géographie, urbanisme & commercialisation de la révolution sexuelle
SEX EMPORIUM
Si ce mémoire est en premier lieu un travail universitaire, il a été pour moi l’occasion de rencontrer d’incroyables personnes. Je tiens à les remercier pour le crédit et l’aide qu’ils ont pu m’apporter. Merci à Francesco Vezzoli pour ses précieux conseils et sa sympathie. Merci à Massimiliano Pipolo, pour toutes les informations qu’il a pu m’apporter, son accueil et sa disponibilité depuis le tout début de mes recherches. Merci à Nikolai Haas, pour sa spontaneité et son enthousiasme. Merci à Olivier Nicklaus pour le temps qu’il m’a accordé, son analyse et sa gentillesse. Merci à Rhita, Delphine et Léa, pour leur aide au quotidien. Enfin, un immense merci à Denyse Rodriguez-Tomé, pour l’incroyable confiance qu’elle m’a accordée, sa disponibilité, son professionalisme mais aussi son humour et son insatiable curiosité.
s i u o L 1
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INTRODUCTION 4
ET LA VILLE S’EST FAITE CHAIR 12 BOULEVARD DE LA JOIE 18 PARIS PLAISIR 20 BANG ET GANG BANG 23 FEMMES ENTRE ELLES 26 MOI TARZAN, TOI JANE 27 MIX THE BOURGEOISIE AND THE REBEL 28 GAYTED COMMUNITY 34
DEVIOUS FASHION 42 ABSOLUTELY FABULOUS SILENT SHOUT DISPARAÎTRE ICI IN THE RICH MAN’S WORLD
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ITALIAN PSYCHO
62 WELCOME TO FABULOUS VERSACE 74 GIGI L’AMBIZIOSO 76 S&M 83 GIANNI’S LEGACY 88 VIA DELLA SPIGA, LE MONDE 90 LA MANIERA GRECA 91 C’EST BYZANCE 93 ALL OVERSACE 100 COME IN MY ROOM, MY SHEET VERSACE 102 PALAZZO BUSINESS 106 CONCLUSION 108 BIBLIOGRAPHIE
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INTRODUCTIO
Subversif pourtant universel, le sexe est présent dans tous les esprits, dans toutes les civilisations, et très souvent, ailleurs. Bien loin de sa fonction primaire, il est devenu vecteur de pouvoir, de domination, il fut à l’origine de guerres innombrables et de légendes éternelles. Il est désormais affaire de culture, en témoignent les agitations récentes dans notre hémicycle et dans nos rues, où la question de l’orientation sexuelle, et des droits découlant des relatives préférences a remué pendant des mois l’opinion publique. Messaline, Caligula, Raspoutine, Bill Clinton, Silvio Berlusconi (nous nous arrêterons à ces quelques légendes du genre, tant la liste des personnes de pouvoir connues pour leur insatiable sexualité, loin d’être exhaustive, suffirait à remplir ces quelques pages)... Tous ont essuyé, au sommet du pouvoir, une réputation sulfureuse (plus ou moins avérée au demeurant) si bien que la simple évocation de leurs noms suffira à faire dresser les poils des plus conservateurs, et les organes de coquins observateurs. Chez les architectes, il en est de même, et il semblerait même, que nous exercions l’une des professions les plus lubriques... La corrélation facile entre sexualité, pouvoir et architecture est significative de la phallocratie quasi institutionnelle de notre civilisation judéo-chrétienne, où la substitution des égos (ou des organes) à la grandeur d’un gratte-ciel ou d’un empire semble finalement formaliser la domination ultime. Dans les années 1780, Claude Nicolas Ledoux, plutôt que de nier cette évidence, et de se conforter dans la pudibonderie instaurée par l’Eglise Catholique, dessine tout simplement, un temple du plaisir, masculin, en forme de pénis. Réminiscence de la culture des plaisirs de la chaire des temps antiques... Postmodernisme architectural et culturel avant l’heure... Pour Ledoux, l’Utopie sociale passe notamment par la libération des moeurs dans une cité idéale n’ayant d’autre utilité que de s’abandonner à ses désirs les plus 4
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divers et les plus pervers. C’est ainsi, en quelque sorte, le début des sex-shops, peep-shows et back-rooms que préfigure l’Oikema. Le catholicisme, et son méritoire, institutionnalisent la notion de péché et de culpabilité, que des centaines d’années de lavage à l’eau bénite ne suffiront pas à faire disparaître totalement. Dès lors, la sexualité et les charmes sont l’apanage de Satan, et quiconque revendique un quelconque érotisme se verra diabolisé par la doxa. Le sexe est malgré tout porteur d’une idée de liberté, que ce soit pour Ledoux, pour les civilisations antiques, et ne serait-ce même au travers de l’étymologie de notions tel que «Libertin», c’est d’ailleurs bien cela qui peut effrayer la Sainte Eglise. Puis Mai 68, le sexe devient alors une vraie question politique. Il commence à s’affranchir de ces siècles d’autisme, la mondialisation s’ouvre au commerce du sexe. Et puisque désormais il a droit de citer, on se rend compte de l’évidence du millénaire, le sexe fait vendre... Zahia, aka Comtesse Ribery... emboite le pas, et au lendemain de son aventure avec le footballeur, lance sa ligne de lingerie, elle est même soutenue par Karl Lagerfeld. C’est aussi un des aspects auquel on assiste depuis quelques années, l’imbrication de l’esthétique porn dans le monde de la mode et du luxe, et les stratégies commerciales du luxe empiètent dans la vente des articles érotiques. Depuis la libération des moeurs, le sexe est un argument marketing de poids, sexe et économie sont intimement liés. Si la société de consommation représente pour ces plus grands ennemis (Pasolini, pour n’en citer qu’un) la fin de toute liberté, elle peut cependant aussi être envisagée comme vecteur d’émancipation. Pensons à l’évolution du statut de la femme, devenue actrice principale et libre de l’industrie de la mode pendant des décennies. 5
Puis maintenant avec la démocratisation de la sexualité, les femmes, encore, sont devenues une cible à part entière de l’industrie du sexe, lingerie coquine et sex-toy représentent à la fois un véritable marché, mais aussi un symbole de libération de la sexualité féminine. Parler de la société, de l’architecture, de la mondialisation et de la culture sous le spectre de la sexualité, l’entreprise semblait certes risquée, potentiellement vouée à l’échec, mais aussi pleine de promesses. Saisir une impalpable vérité, et démontrer que la nature humaine répond à des règles, qui non contentes de créer des comportements, passent de l’intangible au physique, en se formalisant par une spatialité et une architecture sexuée et significative de notre identité, mais aussi par des modes de consommation spécifiques. Cette réalité, spirituelle et biologique semble synthétiser l’essence même de l’humanité, littéralement, c’est par elle que nous naissons. L’intuition d’un espace sexué, animant dès le début les prémices d’une réflexion sur la société depuis l’Antiquité jusqu’à l’ère de la mondialisation, semble faire sens dans le cadre de ce mémoire sur l’architecture commerciale.
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De plus, il semble comme nous avons pu l’identifier précédemment, que la mode puisse se trouver à l’intersection de la sexualité et de la consommation. Elle incarne un désir, et substitue à une enveloppe charnelle une appartenance à un groupe, elle revendique une identité et donc traduit une liberté de choix. La mode apparait comme un objet d’étude providentiel dans le cadre de nos recherches sur la liberté, la sexualité et la consommation. Aussi, plutôt que de parler de ces phénomènes, en nous appuyant uniquement sur ce qui peut sembler être le paroxysme du sujet - les sex-shops - nous illustrerons cette réflexion en analysant la stratégie de cette maison italienne souvent dénigrée par la fashion intelligentsia, pourtant porteuse d’idées telles que le pouvoir, la liberté, la religion, mais aussi l’ironie et évidemment la sexualité : Versace.
Cette maison a su imposer et garder un certain style, fait de sexualité, de provocation et a créé une mythologie, ce qui est loin d’être le cas de la plupart des maisons, changeant de directeur artistique comme de chemise. Parce qu’elle assume de ne pas être une maison intelligente et conceptuelle, mais traditionnelle, artisanale, familiale et malgré tout, aussi vulgaire qu’elle peut paraître pour certain, elle reste synonyme d’un savoir faire particulier et d’une certaine idée de liberté décomplexée. Là où elle peut paraître futile elle montre au contraire qu’elle ne prétend pas être autre chose qu’une maison, qui dessine des robes, pour des événements mondains et s’inscrit inconsciemment dans un mouvement purement postmoderne et CAMP. Mais aussi parce qu’elle met en avant le corps, criant son sex-appeal de façon outrageuse. Porter du Versace, c’est proclamer un train de vie particulier, qu’il n’est pas toujours bien vu d’assumer. 8
Peut-être que nous en avions marre de porter des vêtements APC. Peut-être qu’au fond nous voulons vivre à la croisée d’une série HBO, d’un roman de Françoise Sagan, d’un clip de Lady Gaga et d’un porno de Sean Cody... quoi qu’il en soit, maintenant c’est harnais griffé, Medusa et chemise en soie. Brûlons nos caleçons en coton bio et plongeons nous intégralement dans ce mémoire.
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Quelle est la place de la sexualité dans la culture depuis la libération sexuelle, est-ce devenu un outil de marketing, représente-t-il toujours le symbole de la liberté et de l’émancipation ? La Ville, un espace des possibles : comment le sexe s’y spatialise à travers l’histoire ? La mode, depuis les années 80, incarne-t-elle le point de rencontre entre la sexualité et la société de consommation ? Versace incarne le paroxysme de la sexualisation de la mode et du sexy. Comment la sexualité se formalise dans l’image de marque ? Avant la révolution sexuelle, le sexe représentait une vraie promotion de la liberté. Avec l’avancée du consumérisme, et l’acquisition de la liberté sexuelle, le sexe, est devenu un vecteur marketing, donc aliénant. Dans un même temps, l’émancipation de la femme a notamment été permise par l’accès de ces dernières à la société de consommation. Le rapport de la mode au corps comme produit de désir représente alors la matérialisation de la sexualité. Cependant avec la mondialisation, on assiste à une standardisation de l’espace de marque, qui pourrait induire une dé-sexualisation. Quel rapport cela traduit-il ? La révolution sexuelle comme une rupture dans l’histoire de la société. Depuis, la sexualité est un domaine largement investi par la société de consommation et l’industrie du luxe. À travers l’étude des boutiques, des défilés et de la ligne de meubles, comment Versace utilise l’espace pour identifier une image de marque construite autour de la sexualité comme vecteur de pouvoir et d’indépendance ? 10
Nos recherches investissent l’échelle de la ville, voire de la mondialisation de la ville. La ville comme une entité sexuelle et sexuée, produit d’une culture de la prohibition puis de l’émancipation. Puis après avoir identifier la mode comme la conjoncture de la consommation, du désir, et de la sexualité, nous tenterons d’appliquer nos recherches sur trois dimensions investis par la marque : la boutique, le défilé, le lifestyle. Tout d’abord nous nous sommes investis dans une recherche bibliographique poussée et autres références (presses, internet, vidéos...), permettant de mieux identifier les problématiques. Puis nous avons identifier les cas d’étude (Versace : boutiques, mobilier...). Enfin nous avons approchés différentes personnes en rapport avec notre champ d’investigation : - Nicolas Chemla, publicitaire intervenant à l’école de communication de Science Po, il donne un cours sur la sexualité dans la publicité. - Ezio Donnarumma, PR worldwide Versace - Les frères Haas, qui ont collaboré avec la maison Versace pour une ligne de mobilier - Olivier Nicklaus, journaliste, pour sa connaissance du milieu de la mode, et de la sociologie qui l’entoure - Massimilano Pipolo, ancien Visual Architect Versace - Francesco Vezzoli, pour son travail sur la sexualité (Caligula...), son regard sur la société de consommation et le star system
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ET LA VILLE S’EST FAITE CHAIR
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Et la Ville était tournée vers Dieu, Et la Ville était Dieu. Elle était au commencement tournée vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut ne fut sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, Et la lumière brille dans les ténèbres, Et les ténèbres ne l’ont pas comprise.
