Frontières actuelles

59


BELGIQUE LUX.

METZ

KARLSRUHE

NANCY STRASBOURG

ALLEMAGNE

FRANCE ÉPINAL FRIBOURG

1648 : Traité de Westphalie, l’Alsace est annexée en partie à la France, morcelée en de nombreux territoires seigneuriaux

LÉGENDE

MULHOUSE BELFORT

BÂLE

Limites des territoires annexés à la France

SUISSE LÉGENDE Frontières actuelles

60


BELGIQUE LUX.

METZ

KARLSRUHE

NANCY STRASBOURG

ALLEMAGNE

FRANCE ÉPINAL FRIBOURG

10 mai 1871 : Traité de Francfort. La France perd l’Alsace (moins le Territoire de Belfort) ainsi qu’une partie de la Lorraine.

MULHOUSE BELFORT

BÂLE

LÉGENDE Limites

SUISSE LÉGENDE Frontières actuelles

61


(1) En 1945, une passerelle routière jouxtait le pont ferroviaire. Le pont du Rhin (tramway) a été détruit. (2) En 2017 on compte 4 franchissements entre Strasbourg et Kehl.

(1)

(2)

franchissements et usages Le Rhin, gage de réconciliation, garde les vestiges de la frontière et de son histoire. LES PONTS SUR LE RHIN

Pont ferroviaire de Kehl en 1918, il sera détruit en 1940. Gallica BnF.

Février 2017 : premier essai tram vers Kehl ©JerômeDorkel 62

La question du franchissement du Rhin est historiquement cruciale. Un pont existe à Bâle depuis 1255, un autre est construit à Breisach en 1275. Mayence attend 1661 pour enfin posséder le sien. Strasbourg est très vite consciente de l’important enjeu politique et économique que représente le passage du Rhin. Malheureusement, jusqu’au XIVe siècle elle se contente de bacs tributaires des crues du fleuve, et même lorsque des ponts durables pourront être construits, ils seront tour à tour détruits par les guerres. En 1861, on élève le premier pont ferroviaire en style néo-gothique. Il est muni, à ses deux extrémités, d’un tablier tournant qui peut être actionné en temps

de guerre pour préserver son intégrité. Malgré cela, le pont est détruit par l’armée française en 1940 puis remplacé par un ouvrage provisoire en 1945. Le pont ferroviaire actuel, qui date de 1956, a été modifié en 1966. Le pont de l’Europe (voiture) est inauguré le 23 septembre 1960. Depuis 2002, il est doublé par le pont Pierre Pfimlin qui franchit le Rhin au sud de Strasbourg avec pour vocation principale de détourner le trafic de transit des poids lourds hors des zones habitées de Strasbourg et Kehl. Depuis 2004, la passerelle piétonne Marc Mimram traverse le Jardin des DeuxRives. Début 2017, un nouveau pont pour faire passer le tramway entre Strasbourg et Kehl a été inauguré marquant encore une fois la multiplication des franchissements sur le Rhin, à chaque fois très symbolique.


Hippodrome construit en 1925 qui servira comme terrain d’exercices militaires.

La piscine l’Océade fermée en 1996 et démolie en 2001 pour accueillir le Jardin des DeuxRives.

La «Rheinbad» de Kehl construite en 1852. Dans les années 1930, des bains populaires s’étendent sur 200 mètres de longueur au bord du Rhin.

vestiges de la frontière

Blockhaus pour arme infanterie MOM près du port sud.

Le char Zimmer au centre du quartier du Port du Rhin.

Le stand de tir Desaix qui a été remplacé par la Clinique Rhéna.

De la citadelle qui exprimait la vision généreuse de Vauban réclamant la nécessaire réconciliation entre la France et les peuples vaincus, ne sont restés qu’un vestige sur la rive gauche et de la méfiance sur la rive droite. Jusqu’aujourd’hui les abords du fleuve ont été réservés aux espaces destinés à absorber les caprices du puissant fleuve, ou bien à défier le voisin badois. Mises à part quelques constructions plus ou moins éphémères, personne ne vit sur les rivages du Rhin. Même les usines les plus proches (celle de la rive Est du bassin de l’Industrie) sont à l’écart du fleuve, à l’abri derrière les remblais des voies de chemin de fer reliant la France et l’Allemagne. Pourtant à la place de l’hippodrome militaire autrefois situé au bord du Rhin en signe de démonstration militaire, on verra s’installer d’abord de 1965 à 1981 la

Une famille se balade au bord du Rhin dans les années 1950.

«piscine du motel», puis de 1986 à 1996, un vaste complexe de loisirs aquatiques appelé «l’Océade». Le complexe fît faillite et son emplacement fera ensuite place au parc transfrontalier des Deux-Rives que l’on connaît aujourd’hui. D’autre part, les rives du Rhin ont été concernées par la construction de la ligne Maginot par la main-d’œuvre militaire (MOM) pendant la drôle de guerre, créant un maillage d’ouvrages militaires comme des blockhaus, des casemates et des observatoires. Certains ont été détruits comme le stand de tir Dessaix, d’autres sont mis en valeur comme le char Zimmer, mais la plupart sont oubliés et on les découvre au hasard d’un parking.

63


NIVEAU ÉTATIQUE

NIVEAU EUROPÉEN

EUROPE FRANCE ALLEMAGNE SUISSE LUXEMBOURG

EUROPE

1963

1975

2003

Signature du Traité de l’Élysée, engagement irrévocable de la France et de l’Allemagne pour la paix, l’amitié de leurs peuples et l’Europe

Accord intergouvernemental franco-germanosuisse de Bonn

Création du conseil des ministres francoallemand

1996 Accord de Karlsruhe, visant à faciliter la coopération transfrontalière

1975

1980

Commission intergouvenementale franco-germano-suisse

allemagne

FRANCE

Commission intergouvenementale francogermano-luxembourgeoise, relais vers les gouvernements

crée

2009 Dialogue franco-allemand sur la coopération transfrontalière

NIVEAU LOCAL

NIVEAU RÉGIONAL

2010 Région métropolitaine trinationale du Rhin supérieur lie

1988

1975

Congrès Tripartites (se réunissent tous les 2 ans)

1988 Conseil Rhénan

2003 40e anniversaire du Traité de l’Élysée : convention franco-allemande pour la création d’un eurodistrict

2005 Eurodistrict Strasbourg-Ortenau

1988 Eurodistrict Regio PAMINA

2010 Création d’un Groupement Européen de Coopération Territoriale

64

Conférence du Rhin supérieur

2006

2007

Eurodistrict Region Eurodistrict Freibourg -Centre et Trinational de Bâle Sud Alsace

L’accord de Karslruhe a été signé entre la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse. L’ Accord autorise les collectivités territoriales et certains organismes publics à conclure des conventions de coopération et à créer des organismes de coopération dotés ou non de la personnalité juridique. Le concept de Région Métropolitaine Transfrontalière (RMT) vise à simplifier et à rationaliser l’espace de coopération. Il s’agit ainsi de travailler sur la complémentarité et le rapprochement entre les structures existantes en redéfinissant leurs rôles et portées. Par ailleurs, la RMT vise à améliorer la coordination multi-niveaux qui passe par la prise en compte des réseaux et des territoires et structures de coopération du niveau local. La Conférence francogermano-suisse du Rhin supérieur constitue le cadre institutionnel de la coopération sur le territoire. Elle a pour finalité de promouvoir un développement métropolitain durable et d’accroître le niveau de coopération et le transfert de connaissances. Le Conseil Rhénan est une instance de représentation et de concertation politique qui réunit des élus issus des niveaux régionaux et infrarégionaux de collectivités du Rhin supérieur.


coopérer Une coopération bien établie mais qui rencontre toujours des difficultés à s’exprimer dans le territoire.

Les coopérations institutionnelles au sein du Rhin supérieur Gouvernance Cadre juridique (outil) 1995 Date de création

RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION

ZOOM sur l’eurodistrict strasbourg-ortenau

Le 22 janvier 1963, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer signent le Traité de l’Élysée, consacrant l’engagement irrévocable de la France et de l’Allemagne pour la paix, l’amitié de leurs peuples et l’Europe. En 1975, l’accord intergouvernemental franco-germano-suisse de Bonn crée une commission intergouvernementale chargée de faciliter l’étude et la solution des questions transfrontalières. Depuis cet accord, la frontière franco-allemande fait l’objet d’une coopération transfrontalière intense et très avancée. En 2003, à l’occasion du 40e anniversaire du Traité de l’Élysée, le président français Jacques Chirac et le chancelier allemand Gerhard Schröder affirment leur volonté de développer la coopération et une intercommunalité transfrontalière. Ils appellent à la création d’Eurodistricts, structure sans personnalité juridique en faveur de la coopération transfrontalière. Depuis la fin des années 1980, environ 450 projets transfrontaliers ont été mis en place dans le Rhin supérieur, plaçant cette coopération parmi les plus avancées d’Europe.

L’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau est un territoire franco-allemand rassemblant des communes de part et d’autre du Rhin. Ainsi, l’Eurométropole de Strasbourg, des Communautés de Communes du Pays d’Erstein, du Rhin, et de Benfeld et environs d’un côté et l’Ortenaukreis de l’autre, se sont regroupées pour faire disparaître la frontière, faire tomber les barrières administratives, et faciliter la vie quotidienne des habitants. L’Eurodistrict dispose d’un statut particulier, le GECT (Groupement Européen de Coopération Territoriale, doté de la personnalité juridique), qui en fait un territoire européen pilote pour favoriser les échanges transfrontaliers et développer des projets. Le groupement est principalement actif dans tous les domaines de la vie quotidienne, du transport à la santé en passant la culture ou le sport, en faisant participer les citoyens et les associations. Pourtant son potentiel sous-estimé par les politiques publiques et l’organisme est parfois ignoré lors des projets d’aménagement (comme l’Axe DeuxRives). 65


90 ans et +

1%

1%

80-90

5%

5%

70-80 60-70

Strasbourg

15%

6%

-1,7%

-1,8%

50-60 40-50

42,2%

Kehl

Évolution du peuplement de la commune, en pourcentage entre 2007 et 2012

15,5%

5,7%

3,6%

5,8%

Part de la superficie agricole consacrée à l’agriculture biologique en 2012

Vacances passées dans le pays de résidence, en pourcentage

7%

11%

12%

11%

13%

16%

14%

15%

30-40

12%

12%

20-30

12%

12%

10-20

12%

10%

0-10

12%

9%

Répartition de la population par tranche d’âge, en 2014

26%

Travail, école

34% 18 992 12 528

515 000

exploitations

13 967

299 000

27 403

exploitations

33%

Loisirs

33%

Courses, activités domestiques

33%

41%

5 835 2020

1 178 Nombre d’exploitations agricoles

Cheptel national : en milliers de têtes, en 2011

73,3%

65%

81% Route

23%

15% Rail 4% Fluvial

12%

13,8%

2030

2040

2050

2060

Projection démographique de la population d’ici à 2060 en millions d’habitants

15,4%

Nucléaire

217 3,2%

Hydraulique

6 024 770 ha

8,1%

84

60,7% Fossiles

4,8%

milliards de km

20,7%

milliards de km

Kilomètres parcourus sur autoroute par l’ensemble des véhicules en 2010

Sources d’énergie électrique, en 2013

216 400 ha

de parcs nationaux

de parcs nationaux

48 030 ha

831 459 ha

d’aire marine

Renouvelables

Répartition du transport de marchandises par mode de transport en 2013

Répartition des trajets par motifs en 2005

d’aire marine

Parcs nationaux, superficie en hectares

30%

48% Catholiques 23 millions

Urbain

2%

34 millions

6% 23 millions Péri-urbain 34 millions

19 millions

66

Rural

6,8%

31,2%

Musulmans

1%

4% 0,2%

Juifs

13 millions

Répartition en nombre d’habitants en 2012

29% Protestants

2004 Vacances passées à l’étranger, en pourcentage

Religions, en pourcentage de la population

2006

2008

2010

2012

Déchets recyclés en kg, par personne et par an


éloge de la différence Comment tirer parti des différences d’usages entre la France et l’Allemagne ?

(1) Tétranormalisation : ce concept désigne les problématiques posées aux entreprises et aux organisations par la normalisation croissante dans les quatre (tetra en grec) grands corps de normes auxquels elles sont soumises : les normes comptables et financières ; les normes sociales ; les normes qualité, sécurité et environnement ; les normes commerciales et techniques.

(2) V. MOTTET (2016) Construire une agglomération transfrontalière.

fSérie de données racontant les différences et les ressemblances entre la France et l’Allemagne. D’après Un jour en France-Allemagne, 24 heures de data, arte tv.

DÉMULTIPLICATION NORMATIVE Un territoire transfrontalier est une émanation par essence des entités qui le composent, chacune étant soumise aux normes de son État. Il en résulte une «démultiplication normative» aussi appelée «tétranormalisation» (1), source de tensions, de complications et de conflits potentiels entre acteurs aux logiques d’actions différentes. La mise en place d’une stratégie de développement commune se heurte souvent à des actions dont le raisonnement est souvent «automatique» et conduit à des routines défensives qui sont un obstacle au changement et à l’organisation. Cependant, lorsqu’une entité (individu, groupe, organisation) parvient à surmonter ses routines défensives, elle devient «apprenante» (2). D’après les travaux de Chris Argyris (1970), une entité «apprenante» a les qualités suivantes : • capacité à analyser et anticiper le changement • capacité à mettre en doute, à provoquer et à modifier les normes de fonctionnement • capacité à changer de direction stratégique et de modèle d’organisation Ainsi, la créativité et une certaine liberté

laissée aux acteurs favorisent une culture du changement et la prise de risque, ce qui présuppose une certaine ouverture au dialogue.

surmonter les contradictions normatives Pour construire une agglomération transfrontalière, il faut non seulement prendre conscience de nos différences mais aussi réussir leur intégration dans une vision commune. Dans cette perspective, les métiers de l’aménagement du territoire et du conseil, dont celui de paysagiste, peuvent faire office d’outil de pilotage des projets transfrontaliers, en tant que facilitateurs de dialogue et d’échange entre les partenaires. D’autre part, l’aménagement paysager permet de mettre en exergue les différentes identités et différences normatives qui peuvent enrichir un espace public. On voit notamment en Allemagne une mixité sociale dans les éco-quartiers bien plus prégnante qu’en France, et à Kehl où des habitants entretiennent eux même les aires de jeux pour les enfants, une grande originalité dans les usages coopératifs en France, tant d’originalités qui peuvent contribuer à dessiner un territoire transfrontalier innovant. 67


enseignements L’analyse de la frontière franco-allemande à l’échelle du bassin rhénan supérieur a permis de démontrer que ce dernier représente une unité territoriale et paysagère transfrontalière qui est peu perçue comme telle aujourd’hui. En effet bien que le Rhin structure le territoire, tant par son attractivité économique que par ses propres dynamiques, l’homme a longtemps pensé devoir lutter contre le fleuve pour pouvoir le maîtriser et en tirer profit et en a fait un élément de frontière alors qu’il est au contraire un lien paysager entre la France et l’Allemagne. De nos jours les préoccupations politiques de l’Europe et la prise de conscience des enjeux environnementaux mènent à effacer les frontières entre les pays membres et à repenser le paysage à l’échelle locale. Or ce «retour en arrière» s’avère être difficile à mettre en œuvre tant les différences entres les deux pays ont été marquées et ont créé des développements se tournant le dos. Nous allons voir à présent qu’à l’échelle de Strasbourg et Kehl, la frontière devient un élément concret faisant partie du paysage quotidien de deux villes qui cherchent à se développer ensemble.

68


03 VILLE-PORT

69


70


Nous allons détailler comment la frontière a influencé le développement de la ville. Tournée dos à l’Allemagne, Strasbourg cherche à s’ouvrir vers l’Est et profiter du potentiel foncier disponible des zones frontalières. Or ces terrains autrefois négligés sont aujourd’hui structurellement marqués par la frontière. En effet, le Port Autonome de Strasbourg et son complexe industrialo-portuaire forme un dédoublement de la frontière qui complique l’arrivée de l’urbanisation. Comment définir la ville portuaire et quelles sont ses caractéristiques ? Comment arriver à une imbrication ville-port ?

71


RÉTICULARITÉ FLUVIALE Moyenne

Dominante

Réduite

Réduite

Hub

Moyenne

Avant-port

Port urbain

Ville-port

Port d’hinterland

Dominante

CENTRALITÉ URBAINE

Village côtier

Ville généralisée

Schéma de définition de la ville portuaire, d’après C. Ducruet, 2008. 72

Ville fluviale

Métropole portuaire


UNE VILLE PORTUAIRE ? Entre réticularité fluviale et centralité urbaine comment définir la ville portuaire ?

une dissociation (1) M.

(2) C. Ducruet, 2008.

Les relations entre ports et villes portuaires sont aujourd’hui sujets à une dissociation spatiale et fonctionnelle. Les causes de ce phénomène sont l’incompatibilité de deux dynamiques actuelles : la recherche d’une accessibilité et d’une productivité maximales par les opérateurs du transports et de la logistique et d’un autre côté les stratégies urbaines de croissance tertiaire et industrielle. De plus, les impératifs environnementaux actuels accélèrent la distanciation entre ville et port. Pourtant à l’échelle métropolitaine, espaces urbains et infrastructures portuaires gardent une interdépendance fonctionnelle, le port restant une fonction urbaine comme une autre, et rayonnent sur des espaces bien plus vastes.

tentative de définition Le nombre de villes portuaires et leur diversité empêchent d’en exprimer une définition consensuelle. Pourtant on sait ce qu’elle n’est pas et ce dont elle se distingue : les ports sans ville et les villes sans port. Son rôle dans l’espace géographique est pourtant clair : il s’agit d’un «nœud

de circulation à l’interface des réseaux maritimes et terrestres» (1) dont la fonction originelle en fait une « synapse », un « point-clé de l’organisation de l’espace », une « ville-nœud de communication ».

quelle typologie ? Or les deux grandes orientations des villes portuaires (fonction urbaine, fonction portuaire) se combinent de façon variable. On peut affiner la théorisation la ville portuaire d’une autre façon, en deux concepts fondamentaux stables dans l’espace et dans le temps (2) : la «centralité», une puissance d’attraction autour d’un point central, un nœud dans un réseau, et la «réticularité», propriété d’un lieu à créer du réseau ou à être une partie d’un réseau. C’est-à-dire le niveau d’insertion dans les réseaux des opérateurs de transport. On peut donc considérer que la définition de la ville portuaire repose sur son équilibre entre réticularité fluviale et centralité urbaine (voir schéma ci-contre). Aujourd’hui à Strasbourg la centralité urbaine domine une réticularité fluviale moyenne en faisant une ville fluviale. Comment la ville de Strasbourg peut-elle reconsidérer son degré d’interdépendance et aller vers une reconnexion avec son port, afin de trouver l’équilibre d’une ville portuaire ? 73


Un ancien terminal conteneur du Bassin du Commerce. 74


Le nouveau pont du tram enjambe le bassin Vauban entre les friches Citadelle et Starlette. 75


Dans le quartier du Port du Rhin, la place de l’Hippodrome avec ses deux Êglises jouxte les nouveaux logements. 76


Le nouveau terminal conteneur Nord et sa vue sur le Bassin du Commerce jusqu’aux Grands Moulins de Strasbourg. 77


La Société des Malteries d’Alsace surplombant l’Île aux épis. 78


Tag au niveau de la Coopérative Alsace «Je suis un habitant du Port du Rhin». 79


ill

LÉGENDE Ville romaine 720 : 1

ère

canal de la marne au rhin

extension

1201-1220 : 2ème ext. 1228-1344 : 3ème ext. 1374-1390 : 4ème ext. 1387-1441 : 5ème ext. 1682-1684 : Citadelle Vauban 1880-1904: 6ème ext. Schéma des extensions de la ville de Strasbourg

La ville de Strasbourg, perspective à vol d’oiseau, 1572, Frans Hogenberg.

ill

canal de dérivation

DÉVELOPPEMENT DE LA VILLE ARGENTORATUM, FONDATION ROMAINE

ROMAIN GERMANIQUE (VIE-XVIIE SIÈCLES)

Vers l’an 12 avant J.C., un îlot du domaine alluvial marécageux du Rhin, de l’Ill et de la Bruche est choisi pour y installer un des nombreux fortins des légions romaines établis sur la frontière du Rhin, appelé Argentoratum. Cette enceinte, de 19 ha, dont le tracé sera conservé longtemps dans la topographie de la ville, était enserrée sur ses quatre côtés par des bras d’eau de l’Ill et de la Bruche. Le périmètre et les axes du camp romain (cardo et decumanus) sont encore en partie lisibles aujourd’hui.

Hors de l’enceinte de l’ancien camp romain, l’urbanisation s’étend, sans discontinuité, sur une trentaine d’hectares au sud-ouest de l’ellipse insulaire. En 1262, Strasbourg devient Ville libre du Saint-Empire romain germanique. Elle est défendue par d’imposantes murailles construites peu à peu pour protéger les différents quartiers. La dernière extension du Moyen-âge visera à protéger la position stratégique de la ville par rapport aux accès au Rhin. À partir de 1576, des aménagements sont réalisés aux abords extérieurs de la ville afin d’adapter le système défensif au

LA VILLE LIBRE DU SAINT EMPIRE 80


Plan de Strasbourg de 1644 selon Merian.

développement des techniques de siège. La silhouette de Strasbourg change. La modernisation de l’enceinte se poursuit au XVIIe siècle avec une succession de systèmes de défense, du type de ceux préconisés par Vauban. Au fur et à mesure des agrandissements de l’enceinte, la ville civile atteint la superficie de 202 hectares à la fin du XVe siècle. La dernière extension constituera la limite de la ville et ne changera plus jusqu’en 1871.

DE LA VILLE LIBRE ROYALE À LA VILLE INDUSTRIELLE (1681-1871) L’importance stratégique de Strasbourg par rapport au Rhin n’échappe pas à Louis XIV qui rattache la Ville au Royaume de France après sa capitulation le 30 septembre 1681. Strasbourg devient une place-forte à la frontière du royaume ainsi qu’une grande ville de garnison. Vauban intervient à Strasbourg dès octobre 1681. Il intègre les ouvrages stratégiques existants et ajoute des ouvrages avancés comme la Citadelle. Le XVIIIe siècle est propice à l’organisation de la noblesse et de la bourgeoisie, dont la ville porte aujourd’hui encore la marque

sensible grâce aux hôtels particuliers. Une des amélioration, en terme d’usage public, est l’aménagement de promenades, souvent plantées de tilleuls, intra-muros comme hors les murs. Ce n’est qu’à partir de 1830, profitant du renforcement de son rôle de carrefour, que la Ville va entreprendre sa première modernisation (éclairage, assainissement, pavage de la voirie, trottoirs, ...). L’ouverture du canal du Rhône au Rhin, en 1833, est l’occasion de moderniser le port et de créer un nouvel espace économique au nord de la ville. Les ponts sont rénovés ou reconstruits, des quaisboulevards sont aménagés. La gare ferroviaire du Marais-Vert, mise en service en 1852, déplace le centre de gravité de l’activité économique au nord du centre ancien.

LA CAPITALE DU REICHSLAND ET LA MODERNISATION DE LA VILLE (1871-1939) Au lendemain du traité de Francfort qui met fin à la guerre franco-prussienne (1870-1871), Strasbourg, jusqu’alors préfecture de département, devient 81


La ville et ses canaux, XVe-XVIIe siècles.

Schémas de l’évolution de Strasbourg et Kehl au fil du temps, d’après Agence Ter, Cahier 1.

82

La ville Citadelle, XVIIe-XVIIIe siècles.

capitale du Reichsland Elsass-Lothringen, Land impérial, placé sous la tutelle directe de l’Empire. Elle est amenée à se doter d’institutions de prestige (Université impériale, Ministères, bâtiments officiels), mais également à connaître un important développement industriel et économique afin de devenir une ville moderne susceptible de rayonner sur tout l’espace du Rhin supérieur. Enfin, parce qu’elle demeure une place forte, désormais tournée vers la France, elle doit pouvoir accueillir une importante émigration allemande venue germaniser la ville et garantir sa fidélité en cas d’un conflit avec la France. Pour cela, un périmètre d’extension est arrêté en 1875 qui triple la superficie de la ville. Le plan d’extension est fortement marqué par les principes de composition néoclassique dans lesquels on peut aisément déceler l’influence de Haussmann. En cela, la Neustadt apparaît comme un manifeste de la modernité allemande.

La grande entreprise des années 1900 dans le centre ancien est sans conteste l’opération de percée urbaine, communément appelée Grande Percée, destinée à assainir le centre ancien insalubre en démolissant 135 immeubles vétustes, pour faciliter le trafic et permettre le développement du commerce. Pour reloger la population Strasbourg lancera une campagne de construction de logements sociaux. La période de l’entre-deux-guerres se singularise par la poursuite et l’amplification d’une politique volontariste en matière de logement social. Bien qu’une réflexion sur la ville, intégrant les faubourgs par delà les fortifications, ait déjà été engagée avant 1918, la loi de déclassement de l’enceinte de Strasbourg, promulguée en 1922, constitue une réelle rupture dans l’histoire du développement urbain. En 1925, un concours est ouvert pour concevoir un plan d’extension à l’échelle de l’agglomération. Le plan d’aménagement, d’extension et


Le port hors la ville, XIXe-XXe siècles.

La ville-port, XXIe siècle.

d’embellissement de Strasbourg finalisé en 1935-1937, le plan Laforgue, apparaît comme le résultat de cette entreprise. Son échelle, intégrant, outre les faubourgs, plusieurs communes de banlieue, témoigne d’une réflexion désormais menée sur l’ensemble de l’agglomération. Bloqué par la guerre, le plan ne sera pas mis en œuvre dans sa forme initiale.

UNE VILLE EN TRANSFORMATION ET PRÉSERVÉE (DEPUIS 1945) Après les destructions de 1939-1945, le centre ancien est «aéré». En effet, Strasbourg est détruite à 20% et est déclarée «ville sinistrée». La ville se densifie dans un premier temps grâce à deux plans d’urbanisme (le plan Calsat de 1969 qui fixa les grands axes de circulation et le Plan d’Urbanisme Directeur -PUD permettant de poursuivre le déserrement du centre-ville), avant de laisser place, à la fin des années 70, aux premiers secteurs piétonniers.

En effet, le «tout voiture» avait largement dégradé l’espace public et, notamment, la place Kléber. Ainsi, dès 1994, Strasbourg montre la voie en matière de transport en commun (tramway) et de déplacements automobiles(avec un projet novateur de boucles de circulation évitant l’hyper centre).

une nouvelle extension Depuis les années 1990, les différentes gouvernances ont souhaité étendre la ville vers Kehl le long des friches portuaires. Ces initiatives finissent par se réaliser sous l’impulsion de l’extension de la ligne D du tram jusqu’à Kehl, desservant Citadelle, Starcoop, Port du Rhin et la gare de Kehl. Ce nouvel acte de coopération transfrontalière fait effet levier quant à l’urbanisation de l’Île aux épis, dont un schéma directeur et un plan guide pilotent l’extension.

83


(1), (2) et (3). La cité louis Loucheur, années 1930, Exposition Rhenus - Rhein - Rhin : histoire d’une ville et de son fleuve, 2012-213 Archives de Strasbourg 84


zoom : le quartier du port du rhin la cité loucheur

(2)

(3)

Le quartier du port du rhin aujourd’hui

Le projet du quartier des rives du Rhin s’inscrit dans une politique nationale de construction de 200 000 logements sociaux. C’est un certain Paul Loucheur, alors ministre, qui met en œuvre cette volonté. Cette cité reçoit ses premiers locataires en 1931. Le quartier est conçu par le même architecte que les cités Siegfried et Risler à Neudorf, Paul-Frédéric Dopff. Les logements sont jugés d’avant-garde, notamment pour la qualité et l’importance des espaces verts, la proximité des équipements, des commerces et des emplois. Pourtant très vite c’est la ligne Maginot, censée répondre à la menace nazie qui sera construite à quelques mètres des immeubles. Abris enterrés puissamment bétonnés et bunkers lourdement armés feront face à l’ennemi.

un quartier enclavé

Le poste de douane lors du sommet de l’OTAN en 2009.

Malgré ces constructions immobilières, la population reste faible. Le Port du Rhin compte environ 1500 résidents. Le secteur habité représente 18 hectares à rapporter aux 1253 hectares de la zone d’activité et aux 552 hectares occupés par les espaces naturels. La question du désenclavement du quartier se pose très tôt. En effet, dès

1898, le Port du Rhin est relié au tramway, qui connecte, jusqu’en 1920, Strasbourg à Kehl via le quartier du Neudorf. Il quitte le Port du Rhin le 1er mai 1960. Les autobus desservent le quartier à partir de 1929. Le quartier sera habité notamment par les ouvriers travaillant dans l’industrie et dans le commerce du Port (Forges, Port autonome, Coopérative…), puis par les familles nombreuses.

quel avenir pour le quartier? De nos jours ce quartier n’est toujours desservi que par une ligne de bus et est déconnecté du centre-ville. Seul 6% de la population qui y vit travaille encore dans les industries de l’île aux épis, et représente le quartier au plus fort taux de chômage de la ville. En 2009, lors du 21ème sommet de l’OTAN à Strasbourg, un contre-sommet a lieu dans la ville. Un Black Bloc se livre à des exactions dans le quartier du Port-duRhin, près du pont de l’Europe, plusieurs équipements sont saccagés (poste de frontière, églises, hôtel, ...). Les politiques publiques mettront du temps à rénover la quartier laissant un sentiment d’abandon. Malgré les récents aménagements, la population ne se sent toujours pas concernée, alors que bientôt la nouvelle extension de Strasbourg vers l’Est viendra peut-être tout changer. 85


200

1300

1320

1340

IIIe siècle

1331

Preuves de l’existence d’un port gallo-romain à Strasbourg

Fondation de la corporation de l’Ancre

XIVe siècle

1360 1356-58

Édification de l’Ancienne Douane, ou Kaufhaus

1380 1370 Monopole de la navigation sur les rivières alsaciennes et sur le Rhin jusqu’à Mayence, confié aux bateliers et Strasbourg

1388

XVIIe siècle

1660

1640

1620

1600

1400

1831

1804 1681 Rattachement de Strasbourg au royaume de France

1681

XIXe siècle

Le traité de Ryswyck fait du Rhin une frontière politique

1680

Construction du premier pont fixe sur le Rhin

1700

Traité de l’Octroi du Rhin, premier document international organisant la navigation rhénane et la centralisation de la perception des droits ou taxes