La ville est une pure création de l’homme. Son concept, sa forme, son usage sont les fruits des activités humaines et cristallise une culture créée de toute pièce, tendant vers une idée de la perfection. C’est un milieu physique, densément peuplé, et dont l’espace, public ou privé, est aménagé pour faciliter ses activités. Comme la Jérusalem Céleste, lieu spirituel, elle représente l’aboutissement de l’Histoire et le retour à la perfection initiale. Les villes et leurs destructions peuplent le récit de la Bible. Parfois idéale, décadente, elles illustrent les désirs, les quêtes et les pulsions des hommes. Comme si la perfection voulue par les hommes ne pouvait être atteinte en ce monde1. Pour Jacques Ellul, la ville peut aussi être vue comme le symbole de la perdition, car elle est le milieu, créé par l’homme, pour échapper au projet de Dieu2. Dans tous les cas, ses créateurs, érigés naturellement en élites, ont construit une ville autour de normes, d’un modèle. La ville occidentale représente un idéal hétérosexuel, patriarcal et phallocrate. 1
RACINE, Jean-Bernard, La Ville entre Dieu et les hommes, Paris, Anthropose-Economica, 1993
2 ELLUL, Jacques, Sans feu ni lieu : Signification biblique de la Grande Ville, Paris, Gallimard, collection Voies ouvertes, 1975, p. 230-237
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Dès lors, quelle est la place de l’altérité dans une telle société ? La ville au travers le mythe de Babel pose aussi directement, avec la diversité des langues, la question des conditions de l’altérité et c’est au travers celle-ci que l’homme devient civilisé par opposition aux barbares3. Si la ville est pensée par les hommes ? Quelle est la place de la femme dans cet espace ? La révolution sexuelle a-telle changé cette organisation ? L’idée que l’idéologie qui divise la ville entre espace public et espace privé, production et reproduction, hommes et femmes est à la fois patriarcale et capitaliste. Parce qu’ils diffèrent, les espaces alloués aux hommes et 3 TASSEL, François-Xavier, Babel, une chance pour les Hommes, Cahiers des amis de Roger Girard, Paris, 2009
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aux femmes jouent un rôle dans la production et le maintien des relations hiérarchiques de genre. D’aprè̀s Henri Lefebvre dans La production de l’espace4 « l’espace urbain est la projection au sol des rapports sociaux ». Les inégalités sociales liées aux genres se retrouvent donc dans la ville, tant sur le plan concret de l’aménagement, du bâti, de la répartition des usages, que sur le plan des pratiques spatiales des individus, qui sont également influencées par leurs appartenances de genre. L’espace urbain, que l’on considère souvent comme universel, est en réalité sexué et « genré ». Pour Eribon, « L’hétérosexualité est l’une des caractéristiques majeures, fondatrices même, de ce que l’on peut désigner comme l’espace public : elle 4 LEFEBVRE, Henri, La production de l’espace, Paris, Economica, 1974.
y est affichée, rappelée, manifestée à chaque instant, dans chaque geste, dans chaque conversation (…) »5 Ce modèle hégémonique est ce que l’on désigne par le terme hétérosexisme. L’enjeu de ce travail n’est pas de démontrer que l’espace de la ville est sexué et a un genre. Il s’agit de comprendre comment s’inscrit, dans le cadre de ce mémoire sur l’architecture commerciale, la question de la révolution sexuelle dans l’espace de la ville, et du shopping ? Partons simplement de ce postulat pour comprendre l’articulation de ces questions, sociales et spatiales. Nous l’aurons compris, la ville est un espace généré par des élites masculines, par une norme hétérosexuelle. Dans cette posture foucaldienne, les espaces sont prescripteurs de
comportements, ils participent à la production des normes qui pérennisent les hiérarchies entre hommes et femmes autant qu’aux constructions identitaires. D’un autre côté, pour Gille Deleuze, « la majorité, c’est un truc qui suppose un étalon. Même quand on vote, ce n’est pas tellement la plus grande quantité qui vote pour telle chose... En occident, l’étalon que suppose toute majorité, c’est : homme, adulte mâle citoyen des villes. C’est ça, l’étalon. Or, la majorité est par nature l’ensemble qui, à tel moment, réalisera cet étalon, c’est-àdire l’image sensée de l’homme adulte, mâle, citoyen des villes. Si bien que je peux dire que la majorité, ça n’est jamais personne. C’est un étalon vide. Simplement, un maximum de personnes se reconnaissent dans cet étalon vide. Mais, en soi, l’étalon est vide. »
5 ERIBON, Didier, Réflexion sur la question gay, Paris, Fayard, 1999.
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Donc si la ville est bâtie autour d’une norme, elle représente une norme fictive, idéale, rêvant du divin. Son fonctionnement est alors indissociable des groupes minoritaires. C’est en répondant en premier lieu aux comportements de ceux qui construisent la ville qu’une norme est apparue. Dès lors tout ce qui est différent de cette dernière doit se révolter pour exister. Sexe et genre incarnent les fondements de cette différenciation, la révolution sexuelle apparaît comme un objet d’étude pertinent. De plus la consommation étant l’un des vecteurs de cette émancipation, nous interrogerons dans ce premier chapitre la portée de cette révolution à travers sa commercialisation. Nous verrons dans un premier temps comment la prostitution et la commercialisation du sexe ont pris forme dans une société et dans une ville, peuplée d’hommes hétérosexuels. Ensuite nous nous intéresserons à l’évolution de la place des femmes dans l’espace public, avec d’abord, l’apparition des grands magasins, à l’époque ou la société connaît d’énormes mutations. Enfin nous verrons comment, avec la consommation, et un style de vie différent du schéma hétérosexuel, la communauté gay a pu s’afficher et exister ouvertement, allant jusqu’à développer une économie particulière (la pink economy). En partant d’une ville créée à l’image de Dieu, comment des millénaires plus tard, le dieu économie a-t-il transformé les espaces où la loi du marché dessine la ville d’aujourd’hui ?
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BOULEVARD DE LA JOIE
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PARIS PLAISIR
Le plaisir dans la ville répond à plusieurs critères. Durant la Belle Epoque, l’argent est là, la stabilité est ambiante. On retrouve alors ses amis au cirque ou au music-hall, pour évoquer les questions politiques et sociales. Les prostituées figurent alors au même titre que les artistes dans ces lieux festifs, elles en sont même un signe de prospérité. Les maisons de débauches apparaissent sous le Directoire et perdurent officiellement jusqu’en 1946, date à laquelle la loi Marthe Richard, qui consacre leur fermeture, est adoptée. Les Folies Bergères, le French Cancan, les froufrous et les rouflaquettes illustrent cette époque, d’un Paris frivole et léger. Les maisons closes d’antan, les plus emblématiques, les plus fantasmatiques, se présentaient comme des clubs privés où l’on pouvait se retrouver entre gens fréquentables, entre personnes de la bonne société. Au-delà de la passe, c’est un moment de détente autour d’un verre, et l’on vient parfois même sans consommer, juste pour s’évader dans un endroit exotique. Pour permettre cette évasion, les lieux comme le One-Two-Two, ou le Chabanais, au-delà d’une exhaustivité de filles, misent sur divers procédés spatiaux et sur de somptueux décors, reconstitution fantasmée de contrées lointaines ou d’époques révolues. L’inconnu comme destination. Échappant au carcan d’un quotidien respectable, l’on s’autorisait des libertés, des exagérations libératrices mais éphémères dans un univers coupé du réel, dans des maisons transfigurées devenues décor d’une illusion de débauche. 20
Alain Corbin décrit ainsi le rôle social du lupanar, évoquant dans les années 1900 : Le bordel est alors tout à la fois un lieu d’initiation pour les adolescents, de consommation sexuelle pour tous ceux qui souffrent de disette en ce domaine, de compensation pour les maris qui rêvent d’une vie sexuelle extra conjugale : c’est aussi un cercle pour la bourgeoisie masculine des petites villes privées de distractions, un haut lieu de l’érotisme pour les blasés, les pervers, ou simplement les curieux de pratiques étranges ou raffinées interdites aux épouses bourgeoises, ce peut être un simple endroit de distraction passagère pour des touristes ou de pèlerins qui cherchent à faire de leur voyage une période de rupture et de dépaysement dans leur vie sexuelle quotidienne6... Certaine têtes couronnées se croisent, ou se laissent entrevoir, la discrétion s’impose dans ces maisons… (le Chabanais se trouvait au programme des visites inscrites au protocole de l’Élysée). La raison de la notoriété de tels établissements procède aussi bien de leur atmosphère architecturale que des dispositifs permettant l’anonymat de cette clientèle variée et particulière.
6 CORBIN, Alain, Les Filles de Noce : Misère Sexuelle et Prostitution : 19e siècle, Flammarion, Paris, 1978
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Outre les classiques chambres à thèmes (mauresque, japonaise, médiévale…) qui usent des attributs exotiques sans trop se soucier de la justesse historique de ces reproductions, des atmosphères plus surprenantes sont proposées. Le One-TwoTwo, a par exemple aménagé ses combles en grenier à foin pour offrir à l’homme de la ville la possibilité de retrouver ses émotions de jeunesse campagnarde avec une fausse paysanne…7 La mise en scène intérieure contraste avec l’apparente normalité de l’extérieur. Pas de porte, volets clos, balcons et lumières suggestives à l’extérieur, corridor, alcôve, rideaux rouges et lumière à l’intérieur, composent le tableau de la maison close. L’espace de la prostitution, quel qu’il soit, demeure par essence un monde des apparences : c’est sa constance et c’est ce qu’il l’a fait perdurer au cours des siècles, dans toutes les cultures. Tout n’y est que vanité qui n’existe que parce que l’on vient justement pour s’y faire tromper, sciemment. Quelques décennies plus tard, l’apport de la pornographie de masse et le lifestyle qu’elle a créé s’illustre parfaitement dans l’imagerie de Playboy, insufflant un vent de liberté sur la vie du mâle, américain (nouvelle norme), de l’après guerre. Hugh Hefner dira au sujet de la Playboy Mansion : Je voulais faire de cette maison une maison de rêve. Un lieu où travailler et aussi s’amuser, sans les problèmes et les conflits du monde extérieur. A l’intérieur, un célibataire avait le contrôle total de son environnement. Je pouvais passer de la nuit au jour, visionner un film à minuit et commander un dîner à midi, avoir des réunions au milieu de la nuit et des rendez-vous galants l’après-midi... Le reste du monde paraissait hors de contrôle, mais dans le Manoir Playboy tout était parfait. C’était mon but. Ayant été élevé de façon très sévère et conformiste, j’ai créé mon propre univers, dans lequel j’étais libre de vivre et d’aimer d’une manière dont la plupart des gens osent à peine rêver8.
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JAMET, Fabienne, One two two - 122 rue de Provence, Paris, Olivier Orban - Press Pocket, 1975
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Hefner Hugh, Playboy, décembre 1953
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C’est en 1966, que naît en France le premier sex-shop, rue de Castagnary, dans le XVème arrondissement de Paris. Puis dix-huit en 1969, et trente en 1970... Ils ne sont alors pas spécifiquement dans des quartiers « chauds ». On parle alors de « pornoshop » ou encore de « sexy-shop ». En 1970, ces sexy-shop sont alors définis comme « des librairies spécialisées où ne se vendent que des livres d’inspirations érotiques. »9 C’est un peu avant mai 68 qu’apparaissent les questions liées à la sexualité dans les préoccupations politiques. L’avortement, les relations sexuelles avant mariage, la contraception apparaissent légitimement dans les débats publics. De plus en plus de jeunes poursuivent les études dans le secondaire et l’enseignement supérieur, et entre bang et gang bang, ces derniers revendiquent un droit à de nouvelles valeurs, proclament leur appartenance à la nature, l’émancipation d’un système dans lequel ils ne se reconnaissent pas, et tout cela passe d’une façon ou d’une autre par la révolution sexuelle. Clandestinité et censure ne sont alors plus considérés comme des solutions, « les idéaux de la révolution sexuelle passent, pour certains, par la constitution d’un espace commercial10 .» 9 SAINT-AIGNAN, Patrick, « Les jeunes couples vont se battre pour les sexy-shop (sic) », Adam et Ève, n°4, mai 1970, sans pagination 10 COULMONT, Baptiste, Sex-shops : Une histoire française, Paris, Dilecta, 2007, p 15
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Ainsi, l’armada des boutonneux révoltés par le monde dégoûtant qui les entourent, arrivera à ses fins par l’inscription dans un cadre commercial légitime d’un état de nature et d’une animalité primitive désormais soumise à des obligations de résultats. L’émancipation c’est l’aliénation ? Oui mais, l’Enfer c’est les autres. Si au début, le sex-shop apparait comme « la librairie peu menaçante de la libération sexuelle », il ne tarde pas à devenir l’incarnation du «capitalisme du stupre»11. Est donc en cause la commercialisation de cette déviance, qui est jugée par l’Église comme dangereusement lucrative. De plus, c’est justement grâce à ses détracteurs, que le sex-shop est devenu une catégorie et a pu finalement être identifié, et au final, exister. L’administration policière et le monde politique local ou national, en souhaitant intervenir activement sur le commerce sexuel, contribuèrent à créer la catégorie sur laquelle ils agissent [...] Un sex-shop n’est plus simplement une librairie12. La lutte contre les sex-shops amène à une nouvelle étape avec l’opacification des vitrines, à l’initiative du conseiller municipal gaulliste Pierre-Charles Krieg, en 1973, exécuté par l’ordonnance 73-16630 du préfet Jean Paolini (un Pasolini sans Sulfure...). Désormais interdits aux mineurs, ne pouvant jouir d’une visibilité totale, les sexshops existent toujours. Leur « non signalement » deviendra le visual merchandising de cette révolution sexuelle bruyante et invisible. Ils sont alors, par leurs néants apparents, immédiatement reconnaissables, et du néant aux néons, ils instaurent un nouveau symbole dans l’urbanisme érotique et la pornographie. Dans un article du Monde, c’est justement cette opacification qui va relancer le commerce : Ne peut-on craindre [...] que le mystère ainsi recréé n’encourage plus qu’auparavant à pousser la porte de ces sex-shops et ne redonne ainsi vie à un commerce dont on dit qu’il périclitait13.