1800

La convention de Mayence supprime les privilèges issus de l’Ancien Régime mais maintient les droits et taxes de navigation sur le Rhin

1820

1840

1815 1935 1955 1969 Le trafic rhénan Inauguration du terminal conteneurs et de son premier portique dans le port Sud

dépasse pour la première fois 6 millions de tonnes

Réalisation des avant-ports Nord et Sud

Le creusement des bassins du Commerce et de l’Industrie marque l’ouverture directe sur le Rhin

1940

1956

1940 & 1944

Destruction des ponts sur le Rhin

1920 1926

2004 Inauguration du 1er portique au terminal conteneurs Nord

1980

1998

Ouverture de la plateforme routière Eurofret sur le terminal conteneurs Sud

Inauguration du 2e portique au terminal conteneurs Nord

2008

1897 1er pont-route entre Strasbourg et Kehl

1919

2020

2000

1892

1868

Ouverture à la L’acte de navigation du Mannheim abolit bassin d’Austerlitz, les droits et taxes origine du port de navigation sur moderne le Rhin

1880 1882 Ouverture du bassin de l’Hôpital sur le canal de dérivation sud. Le port de Strasbourg quitte le cœur de ville

Le siège de la Commission Centrale pour la navigation du Rhin est déplacé à Strasbourg

2010

Mise en service du terminal multivrac au bassin du Commerce

Augmentation à 460 tonnes de la capacité du portique colis lourds au port de Strasbourg

Reprise des travaux de régularisation du Rhin

Mise en service du 2e portique du terminal conteneurs Nord

2000

Le Congrès de Vienne confirme la liberté de navigation sur le Rhin et crée la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin

1900

1906-1924

L’établissement public «Port autonome de 1947 Strasbourg» Début du service est créé en touristique de application de bateaux-promenades la convention du port, qui du 20 mai 1923 deviendra Batorama

1980

86

1901

1939-1945

Convention francoallemande sur les aménagements hydroélectriques du Rhin

à partir de 1963

Réalisation du Port aux Pétroles (étendu en 1963), de l’écluse sud, des bassins des Remparts, XXe siècle Vauban et René Graff

Arrêt de l’activité portuaire, l’administration du P.A.S. se replie à Paris, Périgueux puis Lyon

1960

Travaux d’aménagement de la zone sud et des zones annexes de Marckolsheim à Lauterbourg

1927-1931

2016 90 ans du P.A.S. Filiation des activités Batorama et conteneurs (RET)

2014 Mise en service du portique ferroviaire du terminal conteneurs Nord

2013 Année de fréquentation record pour Batorama, avec près de 800 000 passagers

1840 Convention franco-badoise de correction du Rhin entre Strasbourg et Bâle

1841-1876 Travaux d’aménagement du Rhin entre Bâle et Strasbourg

1860 1853 Ouverture du canal de la Marne au Rhin


le port autonome de strasbourg D’une déconnexion à une reconnexion avec la ville Les activités portuaires à Strasbourg

j Frise chronologique de l’histoire du Port Autonome de Strasbourg.

L’eau et l’organisation des activités portuaires ont joué un rôle important dans le développement de Strasbourg. En effet, l’histoire de Strasbourg et celle de son port sont étroitement liées. Les premières installations sont situées sur l’Ill, très en retrait du Rhin, dont l’aménagement est difficile du fait des crues et de l’instabilité des chenaux. Mais la ville vit néanmoins au rythme du fleuve : Strasbourg profite de sa situation sur l’axe commercial entre les Pays-Bas et l’Italie du Nord que constitue le Rhin. Dès le Moyen Âge, Strasbourg tire pleinement profit de son fleuve, ce qui assure un pouvoir considérable à la corporation de l’Ancre, regroupant les bateliers depuis 1331. Elle obtient rapidement le monopole du transport de personnes et de biens sur le Rhin entre Strasbourg et Mayence. À la fin du XVIIIe siècle, la réalisation des canaux du Rhône au Rhin et de la Marne au Rhin permettent à Strasbourg d’accéder au marché domestique français. Un canal de jonction qui contourne le centre-ville par le sud est construit en 1882. Afin d’asseoir son développement, la ville finance dès 1886 la construction d’un port moderne. Elle entreprend la construction du port de la porte des

Bouchers, dans la première zone des fortifications militaires allemandes. Ce port, ensuite renommé port d’Austerlitz, est ouvert au trafic commercial en 1892, constituant une porte d’entrée vers le Rhin. La construction des bassins du Commerce et de l’Industrie à partir de 1896 marquera l’ouverture de la ville sur son fleuve, près de deux décennies après l’annexion allemande de 1871. Dans le contexte d’après-guerre et pour permettre le développement du port sur le Rhin, le Port autonome de Strasbourg, établissement public associant la Ville et l’État est créé en 1924.

LES TEMPORALITÉS URBAINES ET PORTUAIRES Pour comprendre la dynamique géographique de la relation ville-port à Strasbourg, deux logiques spatiales doivent être considérées, celle générale du lien ville-port et celle de l’évolution spécifique d’un espace frontalier. On remarque alors trois temps urbanoportuaires : • Le premier temps, celui de la connexion, correspond à ce qui peut être appelé un « urbanisme des canaux », c’est-à-dire un aménagement à usage portuaire des quais urbains disposés autour de la 87


e dé al d can

na ca

1853 Canal Marne-Rhin Ouverture à la navigation ca na lM ar ne -R hi n

ion rivat

1927 et 1963 Port aux pétroles

1927 Avant-port Nord

ar t emp x-r u a uf ld

XIVe - milieu du XIXe Extension de l’exploitation des quais

1901 Bassin du Commerce 1927 Bassin des Remparts 1901 Bassin de l’Industrie

1358 Ancienne douane Début de la construction du premier port «Kaufhaus»

1882 Bassin de l’Hôpital Création du port de canaux de la Porte de l’Hôpital

lig ne S

ld cana

e jonction

1892 Bassin d’Austerlitz Inauguration et mise en service du bassin de la Porte des Bouchers

1892 Ancienne douane Creusement du canal de jonction entre le canal Rhin-Rhône et le canal Marne-Rhin

tra sb ou rg -K eh l

1833 Canal Rhin-Rhône Ouverture à la navigation

1931 Bassin Vauban et René Graff

1930 Écluse Sud 1945 Extension port Sud 1980 Eurofret Strasbourg

0

Carte des aménagements successifs du port de Strasbourg 88

Espace urbanisé au début du XIXè s. Espace urbanisé au début du XXIè s.

0,5

Fleuve et canaux Quais aménagés Canaux comblés

1935 Avant-port Sud

1

1,5

Chemin de fer Anciens péages

2 km


LÉGENDE Fleuve et canaux Espace urbain Espace portuaire Friches portuaires

Dynamique des activités portuaires Zones naturelles protégées Schéma des trois temps de la relation ville-port, d’après A. Beyer et J. Debrie, 2012

Grande Ile. Les restrictions stratégiques imposées par les impératifs du commandement militaire d’une citadelle et les transformations hydrologiques du Rhin, empêchent le redéploiement du port pour le confiner à l’espace intra muros. • Le deuxième temps, celui de la déconnexion, se traduit par une dissociation des fonctions portuaires et urbaines autorisée par un déplacement rhénan des infrastructures portuaires. Il correspond ici à l’intégration de la ville dans l’Empire allemand, quand se desserrent les impératifs défensifs et s’ouvrent de nouveaux horizons commerciaux. La morphologie de la ville reste aujourd’hui en grande partie marquée par cette dissociation ouest (fonctions urbaines) - est (fonctions industrielles et portuaires). Cette dissociation prend la forme d’une coupure et le port va rester pour longtemps une extraterritorialité et donc un impensé dans les réflexions sur la planification urbaine. De plus, la frontière va placer le port dans une situation doublement périphérique. Les installations industrielles, militaires et douanières en font un puissant glacis qui double le trait frontalier. Le port, plus que le Rhin, marque donc la barrière ultime de l’agglomération.

• De la coupure à la couture, le troisième temps, celui de la reconnexion, semble alors émerger. Il correspond, là encore, à la modification de la portée de la frontière, où le contexte européen d’ouverture amplifie la logique d’intégration. L’ambition du projet d’une agglomération transfrontalière place en effet l’espace portuaire en position centrale. Les autorités portuaires développent ici une fonction d’opérateurs fonciers en lançant la reconversion de certaines friches portuaires. Ce mouvement épouse une forme originale liée à ce choix de développement transfrontalier et donc de la reconversion d’une ligne ouest-est qui traverse les espaces portuaires et en associe étroitement les acteurs. D’autre part, cette reconnexion nécessite de repenser les schémas de la distribution urbaine des marchandises. Le port peut alors devenir un outil de la durabilité en assumant une fonction logistique pour la ville et en contribuant à la réduction de la congestion et de la pollution urbaines. La ville dans le port (reconversion tertiaire des friches portuaires) et le port dans la ville (la desserte urbaine de marchandises) sont donc deux faces actuellement explorées par les acteurs urbains et portuaires qui pourraient consolider un temps nouveau de la relation ville-port. 89


10

Les Grands Moulins

01

Square Louise Weiss et le quai du Woerthel

09

Les Bassins du Commerce et de l’Industrie

02

L’ancienne Douane 6, rue de la Douane

04

La presqu’île Malraux après réaménagement

06 La Capitainerie 5, rue du Port du Rhin 05

08

La Malterie, 7, rue du Port du Rhin

Le Bassin Dusuzeau Quai des Belges

07 La Société Coopérative de Consommation de Strasbourg - La Coop

11

Carte du patrimoine portuaire de Strasbourg 90

12

Les Magasins Vauban

0

0,5

Le Jardin des Deux-Rives

1

1,5

2 km


PATRIMOINE INDUSTRIEL Le charme discret du port et de ses infrastructures

01 Le Square Louise Weiss et le quai du Woerthel

01

Le quartier de la Petite France est, depuis l’installation du barrage Vauban, un quartier privilégié pour les activités portuaires. Les canaux permettaient un acheminement aisé des marchandises, stockées dans les entrepôts le long du quai du Woerthel.

02 L’Ancienne Douane 02

03

04

Dès le XIIe siècle, Strasbourg tire parti de sa situation et se spécialise dans le commerce de transit. Les marchandises, dont le transport est plus facile par voie d’eau que par la route, sont acheminées depuis le Rhin vers la ville, par un canal aujourd’hui disparu, le Rheingiessen. Situé sur le bord de l’Ill, l’édifice faisait à la fois office d’entrepôt, de douane et de comptoir de vente.

03 La presqu’île Malraux et le môle Seegmuller Située dans le port de la porte des Bouchers, futur port d’Austerlitz, la presqu’île Malraux se trouvait dans la zone non aedi candi qui jouxtait les fortifications. Les premières constructions qui y furent élevées étaient donc précaires, souvent en bois, pour pouvoir être

détruites facilement en cas de nécessité. Suite à l’incendie qui ravage le site en 1928, le Port autonome charge l’architecte Gustave Umbdenstock de la conception des nouveaux bâtiments à l’architecture soignée, conçus pour dialoguer avec la ville. En septembre 2000, la fermeture de l’entreprise Seegmuller met un terme définitif à l’activité portuaire du secteur.

04 Projet de réaménagement de la presqu’île Malraux À l’abandon depuis les années 2000, le site a fait aujourd’hui l’objet d’un vaste projet d’urbanisme associant équipements publics, commerces et logements. En 2003, le lieu est choisi pour accueillir la médiathèque Malraux.

05 Le Bassin Dusuzeau Constituant la partie est du canal de jonction, qui relie le canal du Rhône au Rhin au canal de la Marne au Rhin à l’est, le bassin Dusuzeau est mis en service en 1882. Ce bassin, ancien port charbonnier de la ville, a accueilli jusqu’au milieu du XXe siècle différentes activités relatives au charbon. À partir de 1973, le Port autonome, conformément aux préconisations du plan directeur élaboré en 1963, cède à la Ville de Strasbourg les 91


05

06

07

terrains situés entre le bassin Dusuzeau et la route du Rhin, au fur et à mesure de l’extinction des contrats d’occupation, anticipant ainsi la reconversion urbaine en cours.

Eugène Haug. Aujourd’hui, hangars et bureaux sont partiellement abandonnés. La Coop utilise pour ses besoins 15% des surfaces et une partie des locaux est louée à des artistes.

06 La Capitainerie

08 La Malterie

Siège de l’administration portuaire, la capitainerie a été édifiée en 1899 par l’architecte strasbourgeois Gustave Oberthur dans un style néomédiéval. L’emplacement central de la capitainerie est stratégique : il permet de fermer le bassin de commerce, centre de l’activité portuaire. L’ancien poste de commandement est aussi le bâtiment de prestige du port moderne, alors en pleine expansion vers le Rhin. Aujourd’hui, la pérennité du bâtiment est assurée par l’installation d’un bureau de poste.

L’ancienne minoterie des Grands Moulins de Strasbourg, fondée au Port du Rhin en 1898, bénéficie d’un accès par une voie navigable et par voie ferrée. Suite aux dégâts subis par l’usine pendant la Seconde Guerre mondiale, les Grands Moulins décident de déplacer leurs activités et de transformer l’ancienne minoterie en malterie. Les deux silos subsistant du complexe initial sont aujourd’hui parmi les derniers témoins du noyau historique du bassin du commerce. Ils s’imposent par l’esthétique épurée de leurs élévations latérales, en béton armé et briques. Ces silos s’inscrivent dans la lignée des grain elevators développés aux États-Unis à la fin du XIXe siècle.

07 La société coopérative de consommation de Strasbourg - La Coop 08

09 92

À l’étroit dans ses locaux historiques situés rue des Dentelles, la coopérative construit de nouveaux locaux au Port du Rhin en 1911 sur un site de 630 ares, acheté à la Ville, dans un secteur en développement depuis 1898. L’usine comprenait à l’origine l’entrepôt central, une boulangerie industrielle et le siège social, dessinés par l’architecte

09 Les Bassins du commerce et de l’industrie Dès 1896, la saturation des installations portuaires existantes entraîne la construction de deux nouveaux bassins directement en contact avec le Rhin. Ces deux bassins, construits sur l’Île-aux-


Épis en moins de deux ans, deviennent le centre de l’activité portuaire dans les années 1900. La construction de ces bassins est une étape dans le déplacement progressif du port le long du Rhin, et dans l’extension de nouvelles installations hors de la ville. Aujourd’hui, les bassins sont équipés de terminaux à conteneurs et colis lourds permettant de procéder aux manutentions de marchandises depuis le bateau ou le train, ainsi qu’à des opérations de stockage.

10 Les Grands Moulins 10

11

Les Grands Moulins de Strasbourg s’installent vers 1946 sur le site d’une ancienne huilerie datant de la fin du XIXe siècle. La modernisation de la minoterie et ses extensions successives ont provoqué la disparition de plusieurs constructions et installations anciennes. Plusieurs de ces parties ont néanmoins été conservées : les silos, un atelier de fabrication, un magasin industriel, un atelier de réparation, un transformateur, un monte-charge, le pont bascule et la voie ferrée.

11 Les Magasins Vauban 12

long de 200m. Les trois étages du magasin étaient affectés au stockage des tabacs manufacturés dans la région. Le Magasin Vauban s’impose par ses proportions et l’expression forte de sa structure : une ossature en béton armé apparente et un remplissage en briques rouge, une toiture à deux pans couverte de tuiles. Le bâtiment héberge actuellement des serveurs de télécommunication (SFR).