11 FOLLIET, Joseph, La Croix, 10 juillet 1970 12 COULMONT, Baptiste, Sex-shops : Une histoire française, Op. Cit. p 33 13 « Sex-Shops : vitrines opaques », Le Monde, 19 septembre 1973. On consultera aussi « Plus de lèche-vitrine devant les sex-shops », France Soir, 19 septembre 1973, p.2 ainsi que « Il faudra entrer pour voir », Le Parisien Libéré, 19 septembre 1973, p.1
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Si la construction de l’identité et la définition des sex-shops se sont ainsi faites par ses détracteurs, la teneur sexuelle de ces échoppes joua aussi un rôle décisif. Les revues vendues dans ces anciennes librairies évoluent considérablement, jusqu’à atteindre une étape décisive dans l’industrie du sexe, en 1973, avec la culture intensive du poil pubien. C’est à cette époque que l’on assiste à un schisme dans la presse spécialisée, laissant place au style national, légèrement mourant. D’un côté, les magazines de « jeune cadre dynamique » (Playboy, apparu en France en 1973 dans un grand groupe de presse), de l’autre, des revues nettement plus explicites (Hypersexe, ou Supersexe). Cette époque marque une sorte de tentative de résistance face à la mondialisation du sexe, la riposte du sexe français face l’invasion du sexe standardisé. Preuve encore, s’il en est besoin, de l’assise et de l’emprise du genre. La sortie de Sex Shops, un film de Claude Berri14, en 1972, illustre alors parfaitement le climat de la naissance de cette catégorie de commerce durant une période entre grandes idéologies libératrice et puritanisme.
14 BERRY Claude, Sex Shops, France, Lenn productions, 1972, 100 min.
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FEMMES ENTRE ELLES
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MOI TARZAN, TOI JANE
En s’appuyant dans un premier temps sur les acquis des gender studies, essayons de comprendre ce que sont et que signifient espaces masculins et féminins, et quels rapports entretiennent-ils avec le genre ? Dans Sexuality and Space, Beatriz Colomina, et Laura Mulrey partent d’une définition simple et binaire des concepts spatiaux homme-femme telle qu’on la retrouve dans l’histoire. Interior’ also contains within it interiority the psychic spaces of desire and anxiety, and the private scenarios of feelings, a female sphere of emotion within the female sphere of domesticity15.
Ainsi s’opposent aux concepts masculins de l’extérieur, l’aventure, le mouvement et la catharsis, ceux, féminins, de l’émotion, l’immobilité, l’espace enclos et le confinement… Tandis qu’elles représentent plus de la moitié des usagers de l’espace, les femmes n’ont pas influencé les formes urbaines des siècles durant ; l’architecture moderne est dominée par le culte du grand, du solide, de l’érigé alors que la féminité est associée au moelleux et à la chaleur des intérieurs. Cette binarité de l’urbanisme et de l’architecture participe à la naturalisation des rôles dévolus aux femmes et des places qui leur sont assignées. Les femmes seront pendant des siècles cloitrés dans des intérieurs, peu importe les classes sociales, les âges, no matter what, no matter when… La ville reste le domaine de l’homme.
15 COLOMINA, Beatriz, MULREY, Laura, Sexuality and Space, Princeton NJ, Princeton Architectural Press, série Princeton paper on architecture, 1996, p. 55
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MIX THE BOURGEOISIE AND THE REBEL
C’est dans un contexte particulier qu’apparaissent, à l’heure de la mécanisation, les Grands Magasins. À l’époque de la révolution industrielle, une nouvelle catégorie sociale émerge, la bourgeoisie. Cette classe ne dispose pas des titres, des terres et des autres privilèges de la noblesse, et pour montrer son pouvoir, la bourgeoisie n’hésite pas à arborer ostensiblement cette réussite au travers d’une apparence éloquente. C’est le bling bling avant l’heure, à l’époque des boulevards et des passages couverts, où l’on vient faire péter les bourses pleines de francs, la maille coule à gogo, au bonheur des Dames. C’est du moins ce que remarque Aristide Boucicaut, jeune Normand, débarqué à Paris, en plein capitalisme triomphant. L’ambition de Boucicaut est de faire venir toutes les femmes, quels que soient leurs besoins au sein d’un lieu, où elles pourraient acheter toujours plus, leur permettant de rentrer dans le grand monde. En créant Le Bon Marché, il ne s’agit alors pas seulement de vendre des marchandises, dans un lieu unique qui cristalliserait le désir et la tentation.
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N’était-ce pas une création étonnante ? Le Grand Magasin bouleversait le marché, il transformait Paris car il était fait de la chaire et du sang de la femme 16. Et pour satisfaire l’insatiable curiosité de ces créatures, il imagine un lieu, où l’architecture d’acier dessinée par Eiffel serait le palais des merveilles où elles pourraient alors trouver tout ce dont elles (n’)ont (pas) besoin. Vêtements, jouets pour enfants, linges de maison, parfums… L’expérience devient aussi l’un des enjeux majeurs de cette aventure, et là aussi ce visionnaire de Boucicaut, est à l’origine du Visual Merchandising. Car si la cliente peut désormais toucher et essayer le produit, il faut lui donner l’envie de le faire, en disposant, en accumulant, couleurs, accessoires, etc. Toutes ces marchandises sont là, offertes, criant leur sexappeal, et les clientes n’ont alors pas le choix que de retrouver ces merveilles chez elles.
16 ZOLA, Emile, Au Bonheur des Dames, Paris, G. Charpentier, 1883
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Mouret regardait toujours son peuple de femmes, au milieu de ces flamboiements. Les ombres noires s’enlevaient avec vigueur sur les fonds pâles. De longs remous brisaient la cohue, la fièvre de cette journée de grande vente passait comme un vertige, roulant la houle désordonnée des têtes. On commençait à sortir, le saccage des étoffes jonchait les comptoirs, l’or sonnait dans les caisses ; tandis que la clientèle, dépouillée, violée, s’en allait à moitié défaite, avec la volupté assouvie et la sourde honte d’un désir contenté au fond d’un hôtel louche. C’était lui qui les possédait de la sorte, qui les tenait à sa merci, par son entassement continu de marchandises, par sa baisse des prix et ses rendus, sa galanterie et sa réclame. Il avait conquis les mères elles-mêmes, il régnait sur toutes avec la brutalité d’un despote, dont le caprice ruinait des ménages. Sa création apportait une religion nouvelle, les églises que désertait peu à peu la foi chancelante étaient remplacées par son bazar, dans les âmes inoccupées désormais. La femme venait passer chez lui les heures vides, les heures frissonnantes et inquiètes qu’elle vivait jadis au fond des chapelles : dépense nécessaire de passion nerveuse, lutte renaissante d’un dieu contre le mari, culte sans cesse renouvelé du corps, avec l’au-delà divin de la beauté17.
17 ZOLA, Emile, Op. cit.
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Boucicaut remarque aussi que les femmes passent de plus en plus d’heures loin du domicile conjugal, à se faire enfiler par tous les gantiers, et que cela n’est peut-être pas à la hauteur d’une Dame. Pour maintenir la réputation de ces dernières et soulager les interrogations des maris, il permet alors à d’autres femmes, de classes inférieures, de devenir vendeuses. Par la même occasion nous assistons à une relative émancipation sexuelle et sociale, des femmes de milieu modeste peuvent alors, par elles-mêmes, subvenir à leurs besoins matériels, une alternative à la prostitution, alternative très largement plébiscitée par les mêmes maris soucieux de voir la respectabilité de leurs femmes, donc de leurs noms, préservées. Et même si les inégalités persistent entre les hommes et les femmes, il s’agit d’une vraie révolution.
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La conjoncture d’alors assoit une relative autonomie et émancipation des femmes, de différentes classes sociales. Pour se rendre dans les grands magasins et exhiber leur rang social, pour faire parler leur habitus en montrant leurs habits, les bourgeoises investissent sans complexe les boulevards de la ville, et ne sont plus confinées aux salons, églises et cimetières, seuls lieux où l’une femme d’un certain standing pouvait alors risquer d’apparaître. Le grand magasin, avec son architecture pensé par des hommes, pour des femmes, a ouvert le champ de ces consommatrices effrénées à l’espace de la ville, pensé par les hommes, pour les hommes. En assiégeant ainsi la ville, en consommant, les femmes prennent l’ascendant sur un carcan basé sur toute une civilisation. Déambuler, c’est exister.
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GAYTED COMMUNITY
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La question de l’homosexualité dans la ville n’est pas une thématique propre à notre époque contemporaine. Les relations homosexuelles font parties du consensus à l’époque de la Grèce antique, et sont répandues dans les villes italiennes de la Renaissance18. Aujourd’hui, l’homosexualité est avant tout concentrée dans les grandes villes, où le mélange anonymat et visibilité devient un élément polarisant pour les communautés gays et notamment chez les plus jeunes. Ainsi, pour reprendre Eribon, il existe « une véritable mythologie de la ville et de la capitale »19 dans les cultures homosexuelles. Notons également que les homosexuels participent activement au phénomène de gentrification et de renouveau urbain qui modifient les grandes villes. Ils sont par ailleurs les gentrificateurs parfaits20. Considérant la théorie 18 LEROY, Stéphane, « Le Paris Gay. Éléments pour une Géographie de l’Homosexualité », Annales de Géographie, 2005, n°646, p 582 19 ERIBON, Didier, Réflexion sur la question gay, Op. cit. 20 LEROY, Stéphane, Op. cit. p 584
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de la gentrification proposée par David Ley, qui privilégie la dimension culturelle pour expliquer l’émergence et l’accroissement de la demande en logement centraux, les gays, de part leurs centres d’intérêt, leur recherche de lieux à fortes aménités, leur niveau de formation soulèvent élevé, et leur pouvoir d’achat en moyenne supérieur à celui des autres citadins, constituent le gros de ce que les anglo-saxons appellent les DINKies (Double Income No Kids)21. Pour Richard Florida, les citadins homosexuels constituent l’une des assises principales de la « classe créative », favorisant le dynamisme socio-économique et l’enrichissement des grandes villes22.
21 Ibid., p 584 22 FLORIDA, Richard, The Rise of the Creative Class. And how it’s Transforming Work, Leisure, Community and Erveryday Life, New York, Basic Book, 2002.
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Mais intéressons-nous à ce qui fait un quartier gay, hormis les gays, ce sont les bars, les clubs, les boutiques, les restaurants, ciblant une clientèle homosexuelle majoritairement masculine. Autant d’éléments qui participent de la « nécessité de s’approprier l’espace public, de le et de se mettre en scène, bref de se montrer et de s’exposer. »23 Il semblerait que pour pouvoir exister ouvertement en tant que gay, il faille consommer, danser, diner gay, qu’il faille adopter un lifestyle véhiculé par la consommation, qui sera pour certains synonyme d’aliénation, d’uniformisation, et promulgue cependant une certaine liberté par l’assimilation d’une identité collective. La commercialisation à outrance et la sélection par le pouvoir d’achat sont autant d’éléments qui ont aussi longtemps fait partie du mode de vie des populations homosexuelles masculines, avec les bars et club des années 1950 et 1960, où un droit d’entrée est presque systématique avant de pouvoir consommer dans ces espaces créés pour préserver l’anonymat de ces populations encore très marginalisées.