12 Le jardin des Deux-Rives Un patrimoine urbain au milieu du port. L’idée d’un parc transfrontalier a vu le jour en 1995 à l’initiative de Michel Krieger. La création du jardin des Deux Rives a été confiée au paysagiste allemand Rüdiger Brosk. Le paysagiste a choisi de donner une structure circulaire au vaste parc paysager transfrontalier comprenant 56 hectares divisés par le Rhin, évoquant l’Europe et de le doter d’escaliers d’eau et de cascades. L’architecte parisien Marc Mimram a conçu la passerelle qui relie les deux rives. Il ouvre ses portes en 2004 et accueille les premières floralies frontalières et chaque été la symphonie des Deux Rives.

Le bâtiment est commandé en 1936 par la Manufacture de tabac (SEITA) sur un terrain appartenant au Port autonome 93


Photo aérienne de 1950

Photo aérienne de 1975 94

Photo aérienne de 1956

Photo aérienne de 2007


l’île aux épis transformée

Suite à l’extension du port vers l’est, l’île aux épis se trouve façonnée au gré des installations industrialo-portuaires

EN 1950 On peut voir en 1950 que les ports de Strasbourg et Kehl sont bien établis au bord du Rhin et que la structure des bassins est telle qu’on la connaît aujourd’hui. Les actuelles friches «Citadelle» et «Starlette» sont occupées par la fabrique de charbon Starlette. Au lendemain de la guerre, certains ponts sont encore détruits et des usages militaires sont encore présents avec l’hippodrome et le stand de tir. Le Petit Rhin, ancien bras du Rhin traverse l’île permettant ainsi de desservir la Coopérative. De multiples exploitations agricoles sont présentes au sud de Strasbourg et à Kehl

EN 1956 Sur la photo de 1956, le Petit Rhin commence à être comblé par des déchets ménagers. Suite au remembrement agricole les exploitations sont moins nombreuses et plus vastes On peut apercevoir au sud de la carte la fumée émanant des Magasins Vauban (manufacture de tabac).

L’hippodrome est abandonné et se prépare à accueillir un nouvel usage Côté allemand, de nombreuses baraques militaires américaines occupent une partie de la ville.

EN 1975 La piscine du Motel Port du Rhin (qui deviendra ensuite l’Océade) prend place au bord du Rhin. Le Petit Rhin est désormais totalement comblé et la nature reprend peu à peu ses droits sur une vaste zone polluée. Le pont de l’Europe est construit, facilitant le transit transfrontalier. La ville prend le dessus sur les territoires agricoles à Strasbourg et à Kehl.

EN 2007 L’Océade a été remplacée par le symbolique jardin des Deux-Rives dont la conception a été confiée au paysagiste allemand Rüdiger Brosk. Le jardin est relié de part et d’autre du Rhin par une passerelle piétonne conçue par l’architecte parisien Marc Mimram. Le terrain Starlette est désormais inutilisé .

95


le port de nos jours Morphologie d’un port contraint par l’urbanisation et les protections naturelles

Aujourd’hui, le Port de Strasbourg est le deuxième port fluvial de France et constitue un atout majeur pour l’économie de la ville et de la région. À Strasbourg, sa première vocation est la valorisation du domaine de 1 050 ha qu’il met à la disposition de plus de 300 entreprises diverses à des fins industrielles ou logistiques, dans le cadre de contrats d’occupation ou d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public. Première zone d’activité d’Alsace, le Port strasbourgeois se situe à la rencontre entre les différents modes de transport : la voie d’eau, le fer et la route. Par le Rhin, premier fleuve commercial d’Europe, les marchandises sont acheminées en 40 heures vers les grands ports de la Mer du Nord : Rotterdam, Anvers, Amsterdam. Des lignes fluviales relient ces ports à Strasbourg plusieurs fois par semaine. Côté ferroviaire, la gare du Port du Rhin est la plus importante gare de fret d’Alsace et le PAS (Port Autonome de Strasbourg) gère lui-même tout le réseau ferroviaire du port. Plusieurs navettes ferroviaires circulent chaque semaine entre Strasbourg et les ports d’Anvers, Zeebrugge, Rotterdam et MarseilleFos. L’établissement exploite en régie directe deux terminaux à conteneurs dans la zone sud du port (rue de SaintNazaire), et dans la partie centrale (rue 96

du Bassin du Commerce). Le port annexe de Lauterbourg, actuellement en voie d’extension, accueillera lui aussi un terminal conteneurs. Le PAS est également équipé pour transborder des colis lourds et encombrants jusqu’à 450 tonnes à Strasbourg et 220 tonnes à Lauterbourg. Enfin, le Port autonome gère Batorama, le service de bateaux promenades qui propose une traversée de Strasbourg sur l’Ill. Il accueille chaque année près de 800 000 passagers, ce qui en fait la 1ère attraction touristique payante d’Alsace. Le déplacement progressif vers le Rhin, puis l’extension hors de la ville des installations nouvelles, correspondent bien au mouvement général du développement des ports qui sortent de leurs périmètres originels, recomposant ainsi les termes de l’inscription portuaire dans les projets urbains. Strasbourg est véritablement une ville portuaire, avec un port d’importance majeure sur le Rhin, pourtant ce lien est difficile à lire dans l’espace. Or peu à peu la ville crée une extension urbaine vers l’Est en suivant les anciens terrains portuaires, l’Axe Deux-Rives. En janvier 2015, l’E.M.S. a confié à la Société Publique Locale (S.P.L.) des Deux-Rives l’aménagement urbain de la Z.A.C Deux-Rives, nouvelle étape du grand projet.


Photo aĂŠrienne de Strasbourg et du P.A.S.

0

1

2

3

4 km

97


1000 500

Nombre d’emplois par établissement Principaux employés des zones d’activités industrielles portuaires. 98

0

1

10 2

3

4 km


Carte des fonctions prédominantes par secteur industriel

Services et terminaux portuaires (gestion publique/privée dans le port de Kehl). Industrie (production, stockage & services industriels).

0

1

Logistique, transport et entreposage Environnement, valorisation & recyclage Céréales

2

3

4 km

Hydrocarbures, chimie & énergie Établissement avec des équipements et/ou interfaces de transbordement 99


2017 Projet Zweiländertor

Quartier du Port du Rhin : rénovation

1976 Bâtiment administratif de l’E.M.S.

2008 Nouvel hôpital civil

2006 Cité de la musique et de la danse

2004 Parc de l’Étoile

Friche Starlette : ZAC Deux-Rives

2007 Nouveau pont Churchill 2004 Pont du Danube

COOP Alsace : ZAC Deux-Rives

2008 Médiathèque

2010 TGV 2017 Tramway

Halte plaisance - projet

2011 Mosquée de Strasbourg

2002 Hôtel de police

2000 Ciné-Cité Étoile

2016 Éco-quartier Danube

2003 Archives municipales

Porte de France : concours sans suite

Môle de la Citadelle : ZAC Deux-Rives

2011 Rivétoile (CC + Logements)

2004 Jardin des DeuxRives et sa passerelle

2012 Éco-quartier Bruckhof

Carte des zones de développement de l’axe Strasbourg-Kehl 100

0

2010 Boulevard du Rhin Étoile Vauban

0,5

1

1,5

2 km


Plan-Guide de l’aménagement de la Z.A.C. des Deux-Rives, Agence Ter, Cahier 1.

Les activités portuaires à Strasbourg Le projet d’agglomération Deux-Rives, visant à reconquérir l’axe Strasbourg-Kehl et à créer une métropole «à 360 degrés» autour des rives du Rhin, constitue le plus grand projet urbain strasbourgeois mené depuis la construction de l’ancien quartier impérial allemand entre 1871 et 1918. Le développement de la ville vers l’Est, facilité par la désaffectation progressive de la partie centrale du port, permet de ne plus considérer le Rhin comme une frontière ou un obstacle mais bien comme un élément central d’une véritable agglomération transfrontalière. L’avenir de la métropole se dessine désormais de part et d’autre du fleuve. Engagé dès les années 1990, le projet d’aménagement s’articule dans un

ensemble autour des canaux et des bassins portuaires pour aboutir au Rhin et à la ville de Kehl. Il sera desservi par la ligne D du tram début 2017. Cette reconquête de 250 hectares de friches portuaires, le long des 5 km de l’avenue du Rhin marque une volonté de développer une métropole durable, ouverte sur le Rhin et l’Europe. 1,5 million de m² sont potentiellement constructibles : d’ici 20 ans, ce sont près de 20 000 habitants qui seront accueillis dans 9 000 logements avec quelques 8 500 emplois à la clé. Le projet, échelonné sur un phasage long, prévoir de concevoir d’abord les espaces publics puis d’aménager de nouveaux logements et commerces. La Coopérative en est le point central.

101


1990

pilotage projet deux rives 2014

2050

pilotage par la spl

2035

2016 Accord cadre «Territoire» + accord cadre «Coop»

2012

Phasage des opérations de la ZAC Deux-Rives.

2013

schéma directeur 2015

PLAN GUIDE

2015

coop

Reichen & Robert, Peter Maîtrise d’Oeuvre : TER+51N4E+OTE

Équipe A.CHEMETOFF

tram d

2019 Livraison des espaces publics

2018

2017 Activation du pôle culture 2015

2024

consultation d’opérateurs

2017

enseignements La ville de Strasbourg s’est d’abord formée sur l’Ill puis a conquis le Rhin par le port et en a fait sa force, alors que Kehl a toujours été une ville fluviale. Aujourd’hui les deux villes tendent à ne former plus qu’une et Strasbourg tente enfin de retrouver le contact avec son fleuve. Si le fleuve ne fait plus office aujourd’hui que de frontière naturelle et que la ville et le port s’hybrident, les éléments de la frontière s’effacent. Au-delà, pour fabriquer un territoire transfrontalier perçu comme tel par tous, quels éléments identitaires et idéologiques peuvent permettre de transgresser la frontière ?

102


04

coopĂŠrative

103


104


C’est à l’échelle de l’îlot et de l’espace public que se joue la cohérence entre le grand territoire (territoire transfrontalier) et la ville portuaire. C’est en créant des expériences paysagères que les processus d’identification au territoire et d’activation des nouveux usages pourront se faire. Dans le cas de l’Île aux épis, nous pouvons nous appuyer sur la Coop Alsace, ancienne coopérative de consommation située au centre névralgique du territoire, dont l’idéologie et le développement ont impacté l’histoire de l’Alsace et les mémoires pendant plus d’un siècle. Quelle histoire nous raconte le paysage industrialo-portuaire à l’échelle d’une entreprise ? Comment insuffler l’idéologie coopérative dans l’aménagement du territoire ?

105


Au Palais des FĂŞtes de Strasbourg, en septembre 1920.

106


01

01 Adhésion est libre et volontaire sans discrimination,

équité entre les sociétaires

02

07

03

06

04

05

02 Participation mutuelle et active association humaine, interdépendance entre ses membres 03 Autonomie complète des sociétés par rapport à la vie économique nationale et la liberté de développement, pas de profit. Fournit un avantage financier immédiat (ristourne 04 sur les achats)et une occasion d’indépendance. 05 Assure aux producteurs agricoles, délivrés de prélèvements usuraires et de vendre leurs propres produits avec un bénéfice raisonnable 06 Offre une solution au problème de l’emploi, des salaires et des conditions générales de travail. 07 Elle apporte un intérêt évident et direct quel que soit leur rang social et leur condition de vie.

LE MOUVEMENT COOPÉRATIF L’espace transfrontalier, laboratoire de l’intégration européenne ? Vers «Une coopérative, pas une secte, pas un parti, personne ne vous demande de quelle confession vous êtes, ni de quelle couleur ou de quelle obédience, non ! C’est une œuvre de la paix, au-dessus des partis ! Avançant sur une même route, vers un même but, au-delà de toute haine et discorde.» Parmi les différentes formes de la coopération, celle dite de consommation a pris un énorme développement, une ampleur considérable qu’aucune attaque ni événement n’ont pu entraver. Alors que la coopération de production piétine sur place ou progresse lentement, que la coopération de crédit ou agricole se restreint à la bourgeoisie, celle de consommation conquiert rapidement tous les pays, pénétrant jusque dans les campagnes.

LES PRINCIPES

• L’adhésion est libre et volontaire, sans limitation de couleur,de race ou de croyance , et tout citoyen est libre de rester en dehors ou d’y entrer. • Le contrôle démocratique prévoit l’autonomie complète des sociétés par rapport à la vie économique nationale et la liberté de développement. La base de la constitution coopérative est la règle «un homme, une voix», et s’applique sans distinction de sexe. • La coopérative effectue une ristourne sur les achats, généralisée sous forme de «distribution des bénéfices résultant des opérations de société entre les sociétaires». Elle ne cherche pas à effectuer de profit dans le commerce et dans l’industrie, ce qui est la base de l’économie coopérative et qui la distingue du système compétitif actuel de l’économie. 107


La salle d’embouteillage de la coopérative, ayant accueilli le festival Ososphère depuis qu’elle est désaffectée 108


Vue depuis le toit sur les jardins des artistes qui occupent la coopĂŠrative. 109


La passerelle entre les différents bâtiments de la coopérative. 110


Les bureaux ont été abandonnés tels quels suite à la faillite de la coopérative. 111


L’événement «À la conquête de l’Est» le 24 et 25 septembre 2016 et le «Street Food Festival» ont rassemblé plusieurs milliers de personnes. 112


Vue depuis le toit de la coopĂŠrative. 113


1911

1902

La Société accueille à Strasbourg un congrès de la Fédération nationale des coopératives de France à laquelle elle a adhéré au sortir de la Guerre

Le Konsumverein für Strassburg und Umgegend (Société coopérative de consommation de Strasbourg et environs) est fondé le 15 septembre. Son premier magasin ouvre le 28 novembre au 15, rue des Dentelles dans la Petite France à Strasbourg

1900

1910

1920

1904

1914

La Coopérative instaure le secours au décès aux plus nécessiteux, sa première grande mesure d’entraide au profit des sociétaires.

Alors qu’éclate la Première Guerre mondiale, la Coop (son futur nom) compte 13 407 adhérents et 23 points de vente. Son chiffre d’affaire s’élève à 2,7 millions de marks

1932

Pour ses 30 ans, la Société s’offre la quatrième place du classement des plus grosses sociétés coopératives hexagonales de par le nombre de sociétaires, la sixième en termes de succursales

1940

1923

La coopérative modernise sa boulangerie et agrandit l’entrepôt du Port du Rhin, L’année de son grâce à l’achat d’un terrain 25e anniversaire, de 4000m2. Elle y bâtit un l’entreprise gère 81 garage, des caves à vin et magasins pour 34399 une fabrique de pâtes membres

1926

1930 1939

1928

1926

À la suite des premiers combats de la Seconde Guerre mondiale, 117 des 189 Coopés sont concernés par des ordres d’évacuation

La direction de la coopérative met sur la route une première boutique ambulante pouvant transporter jusqu’à 800 articles. Elle sillonne le secteur de Haslach

Ses bons bilans le lui permettant, la Coop acquiert un hôtel à Heiligenstein. Son but : offrir aux coopérateurs un lieu de villégiature à moindre frais

1942 La Coop, comme l’ensemble des coopératives bas-rhinoises, est dissoute par l’autorité nazie et intégrée de force dans la «Gemeinschatswerk des Deutschen Arbeitsfront»

1950

1960

1945 À la Libération, la Société coopérative strasbourgeoise, qui tente de renaître de ses cendres, déplore 68 232 692 francs de dommages de guerre

1967

1981

1976

Un premier supermarché «Maxi» est créé à Bischwiller. Un an plus tard, elle donne à certaines de ses succursales de proximité une nouvelle identité baptisée Point Coop

L’Union des coopératives d’Alsace ouvre un entrepôt à Reichstett ainsi que son premier hypermarché «Rond Point» à Wintzenheim. L’année est aussi marquée par une grève des salariés

1980 1977

1990 1988

1989 Huit axes sont identifiés pour relancer les activités de la coopérative. En marge de ces mesures, les timbres-ristourne jugés «dépassés» vivent leur dernier jour 114 le 31 décembre

1961

Le 19 avril, la Coopé ouvre le premier supermarché coopératif en libreservice de France, au cœur de la cité de la Canardière à Strasbourg-Meinau

1970

Pour la première fois de son histoire, le chiffre d’affaires de la coopérative dépasse le cap du milliard de francs

L’année s’achève sur des résultats «médiocres» pour Coop Alsace. En coulisses, certains songent à déposer le bilan pour la revendre

La fusion de la Coop et de l’Union des coopérateurs de Mulhouse donne lieu à la naissance de l’Union des coopérateurs d’Alsace, à laquelle vont se greffer les Coopérateurs de Colmar en 1972

Le groupe Coop Alsace s’attaque au marché du discount par le biais de l’enseigne «Mutant» et implante deux magasins à Schiltigheim et Strasbourg

1990

1972

1964

À l’heure de célébrer son 70e anniversaire, la coopérative est la 8e plus grande entreprise alsacienne grâce à ses quelque 600 magasins, 3500 salariés et 150 000 sociétaires

Après une douzaine d’années de travaux et d’agrandissement, un chai, composé de 148 cuves au Port du Rhin, est considéré comme l’un des plus modernes d’Europe

2002

1993 Une loi autorisant à conforter leurs capitaux propres par la biais de l’épargne de leurs sociétaires, la coopérative émet de nouvelles parts sociales, dites parts B

1992

2000

La Coop a redressé la barre. L’exercice comptable de son 90e anniversaire se solde par un excédent avoisinant les dix millions de francs

Tandis que l’entrepôt «épicerieliquide» de Reichstett passe de 20 000 à 30 000m2, une baisse des tarifs est appliquée dans les magasins de proximité

La Coop souffle sa centième bougie et parvient à se maintenir au deuxième rang du classement des plus gros employeurs privés d’Alsace, avec quelque 4250 salariés

2010 2000

2013 La coopérative cède ses 28 grandes surfaces à Val Expansion, filiale du distributeur breton Leclerc

L’annonce de la possible fermeture de treize boutiques soulève une vague d’indignation dans l’opinion publique

2004 Le groupe lance une carte dite d’Eurosociétaire, visant à faire «cagnotter» ses titulaires. Au bout de 9 mois, 100 000 personnes ont déjà demandé à pouvoir en bénéficier

2014 La coopérative vend 128 de ses 144 succursales de proximité à Carrefour. Le distributeur va commencer à y apposer son enseigne en juin


LA COOP ALSACE : les origines (1) P. Wendling, 2014

L’entrepôt central de la coopérative au Port du Rhin, peu de temps après son inauguration en 1912

Les timbresconsommation à collecter afin d’obtenir la ristourne annuelle. j Frise chronologique de l’histoire de la Coop Alsace

UN MONUMENT DU PATRIMOINE AFFECTIF ALSACIEN Depuis sa fondation en 1902, la Coop a marqué l’Alsace à plus d’un titre. Illustration d’un modèle économique plaçant les producteurs et les consommateurs au cœur de ses préoccupations, la coopérative a été le témoin des vicissitudes et des grands moments de l’histoire de XXe siècle. Forte d’un maillage comptant simultanément jusqu’à 700 succursales, elle a accueilli dans ses rayons des générations entières d’Alsaciens au point d’être élevée aujourd’hui au rang de monument du patrimoine affectif commun. Malheureusement, depuis le passage au XXIe siècle, des événements aussi fâcheux que tristes ont tendance à faire oublier la richesse de son passé.

UNE CRÉATION LABORIEUSE Au tournant des XIXe et XX siècles, plusieurs coopératives de consommation ont déjà pignon sur rue dans une Alsace annexée à l’Empire allemand depuis 1870. C’est le cas, entre autres, à Mulhouse et à Colmar. Aucune n’existe en revanche à

Strasbourg, où une tentative s’est révélée infructueuse en 1870. L’idée d’en créer une germe cependant dans l’esprit des adhérents du Syndicat des travailleurs de métaux de la ville (1). Ils s’évertuent alors à sensibiliser leur cause à l’Union locale des syndicats, la Gewerkschafskartell. Les arguments sont les suivants : une coopérative, achetant en commun et produisant des marchandises, permettrait de pratiquer des prix bas au bénéfice des classes populaires. Après plusieurs mois de labeur, les membres de la commission diligentée par la Gewerkschafskartell organisent l’assemblée constituante de la future Coop strasbourgeoise, le 15 septembre 1902. La naissance du Konsumverein für Strassburg und Umgegend est actée. «L’entreprise a pour objet l’achat collectif en gros de denrées alimentaires et d’articles de ménage qu’elle revend au détail à ses membres, précise son Premier statut. Afin de développer l’entreprise, celle-ci peut également fabriquer par ses propres moyens des denrées alimentaires et des articles de ménage, accepter des dépôts d’épargne et construire des logements.»

une rapide montée en puissance

La démarche rencontre un rapide 115


Vue aérienne du siège de la Coop Alsace dans les années 1930 116


Une des premières boutiques ambulantes lancées sur les routes bas-rhinoises à la fin des années 1920

succès et multiplie les ouvertures de magasins. Très vite les classes ouvrières et rurales s’intéressent véritablement aux idées portées au niveau national par des utopistes et des socialistes. Par conséquent ces implantations au cœur des quartiers séduisent en tant que commerce de proximité. En 1911 la ville de Strasbourg concède aux coopérateurs un site sur l’Île de l’Éperon (l’Île aux Épis) au Port du Rhin où plusieurs bâtiments de production seront successivement construits. Avec la création du dépôt du Port du Rhin, les moyens de la Coop se professionnalisent. Davantage de consommateurs s’intéressent à son modèle et favorisent l’essor de la société coopérative.

À l’épreuve des grandes guerres La conférence des coopérateurs de Coop Alsace, 22 octobre 1972

À la veille des combats, le Konsumverein für Strassburg und Umgegend ne regroupe pas moins de 13 407 adhérents et gère 23 points de vente, dont certains de l’autre côté du Rhin comme à Lahr et à Offenbourg. Le déclenchement du conflit entraîne la fermeture de boutiques et la mobilisation d’une partie des salariés. Cependant la société ne reniera pas les

principes du mouvement coopératif, à commencer par la défense du juste prix . Au lendemain du conflit de 19141918, la Coop inaugure des succursales à Strasbourg, mais aussi dans d’autres communes du Bas-Rhin. Sa stratégie d’expansion est réfléchie, sa production de plus en plus modernisée. La Seconde Guerre mondiale va stopper nette sa progression et menacer son existence même, les nazis étant opposés à l’esprit coopératif. Sa progression va d’abord continuer avec la mise en place d’une succursale ambulante en 1928. Puis, en juin 1940, l’Alsace est occupée puis annexée par l’Allemagne. Le dépôt du Port du Rhin sera tour à tour détruit par des mines et des bombes, le travail de la Coop sera presque interrompu. Malgré les dégâts financiers et matériels, la Coop parvient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à faire progresser son front de vente jusqu’à compter quelques 700 succursales au début des années 1960, dont le premier supermarché coopératif en libre-service de France.

l’innovation Afin de coller aux nouvelles attentes des consommateurs, et ainsi de ne pas 117


La Coop de Lauterbourg, 11 rue du Général Mittelhaueser.

se laisser distancer par les distributeurs privés, la Coop Alsace traverse les années 1970 en misant sur la carte de la modernité. Le groupe ouvre ses premiers hypermarchés «Rond Point» et inaugure une plateforme logistique. Il finit aussi par intégrer l’Union des coopérateurs d’Alsace. Après des années d’euphorie, les coopératives de consommation française déplorent la plus importante crise de leur histoire. Nombre d’entre elles sont en déficit, certaines sont même contraintes de déposer le bilan. La Coop Alsace maintient alors le cap un temps, avant d’encaisser des résultats qualifiés de «médiocres» par la direction. Dans les années 1990 le groupe revient progressivement vers la normale en réalisant plusieurs belles opérations à travers ses hypermarchés. En 1999, fort de ses résultats, le groupe se conforte sa place de deuxième employeur privé de la région avec 4 069 salariés, derrière Peugeot qui en compte 13 174 à Mulhouse.

Publicité pour les produits Coop.

DE L’EUPHORIE AUX DIFFICULTÉS

La Coop de Leutenheim, 25 rue Principale.

Alors que la Coop Alsace célèbre son centenaire, ses dirigeants clament avoir réussi son entrée dans le XXIe siècle. La situation ne va pas durer et même se dégrader rapidement. En 2009, la coopérative débute un partenariat commercial avec le distributeur breton Leclerc, mais surtout enregistre le pire exercice de son histoire. Les fermetures

118

de succursales s’enchaînent, entraînant l’indignation de la clientèle. Les hypermarchés et supermarchés sont cédés à Leclerc, les magasins de proximité à Carrefour. Poursuivi pour le détournement d’1,2 million d’euros en bons d’achats appartenant à la coopérative, son ex-Pdg Yves Zehr est condamné en appel à 3 ans de prison. L’année de ses 112 ans, le groupe n’emploie plus que 250 personnes et ne possède plus que quinze boutiques.

QUEL AVENIR POUR LE SIÈGE HISTORIQUE DU PORT DU RHIN ? Déserté officiellement par ses services depuis janvier 2014, le siège historique de Coop Alsace doit à l’avenir s’intégrer dans un projet d’urbanisation du Port du Rhin et du secteur frontalier dit des Deux-Rives. Sa friche accueillant des ateliers d’artistes et accueillant chaque automne depuis 2012 l’Ososphère, un festival d’électro, la ville de Strasbourg vise à la transformer en un lieu dédié à la fois à la culture et aux entreprises tournées vers les nouvelles technologies. Le projet développé par Alexandre Chemetoff & associés architectes, urbanistes, paysagistes doit accompagner l’arrivée du tramway strasbourgeois à Kehl par la reconversion du site tout en conservant sa forte identité liée à son patrimoine bâti et à son histoire industrielle (présence d’ateliers d’artistes, activités culturelles, fab lab, ...).


QUEL AVENIR POUR l’idéologie coopérative ?

L’affiche du film «Food Coop» de Tim Boothe.

Si la Coop Alsace n’existe plus aujourd’hui, du moins sous son idéologie originelle, des leçons peuvent être tirées de la gestion de ce projet coopératif. En effet la mise en place du système de ristourne a induit le développement de sa compétitivité. En employant des coopérateurs et en ouvrant des succursales et en cherchant sans cesse à se développer, la société a mis à mal son indépendance financière et idéologique. Bien que le système marqua l’Alsace pendant plus de 100 ans, l’équilibre finit par se rompre lorsque l’individualisme prima sur le collectif. Or l’idée de «commun» opère depuis quelques années un retour dans la discussion économique, sociale et politique. L’héritage de l’idéologie coopérative refait surface sous la forme d’expériences collectives. Il existe par exemple à Brooklyn un supermarché coopératif qui possède 17 000 membres et 17 000 employés (*). À la différence de la Coop Alsace qui a utilisé le système de ristourne, la Park Slope Food Coop a mis en place le système d’économie directe dit «précaire» et n’a ouvert aucune succursale malgré son succès. Tous les consommateurs doivent donner de leur temps pour pouvoir profiter des avantages de la coop. Cette recherche d’une organisation plus juste des processus mène aujourd’hui à «de nouvelles modalités de coopération

au travail, des pratiques inédites de mobilisation politique ou de diffusion des connaissances» (*). À l’échelle globale, c’est au niveau de la fabrique de la ville que se joue le choix du partage, par les lieux publics, les circuits d’alimentation, les nouvelles pratiques d’habitation, ...

la place du paysagiste Au cœur du processus de projet, les métiers de l’aménagement du territoire peuvent redéfinir les notions de maîtrise d’œuvre (co-conception des espaces publics, maîtrise d’œuvre ouverte intégrant les usagers, réalisation habitante de projets spatiaux, expériences d’autogestion) et de maîtrise d’ouvrage («recherche collaborative, renforcement des processus de décision collective, droit à la ville, ...). Le «parti du partage», déjà très développé en Allemagne (éco-quartiers à réelle mixité sociale, appropriation et autogestion de l’espace public, ...) est un enjeu majeur au cœur de l’extension de Strasbourg vers l’Allemagne. En effet, sa place centrale dans le territoire transfrontalier, mêlant activités industrielles et nouvelle ville, avec la Coop Alsace en son centre de gravité, lui donne une force idéologique et spatiale à la hauteur de l’identité transfrontalière. Afin de confronter mon point de vue aux habitants et aux acteurs de ce territoire, j’ai initié un protocole de concertation dont je vais vous exposer les résultats. 119


dialogue Essai d’un protocole de concertation avec les acteurs du territoire

protocole J’ai voulu concevoir un protocole de concertation afin d’enrichir ma démarche. L’objectif était d’interroger les acteurs du territoire (habitants, techniciens, acteurs politiques et territoriaux, ...) de toutes origines, de tous âges, sur la notion de frontière à Strasbourg. J’ai cumulé leurs réponses sous la forme d’un questionnaire, dont la visée n’était pas quantitative mais qualitative. Les résultats sont à valeur indicative, me permettant d’élargir mon point de vue sur un territoire où je ne vis pas et ainsi de dégager les enjeux de chacun en fonction de sa vision du paysage pour

120

ensuite les spatialiser sur le territoire. Le questionnaire que j’ai développé m’a permis de confronter mon analyse du thème de la frontière et du site avec la vision des habitants de ce territoire. Bien que l’échantillon ne soit pas représentatif, je propose à partir des réponses exploitées d’évaluer les tendances de considération du territoire. En effet, bien que beaucoup attachent de l’importance à la présence d’une frontière et à l’héritage qu’elle représente, la façon de la voir aujourd’hui ne vient plus de la crainte mais de la curiosité, de l’envie d’aller plus loin et de partager avec le voisin.


Français Allemand

Strasbourgeois

«Francoallemand»

Kehlois Lieu de vie ?

Nationalité ?

depuis peu 1/2 de la vie

> 30 ans

1/4 de la vie

> 45 ans

toute la vie

> 60 ans Classe d’âge ?

Vécu sur le territoire

résidents travailleurs

Oui

les deux

Non

Façon d’habiter ?

La frontière a-t-elle un sens ?

Oui

Oui Un territoire à part ?

Une vision transfrontalière ?

121


RESPIRATION

vivant

potentiel

rupture

122


hérité

oublié

enseignements Le travail de cartographie m’a permis de mettre en lumière le fait que pour les habitants, les éléments qui composent l’épaisseur de la frontière (le Rhin, le port, les réseaux, les quartiers du port du Rhin, ...) cumulent les qualificatifs : héritage, vivant, respiration, tout en restant «rupture». La frontière est donc bien pour ses habitants un point d’intérêt et un élément de développement potentiel.