23 LEROY, Stephane, loc. cit. p 589
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L’espace public et l’architecture peuvent aussi jouer un rôle important dans les rencontres de ces populations, pour pouvoir exister dans un environnement qui n’est à la base pas favorable aux minorités, et le mélange anonymat et visibilité évoqué précédemment permet ce sentiment de sécurité. Le choix de quartier comme le Marais, qui avant d’être un quartier branché était une zone délaissée, abîmée voire dangereuse de la capitale, n’est pas non plus anodine. Le Marais était alors un repère délabré d’ouvriers du textile déferlant sous la pluie froide, un quartier misérable et populeux envahissant les hôtels aristocratiques du XVIIème siècle, un atelier clandestin éclairé au néon aperçu à travers des volets striés de suie, les vieilles portes en bois sculpté remplacées par des barricades de tôle ondulée, une pauvre corde à linge pleine de vêtements à sécher tendue dans une cour d’honneur envahie par la mauvaise herbe24.
24 WHITE, Edmund, La Symphonie des Adieux, Paris, Plon, coll. Feux Croisés, 1997.
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Dans les années 1970, l’existence de nombreux locaux vacants à pris très bas, en plein centre de Paris, offre alors aux commerces gays un point de départ et va participer presque exclusivement à la renaissance foncière et architecturale du Marais25. Progressivement, les clubs interlopes s’ouvrent sur la rue, la démocratisation les tarifs des lieux gays et la volonté d’une homosexualité vécue au grand jour, l’émergence d’une presse spécialisée vont créer la conjoncture offrant visibilité, intégrant la consommation de masse, favorisant le coming-out et finalement l’ouverture sur la ville. Progressivement, de l’interlope, vers la vitrine, vers le quartier, puis vers la ville, le Marais, comme d’autres quartiers gays a permis par l’appropriation d’une architecture et de l’espace public, par des symboles et un mode de vie véhiculés par la consommation d’intégrer à une norme dominante, un mode de vie alternatif, porté par des valeurs folkloriques positives. Si bien qu’aujourd’hui ces quartiers sont à la fois un symbole pour la communauté gay mais aussi un symbole pour les villes, reconnus comme quartiers branchés, créatifs, festifs et finalement bourgeois…
25 LEROY, Stephane, Op. cit. p 591
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DEVIOUS
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FASHION
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Comme nous l’avons vu précédemment, l’apparition des grands magasins bouleversa profondément l’organisation sociale de la ville. Pour la première fois les femmes colonisent l’espace public. À cet instant, la consommation et la modernité se concilient et donnent naissance à un nouveau concept. S’habiller dans l’air du temps, pour entretenir le désir chez les consommatrices, qui désormais disposent de tout. Avec la course effrénée du capitalisme triomphant, l’industrialisation toujours plus rapide, la démocratisation et les copies des grands couturiers vont alors générer une nouvelle attitude de consommation. C’est l’apparition de la mode, des saisons, des collections. Puisque désormais, même les femmes des rangs inférieurs peuvent s’habiller comme les Dames, l’intérêt pour ces dernières de toujours parvenir à se distinguer nourrira ce processus, tout comme la volonté des wannabes de perpétuellement leur ressembler pour se rapprocher de leurs cercles et d’un idéal social, diffusé en grande partie par cette apparente réussite. Ce que partagent sexe, consommation et mode, c’est la propension, à des fins différentes, à créer du désir.
Entre sexe et mode, le corps apparaît comme la pierre angulaire d’un système capitaliste hédoniste. Comme l’explique Baudrillard, le corps est « le plus bel objet de consommation »26. Dans la panoplie de la consommation, il est un objet plus beau, plus précieux, plus éclatant que tous - plus lourd de connotations encore que l’automobile qui pourtant les résume tous : c’est le CORPS. Sa «redécouverte» après une ère millénaire de puritanisme, sous le signe de la libération physique et sexuelle, sa toute-présence (et spécifiquement du corps féminin) dans la publicité, la mode, la culture de masse - le culte hygiénique, diététique, thérapeutique dont on l’entoure, l’obsession de jeunesse, d’élégance, de virilité/féminité, les soins, les régimes, qui s’y rattachent, le Mythe du Plaisir qui l’enveloppe - tout témoigne aujourd’hui que le corps est devenu objet de salut. Il s’est littéralement substitué à l’âme dans cette fonction morale et idéologique27. 26 BAUDRILLARD, Jean, La Société de Consommation, Paris, Denoel, 1970, p 199 27 Ibid., p 200
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Ainsi, le corps n’est plus chair comme dans la vision religieuse, ni force de travail comme dans la logique industrielle, mais il est repris dans sa matérialité, comme idéalité visible.28 Cette idéalité visible doit se faire l’étendard d’un système de valeurs, véhiculé par la mode, cette ultime couche charnelle à la portée à la fois identitaire et mercantile. Pour Barthes, au-delà de la mode, Le vêtement est l’un de ces objets de communication, comme la nourriture, les gestes, les comportements, la conversation, que j’ai toujours eu une joie profonde à interroger parce que, d’une part, ils possèdent une existence quotidienne et représentent pour moi une possibilité de connaissance de moi-même au niveau le plus immédiat car je m’y investis dans ma vie propre, et parce que, d’autre part, ils possèdent une existence intellectuelle et s’offrent à une analyse systématique par des moyens formels29.
Désir et compétitivité seront le fer de lance de cette nouvelle industrie, qui de son émergence jusqu’à l’avènement de la globalisation ne cessera d’investir et de s’immiscer dans la vie des citadins. Chaque ère de la mode se traduira aussi par une stratégie spatiale particulière. De l’apparition des défilés, à l’hégémonie du flagship store et du réseau de boutiques, nous essaieront de saisir la portée de ces changements d’échelles et de stratégies en interrogeant les climats économiques et sociaux particuliers depuis les années 1980 jusqu’à la mondialisation et l’avènement de l’universalité (et de l’irrévocabilité ?) du capitalisme.
28 Ibid., p 205 29 « Vingt mots clés pour Roland Barthes » (propos recueillis par Jean-Jacques Brochier), Le Magazine littéraire, février 1975.
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ABSOLUTELY FABULOUS
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Les années 1980 resteront le symbole d’une époque marquée par l’audace, l’humour et sur lesquelles soufflait un vent de liberté, suivie d’une tempête frénétique. Les couleurs et l’insouciance d’une décennie profitant d’un climat économique marqué par une vague néo libérale, la fin du bloc communiste et l’Amérique de Reagan annoncent une prospérité heureuse, c’est l’Amour, c’est la Gloire, c’est la Beauté. En France, François Mitterrand devient président, et les idéaux sociaux laissent alors penser que tout est permis. Les homosexuels sortent de l’ombre, les premières générations de français issues de l’immigration veulent se faire entendre. C’est aussi le Paris du Palace, le Paris qui brille, qui claque, qui danse et qui se défonce (Paris sera toujours Paris). C’est aussi à cette époque que, à force de danser au Palace, la mode se lâche un peu, se désembourgeoise. Désormais, elle a suffisamment confiance en elle, les jeunes créateurs s’affranchissent de la haute couture et proposent directement un prêt-à-porter audacieux, ludique mais pas forcément consensuel. De nouvelles formes et silhouettes habillent les mannequins, avec des épaules incroyablement marquée, les épaules du pouvoir de ces femmes des années 1980, profondément marqué par l’immense émancipation féminine égales des hommes, si ce n’est supérieure car sexy. C’est l’apparition du body conscious, du style très près du corps. Se sentir sexy dans son corps, se sentir bien. Cette mode s’adresse aussi à des femmes de plus en plus autonomes financièrement30. Parallèlement, ces créateurs deviennent de véritables business man. La légèreté doit désormais répondre à des obligations de chiffres. L’industrie de la mode prend alors tout son sens. La mode devient un secteur très lucratif, et un drapeau international du savoir-faire français. 30 NICKLAUS, Olivier, FASHION! Golden Eighties, Arte, Lalala production, INA, 2012
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Le mercredi 17 octobre 1984 à l’occasion de la réception offerte en l’honneur des créateurs de mode à l’Élysée, le président François Mitterrand déclare : Il importe que je vous dise en peu de mots de quelle façon je conçois notre rencontre. - Pour moi elle a valeur d’exemple, et doit servir les intérêts d’une profession, qui sont le plus souvent les intérêts du pays. En vous recevant, je n’ai pas d’autre objet, indépendamment du fait que j’ai grand plaisir à vous connaître. - Je crois que l’on doit traiter la mode autour de deux idées. - La première est qu’il s’agit d’un art. On dira un art “mineur”. Qui le sait ? Pour ma part, j’observe qu’il s’agit, en raison même de son importance, d’un art majeur. La création des styles de mode peut être considérée comme l’un des beaux arts. […] C’est pourquoi, le gouvernement a pris au cours de ces derniers temps un certain nombre de mesures en faveur de cette renaissance : la création d’un musée des arts de la mode qui sera inauguré l’an prochain, à l’automne 1985 au musée des arts décoratifs. C’est un grand événement, conçu par Edmonde Charles-Roux et qui sera suivi par un autre, imaginé par Yves Saint Laurent, la création d’un institut de la mode en vue de la formation au plus haut niveau des stylistes. De même, l’organisation, deux fois par an, des défilés du Louvre va réunir plusieurs centaines de journalistes du monde entier. […] Encore faut-il dans une nation qui tend à défendre sa place sur la scène du monde, encore faut-il qu’un certain mariage heureux unisse l’art et l’industrie. Et c’est ma seconde idée. Les secteurs industriels qui font confiance aux créateurs sont presque toujours en expansion.
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Cette intrusion de la politique dans la mode française traduit la volonté de rayonnement à l’international et trouve un écho spatialisé dans l’institutionnalisation des défilés de mode. C’est pendant cette époque faste des nouveaux rois de la mode que de nouvelles formes de défilés apparaissent. Ils deviennent beaucoup plus créatifs et dynamiques. Ils prennent place sous des grandes tentes, près du quartier des Halles, le nouveau quartier en vogue dans les années 1980. Ces espaces éphémères permettent des mises en scène plus extravagante et sur mesure. Les podiums des années 1980 reflètent la fraîcheur, l’hédonisme et l’insouciance de cette époque. Tout est alors possible31. Désormais, les défiles de mode se concentrent au Carrousel du Louvre, durant une semaine non-stop et deviennent de véritables messes médiatiques. La Fashion Week devient une institution. C’est également à cette époque que l’on assiste à une migration de ces maisons de couture. Elles délaissent les quartiers
institutionnels de la mode comme la rue Saint Honoré, où d’autres adresses germanopratines pour dessiner une nouvelle géographie de la mode. Ces jeunes créateurs choisissent de s’installer autour du quartier des Halles (Agnès B.), place des Victoires (Kenzo), rue Vivienne (Jean Paul Gaultier) ou encore dans le Marais (Azzedine Alaia), témoignant d’une volonté de rompre avec les codes bourgeois établis depuis des décennies. En France, c’est le réveil des grandes maisons, qui ont déjà un ADN, qui voient de nouveaux créateurs moderniser cette identité, comme le fait Karl Lagerfeld chez Chanel. De fait, le monde de la mode est rattrapé par la concurrence et y laisse un peu de sa légèreté. La pression devient très importante pour les créateurs. L’hédonisme des années 1980 se trouve confronté au SIDA, qui fait des ravages dans les rangs de la mode. Les créateurs des années 1980 vont devoir affronter un défi autrement plus coriace, durer ou s’arrêter.