123


124


05 ouverture

À partir d’une démarche de synthèse et d’anticipation, comment créer un outil d’aide à la décision stratégique pour prioriser et légitimer la démarche de projet ?

125


analyse prospectve Analyser et synthétiser les tendances à différentes échelles et échéances spatiales et temporelles pour imaginer un futur souhaitable

PRINCIPES et méthode Les principes d’une analyse prospective du développement d’un territoire consiste à explorer des futurs possibles avant de choisir le futur souhaitable. À cet effet, il convient d’abord d’analyser méthodiquement les éléments de «déterminisme», c’est-à-dire les causes et leurs effets, en les incluant dans les notions de «temporalité» : la prospective du présent se projette de 2 à 5 ans, la prospective de devenir se projette elle de 5 à 10 ans, et enfin une prospective plus lointaine s’axe sur plus de 25 ans. À partir de ces informations, il est nécessaire pour effectuer une analyse «efficiente» d’appliquer le principe de «réductionnisme», qui consiste à convenir que la réalité doit être, dans une certaine mesure, simplifiée et appréhendée via des indicateurs. J’ai donc choisi d’analyser en trois tableaux (territoire transfrontalier, villeport et coopérative) sept thèmes majeurs qui animent le territoire transfrontalier de Strasbourg et Kehl : le paysage et l’environnement, le patrimoine et le tourisme, le développement économique, les infrastructures et la mobilité, la démographie et l’occupation du sol, la 126

coopération et l’identité transfrontalière, les ports de Strasbourg et de Kehl. Ces thèmes sont classés suivant trois thèmes : mémoire, effacement et transgression, termes qui correspondent aux orientations de projets à venir. Enfin, j’ai analysé ces thèmes suivant trois méthodes : • Les constats, qui sont le résultat de l’étude des documents d’urbanisme. Sans être exhaustif comme dit précédemment, ils visent à déterminer les éléments du présent prédominants (les causes) pouvant avoir des effets sur le futur. • Les tendances résultent elles aussi de l’analyse des documents d’urbanisme qui exposent les dynamiques en cours et leurs effets potentiels. • Les enjeux constituent un thème moins neutre puisqu’ils sont issus de mon analyse personnelle des constats et des tendances, ils alimenteront le schéma directeur qui cartographie les orientations choisies pour ce territoire. À partir de ces trois tableaux, je vais pouvoir établir trois scénarios prospectifs simplifiés qui vont m’aider à déterminer quel scénario souhaitable et possible je veux développer.


Paysage et environnement Développement économique Infrastructures et mobilité Démographie et occupation du sol Coopération et identité transfrontalière

transgression

Ports de Strasbourg et de Kehl

effacement

Patrimoine et tourisme

mémoire

constat •La région de Strasbourg-Ortenau, à l’image du Rhin supérieur exerce une forte pression sur les ressources naturelles (zones industrielles importantes, réseau routier et autoroutier dense, agriculture intensive, 7e agglomération la plus peuplée de France, ...) •La bande rhénane, cortège d’espèces les plus diversifiées en région continentale, souffre de sa déconnexion du fonctionnement naturel du Rhin depuis sa restructuration. •Le Rhin est un axe fluvial européen de transport de matières dangereuses, a induit une pollution et une dégradation de la qualité bactériologique de l’eau. Le fleuve n’a plus son emprise naturelle. •Un patrimoine lié à l’histoire de la frontière riche (char, blockhaus, abris, casemates, ...) mais illisible et peu mis en valeur. Présence du circuit des forts, itinéraire cyclable franco-allemand •Peu de mobilité Ouest-Est pour le tourisme, des actions touristiques transfrontalières qui manquent de lisibilité •Une frontière double (linguistique et physique) dont la rémanence historique divise les échanges transfrontaliers par 10. • Un «effet frontière» qui induit un différentiel économique en faveur de la région strasbourgeoise et du pays de bade dans un espace économique de plus en plus ouvert. • Des relations unidirectionnelles qui traduisent toutefois des interdépendances territoriales. Chaque entité (Strasbourg et l’Ortenau) a ses propres logiques de fonctionnement, sans véritable stratégie partagée. • Un déséquilibre entre les mouvements Ouest-Est et Est-Ouest. • Un nombre insuffisant de franchissements sur le Rhin (les flux ont doublé sur le pont de l’Europe). • Augmentation des déplacements automobiles et allongement des déplacements (travail pour les français, loisirs pour les allemands), lié à la périurbanisation. •Une structure urbaine des deux côtés du Rhin : polarisation autour de Strasbourg côté français, bande urbanisée dans la plaine du Rhin jusqu’à la Forêt Noire côté allemand. • Grand étalement urbain dans le SCOTERS. •Déséquilibre dans l’offre de logements (étalement urbain et ségrégation sociale). •Une population urbaine à Strasbourg et une population rurale à Kehl •Strasbourg est le pôle d’attractivité principal du Rhin supérieur et de Strasbourg-Ortenau. Pourtant il y a un décalage entre son statut institutionnel et son poids réel dans les réseaux internationaux. • Une région métropolitaine monocentrique qui assure toutes les fonctions, pourtant les migrations pendulaires sont Ouest-Est. •Un déficit des relations Est-Ouest, les fonctions sont peu connectées, pourtant la liaison Strasbourg-Kehl est bien développée. • Les deux ports coopèrent depuis 1992. Ils sont en situation de cohabitation car leurs activités portuaires sont plus complémentaires que concurrentes (ils ne se positionnent pas sur les mêmes types de produits). •Le port de Strasbourg étant principalement une plateforme logistique (terminaux à conteneurs gourmands en foncier) est contraint dans son expansion par des contraintes environnementales et la saturation des réseaux routiers.

TENDANCE

ENJEUX

• Diminution et maîtrise des risques de pollutions industrielles, protection et maintien d’une bonne qualité de nappe phréatique. • Mise en réseau des fonctions écologiques et sociales des espaces naturels et du réseau hydrographique. • Des tentatives de renaturation de zones naturelles difficiles. • Une ingéniérie de maîtrise de la variation des eaux du fleuve développée.

• Valoriser et renaturer au maximum la forêt alluviale rhénane pour retrouver une richesse biologique rare (rétention des crues, dépollution, ...). • Retrouver un contact avec l’eau et l’emprise du Rhin naturel

• Meilleure coordination et mise en valeur des trois grands pôles d’activité touristique (tourisme urbain, tourisme vert, parc d’attraction) et développement de l’agro-tourisme (asperges, fraises, choucroute, tabac, vin, houblon). • «Effacement» du patrimoine lié à la frontière via l’urbanisation proche du Rhin. •SCOTERS : un projet métropolitain fort qui joue sur son positionnement européen en s’appuyant sur les villes du Rhin supérieur. • Création de zones d’activités transfrontalières, nouvelles formes de coopération et de concertation, des projets transfrontaliers innovants. • Meilleur partage des équipements structurants (ports, aéroports, TGV-ICE, maillage haut-débit, ...). • Offenburg réussit à attirer un certain type d’activité grâce à sa proximité de Strasbourg.

• Mettre en valeur le patrimoine lié à la frontière sans marquer la différence entre les pays mais au contraire montrer l’histoire commune et les points communs. • Créer un réseau transfrontalier de producteurs, artisans, agriculteurs et valoriser leur travail.

•Réalisation de nouveaux franchissements (pont du tram courant 2017, ...), meilleur niveau de services ferroviaires. • Prise de conscience de la nécessité de développer le réseau de transports en communs. • Un meilleur équilibre entre les déplacements Ouest-Est et Est-Ouest.

• Conforter Strasbourg dans son rôle de capitale européenne en développant son accessibilité et en ayant une répartition modale plus judicieuse. • Multiplier les franchissements sur le Rhin pour faciliter la mobilité entre les deux pays.

• La projection démographique est d’une baisse de -10 à -16% de la population en Allemagne (2050), et d’une poursuite de la croissance démographique (2 millions d’habitatns en 2030) en Alsace. • Un processus de vieillissement de la population simultané des deux côtés du Rhin. • Une pression sur l’urbanisation en Alsace, tandis que dans le pays de Bade celle-ci se détend.

• Développement durable de l’urbanisation et consommation économe du foncier. • Créer de nouvelles formes d’habitat (petit collectif, ...). • Adapter les logements aux besoins des personnes âgées.

• En s’appuyant sur le réseau des villes du Rhin supérieur, Strasbourg devient un pôle européen incontesté. • Préservation d’une armature décentralisée : développement endogène, densification et renouvellement urbain. • Kehl est affectée à l’aire urbaine et à l’agglomération transfrontalière de Strasbourg.

• Renforcer Strasbourg comme métropole européenne par l’implantation de nouvelles institutions européennes, une meilleure coopération avec les autres centres supérieurs de la région et mieux tirer parti du positionnement européen et transfrontalier. • Renforcer les relations Est-Ouest grâce aux instruments juridiques crées par le Traité de Karlsruhe encourageant la coopération communale. • Multiplication des franchissements et intégration de Kehl tout en développant une identité européenne. • Développer conjointement les deux ports pour optimiser le foncier à Strasbourg • Développer les ports secondaires le long du Rhin

• Renforcement du rôle de la voie d’eau et ferroviaire comme mode de transport des marchandises. • Conservation de la voie routière pour l’acheminement au dernier kilomètre. • Saturation du cluster portuaire à Strasbourg voire rétractation. • Éclatement spatial du cluster suite à la relocalisation d’une partie de l’appareil productif : développement de plates-formes portuaires secondaires extérieures.

• Échanges transfrontaliers facilités, compréhension mutuelle. • Un territoire économique transfrontalier où les différences normatives ne sont pas un frein mais une richesse de collaboration.

• Nouvelles spécialisations, déplacement des activités présentant les plus fortes nuisances vers les ports secondaires. • Améliorer la performance de l’acheminement des marchandises entre le port et les zones industrielles excentrées.

127


Paysage et environnement Développement économique Infrastructures et mobilité Démographie et occupation du sol Coopération et identité transfrontalière

transgression 128

Ports de Strasbourg et de Kehl

effacement

Patrimoine et tourisme

mémoire

constat • Un territoire portuaire inscrit dans les milieux naturels de la bande rhénane, entre la forêt du Neuhof, l’île du Rohrschollen et la forêt de la Robertsau. Une grande diversité de paysages portuaires et rhénans (fleuve, canaux, darses, môle, île, confluence, ...). • Une discontinuité écologique dans la zone portuaire malgré une richesse faunistique et floristique ponctuelle. • Un ancien bras du Rhin, le Petit Rhin a été comblé par des déchets ménagers et présente aujourd’hui comme toutes les friches une forte pollution des sols.

TENDANCE • Le lit du Petit Rhin va accueillir un parc urbain, un projet réalisable sur le sud de l’île mais difficile à engager sur la partie nord (industries implantées, route, ...). • Projet d’économie circulaire au sein du port pour réemployer l’énergie et les matériaux entre les entreprises. Projet de chauffer les futurs logements grâce à ces énergies.

ENJEUX • Un corridor écologique terrestre (le Petit Rhin) à conforter sur la partie sud et à restaurer sur sa partie nord, tout en lui donnant plus d’épaisseur. • Renaturer et développer une pédagogie autour du rôle de la forêt alluviale rhénane au sein de l’île aux épis et en milieu urbain. • Développer l’écologie industrielle • Maîtriser les coûts liés à l’énergie et aux matières • Contribuer à la sobriété énergétique du territoire portuaire. • Valoriser les ouvrages liés à l’eau et leur ingénierie pour comprendre la gestion du Rhin.

• La société BATORAMA ne propose pas de circuit • Réflexion autour du développement d’une offre • Des espaces publics existants à mailler, des séquences paysagères à valoriser. touristique centré sur le port. La piste des forts n’est touristique sur le port • Des ensembles patrimoniaux et des patrimoines isolés qu’un lieu de passage sur l’île aux épis. à valoriser. Des points de vue et des façades urbano• Une zone portuaire peu lisible et peu présente dans portuaires à mettre en scène (nouvel itinéraire de la piste la représentation collective. Des accès à l’eau peu des forts, nouveau parcours BATORAMA, ...). accessibles ou confidentiels. • Des nouveaux parcours thématiques à créer (port, ville). • Des potentiels énergétiques et d’échanges de • Par la future accessibilité du port, plus d’opportunités • Déplacer les entreprises émettrices de nuisances vers les matières à partir des industries implantées sur le site. d’emplois seront créées. extensions du port plus éloignées des zones urbaines. • Des entreprises émettent des nuisances sonores et/ • De nouveaux commerces et bureaux projetés pour les • Réutiliser les matériaux et les énergies pour les ou olfactives empêchant la cohabitation ville/port. nouveaux quartiers. entreprises du port et les nouveaux logements et/ou entreprises (énergie circulaire).

• Isolement du quartier du port du rhin (seule une ligne de bus vers le centre-ville) • Zone difficilement accessible même pour les ouvriers du port, d’où de mauvaises habitudes de déplacement (74,5% d’autosolisme). • Mauvais accès à l’autoroute depuis le port et menacé par l’arrivée de l’urbanisation.

• Nouvel axe urbain vers l’Allemagne, le tram va être inauguré et va déployer la mobilité sur l’île aux épis et vers l’Allemagne. • Mise en place d’un plan de déplacements des entreprises du port (PEP’S) pour proposer des alternatives à la voiture. • Réflexion autour d’une centre de redistribution urbain (CDU).

• Améliorer la logistique du «dernier kilomètre» pour réduire l’accès des poids-lourds dans les zones urbanisées et historiques et mutualiser la distribution. • Mettre en valeur la traversée de l’île aux épis et de la frontière le long des axes de communication doux. • Augmenter l’attractivité du port pour le centre-ville en y créant des usages urbains.

• Aujourd’hui, la zone portuaire ne concentre que peu d’habitations dans le quartier du port du Rhin, initialement construit pour les ouvriers. Seule une très faible proportion de cette population travaille au port. C’est le quartier au taux de chômage le plus élevé de Strasbourg.

• L’Axe Deux-Rives, nouvelle extension de Strasbourg vers l’Est, prévoit d’urbaniser la friche Starlette et Citadelle, la Coop et le port du Rhin au sein de la Z.A.C. des DeuxRives. Ces nouveaux logements n’encourageront pas une meilleure mixité sociale et participeront certainement à une inflation du marché sur l’île aux épis. De plus ils ne seront pas adaptés à la conscience du risque ni à l’histoire du site.

• Intégrer le quartier du port du Rhin aux nouveaux quartiers en travaillant leurs abords. • Créer de nouveaux logements accessibles à tous (logements sociaux) et éviter l’inflation du marché. • Adapter les logements aux caractéristiques du territoire : une hauteur maîtrisée, surfaces réduites, protection vis-à-vis des pollutions du sol et au risque de submersion (pilotis, ...).

• L’île aux épis n’est pas considérée comme un territoire transfrontalier, par conséquent, son développement ne répond qu’aux besoin des français. L’identité allemande et européenne n’y est pas représentée. • Une rupture brutale entre la métropole et Kehl, entre les terres agricoles et la ville. Le port représente une rupture forte entre les deux pays à l’instar du fleuve. • Une coopération transfrontalière bien établie entre Strasbourg et Kehl.

• Une coopération transfrontalière peu ressentie dans l’espace public et les projets d’aménagement de l’île aux épis. • Une frontière politique démultipliée, mais physiquement effacée.