31 NICKLAUS, Olivier, op. cit.
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SILENT SHOUT
Si les années 1980 incarnaient le faste et la légèreté d’une époque insouciante, les années 1990 ont été celles de la remise en question d’un système hégémonique dont les limites sont désormais irrévocables. L’industrialisation, la consommation excessive, le gaspillage polluent et épuisent les ressources. Les catastrophes nucléaires sont encore très présentes dans les esprits. Le sida est devenu une épidémie mondiale. La précarité économique de nombreuses populations au sein même des pays développés pose un doute sur cette économie triomphante, qui ne fait désormais plus le consensus. C’est l’apparition de la Génération X qui exprime un refus du matérialisme, de prendre sa place dans la société actuelle, de devenir adulte, de s’assumer, des responsabilités, de la morale, des règles, engendrés par la déception, la désillusion et la frustration32. Alors que le capitalisme connaît la plus grave crise économique de son histoire, les défenseurs de l’ordre établi ne cessent de proclamer la mort du marxisme, c’est à dire de la seule théorie qui permet de comprendre la réalité de cette crise, et qui l’a prévue. Usant jusqu’à la corde le vieux et ignoble mensonge qui identifie marxisme et stalinisme, révolution et contre-révolution, la bourgeoisie veut faire passer la faillite du capitalisme d’Etat stalinien pour la faillite du communisme et de sa théorie, le marxisme. C’est une des plus violentes attaques qu’ait eu à subir, sur le plan de la conscience, la classe ouvrière depuis des décennies. Mais les exorcismes hystériques de la classe dominante ne peuvent rien changer à la réalité crue : les théories bourgeoises s’avèrent totalement incapables d’expliquer l›actuel désastre économique, alors que l›analyse marxiste des crises du capitalisme trouve une éclatante vérification. Le monde entre en crise. Parallèlement, c’est le début de la révolution numérique, l’apparition d’internet, l’incroyable développement de la technologie. 32 HOWE, Neil, STRAUSS, William, 13th Gen: Abort, Retry, Ignore, Fail?, New York, A Vintage Original, 1993
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DISPARAÎTRE ICI
Dans la mode, c’est l’apparition d’un manifeste esthétique prônant le recyclage, usant de la déconstruction, et saisissant la performance comme nouveau champ d’investigation d’une création cérébrale pour qui le superflu n’a plus sa place. La mode va digérer cet antifashion qui bouleversera son fonctionnement à tout jamais. La révolte contre l’impérialisme de la mode française dans le monde entier fait naître un phénomène illustré par l’arrivée d’une génération de japonais. Un paupérisme radical insufflé par un climat différent influé par les catastrophes nucléaires connues par cette génération de Japonais, renforce ce sentiment de radicalité minimale et austère. Désormais on ne part plus de la forme du corps, celui-ci se trouve au milieu d’un tissu que l’on travaille autour, comme pour les kimono. Les femmes modernes n’ont plus à se soumettre aux hommes33. Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto sont les figures de proues de ce mouvement. Le minimalisme sera leur signature, dans ce monde évanescent où la disparition semble être l’ultime posture. Économie d’effets et économie de parole, Hans-Ulrich Obrist écrira au sujet de Rei Kawakubo :
33 NICKLAUS, Olivier, FASHION! Antimode, Arte, Lalala production, INA, 2012
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La voix du créateur n’a jamais été aussi importante dans la diffusion des valeurs de la marque. Cyniquement, celui qui parle le plus fort, se fera entendre le plus. Pourtant, alors que le refus de Kawakubo de s›expliquer a souvent frustré son public, son silence a aujourd’hui donné à sa voix plus de puissance et de résonance que tout autre créateur de mode dans l›industrie.34 34 The voice of the designer has never been so important in disseminating brand values. Cynically put, he (or she) who shouts the loudest, gets heard the most. Yet whilst Kawakubo’s refusal to explain herself has often frustrated her public, her silence has given her voice more power and resonance than any other fashion designer in the industry today. OBRIST, Hans-Ulrich, System, Octobre 2013
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Leurs boutiques suivent cette même stratégie, et l’on assiste en quelque sorte à la dématérialisation de la boutique traditionnelle. Plus proche des galeries d’art, presque vides, béton, brut, peu de cintres, régulièrement espacés… Ces espaces dépouillés choquent les clients, et visiteurs de l’époque. Plus tard, Rei Kawakubo ouvre ses Guerilla Stores, boutiques temporaires où les produits sont présentés sur des portants ou des tables basses, sans aménagements sophistiqués...Des boutiques dans des zones souvent non commerciales, en réaction contre le développement hyper commercial des centre villes. Il s’agit d’une nouvelle façon de penser le luxe, à l’opposé du bling
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et du body conscious (nous pourrons tout de même nous demander comment les deux représentent-ils des visions antinomiques quoique symbolisant un pouvoir de la femme libre) qui là aussi imprimera de façon indélébile l’industrie du luxe et de la mode. Dans ce même climat politique, on assiste à l’apparition du Grunge, qui refuse le dictat de l’apparence. Le groupe des Six d’Anvers issus de l’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers incarne, dans cette mouvance de refus de l’apparence, l’avant-garde de la mode belge. Ils s’inspirent du grunge dans sa philosophie en recyclant, par exemple, des ordures pour en faire des vêtements ou en installant un défilé au
milieu d’un terrain vague de banlieue parisienne où les mannequins défilent entourés de jeunes des cités. La mode devient violente. Les défilés deviennent de véritable happening. Tout ce phénomène s’ajoute à la mode existante, et de cette fashion overdose, ne resteront souvent que les visages des top-modèles. Le mass market se nourrit de cet antifashion, Calvin Klein utilise le visage de Kate Moss (tranchant avec les critères des mannequins de l’époque) sur les immenses billboards de Times Square. Cette sortie des critères de beauté a aussi permis d’élargir la clientèle qui grâce à internet, peut suivre et s’offrir cette mode qui devient globale.
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IN THE R I C H MAN’S WORLD
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Les années 2000 seront dominées par plusieurs enjeux majeurs, comme le commerce international, la préoccupation autour des ressources énergétiques, l’explosion des télécommunications et le terrorisme international. Les développements économiques se sont orientés vers l’Asie en identifiant de nouvelles puissances économiques, la Chine qui a connu une croissance économique phénoménale, l’Inde a également vu son économie croître de façon importante. Cependant, la dérégulation financière s’est poursuivie durant toute la décennie, rappelons l’explosion des subprimes, marquant cette fin de décennie d’une crise financière et économique mondiale. C’est aussi l’apparition de la vie connectée. L’équipement de la population en smartphones ainsi que le triomphe des réseaux sociaux, ont profondément changé nos comportements, tout comme la diffusion du shopping en ligne. Dans les années 2000, le terme luxe remplace de plus en plus celui de mode, et face à la globalisation ainsi qu’à la dématérialisation des liens sociaux et des lieux de rassemblements, les marques doivent produire des images fortes qui déclencheront le désir jusqu’à l’autre bout du monde. Le public c’est désormais le Monde entier. C’est l’apparition des grands groupes de luxe, qui donnent une dimension nouvelle à toute l’industrie de la mode. L’apparition du directeur artistique est l’un des plus gros changements connu par la mode durant cette décennie. Chez Gucci, Tom Ford a créé un univers, glamour. Le défilé devient comme une campagne de pub qui imprime un message très précis. La vision Gucci, c’est le sexe, capitalisant sur ce désir primaire en le siglant du terme porno chic. Régulièrement, la mode se fait sexuelle et subversive. Un parti-pris qui secoue les esprits, permet la fabrication d’images provocantes et, au final, fait vendre. 57
Un style fétichic et choc, reflet d’une époque en pleine schizophrénie selon le sociologue Pascal Monfort : « D’un côté, on observe une puritanisation des mœurs et des discours. De l’autre, l’explosion de la sphère intime depuis Facebook et les réseaux sociaux, avec ce qu’elle comporte de voyeurisme et d’exhibition. » Le marché s’adresse désormais plus seulement à la richesse mais aussi à la jeunesse, avec Gucci et le porno chic, homme et femme deviennent autant objet de désir l’un que l’autre35. Pour Tom Ford, « le marketing c’est la dernière couche de la création, c’est ce qui va chercher le public, et l’attire à l’intérieur de nos boutiques ». Considérant cela, l’architecture de la boutique fait-elle partie du marketing de la marque ? La mode est une entreprise commerciale et artistique. S’impose la figure du DA, contrôlant l’intégralité de l’image de la maison. Les marques deviennent globales, et l’apparition des réseaux de boutiques, ainsi que les géants du mass market, oblige le luxe à frapper encore plus fort.
35 NICKLAUS, Olivier, op. cit.
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À l’heure où Internet rend plus floue la frontière entre les mondes virtuels et réels, créer la proximité avec le consommateur s’impose comme l’ultime défi de la marque. Depuis une dizaine d’années, une sorte de frénésie conduit les marques à descendre dans la rue afin de réinventer leur relation avec le consommateur en s’incarnant physiquement dans des lieux entièrement dédiés : les flagship stores. Comme l’explique Patricia Romatet, directrice Etudes et conseil à l’Institut Français de la Mode : Les marques ont compris que la distribution est un véhicule d›image essentiel. Localisation, architecture de l›espace, vitrines, merchandising, événementiel, la communication par le point de vente s›est professionnalisée et le concept sophistiqué. Cela a donné naissance à une déclinaison des types de points de vente, dont le flagship store qui a pour mission de créer une expérience différente avec la marque36.
36 CHAHINE, Vicky, « Les flagship stores, palais des grandes marques », M Le magazine du Monde, [08.06.2012], (consult2ine du Mondeande http://www.lemonde.fr/style/ article/2012/06/08/les-flagship-stores-palais-des-grandes-marques_1714225_1575563.html
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Ainsi les architectes deviennent les consultants culturels des maisons de mode, leur apportant un crédit et une légitimité et traduisant également cette dimension d’une nouvelle ville dessinée par le shopping. Rem Koolhaas est devenu le meilleur ami de Miuccia Prada, et dessine aussi bien ses boutiques, ses défilés, ses lookbooks, sa fondation d’art et en joue souvent le curator de ses expositions. De la même façon, le luxe investit globalement le champ de la culture en développant des activités de mécénat, de sponsoring, et tire ainsi une nouvelle corde à son arc PR. L’évènementiel et les vitrines deviennent des terrains de négociation. Si l’on a déjà pu assister à des phénomènes similaires dans l’histoire de la mode (Salvador Dalí créa une robe pour Elsa Schiapparelli, Yves Saint Laurent dessina d’incroyables collections inspirées par de grands artistes comme Mondrian), ces dernières années, les collaborations entre les marques de luxe et les artistes contemporains sont allées au-delà de simples partenariat artistiques, créant un nouveau genre de branding de luxe. Nul besoin de connections dans le monde de l›art pour avoir accès à ces privilèges, seulement d›être un bon client de marques comme Louis Vuitton, Prada, Miu Miu, qui réservent ce genre d’expériences à leur clientèle. D›autres organisent des événements dans la même veine comme Marni, Dunhill. Les marques, de la mode à la joaillerie, adoptent l’expérience culturelle comme un subtil outil de vente. L’art est considéré comme un atout pour les marques. De la même façon que les artistes étaient commissionnés pour les chapelles, ils le sont maintenant pour les boutiques. Cependant, la surexposition de la marque, malgré la création d’une expérience shopping particulière a pris le dessus sur le produit ou sur l’exclusivité. 60
Le terme se galvauderait-il ? « Il désignait au départ la plus grande boutique et souvent la première ouverte dans la ville d’origine d’une marque. Désormais, c’est n’importe quel magasin de plus de 900 m2 implanté dans une grande ville et dont le design est singulier », remarque Peter Marino. Face à cette banalisation du flagship et du réseau de boutiques, le Pop-Up store, inspiré des premiers Guerilla Store de Comme des Garçons semblerait être une alternative architecturale et marketing, voire idéologique. Le concept a très nettement évolué vers un véritable «concept store», avec ses codes merchandising, son architecture. Il n’a gardé du premier «guerilla store» que la temporalité éphémère et le choix des localisations. De nombreuses autres marques ont depuis repris l’idée de pop-up store de façon souvent peu réfléchie, préférant en faire un évènement plutôt qu’un moyen de renforcer les valeurs de la marque. Le pop-up store est un moyen de renforcer la rareté : c’est le cas privilégié des marques de luxe. Depuis dix ans celles-ci ont perdu de leur lustre en multipliant les boutiques et en élargissant leur base clientèle. Elles en ont perdu le sens de la rareté, qui est un des éléments fondateurs du luxe. Une boutique éphémère proposant une collection éphémère et exclusive. C’est aussi un moyen pour la marque de se rendre désirable dans un lieu où elle est absente. Enfin, ça peut-être un moyen de lancer un nouveau produit : c’est le cas le plus courant, et nous semble-t-il le plus banalisant. Une marque organise un événement, et plutôt que de proposer une conférence de presse ou un évènement people, met en place une boutique temporaire où les consommateurs peuvent découvrir la nouvelle gamme.
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ITALIAN PSYC 62
CHO
I am so fab, check out I’m blonde, I’m skinny, I’m rich And I’m a little bit of a bitch
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Les années 1980, le sexe, l’or, la fête, l’Italie, les statues, Byzance, la soie, les croix, la Calabre, les clous, le luxe, les lasagnes, le cuir, les bottes, Miami, les top-models super star et les tapis rouge, c’est l’univers Versace. Un monde ultra-glamour, ultra-sexy, ultratout. Mais à l’origine de ce faste, il est avant tout une question culturelle typiquement italienne. Une posture qu’aucun autre pays d’Europe ne peut totalement assimiler. Mais quelle conjoncture a mené à cette sensibilité théâtrale mêlée d’une esthétisation charnelle ? Pourquoi l’Italie est-elle frimeuse (l’estelle, seulement) ? En premier lieu, considérons l’hégémonie italienne depuis l‘Empire Romain, exportant durant cinq siècles son modèle culturel dans l’ensemble du bassin méditerranéen et du monde « civilisé » de cette époque, et l’enrichissement de son patrimoine nourri par des conquêtes géographiques mais aussi culturelles. Intéressons-nous également à la construction de cet Empire, pour lequel, la représentation publique du pouvoir est primordiale, utilisant comme instruments de communication les beaux-arts, pour imprimer ce pouvoir dans toutes les 64
couches sociales. Ainsi l’architecture, la peinture et l’apparence sont les vecteurs d’un pouvoir et d’une emprise idéologique, culturelle et politique qui doit s’étendre sur l’ensemble de l’Empire. Plus tard, l’apparition de la Commedia Dell’arte, dès le XVIème siècle peut aiguiller sur un penchant italien pour la dramaturgie. Le genre puise ses sources d’une part dans des traductions et pastiches de l’antiquité théâtrale et d’autre part dans le Carnaval, dont les personnages, grotesques et masqués, issus de la nuit des temps sont populaires. Ces représentations plus ou moins improvisées prennent souvent place dans l’espace public, (bien que pas exclusivement, elles pouvaient aussi avoir lieu dans des théâtres ou des jardins privés) où la ville tient un rôle particulier dans le déroulement de l’intrigue. Si son influence a été importante hors des frontières de l’Italie, sa portée sociologique est considérablement marquée dans la culture italienne. Jean Giono écrit au sujet de Turin, et plus généralement des villes de l’Italie du Nord :
Mes impressions d’hier soir se confirment. Ces rues sans trottoirs pavées de grandes dalles sont des opéras. Il n’y a pas ici que commerce et industrie. La longue habitude des passions a déterminée le décor. Puisqu’on peut être ouvertement sensible sans ridicule les maçons en ont profité. Mes vieilles façades de la via Garibaldi, de la via Pô, de la Piazza Vittorio Veneto ne sont pas belles mais on sent que derrière elles on peut se permettre de dramatiser si on veut et c’est une sensation agréable37.
37 GIONO, Jean, Voyage en Italie, Paris, Éditions Gallimard, 1954
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Cet élément, de la ville comme scène de théâtre est aussi l’un des éléments clés de l’œuvre d’Aldo Rossi. Dans son Teatro del Mondo en 1979 pour la Biennale de Venise, Rossi analyse et condense la réalité physique, géographique, architecturale mais aussi mythique de l’Italie. Cette construction « singulière », selon les termes de l’architecte, « tire de la technique et de l’histoire sa propre substance et sa propre image ». Dans ce théâtre convergent ainsi maintes références :
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édicules primitifs de la proto-renaissance florentine, théâtre renaissant, théâtre élisabéthain, architecture du phare mais surtout spectacle vénitien du XVIIIe siècle, connu pour ses édifices flottants pendant le Carnaval (scènes éphémères qui s’inscrivaient dans le paysage mouvant de la ville). Ainsi estce la typologie de la ville qui crée le scénario. Et ce théâtre/bateau mobile devient un fragment de l’histoire urbaine, image quasi métaphysique chargée de représenter l’architecture.
Dans ces temps d’après-guerre, l’Italie entretient une relation particulière à l’histoire et exprime un doute quand à l’abstraction, le modernisme et le fonctionnalisme. La Tendenza incarne cette époque et devient le mouvement architectural le plus emblématique de l’Italie post seconde guerre mondiale. Elle trouve ses racines politiques dans le néo-rationalisme d’après-guerre de Pavese, Pasolini, Rosselini et Visconti. La Tendenza insiste sur la composition
de la ville par les monuments. Lors d’une rétrospective sur ce mouvement en 2012, le commissaire Frédéric Migyrou évoque La Città Analoga de Aldo Rossi, comme symbole d’une ville qui s’est constituée autour d’un monument. Il s’agit certes d’une permanence grécoromaine, mais derrière les styles et les époques, c’est d’avantage la permanence des dimensions et des fonctions38. 38 MIGAYROU, Frédéric, La Tendenza, Architectures Italiennes 1965-1985, Paris, Centre Pompidou, 20 juin – 10 septembre 2012
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La période d’après-guerre voit également la volonté du gouvernement italien de redynamiser un pays affaibli, avec l’aide américaine du Plan Marshall. Le rééquipement rapide des usines italiennes conjugué aux efforts déployés par de nombreux entrepreneurs du pays ont contribué à l’établissement de la mode comme l’un des piliers de l’Italie d’après-guerre. Dans une exposition organisée en 2014 au Victoria and Albert Museum39 le renouveau du luxe italien est présenté comme la réponse à un besoin de glamour engendré par des années de privation durant les périodes les plus sombres. De fait, Clélia, l’héroïne de la nouvelle de Pavese Femmes entre elles publiée en 1949 et adaptée à l’écran par Antonioni en 195540, est créatrice d’une grande maison de mode. Cette suprématie Italienne sur la mode de l’après guerre a aussi été largement véhiculée par les images produites par Hollywood et Cinecitta, et bien avant James Franco chez Gucci, Marcello Mastroiani incarne, dans La Dolce Vita, l’apothéose de l’élégance naturel proposée par les couturiers italiens. Des années 1950 à 1960 le secteur de la mode et du textile a en grande partie permis à l’Italie de connaître une croissance rapide malgré l’instabilité sociale et politique ambiante. Dans les années 1970, la popularité de la couture laisse place au vêtement manufacturé, la capitale de la mode se déplace de Florence à Milan, bénéficiant d’une place plus centrale concernant la presse, la publicité et l’industrie. Tout cela mène à l’émergence d’un label mondialement reconnu, celui du Made in Italy. Emporté par la mode, tout y passe, le cinéma, l’art, la gastronomie, le tourisme… Puis dans les années 1980 apparaît le culte du créateur, sorti de l’ombre, qui devient un véritable personnage public et solidifie ainsi la réputation d’une Italie prescriptrice de tendance. Les maisons de mode deviennent de véritables firmes, quand ces entreprises sont encore souvent des affaires familiales, se caractérisant par une forte méfiance et opacité vis-à-vis des investisseurs, risquant une baisse de la compétitivité de cette industrie, l’une des dernières encore significative en Italie. En vendant un univers global, vêtements, parfums, sacs, maquillage, décoration, ameublement et hôtels, ces marques, deviennent de véritables empires économiques vendant à travers le monde une vision fantasmée d’un luxe et d’un savoir-faire à l’italienne.
39 STANFILL, Sonnet, The Glamour of Italian Fashion 1945-2014, Londres, Victoria and Albert Museum, 5 avril – 27 juillet 2014 40 PAVESE Cesare, Tra donne sole, 1949 in La bella estate ; Le bel été, Paris, Gallimard, 1955s ; ANTONIONI, Michelangelo, Le Amiche (Femmes entre elles), Production Giovanni Addessi Trionfalcine, Italie, 1955
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La fascination qu’entretiennent l’Italie et les États-Unis, accompagnée d’une importante diaspora italienne vers le pays de la pop-culture et de MTV contribue à asseoir un soft power et une italianité, à son tour redistribué par l’immense machine médiatique de l’empire hégémonique capitaliste, bénéficiant, ou desservant, indirectement l’Italie.
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Ainsi, Don Corleone, Little Italy, Tony Montana, Madonna, la pizza… seront autant d’icônes mondialisées d’une Italie qui ne correspondent pas à grand chose de concret mais alimentent cependant un folklore postmoderne persistant.
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S’il paraît un peu simpliste de faire le grandécart entre l’Empire Romain, la Commedia Dell’arte, la Tendenza, MTV et Versace, il s’agit essentiellement de montrer, depuis la création d’un Empire des plus influents au monde jusqu’à la crise de sa culture à l’ère contemporaine, la fascination pour une vision fantasmée du passé ainsi que sa propension à la théâtralisation et à la monumentalité, aussi bien des sentiments que de l’architecture. Cette base solide d’un soft power puissant et durable nous apparaît comme une hypothèse envisageable permettant finalement de contextualiser le discours sur cette mode italienne, son attitude décomplexée, sensuelle et son goût pour la flamboyance. Elle nous oriente également sur le profond lien que l’Italie entretient avec sa culture, tiraillée entre une apparente légèreté et une intellectualisation de sa situation passée, actuelle, et les doutes sur son avenir.
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W E L C O M E
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T O
F A B
B U L O U S
V E R S A C E
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GIGI L’AMBIZIOSO
Si il symbolise pour beaucoup un style clinquant, voire de mauvais goût et vulgaire, le style Versace est synonyme d’un luxe ostentatoire, celui d’une Italie qui revendique son savoir-faire et ses artisans, nourrie par une culture parmi les plus riches de la civilisation, revendiquant une attitude décomplexée, aussi bien par rapport à son enveloppe charnelle, que bancaire. Versace habille les footballeurs, les mafioso, et leurs maîtresses (et Lady Gaga). Versace a d’emblée compris plusieurs éléments fondamentaux du star system, de la mode, les top-models sont aussi des top-PR, les tapis-rouges, les plus puissants des runways, ou encore l’expérience totale dans un univers décliné à l’infini. Au-delà de ce folklore flamboyant, la maison Versace est l’une des rares, avec son éternel rival Armani, qui partie de la mode, féminine, a su déployer un lifestyle global, proposant ainsi une expérience complète en commençant par ses magasins, proposant aussi bien des slips brodés d’or, des robes de soirées sanglées de cuir bondage, des peignoirs luxueux, des tasses à thé en porcelaine, des canapés en cuir blanc ornés de la Medusa, des tables basses en pierres précieuses, des coussins en soie précieuse, jusqu’aux hôtels à la clientèle précieuse, les Palazzo Versace de la Côte Dorée australienne et de Dubai, offrant ainsi une immersion totale dans la vie d’un Gatsby/boxeur/rappeur hyper swag ou de la fille d’un oligarque russe croisée l’été dernier derrière une montagne de Jéroboam de Dom Pé au Nikki Beach, à Saint Tropez. Mais Versace c’est un véritable empire qui alimente l’une des économies les plus importantes de l’Italie, et qui depuis les années 1980 est géré en famille. Ce sont touts les éléments d’un film d’Hollywood, plus que de la Cinecitta, histoires d’amours, de fortunes, d’excès, et c’est un drame, quand le 15 juillet 1997, le tueur en série américain Andrew Cunanan assassine Gianni Versace, au sommet de la gloire, devant sa somptueuse villa de South Beach.
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Débarqué de sa Calabre natale à Milan en 1972, Gianni Versace propose sa première collection sous son nom en 1978. Il impose en quelques années sa vision du luxe et de la femme : ne se compromettant à aucun consensus stylistique, séduisant aussi bien les acheteurs et rédacteurs, une clientèles fortunées et les stars, Versace est devenu un mythe. Sa réussite est basée sur l’appropriation stylistique et commerciale de l’émancipation des femmes, désormais des executive
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women41 affranchies de la domination masculine et patriarcale. En exacerbant leur féminité, Versace imagine une femme de pouvoir, libre de coucher avec qui elle le souhaite, de plaire à qui elle l’entend, et de se payer les vêtements qui la rendront belle avec l’argent qu’elle gagne. Au-delà d’une attitude lascive, la femme Versace (puisque pour l’instant il ne s’agit que d’elle) se plait dans une somptueuse profusion 41 VEYRON, Martin, Executive woman, Paris, Albin Michel, 1986.
de luxe, de féminité, et d’audace pop, rock et sexe. Gianni a défini la place de la mode de son époque dans la culture populaire, en redéfinissant ce qu’une maison de mode doit, selon lui, devenir, combinant mode, rock’n’roll, art, célébrité, théâtre et ballet. Tout ce travail stylistique, la création d’un univers très marquée et sa force de communication sont pour le sémiologue Omar Calabrese la définition du néobaroque. En 1989, dans l’essai L’abito per pensare, ce dernier écrit : Le néobaroque est un esprit formel et général que nous retrouvons dans toute la production de Versace, même lorsqu’apparemment, les sources proviennent d’un clacissisme revisité, d’un certain romantisme ou d’une histoire avant-gardiste de notre siècle. Un esprit que nous pouvons noter non seulement dans la vraie et propre production du styliste, mais surtout dans la façon de la montrer et de la raconteur, c’est à dire dans son style communicative qui résulte des photographies, des campagnes publicitaires, des initiatives collatérales qui accompagnent la présentation et des accessoires42.