• Faire du développement urbain de l’axe deux-rives un exemple de coopération transfrontalière : adapter les logements et les espaces publics aux différents usages et aux différentes identités pour engager une réelle mixité sociale. • Créer une imbrication ville-port en facilitant leur porosité l’un envers l’autre : des usages urbains dans le port, et travailler leurs interfaces.

• Un territoire portuaire éclaté sur 100 km le long du Rhin (1050 ha). • Des activités portuaires à forte dominance logistique consommatrice de foncier. • Un port peu perçu par ses habitants.

• Développement des autres ports le long du Rhin • Logistique du «dernier kilomètre» pour mutualiser le transport de marchandises. • Optimisation du foncier • Une desserte routière qui éviterait le centre historique de Strasbourg mais qui serait conservée sur l’île aux épis.

• Accepter un port en milieu urbain. • Réveiller l’intérêt et la curiosité pour le port. • Valoriser de la voie fluviale et ferroviaire qui impliquerait une desserte routière plus faible. • Complémentarité de l’espace transfrontalier portuaire.


Paysage et environnement Développement économique Infrastructures et mobilité Démographie et occupation du sol Coopération et identité transfrontalière

transgression

Ports de Strasbourg et de Kehl

effacement

Patrimoine et tourisme

mémoire

constat • Les terrains sont abandonnés et la végétation reprend le dessus. • L’ensemble industriel est contraint par la forte présence de la rue du Port du Rhin, des voies de chemin de fer et des différents talus.

• La Coopérative suscite un certain intérêt pour les habitants, notamment grâce au festival Ososphère qui a eu lieu dans ses locaux. • Les habitants strasbourgeois et kehlois se sont rendu compte grâce à l’organisation d’événements de la relative proximité de la Coop et du centre-ville

TENDANCE • Le projet prévu par A. Chemetoff s’appuie sur le patrimoine historique du site mais le lie peu à l’échelle territoriale.

ENJEUX • Intégrer la Coop dans le parc du Petit Rhin et travailler sa perméabilité avec l’extérieur. • Créer un «esprit Coop» dans la manière de gérer les espaces extérieurs de la Coopérative.

• Certains projets comme la création d’une salle de • Valoriser le patrimoine architectural, idéologique et spectacles ont été abandonnés, cependant d’autres culturel de la Coop et le faire rayonner dans le territoire. porteurs de projets prendront possession des locaux de la Coop et généreront une activité économique et sociale.

• Bien que la production soit arrêtée, les bâtiments • Bien que la Coop fasse partie de la ZAC Deux-Rives servent parfois à organiser des événements sa programmation prévoie moins de logements et de bureaux, et imagine surtout d’en faire un pôle culturel

• Faire de la Coop un point de tension culturel qui permettrait aussi de représenter le territoire auprès des habitants et donc de développer son économie.

• À l’image de toute l’île aux épis, la Coopérative est assez mal desservie par les transports en commun et le mode voiture est privilégié.

• Grâce à l’arrivée du tram et à l’arrêt «Starcoop» la Coop sera très facilement accessible • L’arrêt de tram «Starcoop» bénéficiera d’un traitement particulier • La route du Port du Rhin ne sera pas retravaillée

• Donner à voir la Coop depuis le parcours du tram et à son arrivée à Starcoop • Atténuer la rupture paysagère que représente la route du Port du Rhin

• Les bâtiments sont principalement désaffectés, cependant des artistes logent sur place et font vivre la Coop

• Côté culturel, des ateliers d’artistes seront intégrés au projet et les différents projets généreront de l’emploi • Côté habitation, certains bâtiments seront réhabilités et d’autres seront construits.

• Profiter de la possibilité de vivre au sein d’un pôle culturel et coopératif pour révolutionner la façon d’habiter.

• Les acteurs transfrontaliers ne sont pas représentés au sein du projet Coop bien qu’ils soient informés du déroulement.

• Pour l’instant aucun acteur transfrontalier n’est impliqué dans le projet.

• Représenter les instances de coopération au sein de la Coop afin de développer des projets visibles et compréhensibles pour les habitants à l’échelle locale.

• La Coop ne dépend plus des infrastructures portuaires, pourtant elle est très proche des points de tension et d’attraction du port. • La Coop et ses limites participent à faire le la route du Port du Rhin une façade entre ville et port.

• Le siège du Port Autonome de Strasbourg pourrait être déplacé au sein de la Coopérative

• Encourager tous les acteurs du territoire à être représentés au sein de la Coop.

129


scénarIOS Explorer les futurs possibles pour choisir le futur souhaitable.

Scénario d’anticipation

Scénario exploratoire

Type de scénario

Les différents types de scénarios d’après P.-A. Julien, P. Lamonde et D. Latouche, «La méthode des scénarios en prospective», L’actualité économique, Volume 51, numéro 2, avril-juin 1975, p 253-281

Prémisse

Prémisse

Scénario tendanciel, extrapolation tendancielle

Cherche à identifier un futur possible

But du scénario

Assume la permanence et la prédominance des tendances lourdes

Examine la continuation de ces tendances dans l’avenir

Scénario d’encadrement, extrapolation contrastée

Veut délimiter l’espace des futurs possibles

Assume la permanence et la prédominance de certaines tendances lourdes (privilégiées)

Fait varier de façon extrême les hypothèses concernant l’évolution de ces tendances

Scénario normatif

Cherche à produire une image d’un futur possible et souhaitable

Assume que l’on peut déterminer tout d’abord un ensemble d’objectifs à réaliser

Fait la synthèse de ces objectifs et relie cette image du futur au présent par un cheminement plausible

Scénario contrasté

Esquisse un futur souhaitable à la frontière des possibles

Assume que l’on peut déterminer tout d’abord un ensemble d’objectifs à réaliser s’écartant des objectifs de référence

Fait la synthèse de ces objectifs et relie cette image du futur au présent par un cheminement plausible

Il existe plusieurs types de scénarios prospectifs : la méthode exploratoire qui, en simplifiant des états des lieux, des hypothèses d’évolution et des tendances observées, permet d’aboutir à des scénarios prospectifs qui suivent les tendances majeures ou en privilégie certaines. La méthode d’anticipation quant à elle, aussi appelée méthode de l’intuition et de la créativité, convient de ne pas se limiter à l’autocensure et à développer des scénarios dynamiques à partir de signaux faibles ou d’objectifs à réaliser. Afin de constituer la base de mes scénarios, j’ai déterminé une échelle que je souhaite rester globale (plutôt à l’échelle territoire transfrontalier - ville130

port) puis les éléments de composition (les dynamiques) s’appliquant directement au territoire, les invariantes, qui vont pouvoir être déclinées sous différentes formes suivant les scénarios. Ces éléments sont : l’occupation du sol / le nouvel axe urbain vers l’Est la coopération transfrontalière

et

l’identité

la nature au sein de l’île aux épis les réseaux de communication les ports de Strasbourg et de Kehl le patrimoine et le tourisme


SCÉNARIO 1 Scénario tendanciel : un hub portuaire où ville subit le port Le nouveau pôle urbain «Axe Deux-Rives» est contraint dans le périmètre de la Z.A.C. ce qui crée une limite franche entre la ville et le port, sans porosité possible (nuisances, ...). La ville s’étend aussi en l’Allemagne. Il y a un clivage entre les nouveaux quartiers et le quartier ouvrier du Port du Rhin.

La coopération transfrontalière est forte mais elle n’est pas lisible dans l’espace : les ports de Strasbourg et Kehl ont un développement séparé, l’identité transfrontalière n’est pas mise en valeur.

La nature peine à reprendre ses droits car les industries industrialoportaires constituent toujours une rupture du corridor écologique rhénan. Le parc du Petit Rhin ne s’est établi qu’au sud de l’île sur son emprise inconstructible et ne s’intègre pas à la ville, comme la partie française du Jardin des Deux-Rives

Le cluster portuaire est saturé, tout en gardant ses activités à Strasbourg il se développe sur d’autres pôles le long du Rhin, mais ne collabore pas avec le port de Kehl.

Les réseaux de communication et la route en particulier sont toujours très développés sur l’île, contribuant à l’enclavement de la ville malgré une bonne desserte multi-modale.

Le patrimoine portuaire est conservé mais il n’est pas accessible et ne crée pas d’intérêts pour les usages urbains.

Ce scénario indique comment la ZAC Deux-Rives tend à se développer à moyen terme. La ville ne fait que transpercer le complexe industrialo-portuaire mais ne parvient pas à remettre en cause son fonctionnement. Les deux entités se nuisent donc l’une l’autre. 131


SCÉNARIO 2 Scénario d’encadrement : une ville généralisée où le port subit la ville

L’Axe Deux-Rives s’étend peu à peu et s’épaissit jusqu’à chasser le port hors de l’île aux épis. La ville établie est une ville générique qui se développe de manière uniforme sur l’île et du côté allemand, avec de grands ensembles modernes et hauts qui contrastent avec le quartier du port du Rhin et les maisons Kehloises.

La coopération francoallemande façonne le développement du territoire puisque le P.A.S. peut aussi s’étendre en Allemagne tout comme la prolongation de l’Axe Deux-Rives, faisant suite à l’extension du tram jusqu’au centre-ville de Kehl.

Grâce au recul des industries portuaires et des axes de communication portuaires, le lit du Petit Rhin accueille une large frange boisée reconstituant un corridor écologique Nord-Sud. Le vocabulaire végétal est urbain tout comme sur le reste de l’île où les zones urbanisées imperméables dominent.

Le port se développe côté allemand en optimisant le foncier disponible et se développe aussi dans les autres ports du P.A.S. de Lauterbourg, Marckolsheim et Beinheim le long du Rhin. Seul le port Sud se développe encore à Strasbourg et est déconnecté du centreville.

Les modes de transports doux se développent en majorité et certains axes routiers autrefois nuisant ne desservent plus l’île, ce qui permet d’éloigner les voitures et les camions des centres urbains et des rives du Rhin.

Le patrimoine portuaire est abandonné à la ville qui l’intègre aux usages urbains, de la même façon que la presqu’île Malraux : des usages urbains prennent place dans les anciens locaux portuaires abandonnés comme dans la Coop Alsace. Ces usages créés n’appellent qu’à peu de mixité sociale.

À plus long terme, et en vue du type de développement possible du port, l’urbanisation pourrait prendre le dessus sur l’île aux épis et y imposer une ville générique qui aurait tendance à simplement effacer la frontière plutôt que de la transgresser. 132


SCÉNARIO 3 Scénario d’anticipation : l’équilibre d’une ville portuaire Les nouveaux quartiers d’habitation présentent des morphologies innovantes liées aux activités portuaires et à la conscience du risque, tout en tenant compte des usages français et allemands. L’interface avec les activités portuaires est poreuse dans un sens comme dans l’autre.

L’île aux épis devient un territoire privilégié pour mettre en œuvre l’innovation transfrontalière en matière de forme d’habitats, d’usages et de gouvernance. Les flux Ouest-Est et Est-Ouest sont équilibrés sur ce territoire et les identités sont complémentaires.

Le lit du Petit Rhin est végétalisé de façon à recréer les forêts alluviales rhénanes et leurs propriétés épuratrices, ce qui recrée une place aux paysages humides du Rhin. La biodiversité prend aussi place en milieu urbain en valorisant les espèces endémiques du bassin rhénan, et en milieu industriel grâce à l’écologie industrielle.

À l’équilibre entre réticularité fluviale et centralité urbaine, le port reconnecté avec sa ville permet d’assumer le caractère portuaire de la ville. L’optimisation du foncier, l’éclatement spatial, l’éloignement des nuisances, la valorisation de la voie fluviale et la complémentarité transfrontalière, permettent une acceptation du port en milieu urbain.

Grâce à la valorisation des voies fluviales et à une logistique du «dernier kilomètre» innovante, les réseaux de communication routiers et ferroviaires liés au port se rétractent laissant place à une diversité de déplacements doux au sein de l’interface urbanoportuaire.

Le patrimoine portuaire permet d’attirer le public et de valoriser l’histoire du port et de la frontière, tout en créant de nouveaux usages qui touchent à la fois les ouvriers du port, les anciens habitants et les nouveaux habitants de l’île. Cette attraction permet de créer des parcours touristiques piétons et fluviaux.

Dans ce scénario, l’imbrication ville-port fonctionne et permet aux deux entités de vivre en équilibre et de se développer en interdépendance pour s’élever au niveau d’une capitale portuaire européenne. 133


134


06

Vers le projet

135


Schéma directeur «Mémoire». 136

0

0,5

1

1,5

2 km


mémoire Schéma directeur

territoire transfrontalier

ville-port

coopérative

• Retrouver le symbole de l’emprise du Rhin en valorisant les zones de contact avec l’eau

• Donner de l’épaisseur au corridor écologique sur l’île aux épis

• Donner à voir la coopération transfrontalière au sein de la Coopérative

Secteur de quais à aménager en berges naturelles

Une nature urbaine à identifier sous la forme de pas japonais Développer les zones de perméabilité pour la biodiversité Restaurer les passages étroits pour la biodiversité • Donner à voir l’ambiance urbano-portuaire et l’histoire de l’île aux épis

Créer un rassemblement de tous les représentants du territoire (siège du PAS, de la SPL, de l’Eurodistrict, des associations, ...). • Insuffler «l’esprit Coop» au territoire transfrontalier

• Valoriser les corridors écologiques terrestres au moyen de la renaturation de la forêt alluviale Corridor à conforter Alignements d’arbres à pérenniser • Donner à voir le patrimoine lié à la frontière et l’histoire commune Identifier les marqueurs de la frontière et aménager leurs abords (Citadelle, caserne, bunkers, ...) Intégrer ces événements paysagers à des parcours thématiques (piste des forts, ...)

Ambiance urbano-portuaire existante à retravailler

Créer un réseau transfrontalier de producteurs, artisans, agriculteurs, ... et valoriser leur travail au sein de la Coop.

Valoriser le potentiel des séquences paysagères Ensemble patrimonial à valoriser Patrimoine isolé à valoriser Développer les ports de plaisance Site d’écluse et de confluence à valoriser

137


Schéma directeur «Effacement». 138

0

0,5

1

1,5

2 km


effacement Schéma directeur

territoire transfrontalier • De la coupure à la couture, effacer les frontières Multiplier les franchissements et faciliter la mobilité transfrontalière. Faciliter l’urbanisation vers l’Est. Penser la transition et l’homogénéisation des deux côtés de la frontière Faciliter les projets frontaliers en atténuant les différences normatives. Atténuer la rupture entre l’agglomération et les zones rurales

ville-port • Imbriquer ville et port Identifier les émetteurs de nuisances et programmer leur renouvellement Concevoir des habitations liées aux caractéristiques du site (hauteur modérée, conscience du risque de pollution, zones humides, ...) Travailler les axes de rupture ville-port • Le port, une porte d’entrée de l’agglomération à mettre en scène

coopérative • Renforcer l’impact du projet Coop Travailler les abords et les accès à la Coopérative Développer le site de la Coopérative comme un nœud multimodal, un point d’entrée majeur dans le port Définir la Coop comme un lieu de centralité de services à renforcer ou créer.

Trame routière structurante à conserver Trame routière à reconsidérer Développer la desserte par les modes doux Mutualiser la distribution vers les zones urbanisées depuis le port Renforcer les points d’articulation entre le port et la ville

139


Schéma directeur «Mémoire». 140

0

0,5

1

1,5

2 km


transgression Schéma directeur

territoire transfrontalier • Marquer les épaisseurs de la frontière Mettre en scène les façades entre les «couches» de la frontière Marquer les multiples franchissements et valoriser leurs accroches Restaurer le corridor écologique du lit du Petit Rhin • Faire émerger l’expérience de l’identité européenne

ville-port • Transgresser ville et port Valoriser les points de vue

coopérative

• Développer accessibles à tous

des

projets

Mailler les espaces publics existants par des parcours thématiques (histoire du port, histoire de la frontière, ...)