42 BOCCA, Nicoletta, BUSS, Chiara, CALABRESE, Omar, VERSACE, Gianni, L’Abito Per Pensare, Milan, Arnoldo Mondadori Editori Arte, 1989
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En 1979, Gianni Versace commence une collaboration avec Richard Avedon. Ce dernier déclarera ne travailler qu’avec les meilleurs (visant explicitement le New York Times, et Versace). Tout cela mène naturellement à l’arrivée des mannequins super star, avec David Brown, directeur de l’agence de mannequin Riccardo Gay, raconte : Je me souviens très bien de ce moment. On est alors passé des mannequins – femmes distinguées qui portaient bien les vêtements lors des défilés – comme Dalma, Amalia, Pat Cleveland aux models. C’est Gianni qui a été à l’initiative de ce phénomène. Il voulait que sur les podiums défilent les femmes/couvertures du moment, les stars éditoriales. C’était un comportement logique pour lui qui voulait toujours le meilleur du meilleur, et qui a changé les défilés parce que les mannequins qui apparaissaient sur les couvertures de Vogue, Bazaar, W s’appelaient, au début, Cindy Crawford et Linda Evangelista. Dès cet instant, le fameux trio de Versace composé de Linda, Naomi Campbell et Christy Turlington a pris forme.
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Il a été le premier à réaliser l’importance de stars en frontrow des défilés, la valeur des top-models, et à inonder les médias internationaux de sa mode. Pour autant, comme le confirme Richard Martin dans l’introduction du catalogue de l’exposition Gianni Versace à la Fondation Ratti : Dans le travail de Versace, le génie dans l’interprétation de la mode comme un art fait pour les médias constitue un facteur central. Il ne l’a pas seulement jeté dans les mâchoires faméliques des médias du spectacle contemporain avec les défilés et les associations à la musique rock, au ballet et au théâtre, mais s’est approprié du charisme des personnages des médias, en agissant en complète empathie avec eux. Toute la suggestion de ses vêtements ressort sous les yeux de la caméra et les lumières des projecteurs. Versace a dessiné pour cette génération affamée d’images et saturée de médias qui a atteint sa majorité seulement dans ce dernier quart du XXème siècle. Les critiques acerbes affirment que la mode, notamment celle de Versace, n’existerait pas sans le rock’n’roll, la publicité et les topmodels. On s’attend à ce que la réponse soit : non. Pour Versace la réponse, par contre, est : il reste une mode incroyable qui répond toujours à l’indomptable esprit de cette fin de siècle. 81
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S&M
L’une des forces de Gianni Versace a été d’interpréter une mouvance contemporaine, en la rendant sexy et commerciale. Il cristallise un instant de la culture en l’incorporant dans sa mythologie du luxe. Et du luxe à la luxure, il n’y a qu’un pas que nous essayons de franchir, et tentons de saisir au travers d’une étymologie commune afin d’assimiler la démarche sensuelle de la mode de Versace. Au sujet de la luxure, Philippe Sollers écrit : À la différence de tous les autres péchés, j’entends dans ce mot quelque chose qui me parle immédiatement du luxe, puis de luxuriance, qui est abondance, richesse, extrême facilité à produire - d’où la luxuriance d’un style. Le dictionnaire définit la luxure comme la recherche sans retenue des plaisirs de l’amour physique, des plaisirs sensuels […] Ce mot, lux, laisse voir la lumière ; luxus, l’excès, la débauche ; luxuria, l’exubérance, la profusion (en parlant des plantes), la fougue (en parlant des animaux). En général, cela veut dire somptuosité, n’est-ce pas ? Et pourquoi la signification humaine se résume-t-elle dans les dictionnaires en « vie molle et voluptueuse » ?43 Dans ce sens-là, la mode de Versace relève effectivement de la luxure. L’apparition d’un style plus que sexy, tantôt bondage, S&M dans ses collections vers 1992, correspond à cette attitude, digérer un climat social particulier, pour le rendre optimiste. À cette époque, le Sida commence à faire des ravages, et alors que la 43 SOLLERS, Philippe , « Dans luxure , j›entends le mot luxe », Le Figaro Magazine, Publié le 08/07/2011, (consulté le 09.06.2014), http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazi ne/2011/07/08/01006-20110708ARTFIG00748-philippe-sollers-dans-luxure-j-entends-le-motluxe.php
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semaine de mars se termine, une polémique, encore, affecte Versace. Mariuccia Mandelli-Krizia reproche les trois journées milanaises de récoltes de fonds pour l’Anlaids (Association nationale pour la lutte contre l’Aids). Convivio, l’évènement créé par Gianni Versace, invitant tous ses amis couturiers, personnalités, et fortunes à participer à cette récolte, notamment autour d’un dîner et d’une vente aux enchères. Elle s’exprime sur cette façon de « dépenser autant d’argent pour mettre à pied une kermesse mondaine de mauvais goût où 80% de la recette partira en dépenses pour l’organisation, les relations publiques et le dîner princier ». Convivio récolte 1 milliard 600 millions de lire la première année.44 Dans ce climat, la semaine du prêt-à-porter de mars présente une mode sage. Versace, lui, montre une collection qui fera scandale45. Inspirées des femmes S&M de Allen Jones, la collection Bondage montre des mannequins « gainées dans des longues robes faites de ceintures de soie ou de cuir, serties de clous d’or, serrés dans des corsages lacés avec des boucles en diamants, enrichis de colliers noirs et de bottes noires à talon aiguille évoquant indiscutablement les rituels érotiques sadomaso. »46 Le thème sadomaso est repris plus tard par Gaultier, ou Galliano, et l’hypersexualisation de la mode commence à rentrer dans le consensus, mais à l’époque, bien avant le porno-chic de Tom Ford chez Gucci, cette collection fait l’effet d’une vraie bombe. Cette collection agite tant bien ses détracteurs que ses afficionados. Certain y voient le symbole d’une femme libérée, pour qui la proie est l’homme tandis que pour d’autres elle n’est que dégradation masculine de l’image fantasmée et érotisée d’une femme objet. La collection interpelle et choque énormément, mais elle est aussi un succès commercial grâce à l’intelligence du créateur qui décline des modèles qui conservent le concept mode sans le côté outrancier. 44 GASTEL, Minnie, Le Mythe Versace, Paris, Éditions Premium, 2010 45 Ibid., p 149 46 Ibid., p 150
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En 1994, Gianni se saisit de la mode grunge, utilisant l’esprit do it yourself, il en fait une collection riche, manifeste et aboutie. Coup de théâtre, quand Elizabeth Hurley, petite-amie de Hugh Grant la porte lors de la première de Quatre mariages et un enterrement la même année à Londres. L’impact est tel, que cette robe devient un symbole de la mode des années 1990, recevant le surnom That Dress, réciproquement, cette robe fera de Liz Hurley un sex-symbol. Cet évènement marque également symboliquement le début de la culture des célébrités, et du tapis rouge. Tout ça étant parti d’un phénomène de désolation quant à la situation critique économique, politique et sociale, globale exprimée par la jeunesse désenchantée par cette époque dans laquelle elle ne voit pas d’issue...
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GIANNI’S LEGACY
Le 15 juillet 1997, Gianni Versace sort de son palais de South Beach pour aller acheter les journaux. C’est là qu’Andrew Cunanan tire à bout portant sur l’homme, mettant fin à la vie d’un des créateurs les plus emblématiques de la fin du XXème siècle. Gianni Versace laisse derrière lui un empire colossal, et une famille effondrée. La Gianni Versace SpA entre dans une période sombre, et doit faire face à un défi de taille. Comment perdurer le travail entrepris par Gianni ? Plus d’une centaine de boutiques dans les plus grandes villes du monde, une image de marque puissante et associée au visage de son créateur, des collections à continuer... Gianni fait d’Allegra, fille de Donatella et âgée alors de 11 ans, la légataire principale de son empire, en lui attribuant sa part, les 50% des actions de la société. Donatella devient la directrice artistique de la maison. Cependant jusqu’à la fin des années 2000, l’entreprise connaît 88
d’énormes difficultés. L’Atelier Versace ne figure plus sur le calendrier de la semaine de la couture. La situation interne au groupe et la crise mondiale des années 2000 voit le réseau de boutiques s’amincir. Parallèlement il faut asseoir sa présence sur le net... Et toujours, essayer de surprendre lors des défilés. À la fin des années 2000, la Gianni Versace SpA refait surface. Les collections de Donatella gagnent en crédit et en visibilité, même si elles sont loin de faire l’unanimité. La stratégie est entièrement repensée. En 2011, après plusieurs collaborations commencées avec Karl Lagerfeld, Versace signe une collection avec le géant suédois de l›habillement low-cost H&M. Celle-ci est un immense succès commerciale et publicitaire. En 2012, l’Atelier Versace se retrouve sur le calendrier de la semaine de la couture de Paris, en redevenant l’un de ses rendez-vous incontournables. Donatella en profite également pour relancer Versus, la gamme jeune de
Versace, en s’impliquant sur le net et dans des collaborations avec des jeunes stylistes anglais, comme JW Anderson ou Christopher Kane, afin de toucher un public plus jeune, pour qui Versace était devenu symbole des années 1990 ou des nouveaux riches au goût pas toujours très fin. Elle favorise les collaborations pop avec des artistes branchés comme MIA ou encore Brooke Candy, ou beaucoup plus mainstream avec Lady Gaga, récemment, ou Madonna, ainsi qu’en habillant l’équipe du Real de Madrid. Surfant sur le retour du logo inspiré par la mode bling-bling des années 1980 et 1990, dont Gianni était l’un des principaux acteurs, Donatella insiste pour le retour de la Méduse, la Medusa, mise à l’écart depuis quelques années, dans l’identité visuelle de la marque. En février 2014, le groupe Versace cède 20% de ses actions au groupe américain Blackstone. Si la personnalité et l’implication de Donatella Versace sont encore largement discutées et controversées,
les derniers résultats semblent cependant encourageants. D’après un article du Financial Times, la société Versace a indiqué que son bénéfice net a bondi de près d’un tiers en 2013 aux Etats-Unis et que les ventes soutenues en Chine compensent la croissance plus lente en Europe. Blackstone indique que la Gianni Versace SpA a réalisé un bénéfice net l’an dernier de 11 millions d›euros, pour des revenus de 480 millions d›euros, accusant une hausse de 17% par rapport l›année précédente47. Pour alimenter et répondre à cette nouvelle géographie du luxe, et rester cohérent avec le discours retail, un nouveau concept et un nouveau réseau de boutiques doivent pouvoir étendre l’empire Versace et imposer sa vision du luxe à l’italienne tutto il mondo.
47 PATON, Elizabeth, « Versace: A quick take on today’s earnings », 27.03.2014, (consulté le 09.06.2014), http://blogs.ft.com/materialworld/2014/03/27/versace-a-quick-take-on-todaysearnings/
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VIA DELLA SPIGA, LE MONDE
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LA MANIERA GRECA
En 1978, Gianni Versace ouvre sa première boutique Via della Spiga, au cœur du Quadrilatero della Moda, formé par la Via Monte Napoleone, le Corso Venezia, la Via Manzoni et la Via Sant’Andrea. C’est le début d’un empire qui disséminera ses boutiques dans les grandes capitales du luxe à travers le monde des années 1980, en Europe, aux États-Unis, au Japon. En 1990, Versace est largement présent aux États-Unis, avec onze boutiques, et ouvre sa seconde boutique à New York, cette nouvelle adresse sur Madison Avenue, entre Valentino et Armani, avec sa façade de verre et métal, décorée de colonnes corinthiennes, offrant près de cinq cents mètres carrés de ce luxe italien48. Ce sont les architectes Rocco Magnoli et Lorenzo Carmellini qui pensent cette nouvelle boutique, la plus grande des États-Unis.
48 GASTEL, Minnie, Op Cit.,, p 126
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Le 13 juin 1991, Versace inaugure sa boutique la plus fastueuse au 62 rue Saint-Honoré, à côté des temples parisiens de la mode49. Mille deux cents mètres carrés sur trois étages dans un hôtel particulier. Magnoli et Carmellini sont une nouvelle fois les architectes de ce palais. Pour Le Figaro, ce palais viscontien est l’œuvre de Gianni Versace en personne. Mosaïques, fresques néoclassiques, trompe-l’œil avec cariatides et drapés côtoient le cristal et l’acier. À Londres, la boutique, sinon véritable Palais, en plein Bond Street, de sept cents mètres carrés répartis sur quatre étages, coûte plus de dix millions de dollars50. Paolo Filo della Torre, correspondant de la Repubblica, écrit : L’austère Old Bond Street s’est transformée en une espèce de Via Venetto où les célébrités, divas, starlettes et play-boys, acteurs célèbres, chanteurs à la voix d’or, mannequins très peu vêtus et aristocrates rebelles se promènent vaniteusement dans la rue à l’usage et à la consommation d’une foule de paparazzis guettant leur proie dans chaque recoin. […] Parmi les plus grands, se trouvait aussi le directeur de l’Independent, Andreas Whittam-Smith. Des gens austères comme lui auraient par le passé été très critiques par rapport à ce genre de manifestations, mais le luxe que Versace a apporté à Bond Street les fascine eux aussi.