Mettre en place des projets qui s’adressent aux ouvriers du port, aux habitants du quartier du Port du Rhin, aux nouveaux habitants, aux Allemands, ...

Créer des usages urbains dans des lieux stratégiques du port

• Faire rayonner la Coopérative dans l’aménagement du territoire

Développer des séquences paysagères le long des axes de communication

Instaurer l’idéologie coopérative dans les espaces publics

Développer conjointement le port de Strasbourg et le port de Kehl, développer les ports secondaires le long du Rhin

141


concept de projet : le co-urbanisme to

o

Po

i at

e-

LA C O Opér

ve

Vi

ll

Inspiré par : «Co-urbanisme, 15 fabriques collaboratives de la ville», Exposition créée par le Pavillon de l’Arsenal, septembre 2015.

collaborations

er

T e r ri

ransfr

rt

et

ali nt

temporalités

ir

formes urbaines

temporalités Complémentarité des actions de court terme et de long terme • Aménagements de proximité produits avec les habitants dans le cadre de projets urbains. • Actions de court terme intégrées au «plan-guide» (outils de conception urbaine, aménagement rapide et temporaire, supports de dialogue, ...). 142

Processus itératif • Observer, tester, préfigurer, prototyper, évaluer, enrichir le projet

À partir du croisement des trois composantes de l’épaisseur de la frontière, on obtient trois questionnements : • Temporalités : comment lier le temps long des projets urbains à l’immédiat du quotidien des usages ? • Formes urbaines : comment concevoir la ville à toutes les échelles ? • Collaborations : comment mettre le dialogue au cœur de la fabrique urbaine ? Le co-urbanisme place le lien social au cœur de la stratégie de projet. Par des actions à court terme, il permet de réaliser des aménagements structurants. Il crée de nouvelles formes d’urbanité à la recherche de sobritété. Voici son fonctionnement possible à l’échelle du site de projet : •

Stratégies d’aménagement évolutives et collectives • Plan-programme • Chantier ouvert au public, support de conception urbaine • Aménagement et programmes évolutifs en fonction des usages et des saisons.


formes urbaines Donner de l’attention aux ressources locales • Mise en valeur de l’existant (usages et architectures hétérogènes, ...). • Observation et conception de projet à la parcelle.

Conception de la ville à échelle humaine

Aménagement collaboratif • Co-construction d’aménagement temporaire, léger • Lots de travaux co-fabriqués avec les usagers • Ateliers de co-programmation.

• Taille de l’îlot favorisant les interactions sociales Initiatives spontanées dans l’espace public encouragées • Création d’interactions visuelles par le dimensionnement et la programmation des espaces.

collaborations Permanence du site

Gouvernance partagée • Implication du conseil citoyen au projet urbain • Appel à projets citoyens pour coconcevoir et gérer les espaces • Instances de décision mixte, «Société Coopérative d’Intérêt Collectif.

•Expériences et pratiques quotidiennes des lieux • Local de travail et d’accueil des usagers • Résidence sur site : habiter sur place.

Conduite collaborative de projets •Cartographie des acteurs et des ressources locales • Outils de médiation interactifs et accessibles • Lieux de débats favorisant l’émergence d’autres formes de dialogue • Programmation culturelle comme outil de conception urbaine.

Exemples d’application du co-urbanisme : des outils d’aménagement suivant différentes temporalités (de l’effet immédiat à gauche vers le long terme à droite) : sport et usages Peinture au sol

Microstructures sportives

culture et événements Structure légères pour accueillir des événements

aménagement et paysage

Microstructures urbaines (bancs, fontaines, installations, ...)

Des conteneurs/wagons/ camions utilisés comme lieux d’expositions

Gestion de la topographie et de l’hydrographie

Commodité des équipements sportifs

Installations artistiques

Réservoirs et infiltration de l’eau

Installations sportives polyvalentes

Maison culturelle

Épuration naturelle de l’eau 143


3

2

1

4

5 5

Photo aĂŠrienne du site de projet potentiel 144

0

100

200

300

400m


émergence d’un site Un point de frottement entre activités portuaires et urbanisation.

(1) Le Bassin du Commerce et la Capitainerie.

(2) Les anciens chemins de fer et l’aire d’amarage des bateaux BATORAMA.

(3) Les Grands Moulins de Strasbourg près du Port aux pétroles.

(4) La Malterie.

(5) La rue du Port du Rhin et la Coopérative

(6) Le Bassin du Commerce et le terminal conteneurs Nord.

145


références (1) La forêt flottante de Rotterdam, Bobbing Forest, 2016 Dobberend Bos, Olivier Scheffer.

(2) Bains du port, BIG + JDS, Copenhague. (3) Promenade sur le bord du lac Paprocany, RS + studio, Pologne (4) Aire de jeux/ sport, Basket Bar, NL Architects, Utrecht

(5) Claus en Kaan, 1997, Amsterdam

(6) De larges espaces commun, Bouillaud et Donnadieu, Tilia, 2008, Nantes

146


(7) Parc Tianjin Qiaoyuan, Turenscape, 2008, Chine.

(8) Arrêt de tram, Limmatplatz, Baumann Roserens

(9) Quartier Nuwog, Fink + Jocher, Neu-Ulm, 2007

(10) Otto Piene, Red Helium Sky Line, 1970

(11) The Cirkelbroen Bridge, Copenhague. par l’artiste Olafur Eliasson (12) Bicycle Snake, Dissing+Weitling, Copenhague, 2014

147


148


149


150


conclusion J’ai dans un premier temps pensé me confronter à un sujet dont je n’avais aucune connaissance sinon des intuitions. Bien qu’étant alsacienne, je connaissais très peu Strasbourg. Pourtant tout a fini par se rencontrer. De la 4L de ma mère débarquée au port de Strasbourg aux produits de la Coop Alsace que me cuisinait ma grand-mère, c’est mon site d’étude qui est venu à moi. En assemblant les fragments du territoire je me suis confrontée à la puissance de la mémoire collective. Ceci m’a intimement convaincue de l’influence et de l’impact dans le quotidien que peut avoir un lieu de confluence identitaire, économique et historique comme la frontière à Strasbourg-Kehl. Au cœur de la frontière de Strasbourg-Kehl se trouve une multitude d’autres frontières : sociale, paysagère, industrielle, urbaine, qui ont influencé son développement. C’est à l’échelle locale que cette ligne fictive bouleverse l’aménagement du paysage. Utiliser ce pouvoir antonyme d’attraction et de répulsion peut permettre de révéler le potentiel du territoire transfrontalier à l’échelle de la métropole européenne, de la ville portuaire et de la ville co-urbanisée. Or c’est bien à l’échelle humaine que se joue l’émergence des identités et leur mise en valeur. Choisir le lien social comme stratégie de projet, c’est réfléchir à une nouvelle façon de concevoir la ville, à considérer les différentes temporalités et à mettre le dialogue au centre de la fabrique urbaine.

151


bibliographie OUVRAGES • WENDLIG, P. 2014, Coop «Alsace, Plus d’un siècle de complicité partagée», Éditions Vent d’Est, 509p. • BONNET D, KOVAR J.-F., ZVARDON F. 2016, «Un port au coeur de la ville, le Port autonome de Strasbourg», Éditions du Signe, 192p. • TSIOMIS, Y, ZIEGLER V. 2007, «Anatomie de projets urbains, Bordeaux, Lyon, Rennes, Strasbourg», Éditions de la Villette, 334p. • ADEUS, 2004, «Livre blanc Strasbourg-Ortenau», ADEUS (financement INTERREG III), 158p. • MOTTET V, 2016, «Construire une agglomération transfrontalière - Méthode pour surmonter les contradictions normatives», Éditions EMS Management & Société, 142p. • DULLIN, S. 2014, «La frontière épaisse. Aux origines des politiques soviétiques (1920-1940), Paris, Éditions de l’EHESS, 360p. • DENÉCHÈRE, Y, VINCENT M.-B. 2010, «Vivre et construire l’Europe à l’échelle territoriale de 1945 à nos jours», Éditions Peter Lang, 308p. REVUES • VAN EYCJ, J. «Identity is not imitation», Topos, 92 2015, p22-29. • PONS, A. «Un ‘Leitbild’ pour la zone portuaire, imbriquer port, ville et nature», Les notes • de l’Adeus, 206, mars 2016, 7p. • PONS, A. ADEUS, «Les ports, facteurs clés pour l’industrie et la logistique», Les rencontres de l’ADEUS, Cycle port : enjeux économiques et territoriaux, Strasbourg, décembre 2014, 12p. • VILLE DE STRASBOURG, «Le patrimoine portuaire de Strasbourg», Document réalisé par la Mission Patrimoine Direction de la Culture Ville et Communauté urbaine de Strasbourg en partenariat avec le Port autonome de Strasbourg, septembre 2013, 12p. • AGENCE DE L’EAU RHIN-MEUSE, «Les Forêts inondables de l’Est et du Nord-Est de la France», 2005, kap pakkap, 2p. ARTICLES WEB • BEYER, A, DEBRIE,J. « Les temporalités frontalières et urbaines du port de Strasbourg. Analyse géohistorique d’une relation fluviale ville-port », Métropoles [En ligne], 10 | 2011,

152


mis en ligne le 15 mai 2012, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://metropoles.revues.org/4494 • CALVET, C. ««Les Etats européens ont beaucoup de mal à envisager la complexité nouvelle des frontières», interview de Sabine Dullin, Libération [En ligne], mis en ligne le 5 août 2016, consulté le 10 août 2016. URL : http://www.liberation.fr/planete/2016/08/05/les-etats-europeens-ont-beaucoup-demal-a-envisager-la-complexite-nouvelle-des-frontieres_1470541 • REITEL, B. 2005, «Mémoire, effacement et transgression : l’aménagement urbain des zones frontières de villes-frontières (Berlin, Frankfurt/ Oder-Slubice, Strasbourg-Kehl), Le Globe, Revue genevoise de géographie, tome 145. Fontières - frontière, p29-p58. URL : www.persee.fr/doc/globe_0398-3412_2005_num_145_1_1499 •DUCRUET, C. « Typologie mondiale des relations ville-port », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Espace, Société, Territoire, document 417, mis en ligne le 27 mars 2008, consulté le 08 janvier 2017. URL : http://cybergeo.revues.org/17332 FILMOGRAPHIE • BOOTH, T. «Food Coop», 2016, production Lardux Films, long métrage , documentaire. données géographiques et sites web • SIG FRANCE, URL : www.ign.fr • Géoportail France, URL www.geoportail.gouv.fr/accueil • Documents d’urbanisme (PADD, PLU) pour l’Eurométropole Strasbourg • Conférence franco-germano-suisse du Rhin supérieur, URL http://www.conference-rhinsup.org/fr/home.html • Mission Opérationnelle Transfrontalière, URL http://www.espaces-transfrontaliers.org • Eurodistrict Strasbourg-Ortenau, URL http://www.eurodistrict.eu 153


154


remerciements

Je souhaite tout d’abord remercier mes professeurs qui m’ont accompagnée pour ce mémoire : Grégory Morisseau, pour son soutien et ses conseils avisés qui m’ont poussée à avoir une vision prospective et résiliente du paysage, Christophe Le Toquin, pour ses encouragements, sa disponibilité, son enthousiasme face au sujet que j’ai choisi et sa vision du paysage, Mes remerciements s’adressent aussi à tous les acteurs du territoire qui ont pris le temps de me rencontrer et ont montré de l’intérêt pour mon travail : Benoît Barnoud paysagiste DPLG et architecte HMONP, chef de projet à l’Agence Ter, Lioba Markl-Hummel, chargée de projet senior au GECT Eurodistrict Strasbourg-Ortenau, Janine RUF de l’ADEUS, Émilie Gravier et Bénédicte Sénèque du Port Autonome de Strasbourg, François Jolidon chargé de communication de la S.P.L. des Deux-Rives, Jean-François Alberico Chef de projet service des Projets urbains direction Urbanisme et Territoires, Ville et Eurométropole Strasbourg, Anette Lipowsky chef du département coopération transfrontalière de la ville de Kehl et Chloé Maksoudian, Jean-François Gérard journaliste chez Rue89-Strasbourg, Alfred Peter et l’Atelier Approche.s !. Et bien sûr, je remercie ma famille et principalement ma mère pour son soutien sans faille, Benoît et sa famille pour leur bienveillance, Merci à toutes les personnes qui m’ont formée durant mes stages à l’Agence Ter (Karlsruhe) et l’Atelier de l’Île (Paris), Aux 102 personnes qui ont bien voulu remplir mon questionnaire de «concertation».

155


mémoire, effacement et transgression

construire un territoire transfrontalier à strasbourg-kehl RÉSUMÉ Inscrite dans le bassin rhénan, la particularité de la frontière franco-allemande est d’être naturelle, matérialisée par le Rhin, fleuve international canalisé et industrialisé. Elle a été le lieu d’affrontement de plusieurs idéologies en étant le centre de nombreux changements, ce qui a largement influencé un développement caractéristique (une ville à 180°). Cette frontière est donc double, à la fois physique et symbolique. De nos jours, la frontière de Strasbourg-Kehl est un exemple représentatif de la nouvelle politique de coopération transfrontalière initiée par l’Union Européenne. En effet Strasbourg accueille le Parlement Européen, a inauguré en 2004 le très symbolique Jardin des Deux-Rives et sa passerelle Mimram. La ville de Kehl est intégrée aux réflexions d’aménagement, et plus récemment, la Z.A.C. des Deux-Rives a été créée sur une partie du territoire du Port Autonome de Strasbourg, avec le projet de prolonger le tram Strasbourgeois jusqu’à Kehl d’ici 2017 et de construire de nouveaux logements. Cette frontière qui a toujours été attractive par son potentiel économique, mais délaissée car dangereuse (guerres, crues du Rhin, risques technologiques et industriels du Port Autonome de Strasbourg, flux migratoires contrôlés ...),

louise checa 2016-2017 mémoire de fin d’études

l’école de la nature et du paysage - INSA CVL 3 rue de la Chocolaterie - CS 23410 - 41034 Blois cedex 156

présente aujourd’hui de réelles opportunités foncières. Ces lieux autrefois aménagés comme des espaces périphériques (zone portuaire, entrepôts, friches industrielles, …) peuvent aujourd’hui être des éléments de continuité et de centralité dont le renouvellement nécessite une vision transfrontalière globale. Pour considérer l’emprise de ce territoirefrontière sans ses limites établies, j’ai choisi de considérer que la frontière-ligne n’a plus de sens entre les pays de l’espace Schengen et en particulier ici à Strasbourg. Ce postulat induit un effacement des frontières, une politique déjà mise en œuvre de nos jours mais sans réalité paysagère. Effacer la frontière ne signifie pas pour moi créer une «non-frontière» mais bien valoriser un territoire en lui donnant son épaisseur, en transgressant donc la frontière. Dans ce cadre, d’une« frontière-ligne » à une « frontière-lieu », comment l’aménagement paysager peut-il être un outil pour transgresser la frontière ? Quelles nouvelles formes urbaines et modes de gouvernance cela initierait afin d’affirmer les identités transfrontalières ?


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.