49 Ibid., p 138 50 Ibid., p 155
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C’EST BYZANCE
Après la mort de Gianni, le déclin de l’Empire Versace a perduré jusqu’aux années 2000. Quand les maisons de mode ont pris le tournant de la mondialisation à la fin des années 1990, le groupe Versace a accumulé un retard tant sur la question de l’évolution du marché, l’ouverture de nouvelles économies puissantes, les besoins changeants d’une clientèle qui a déjà tout vu, tout porté, tout critiqué. Un long deuil a été nécessaire pour Donatella afin d’assumer sa succession et enfin devenir la Directrice Artistique, personnage public incontournable de l’industrie de la mode et icône d’un univers âgé d’alors une vingtaine d’année et pourtant aussi puissant, en terme d’image, que les maisons historiques italiennes, françaises ou anglaises. Ce renouveau passera par une réinterprétation de tous les éléments qui ont fait la renommé et le succès de Versace sous l’ère Gianni, comme un témoignage au génie du créateur, tout en montrant une volonté de s’inscrire dans le XXIème siècle. Ce siècle qui voit de nouvelles économies dessiner une géographie du luxe nouvelle, désormais la Chine, Shanghai, Hong-Kong, la Corée, les Émirats, l›Inde, le Brésil... Chacun de ces pays doit alors, en plus du réseau existant, avoir son palazzo italianisant. La femme Versace pour Donatella n’est pas une romantique, c’est une audacieuse qui n’a pas froid aux yeux. Dès lors, elle se penche sur la nouvelle scène londonienne très rock’n’roll, avec de jeune stylistes comme Christopher Kane, qu’elle nomme ensuite à la tête du style de sa ligne Versus, mais aussi à ce que Riccardo Tisci a fait chez Givenchy. En attendant le concept des boutiques Versace ne correspond 93
plus à l’ère du temps et encore moins à l’esprit de la marque. Des boutiques génériques, noire et blanche, certes brillantes mais ayant abandonnées cette flamboyance et cette italianité spécifique. Dès 2007, une refonte totale du design et de l’image de la marque s’opère. De 2009 à 2010 l’équipe des architectes et Donatella réfléchissent à un nouveau concept, qui incarnera ce renouveau, cette renaissance de la Méduse. Ce que Donatella a en tête sur l’évolution du retail et du luxe c’est justement ce que Riccardo Tisci et Jamie Fobert, architecte spécialisé dans les scénographies artistiques, imaginent pour la nouvelle boutique de
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la rue Saint-Honoré. Ce minimalisme conjugué à l’exubérance calabraise versacienne représentent ainsi pour Donatella le tournant que doit prendre la maison. Pour s’inscrire dans cette tradition de la Maniera Greca, du Miami, et du bling de Gianni, l’équipe créative retient la dernière collection dessinée par le maître, qui est présentée de façon posthume durant la semaine de la Couture de Paris, pour l’automnehiver 1999. Inspirée par Byzance, cette saison, très sombre (comme un signe), est shooté par Steven Meisel dans une ambiance très mythologique, presque cérébrale. Les éléments traditionnels du folklore Versace, les mailles métalliques,
ors, drapés, mosaïques byzantines, dagues d’héroïne, soupçonnés d’une ambiance catholique composent la base du nouveau champ lexical des boutiques. Le défi est d’interpréter ces codes, dix ans après, dans un espace commercial. La maison Versace choisit finalement de collaborer avec ce même Jamie Fobert, pour conjuguer ce patrimoine au présent, minimal et flamboyant, historique et contemporain. Donatella explique au sujet de ce nouveau concept : J’aime la combinaison de toutes les matières comme l’or, le plexiglas et la mosaïque antique. Au final, c’est comme si l’avenir se superposait au-
dessus au patrimoine, mais sans jamais se toucher.51 Ce nouveau concept pilote doit en effet pouvoir soutenir le discours retail de Donatella, et devenir l’un des piliers du renouveau de l’empire Versace. Car si il est primordial, ce nouveau type de magasin doit avant tout mettre les vêtements en avant, et accueillir l’ensemble des collections femmes, hommes et maison.
51 I like the combination of all the materials like gold, plexiglass and the antique mosaic. So it’s like heritage and the future above it, but they never touch each other.
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Entrons en détail dans l’élaboration de cette nouvelle typologie. Elle décline principalement trois thèmes : le sol en mosaïque l’or les niches blanches arrondies Chacun de ces thèmes est entrepris dans une tradition artisanale exemplaire. Les mosaïques inspirées des Cosmati sont réalisées par l’atelier de mosaïque du Vatican, une institution séculaire. Les parties dorées sont pensées à partir d’éléments d’architectures emblématiques de l’Italie. Par exemple les mains-courantes reprennent celles de la Gare Centrale de Milan, monumental bâtiment fasciste des années 1930. Les niches, quant à elles, sont une interprétation contemporaine des absides des basiliques, alcôves à l’abri des regards, où les mannequins portent des robes en latex, ce genre d’alcôves. Ces mêmes mannequins qui se retrouvent sur des scènes en plexiglass suspendues, telles des stripteaseuses en pleine performance, mais surtout pour laisser le sol en mosaïque libre. Les mannequins doivent également montrer cette vision de la femme et de l’homme Versace. Pour la femme, elle doit être, affirmative... Julie Verhoeven, ancienne de la Central Saint Martins, aide Donatella à imaginer cette femme, glamour, sexy et moderne. Une sorte de Gisele Bündchen aux articulations de robote [sic.] langoureuse, reprenant la texture des murs blancs, pour là encore ne mettre en avant que la robe fendue en soie précieuse. Les éléments de la Home collection doivent se retrouver un peu partout dans les boutiques et contribuer à vendre la dolce vita Versace, soies sexy, montres tape-à -’œil, plaids en chinchilla luxurieux... 97
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COME IN MY ROOM, MY SHEET VERSACE
L’un des éléments de la réussite de l’empire Versace, nous l’aurons compris, c’est d’avoir proposé un univers global, un lifestyle, une expérience en immersion complète dans un style foisonnant, nourri de références historiques et de réflexions perpétuelles sur la société contemporaine. Versace est en effet l’une des rares maisons de mode à être allée aussi loin dans l’expérience client. S’il est vrai que d’autres maisons proposent également de l’hôtellerie, évoquons Bulgari et Armani, ou des lignes d’ameublement, Ralph Lauren, Missoni, Hermes et Armani pour ne citer qu’eux... Versace est l’une des rares à non seulement proposer l’ensemble de ces offres (il est vrai qu’il n’existe pas de café ou restaurant Versace, à l’inverse d’Armani), mais surtout, Versace est aussi connu pour sa mode que pour son lifestyle. C’est à Miami que l’on retrouve l’essence de Versace Home. Miami qui fut le coup de cœur de Gianni. Patricia Cucco raconte : Versace commençait à penser à l’aménagement de sa maison de Miami encore en travaux. Sous le soleil des tropiques, il voulait des dessins forts, des coloris violents. Les mêmes que ses imprimés qui avaient eu tellement de succès. C’est ainsi que naquit la collection Home de Versace : des couettes et des courtepointes qui changeaient des traditionnels imprimés pour la maison. Des coussins que nous avons vendus à des millions d’exemplaires et qui sont devenus des objets cultes. Puis les premiers services en porcelaine : c’est le directeur artistique de Rosenthal en personne qui a proposé à Versace de collaborer avec lui.52
52 GASTEL, Minnie, Op. Cit., p 155
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Avec le temps la collection Home s’est étoffée, proposant en plus de la décoration, du mobilier. Cette démarche est également une façon de placer l’artisanat italien au centre de l’affaire, et d’en être le vecteur à travers le monde. C’est aussi une affaire très lucrative qui rapporte énormément à la société. Récemment, la volonté de Donatella de donner une dimension contemporaine à la marque, se traduit par une collaboration avec deux jeunes designers de Los Angeles, les frères Haas, qui fournissent un travail aux antipodes du minimal et du traditionnel bon gout, mais avec une caution très cool, très LA. Pour l’édition 2013 du Salon du Meuble à Milan, ils dévoilent une collection très sexualisée à l’image de Versace, dans sa période Bondage. La collection est présentée dans une ambiance Red Light District, dans des vitrines, éclairées de néons colorés, à l’image de la collection prêt-à-porter femmes Automne-Hiver 2014.
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PA L A Z Z O
B U S I N E S S
En 2000, le premier Palazzo Versace est ouvert sur la côte dorée australienne. Il est le premier hôtel labellisé par une maison de luxe internationale. Issu d’une initiative de Sohiel Abedian, le PDG de Sunland, une compagnie de promotion immobilière. Quand il propose ce projet, en Australie, il y a beaucoup de sceptiques quant à l’attrait de la côte australienne comme destination d’une clientèle Versace. Aujourd’hui, le Palazzo Versace Gold Coast accuse un taux d’occupation constant à 85%. Le monde a changé et les touristes veulent plus que des vacances, ils veulent une expérience. En 2011, un nouveau Palazzo Versace ouvre à Dubaï. Un nouveau est prévu à Macao. En considérant que la plupart de ces hôtels labélisé sont issus de marques italiennes, nous nous interrogeons, et au final peut-être que l’hôtellerie de luxe est alors le dernier cheval de Troie pour diffuser cette culture italienne, afin d’étendre son empire, d’être présent dans les nouvelles économies puissantes, les seules à pouvoir s’offrir ces prestations, et pour qui l’expérience du shopping n’est plus suffisante.
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CONCLUSION
Nous l’avons vu, la ville a été établie par une androcratie diffusant son modèle idéologique et ses valeurs. Combiné au dogme religieux, cette combinaison a organisée la ville et l’espace public, les usages, et les rites. Avec l’arrivée du consumérisme de masse, un modèle hégémonique en remplace un autre. Si pour Beatriz Preciado la pornographie se définie comme un « dispositif de production publique de la sphère privée, et mise en spectacle de la domesticité 1 », pour Pier Paolo Pasolini, cette intrusion de la sphère publique (commerciale) dans la sphère privée (le droit au coït) est la volonté de la société de consommation et non le produit d’une quelconque révolution sexuelle, si il en est. Aujourd’hui, la liberté sexuelle de la majorité est en réalité une convention, une obligation, un devoir social, une anxiété sociale, une caractéristique inévitable de la qualité de vie du consommateur. Bref, la fausse libération du bien-être a créé une situation tout aussi folle et peut-être d’avantage que celle du temps de la pauvreté. [...] Au cours de ces dix dernières années est intervenue la société de consommation, c’est-à-dire un nouveau pouvoir faussement tolérant qui a relancé le couple sur une très grande échelle, en privilégiant tous les droits de son conformisme. Mais ce qui intéresse un tel pouvoir, ce n’est pas un couple générateur d’enfants (prolétaire), mais un couple consommateur (petit-bourgeois) : il a donc déjà in pectore l’idée de la légalisation de l’avortement 2.
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1
PRECIADO, Beatriz, Pornotopie, Playboy et l’Invention de la Sexualité Multimédia, Paris, Climats, 2010
2
PASOLINI, Pier Paolo, Ecrits Corsaires, Paris, Flammarion, 1976
Quoi qu’il en soit, avec le commerce a suivi une certaine émancipation des catégories sociales les moins visibles, avec cette émancipation l’espace public a été modifié à l’image de ces populations, et au sein de cet espace public, ces groupes peuvent finalement exister dans une ville qui à la base n’est pas faite pour eux. À la croisée de la sexualité, de l’identité et de la consommation, la mode apparaît comme l’un des acteurs de cette révolution sexuelle. Elle aussi ayant connu d’importantes révolution, suivant l’économie, la loi du commerce, la politique. Spatialement cela c’est traduit par l’emprise toujours plus voyante et importante de l’empire de la marque jusqu’à imposé sa suprématie mondiale avec les grands groupes de luxe. Si avant, nos vies étaient réglées par la morale religieuse, cette nouvelle ère du luxe, utilisant la mode comme vecteurs de liberté, est alors le dogme et instigue des modes de vies et des critères à suivre si l’on ne veut pas être mis de côté.
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LOUIS RAMBERT MÉMOIRE DE MASTER ENCADRÉ PAR DENYSE RODRIGUEZ-TOMÉ ENSAV - JUIN 2014